Voilà un album qui s’adresse avant tout aux lecteurs amateurs de récits contemplatifs, où une narration langoureuse pleine de poésie – un chouia littéraire – remplace l’action et les méandres d’une intrigue complexe.
Pas de dialogue donc, une narration en voix off (chaque personnage au centre des différents chapitres nous raconte son histoire, ce qui le lie au « royaume »). Une intrigue qui est à la fois envoûtante, mais aussi obscure. Intrigante, sans forcément fournir toutes les clés. Mais rien de frustrant ici, car ce récit est agréable à suivre.
Il l’est d’autant plus que le travail graphique de Marcel Shorjian (auteur que je découvre ici) est original et lui aussi captivant. Un trait stylisé, plutôt statique, chaque personnage étant comme l’incarnation d’une carte de Tarot (et les têtes de chapitre, donnant le nom du personnage qui en sera au cœur, sonnent comme les noms de cartes de Tarot).
Et la colorisation (une bichromie différente pour chaque personnage/chapitre) est elle aussi agréable. Ce beau travail graphique est mis en valeur par le très bon travail éditorial (couverture épaisse avec dos toilé, papier épais, etc.
Un chouette album, original, que j’ai pris plaisir à parcourir.
S’il y a bien une chose que j’aime par-dessus tout, c’est de me laisser embarquer dans une histoire que mes a priori, parfois pour d’obscures raisons, m’empêchaient d’empoigner. C’est le cas avec ce premier tome signé Joe Daly dont j’appréciais pourtant le travail jusqu’ici.
Quand mon fournisseur de BD m’a fait l’article de Rust River City, il y avait une petite partie de mon cerveau qui se méfiait, sans réel motif. Il se trouve que l’occasion m’a été donnée de la lire dans le cadre de mon boulot, et je suis emballé, au point que j’envisage d’en faire l’acquisition.
D’abord, il y a le dessin, ici indissociable des couleurs, audacieuses, crépusculaires. Il se dégage une ambiance forte qui confère à cette histoire finalement très terre à terre un petit quelque chose d’irréel, voire carrément hypnotique. Cette impression se confirme lorsque l’on referme ce premier volume. En effet, la fin laisse entendre que la suite ouvrira sur quelque chose d’autre, quelque chose de tout à fait différent. En tout cas, cela augure d’une suite truculente, et ma curiosité a été on-ne-peut-plus aiguisée.
Pourtant, ce n’était pas gagné. Après quelques pages un peu plan-plan, je me suis laissé cuire à petit feu. Sans doute fallait-il ce temps d’adaptation car le ton est particulier. Et l’histoire l'est tout autant. Tout est baigné d’un esprit typiquement « indé ». Des références filmographiques n’ont cessé de me chatouiller, et non des moindres. On songe en effet au cinéma de Sean Baker (le film Tangerine notamment pour son atmosphère et ses dialogues), à des films tels que War Pony de Gina Gammell et Riley Keough, 90’ de Jonah Hill, ou bien encore au cultissime Big Lebowski qu’on ne présente plus.
Les dialogues, dont les pavés de textes peuvent rebuter (ce qui a sans doute joué dans mon cas), sont bons, néanmoins très crus, voire vulgaires, mais souvent drôles. Le scénar prend son temps pour se déployer, mais c’est aussi ce qui permet de se sentir en intimité avec les personnages qui, pour certains, en deviennent même sympathiques. C’est le cas notamment du héros, Dean, un ouvrier vétéran du Viêt-Nam, que sa détestation pour les asiatiques rend pourtant très antipathique. Mais on finit par entrevoir son côté humain, touchant, mal assuré et même sensible… Même les ados, dont les aventures occupent de nombreuses scènes parallèles à celle de Dean, deviennent proches du lecteur alors que certains d’entre eux sont franchement cons. Le plus étonnant dans cette BD, c’est que l’histoire se déroule dans un contexte d’une affligeante banalité : ville sordide, contexte très actualisé (même si se déroulant à l’époque de la cassette vidéo) sur fond de marasme économique et de chômage, de racisme, de masculinisme en fin de règne, mais également de ce sentiment de perdition de la jeune génération…
Bref ! C’est une lecture tout à fait singulière qui me fait patauger dans l’impatience. Vivement le tome 2 qui sera aussi la conclusion et promet de basculer vers un truc qui pourrait bien prendre un détour complètement fantastique. Un coup de cœur tout à fait inattendu !
Je suis passé à travers la polémique qui a secoué le monde littéraire et historique en 1996 à la suite des Révélations du Guardian sur la liste d'Orwell.
Hernandez replace à sa juste place cet "événement" en l'intégrant dans une biographie passionnée qui fourmille de détails signifiants. La part de la fameuse liste ne représente qu'une infime partie du récit. Cette liste tient plus du secret de polichinelle pour les noms cités. Elle n'a d'ailleurs eu aucune répercussion sur les uns ou les autres et est issue d'une discussion avec une amie appartenant à la cellule de propagande antisoviétique. Je ne dévoilerai pas la teneur des propos de Hernandez mais il montre comment certains média se sont jetés sur cette info sans prendre le temps du discernement, comme un vieux règlement de compte d'une cinquantaine d'année à solder.
Pour le reste, c'est à dire l'essentiel de la série Carlos Hernandez propose une biographie chronologique très détaillée qui met toujours en valeur les contextes sociétaux de l'époque qui expliquent le cheminement intellectuel et psychologique de l'auteur de "1984".
Comme je n'avais jamais lu de biographie de George Orwell cette série a été une mine d'informations, pour la plupart très intéressantes. Pourtant j'avais peur que l'auteur s'enlise dans des digressions qui alourdissent le récit. C'est d'autant plus vrai que la voix off est omniprésente puisque Hernandez a choisi de laisser son personnage muet! Une bio chronologique pas à pas et une voix off très présente sont deux paramètres qui peuvent rendre la lecture vite lassante. Ce n'est pas du tout le cas ici.
En effet Hernandez se met en scène à de très nombreux endroits comme présentateur décalé ou comme acteur de la création du récit. Cela donne beaucoup de rythme à la narration qui s'appuie sur les épisodes les plus signifiants du parcours de l'écrivain ( Birmanie, Guerre d'Espagne ...) expliquant ainsi son aversion pour le régime stalinien dès la fin des années 30.
