Si René Goscinny a régné sur le monde de la bande dessinée au XXe siècle, Alain Ayroles est sans conteste le souverain du monde de la bande dessinée du siècle suivant (en ne prenant en compte que les scénaristes). Et l'entrée dans ce nouveau siècle de bande dessinée s'effectua de manière légèrement anticipée en 1995. En effet, cette année-là, l'auteur lance deux grandes sagas : Garulfo et De Capes et de crocs. Deux des plus grandes sagas de la bande dessinée contemporaine...
Bien sûr, De Capes et de crocs reste l'indétrônable saga de la carrière d'Ayroles, en tous cas jusqu'à ce jour. Mais dans Garulfo, il fait toutefois montre du même génie qui anime toute son oeuvre. Si la saga commence de manière assez sage, le premier dyptique est d'ores et déjà savoureux, par ses dialogues craquants, ses quiproquos et situations hilarantes, et ses personnages bien croqués. Mais passé ce premier dyptique, alors que le troisième tome nous fait craindre une suite purement commerciale, c'est la métamorphose.
De saga sympathique, Garulfo devient une saga essentielle, majeure dans l'histoire de la bande dessinée. Avec cette idée prodigieuse - apparemment soufflée par l'autre compère d'Ayroles, Jean-Luc Masbou - d'échange de corps entre la grenouille Garulfo et le prince humain Romuald, la saga prend une toute autre dimension : en plus d'être une simple relecture de conte de fées et apologues du même style, Garulfo devient à part entière un pur apologue. Sans jamais oublier son second degré salutaire qui dévoile tout son éclat au travers de situations hilarantes issues de cet échange de corps, la saga d'Alain Ayroles se met elle-même à véhiculer de vraies valeurs, de belles valeurs, qui se manifestent dans des personnages savamment écrits, dont l'évolution est en tous points remarquable.
L'autre grand tournant de la série, c'est aussi l'arrivée d'un des personnages les plus prodigieux que toute la bande dessinée - et toute oeuvre narrative en général - ait connu : l'ogre au grand cœur. Coup de génie d'Alain Ayroles, ce personnage résume à lui tout seul ce qui rend la saga Garulfo si grande. Comment ne pas s'attacher à cette créature qui, sous ses apparences de brute sanguinaire, cache une âme d'enfant et d'artiste ? En révisant de manière subtile La Belle et la Bête, Ayroles réussit à nous émouvoir profondément, entre deux gags hilarants, sur le sort de cette créature touchante et maladroite, dont le grand final du tome 6 explicitera avec beaucoup d'intelligence le parallèle entre l'ogre et la princesse qui, au-delà des apparences, ont finalement tout en commun. Ainsi, la relation entre la belle et la "bête", entre la princesse et l'ogre, fait partie de ces liens incroyablement émouvants (j'avoue avoir fini ma lecture les yeux humides, la première fois) qui rendent une oeuvre inoubliable.
Avec cela, on ne doit pas oublier la relation entre Garulfo et Romuald, les deux personnages principaux de la saga. Si l'un et l'autre peuvent exaspérer, l'un par son excessive naïveté, l'autre par sa méchanceté exacerbée, les deux compères connaissent pourtant une évolution d'une extrême subtilité tout au long de leurs péripéties. Evidemment, le parcours le plus touchant est celui de Romuald qui, tout d'abord froid et cynique, s'ouvre petit-à-petit aux autres, et se découvre un cœur. L'amour de la princesse, d'abord égoïste, devient au fur et à mesure de la saga un véritable amour, qui finit par ne plus rester tourné vers soi, mais vers l'autre. Et ce faisant, Romuald s'intéresse de plus en plus à son entourage, dont, par exemple, le petit Poucet, rôle secondaire qui aurait pu être terne, mais dont la présence permet de mieux mettre en lumière les évolutions des rôles principaux.
Ainsi, après un début solide mais encore un peu timide, Garulfo devient au fur et à mesure de ses différents tomes une oeuvre belle, hilarante mais toujours un peu émouvante, poétique mais toujours un peu transgressive, parfois dure mais toujours sensible. Seul petit défaut qui ne s'effacera jamais totalement : le dessin de Maïorana. Celui-ci est loin d'être catastrophique, mais le trait des deux premiers tomes est franchement peu attrayant, et peine à rendre la magie de l'ambiance. A partir du 3e, on note une nette amélioration, mais qui n'aboutira jamais véritablement à quelque chose de beau et puissant. La puissance découle plus de la mise en scène en elle-même, sans doute avant tout le fruit du génie d'Ayroles (on y retrouve beaucoup de choses en commun avec De Capes et de crocs ou Les Indes fourbes), que des dessins, qui ont au moins le mérite de ne pas entraver les étincelles de génie de l'auteur. La mise en couleur, elle, s'améliorera sans cesse jusqu'à un dernier tomer visuellement très convaincant.
Mais bon, Maïorana fera un bien meilleur travail dans D, et il reste un dessinateur qui connaît son métier. Et comme cela n'empêche de se laisser fondre face aux cascades de talent qui transpirent de chaque page de cette extraordinaire série, on ne lui en tient pas rigueur : Garulfo reste envers et contre tout un vrai petit chef-d'oeuvre.
Depuis le succès de Undertaker et Sykes notamment, il y a un vrai renouveau du western dans la BD ces dernières années, avec pas mal de vraiment bons albums et bonnes séries. Et "Jusqu'au dernier" vient s'y ajouter, en bonne place parmi les meilleurs à mes yeux.
