Alors que presque tout a déjà été dit sur cet album qui a remporté le Fauve d’or à Angoulême (ainsi que le Grand Prix de la Critique ACBD), notamment sur le parallèle entre son thème et les attentats de Charlie en 2015, dont Luz a échappé de justesse, je n’aurai pas grand-chose à rajouter pour dire le bien que j’en pense.
Luz propose ici une narration découpée en courtes séquences, dont la première évoque le moment où Otto Mueller est en train de créer l’œuvre en question. Malgré cette impression de lire une fiction inspirée de la réalité, on est ici autant dans le registre documentaire, étant donné l’important travail de recherche effectué par l’ancien caricaturiste de Charlie Hebdo. Mais ce n’est pas une biographie puisque l’« aventure » de cette peinture se termine à notre époque, en passant par la période noire où les nazis arrivent au pouvoir, alors que Mueller vient de casser sa pipe. Le parti pris très elliptique permet une lecture assez fluide, et l’originalité de l’objet est de ne jamais montrer la peinture. Il faudra attendre la fin du récit pour en voir une interprétation de Luz lui-même, assez proche de l’original au demeurant.
Avec une économie de moyens, Luz a su produire quelques trouvailles graphiques, notamment au début où Mueller apparaît progressivement en train de peindre ses « Zwei Halbakte », tandis que les silhouettes des deux femmes se dévoilent en tant que cadre scénique. Même si le style est ici plus proche des codes de la BD, Luz ne s’est pas pour autant départi de sa patte de caricaturiste, celle que j’appréciais tant du temps de Charlie. Il subsiste ici toujours une ironie grinçante, même s’il faut l’avouer, le rire était plus libérateur à l’époque où Luz s’en prenait aux Mégret de Vitrolles. Mais depuis, on peut le comprendre, l’auteur a pris en gravité depuis sa reconversion en bédéiste, et le sujet de la violence faite aux artistes ne prête pas forcément à la gaudriole. D’autant que le contexte étatsunien rend la question plus prégnante que jamais, alors que Trump a exprimé la volonté de retirer des œuvres considérées comme « wokistes » des bibliothèques…
Quant au dessin, s’il reste un peu dans l’esquisse, cela n’éclipse pas le talent de Luz dont le coup de patte unique parvient à croquer les excès et le ridicule de ses contemporains. L’auteur a su également introduire de la tendresse et de la poésie, de l’émotion aussi, prouvant qu’il a réussi par son art à se libérer — partiellement ou pas, du moins on l’espère — du traumatisme des attentats.
Venant ainsi percuter l’actualité, « Deux filles nues » apparaît comme un ouvrage de salubrité publique, que le jury angoumoisin a mis de façon très judicieuse sous le feu des projecteurs. Un livre qui devrait garnir toutes les bibliothèques de France et d’ailleurs, en espérant qu’un certain parti extrémiste — dont on ne citera pas le nom — ne décide lui-même de constituer sa liste noire d’ouvrages « dégénérés », le jour où il aura — si la tendance devait hélas se confirmer — les faveurs de l’électorat hexagonal.
Contrairement à gruizzli je fais partie du public qui aime bien ce type de témoignage. C'est probablement pour cela que je suis généreux dans ma notation. Le sujet peut toucher une grande partie de la population dès 40 ans. Si il y a des facteurs prédisposants cela reste un risque soudain qui ne prévient pas et qui laisse souvent patients et familles dans une incompréhension totale. Le récit de Xavier Bétaucourt sur l'accident (AVC) du journaliste Bruno Cadène montre très bien les grandes problématiques qui se dressent devant Bruno et son entourage. En premier lieu il y a le rapport au temps et à l'acceptation de vivre à un rythme bien plus lent que le monde moderne nous impose. Cadène est diminué mais nous montre le chemin de certaines valeurs pas toujours bankables : l'humilité, la ténacité ou la solidarité. Le récit ne développe pas de grandes actions dynamiques ou dramatiques mais cela correspond pleinement au fond du sujet qui fait accepter une rééducation lente avec des petites progressions mais aussi des abandons.
Comme nous sommes dans une histoire vraie le happy end peut servir de modèle pour bien des personnes qui se battent pour retrouver tout ou partie de leur motricité physique ou linguistique.
Le graphisme d'Olivier Perret fait sobrement le travail sans esbroufe dans un style documentaire bien lisible. La mise en couleur où les jaunes et ocres dominent est basique mais rend cette ambiance fade des salles d'hôpitaux.
En creux la série rend hommage à la chaîne de soins qui a permis à Bruno d'être sauvé et de pouvoir commencer une nouvelle vie.
Un récit documentaire bien mené sur un sujet peu visité. Une lecture rapide qui peut aider des malades. 3.5
Je tourne autour de cet album depuis sa sortie, il m'a eu à l'usure...
Les éditions Kinaye nous propose un magnifique écrin au grand format.
J'ai eu du mal à classer ce récit, car si la plus grande partie de l'histoire est orientée jeunesse, quelques scènes sont très violentes.
Le point fort de cet ouvrage est incontestablement la partie graphique dans un style qui fait penser dans son trait et sa colorisation à Moebius et à Miyazaki. Une touche manga très présente, principalement dans les expressions des personnages (humain et animal). J'ai apprécié l'originalité des décors et de la mise en page. Un dessin qui manque parfois de maîtrise, mais l'ensemble est vraiment très bon et permet une immersion dans ce monde mélangeant science-fiction et fantasy.
Le monde d'Aeon, Mima et Ish font partie d'une caste inférieure, leur vie est toute tracée, elle sera corvéable au service de la reine Nyw'Olin. Mais leur amour va leur donner le courage de s'échapper et de partir à la recherche de l'Usil, un éden sous la protection de La'ab, le frère de Nyw'Olin.
Un récit bien structuré, linéaire et sans grande surprise, c'est surtout l'univers de cette planète fantasy que met en place Jules Naleb qui m'a fasciné. Une petite présentation sur les premières pages nous plonge dans ce monde sous le joug d'une reine cruelle, elle ne rêve que de vengeance. Une lecture agréable, le rythme est soutenu.
D'autres albums devraient suivre pour approfondir le monde d'Aeon. Je serai du voyage.
Jules Naleb un artiste à découvrir.
Pour l'adulte que je suis, la juste note serait de 3 étoiles. Mais je prends en compte le public visé : jeune (mais pas trop) --> 4 étoiles.
C'est un feuilletage rapide et sa magnifique couverture qui m'ont fait craquer. Et là, c'est le jackpot.
Quel plaisir de retrouver le tandem de Goodnight paradise, il sera cette fois-ci accompagné par le génialissime Matt Hollingsworth à la couleur.