En mêlant habilement l'intime et l'historique, Hernandez réussit très bien à dévoiler la logique , la cohérence et la complexité de l'homme Orwell.
Le graphisme est moderne ajoutant une touche d'humour , de doutes ou d'autodérision dans la narration. J'ai beaucoup aimé la recherche des détails dans les arrières plans. Hernandez travaille souvent avec une vision didactique sans être pesant. C'est du beau travail.
Une lecture très intéressante qui dépasse la simple biographie pour proposer un travail sur la vérité historique au niveau d'un artiste qui a eu une profonde empreinte sur l'après guerre.
On sert un roi lointain pour gagner une misère…
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Ce tome contient une histoire complète et indépendante de toute autre. Son édition originale date de 1995. Il a été réalisé par Hugo Pratt (1927-1995) pour le scénario et par Milo Manara pour les dessins, Christine Vernière pour les couleurs, Pomme Verte pour le lettrage. Avant d’être rassemblées en album, ces planches ont été publiées dans les numéros 179 à 184 de la revue (À suivre) entre décembre 1992 et mai 1993. L’album comprend cent-vingt-huit pages de bande dessinée. L’ouvrage s’ouvre avec un texte de Vincenzo Mollica évoquant la relation et la collaboration entre les deux auteurs., agrémenté d’une lettre de Pratt à Manara et de quelques croquis préalables de Pratt. Puis vient un texte de Michel Pierre qui apporte des éléments de contexte historique, en particulier sur le parcours de Tom Browne (le personnage principal du récit), sur l’armada de navires des Britanniques, sur la place de la franc-maçonnerie dans l’histoire de l’impérialisme anglais, l’opposition entre les loges d’obédience britannique et celles plus révolutionnaires animées par des Français (Indépendance de la Croix du Sud), et enfin les promesses d’affranchissement et de liberté pour les esclaves noirs des riches plantations. Il s’agit de la deuxième collaboration de ce duo de créateurs, après Un été indien (1987), Alfred du meilleur album étranger au festival d'Angoulême 1987.
Quelque part en Argentine en 1890, une troupe de soldats se dirige vers un groupe de tentes précaires au beau milieu d’une grande prairie. Le cavalier de tête annonce qu’ils arrivent à la Tolderia de Namuncura. Le gradé remercie son sergent et annonce qu’il est temp d’œuvrer pour la patrie. Le chef de tribu indique aux Indiens que c’est la fin, que ceux qui veulent partir le fassent maintenant. Lui reste ici avec Paraun. Tous les autres partent. Le commandant du détachement ordonne que personne ne tire sans son ordre. Arrivé devant les tentes, il descend de cheval et s’annonce : il est le capitaine Chiclana. Il est accueilli tranquillement par Manuel, l’Indien qui est resté. Le capitaine lui annonce qu’il va devoir le suivre jusqu’au fort, ce qu’accepte son interlocuteur en précisant qu’il viendra seul. Ce dernier propose que le capitaine entre dans la tente, pour qu’ils prennent un maté, éventuellement manger un chien si les soldats en attrapent un.
À l’intérieur, Manuel présente un vieil homme assis en tailleur : Paraun, un vieux de cent ans qui a encore toutes ses dents. Il fait observer que Paraun est huinca, comme le capitaine, un blanc et chrétien. Chiclana demande à Hermosid de venir, de prendre note qu’aujourd’hui dans la Tolderia du cacique Namuncura, ils ont trouvé un vieillard de race blanche. Puis il retourne à l’extérieur pour discuter avec Manuel. Le soldat entame la conversation avec le vieillard en lui demandant son nom. Ce dernier répond : Tambour, Tom Browne, du 71e chasseurs écossais sous le commandement du général William Carr Beresford. Il était tambour anglais pendant l’hiver 1806-1807, à l’époque il avait seize ans. À bord d’un navire militaire, deux gradés, un Anglais et un Écossais, observent la ville de Buenos Aires : pas de mouvement de troupes en vue. Ils sont ici pour combattre les Espagnols.
Deuxième collaboration entre Pratt & Manara : la scène d’ouverture plonge le lecteur dans un endroit non précisé, au milieu d’un troupe de soldats portant un uniforme spécifique, sans que le pays ne soit explicité. Il lui faut donc être attentif pour relever les bribes d’information qui lui permettront d’établir contexte. Le vieil homme indique qu’il était tambour anglais pendant l’hiver 1806-07, et qu’il avait seize ans, qu’il en a maintenant cent. Le très jeune soldat évoque le temps des invasions anglaises, ce à quoi Tod Browne parle du Río de la Plata devant Buenos Aires. En fonction de sa culture, le lecteur identifie alors le contexte historique, ou il peut aller se renseigner. Il s’agit de la prise de Buenos Aires lors des invasions britanniques du Río de la Plata, opération débutée en 1806. Ainsi au clair sur le contexte historique, il se trouve à même de situer les personnages apparaissant au fur et à mesure, sans être présentés : Home Riggs Popham (1762-1820) amiral britannique, Rafael de Sobremonte (1754-1827) vice-roi du Río de la Plata, William Pitt (1759-1806) premier ministre du Royaume-Uni, William Carr Beresford (1768-1854) commandant de l’armée britannique, et certains dont il est simplement fait mention comme Jacques de Liniers (1753-1810) Français succédant à Sobremonte en tant que vice-roi du Río de la Plata.
S’il a pris soin de lire le texte introductif de Michel Pierre, bien lui en a pris car ainsi averti, le lecteur en vaut deux et se trouve à même de comprendre l’échange inattendu sur l’influence des différentes Loges maçonniques présentes dans cette région du monde. L’autre thème majeur développé dans cette introduction concerne la liberté potentielle des peuples autochtones, et il s’apprécie par lui-même au cours de la lecture. Le récit commence avec la découverte d’un centenaire en bon état de santé, et il a encore toutes ses dents. Le lecteur peut imaginer qu’il va découvrir toute sa vie à travers le dix-neuvième siècle, ou qu’il s’agit du premier tome de ce qui aurait pu être une série au long cours. Les décennies ayant passé depuis sa parution, il sait qu’il s’agit d’une histoire complète et indépendante et il comprend vite qu’elle est focalisée sur la fin de l’année 1806 et l’année 1807. Après dix pages d’entrée en matière en 1906, il se retrouve sur le navire amiral de la flotte britannique, en tant que témoin privilégié de la discussion entre amiraux, pour enfin sortir sur le pont et faire connaissance avec les personnages principaux : un tambour de l’armée Tom Browne, un matelot bossu Matthew Falcon et une prostituée Molly Malone. Comme dans Un été indien, l’aventure souffle sur l’intrigue : siège d’une capitale, voyages en mer, séjour dans la jungle, filles faciles dansant la gigue ou le reel, pratiques vaudous, amour impossible entre individus de classes sociales trop éloignées, violences faites aux femmes, duels entre hommes, bataille rangée, jugement expéditif, etc. Aussi bien le scénariste que le dessinateur s’en donnent à cœur joie dans ces péripéties souvent cruelles et adultes.
