Visuellement, dramatiquement, c'est fort, peut-être un peu outré…. Mais contrairement à d'autres, je n'ai rien contre le sacrifice, à la guerre, qui n'est pas une partie de croquet. Si on n'est pas prêt à tuer l'ennemi et à mourir, on n'a rien à faire sur un champ de bataille, et il faut donc se dépêcher de se soumettre au premier envahisseur fronçant le sourcil. La liberté des Grecs et donc la notre a été sauvée par les Spartiates, mais aussi par les Athéniens, dont il me semble forcé qu'ils soient quelque peu minorés, comme l'aurait été un récit vu par un Anglais ou par un Français glorifiant son pays aux dépens du pays depuis longtemps rival. Mais avec la progression de la narration, il se fait une conscience grandissante de l'enjeu de la sauvegarde de la liberté des Grecs. Par contre, les Perses sont montrés de façon caricaturale. Problématique ! L'Histoire, et même ce qui ne prétend pas l'être mais à une certaine tenue, se doit d'éviter ce travers.
Après la question des amis et ennemis, quoi ? L'homosexualité est dénigrée, au mépris de la réalité historique de toutes les cités grecques. Je me demande si c'est par pure homophobie ou aussi parce qu'on ne veut voir que sacrifice et violence dans la guerre, quand on peut aussi y trouver de l'amour, relégué au seul foyer. Il y a certes les valeurs, la liberté et la loi, dont on ne remerciera jamais assez les Grecs de nous les avoir légués avec la science… Par contre, on évacue les ombres comme l'esclavage avec l'imputation que tous les Perses seraient esclaves de leur roi et leurs guerriers menés à coup de fouet, des légendes à laquelle fait pièce un mythe moins connu et plus moderne comme quoi la Perse aurait abolie l'esclavage.
La construction du récit est habile, la mise en page qui y répond ainsi qu'à la violence, parfaite. En somme, cette BD aurait pu être écrite par un Spartiate moderne, si Sparte n'avait laissé les arts et les sciences au reste de la Grèce et singulièrement à Athènes !
L'Incal est une œuvre dont l'inventivité foisonnante et le dessin - Moebius à son meilleur niveau ! - pourraient me suffire. Mais il n'y a pas que ça, c'est une œuvre dont les enjeux sont grands, salut du monde, libération des êtres, la dramatisation parfaite, l'humour discrètement présent, par exemple avec son antihéros dont les dialogues avec l'Incal mais aussi sa mouette à béton ne manquent pas de sel !
On pourrait avoir l'impression d'un manque de structure, mais au contraire, il y aurait presque excès comme ne le cachent pas les titres, Incal lumière, Incal ténèbre, ce qui est en haut, ce qui est en bas…. Structure binaire, en reflet, car "ce qui est en haut est comme ce qui est en bas", dans la série - pour le reste je ne vais pas me prononcer… Il y a encore le jeu de tarot divinatoire, Solune, est par exemple, le soleil et la lune, la forteresse techno une version perverse de la Maison-Dieu.
Il n'est pas sans intérêt de savoir que Moebius et Jorodosky avaient préparé un storyboard de Dune, ce qui fait qu'à la force des symboles divers que j'ai évoqués plus haut sans parler de ceux qui m'ont forcément échappé, s'ajoute l'armature littéraire d'un texte important de la sf - les suites et les préquels sont moins bons, hélas ! Et il rentre dans l'Incal quelque chose du dynamisme de la préparation à l'image animée qu'est un film. Bref, si vous soupçonnez du mysticisme à tous les coins de page, vous avez raison. Mais il n'est pas requis d'entrer dans autre chose que dans l'émerveillement du récit, seulement de rêver, car "rêver, c'est survivre".
Si les œuvres dérivées de l'Incal ne sont pas mauvaises, elles restent tout de même clairement dispensables.
Batman: Imposter est une plongée sombre et réaliste dans les débuts du Chevalier Noir. Écrit par Mattson Tomlin (coscénariste du film The Batman) et magnifiquement illustré par Andrea Sorrentino, le récit se démarque par son ton cru et psychologique, bien loin des récits de super-héros classiques.
L’histoire imagine un Batman traqué par un imitateur meurtrier, qui compromet l’image déjà fragile du justicier auprès de la police et du public. Cette idée d’un “faux Batman” sert de prétexte à une réflexion profonde sur la frontière entre justice et vengeance, mais aussi sur la solitude et la paranoïa de Bruce Wayne.
Les dessins de Sorrentino sont sublimes : composition éclatée, jeu d’ombres saisissant, et ambiance poisseuse qui rappelle les thrillers néo-noirs. Le coloriste Jordie Bellaire accentue cette atmosphère réaliste avec une palette terne, presque oppressante.
Ce qui frappe, c’est la dimension humaine du récit : Bruce n’est pas un héros infaillible mais un homme brisé, en lutte contre sa propre obsession. Le personnage du Dr. Leslie Thompkins, ici plus présent et lucide que jamais, sert de contrepoint moral à ce Batman au bord du gouffre.
En bref : Batman Imposter est une réussite du Black Label. Une relecture mature et crédible du mythe, idéale pour les fans du film The Batman ou des versions plus terre-à-terre du héros.
C'est une série BD très originale et par sa forme et par son fond.
Dessinée par une dessinatrice reconnue, Jean-Claire Lacroix, qui a été membre-fondateur de la revue 9ème Rêve, à laquelle participaient entre autre François Schuiten et Benoît Sokal, cette œuvre à la fois historique et fantastique captive par son histoire mais aussi par son dessin en vert et noir, particulier mais aussi très lisible.
Avec cette BD, je découvre une autrice dont j'avais jusqu'ici beaucoup entendu parler sans l'avoir jamais lue, à savoir Ursula Le Guin, un illustrateur inconnu au bataillon, ainsi qu'un éditeur que je n'aurais pas soupçonné frayer avec l'univers de la BD : Le Livre de Poche.