De la Fantasy comme on n'en voit pas souvent. Tous les ingrédients sont présents pour faire de ce récit une réussite.
Trois personnages principaux, Cerrin fils sion est un demi-elfe, Urghria est une pirate qui a perdu son équipage, ils vont s'associer pour aller voler des crânes d'orc sur l'île aux orcs pour faire fortune et ainsi s'extirper de leur condition misérable. Mais pour cela ils ont besoin de magie, Urghria va acheter un mage au temple, le triste Andune. Des protagonistes qui vous surprendront.
Un monde de désolation sous la coupe d'une religion qui ne pense qu'à son bien-être. Un monde où l'on peut découvrir des temples volants et leurs patriarches, des créatures fantastiques et des orcs. Un monde inégalitaire et violent où le sang coule à flot, où les crânes sont fracassés et les langues arrachées.
Un récit captivant et sans temps mort qui prend soin de bien planter le décor et les acteurs avec un zeste d'humour. Les surprises seront au rendez-vous, je ne m'attendais pas à une telle fin. Une triste parabole, bien mal acquis...
Une narration maîtrisée de bout en bout.
Joshua Dysart est un scénariste à suivre.
Le dessin est une tuerie, dans tous les sens du terme, Alberto Ponticelli a réalisé un travail fantastique. La mise en page audacieuse permet d'en prendre plein les mirettes, les décors sont fabuleux, que ce soit cette jungle sauvage ou la cité des orcs. Inventif, expressif, immersif et dynamique.
Il me faut aussi mettre en avant le travail extraordinaire de Matt Hollingsworth, ses choix de couleurs apportent une touche singulière à ce récit sanguinolent.
N'hésitez pas à feuilleter l'album en librairie, la galerie ne rend pas hommage à ce visuel de toute beauté. J'ai ajouté deux nouvelles images depuis.
Un indispensable pour tous les aficionados de Fantasy. Foncez, foncez et foncez.
Un comics à la puissance animale indéniable, la séance de torture sur la croix est d'une cruauté extrême. Âmes sensibles s'abstenir.
Après relecture, le 5 étoiles est une évidence. Un souffle épique rarement atteint.
Gros coup de cœur.
"Tout peuple est ennemi de lui-même".
Quelques coquilles, une relecture de l'éditeur aurait été nécessaire. Grrr.
Tiens, il y a eu plusieurs avis postés dernièrement, pourquoi ne pas les rejoindre ?
J'avais découvert l'album il y a de ça plusieurs années quand j'étais au collège, bien avant que l'innommable adaptation de Kechiche ne voit le jour. Je me rappelle l'avoir beaucoup aimé (il faut dire que j'étais en plein début de ma passion pour les histoires d'amour à l'époque) et je trouve que l'album reste toujours bon aujourd'hui.
L'histoire est celle de Clémentine et d'Emma, deux jeunes femmes s'étant aimées passionnément. En fait, l'histoire est surtout celle de la mort de Clémentine, puisque son histoire nous sera racontée par les journaux qu'elle a légué à Emma.
Découverte des sentiments amoureux, acceptation de soi, passion dévorante, désir sexuel, tromperies, mort, … Ah, c'est sûr, moi qui apprécie les histoires d'amour tragiques avec pathos dégoulinant, je suis servie !
Bon, ce pathos est peut-être un défaut de l'œuvre, si je me doit d'être objective, mais il n'en est pas moins réaliste. L'acceptation compliquée de son homosexualité (en tout cas de son saphisme ici), les histoires d'amour passionnées mais chaotiques, les morts malheureuses, la culpabilité, … tout cela fait partie de notre réalité. Bon, on pourrait considérer que l'album rentre tout de même dans le cliché "bury your gays" mais je lui pardonne volontiers car l'histoire reste prenante et bien écrite.
Le dessin de Julie Maroh est très beau, notamment au niveau des visages (je les trouve très vivants, surtout au niveau des yeux et des lèvres). L'utilisation des teintes de gris uniquement contrastés par l'éponyme couleur bleue donne une très belle esthétique à l'album durant les flashbacks.
Pas aussi excellente que dans mes souvenirs mais une histoire d'amour qui mérite tout de même sa bonne réputation.
(Note réelle 3,5)
Cette BD de Yoann Kavege propose deux récits captivants en un seul ouvrage. L’histoire d’Alma, qui est pleine d’aventures et de questionnements intérieurs, se mêle à celle de Yourcenar, qui explore la mémoire et beaucoup plus philosophique. Le dessin est élégant et les couleurs enrichissent parfaitement l’atmosphère de chaque récit. Un excellent mélange de réflexion et d’introspection, qui ravira les amateurs de récits profonds et littéraires.
L’album divise visiblement, et ne recueille d’ailleurs pas beaucoup d’avis, malgré la présence de Tardi au dessin.
Eh bien moi je l’ai bien aimé. D’abord, pour revenir sur Tardi, parce que j’aime bien ce qu’il fait. Il excelle encore à représenter la banlieue parisienne, et il le fait d’autant plus volontiers que c’est pour mettre en avant des idées politiques (très à gauche) qui lui sont chères, ainsi qu’une dénonciation de certains pouvoirs politiques (le Gaullisme) et policier, durant les années 1960-1970.
Tardi est aussi impliqué par le fait d’illustrer le travail de sa compagne. Qui nous présente ici un récit quasiment autobiographique, ainsi qu’une plongée dans l’histoire sociale et politique de ces deux décennies, du point de vue de l’extrême gauche. Ça a en tout cas le mérite de remettre sur le devant de la scène un certain nombre de faits et d’idées, oubliés, que ce soit autour de la guerre d’Algérie, des violences policières et patronales, ou de celles des gauchistes, dans ces années où l’État français s’est souvent éloigné de ses principes et de ses valeurs défendues (toute ressemblance avec certains faits plus récents – autour de la répression des Gilets jaunes par exemple – ne pourrait être que fortuite…).
La narration est agréable, même si elle reprend de façon chronologique les luttes dans lesquelles Elise/Dominique Grange a été impliquée. Le sujet m’intéresse, et son traitement m’a plu.
Un étrange ovni que celui-ci ! Lefeuvre signe ici une œuvre à la fois très complète et un peu courte.
Très complet, l'univers de Lefeuvre l'est indéniablement. Les prémisses du récit sont captivantes à souhait, et les diverses ramifications qu'il emprunte par la suite sont très bien trouvées et pleines de sens. Les multiples personnages inventés et mis en scène par l'auteur sont tous intéressants, et Lefeuvre sait quoi en faire.