En fonction de son inclination, le lecteur ressent plus d’intérêt pour l’histoire d’amour, ou pour la reconstruction historique, ou encore pour la manière dont les forces systémiques façonnent et contraignent les individus, et broient certaines catégories, à commencer par les faibles, que ce soient les esclaves, les peuples indigènes ou les femmes. Comme dans Un été indien, Manara s’astreint à une réelle discipline pour donner à voir ces aventures, sans se reposer sur l’érotisme qu’il maîtrise et qui a fait sa renommée. Le lecteur se trouve à la fête à chaque page. Pour les environnements, que ce soient les navires ou les paysages : les magnifiques trois-mâts de la marine britannique ancrés dans le Río Plata, les salons intérieurs où les gradés s’installent confortablement dans des fauteuils élancés, ou dans les cales sommaires où se trouvent les prostituées, sur le pont avec les cordages et les réas, sur un large fleuve s’enfonçant dans la jungle avec des nuées d’oiseaux, une mangrove, une grange dans la jungle abritant une cérémonie de Candomblé, dans la riche propriété des Perdiel, dans la campagne argentine, dans les rues de Buenos Aires lors de l’attaque, au pied d’un gibet, et de retour dans la tente des Indiens. Pour les personnages : le trait fin et délicat de l’artiste fait des merveilles pour décrire dans le menu détail les tenues vestimentaires aussi bien les uniformes que les toilettes féminines, pour donner vie aux personnages, aussi bien dans les combats que lors des danses, pour les faire habiter chaque endroit avec un naturel remarquable.
Le lecteur constate également que le scénariste a densifié son propos. Il laisse régulièrement les dessins porter la narration : la cérémonie Candomblé et le massacre qui s’en suit, la danse des prostituées pour les matelots avec le joueur de cornemuse, le viol abject d’Aureliana Perdriel, la prise de Buenos Aires. Il a l’art et la manière de doser les dialogues dans les phylactères pour conserver la fluidité de la lecture. Au-delà des péripéties et des événements historiques, il met en scène comment les puissants de ce monde règnent sur les sous-fifres dans une société de classe, où les uns se partagent les richesses du monde, et les autres souffrent. Les Indiens évoquent effectivement les promesses de liberté faites par les uns et les autres, et les retours de bâton probables qui rendent cette promesse non seulement illusoire, mais aussi dangereuse. Il montre à quel point la vie n’est pas juste : que ce soit pour l’homme né bossu et considéré comme un sous homme, ou pour les femmes subissant la violence et la bestialité des hommes, pour les populations autochtones soumises au joug des colons. Il termine son récit avec l’iniquité de la justice des hommes renforçant encore l’injustice intrinsèque de chaque vie, en fonction des conditions de sa naissance, des aléas des rencontres, des grands mouvements sociétaux et historiques.
Après le souffle de l’aventure d’Un été indien, le lecteur retrouve avec un plaisir anticipé la narration visuelle exquise, pleine de saveurs et élégante de Manara, à la fois canalisée dans la structure d’une solide intrigue, à la fois aiguillonnée par les tribulations et les rebondissements. De son côté, Pratt cède à ses habitudes : un contexte historique précis et savant, mais guère explicité, un regard perçant sur la condition humaine, et la portion congrue du libre-arbitre. Des aventures de haute volée.
J'ai bien apprécié cette lecture sous forme d'un conte écologique et philosophique. Bourhis nous emmène dans un univers uchronique qui mêle des éléments historiques (la grande crue de Paris, la Révolution...) avec une inversion du point de vue animal-homme qui n'est jamais ridicule. A l'heure où un grand nombre d'espèces disparaissent dans une indifférence quasi générale, ce changement de perspective met le lecteur face à sa propre indifférence. Dans un scénario très bien huilé avec des rebondissements et un final assez noir, l'auteur aborde plusieurs thématiques sur l'identité et sa nature propre d'une façon subtile et non superficielle.
Le graphisme de Rudy Spiessert accompagne très bien la narration. Son tracé assez économe propose une belle expressivité des différents animaux pour rendre leurs comportements ou leurs discours très crédibles.
Une lecture intéressante et originale.
Je crois que c'est clair, les avis sont unanimes: on a affaire ici à quelque chose de littéraire encore rehaussé par un dessin élégant.
Flaubert s'était-il réincarné dans l'esprit de Céline Tran pour nous offrir une nouvelle analyse de la psyché humaine? Pas de militantisme, pas de coup sur les doigts du conservatisme mais une invitation à redécouvrir le cheminement vers le plaisir, rien n'est acquis mais rien n'est inaccessible également.
L'enveloppe charnelle peut se flétrir mais l'étincelle de la prunelle peut luire encore plus fort qu'avant. Vraiment un bel ouvrage avec un final en beauté, qui passera malheureusement sous certains car classifié sous pornographie.
Chaque BD d'Ayroles est attendue et évaluée à l'aune des merveilleuses réussites précédentes de son auteur. L'horizon d'attente est ainsi systématiquement démesuré. Cette BD-ci parvient-elle à l'assumer ? Et bien, à l'instar de ses récentes productions, oui et non, comme en témoigne ce plutôt flatteur 4/5.
D'une intrigue tragique en diable, Ayroles tire un récit retors aux atours explicitement shakespeariens. Ou comment un homme de pouvoir au trouble passé, habité jusqu'à la démence, impose sa soif de renaissance à un peuple démuni ? Quel regard porter et quelle attitude adopter vis-à-vis de la folie d'un opiniâtre meneur ?