L'histoire se déroule à la fin du 19e siècle, alors que l'Ouest est en plein bouleversement avec l'arrivée du chemin de fer qui va conduire à la fin de l'ère des cow-boys, ces hommes dont la mission consistait à faire traverser les états à des troupeaux de bovins en direction des abattoirs de Chicago notamment. Russell est l'un de ces cow-boys, un vieux de la vieille qui sent le vent tourner pour lui. Accompagné de Kirby, un jeune cow-boy débrouillard en qui il place toute sa confiance, et de Bennett, l'enfant un peu simplet qu'il a recueilli, il décide de prendre sa retraite et de monter un petit ranch bien à lui. Mais la mort de Bennett, à qui il tenait tant sans le montrer clairement, va changer la donne et l'entraîner dans une fuite en avant sans retour possible.
D'emblée, j'ai été épaté par le dessin. Paul Gastine a mis trois ans à dessiner cet album et, pfiou, ça en valait la peine. Chaque planche est superbe, à la toute petite exception de la planche titre dont la colorisation trop orangée m'a un peu dérangé. Mais hormis celle-là, il n'y a pas une page que je n'ai pas trouvée époustouflante. La mise en scène est très cinématographique, avec des prises de vue en plans éloignés sur des paysages grandioses, réalistes et détaillés. Les personnages sont réalistes eux aussi et en même temps plein de vie, d'expressivité et de dynamisme. Et la colorisation est aussi particulièrement maîtrisée. Par plusieurs aspects et même si le trait est ici plus fin, j'ai retrouvé dans ce dessin des touches me rappelant le style de Ralph Meyer et comme j'adore cet auteur et son graphisme, c'est un vrai compliment que je fais là.
L'histoire n'est pas en reste. Elle est très bonne et offre un one-shot dense, qui sort des sentiers battus. Le contexte est intéressant, celui d'un pays en plein bouleversement où le cow-boy classique ne trouve plus sa place. Les personnages sont très bons, avec un trio original qui fonctionne bien. Et les protagonistes secondaires sont également bien trouvés. L'intrigue, quant à elle, se révèle pleine de surprises, avec quelques passages, retournements de situations et décisions des personnages plutôt inattendus. On n'y trouvera finalement pas vraiment de bons ni de méchants et pourtant le déroulé se révélera tragique. Je note qu'on aura droit à un passage rappelant un peu l'intrigue du Rige, le troisième tome de La Quête de l'Oiseau du Temps, et là encore c'est pour moi un compliment manifeste. La conclusion du récit est forte car elle laissera le lecteur sur un sentiment mi-figue mi-raisin, à la fois triste et désabusé mais aussi finalement optimiste pour la relève qui se présente. La fin d'une ère laisse la place à un nouveau monde, avec sa lumière et son obscurité.
Indéniablement un chouette one-shot ! Bravo aux auteurs.
Beaucoup de livres pour enfants d'aujourd'hui prennent ce motif du personnage pas comme les autres, qui est rejeté et qui finit par trouver sa place.
Ici la fin n'est probablement pas aussi convenue, mais le début non plus... On ne peut pas dire que berck soit rejeté. Simplement il est seul au milieu des autres, et c'est sans doute le sentiment que peut avoir un enfant au milieu des adultes. Et peut être l'humain qu'était GÉBÉ au milieu des autres humains....
J'ai lu cet album quand j'étais enfant. Et je crois qu'il m'a donné beaucoup : l'étrangeté du personnage, amoral, bizarre, inconvenant, mais assez calme dans son genre, m'a appris à me méfier des préjugés, à ne pas avoir peur devant ce qui déconcerte.
En partie grâce à ce livre mais aussi à mes parents qui l'avaient laissé venir entre mes mains, j'ai grandi plus vite.
Le dessin de GÉBÉ est une chose froide et pleine de surprise. Pas de gnangnan, pas de mamour, mais pas de violence non plus.
Le trait, juste le trait... Et la poésie.
Bref, lisez et faites lire Berck !
Le 4ème de couverture de ce splendide ouvrage parle à juste titre "d'un conte doux-amer sur l'art, la nature et le consumérisme."
On ne saurait ainsi mieux résumer cette jolie histoire racontant le quotidien d'un jeune apprenti sculpteur, Ilian aux mains de son tyrannique maître l'exploitant sans vergogne pour créer de magnifiques cages d'oiseaux.
Solidor est une ville commerçante en bord de mer dans des époques reculées et ressemblant fortement à la région paradisiaque du lac de Côme en Italie. Les plus nobles de ses habitants se pressent pour mettre en cage tout oiseau exotique. Lorsqu'Illian va sculpter un oiseau de bois plus vrai que nature, toute l'économie de Solidor va en être bouleversée... En effet, chaque habitant va relâcher les oiseaux pour les remplacer par les sculptures en bois du jeune prodige et Solidor va devenir bien triste en préférant de vulgaires reptiles pour animaux de compagnie.
Si l'histoire parait volontairement désuète, il faut louer le talent de Hubert pour insuffler la poésie et la grâce nécessaire à cette histoire somme toute banale. Le Boiseleur dégage toute la noirceur de Beauté ou de Les Ogres-Dieux pour une ambiance aussi désinvolte qu'agréable.
Et un talent en entraînant un autre, ce Boiseleur ne serait sans doute rien sans le talent hallucinant de l'autrice Gaëlle Hersent. La voir créer de splendides et nombreuses doubles pages richement détaillées confère un charme immédiat et permanent à l'ensemble de cet ouvrage. La ville de Solidor purement fictive n'a jamais semblé être aussi vivante. Le grand format inhabituel régale les rétines.
Avec une portée discrète mais bien présente sur l'art, la nature et le consumérisme comme annoncé et une véritable prouesse graphique, le duo emporte l'adhésion avec un récit certes classique mais dont il nous tarde de lire la fin dans le second et ultime opus. Un joli coup de coeur qui mériterait amplement d'être offert pour toute personne sensible de votre entourage.
Ce road-movie n'est pas comme ceux que j'ai pu déjà lire. Il est différent en tout point de vue.