Et en même temps, la bande dessinée n'aurait pas manqué d'une vingtaine de pages en plus, voire d'un développement sur 2 ou 3 tomes. Une fois le concept lancé, on peut le développer à l'infini, et il aurait été agréable de pouvoir se promener davantage dans cet univers, une fois qu'on en a bien compris les codes. Mais bon, ça ne m'empêchera par de relire ce one shot !
Ce qui rend Tom et William aussi réussi, malgré quelques séquences d'une trop grande confusion narrative, c'est évidemment son magnifique dessin. Le trait extrêmement rigoureux de Lefeuvre alterne à merveille entre le réalisme et une stylisation évoquant certains types de comics. C'est très pertinent vu le sujet, et surtout incroyablement élégant.
Alors certes, la lecture de ce one shot est un peu trop rapide, et on aurait aimé que l'auteur développe davantage les innombrables potentialités de son univers, mais en attendant, c'est agréable à lire, original et bien trouvé. Voilà une BD qu'on n'a pas l'impression d'avoir déjà lu mille fois mais qu'on a diablement envie de relire !
Si « Retour à Tomioka » a toutes les apparences d’une lecture jeunesse, elle devrait pouvoir séduire tout aussi bien les grands enfants jusqu’à 77 ans et plus… Il est d’ailleurs difficile de classer cet album dans une catégorie quelconque. Aventure intimiste et poétique, « Retour à Tomioka » est un manga au format franco-belge, co-réalisé par deux auteurs français : Laurent Galandon au scénario et Michaël Crouzat au dessin, ce dernier étant un nouveau venu dans la bande dessinée.
Elément notable : d’’un sujet anxiogène lié à la catastrophe de Fukushima, les auteurs ont réussi à produire quelque chose d’étonnamment apaisant… C’est une très belle lecture qu’ils nous offrent, en plaçant au cœur de l’histoire deux orphelins, en particulier le jeune Osamu qui est prêt à braver les restrictions de circulation imposées par le gouvernement pour rendre un hommage décent à sa grand-mère qui vient de décéder. Lui seul semble en capacité de communiquer avec les yokai, ces petites créatures espiègles issues du folklore japonais, ce qui ajoutera une touche d’humour au récit tout en permettant de prendre du recul.
En évitant le pathos lié à cette terrible tragédie, Laurent Galandon et Michaël Crouzat ont réussi à produire un récit que l’on pourrait croire imaginé par Hayao Miyazaki lui-même, un récit où la nature fait jaillir toute sa puissante poésie à la façon d’un feu d’artifice, mais cette fois dans la foulée d’une catastrophe nucléaire. Car même si la région de Fukushima semble rayée de la carte, cette nature en mutation, symbolisée par un yokai atomique monstrueux, montre qu’elle est toujours là et cherche à reprendre l’ascendant sur une invention humaine spectaculaire qui aurait échappé à son créateur…
D’un point de vue graphique, si l’univers évoque celui de Miyazaki, on ne peut également s’empêcher de penser à Jirô Taniguchi pour cette façon de produire une atmosphère rassurante dans ce Japon bien ordonné. Le trait tout en simplicité de Michaël Crouzat est maîtrisé, de même que le cadrage et la mise en page, et quand on sait que cet auteur a longtemps officié dans le dessin animé, il n’y a guère de quoi être surpris, tant les séquences s’enchaînent avec une plaisante fluidité. On pourra relever également le beau travail sur la couleur d’Andrès Garrido Martin et Clara Patiño Bueno, avec des tonalités évoluant en fonction des passages.
Tout cela fait de « Retour à Tomioka » une réussite incontestable qui a largement mérité son prix jeunesse à Angoulême. Il y a beaucoup de magie dans cet album qui nous invite à conserver la meilleure part de notre enfance, cette part qui donne accès au monde invisible et que l’on a trop souvent tendance à oublier lorsque vient l’âge adulte.
Mais un bon deal valant mieux qu’un long et coûteux procès…
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Ce tome constitue la première moitié d’un diptyque, d’une série centrée sur un nouveau personnage apparu pour la première fois dans les deux derniers tomes de la précédente série de l’auteur, Caroline Baldwin : Caroline Baldwin T18 - Half-blood (2018) & Caroline Baldwin - T19 - les faucons (2020), ainsi que dans le hors-série Caroline Baldwin, Miss Tattoo (2020). Son édition originale date de 2025. Il a été réalisé par André Taymans pour le scénario, les crayonnés et les couleurs, et par Elisabetta Barletta pour les dessins. Cyrielle Zurbrügg a servi d’inspiration et de modèle pour le personnage principal. Il comprend quarante-quatre pages de bande dessinée. Le récit s’apprécie mieux en ayant une connaissance des tomes 18 & 19 précités.
Au cimetière de Notre-Dame-des-Neiges, à Montréal, par une belle journée ensoleillée, une femme blonde en robe verte d’été se repère avec un plan dans la main. Elle finit par trouver la tombe qu’elle recherche : celle de Caroline Baldwin. Dans un costume classique, Gary Scott se tient devant la stèle en attendant. Vanina Lao présente ses excuses : elle est en retard, malgré le plan fourni par Scott, elle s’est perdue dans ce labyrinthe. Il lui demande si elle a fait bon voyage. Elle répond par l’affirmative et ils se recueillent un instant en mémoire de la défunte. Puis Scott reprend la parole, il se demande ce qui a finalement décidé Lao à venir, le besoin de changer de vie dit-elle. Il lui tend les clés de la maison de Caroline, la demi-sœur de Vanina : la maison est à elle à présent, il a lui aussi besoin de changer de vie. Elle s’y rend avec son sac de voyage et pénètre à l’intérieur : tout est sens dessus-dessous. La maison a été fouillée de fond en comble et il y règne un désordre indescriptible.
Le téléphone sonne, un modèle filaire : Vanina Lao répond et un interlocuteur anonyme la menace violemment en exigeant qu’elle rende le dossier qu’elle leur a piqué, dans les vingt-quatre heures. Passé ce délai, elle sera morte. Alors qu’elle est encore sous le choc, la porte s’ouvre et l’inspecteur Philips pénètre à l’intérieur. Elle réagit immédiatement en indiquant qu’elle n’a pas ce qu’il recherche. Il se présente comme étant de la police, et un ami de Gary. Il lui propose de s’asseoir et de discuter. Après quelques échanges, il essaye de contacter Scott sur son portable, mais ce dernier ne répond pas. En continuant de discuter, les deux interlocuteurs en déduisent que l’état de la maison doit être lié au boulot de Caroline chez Wilson Investigation. Après avoir fait le tour de la maison, Philips propose à Vanina de l’emmener à New York, pour tirer cette affaire au clair ; elle accepte. Le lendemain, dans la mégapole, ils se présentent à la porte desdits bureaux : ils se heurtent à deux policiers qui leur interdisent le passage. Philips reconnaît un nouvel arrivant, Terry, un inspecteur qu’il connaît. Ce dernier accepte de les faire entrer et leur expose la situation. C’est le gardien qui a donné l’alerte ce matin : la porte des bureaux de Wilson avait été fracturée, quelqu’un avait vidé les armoires, emporté les disques durs externes, et surtout ils ont laissé un joli macchabée.