Durant ma lecture, je fus longtemps circonspect. Par les illustrations d'abord, certes très correctes, mais qui n'assument ni le souffle ni l'épique de l'intrigue. Par le récit également, qui peine durant sa phase d'installation, à distiller les prémices de sa démesure, de son tragique, à inviter le fantastique, aussi parce que le personnage principal se révèle dans un crescendo dont les premières notes sont davantage scolaires que fatalement romanesques.
Le récit gagne en puissance dramatique dans sa seconde moitié, une fois la soif de pouvoir révélée, dans un de ces malheureusement trop rares passages "ayroliens" où les dialogues se parent d'un machiavélisme génialement ironique. Puissance dramatique qui, à mon agréable surprise, continue de m'habiter plusieurs semaines après ma lecture, le signe irréfutable que cette BD valait mieux que ma triste circonspection initiale.
4.5 pour la série à succès du prolifique Nob qui couche parfaitement sur papier ce que sont la famille et les responsabilitiés attenantes.
Une famille recomposée gérée du mieux possible par un père maladroit mais qui a su accumuler les conquètes de tous genres. Résultat, un quatuor de jeunes filles allant du bébé rampant à la grande studieuse représentant tout ce à quoi s'attendre lorsqu'on élève un enfant (enfin précisement une fille, à moins que votre garçon aime se pomponner). Chacune son caractère et ses centres d'intérêt, pas grand chose pour rendre la tribu soudée et pourtant si, comme dans la vie.
Les situations bien que parfois exagérées feront rire les jeunes et rendront nostaligiques certains parents revivant de beaux moments partagés (j'en suis à vivre le 4ème âge de ma fille, que de chemin parcouru). Les modes vestimentaires, les décors sont intemporels à la façon des Simpson mais la série intègre l'impact au quotidien d'éléments actuels comme les réseaux sociaux. Mais comme un astérix, cette série pourra se lire sans gêne dans quelques décennies.
Malgré le nombre de tomes, certaines histoires parviennent toujours à faire mouche et la direction prise de détailler le passé de chaque protagoniste est intéressante. Rajoutons à cela un dessin propre et joliment coloré et l'on obtient une série qui réjouit tout le monde à la maison.
3.5 pour des passages s'étirant un peu trop mais vers le haut pour la beauté du livre.
Une belle relecture de la dureté du Capitaine Nemo, mentor d'une enfant devenant adulte dans les 2 sens du terme, physiquement et psychologiquement.
Notre monde a disparu, on saura par la suite pourquoi merci à lui de ne pas éluder les explications par paresse (sous couvert du fréquent pétexte de "pour conserver une part de mystère"). C'est un monde où la nature est, ni bonne ni mauvaise. Les traces de notre civilisation demeurent dans les abyssses, remués pour une raison obscure par les bras du robot du capitaine qui semble animé, presque hypnostisé, par un but là aussi mystérieux mais qui sera développé.
Il est mâitre à bord d'un vaisseau à la fois protecteur et prison de nos deux personnages, forcés au début de cohabiter et puis s'attanchant l'un à l'autre, ne sommes-nous pas tous des animaux sociaux? Le taciturne Nemo acceptera peu à peu de reconnaître les qualités d'une fillette à qui il passera bien évidemment le relais, de manière assez flamboyante il faut le reconnaître.
Le dessin semble inspiré par l'animation américaine et judicieusement stylisé. Le ressenti des grands espaces, intérieuer et extérieurs, est bien rendu, la colorisation colle également, beau boulot. Une lecture pour ados qui a le mérite de glisser quelques réflexions philosophiques sur la transmission du savoir et la pérennité d'une civilisation.
J’aime vraiment beaucoup les documentaires engagés de Squarzoni, et j’étais à la fois curieux et circonspect de découvrir cette série, dans laquelle il adapte un bouquin d’un américain ayant suivi durant plusieurs mois le travail des policiers de Baltimore.
Au final, c’est plutôt une lecture intéressante. Sans doute moins dynamique qu’un pur polar, car il n’y a pas les à-côtés scénaristiques, la construction imaginée par le cerveau d’un scénariste tortueux, la création de personnages ambigus.
Et c’est déjà la première réussite de cette série que de ne jamais être ennuyeuse sur la durée (cinq albums). Car la réalité se révèle pourvoyeuse d’action, d’histoires sordides, d’absurdités administratives. Et les policiers que nous suivons ont tous des personnalités différentes.
Plusieurs affaires s’étalent sur une longue durée, sur plusieurs albums, constituant une sorte de fil rouge (l’une d’elle en particulier), alors qu’une multitude « d’homicides » plus quelconques – c’est-à-dire dont les coupables ont été ??? et arrêtés – dynamisent le récit, permettant d’alterner les inspecteurs, leurs points de vue. Les réflexions en off des flics sont aussi bien amenées, rendent vivant le récit. Et, contrairement aux polars classiques, il n’y a pas forcément de résolution des affaires…
Le dessin de Squarzoni, dans un style réaliste sec, agrémenté d’un Noir et Blanc et de toutes les nuances de gris (virant vers une bichromie), ne jouant là non plus jamais sur l’esbroufe, accompagne très bien ce long récit quasi documentaire traitant au ras du sol le travail ordinaire des policiers d’une grande ville états-unienne.
Je suis quand même sceptique sur le fait que ces flics soient totalement représentatifs des policiers du pays dans les années 1980, tant le racisme semble absent (même s’il est évoqué, il est présenté comme une affaire d'une autre époque), et l’intégrité mise en avant systématiquement. Mais tous les rouages du métier sont montrés (les interrogatoires en particulier – j’ai trouvé amusant – même si j’ai eu du mal à croire que des types s’y laissent prendre – le truc de la photocopieuse présentée comme un détecteur de mensonges).
En tout cas, l’autre mérite – indirect – de cette série, est de mettre en lumière certains aspects peu reluisants de la société de Baltimore (et des Etats-Unis), les policiers que nous suivons remuant la fange des quartiers déshérités des ghettos noirs surtout. Les inégalités, la drogue, la misère sociale et affective y sont omniprésentes.
Une lecture exigeante : pas mal de texte, un peu sec au niveau narratif. Mais une lecture vraiment captivante (qui vaut bien des polars classiques). Une lecture recommandée, ce documentaire est un vraiment un bon polar social.