Il y a tout d'abord ce père et sa petite fille qui font un voyage en voiture sans destination précise à la recherche d'un but. Puis, il y a cette rencontre avec un certain Bill qui a perdu ses jambes dans un accident d'hélicoptère pendant une guerre. Il va se nouer une étrange relation entre ces trois personnages qui sont visiblement en marge de la société. Cela va partir vers une quête assez onirique et à la limite du fantastique sur le mode qu'il y a toujours un espoir.
J'ai rarement vu des dessins aussi maîtrisés en couleurs directes. On va passer des marais de Louisiane à Atlantic City ou encore par les vastes plaines du Labrador canadien.
La fin est vraiment une belle réussite. Il faudra tout de même abattre près de 300 pages où se construit tout doucement cette quête. L'ennui guette parfois mais il y a une telle force dans cette oeuvre qu'elle finira par tout balayer pour offrir quelque chose d'unique en son genre. Le voyage avec Bill vaut le détour.
Note Dessin: 4/5 - Note Scénario: 4/5 - Note Globale: 4/5
Passons donc sur le retitrage commercial pour profiter du succès et de la résonance de Happy Sex, les aventures de Robert et de ses innombrables râteaux vis à vis de la gent féminine sont franchement poilants.
Pas gagné pour ma part de la part de Zep dont je goute moyennement aux aventures de Titeuf. C'est donc lorsqu'il s'éloigne un peu des terrains balisés du succès et livre peut-être un peu plus de lui-même que j'apprécie ses autres ouvrages.
Ici le seul défaut de ce bouquin c'est d'être trop succinct. En effet ces gags de une page rassemblés comme des souvenirs avec voix off se lisent bien trop rapidement. On peut noter une certaine redondance car le pauvre Robert va être cruellement malmené et rarement conclure, les demoiselles se barrent dans d'autres bras ou ses plans pour conclure s'effondrent impitoyablement. Bref Robert n'a aucune chance de perdre sa virginité.
C'est en me relisant que je m'aperçois qu'on pourrait tomber dans le graveleux ou le vulgaire. Il n'en est heureusement rien. C'est plutôt de l'humour potache et de situation assez bien fichu. Le pire c'est qu'il y a forcément une situation dans laquelle on peut se reconnaître de près comme de loin.
Quant au dessin, c'est du Zep assez classique. Un trait simple, des couleurs vives et une façon plutôt sensuelle de dessiner de jolies demoiselles aux formes agréables. La façon de dessiner des bisous avec un effet ventouse assez marqué m'a bien fait sourire. Pas de doute on est bien dans une tranche d'oeuvre adolescence/âge adulte plutôt bien reconstituée. Zep a du effectivement bien s'inspirer de son propre vécu ou de ce qu'il a vu par lui même.
C'est d'ailleurs finalement bien la seule oeuvre de cet auteur dont j'aurais aimé voir une suite. Si on n'y rit pas aux larmes, on s'y amuse beaucoup et c'est déjà un excellent point.
Bastien Vivès est un de ces auteurs avec lequel on ne sait jamais à quoi réellement s'attendre... D'un côté il est le co-auteur de l'époustouflant et sous-estimé série Pour L'Empire et par ailleurs d'un tas de bouquins dispensables au trait souvent haché et/ou bâclé.
Et il y a ce "Polina", bardé de prix et de critiques souvent prestigieuses qui ont du grandement aider à sa renommée. La peur de lire un ouvrage bobo prisé des salons bien pensants parisiens a du reculer durablement la lecture de cet ouvrage et bien mal m'en a pris. Polina est une jolie surprise.
N'ayant aucune affinité avec le monde de la danse, je redoutais l'ennui mais c'est la construction de cette relation entre cette jeune fille douée mais incertaine de son parcours artistique et de ce professeur strict et âpre, Bojinski, qui fait tout le sel de ces 200 pages de lecture.
N'allez pas croire par ailleurs que la danse et cette relation maître-élève sont les uniques moteurs de "Polina", Bojinski n’apparaît pas sur toutes les cases bien au contraire mais sa présence est si pesante que l'on devine l'impact de son enseignement sur l'évolution de cette jeune Russe discrète de son enfance à l'âge de raison. Il y a beaucoup de cases sans paroles mais la construction est parfaite. Vivès possède toujours ce trait épuré où l'on devine plus les formes que les détails mais à aucun moment le lecteur est perdu. Une certaine grâce en ressort même lors des scènes dites de danse. Polina parle peu mais vit, tombe amoureuse, hésite, semble perdue et persiste.
Les dernières pages sont absolument magnifiques et fort émouvantes. Par une belle astuce graphique, l'auteur nous dévoile même Bojinski tel qu'il est réellement et toutes les pièces du puzzle s’emboîtent pour délivrer finalement ce qui constitue le haut du panier de la longue bibliographie de Bastien Vivès. Il me tarde d'ailleurs de voir à présent l'adaptation ciné de ce petit bijou d'émotion.
La poignée de séries de la dessinatrice suédoise Anneli Furmark déjà référencées sur BDTheque n’ont pas enthousiasmé les foules, c’est donc à reculons que j’ai entamé ce pavé de plus de 200 pages… et paf, grosse claque dans la gueule.
J’ai trouvé l’histoire d’une justesse incroyable. J’ai cru en ces personnages tourmentés, en leurs doutes, et leurs combats intérieurs… cru en leur histoire d’amour adolescente qui m’a touché comme peu d’histoires du genre l’ont fait. J’ai tremblé avec eux, souri avec eux, pleuré avec eux… et la fin est juste parfaite. Vraiment, quelle maturité, quelle maitrise dans la narration…
Le dessin peut sembler « amateur » au premier abord, avec par exemple ce coloriage au feutre avec rayures visibles… mais encore une fois, il sert parfaitement le propos, il est clair, on reconnait parfaitement les personnages… et les quelques paysages norvégiens font voyager, malgré la simplicité de leur représentation.
Un gros coup de cœur… j’ai fini l’album hier, et j’y pense toujours beaucoup.