Dix-neuf albums pour la série Caroline Baldwin, personnage créé en 1996, deux albums supplémentaires (Double dames en 2021 et Le voyageur en 2023) et une fin en bonne et due forme… avec quelques questions laissées en suspens. Le scénariste change donc de personnage, tout en reprenant les fils de l’intrigue. Le lecteur hésite entre plus de la même ou quelque chose de différent : cela valait-il la peine de changer de personnage ? On change d’une héroïne brune et élancée pour une héroïne blonde et tatouée : la différence n’est pas criante, d’autant que la nouvelle subit plutôt les évènements, trimballée par l’inspecteur Philips qui fait son boulot avec une totale liberté, mais aussi une vraie compétence. L’histoire reprend le principe de ce cabinet d’investigation, avec un ou deux secrets de nature à déstabiliser les plus hauts niveaux de l’état américain, une conspiration dans laquelle Caroline Baldwin aurait pu se retrouver à son corps défendant, se comportant comme un éléphant dans un magasin de porcelaine pour mener son enquête. Elle aurait sans nul doute été plus dans l’action que Vanina Lao. Enfin, Taymans a quasiment dessiné cet album : il en a fait le découpage et les crayonnés, confiant la finition des dessins à une dessinatrice, comme il avait confié les dessins définitifs de Le voyageur à Nico van de Walle.
Bon voilà donc un album qui semble s’apparenter à une nouvelle aventure de Caroline Baldwin qui ne dit pas son nom. D’un autre côté, c’est bien le même auteur, il n’est guère surprenant qu’il crée un album dans la lignée des précédents. Son héroïne se trouve impliquée dans une affaire de chantage concernant des documents susceptibles de nuire à la réélection du président des États-Unis, dans un plan organisé par son concurrent. Ce dernier est légèrement empâté, avec une étrange chevelure blonde alambiquée, il joue au golf, et ses subalternes l’appellent gouverneur Duck, un nom qui sonne étrangement au départ, jusqu’au moment où le lecteur fait le lien avec un prénom qui est à la fois celui d’un canard (Duck) et celui du quarante-cinquième président des États-Unis. Mais voilà que la situation se complique avec l’implication du cabinet Wilson Investigation, et celle de Gary Scott, l’ancien compagnon de Caroline par intermittence, et également agent du FBI. Le lecteur apprécie l’expérience consommée avec laquelle l’auteur met à profit la mythologie propre à ce pays, avec également une sombre histoire du suicide collectif des membres d’une secte, évoquant des affaires réelles similaires.
Pour autant, le lecteur remarque également les différences significatives avec la série précédente, et elles vont plus loin que la couleur des cheveux et la présence de tatouage, ou encore une paire de lunettes. Pour commencer, Vanina Loa ne mène pas l’enquête : ce n’est pas son métier, à la différence de Caroline Baldwin. Ensuite, elle ne semble pas souffrir de symptômes dépressifs, peut-être que l’auteur lui-même a laissé derrière lui quelques-uns de ses propres démons. En revanche, elle est tout aussi à l’aise que Caroline avec la nudité, et l’auteur a conservé cette caractéristique avec une scène de douche, qui permet d’admirer l’intégralité des tatouages de Miss Tatttoo. Pour autant, la dessinatrice dispose de sa personnalité propre pour les traits de contour, avec une sensibilité différente de celle de Taymans, ce qui donne une allure moins sexy à ce passage, plus prosaïque. En effet, Barletta utilise des traits de contours moins épurés, plus fins et plus appliqués, aboutissant à un rendu plus minutieux pour les personnages, parfois proche de celui de Taymans pour quelques éléments de décors. En fonction de ses goûts, le lecteur peut trouver le visage des personnages un peu trop littéral, ou apprécier ce rendu descriptif plus proche du réel. La page de garde de l’ouvrage comprend une photographie de Cyrielle Zurbrügg ce qui permet de constater la ressemblance du personnage dessiné avec son modèle.
La narration visuelle repose sur une documentation concrète et des dessins descriptifs et réalistes. Le lecteur peut avoir l’assurance de la vraisemblable de la représentation du cimetière de Notre-Dame-des-Neiges, des rues de New York, de la Maison Blanche, d’un restaurant asiatique en entresol, ou encore d’un motel en pleine cambrousse, et d’un lodge isolé dans une zone naturelle sauvage. D’un côté, les dessins de Barletta comprennent plus d’éléments que ceux de Taymans ; de l’autre, ce dernier donnait une meilleure sensation des grands espaces naturels. Quoi qu’il en soit, les dessins donnent à voir concrètement les environnements et les différents éléments comme les aménagements intérieurs, les ameublements, les accessoires variés. Grâce à cela, le lecteur peut croire que la maison de Caroline Baldwin était effectivement encore équipée d’un poste de téléphone filaire, le saccage consécutif à la fouille est patent, il ne manque rien à l’équipement de pêche de Philips, les enseignes avec idéogrammes chinois apportent un cachet authentique au quartier asiatique de New York, la scène de décollage d’hélicoptère sur la pelouse de la Maison Blanche semble provenir des informations télévisées, il fait bon rouler dans les routes de basse montagne dans la région de Denver, etc. Le talent de metteur en scène et de découpage d’André Taymans fait son effet et Barletta sait s’adapter pour compléter les esquisses en les respectant et en en gardant l’esprit. La campagne de financement participatif de l’album offrait la possibilité d’acquérir en plus un album souple collector en tirage limité reprenant l’intégralité du storyboard d’André Taymans.
Le créateur de l’héroïne Caroline Baldwin et de sa série revient avec un nouvel album avec un personnage secondaire assumant le premier rôle : Miss Tattoo, inspirée par Cyrielle Zurbrügg. Le lecteur retrouve de nombreux éléments de la série originale, à commencer par une intrigue policière nourrie par des éléments d’actualité, dans le territoire américain, mettant à profit aussi bien ses grands espaces naturels que le potentiel d’un complot politique. Il apprécie la qualité de la narration visuelle en termes de découpage et de plan de prises de vue réalisés par André Taymans, il s’adapte rapidement aux dessins d’Elisabetta Barletta. Un polar divertissant avec quelques clins d’œil savoureux à des faits bien réels, comme l’art des affaires.