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Adieu mon royaume
Voilà un album qui s’adresse avant tout aux lecteurs amateurs de récits contemplatifs, où une narration langoureuse pleine de poésie – un chouia littéraire – remplace l’action et les méandres d’une intrigue complexe. Pas de dialogue donc, une narration en voix off (chaque personnage au centre des différents chapitres nous raconte son histoire, ce qui le lie au « royaume »). Une intrigue qui est à la fois envoûtante, mais aussi obscure. Intrigante, sans forcément fournir toutes les clés. Mais rien de frustrant ici, car ce récit est agréable à suivre. Il l’est d’autant plus que le travail graphique de Marcel Shorjian (auteur que je découvre ici) est original et lui aussi captivant. Un trait stylisé, plutôt statique, chaque personnage étant comme l’incarnation d’une carte de Tarot (et les têtes de chapitre, donnant le nom du personnage qui en sera au cœur, sonnent comme les noms de cartes de Tarot). Et la colorisation (une bichromie différente pour chaque personnage/chapitre) est elle aussi agréable. Ce beau travail graphique est mis en valeur par le très bon travail éditorial (couverture épaisse avec dos toilé, papier épais, etc. Un chouette album, original, que j’ai pris plaisir à parcourir.
Rust River City
S’il y a bien une chose que j’aime par-dessus tout, c’est de me laisser embarquer dans une histoire que mes a priori, parfois pour d’obscures raisons, m’empêchaient d’empoigner. C’est le cas avec ce premier tome signé Joe Daly dont j’appréciais pourtant le travail jusqu’ici. Quand mon fournisseur de BD m’a fait l’article de Rust River City, il y avait une petite partie de mon cerveau qui se méfiait, sans réel motif. Il se trouve que l’occasion m’a été donnée de la lire dans le cadre de mon boulot, et je suis emballé, au point que j’envisage d’en faire l’acquisition. D’abord, il y a le dessin, ici indissociable des couleurs, audacieuses, crépusculaires. Il se dégage une ambiance forte qui confère à cette histoire finalement très terre à terre un petit quelque chose d’irréel, voire carrément hypnotique. Cette impression se confirme lorsque l’on referme ce premier volume. En effet, la fin laisse entendre que la suite ouvrira sur quelque chose d’autre, quelque chose de tout à fait différent. En tout cas, cela augure d’une suite truculente, et ma curiosité a été on-ne-peut-plus aiguisée. Pourtant, ce n’était pas gagné. Après quelques pages un peu plan-plan, je me suis laissé cuire à petit feu. Sans doute fallait-il ce temps d’adaptation car le ton est particulier. Et l’histoire l'est tout autant. Tout est baigné d’un esprit typiquement « indé ». Des références filmographiques n’ont cessé de me chatouiller, et non des moindres. On songe en effet au cinéma de Sean Baker (le film Tangerine notamment pour son atmosphère et ses dialogues), à des films tels que War Pony de Gina Gammell et Riley Keough, 90’ de Jonah Hill, ou bien encore au cultissime Big Lebowski qu’on ne présente plus. Les dialogues, dont les pavés de textes peuvent rebuter (ce qui a sans doute joué dans mon cas), sont bons, néanmoins très crus, voire vulgaires, mais souvent drôles. Le scénar prend son temps pour se déployer, mais c’est aussi ce qui permet de se sentir en intimité avec les personnages qui, pour certains, en deviennent même sympathiques. C’est le cas notamment du héros, Dean, un ouvrier vétéran du Viêt-Nam, que sa détestation pour les asiatiques rend pourtant très antipathique. Mais on finit par entrevoir son côté humain, touchant, mal assuré et même sensible… Même les ados, dont les aventures occupent de nombreuses scènes parallèles à celle de Dean, deviennent proches du lecteur alors que certains d’entre eux sont franchement cons. Le plus étonnant dans cette BD, c’est que l’histoire se déroule dans un contexte d’une affligeante banalité : ville sordide, contexte très actualisé (même si se déroulant à l’époque de la cassette vidéo) sur fond de marasme économique et de chômage, de racisme, de masculinisme en fin de règne, mais également de ce sentiment de perdition de la jeune génération… Bref ! C’est une lecture tout à fait singulière qui me fait patauger dans l’impatience. Vivement le tome 2 qui sera aussi la conclusion et promet de basculer vers un truc qui pourrait bien prendre un détour complètement fantastique. Un coup de cœur tout à fait inattendu !
La liste d'Orwell
Je suis passé à travers la polémique qui a secoué le monde littéraire et historique en 1996 à la suite des Révélations du Guardian sur la liste d'Orwell. Hernandez replace à sa juste place cet "événement" en l'intégrant dans une biographie passionnée qui fourmille de détails signifiants. La part de la fameuse liste ne représente qu'une infime partie du récit. Cette liste tient plus du secret de polichinelle pour les noms cités. Elle n'a d'ailleurs eu aucune répercussion sur les uns ou les autres et est issue d'une discussion avec une amie appartenant à la cellule de propagande antisoviétique. Je ne dévoilerai pas la teneur des propos de Hernandez mais il montre comment certains média se sont jetés sur cette info sans prendre le temps du discernement, comme un vieux règlement de compte d'une cinquantaine d'année à solder. Pour le reste, c'est à dire l'essentiel de la série Carlos Hernandez propose une biographie chronologique très détaillée qui met toujours en valeur les contextes sociétaux de l'époque qui expliquent le cheminement intellectuel et psychologique de l'auteur de "1984". Comme je n'avais jamais lu de biographie de George Orwell cette série a été une mine d'informations, pour la plupart très intéressantes. Pourtant j'avais peur que l'auteur s'enlise dans des digressions qui alourdissent le récit. C'est d'autant plus vrai que la voix off est omniprésente puisque Hernandez a choisi de laisser son personnage muet! Une bio chronologique pas à pas et une voix off très présente sont deux paramètres qui peuvent rendre la lecture vite lassante. Ce n'est pas du tout le cas ici. En effet Hernandez se met en scène à de très nombreux endroits comme présentateur décalé ou comme acteur de la création du récit. Cela donne beaucoup de rythme à la narration qui s'appuie sur les épisodes les plus signifiants du parcours de l'écrivain ( Birmanie, Guerre d'Espagne ...) expliquant ainsi son aversion pour le régime stalinien dès la fin des années 30. En mêlant habilement l'intime et l'historique, Hernandez réussit très bien à dévoiler la logique , la cohérence et la complexité de l'homme Orwell. Le graphisme est moderne ajoutant une touche d'humour , de doutes ou d'autodérision dans la narration. J'ai beaucoup aimé la recherche des détails dans les arrières plans. Hernandez travaille souvent avec une vision didactique sans être pesant. C'est du beau travail. Une lecture très intéressante qui dépasse la simple biographie pour proposer un travail sur la vérité historique au niveau d'un artiste qui a eu une profonde empreinte sur l'après guerre.