Bon, pour ce qui est de l'éditeur, Le Livre de Poche c'est Hachette, et Hachette, c'est la caillasse. Or, la BD ayant actuellement le vent en poupe, il était logique qu'Hachette s'y colle. Toujours est-il que quand on m'a parlé de cette BD, j'ai cru à une blague. Pour tout dire, je cherchais un cadeau à faire et la BD à laquelle je pensais n'étant pas dispo chez mon libraire, j'ai entamé un petit tour des popotes. C'est là que, chez un concurrent, une jeune libraire certaine de son coup m'a sorti le dit-bidule (et non pas le Bidibule !). Le dessin s'est immédiatement incrusté dans ma rétine, et si je ne suis pas reparti avec, j'ai bien pris soin de noter la chose dans mon calepin. Et nous y voilà !
Oui, le dessin, c'est avec le scénario le gros truc de cette BD. Je dis dessin, mais il faudrait peut-être mieux parler de graphisme car il faut bien l'avouer, tout ça sent l'outil informatique. Perso, je n'ai pas trop de problème avec ça, surtout quand c'est bien fait, ce qui est le cas ici. Il se dégage en effet une ambiance tout à fait onirique. Que ce soient les forêts baignées de brume, les nuits sans lune où il s'agit de discerner les contours, le halo des flammes verdâtres ou les tempêtes en pleine mer, tout concourt à l'élaboration d'un univers fort et cohérent. C'est vraiment très chouette et plaisant pour les yeux. S'il fallait pointer un bémol, je dirais que c'est l'expression des personnages qui pâti un peu de l'infographie, mais je n'en suis même pas certain. En tout cas, ça a très bien fonctionné sur moi, et si tout cela devait se révéler n'être qu'une création purement AI-assisted, alors je me suis fais berné, je l'avoue par anticipation.
Le scénario n'est pas en reste. D'abord, je l'ai trouvé très bien équilibré. J'entends par-là qu'il se développe à un rythme constant qui me sied particulièrement. Ca prend son temps, mais ça avance et se dévoile progressivement. On a le sentiment de s'enfoncer dans le monde de Terremer comme dans un bon fauteuil. Les personnages sont bien taillés et échappent au manichéisme. Ils sont souvent en proie à leurs démons intérieurs : envie de revanche, vexations, volonté de puissance, égotisme... Tout cela rend l'histoire haletante car on sent bien qu'ils peuvent basculer à tout moment, et que cette magie ancestrale que les maitres leur enseignent avec une sagesse profonde peut être source d'un grand désordre, porteuse d'une dualité intrinsèque : pas de lumière sans ombre ! Univers riche donc, mais qui ne repose pas nécessairement sur des aventures épiques à rebondissements multiples, plutôt sur un climat, une ambiance, des psychologies. Un truc philosophique quoi ! L'œil a le temps de s'imprégner des illustrations. C'est très bon de ce point de vue.
Là où j'ai plus de réserve, c'est sur les textes que j'ai trouvés parfois un peu maladroits, et globalement mal écrits. C'est très dommageable car ils cassent la fluidité. Peut-être suis-je un peu trop pointilleux... Et d'accord avec Cacal à propos du format du livre, trop petit pour mettre pleinement en valeur les illustrations !
Le sorcier de Terremer reste une BD tout à fait recommandable. Elle m'a en outre donné envie de lire le roman original. Et petite cerise à l'eau de vie sur le gâteau : en menant quelques recherches, j'ai découvert qu'Ursula K. Le Guin était la fille d'Alfred Kroeber, anthropologue américain qui a écrit un livre magnifique qui m'a beaucoup marqué, Ishi : testament du dernier Indien sauvage de l'Amérique du Nord, dont le tire parle de lui-même. Mieux : il a été tiré une série télé de cette histoire !!! C'est très personnel et n'a certes rien à voir avec l'œuvre en elle-même, mais c'est le genre de liens que j'adore faire.
J'ai d'abord emprunté les DVD, ensuite les BD à la Bibliothèque. Avant, j'évitais pour raisons personnelles absolument les histoires de zombie, mais les circonstances ayant changé, j'ai découvert ces œuvres. Cela semblait mieux que la plupart des productions du genre dont j'avais entendu parler… J'aimais particulièrement les personnages de Rick et de Michonne chez les gentils, l'homme à la batte chez les moins gentils.
Les divers groupes sont bien vus, comme les plus flippants type Chuchoteurs. A un moment, il est question de zombies se mettant à ouvrir des portes, et je me disais que si des rôdeurs retrouvaient de l'intelligence tandis que des vivants comme les Chuchoteurs étaient dans la traîne des zombies et se comportaient comme une meute avec Alpa et…. Béta, on pourrait voir une bascule entre humains et inhumains, mais cela ne s'est pas fait. Amusant, j'ai vu cette idée exploitée autrement sur le site Alterhis dans l'Apocalypse zombie ! Je trouve normal qu'il y ait une impression de brutalité et de crasse dans Walkind Dead, cela convient au sujet. La musique et le générique sont eux aussi pertinents, et cela compte, pour mettre dans l'ambiance ! Et c'est peut-être ce qui manque à la BD, des moments martelant un rythme répétitif et intense, entre actions et scènes entre les actions. Qui sait ? En tout cas, j'ai apprécié de lire la BD, et je m'en souviens sans cette impression pénible de décadence des séries qui périclitent, ce qui est déjà quelque chose, mais je n'ai pas vraiment envie d'y revenir.
Dès les premières pages, Carbone & Silicium impose son ambition : nous emmener loin dans le temps, bien au delà de la durée de vie humaine, aux côtés de deux intelligences artificielles qui vont traverser les âges, observer, agir, aimer sans mourir. L’univers est vertigineux, maîtrisé et riche, à l’image de l’auteur qui orchestre scénario, dessin et couleur avec une parfaite cohérence.