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Deux Filles nues
Alors que presque tout a déjà été dit sur cet album qui a remporté le Fauve d’or à Angoulême (ainsi que le Grand Prix de la Critique ACBD), notamment sur le parallèle entre son thème et les attentats de Charlie en 2015, dont Luz a échappé de justesse, je n’aurai pas grand-chose à rajouter pour dire le bien que j’en pense. Luz propose ici une narration découpée en courtes séquences, dont la première évoque le moment où Otto Mueller est en train de créer l’œuvre en question. Malgré cette impression de lire une fiction inspirée de la réalité, on est ici autant dans le registre documentaire, étant donné l’important travail de recherche effectué par l’ancien caricaturiste de Charlie Hebdo. Mais ce n’est pas une biographie puisque l’« aventure » de cette peinture se termine à notre époque, en passant par la période noire où les nazis arrivent au pouvoir, alors que Mueller vient de casser sa pipe. Le parti pris très elliptique permet une lecture assez fluide, et l’originalité de l’objet est de ne jamais montrer la peinture. Il faudra attendre la fin du récit pour en voir une interprétation de Luz lui-même, assez proche de l’original au demeurant. Avec une économie de moyens, Luz a su produire quelques trouvailles graphiques, notamment au début où Mueller apparaît progressivement en train de peindre ses « Zwei Halbakte », tandis que les silhouettes des deux femmes se dévoilent en tant que cadre scénique. Même si le style est ici plus proche des codes de la BD, Luz ne s’est pas pour autant départi de sa patte de caricaturiste, celle que j’appréciais tant du temps de Charlie. Il subsiste ici toujours une ironie grinçante, même s’il faut l’avouer, le rire était plus libérateur à l’époque où Luz s’en prenait aux Mégret de Vitrolles. Mais depuis, on peut le comprendre, l’auteur a pris en gravité depuis sa reconversion en bédéiste, et le sujet de la violence faite aux artistes ne prête pas forcément à la gaudriole. D’autant que le contexte étatsunien rend la question plus prégnante que jamais, alors que Trump a exprimé la volonté de retirer des œuvres considérées comme « wokistes » des bibliothèques… Quant au dessin, s’il reste un peu dans l’esquisse, cela n’éclipse pas le talent de Luz dont le coup de patte unique parvient à croquer les excès et le ridicule de ses contemporains. L’auteur a su également introduire de la tendresse et de la poésie, de l’émotion aussi, prouvant qu’il a réussi par son art à se libérer — partiellement ou pas, du moins on l’espère — du traumatisme des attentats. Venant ainsi percuter l’actualité, « Deux filles nues » apparaît comme un ouvrage de salubrité publique, que le jury angoumoisin a mis de façon très judicieuse sous le feu des projecteurs. Un livre qui devrait garnir toutes les bibliothèques de France et d’ailleurs, en espérant qu’un certain parti extrémiste — dont on ne citera pas le nom — ne décide lui-même de constituer sa liste noire d’ouvrages « dégénérés », le jour où il aura — si la tendance devait hélas se confirmer — les faveurs de l’électorat hexagonal.
Silence radio - 36 mois pour me relever d’un AVC
Contrairement à gruizzli je fais partie du public qui aime bien ce type de témoignage. C'est probablement pour cela que je suis généreux dans ma notation. Le sujet peut toucher une grande partie de la population dès 40 ans. Si il y a des facteurs prédisposants cela reste un risque soudain qui ne prévient pas et qui laisse souvent patients et familles dans une incompréhension totale. Le récit de Xavier Bétaucourt sur l'accident (AVC) du journaliste Bruno Cadène montre très bien les grandes problématiques qui se dressent devant Bruno et son entourage. En premier lieu il y a le rapport au temps et à l'acceptation de vivre à un rythme bien plus lent que le monde moderne nous impose. Cadène est diminué mais nous montre le chemin de certaines valeurs pas toujours bankables : l'humilité, la ténacité ou la solidarité. Le récit ne développe pas de grandes actions dynamiques ou dramatiques mais cela correspond pleinement au fond du sujet qui fait accepter une rééducation lente avec des petites progressions mais aussi des abandons. Comme nous sommes dans une histoire vraie le happy end peut servir de modèle pour bien des personnes qui se battent pour retrouver tout ou partie de leur motricité physique ou linguistique. Le graphisme d'Olivier Perret fait sobrement le travail sans esbroufe dans un style documentaire bien lisible. La mise en couleur où les jaunes et ocres dominent est basique mais rend cette ambiance fade des salles d'hôpitaux. En creux la série rend hommage à la chaîne de soins qui a permis à Bruno d'être sauvé et de pouvoir commencer une nouvelle vie. Un récit documentaire bien mené sur un sujet peu visité. Une lecture rapide qui peut aider des malades. 3.5
Ish & Mima - Aeon world
Je tourne autour de cet album depuis sa sortie, il m'a eu à l'usure... Les éditions Kinaye nous propose un magnifique écrin au grand format. J'ai eu du mal à classer ce récit, car si la plus grande partie de l'histoire est orientée jeunesse, quelques scènes sont très violentes. Le point fort de cet ouvrage est incontestablement la partie graphique dans un style qui fait penser dans son trait et sa colorisation à Moebius et à Miyazaki. Une touche manga très présente, principalement dans les expressions des personnages (humain et animal). J'ai apprécié l'originalité des décors et de la mise en page. Un dessin qui manque parfois de maîtrise, mais l'ensemble est vraiment très bon et permet une immersion dans ce monde mélangeant science-fiction et fantasy. Le monde d'Aeon, Mima et Ish font partie d'une caste inférieure, leur vie est toute tracée, elle sera corvéable au service de la reine Nyw'Olin. Mais leur amour va leur donner le courage de s'échapper et de partir à la recherche de l'Usil, un éden sous la protection de La'ab, le frère de Nyw'Olin. Un récit bien structuré, linéaire et sans grande surprise, c'est surtout l'univers de cette planète fantasy que met en place Jules Naleb qui m'a fasciné. Une petite présentation sur les premières pages nous plonge dans ce monde sous le joug d'une reine cruelle, elle ne rêve que de vengeance. Une lecture agréable, le rythme est soutenu. D'autres albums devraient suivre pour approfondir le monde d'Aeon. Je serai du voyage. Jules Naleb un artiste à découvrir. Pour l'adulte que je suis, la juste note serait de 3 étoiles. Mais je prends en compte le public visé : jeune (mais pas trop) --> 4 étoiles.