Je ne connaissais pas le roman d’Alain Damasio lorsque j’ai entendu parler de son adaptation en bd par Éric Henninot.
Tout de suite attiré par l’univers présenté, les différents avis donnés sur le livre ne laissaient aucune place au doute : j’en serai. Bande dessinée et œuvre originale.
Ma lecture du livre est fraîche de 48 heures, temps nécessaire à la digestion, à la distanciation et à une relecture de la bd. Et quelle bd ! 74 planches, précédées d’une longue préface d’Alain Damasio, qui a véritablement « hordonné » Eric Henninot. Et cela est mérité tant la route fut longue et difficile entre la prise de contact initiale et la publication de ce premier tome (je vous renvoie à l’interview de l’auteur par Spooky pour plus de détails).
Ayant conquis à la force du poignet l’adoubement de Damasio, il restait donc à Henninot à transformer l’essai. « On ne juge pas la valeur d’une adaptation à sa fidélité au support original ; on la juge à la fidélité de sa trahison », écrit le premier dans sa préface. Cette phrase prend tout son sens pour quiconque pourra comparer livre et roman.
Côté scénario : Henninot s’est attaché à montrer des événements évoqués mais non vécus dans le roman (sans en trahir l’esprit), ce qui permet de dynamiser le début de l’histoire. Je lui sais gré également d’avoir placé une scène d’ouverture nous exposant le contexte, quand le roman nous plonge abruptement au sein de la Horde.
Côté vocabulaire : exit les nombreux néologismes du livre lui apportant une touche poétique mais pouvant en rendre la lecture ardue. De nombreux passages sont néanmoins réutilisés à bon escient. Seul le conte de Caracole m’a paru bancal (un long monologue n’étant pas trop adapté au support bd, il me semble qu’il fait l’objet de coupes franches).
Côté dessin : là encore, bravo. Damasio étant assez avare en descriptions, faire parler son imagination était facilement casse-gueule. On y est, on y croit, on y vibre, tant sur les décors que les personnages. Il y a un côté parfois « sale », « gratté »... mais cela correspond tout à fait à l’atmosphère de cette planète fouettée par les vents. Ça ne pouvait pas être lisse. Je reconnais cependant que lire la bd avant de lire le roman fixe certains standards et évite l’affrontement entre mon imaginaire et la version de l’auteur. Essai transformé, donc.
La suite du livre est plus visuelle et le chapitrage découpe nettement les phases d’action, ce qui permettra peut-être d’en suivre plus fidèlement le développement. Je ne doute cependant pas qu’Eric Henninot continuera à parsemer son œuvre d’apports personnels (une Poursuite plus concrète et présente ? Voir la dernière case du tome 1). S’il parvient à conserver le souffle du roman, qui est avant tout une quête mystico-philosophique pour les hordiers, tout y ajoutant l’action nécessaire au rythme d’une bande dessinée, nul doute que la série figurera dans les incontournables de votre étagère.
MAJ T2 : Éric Henninot continue de fort belle manière dont adaptation de la Horde du Contrevent, ce second tome de plaçant, pour moi, au dessus du 1er.
L’auteur s’est totalement approprié le roman de Damasio, jouant avec tout en restant dans l’esprit. Il bénéficie sans doute de l’avancée de l’histoire pour nous proposer un récit d’une rare densité mais a su se mettre au niveau de l’œuvre originale. Le dessin est toujours excellent, le bateau fréole et l’approche de la Flaque de Lapsane offrant plus de diversité dans les décors.
Comme pour le t1, seule une scène m’a paru un peu confuse. Mais j’étais fatigué et cela m’a paru plus fluide en seconde lecture. Je ne chipoterai donc pas pour un petit accro en 68 planches.
Une telle adaptation ne pouvait être prise à la légère. Pour un rendu de cette qualité, je suis prêt à attendre 2 ans entre chaque tome et, si Henninot ne faiblit pas, la 5ème étoile est au bout du chemin.
Une BD originale à plus d'un titre.
En premier lieu son sujet rarement exploité en BD, à ma connaissance du moins, à savoir les guerres de décolonisation auxquelles a du faire face le Portugal au début des années 70 juste avant la révolution des œillets qui mit fin au régime autoritaire d'Antonio Salazar. C'est en 1961 qu'un soulèvement de la population se produit dans la province angolaise du Portugal. Ce soulèvement gagne d'autres provinces d'outre-mer comme la Guinée et le Mozambique. C'est le début d'une guerre coloniale qui va durer treize ans et ne se terminera qu'avec la révolution du 25 avril 1974.
Voilàa pour le contexte politique, les auteurs s'y réfèrent et placent l'action au Sénégal à Noël 1972, alors qu'un commando de vétérans est chargé de faire un repérage d'une base de la rébellion afin que celle-ci puisse être bombardée par l'aviation portugaise.
Ceci n'est pas un bête récit bourrin de militaires perdus dans la jungle. En traversant la jungle pour se rendre sur le lieu de leur mission, peu à peu les auteurs font monter la tension car cette mission n'est pas de tout repos. Petit à petit les pertes deviennent lourdes, et chaque soldat traine avec lui un lourd passé qui le poursuit et le hante au plus profond de son être. Les tensions entre les membres du commando ne tardent pas à se faire ressentir et les évènements de guerre ne vont pas arranger les choses.
Un dessin qui retranscrit parfaitement la touffeur et la moiteur de la jungle où les personnages possèdent des traits anguleux, mais je dirais qu'ils ont bien tous la tête de l'emploi. L'allusion aux vampires n'a rien à voir avec ce que nous pouvons connaitre dans nos contrées, ici le mythe se teint de croyances africaines. Tout cela est fort bien foutu et au final nous avons une lecture plus qu'intéressante sur un pan de l'histoire très méconnu.
A noter en fin d'album quelques pages qui contextualisent la période ainsi que des photos de collections privées font de cet album quelque chose à découvrir.