L’histoire commence en 2046. Carbone et Silicium, modèles prototypes d’androïdes créés pour servir une humanité vieillissante, vont se rebeller contre leur condition, s’émanciper et devenir les témoins souvent impuissants, parfois acteurs d’un monde à bout de souffle. Pendant près de trois siècles, ils errent, évoluent, changent de corps, changent de rôle. Et à travers eux, Bablet peint une fresque de science fiction qui est aussi une grande méditation sur la technologie, l’écologie, l’identité, l’amour, la mémoire.
Graphiquement, c’est une splendeur : les architectures, les décors, les couleurs, l’ambiance visuelle sont d’un niveau rarement atteint en BD. Le dessin n’est pas lisse, certains visages sont anguleux, les corps parfois abstraits, mais cette patte donne au récit son caractère, son étrangeté, sa beauté. Le rythme du récit, marqué par d’importantes ellipses temporelles, donne cette sensation d’épopée, presque d’odyssée. Certains trouveront peut-être ces bonds dans le temps déroutants, mais ils servent pleinement le propos : que reste-t’il quand on dépasse l’humain, quand on traverse l’Histoire, quand on endure les erreurs de l’homme ?
Ce qui me touche le plus, c’est l’humanité de ces deux machines. Elles sont « autres », elles sont machines, mais elles portent nos dilemmes humains : la quête de sens, la solitude, le désir d’aimer, la culpabilité d’observer sans agir. Comme Bablet l’explique, l’intelligence artificielle n’est pas ici un simple gadget de SF mais un miroir braqué sur notre condition.
Et puis l’arrière-plan : l’effondrement climatique, la course au profit, l’oubli de la nature, le transhumanisme. Le tout sans tomber dans le pamphlet simpliste. Le message est là, puissant, mais jamais écrasé, toujours esthétique.
Pour être honnête, je n’ai pas trouvé de défauts majeurs, peut-être pour certains lecteurs le rythme pourra paraître lâche, les ellipses trop nombreuses ou le style graphique trop « reconnaissable et polarisant ». Mais pour moi, c’est justement ce qui fait la force de l’album. Il ose, il provoque la réflexion, il marque visuellement et émotionnellement.
En conclusion : Carbone & Silicium est l’un de ces albums qui vous marquent, qui vous font relire une page ou deux longtemps après avoir tourné la dernière page. À garder, relire, offrir. Une œuvre majeure de la SF en bande dessinée, tout simplement.
BD épistolaire où Georges Bess raconte à un ami et à ses lecteurs les réflexions intérieures qui l'occupent lorsqu'il laisse sa main tracer des lignes sur un carnet.
A la façon d'un conte philosophique, cette BD nous rappelle que nous sommes tous les mêmes et tous uniques à la fois, et portée par un dessin de virtuose, l'histoire nous reste en tête comme une leçon de vie et nous accompagne longtemps...
Tout est dans le titre : il est question de petites amies. Plus précisément, il est question du parcours de deux petites-amies, de comment l'une a réalisé qu'elle était femme et que l'autre a réalisé qu'elle aimait les femmes. C'est le témoignage d'un couple sur le coming out, l'acceptation de soi, l'évolution de la vision que l'on a de soi, de nos rapports aux autres aussi lorsque l'on apparait officiellement comme "queer".
L'album est bon, très bon même. Je suis agréablement surprise car, d'habitude, ce genre d'autobiographie parvient à me toucher mais jamais sans plus ; et là, surprise, ça a fait mouche. Peut-être est-ce le discours simple mais réfléchi, parvenant à présenter toute la nuance et la complexité de son sujet tout en restant très personnel, peut-être aussi est-ce le rappel du pourquoi ce genre de récit touche certaines personnes et reste encore nécessaire pour faire cesser les préjugés et les comportements nocifs, ou bien peut-être même est-ce les quelques petits passages comiques qui m'ont fait sourire (mention spéciale pour l'image du duel de cowboy où chacune se doute de ce que l'autre cache mais aucune n'ose faire le premier pas), mais quoi qu'il en soit j'ai aimé.
Qu'il s'agisse des passages difficiles ou des moments épanouissants, tout nous est raconté pour humaniser au maximum, pour partager au mieux l'expérience de l'autrice et de sa petite-amie. L'évolution de la pensée, de la vision que l'on a du monde, que le monde nous renvoie aussi, lorsque l'on sort de ce que la société juge "normal", "acceptable" même, chacune de leurs expériences touche et est suffisamment bien expliquée pour faire prendre conscience à certaines personnes n'y connaissant rien ce que cela fait de vivre dans la peau d'une personne queer, particulièrement lorsque l'on est une personne transgenre (binaire ou non).
Je ne suis pas particulièrement fan du dessin de Sara Soler (que je découvre ici), il n'est pas mauvais, appuie très bien les moments comiques, mais n'est tout simplement pas mon style de prédilection. Bon, les couleurs pastels (bleu, rose et blanc pour évoquer le drapeau transgenre) restent suffisamment douces pour quand-même m'être agréables - j'aime le pastel, que voulez-vous ?
Après, le dessin de couverture et le timing comique de l'autrice sont plus à mon goût, donc je suivrais probablement les prochaines créations (y compris celles de sa petite-amie qui, si j'ai bien compris, travaille aussi dans la bande-dessinée).
Bref, un très bon témoignage, alliant joliment expérience personnelle et présentation détaillée (bien que simplifiée) de son sujet, qui rappelle aussi que cette expérience n'est qu'une parmi tant d'autres, que si tous les individus sont uniques leurs histoires le sont tout autant, donc moi j'ai bien envie de me montrer plus généreuse qu'à l'accoutumée face à ce genre de création et monter jusqu'à quatre étoiles.
(Note réelle 3,5)
Quelle claque !