L'Île aux orcs
C'est un feuilletage rapide et sa magnifique couverture qui m'ont fait craquer. Et là, c'est le jackpot. Quel plaisir de retrouver le tandem de Goodnight paradise, il sera cette fois-ci accompagné par le génialissime Matt Hollingsworth à la couleur. De la Fantasy comme on n'en voit pas souvent. Tous les ingrédients sont présents pour faire de ce récit une réussite. Trois personnages principaux, Cerrin fils sion est un demi-elfe, Urghria est une pirate qui a perdu son équipage, ils vont s'associer pour aller voler des crânes d'orc sur l'île aux orcs pour faire fortune et ainsi s'extirper de leur condition misérable. Mais pour cela ils ont besoin de magie, Urghria va acheter un mage au temple, le triste Andune. Des protagonistes qui vous surprendront. Un monde de désolation sous la coupe d'une religion qui ne pense qu'à son bien-être. Un monde où l'on peut découvrir des temples volants et leurs patriarches, des créatures fantastiques et des orcs. Un monde inégalitaire et violent où le sang coule à flot, où les crânes sont fracassés et les langues arrachées. Un récit captivant et sans temps mort qui prend soin de bien planter le décor et les acteurs avec un zeste d'humour. Les surprises seront au rendez-vous, je ne m'attendais pas à une telle fin. Une triste parabole, bien mal acquis... Une narration maîtrisée de bout en bout. Joshua Dysart est un scénariste à suivre. Le dessin est une tuerie, dans tous les sens du terme, Alberto Ponticelli a réalisé un travail fantastique. La mise en page audacieuse permet d'en prendre plein les mirettes, les décors sont fabuleux, que ce soit cette jungle sauvage ou la cité des orcs. Inventif, expressif, immersif et dynamique. Il me faut aussi mettre en avant le travail extraordinaire de Matt Hollingsworth, ses choix de couleurs apportent une touche singulière à ce récit sanguinolent. N'hésitez pas à feuilleter l'album en librairie, la galerie ne rend pas hommage à ce visuel de toute beauté. J'ai ajouté deux nouvelles images depuis. Un indispensable pour tous les aficionados de Fantasy. Foncez, foncez et foncez. Un comics à la puissance animale indéniable, la séance de torture sur la croix est d'une cruauté extrême. Âmes sensibles s'abstenir. Après relecture, le 5 étoiles est une évidence. Un souffle épique rarement atteint. Gros coup de cœur. "Tout peuple est ennemi de lui-même". Quelques coquilles, une relecture de l'éditeur aurait été nécessaire. Grrr.
Le Bleu est une couleur chaude
Tiens, il y a eu plusieurs avis postés dernièrement, pourquoi ne pas les rejoindre ? J'avais découvert l'album il y a de ça plusieurs années quand j'étais au collège, bien avant que l'innommable adaptation de Kechiche ne voit le jour. Je me rappelle l'avoir beaucoup aimé (il faut dire que j'étais en plein début de ma passion pour les histoires d'amour à l'époque) et je trouve que l'album reste toujours bon aujourd'hui. L'histoire est celle de Clémentine et d'Emma, deux jeunes femmes s'étant aimées passionnément. En fait, l'histoire est surtout celle de la mort de Clémentine, puisque son histoire nous sera racontée par les journaux qu'elle a légué à Emma. Découverte des sentiments amoureux, acceptation de soi, passion dévorante, désir sexuel, tromperies, mort, … Ah, c'est sûr, moi qui apprécie les histoires d'amour tragiques avec pathos dégoulinant, je suis servie ! Bon, ce pathos est peut-être un défaut de l'œuvre, si je me doit d'être objective, mais il n'en est pas moins réaliste. L'acceptation compliquée de son homosexualité (en tout cas de son saphisme ici), les histoires d'amour passionnées mais chaotiques, les morts malheureuses, la culpabilité, … tout cela fait partie de notre réalité. Bon, on pourrait considérer que l'album rentre tout de même dans le cliché "bury your gays" mais je lui pardonne volontiers car l'histoire reste prenante et bien écrite. Le dessin de Julie Maroh est très beau, notamment au niveau des visages (je les trouve très vivants, surtout au niveau des yeux et des lèvres). L'utilisation des teintes de gris uniquement contrastés par l'éponyme couleur bleue donne une très belle esthétique à l'album durant les flashbacks. Pas aussi excellente que dans mes souvenirs mais une histoire d'amour qui mérite tout de même sa bonne réputation. (Note réelle 3,5)
Fantasy - Yourcenar / Alma
Cette BD de Yoann Kavege propose deux récits captivants en un seul ouvrage. L’histoire d’Alma, qui est pleine d’aventures et de questionnements intérieurs, se mêle à celle de Yourcenar, qui explore la mémoire et beaucoup plus philosophique. Le dessin est élégant et les couleurs enrichissent parfaitement l’atmosphère de chaque récit. Un excellent mélange de réflexion et d’introspection, qui ravira les amateurs de récits profonds et littéraires.
Elise et les nouveaux partisans
L’album divise visiblement, et ne recueille d’ailleurs pas beaucoup d’avis, malgré la présence de Tardi au dessin. Eh bien moi je l’ai bien aimé. D’abord, pour revenir sur Tardi, parce que j’aime bien ce qu’il fait. Il excelle encore à représenter la banlieue parisienne, et il le fait d’autant plus volontiers que c’est pour mettre en avant des idées politiques (très à gauche) qui lui sont chères, ainsi qu’une dénonciation de certains pouvoirs politiques (le Gaullisme) et policier, durant les années 1960-1970. Tardi est aussi impliqué par le fait d’illustrer le travail de sa compagne. Qui nous présente ici un récit quasiment autobiographique, ainsi qu’une plongée dans l’histoire sociale et politique de ces deux décennies, du point de vue de l’extrême gauche. Ça a en tout cas le mérite de remettre sur le devant de la scène un certain nombre de faits et d’idées, oubliés, que ce soit autour de la guerre d’Algérie, des violences policières et patronales, ou de celles des gauchistes, dans ces années où l’État français s’est souvent éloigné de ses principes et de ses valeurs défendues (toute ressemblance avec certains faits plus récents – autour de la répression des Gilets jaunes par exemple – ne pourrait être que fortuite…). La narration est agréable, même si elle reprend de façon chronologique les luttes dans lesquelles Elise/Dominique Grange a été impliquée. Le sujet m’intéresse, et son traitement m’a plu.