El Gaucho
On sert un roi lointain pour gagner une misère… - Ce tome contient une histoire complète et indépendante de toute autre. Son édition originale date de 1995. Il a été réalisé par Hugo Pratt (1927-1995) pour le scénario et par Milo Manara pour les dessins, Christine Vernière pour les couleurs, Pomme Verte pour le lettrage. Avant d’être rassemblées en album, ces planches ont été publiées dans les numéros 179 à 184 de la revue (À suivre) entre décembre 1992 et mai 1993. L’album comprend cent-vingt-huit pages de bande dessinée. L’ouvrage s’ouvre avec un texte de Vincenzo Mollica évoquant la relation et la collaboration entre les deux auteurs., agrémenté d’une lettre de Pratt à Manara et de quelques croquis préalables de Pratt. Puis vient un texte de Michel Pierre qui apporte des éléments de contexte historique, en particulier sur le parcours de Tom Browne (le personnage principal du récit), sur l’armada de navires des Britanniques, sur la place de la franc-maçonnerie dans l’histoire de l’impérialisme anglais, l’opposition entre les loges d’obédience britannique et celles plus révolutionnaires animées par des Français (Indépendance de la Croix du Sud), et enfin les promesses d’affranchissement et de liberté pour les esclaves noirs des riches plantations. Il s’agit de la deuxième collaboration de ce duo de créateurs, après Un été indien (1987), Alfred du meilleur album étranger au festival d'Angoulême 1987. Quelque part en Argentine en 1890, une troupe de soldats se dirige vers un groupe de tentes précaires au beau milieu d’une grande prairie. Le cavalier de tête annonce qu’ils arrivent à la Tolderia de Namuncura. Le gradé remercie son sergent et annonce qu’il est temp d’œuvrer pour la patrie. Le chef de tribu indique aux Indiens que c’est la fin, que ceux qui veulent partir le fassent maintenant. Lui reste ici avec Paraun. Tous les autres partent. Le commandant du détachement ordonne que personne ne tire sans son ordre. Arrivé devant les tentes, il descend de cheval et s’annonce : il est le capitaine Chiclana. Il est accueilli tranquillement par Manuel, l’Indien qui est resté. Le capitaine lui annonce qu’il va devoir le suivre jusqu’au fort, ce qu’accepte son interlocuteur en précisant qu’il viendra seul. Ce dernier propose que le capitaine entre dans la tente, pour qu’ils prennent un maté, éventuellement manger un chien si les soldats en attrapent un. À l’intérieur, Manuel présente un vieil homme assis en tailleur : Paraun, un vieux de cent ans qui a encore toutes ses dents. Il fait observer que Paraun est huinca, comme le capitaine, un blanc et chrétien. Chiclana demande à Hermosid de venir, de prendre note qu’aujourd’hui dans la Tolderia du cacique Namuncura, ils ont trouvé un vieillard de race blanche. Puis il retourne à l’extérieur pour discuter avec Manuel. Le soldat entame la conversation avec le vieillard en lui demandant son nom. Ce dernier répond : Tambour, Tom Browne, du 71e chasseurs écossais sous le commandement du général William Carr Beresford. Il était tambour anglais pendant l’hiver 1806-1807, à l’époque il avait seize ans. À bord d’un navire militaire, deux gradés, un Anglais et un Écossais, observent la ville de Buenos Aires : pas de mouvement de troupes en vue. Ils sont ici pour combattre les Espagnols. Deuxième collaboration entre Pratt & Manara : la scène d’ouverture plonge le lecteur dans un endroit non précisé, au milieu d’un troupe de soldats portant un uniforme spécifique, sans que le pays ne soit explicité. Il lui faut donc être attentif pour relever les bribes d’information qui lui permettront d’établir contexte. Le vieil homme indique qu’il était tambour anglais pendant l’hiver 1806-07, et qu’il avait seize ans, qu’il en a maintenant cent. Le très jeune soldat évoque le temps des invasions anglaises, ce à quoi Tod Browne parle du Río de la Plata devant Buenos Aires. En fonction de sa culture, le lecteur identifie alors le contexte historique, ou il peut aller se renseigner. Il s’agit de la prise de Buenos Aires lors des invasions britanniques du Río de la Plata, opération débutée en 1806. Ainsi au clair sur le contexte historique, il se trouve à même de situer les personnages apparaissant au fur et à mesure, sans être présentés : Home Riggs Popham (1762-1820) amiral britannique, Rafael de Sobremonte (1754-1827) vice-roi du Río de la Plata, William Pitt (1759-1806) premier ministre du Royaume-Uni, William Carr Beresford (1768-1854) commandant de l’armée britannique, et certains dont il est simplement fait mention comme Jacques de Liniers (1753-1810) Français succédant à Sobremonte en tant que vice-roi du Río de la Plata. S’il a pris soin de lire le texte introductif de Michel Pierre, bien lui en a pris car ainsi averti, le lecteur en vaut deux et se trouve à même de comprendre l’échange inattendu sur l’influence des différentes Loges maçonniques présentes dans cette région du monde. L’autre thème majeur développé dans cette introduction concerne la liberté potentielle des peuples autochtones, et il s’apprécie par lui-même au cours de la lecture. Le récit commence avec la découverte d’un centenaire en bon état de santé, et il a encore toutes ses dents. Le lecteur peut imaginer qu’il va découvrir toute sa vie à travers le dix-neuvième siècle, ou qu’il s’agit du premier tome de ce qui aurait pu être une série au long cours. Les décennies ayant passé depuis sa parution, il sait qu’il s’agit d’une histoire complète et indépendante et il comprend vite qu’elle est focalisée sur la fin de l’année 1806 et l’année 1807. Après dix pages d’entrée en matière en 1906, il se retrouve sur le navire amiral de la flotte britannique, en tant que témoin privilégié de la discussion entre amiraux, pour enfin sortir sur le pont et faire connaissance avec les personnages principaux : un tambour de l’armée Tom Browne, un matelot bossu Matthew Falcon et une prostituée Molly Malone. Comme dans Un été indien, l’aventure souffle sur l’intrigue : siège d’une capitale, voyages en mer, séjour dans la jungle, filles faciles dansant la gigue ou le reel, pratiques vaudous, amour impossible entre individus de classes sociales trop éloignées, violences faites aux femmes, duels entre hommes, bataille rangée, jugement expéditif, etc. Aussi bien le scénariste que le dessinateur s’en donnent à cœur joie dans ces péripéties souvent cruelles et adultes. En fonction de son inclination, le lecteur ressent plus d’intérêt pour l’histoire d’amour, ou pour la