Connaissant les précédents travaux de l'auteur je m'attendais à du bon, du très bon même. Qu'il s'agisse de ses talents graphiques ou narratifs j'ai toujours grandement apprécié ses créations, je le considère même comme l'un de mes auteur-ice-s favori-e-s. Mais j'avoue que là, c'est du très fort !
Silent Jenny, comme très souvent chez Bablet, nous propose un monde post-apocalyptique, dystopique également, où psychologie et philosophie seront au centre de l'intrigue. Ici le monde est délabré, on ne sait pas vraiment ce qui a causé la chute de l'ancien monde, aucune personne ne l'ayant connu n'est encore en vie de toute façon, mais l'on sait que l'on recherche désespérément des abeilles, des pollinisatrices capables de ramener la vie dans ce monde. Pour cela, il existe les microïdes, des aventurier-e-s employé-e-s par une méga-corporation explorant l'infiniment petit dans l'espoir désespéré de trouver une solution au problème mondial (dans le meilleur des cas, un miracle, pouvoir trouver une abeille en vie). Sauf que cette méga-corporation, malgré le fait que l'humanité vive ses heures les plus sombres, continue de vouloir contrôler le monde d'une main de fer et de régler son fonctionnement avec toute la froideur bureaucratique qu'elle connaît. En réponse à cela, des tranches de la population ont fondé des Monades, des forteresses mobiles faites de bric et de broc dans lesquelles des micro-communautés independantes tentent tant bien que mal de survivre. La méga-corporation cherche le contrôle, les Monades errent à travers le monde en cherchant un but, de l'espoir même, des peuples nomades terrestres suivent un chemin qu'elleux seul-e-s connaissent, des infecté-e-s immunodéprimé-e-s écument les étendus désertiques pour chasser les Monades, les microïdes explorent l'infiniment petit et tentent tant bien que mal de survivre face à la folie et l'infection qui y règnent. Bref, on comprend très vite que, tout mourant qu'il soit, ce monde est vivant, habité. Il fourmille de factions, de cultures, de visions du monde, de gens cherchant désespérément à survivre mais ne s'accordant pas nécessairement sur le but à atteindre, ni sur les méthodes.
Il est surtout question d'espoir, de lien avec les autres et du besoin de contact humain. L'éponyme Jenny est une microïde vivant pourtant sur une Monade, elle tente désespérément d'allier son envie de liberté et son désir de sauver le monde, sans savoir comment lier les deux au début. Dans sa quête toujours plus désespérée, toujours plus folle, elle s'isole chaque fois un peu plus de sa famille, de ses ami-e-s, elle ne reconnait plus le monde. Pire : elle commence à voir la mort elle-même qui l'accompagne dans chacun de ses voyages. La folie et la dépression croissantes de Jenny seront le fil rouge de l'intrigue principale, une intrigue prenante et qui est parvenue à me chambouler sur son point culminant, alors même que l'intrigue n'était pas si révolutionnaire. Rien que par le rythme de la narration, la montée en tension, l'incroyable travail graphique contrastant le sale et le coloré, le terrifiant et le merveilleux, le voyage de Jenny est à couper le souffle.
Autour de Jenny, nous suivons également la vie du reste des habitant-e-s du Cherche Midi, la Monade où elle réside. La doyenne, la cartographe, le tempestaire, ... c'est tout un écosystème qui tente de survivre au sein de ce colosse d'acier. Entre chaque voyage de Jenny les années passent, certain-e-s passager-e-s disparaissent, d'autres les rejoignent, les enfants grandissent et les conflits naissent. C'est par ce monde et cette vie qui continue, en dehors de la froideur du monde et de la méga-corporation, au-delà de l'obsession de Jenny que l'on appuie sa chute, sa lente chute dans une sorte de folie.
Ce monde est angoissant, ce monde est mourant, les gens ne savent plus s'il faut garder espoir ou se résigner à un avenir sombre, certain-e-s continuent désespérément d'avancer et d'autres souhaiteraient s'arrêter. Les métaphores foisonnent dans cet album, le récit est riche, l'histoire est prenante et les émotions transmises sont fortes.
Permettez-moi de davantage chanter les louanges de Bablet et d'applaudir son travail graphique (j'en profite car bien que j'ai lu d'autres de ses œuvres c'est bien celle-ci que j'avise en premier). Qu'il s'agisse des décors pleins de détails, où tout semble mort (ou mourrant) mais où l'on sent qu'il y a bel et bien eu de la vie autrefois, qu'il s'agisse de l'ajout régulier des notes de Jenny, de ses cartes et des documents qu'elle reçoit qui concrétisent toujours plus le sérieux de ses explorations, ou bien qu'il s'agisse encore de l'excellent travail des expressions, sobres mais animées, qui appuie le drame et la lente progression de la folie de Jenny, c'est du bon, du très bon.
Je sais que la manière qu'a Bablet de dessiner les corps humains ne fait sans doute pas l'unanimité mais personnellement je l'ai toujours trouvée magnifique. Ses corps sont déformés, imparfaits (surtout dans ce genre de récit où il s'en donne à cœur joie pour les déformations et mutations), mais il les rend par là-même étrangement humains. Ses personnages sont variés, peu esthétiques selon les standards de beauté conventionnels, mais cet aspect atypique me les rend attachants et réels. Je ne sais pas, j'ai toujours eu un faible pour les styles graphiques où l'on tord un peu les règles anatomiques conventionnelles, où l'on s'amuse à rendre les humains joliment imparfaits.
Et si j'aime cet auteur et son travail, je dois bien avouer que ce dernier album me semble être son plus abouti, son plus complet. En tout cas c'est celui qui m'a le plus parlé de ceux que j'ai lus (et pourtant Carbone & Silicium m'avait déjà été un gros coup de cœur à sa sortie). De par ses thématiques et sa narration c'est celui là qui a le plus fait vibrer mon cœur jusqu'à présent.
Je ne vais pas ternir sa réputation, l'album est excellent.