Tom et William
Un étrange ovni que celui-ci ! Lefeuvre signe ici une œuvre à la fois très complète et un peu courte. Très complet, l'univers de Lefeuvre l'est indéniablement. Les prémisses du récit sont captivantes à souhait, et les diverses ramifications qu'il emprunte par la suite sont très bien trouvées et pleines de sens. Les multiples personnages inventés et mis en scène par l'auteur sont tous intéressants, et Lefeuvre sait quoi en faire. Et en même temps, la bande dessinée n'aurait pas manqué d'une vingtaine de pages en plus, voire d'un développement sur 2 ou 3 tomes. Une fois le concept lancé, on peut le développer à l'infini, et il aurait été agréable de pouvoir se promener davantage dans cet univers, une fois qu'on en a bien compris les codes. Mais bon, ça ne m'empêchera par de relire ce one shot ! Ce qui rend Tom et William aussi réussi, malgré quelques séquences d'une trop grande confusion narrative, c'est évidemment son magnifique dessin. Le trait extrêmement rigoureux de Lefeuvre alterne à merveille entre le réalisme et une stylisation évoquant certains types de comics. C'est très pertinent vu le sujet, et surtout incroyablement élégant. Alors certes, la lecture de ce one shot est un peu trop rapide, et on aurait aimé que l'auteur développe davantage les innombrables potentialités de son univers, mais en attendant, c'est agréable à lire, original et bien trouvé. Voilà une BD qu'on n'a pas l'impression d'avoir déjà lu mille fois mais qu'on a diablement envie de relire !
Retour à Tomioka
Si « Retour à Tomioka » a toutes les apparences d’une lecture jeunesse, elle devrait pouvoir séduire tout aussi bien les grands enfants jusqu’à 77 ans et plus… Il est d’ailleurs difficile de classer cet album dans une catégorie quelconque. Aventure intimiste et poétique, « Retour à Tomioka » est un manga au format franco-belge, co-réalisé par deux auteurs français : Laurent Galandon au scénario et Michaël Crouzat au dessin, ce dernier étant un nouveau venu dans la bande dessinée. Elément notable : d’’un sujet anxiogène lié à la catastrophe de Fukushima, les auteurs ont réussi à produire quelque chose d’étonnamment apaisant… C’est une très belle lecture qu’ils nous offrent, en plaçant au cœur de l’histoire deux orphelins, en particulier le jeune Osamu qui est prêt à braver les restrictions de circulation imposées par le gouvernement pour rendre un hommage décent à sa grand-mère qui vient de décéder. Lui seul semble en capacité de communiquer avec les yokai, ces petites créatures espiègles issues du folklore japonais, ce qui ajoutera une touche d’humour au récit tout en permettant de prendre du recul. En évitant le pathos lié à cette terrible tragédie, Laurent Galandon et Michaël Crouzat ont réussi à produire un récit que l’on pourrait croire imaginé par Hayao Miyazaki lui-même, un récit où la nature fait jaillir toute sa puissante poésie à la façon d’un feu d’artifice, mais cette fois dans la foulée d’une catastrophe nucléaire. Car même si la région de Fukushima semble rayée de la carte, cette nature en mutation, symbolisée par un yokai atomique monstrueux, montre qu’elle est toujours là et cherche à reprendre l’ascendant sur une invention humaine spectaculaire qui aurait échappé à son créateur… D’un point de vue graphique, si l’univers évoque celui de Miyazaki, on ne peut également s’empêcher de penser à Jirô Taniguchi pour cette façon de produire une atmosphère rassurante dans ce Japon bien ordonné. Le trait tout en simplicité de Michaël Crouzat est maîtrisé, de même que le cadrage et la mise en page, et quand on sait que cet auteur a longtemps officié dans le dessin animé, il n’y a guère de quoi être surpris, tant les séquences s’enchaînent avec une plaisante fluidité. On pourra relever également le beau travail sur la couleur d’Andrès Garrido Martin et Clara Patiño Bueno, avec des tonalités évoluant en fonction des passages. Tout cela fait de « Retour à Tomioka » une réussite incontestable qui a largement mérité son prix jeunesse à Angoulême. Il y a beaucoup de magie dans cet album qui nous invite à conserver la meilleure part de notre enfance, cette part qui donne accès au monde invisible et que l’on a trop souvent tendance à oublier lorsque vient l’âge adulte.
Miss Tattoo
Mais un bon deal valant mieux qu’un long et coûteux procès… - Ce tome constitue la première moitié d’un diptyque, d’une série centrée sur un nouveau personnage apparu pour la première fois dans les deux derniers tomes de la précédente série de l’auteur, Caroline Baldwin : Caroline Baldwin T18 - Half-blood (2018) & Caroline Baldwin - T19 - les faucons (2020), ainsi que dans le hors-série Caroline Baldwin, Miss Tattoo (2020). Son édition originale date de 2025. Il a été réalisé par André Taymans pour le scénario, les crayonnés et les couleurs, et par Elisabetta Barletta pour les dessins. Cyrielle Zurbrügg a servi d’inspiration et de modèle pour le personnage principal. Il comprend quarante-quatre pages de bande dessinée. Le récit s’apprécie mieux en ayant une connaissance des tomes 18 & 19 précités. Au cimetière de Notre-Dame-des-Neiges, à Montréal, par une belle journée ensoleillée, une femme blonde en robe verte d’été se repère avec un plan dans la main. Elle finit par trouver la tombe qu’elle recherche : celle de Caroline Baldwin. Dans un costume classique, Gary Scott se tient devant la stèle en attendant. Vanina Lao présente ses excuses : elle est en retard, malgré le plan fourni par Scott, elle s’est perdue dans ce labyrinthe. Il lui demande si elle a fait bon voyage. Elle répond par l’affirmative et ils se recueillent un instant en mémoire de la défunte. Puis Scott reprend la parole, il se demande ce qui a finalement décidé Lao à venir, le besoin de changer de vie dit-elle. Il lui tend les clés de la maison de Caroline, la demi-sœur de Vanina : la maison est à elle à présent, il a lui aussi besoin de changer de vie. Elle s’y rend avec son sac de voyage et pénètre à l’intérieur : tout est sens dessus-dessous. La maison a été fouillée de fond en comble et il y règne un désordre indescriptible. Le téléphone sonne, un modèle filaire : Vanina Lao répond et un interlocuteur anonyme la menace violemment en exigeant qu’elle rende le dossier qu’elle leur a piqué, dans les vingt-quatre heures. Passé ce délai, elle sera morte. Alors qu’elle est encore sous le choc, la porte s’ouvre et l’inspecteur Philips pénètre à l’intérieur. Elle réagit immédiatement en indiquant qu’elle n’a pas ce qu’il recherche. Il se présente comme étant de la police, et un ami de Gary. Il lui propose de s’asseoir et de discuter. Après quelques échanges, il essaye de contacter Scott sur son portable, mais ce dernier ne répond pas. En continuant de discuter, les deux interlocuteurs en déduisent que l’état de la maison doit être lié au boulot de Caroline chez Wilson Investigation. Après avoir fait le tour de la maison, Philips propose à Vanina de l’emmener à New