reconstruction historique, ou encore pour la manière dont les forces systémiques façonnent et contraignent les individus, et broient certaines catégories, à commencer par les faibles, que ce soient les esclaves, les peuples indigènes ou les femmes. Comme dans Un été indien, Manara s’astreint à une réelle discipline pour donner à voir ces aventures, sans se reposer sur l’érotisme qu’il maîtrise et qui a fait sa renommée. Le lecteur se trouve à la fête à chaque page. Pour les environnements, que ce soient les navires ou les paysages : les magnifiques trois-mâts de la marine britannique ancrés dans le Río Plata, les salons intérieurs où les gradés s’installent confortablement dans des fauteuils élancés, ou dans les cales sommaires où se trouvent les prostituées, sur le pont avec les cordages et les réas, sur un large fleuve s’enfonçant dans la jungle avec des nuées d’oiseaux, une mangrove, une grange dans la jungle abritant une cérémonie de Candomblé, dans la riche propriété des Perdiel, dans la campagne argentine, dans les rues de Buenos Aires lors de l’attaque, au pied d’un gibet, et de retour dans la tente des Indiens. Pour les personnages : le trait fin et délicat de l’artiste fait des merveilles pour décrire dans le menu détail les tenues vestimentaires aussi bien les uniformes que les toilettes féminines, pour donner vie aux personnages, aussi bien dans les combats que lors des danses, pour les faire habiter chaque endroit avec un naturel remarquable. Le lecteur constate également que le scénariste a densifié son propos. Il laisse régulièrement les dessins porter la narration : la cérémonie Candomblé et le massacre qui s’en suit, la danse des prostituées pour les matelots avec le joueur de cornemuse, le viol abject d’Aureliana Perdriel, la prise de Buenos Aires. Il a l’art et la manière de doser les dialogues dans les phylactères pour conserver la fluidité de la lecture. Au-delà des péripéties et des événements historiques, il met en scène comment les puissants de ce monde règnent sur les sous-fifres dans une société de classe, où les uns se partagent les richesses du monde, et les autres souffrent. Les Indiens évoquent effectivement les promesses de liberté faites par les uns et les autres, et les retours de bâton probables qui rendent cette promesse non seulement illusoire, mais aussi dangereuse. Il montre à quel point la vie n’est pas juste : que ce soit pour l’homme né bossu et considéré comme un sous homme, ou pour les femmes subissant la violence et la bestialité des hommes, pour les populations autochtones soumises au joug des colons. Il termine son récit avec l’iniquité de la justice des hommes renforçant encore l’injustice intrinsèque de chaque vie, en fonction des conditions de sa naissance, des aléas des rencontres, des grands mouvements sociétaux et historiques. Après le souffle de l’aventure d’Un été indien, le lecteur retrouve avec un plaisir anticipé la narration visuelle exquise, pleine de saveurs et élégante de Manara, à la fois canalisée dans la structure d’une solide intrigue, à la fois aiguillonnée par les tribulations et les rebondissements. De son côté, Pratt cède à ses habitudes : un contexte historique précis et savant, mais guère explicité, un regard perçant sur la condition humaine, et la portion congrue du libre-arbitre. Des aventures de haute volée.
Hélas
J'ai bien apprécié cette lecture sous forme d'un conte écologique et philosophique. Bourhis nous emmène dans un univers uchronique qui mêle des éléments historiques (la grande crue de Paris, la Révolution...) avec une inversion du point de vue animal-homme qui n'est jamais ridicule. A l'heure où un grand nombre d'espèces disparaissent dans une indifférence quasi générale, ce changement de perspective met le lecteur face à sa propre indifférence. Dans un scénario très bien huilé avec des rebondissements et un final assez noir, l'auteur aborde plusieurs thématiques sur l'identité et sa nature propre d'une façon subtile et non superficielle. Le graphisme de Rudy Spiessert accompagne très bien la narration. Son tracé assez économe propose une belle expressivité des différents animaux pour rendre leurs comportements ou leurs discours très crédibles. Une lecture intéressante et originale.
Itinéraire d'une garce
Je crois que c'est clair, les avis sont unanimes: on a affaire ici à quelque chose de littéraire encore rehaussé par un dessin élégant. Flaubert s'était-il réincarné dans l'esprit de Céline Tran pour nous offrir une nouvelle analyse de la psyché humaine? Pas de militantisme, pas de coup sur les doigts du conservatisme mais une invitation à redécouvrir le cheminement vers le plaisir, rien n'est acquis mais rien n'est inaccessible également. L'enveloppe charnelle peut se flétrir mais l'étincelle de la prunelle peut luire encore plus fort qu'avant. Vraiment un bel ouvrage avec un final en beauté, qui passera malheureusement sous certains car classifié sous pornographie.
La Terre verte
Chaque BD d'Ayroles est attendue et évaluée à l'aune des merveilleuses réussites précédentes de son auteur. L'horizon d'attente est ainsi systématiquement démesuré. Cette BD-ci parvient-elle à l'assumer ? Et bien, à l'instar de ses récentes productions, oui et non, comme en témoigne ce plutôt flatteur 4/5. D'une intrigue tragique en diable, Ayroles tire un récit retors aux atours explicitement shakespeariens. Ou comment un homme de pouvoir au trouble passé, habité jusqu'à la démence, impose sa soif de renaissance à un peuple démuni ? Quel regard porter et quelle attitude adopter vis-à-vis de la folie d'un opiniâtre meneur ? Durant ma lecture, je fus longtemps circonspect. Par les illustrations d'abord, certes très correctes, mais qui n'assument ni le souffle ni l'épique de l'intrigue. Par le récit également, qui peine durant sa phase d'installation, à distiller les prémices de sa démesure, de son tragique, à inviter le fantastique, aussi parce que le personnage principal se révèle dans un crescendo dont les premières notes sont davantage scolaires que fatalement romanesques. Le récit gagne en puissance dramatique dans sa seconde moitié, une fois la soif de pouvoir révélée, dans un de ces malheureusement trop rares passages "ayroliens" où les dialogues se parent d'un machiavélisme génialement ironique. Puissance dramatique qui, à mon agréable surprise, continue de m'habiter plusieurs semaines après ma lecture, le signe irréfutable que cette BD valait mieux que ma triste circonspection initiale.