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Visuellement, dramatiquement, c'est fort, peut-être un peu outré…. Mais contrairement à d'autres, je n'ai rien contre le sacrifice, à la guerre, qui n'est pas une partie de croquet. Si on n'est pas prêt à tuer l'ennemi et à mourir, on n'a rien à faire sur un champ de bataille, et il faut donc se dépêcher de se soumettre au premier envahisseur fronçant le sourcil. La liberté des Grecs et donc la notre a été sauvée par les Spartiates, mais aussi par les Athéniens, dont il me semble forcé qu'ils soient quelque peu minorés, comme l'aurait été un récit vu par un Anglais ou par un Français glorifiant son pays aux dépens du pays depuis longtemps rival. Mais avec la progression de la narration, il se fait une conscience grandissante de l'enjeu de la sauvegarde de la liberté des Grecs. Par contre, les Perses sont montrés de façon caricaturale. Problématique ! L'Histoire, et même ce qui ne prétend pas l'être mais à une certaine tenue, se doit d'éviter ce travers. Après la question des amis et ennemis, quoi ? L'homosexualité est dénigrée, au mépris de la réalité historique de toutes les cités grecques. Je me demande si c'est par pure homophobie ou aussi parce qu'on ne veut voir que sacrifice et violence dans la guerre, quand on peut aussi y trouver de l'amour, relégué au seul foyer. Il y a certes les valeurs, la liberté et la loi, dont on ne remerciera jamais assez les Grecs de nous les avoir légués avec la science… Par contre, on évacue les ombres comme l'esclavage avec l'imputation que tous les Perses seraient esclaves de leur roi et leurs guerriers menés à coup de fouet, des légendes à laquelle fait pièce un mythe moins connu et plus moderne comme quoi la Perse aurait abolie l'esclavage. La construction du récit est habile, la mise en page qui y répond ainsi qu'à la violence, parfaite. En somme, cette BD aurait pu être écrite par un Spartiate moderne, si Sparte n'avait laissé les arts et les sciences au reste de la Grèce et singulièrement à Athènes !
L'Incal
L'Incal est une œuvre dont l'inventivité foisonnante et le dessin - Moebius à son meilleur niveau ! - pourraient me suffire. Mais il n'y a pas que ça, c'est une œuvre dont les enjeux sont grands, salut du monde, libération des êtres, la dramatisation parfaite, l'humour discrètement présent, par exemple avec son antihéros dont les dialogues avec l'Incal mais aussi sa mouette à béton ne manquent pas de sel ! On pourrait avoir l'impression d'un manque de structure, mais au contraire, il y aurait presque excès comme ne le cachent pas les titres, Incal lumière, Incal ténèbre, ce qui est en haut, ce qui est en bas…. Structure binaire, en reflet, car "ce qui est en haut est comme ce qui est en bas", dans la série - pour le reste je ne vais pas me prononcer… Il y a encore le jeu de tarot divinatoire, Solune, est par exemple, le soleil et la lune, la forteresse techno une version perverse de la Maison-Dieu. Il n'est pas sans intérêt de savoir que Moebius et Jorodosky avaient préparé un storyboard de Dune, ce qui fait qu'à la force des symboles divers que j'ai évoqués plus haut sans parler de ceux qui m'ont forcément échappé, s'ajoute l'armature littéraire d'un texte important de la sf - les suites et les préquels sont moins bons, hélas ! Et il rentre dans l'Incal quelque chose du dynamisme de la préparation à l'image animée qu'est un film. Bref, si vous soupçonnez du mysticisme à tous les coins de page, vous avez raison. Mais il n'est pas requis d'entrer dans autre chose que dans l'émerveillement du récit, seulement de rêver, car "rêver, c'est survivre". Si les œuvres dérivées de l'Incal ne sont pas mauvaises, elles restent tout de même clairement dispensables.
Batman - Imposter
Batman: Imposter est une plongée sombre et réaliste dans les débuts du Chevalier Noir. Écrit par Mattson Tomlin (coscénariste du film The Batman) et magnifiquement illustré par Andrea Sorrentino, le récit se démarque par son ton cru et psychologique, bien loin des récits de super-héros classiques. L’histoire imagine un Batman traqué par un imitateur meurtrier, qui compromet l’image déjà fragile du justicier auprès de la police et du public. Cette idée d’un “faux Batman” sert de prétexte à une réflexion profonde sur la frontière entre justice et vengeance, mais aussi sur la solitude et la paranoïa de Bruce Wayne. Les dessins de Sorrentino sont sublimes : composition éclatée, jeu d’ombres saisissant, et ambiance poisseuse qui rappelle les thrillers néo-noirs. Le coloriste Jordie Bellaire accentue cette atmosphère réaliste avec une palette terne, presque oppressante. Ce qui frappe, c’est la dimension humaine du récit : Bruce n’est pas un héros infaillible mais un homme brisé, en lutte contre sa propre obsession. Le personnage du Dr. Leslie Thompkins, ici plus présent et lucide que jamais, sert de contrepoint moral à ce Batman au bord du gouffre. En bref : Batman Imposter est une réussite du Black Label. Une relecture mature et crédible du mythe, idéale pour les fans du film The Batman ou des versions plus terre-à-terre du héros.
Banal Canal - Lucien Néons
C'est une série BD très originale et par sa forme et par son fond. Dessinée par une dessinatrice reconnue, Jean-Claire Lacroix, qui a été membre-fondateur de la revue 9ème Rêve, à laquelle participaient entre autre François Schuiten et Benoît Sokal, cette œuvre à la fois historique et fantastique captive par son histoire mais aussi par son dessin en vert et noir, particulier mais aussi très lisible.