York, pour tirer cette affaire au clair ; elle accepte. Le lendemain, dans la mégapole, ils se présentent à la porte desdits bureaux : ils se heurtent à deux policiers qui leur interdisent le passage. Philips reconnaît un nouvel arrivant, Terry, un inspecteur qu’il connaît. Ce dernier accepte de les faire entrer et leur expose la situation. C’est le gardien qui a donné l’alerte ce matin : la porte des bureaux de Wilson avait été fracturée, quelqu’un avait vidé les armoires, emporté les disques durs externes, et surtout ils ont laissé un joli macchabée. Dix-neuf albums pour la série Caroline Baldwin, personnage créé en 1996, deux albums supplémentaires (Double dames en 2021 et Le voyageur en 2023) et une fin en bonne et due forme… avec quelques questions laissées en suspens. Le scénariste change donc de personnage, tout en reprenant les fils de l’intrigue. Le lecteur hésite entre plus de la même ou quelque chose de différent : cela valait-il la peine de changer de personnage ? On change d’une héroïne brune et élancée pour une héroïne blonde et tatouée : la différence n’est pas criante, d’autant que la nouvelle subit plutôt les évènements, trimballée par l’inspecteur Philips qui fait son boulot avec une totale liberté, mais aussi une vraie compétence. L’histoire reprend le principe de ce cabinet d’investigation, avec un ou deux secrets de nature à déstabiliser les plus hauts niveaux de l’état américain, une conspiration dans laquelle Caroline Baldwin aurait pu se retrouver à son corps défendant, se comportant comme un éléphant dans un magasin de porcelaine pour mener son enquête. Elle aurait sans nul doute été plus dans l’action que Vanina Lao. Enfin, Taymans a quasiment dessiné cet album : il en a fait le découpage et les crayonnés, confiant la finition des dessins à une dessinatrice, comme il avait confié les dessins définitifs de Le voyageur à Nico van de Walle. Bon voilà donc un album qui semble s’apparenter à une nouvelle aventure de Caroline Baldwin qui ne dit pas son nom. D’un autre côté, c’est bien le même auteur, il n’est guère surprenant qu’il crée un album dans la lignée des précédents. Son héroïne se trouve impliquée dans une affaire de chantage concernant des documents susceptibles de nuire à la réélection du président des États-Unis, dans un plan organisé par son concurrent. Ce dernier est légèrement empâté, avec une étrange chevelure blonde alambiquée, il joue au golf, et ses subalternes l’appellent gouverneur Duck, un nom qui sonne étrangement au départ, jusqu’au moment où le lecteur fait le lien avec un prénom qui est à la fois celui d’un canard (Duck) et celui du quarante-cinquième président des États-Unis. Mais voilà que la situation se complique avec l’implication du cabinet Wilson Investigation, et celle de Gary Scott, l’ancien compagnon de Caroline par intermittence, et également agent du FBI. Le lecteur apprécie l’expérience consommée avec laquelle l’auteur met à profit la mythologie propre à ce pays, avec également une sombre histoire du suicide collectif des membres d’une secte, évoquant des affaires réelles similaires. Pour autant, le lecteur remarque également les différences significatives avec la série précédente, et elles vont plus loin que la couleur des cheveux et la présence de tatouage, ou encore une paire de lunettes. Pour commencer, Vanina Loa ne mène pas l’enquête : ce n’est pas son métier, à la différence de Caroline Baldwin. Ensuite, elle ne semble pas souffrir de symptômes dépressifs, peut-être que l’auteur lui-même a laissé derrière lui quelques-uns de ses propres démons. En revanche, elle est tout aussi à l’aise que Caroline avec la nudité, et l’auteur a conservé cette caractéristique avec une scène de douche, qui permet d’admirer l’intégralité des tatouages de Miss Tatttoo. Pour autant, la dessinatrice dispose de sa personnalité propre pour les traits de contour, avec une sensibilité différente de celle de Taymans, ce qui donne une allure moins sexy à ce passage, plus prosaïque. En effet, Barletta utilise des traits de contours moins épurés, plus fins et plus appliqués, aboutissant à un rendu plus minutieux pour les personnages, parfois proche de celui de Taymans pour quelques éléments de décors. En fonction de ses goûts, le lecteur peut trouver le visage des personnages un peu trop littéral, ou apprécier ce rendu descriptif plus proche du réel. La page de garde de l’ouvrage comprend une photographie de Cyrielle Zurbrügg ce qui permet de constater la ressemblance du personnage dessiné avec son modèle. La narration visuelle repose sur une documentation concrète et des dessins descriptifs et réalistes. Le lecteur peut avoir l’assurance de la vraisemblable de la représentation du cimetière de Notre-Dame-des-Neiges, des rues de New York, de la Maison Blanche, d’un restaurant asiatique en entresol, ou encore d’un motel en pleine cambrousse, et d’un lodge isolé dans une zone naturelle sauvage. D’un côté, les dessins de Barletta comprennent plus d’éléments que ceux de Taymans ; de l’autre, ce dernier donnait une meilleure sensation des grands espaces naturels. Quoi qu’il en soit, les dessins donnent à voir concrètement les environnements et les différents éléments comme les aménagements intérieurs, les ameublements, les accessoires variés. Grâce à cela, le lecteur peut croire que la maison de Caroline Baldwin était effectivement encore équipée d’un poste de téléphone filaire, le saccage consécutif à la fouille est patent, il ne manque rien à l’équipement de pêche de Philips, les enseignes avec idéogrammes chinois apportent un cachet authentique au quartier asiatique de New York, la scène de décollage d’hélicoptère sur la pelouse de la Maison Blanche semble provenir des informations télévisées, il fait bon rouler dans les routes de basse montagne dans la région de Denver, etc. Le talent de metteur en scène et de découpage d’André Taymans fait son effet et Barletta sait s’adapter pour compléter les esquisses en les respectant et en en gardant l’esprit. La campagne de financement participatif de l’album offrait la possibilité d’acquérir en plus un album souple collector en tirage limité reprenant l’intégralité du storyboard d’André Taymans. Le créateur de l’héroïne Caroline Baldwin et de sa série revient avec un nouvel album avec un personnage secondaire assumant le premier rôle : Miss Tattoo, inspirée par Cyrielle Zurbrügg. Le lecteur retrouve de nombreux éléments de la série originale, à commencer par une intrigue policière nourrie par des éléments d’actualité, dans le territoire américain, mettant à profit aussi bien ses grands espaces naturels que le potentiel d’un complot politique. Il apprécie la qualité de la narration visuelle en termes de découpage et de plan de prises de vue réalisés par André Taymans, il s’adapte rapidement aux dessins d’Elisabetta Barletta. Un polar divertissant avec quelques clins d’œil savoureux à des faits bien réels, comme l’art des affaires.