Oyez oyez lecteurs de BDthèque ! Roulement de tambour s’il vous plaît et faites rugir les trompettes pour Il était une fois en France, un chef-d’œuvre à savourer sans modération ! Cette série est dessinée par le génialissime Sylvain Vallée et celle-ci a été primée – excuser du peu - à Angoulême en 2011.
Vous allez plonger dans une œuvre où l’Histoire et l’art se rencontrent avec une puissance rare. Tout, absolument tout, est fascinant dans cette bande dessinée : du récit inspiré de faits réels, qui nous transporte dans les méandres de la résistance et de la collaboration, au trait puissant et expressif de Sylvain Vallée, chaque planche est une invitation à l’émotion et à la réflexion. C’est juste dingo !
Le découpage des pages est tout simplement parfait, un équilibre subtilement maîtrisé entre tension narrative et respiration visuelle. Les scènes s’enchaînent avec une fluidité qui captive, tandis que la colorisation, d’une richesse et d’une finesse exceptionnelles, renforce l’immersion et l’atmosphère de chaque époque évoquée. Les dessins, d’une beauté à couper le souffle, sont à la fois réalistes et chargés d’une intensité dramatique qui rend chaque personnage inoubliable. Un petit conseil... Ayez un peu de temps devant vous car quand vous allez commercer la lecture de la série, vous ne pourrez pas quitter votre canapé avant de découvrir la fin !
Il était une fois en France n’est pas seulement une bande dessinée : c’est une œuvre d’art totale, une plongée dans l’âme humaine à travers les tourments du XXe siècle. C’est le genre de série qui mérite une place de choix dans toutes les bibliothèques, et qui se savoure autant pour son contenu que pour sa forme.
C’est bientôt Noel ! C’est le cadeau idéal pour les amateurs de récits historiques, de dessin sublime et d’émotions fortes. Si vous cherchez une BD exceptionnelle à offrir, ne cherchez plus : cette série est un trésor à partager, une expérience de lecture qui marque à jamais. À mettre entre toutes les mains, sans hésiter ! Et bonne nouvelle, vous pouvez vous procurer la série sous forme d'intégrale.
Quel kiff cette lecture !
50ème avis, ça se fête.
Et pour la peine, il fallait bien un héros hors normes. Ayant déjà écrit sur un couple de gaulois, un petit teigneux et un gros costaud, c'est naturellement que notre ami à la houppette rousse fut désigné victime idéale
Mais comment passer après l'excellent avis rédigé par Deretaline au sujet de cette série cultissime. Quels arguments pourrai-je bien lui opposer, tant son argumentaire est bien construit ?
Un simple "Mais moi Tintin je kiffe" me semble bien fade et bien léger.
On va déjà commencer par évacuer le sujet du racisme et autres stéréotypes nauséabonds.
Raciste Tintin ? Je ne pense pas fondamentalement, dès 1936 Tintin se liera d'amitié avec un jeune chinois. Hergé peut être, sous les traits d'Haddock, mais pas son héros. D'ailleurs dans le Lotus Bleu, le rôle du raciste est tenu par un méchant.
Bourré de stéréotypes ? Indubitablement et tous ne sont pas heureux, loin de là.
Mais il ne faudrait pas oublier de quand date la série. On retrouve ces mêmes clichés chez Jacobs avec ses très british Blake et Mortimer
L'Europe colonialiste est encore une puissance importante et de part le monde les gens de couleurs sont estimés comme inférieurs et opprimés, Hergé n'étant finalement qu'un contemporain de son époque.
Est ce qu'aujourd'hui Tintin pourrait paraitre de la sorte ? Assurément et heureusement non.
Mais voilà il est paru dans les années 30, il y a presqu'un siècle. Est-on autant révolté en lisant du Blueberry paru 30 ans plus tard et dont le traitement des amérindiens n'est pas meilleur ? Fait on le même procès à Charlier ? Je n'en ai pas l'impression.
Moi, Tintin, je kiffe pour plusieurs raisons.
Ses aventures, et c'est important car le titre de la série c'est "Les Aventures de Tintin"
J'ai bien entendu mes préférées (les deux diptyques, l'île noire ou encore au pays de l'or noir) mais je trouve que toutes se lisent relativement bien. Et comme pour le petit gaulois je peux les lire et les relire à l'envie (en tout cas mes préférées).
L'écriture d'Hergé qui au contraire de Jacobs, n'en rajoute pas inutilement. Pas de voix off venant me dire "qu'un caillou rebondit sur le sol" quand il n''y a que ça dans la case. Hergé se contente de faire dialoguer ses personnages de manière plus ou moins développée mais je ne trouve jamais ça pompeux.