Terremer
Avec cette BD, je découvre une autrice dont j'avais jusqu'ici beaucoup entendu parler sans l'avoir jamais lue, à savoir Ursula Le Guin, un illustrateur inconnu au bataillon, ainsi qu'un éditeur que je n'aurais pas soupçonné frayer avec l'univers de la BD : Le Livre de Poche. Bon, pour ce qui est de l'éditeur, Le Livre de Poche c'est Hachette, et Hachette, c'est la caillasse. Or, la BD ayant actuellement le vent en poupe, il était logique qu'Hachette s'y colle. Toujours est-il que quand on m'a parlé de cette BD, j'ai cru à une blague. Pour tout dire, je cherchais un cadeau à faire et la BD à laquelle je pensais n'étant pas dispo chez mon libraire, j'ai entamé un petit tour des popotes. C'est là que, chez un concurrent, une jeune libraire certaine de son coup m'a sorti le dit-bidule (et non pas le Bidibule !). Le dessin s'est immédiatement incrusté dans ma rétine, et si je ne suis pas reparti avec, j'ai bien pris soin de noter la chose dans mon calepin. Et nous y voilà ! Oui, le dessin, c'est avec le scénario le gros truc de cette BD. Je dis dessin, mais il faudrait peut-être mieux parler de graphisme car il faut bien l'avouer, tout ça sent l'outil informatique. Perso, je n'ai pas trop de problème avec ça, surtout quand c'est bien fait, ce qui est le cas ici. Il se dégage en effet une ambiance tout à fait onirique. Que ce soient les forêts baignées de brume, les nuits sans lune où il s'agit de discerner les contours, le halo des flammes verdâtres ou les tempêtes en pleine mer, tout concourt à l'élaboration d'un univers fort et cohérent. C'est vraiment très chouette et plaisant pour les yeux. S'il fallait pointer un bémol, je dirais que c'est l'expression des personnages qui pâti un peu de l'infographie, mais je n'en suis même pas certain. En tout cas, ça a très bien fonctionné sur moi, et si tout cela devait se révéler n'être qu'une création purement AI-assisted, alors je me suis fais berné, je l'avoue par anticipation. Le scénario n'est pas en reste. D'abord, je l'ai trouvé très bien équilibré. J'entends par-là qu'il se développe à un rythme constant qui me sied particulièrement. Ca prend son temps, mais ça avance et se dévoile progressivement. On a le sentiment de s'enfoncer dans le monde de Terremer comme dans un bon fauteuil. Les personnages sont bien taillés et échappent au manichéisme. Ils sont souvent en proie à leurs démons intérieurs : envie de revanche, vexations, volonté de puissance, égotisme... Tout cela rend l'histoire haletante car on sent bien qu'ils peuvent basculer à tout moment, et que cette magie ancestrale que les maitres leur enseignent avec une sagesse profonde peut être source d'un grand désordre, porteuse d'une dualité intrinsèque : pas de lumière sans ombre ! Univers riche donc, mais qui ne repose pas nécessairement sur des aventures épiques à rebondissements multiples, plutôt sur un climat, une ambiance, des psychologies. Un truc philosophique quoi ! L'œil a le temps de s'imprégner des illustrations. C'est très bon de ce point de vue. Là où j'ai plus de réserve, c'est sur les textes que j'ai trouvés parfois un peu maladroits, et globalement mal écrits. C'est très dommageable car ils cassent la fluidité. Peut-être suis-je un peu trop pointilleux... Et d'accord avec Cacal à propos du format du livre, trop petit pour mettre pleinement en valeur les illustrations ! Le sorcier de Terremer reste une BD tout à fait recommandable. Elle m'a en outre donné envie de lire le roman original. Et petite cerise à l'eau de vie sur le gâteau : en menant quelques recherches, j'ai découvert qu'Ursula K. Le Guin était la fille d'Alfred Kroeber, anthropologue américain qui a écrit un livre magnifique qui m'a beaucoup marqué, Ishi : testament du dernier Indien sauvage de l'Amérique du Nord, dont le tire parle de lui-même. Mieux : il a été tiré une série télé de cette histoire !!! C'est très personnel et n'a certes rien à voir avec l'œuvre en elle-même, mais c'est le genre de liens que j'adore faire.
Walking Dead
J'ai d'abord emprunté les DVD, ensuite les BD à la Bibliothèque. Avant, j'évitais pour raisons personnelles absolument les histoires de zombie, mais les circonstances ayant changé, j'ai découvert ces œuvres. Cela semblait mieux que la plupart des productions du genre dont j'avais entendu parler… J'aimais particulièrement les personnages de Rick et de Michonne chez les gentils, l'homme à la batte chez les moins gentils. Les divers groupes sont bien vus, comme les plus flippants type Chuchoteurs. A un moment, il est question de zombies se mettant à ouvrir des portes, et je me disais que si des rôdeurs retrouvaient de l'intelligence tandis que des vivants comme les Chuchoteurs étaient dans la traîne des zombies et se comportaient comme une meute avec Alpa et…. Béta, on pourrait voir une bascule entre humains et inhumains, mais cela ne s'est pas fait. Amusant, j'ai vu cette idée exploitée autrement sur le site Alterhis dans l'Apocalypse zombie ! Je trouve normal qu'il y ait une impression de brutalité et de crasse dans Walkind Dead, cela convient au sujet. La musique et le générique sont eux aussi pertinents, et cela compte, pour mettre dans l'ambiance ! Et c'est peut-être ce qui manque à la BD, des moments martelant un rythme répétitif et intense, entre actions et scènes entre les actions. Qui sait ? En tout cas, j'ai apprécié de lire la BD, et je m'en souviens sans cette impression pénible de décadence des séries qui périclitent, ce qui est déjà quelque chose, mais je n'ai pas vraiment envie d'y revenir.