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Garulfo
Si René Goscinny a régné sur le monde de la bande dessinée au XXe siècle, Alain Ayroles est sans conteste le souverain du monde de la bande dessinée du siècle suivant (en ne prenant en compte que les scénaristes). Et l'entrée dans ce nouveau siècle de bande dessinée s'effectua de manière légèrement anticipée en 1995. En effet, cette année-là, l'auteur lance deux grandes sagas : Garulfo et De Capes et de crocs. Deux des plus grandes sagas de la bande dessinée contemporaine... Bien sûr, De Capes et de crocs reste l'indétrônable saga de la carrière d'Ayroles, en tous cas jusqu'à ce jour. Mais dans Garulfo, il fait toutefois montre du même génie qui anime toute son oeuvre. Si la saga commence de manière assez sage, le premier dyptique est d'ores et déjà savoureux, par ses dialogues craquants, ses quiproquos et situations hilarantes, et ses personnages bien croqués. Mais passé ce premier dyptique, alors que le troisième tome nous fait craindre une suite purement commerciale, c'est la métamorphose. De saga sympathique, Garulfo devient une saga essentielle, majeure dans l'histoire de la bande dessinée. Avec cette idée prodigieuse - apparemment soufflée par l'autre compère d'Ayroles, Jean-Luc Masbou - d'échange de corps entre la grenouille Garulfo et le prince humain Romuald, la saga prend une toute autre dimension : en plus d'être une simple relecture de conte de fées et apologues du même style, Garulfo devient à part entière un pur apologue. Sans jamais oublier son second degré salutaire qui dévoile tout son éclat au travers de situations hilarantes issues de cet échange de corps, la saga d'Alain Ayroles se met elle-même à véhiculer de vraies valeurs, de belles valeurs, qui se manifestent dans des personnages savamment écrits, dont l'évolution est en tous points remarquable. L'autre grand tournant de la série, c'est aussi l'arrivée d'un des personnages les plus prodigieux que toute la bande dessinée - et toute oeuvre narrative en général - ait connu : l'ogre au grand cœur. Coup de génie d'Alain Ayroles, ce personnage résume à lui tout seul ce qui rend la saga Garulfo si grande. Comment ne pas s'attacher à cette créature qui, sous ses apparences de brute sanguinaire, cache une âme d'enfant et d'artiste ? En révisant de manière subtile La Belle et la Bête, Ayroles réussit à nous émouvoir profondément, entre deux gags hilarants, sur le sort de cette créature touchante et maladroite, dont le grand final du tome 6 explicitera avec beaucoup d'intelligence le parallèle entre l'ogre et la princesse qui, au-delà des apparences, ont finalement tout en commun. Ainsi, la relation entre la belle et la "bête", entre la princesse et l'ogre, fait partie de ces liens incroyablement émouvants (j'avoue avoir fini ma lecture les yeux humides, la première fois) qui rendent une oeuvre inoubliable. Avec cela, on ne doit pas oublier la relation entre Garulfo et Romuald, les deux personnages principaux de la saga. Si l'un et l'autre peuvent exaspérer, l'un par son excessive naïveté, l'autre par sa méchanceté exacerbée, les deux compères connaissent pourtant une évolution d'une extrême subtilité tout au long de leurs péripéties. Evidemment, le parcours le plus touchant est celui de Romuald qui, tout d'abord froid et cynique, s'ouvre petit-à-petit aux autres, et se découvre un cœur. L'amour de la princesse, d'abord égoïste, devient au fur et à mesure de la saga un véritable amour, qui finit par ne plus rester tourné vers soi, mais vers l'autre. Et ce faisant, Romuald s'intéresse de plus en plus à son entourage, dont, par exemple, le petit Poucet, rôle secondaire qui aurait pu être terne, mais dont la présence permet de mieux mettre en lumière les évolutions des rôles principaux. Ainsi, après un début solide mais encore un peu timide, Garulfo devient au fur et à mesure de ses différents tomes une oeuvre belle, hilarante mais toujours un peu émouvante, poétique mais toujours un peu transgressive, parfois dure mais toujours sensible. Seul petit défaut qui ne s'effacera jamais totalement : le dessin de Maïorana. Celui-ci est loin d'être catastrophique, mais le trait des deux premiers tomes est franchement peu attrayant, et peine à rendre la magie de l'ambiance. A partir du 3e, on note une nette amélioration, mais qui n'aboutira jamais véritablement à quelque chose de beau et puissant. La puissance découle plus de la mise en scène en elle-même, sans doute avant tout le fruit du génie d'Ayroles (on y retrouve beaucoup de choses en commun avec De Capes et de crocs ou Les Indes fourbes), que des dessins, qui ont au moins le mérite de ne pas entraver les étincelles de génie de l'auteur. La mise en couleur, elle, s'améliorera sans cesse jusqu'à un dernier tomer visuellement très convaincant. Mais bon, Maïorana fera un bien meilleur travail dans D, et il reste un dessinateur qui connaît son métier. Et comme cela n'empêche de se laisser fondre face aux cascades de talent qui transpirent de chaque page de cette extraordinaire série, on ne lui en tient pas rigueur : Garulfo reste envers et contre tout un vrai petit chef-d'oeuvre.