Dad
4.5 pour la série à succès du prolifique Nob qui couche parfaitement sur papier ce que sont la famille et les responsabilitiés attenantes. Une famille recomposée gérée du mieux possible par un père maladroit mais qui a su accumuler les conquètes de tous genres. Résultat, un quatuor de jeunes filles allant du bébé rampant à la grande studieuse représentant tout ce à quoi s'attendre lorsqu'on élève un enfant (enfin précisement une fille, à moins que votre garçon aime se pomponner). Chacune son caractère et ses centres d'intérêt, pas grand chose pour rendre la tribu soudée et pourtant si, comme dans la vie. Les situations bien que parfois exagérées feront rire les jeunes et rendront nostaligiques certains parents revivant de beaux moments partagés (j'en suis à vivre le 4ème âge de ma fille, que de chemin parcouru). Les modes vestimentaires, les décors sont intemporels à la façon des Simpson mais la série intègre l'impact au quotidien d'éléments actuels comme les réseaux sociaux. Mais comme un astérix, cette série pourra se lire sans gêne dans quelques décennies. Malgré le nombre de tomes, certaines histoires parviennent toujours à faire mouche et la direction prise de détailler le passé de chaque protagoniste est intéressante. Rajoutons à cela un dessin propre et joliment coloré et l'on obtient une série qui réjouit tout le monde à la maison.
Mobilis - Ma vie avec le Capitaine Nemo
3.5 pour des passages s'étirant un peu trop mais vers le haut pour la beauté du livre. Une belle relecture de la dureté du Capitaine Nemo, mentor d'une enfant devenant adulte dans les 2 sens du terme, physiquement et psychologiquement. Notre monde a disparu, on saura par la suite pourquoi merci à lui de ne pas éluder les explications par paresse (sous couvert du fréquent pétexte de "pour conserver une part de mystère"). C'est un monde où la nature est, ni bonne ni mauvaise. Les traces de notre civilisation demeurent dans les abyssses, remués pour une raison obscure par les bras du robot du capitaine qui semble animé, presque hypnostisé, par un but là aussi mystérieux mais qui sera développé. Il est mâitre à bord d'un vaisseau à la fois protecteur et prison de nos deux personnages, forcés au début de cohabiter et puis s'attanchant l'un à l'autre, ne sommes-nous pas tous des animaux sociaux? Le taciturne Nemo acceptera peu à peu de reconnaître les qualités d'une fillette à qui il passera bien évidemment le relais, de manière assez flamboyante il faut le reconnaître. Le dessin semble inspiré par l'animation américaine et judicieusement stylisé. Le ressenti des grands espaces, intérieuer et extérieurs, est bien rendu, la colorisation colle également, beau boulot. Une lecture pour ados qui a le mérite de glisser quelques réflexions philosophiques sur la transmission du savoir et la pérennité d'une civilisation.
Homicide - Une année dans les rues de Baltimore
J’aime vraiment beaucoup les documentaires engagés de Squarzoni, et j’étais à la fois curieux et circonspect de découvrir cette série, dans laquelle il adapte un bouquin d’un américain ayant suivi durant plusieurs mois le travail des policiers de Baltimore. Au final, c’est plutôt une lecture intéressante. Sans doute moins dynamique qu’un pur polar, car il n’y a pas les à-côtés scénaristiques, la construction imaginée par le cerveau d’un scénariste tortueux, la création de personnages ambigus. Et c’est déjà la première réussite de cette série que de ne jamais être ennuyeuse sur la durée (cinq albums). Car la réalité se révèle pourvoyeuse d’action, d’histoires sordides, d’absurdités administratives. Et les policiers que nous suivons ont tous des personnalités différentes. Plusieurs affaires s’étalent sur une longue durée, sur plusieurs albums, constituant une sorte de fil rouge (l’une d’elle en particulier), alors qu’une multitude « d’homicides » plus quelconques – c’est-à-dire dont les coupables ont été ??? et arrêtés – dynamisent le récit, permettant d’alterner les inspecteurs, leurs points de vue. Les réflexions en off des flics sont aussi bien amenées, rendent vivant le récit. Et, contrairement aux polars classiques, il n’y a pas forcément de résolution des affaires… Le dessin de Squarzoni, dans un style réaliste sec, agrémenté d’un Noir et Blanc et de toutes les nuances de gris (virant vers une bichromie), ne jouant là non plus jamais sur l’esbroufe, accompagne très bien ce long récit quasi documentaire traitant au ras du sol le travail ordinaire des policiers d’une grande ville états-unienne. Je suis quand même sceptique sur le fait que ces flics soient totalement représentatifs des policiers du pays dans les années 1980, tant le racisme semble absent (même s’il est évoqué, il est présenté comme une affaire d'une autre époque), et l’intégrité mise en avant systématiquement. Mais tous les rouages du métier sont montrés (les interrogatoires en particulier – j’ai trouvé amusant – même si j’ai eu du mal à croire que des types s’y laissent prendre – le truc de la photocopieuse présentée comme un détecteur de mensonges). En tout cas, l’autre mérite – indirect – de cette série, est de mettre en lumière certains aspects peu reluisants de la société de Baltimore (et des Etats-Unis), les policiers que nous suivons remuant la fange des quartiers déshérités des ghettos noirs surtout. Les inégalités, la drogue, la misère sociale et affective y sont omniprésentes. Une lecture exigeante : pas mal de texte, un peu sec au niveau narratif. Mais une lecture vraiment captivante (qui vaut bien des polars classiques). Une lecture recommandée, ce documentaire est un vraiment un bon polar social.