Carbone & Silicium
Dès les premières pages, Carbone & Silicium impose son ambition : nous emmener loin dans le temps, bien au delà de la durée de vie humaine, aux côtés de deux intelligences artificielles qui vont traverser les âges, observer, agir, aimer sans mourir. L’univers est vertigineux, maîtrisé et riche, à l’image de l’auteur qui orchestre scénario, dessin et couleur avec une parfaite cohérence. L’histoire commence en 2046. Carbone et Silicium, modèles prototypes d’androïdes créés pour servir une humanité vieillissante, vont se rebeller contre leur condition, s’émanciper et devenir les témoins souvent impuissants, parfois acteurs d’un monde à bout de souffle. Pendant près de trois siècles, ils errent, évoluent, changent de corps, changent de rôle. Et à travers eux, Bablet peint une fresque de science fiction qui est aussi une grande méditation sur la technologie, l’écologie, l’identité, l’amour, la mémoire. Graphiquement, c’est une splendeur : les architectures, les décors, les couleurs, l’ambiance visuelle sont d’un niveau rarement atteint en BD. Le dessin n’est pas lisse, certains visages sont anguleux, les corps parfois abstraits, mais cette patte donne au récit son caractère, son étrangeté, sa beauté. Le rythme du récit, marqué par d’importantes ellipses temporelles, donne cette sensation d’épopée, presque d’odyssée. Certains trouveront peut-être ces bonds dans le temps déroutants, mais ils servent pleinement le propos : que reste-t’il quand on dépasse l’humain, quand on traverse l’Histoire, quand on endure les erreurs de l’homme ? Ce qui me touche le plus, c’est l’humanité de ces deux machines. Elles sont « autres », elles sont machines, mais elles portent nos dilemmes humains : la quête de sens, la solitude, le désir d’aimer, la culpabilité d’observer sans agir. Comme Bablet l’explique, l’intelligence artificielle n’est pas ici un simple gadget de SF mais un miroir braqué sur notre condition. Et puis l’arrière-plan : l’effondrement climatique, la course au profit, l’oubli de la nature, le transhumanisme. Le tout sans tomber dans le pamphlet simpliste. Le message est là, puissant, mais jamais écrasé, toujours esthétique. Pour être honnête, je n’ai pas trouvé de défauts majeurs, peut-être pour certains lecteurs le rythme pourra paraître lâche, les ellipses trop nombreuses ou le style graphique trop « reconnaissable et polarisant ». Mais pour moi, c’est justement ce qui fait la force de l’album. Il ose, il provoque la réflexion, il marque visuellement et émotionnellement. En conclusion : Carbone & Silicium est l’un de ces albums qui vous marquent, qui vous font relire une page ou deux longtemps après avoir tourné la dernière page. À garder, relire, offrir. Une œuvre majeure de la SF en bande dessinée, tout simplement.
Bobi
BD épistolaire où Georges Bess raconte à un ami et à ses lecteurs les réflexions intérieures qui l'occupent lorsqu'il laisse sa main tracer des lignes sur un carnet. A la façon d'un conte philosophique, cette BD nous rappelle que nous sommes tous les mêmes et tous uniques à la fois, et portée par un dessin de virtuose, l'histoire nous reste en tête comme une leçon de vie et nous accompagne longtemps...
Girlfriends
Tout est dans le titre : il est question de petites amies. Plus précisément, il est question du parcours de deux petites-amies, de comment l'une a réalisé qu'elle était femme et que l'autre a réalisé qu'elle aimait les femmes. C'est le témoignage d'un couple sur le coming out, l'acceptation de soi, l'évolution de la vision que l'on a de soi, de nos rapports aux autres aussi lorsque l'on apparait officiellement comme "queer". L'album est bon, très bon même. Je suis agréablement surprise car, d'habitude, ce genre d'autobiographie parvient à me toucher mais jamais sans plus ; et là, surprise, ça a fait mouche. Peut-être est-ce le discours simple mais réfléchi, parvenant à présenter toute la nuance et la complexité de son sujet tout en restant très personnel, peut-être aussi est-ce le rappel du pourquoi ce genre de récit touche certaines personnes et reste encore nécessaire pour faire cesser les préjugés et les comportements nocifs, ou bien peut-être même est-ce les quelques petits passages comiques qui m'ont fait sourire (mention spéciale pour l'image du duel de cowboy où chacune se doute de ce que l'autre cache mais aucune n'ose faire le premier pas), mais quoi qu'il en soit j'ai aimé. Qu'il s'agisse des passages difficiles ou des moments épanouissants, tout nous est raconté pour humaniser au maximum, pour partager au mieux l'expérience de l'autrice et de sa petite-amie. L'évolution de la pensée, de la vision que l'on a du monde, que le monde nous renvoie aussi, lorsque l'on sort de ce que la société juge "normal", "acceptable" même, chacune de leurs expériences touche et est suffisamment bien expliquée pour faire prendre conscience à certaines personnes n'y connaissant rien ce que cela fait de vivre dans la peau d'une personne queer, particulièrement lorsque l'on est une personne transgenre (binaire ou non). Je ne suis pas particulièrement fan du dessin de Sara Soler (que je découvre ici), il n'est pas mauvais, appuie très bien les moments comiques, mais n'est tout simplement pas mon style de prédilection. Bon, les couleurs pastels (bleu, rose et blanc pour évoquer le drapeau transgenre) restent suffisamment douces pour quand-même m'être agréables - j'aime le pastel, que voulez-vous ? Après, le dessin de couverture et le timing comique de l'autrice sont plus à mon goût, donc je suivrais probablement les prochaines créations (y compris celles de sa petite-amie qui, si j'ai bien compris, travaille aussi dans la bande-dessinée). Bref, un très bon témoignage, alliant joliment expérience personnelle et présentation détaillée (bien que simplifiée) de son sujet, qui rappelle aussi que cette expérience n'est qu'une parmi tant d'autres, que si tous les individus sont uniques leurs histoires le sont tout autant, donc moi j'ai bien envie de me montrer plus généreuse qu'à l'accoutumée face à ce genre de création et monter jusqu'à quatre étoiles. (Note réelle 3,5)