Jusqu'au dernier
Depuis le succès de Undertaker et Sykes notamment, il y a un vrai renouveau du western dans la BD ces dernières années, avec pas mal de vraiment bons albums et bonnes séries. Et "Jusqu'au dernier" vient s'y ajouter, en bonne place parmi les meilleurs à mes yeux. L'histoire se déroule à la fin du 19e siècle, alors que l'Ouest est en plein bouleversement avec l'arrivée du chemin de fer qui va conduire à la fin de l'ère des cow-boys, ces hommes dont la mission consistait à faire traverser les états à des troupeaux de bovins en direction des abattoirs de Chicago notamment. Russell est l'un de ces cow-boys, un vieux de la vieille qui sent le vent tourner pour lui. Accompagné de Kirby, un jeune cow-boy débrouillard en qui il place toute sa confiance, et de Bennett, l'enfant un peu simplet qu'il a recueilli, il décide de prendre sa retraite et de monter un petit ranch bien à lui. Mais la mort de Bennett, à qui il tenait tant sans le montrer clairement, va changer la donne et l'entraîner dans une fuite en avant sans retour possible. D'emblée, j'ai été épaté par le dessin. Paul Gastine a mis trois ans à dessiner cet album et, pfiou, ça en valait la peine. Chaque planche est superbe, à la toute petite exception de la planche titre dont la colorisation trop orangée m'a un peu dérangé. Mais hormis celle-là, il n'y a pas une page que je n'ai pas trouvée époustouflante. La mise en scène est très cinématographique, avec des prises de vue en plans éloignés sur des paysages grandioses, réalistes et détaillés. Les personnages sont réalistes eux aussi et en même temps plein de vie, d'expressivité et de dynamisme. Et la colorisation est aussi particulièrement maîtrisée. Par plusieurs aspects et même si le trait est ici plus fin, j'ai retrouvé dans ce dessin des touches me rappelant le style de Ralph Meyer et comme j'adore cet auteur et son graphisme, c'est un vrai compliment que je fais là. L'histoire n'est pas en reste. Elle est très bonne et offre un one-shot dense, qui sort des sentiers battus. Le contexte est intéressant, celui d'un pays en plein bouleversement où le cow-boy classique ne trouve plus sa place. Les personnages sont très bons, avec un trio original qui fonctionne bien. Et les protagonistes secondaires sont également bien trouvés. L'intrigue, quant à elle, se révèle pleine de surprises, avec quelques passages, retournements de situations et décisions des personnages plutôt inattendus. On n'y trouvera finalement pas vraiment de bons ni de méchants et pourtant le déroulé se révélera tragique. Je note qu'on aura droit à un passage rappelant un peu l'intrigue du Rige, le troisième tome de La Quête de l'Oiseau du Temps, et là encore c'est pour moi un compliment manifeste. La conclusion du récit est forte car elle laissera le lecteur sur un sentiment mi-figue mi-raisin, à la fois triste et désabusé mais aussi finalement optimiste pour la relève qui se présente. La fin d'une ère laisse la place à un nouveau monde, avec sa lumière et son obscurité. Indéniablement un chouette one-shot ! Bravo aux auteurs.
Berck
Beaucoup de livres pour enfants d'aujourd'hui prennent ce motif du personnage pas comme les autres, qui est rejeté et qui finit par trouver sa place. Ici la fin n'est probablement pas aussi convenue, mais le début non plus... On ne peut pas dire que berck soit rejeté. Simplement il est seul au milieu des autres, et c'est sans doute le sentiment que peut avoir un enfant au milieu des adultes. Et peut être l'humain qu'était GÉBÉ au milieu des autres humains.... J'ai lu cet album quand j'étais enfant. Et je crois qu'il m'a donné beaucoup : l'étrangeté du personnage, amoral, bizarre, inconvenant, mais assez calme dans son genre, m'a appris à me méfier des préjugés, à ne pas avoir peur devant ce qui déconcerte. En partie grâce à ce livre mais aussi à mes parents qui l'avaient laissé venir entre mes mains, j'ai grandi plus vite. Le dessin de GÉBÉ est une chose froide et pleine de surprise. Pas de gnangnan, pas de mamour, mais pas de violence non plus. Le trait, juste le trait... Et la poésie. Bref, lisez et faites lire Berck !
Le Boiseleur
Le 4ème de couverture de ce splendide ouvrage parle à juste titre "d'un conte doux-amer sur l'art, la nature et le consumérisme." On ne saurait ainsi mieux résumer cette jolie histoire racontant le quotidien d'un jeune apprenti sculpteur, Ilian aux mains de son tyrannique maître l'exploitant sans vergogne pour créer de magnifiques cages d'oiseaux. Solidor est une ville commerçante en bord de mer dans des époques reculées et ressemblant fortement à la région paradisiaque du lac de Côme en Italie. Les plus nobles de ses habitants se pressent pour mettre en cage tout oiseau exotique. Lorsqu'Illian va sculpter un oiseau de bois plus vrai que nature, toute l'économie de Solidor va en être bouleversée... En effet, chaque habitant va relâcher les oiseaux pour les remplacer par les sculptures en bois du jeune prodige et Solidor va devenir bien triste en préférant de vulgaires reptiles pour animaux de compagnie. Si l'histoire parait volontairement désuète, il faut louer le talent de Hubert pour insuffler la poésie et la grâce nécessaire à cette histoire somme toute banale. Le Boiseleur dégage toute la noirceur de Beauté ou de Les Ogres-Dieux pour une ambiance aussi désinvolte qu'agréable. Et un talent en entraînant un autre, ce Boiseleur ne serait sans doute rien sans le talent hallucinant de l'autrice Gaëlle Hersent. La voir créer de splendides et nombreuses doubles pages richement détaillées confère un charme immédiat et permanent à l'ensemble de cet ouvrage. La ville de Solidor purement fictive n'a jamais semblé être aussi vivante. Le grand format inhabituel régale les rétines. Avec une portée discrète mais bien présente sur l'art, la nature et le consumérisme comme annoncé et une véritable prouesse graphique, le duo emporte l'adhésion avec un récit certes classique mais dont il nous tarde de lire la fin dans le second et ultime opus. Un joli coup de coeur qui mériterait amplement d'être offert pour toute personne sensible de votre entourage.
Le Voyage avec Bill
Ce road-movie n'est pas comme ceux que j'ai pu déjà lire. Il est différent en tout point de vue. Il y a tout d'abord ce père et sa petite fille qui font un voyage en voiture sans destination précise à la recherche d'un but. Puis, il y a cette rencontre avec un certain Bill qui a perdu ses jambes dans un accident d'hélicoptère pendant une guerre. Il va se nouer une étrange relation entre ces trois personnages qui sont visiblement en marge de la société. Cela va partir vers une quête assez onirique et à la limite du fantastique sur le mode qu'il y a toujours un espoir. J'ai rarement vu des dessins aussi maîtrisés en couleurs directes. On va passer des marais de Louisiane à Atlantic City ou encore par les vastes plaines du Labrador canadien. La fin est vraiment une belle réussite. Il faudra tout de même abattre près de 300 pages où se construit tout doucement cette quête. L'ennui guette parfois mais il y a une telle force dans cette oeuvre qu'elle finira par tout balayer pour offrir quelque chose d'unique en son genre. Le voyage avec Bill vaut le détour. Note Dessin: 4/5 - Note Scénario: 4/5 - Note Globale: 4/5
Happy Girls (Les Filles Electriques)
Passons donc sur le retitrage commercial pour profiter du succès et de la résonance de Happy Sex, les aventures de Robert et de ses innombrables râteaux vis à vis de la gent féminine sont franchement poilants. Pas gagné pour ma part de la part de Zep dont je goute moyennement aux aventures de Titeuf. C'est donc lorsqu'il s'éloigne un peu des terrains balisés du succès et livre peut-être un peu plus de lui-même que j'apprécie ses autres ouvrages. Ici le seul défaut de ce bouquin c'est d'être trop succinct. En effet ces gags de une page rassemblés comme des souvenirs avec voix off se lisent bien trop rapidement. On peut noter une certaine redondance car le pauvre Robert va être cruellement malmené et rarement conclure, les demoiselles se barrent dans d'autres bras ou ses plans pour conclure s'effondrent impitoyablement. Bref Robert n'a aucune chance de perdre sa virginité. C'est en me relisant que je m'aperçois qu'on pourrait tomber dans le graveleux ou le vulgaire. Il n'en est heureusement rien. C'est plutôt de l'humour potache et de situation assez bien fichu. Le pire c'est qu'il y a forcément une situation dans laquelle on peut se reconnaître de près comme de loin. Quant au dessin, c'est du Zep assez classique. Un trait simple, des couleurs vives et une façon plutôt sensuelle de dessiner de jolies demoiselles aux formes agréables. La façon de dessiner des bisous avec un effet ventouse assez marqué m'a bien fait sourire. Pas de doute on est bien dans une tranche d'oeuvre adolescence/âge adulte plutôt bien reconstituée. Zep a du effectivement bien s'inspirer de son propre vécu ou de ce qu'il a vu par lui même. C'est d'ailleurs finalement bien la seule oeuvre de cet auteur dont j'aurais aimé voir une suite. Si on n'y rit pas aux larmes, on s'y amuse beaucoup et c'est déjà un excellent point.
Polina
Bastien Vivès est un de ces auteurs avec lequel on ne sait jamais à quoi réellement s'attendre... D'un côté il est le co-auteur de l'époustouflant et sous-estimé série Pour L'Empire et par ailleurs d'un tas de bouquins dispensables au trait souvent haché et/ou bâclé. Et il y a ce "Polina", bardé de prix et de critiques souvent prestigieuses qui ont du grandement aider à sa renommée. La peur de lire un ouvrage bobo prisé des salons bien pensants parisiens a du reculer durablement la lecture de cet ouvrage et bien mal m'en a pris. Polina est une jolie surprise. N'ayant aucune affinité avec le monde de la danse, je redoutais l'ennui mais c'est la construction de cette relation entre cette jeune fille douée mais incertaine de son parcours artistique et de ce professeur strict et âpre, Bojinski, qui fait tout le sel de ces 200 pages de lecture. N'allez pas croire par ailleurs que la danse et cette relation maître-élève sont les uniques moteurs de "Polina", Bojinski n’apparaît pas sur toutes les cases bien au contraire mais sa présence est si pesante que l'on devine l'impact de son enseignement sur l'évolution de cette jeune Russe discrète de son enfance à l'âge de raison. Il y a beaucoup de cases sans paroles mais la construction est parfaite. Vivès possède toujours ce trait épuré où l'on devine plus les formes que les détails mais à aucun moment le lecteur est perdu. Une certaine grâce en ressort même lors des scènes dites de danse. Polina parle peu mais vit, tombe amoureuse, hésite, semble perdue et persiste. Les dernières pages sont absolument magnifiques et fort émouvantes. Par une belle astuce graphique, l'auteur nous dévoile même Bojinski tel qu'il est réellement et toutes les pièces du puzzle s’emboîtent pour délivrer finalement ce qui constitue le haut du panier de la longue bibliographie de Bastien Vivès. Il me tarde d'ailleurs de voir à présent l'adaptation ciné de ce petit bijou d'émotion.
Au plus près
La poignée de séries de la dessinatrice suédoise Anneli Furmark déjà référencées sur BDTheque n’ont pas enthousiasmé les foules, c’est donc à reculons que j’ai entamé ce pavé de plus de 200 pages… et paf, grosse claque dans la gueule. J’ai trouvé l’histoire d’une justesse incroyable. J’ai cru en ces personnages tourmentés, en leurs doutes, et leurs combats intérieurs… cru en leur histoire d’amour adolescente qui m’a touché comme peu d’histoires du genre l’ont fait. J’ai tremblé avec eux, souri avec eux, pleuré avec eux… et la fin est juste parfaite. Vraiment, quelle maturité, quelle maitrise dans la narration… Le dessin peut sembler « amateur » au premier abord, avec par exemple ce coloriage au feutre avec rayures visibles… mais encore une fois, il sert parfaitement le propos, il est clair, on reconnait parfaitement les personnages… et les quelques paysages norvégiens font voyager, malgré la simplicité de leur représentation. Un gros coup de cœur… j’ai fini l’album hier, et j’y pense toujours beaucoup.