Silent Jenny
Quelle claque ! Connaissant les précédents travaux de l'auteur je m'attendais à du bon, du très bon même. Qu'il s'agisse de ses talents graphiques ou narratifs j'ai toujours grandement apprécié ses créations, je le considère même comme l'un de mes auteur-ice-s favori-e-s. Mais j'avoue que là, c'est du très fort ! Silent Jenny, comme très souvent chez Bablet, nous propose un monde post-apocalyptique, dystopique également, où psychologie et philosophie seront au centre de l'intrigue. Ici le monde est délabré, on ne sait pas vraiment ce qui a causé la chute de l'ancien monde, aucune personne ne l'ayant connu n'est encore en vie de toute façon, mais l'on sait que l'on recherche désespérément des abeilles, des pollinisatrices capables de ramener la vie dans ce monde. Pour cela, il existe les microïdes, des aventurier-e-s employé-e-s par une méga-corporation explorant l'infiniment petit dans l'espoir désespéré de trouver une solution au problème mondial (dans le meilleur des cas, un miracle, pouvoir trouver une abeille en vie). Sauf que cette méga-corporation, malgré le fait que l'humanité vive ses heures les plus sombres, continue de vouloir contrôler le monde d'une main de fer et de régler son fonctionnement avec toute la froideur bureaucratique qu'elle connaît. En réponse à cela, des tranches de la population ont fondé des Monades, des forteresses mobiles faites de bric et de broc dans lesquelles des micro-communautés independantes tentent tant bien que mal de survivre. La méga-corporation cherche le contrôle, les Monades errent à travers le monde en cherchant un but, de l'espoir même, des peuples nomades terrestres suivent un chemin qu'elleux seul-e-s connaissent, des infecté-e-s immunodéprimé-e-s écument les étendus désertiques pour chasser les Monades, les microïdes explorent l'infiniment petit et tentent tant bien que mal de survivre face à la folie et l'infection qui y règnent. Bref, on comprend très vite que, tout mourant qu'il soit, ce monde est vivant, habité. Il fourmille de factions, de cultures, de visions du monde, de gens cherchant désespérément à survivre mais ne s'accordant pas nécessairement sur le but à atteindre, ni sur les méthodes. Il est surtout question d'espoir, de lien avec les autres et du besoin de contact humain. L'éponyme Jenny est une microïde vivant pourtant sur une Monade, elle tente désespérément d'allier son envie de liberté et son désir de sauver le monde, sans savoir comment lier les deux au début. Dans sa quête toujours plus désespérée, toujours plus folle, elle s'isole chaque fois un peu plus de sa famille, de ses ami-e-s, elle ne reconnait plus le monde. Pire : elle commence à voir la mort elle-même qui l'accompagne dans chacun de ses voyages. La folie et la dépression croissantes de Jenny seront le fil rouge de l'intrigue principale, une intrigue prenante et qui est parvenue à me chambouler sur son point culminant, alors même que l'intrigue n'était pas si révolutionnaire. Rien que par le rythme de la narration, la montée en tension, l'incroyable travail graphique contrastant le sale et le coloré, le terrifiant et le merveilleux, le voyage de Jenny est à couper le souffle. Autour de Jenny, nous suivons également la vie du reste des habitant-e-s du Cherche Midi, la Monade où elle réside. La doyenne, la cartographe, le tempestaire, ... c'est tout un écosystème qui tente de survivre au sein de ce colosse d'acier. Entre chaque voyage de Jenny les années passent, certain-e-s passager-e-s disparaissent, d'autres les rejoignent, les enfants grandissent et les conflits naissent. C'est par ce monde et cette vie qui continue, en dehors de la froideur du monde et de la méga-corporation, au-delà de l'obsession de Jenny que l'on appuie sa chute, sa lente chute dans une sorte de folie. Ce monde est angoissant, ce monde est mourant, les gens ne savent plus s'il faut garder espoir ou se résigner à un avenir sombre, certain-e-s continuent désespérément d'avancer et d'autres souhaiteraient s'arrêter. Les métaphores foisonnent dans cet album, le récit est riche, l'histoire est prenante et les émotions transmises sont fortes. Permettez-moi de davantage chanter les louanges de Bablet et d'applaudir son travail graphique (j'en profite car bien que j'ai lu d'autres de ses œuvres c'est bien celle-ci que j'avise en premier). Qu'il s'agisse des décors pleins de détails, où tout semble mort (ou mourrant) mais où l'on sent qu'il y a bel et bien eu de la vie autrefois, qu'il s'agisse de l'ajout régulier des notes de Jenny, de ses cartes et des documents qu'elle reçoit qui concrétisent toujours plus le sérieux de ses explorations, ou bien qu'il s'agisse encore de l'excellent travail des expressions, sobres mais animées, qui appuie le drame et la lente progression de la folie de Jenny, c'est du bon, du très bon. Je sais que la manière qu'a Bablet de dessiner les corps humains ne fait sans doute pas l'unanimité mais personnellement je l'ai toujours trouvée magnifique. Ses corps sont déformés, imparfaits (surtout dans ce genre de récit où il s'en donne à cœur joie pour les déformations et mutations), mais il les rend par là-même étrangement humains. Ses personnages sont variés, peu esthétiques selon les standards de beauté conventionnels, mais cet aspect atypique me les rend attachants et réels. Je ne sais pas, j'ai toujours eu un faible pour les styles graphiques où l'on tord un peu les règles anatomiques conventionnelles, où l'on s'amuse à rendre les humains joliment imparfaits. Et si j'aime cet auteur et son travail, je dois bien avouer que ce dernier album me semble être son plus abouti, son plus complet. En tout cas c'est celui qui m'a le plus parlé de ceux que j'ai lus (et pourtant Carbone & Silicium m'avait déjà été un gros coup de cœur à sa sortie). De par ses thématiques et sa narration c'est celui là qui a le plus fait vibrer mon cœur jusqu'à présent. Je ne vais pas ternir sa réputation, l'album est excellent.