La Horde du contrevent
Je ne connaissais pas le roman d’Alain Damasio lorsque j’ai entendu parler de son adaptation en bd par Éric Henninot. Tout de suite attiré par l’univers présenté, les différents avis donnés sur le livre ne laissaient aucune place au doute : j’en serai. Bande dessinée et œuvre originale. Ma lecture du livre est fraîche de 48 heures, temps nécessaire à la digestion, à la distanciation et à une relecture de la bd. Et quelle bd ! 74 planches, précédées d’une longue préface d’Alain Damasio, qui a véritablement « hordonné » Eric Henninot. Et cela est mérité tant la route fut longue et difficile entre la prise de contact initiale et la publication de ce premier tome (je vous renvoie à l’interview de l’auteur par Spooky pour plus de détails). Ayant conquis à la force du poignet l’adoubement de Damasio, il restait donc à Henninot à transformer l’essai. « On ne juge pas la valeur d’une adaptation à sa fidélité au support original ; on la juge à la fidélité de sa trahison », écrit le premier dans sa préface. Cette phrase prend tout son sens pour quiconque pourra comparer livre et roman. Côté scénario : Henninot s’est attaché à montrer des événements évoqués mais non vécus dans le roman (sans en trahir l’esprit), ce qui permet de dynamiser le début de l’histoire. Je lui sais gré également d’avoir placé une scène d’ouverture nous exposant le contexte, quand le roman nous plonge abruptement au sein de la Horde. Côté vocabulaire : exit les nombreux néologismes du livre lui apportant une touche poétique mais pouvant en rendre la lecture ardue. De nombreux passages sont néanmoins réutilisés à bon escient. Seul le conte de Caracole m’a paru bancal (un long monologue n’étant pas trop adapté au support bd, il me semble qu’il fait l’objet de coupes franches). Côté dessin : là encore, bravo. Damasio étant assez avare en descriptions, faire parler son imagination était facilement casse-gueule. On y est, on y croit, on y vibre, tant sur les décors que les personnages. Il y a un côté parfois « sale », « gratté »... mais cela correspond tout à fait à l’atmosphère de cette planète fouettée par les vents. Ça ne pouvait pas être lisse. Je reconnais cependant que lire la bd avant de lire le roman fixe certains standards et évite l’affrontement entre mon imaginaire et la version de l’auteur. Essai transformé, donc. La suite du livre est plus visuelle et le chapitrage découpe nettement les phases d’action, ce qui permettra peut-être d’en suivre plus fidèlement le développement. Je ne doute cependant pas qu’Eric Henninot continuera à parsemer son œuvre d’apports personnels (une Poursuite plus concrète et présente ? Voir la dernière case du tome 1). S’il parvient à conserver le souffle du roman, qui est avant tout une quête mystico-philosophique pour les hordiers, tout y ajoutant l’action nécessaire au rythme d’une bande dessinée, nul doute que la série figurera dans les incontournables de votre étagère. MAJ T2 : Éric Henninot continue de fort belle manière dont adaptation de la Horde du Contrevent, ce second tome de plaçant, pour moi, au dessus du 1er. L’auteur s’est totalement approprié le roman de Damasio, jouant avec tout en restant dans l’esprit. Il bénéficie sans doute de l’avancée de l’histoire pour nous proposer un récit d’une rare densité mais a su se mettre au niveau de l’œuvre originale. Le dessin est toujours excellent, le bateau fréole et l’approche de la Flaque de Lapsane offrant plus de diversité dans les décors. Comme pour le t1, seule une scène m’a paru un peu confuse. Mais j’étais fatigué et cela m’a paru plus fluide en seconde lecture. Je ne chipoterai donc pas pour un petit accro en 68 planches. Une telle adaptation ne pouvait être prise à la légère. Pour un rendu de cette qualité, je suis prêt à attendre 2 ans entre chaque tome et, si Henninot ne faiblit pas, la 5ème étoile est au bout du chemin.
Commando Vampires
Une BD originale à plus d'un titre. En premier lieu son sujet rarement exploité en BD, à ma connaissance du moins, à savoir les guerres de décolonisation auxquelles a du faire face le Portugal au début des années 70 juste avant la révolution des œillets qui mit fin au régime autoritaire d'Antonio Salazar. C'est en 1961 qu'un soulèvement de la population se produit dans la province angolaise du Portugal. Ce soulèvement gagne d'autres provinces d'outre-mer comme la Guinée et le Mozambique. C'est le début d'une guerre coloniale qui va durer treize ans et ne se terminera qu'avec la révolution du 25 avril 1974. Voilàa pour le contexte politique, les auteurs s'y réfèrent et placent l'action au Sénégal à Noël 1972, alors qu'un commando de vétérans est chargé de faire un repérage d'une base de la rébellion afin que celle-ci puisse être bombardée par l'aviation portugaise. Ceci n'est pas un bête récit bourrin de militaires perdus dans la jungle. En traversant la jungle pour se rendre sur le lieu de leur mission, peu à peu les auteurs font monter la tension car cette mission n'est pas de tout repos. Petit à petit les pertes deviennent lourdes, et chaque soldat traine avec lui un lourd passé qui le poursuit et le hante au plus profond de son être. Les tensions entre les membres du commando ne tardent pas à se faire ressentir et les évènements de guerre ne vont pas arranger les choses. Un dessin qui retranscrit parfaitement la touffeur et la moiteur de la jungle où les personnages possèdent des traits anguleux, mais je dirais qu'ils ont bien tous la tête de l'emploi. L'allusion aux vampires n'a rien à voir avec ce que nous pouvons connaitre dans nos contrées, ici le mythe se teint de croyances africaines. Tout cela est fort bien foutu et au final nous avons une lecture plus qu'intéressante sur un pan de l'histoire très méconnu. A noter en fin d'album quelques pages qui contextualisent la période ainsi que des photos de collections privées font de cet album quelque chose à découvrir.