Le dessin d'Hergé, que je trouve bien meilleur que celui de certains de nos contemporains. Même si aujourd'hui il peut paraitre daté, je lui trouve une constance rare, une simplicité et une fluidité agréables et engageantes.
Ensuite j'ai un réel attachement, plus qu'à Tintin d'ailleurs, aux personnages secondaires créés par Hergé.
Le Capitaine Haddock, les Dupond et Dupont, sont uniques et valent rien qu'à eux le détour. Plus encore que les villageois d'Astérix, ils prennent une part prépondérante dans les aventures et apporte un vrai plus à la série.
Que ce soit l'effet comique des 2 policiers où le coté entier du capitaine, à chaque fois Hergé use d'eux à bon escient
Enfin Tintin, ça, s'est arrêté avec Hergé.
Là ou nombreux héros tirent sur la corde mercantile avec plus ou moins de réussite, je ne peux les citer tellement ils sont nombreux, le génie d'Hergé a été d'avoir imposé l'arrêt de la série avec sa mort. Et ça c'est un vrai plus pour moi
Au final, il est clair que pour moi Tintin est culte, il constitue une sorte de rite de passage. Comme si il était impossible de dire "je lis des BD" sans avoir lu une de ses aventures. Rares sont les nonagénaires à se porter aussi bien que notre héros.
PS: Deretaline j'ai adoré ton avis et plus encore ton PS :-)
Ayant apprécié le très bon Quartier lointain, je poursuis ma découverte de l'œuvre de Jiro Taniguchi avec "Le Journal de mon père"
Ici le mangaka nous propose une plongée dans les souvenirs d'enfance d'un homme qui, au décès de son père, s'interroge sur sa relation avec ce dernier.
Ce voyage introspectif est lent, très lent, Jiro Taniguchi nous laisse le temps de la réflexion. Cette lenteur peut se révéler par moment pesante. Pourtant je la trouve bienvenue. Elle nous permet de "comprendre" quelque peu le héros, enfant meurtri par le départ de sa mère, fuyant le poids des traditions dans ce Japon d'après guerre.
Cette relation distendue entre le père et le fils a eu chez moi une résonnance très particulière.
Elle a remué des choses enfouies depuis un petit moment maintenant. Mais avec beaucoup de subtilités, sans auto-flagellation.
Graphiquement c'est très beau, les traits sont fins et même si les personnages ont tendance à se ressembler (en même temps ils sont de la même famille) on arrive quand même à les distinguer. Les décors sont vraiment soignés. Bref un vrai travail d'artiste.
Un ouvrage très intimiste, qui compte tenu de mon vécu aura su emporter mon adhésion.
Décidément Jiro Taniguchi sait me parler.
Quelle merveille que d'être ému aux larmes en finissant une BD. Et pourtant je dois dire que ce qui m'a marquée à la lecture, c'est ce sentiment de tristesse qui imprégnait une fin pourtant belle et presque heureuse. Est-ce parce que je suis plus sensible en ce moment ou parce qu'elle a su capter quelque chose qui m'a touchée particulièrement ? Je dirais surtout la seconde option, mais disons que les deux ne sont pas incompatibles.
Cette BD ne passe pas inaperçu depuis sa sortie, j'ai l'impression, et je me joins au concert de louanges. Déjà parce que l'autrice, Dano Sixtine, est ajoutée à ma liste de celle que je suivrais à l'avenir. Au-delà du récit, son trait est une des grandes découvertes de la BD. En finesse, jamais racoleur ou voyeur, subtil et pourtant précis, il est un régal visuel. J'ai été conquis presque à la couverture, mais en lisant la suite du récit j'étais convaincu. Elle arrive à rendre tangible beaucoup beaucoup de choses dont elle parle textuellement dans la BD, faisant des rappels visuels qui servent le propos. Un vrai travail de composition visuel, donc, un travail d'autrice de BD. Le tout est servi par un noir et blanc aux traits fins qui permets de jouer très vite sur l'émotion, sur l'indicible. C'est un trait sensible, plein de pudeur malgré son sujet.
Je dis pudeur car au-delà du voyeurisme qu'on imaginerait à voir de l'intérieur ce métier d'escort-girl, la BD n'est jamais construite sur un regard lubrique. Je ne sais pas à quel point le fait que ce soit une femme qui l'ait écrit joue dans le résultat, mais il est bien là. La BD est bien pudique, ne dévoilant pas tout de son héroïne, Sibylline, qui restera une femme dont nous serons qu'observateur. Que pense-t-elle, que vit-elle, qu'espère-t-elle ? Nous n'en saurons que l'essentiel, le récit n'étant pas là pour faire des états d'âme ou creuser un personnage. Il est là pour montrer une situation.
Et cette situation, c'est la violence d'un monde envers les femmes. Cette violence parsème le récit, d'une affiche de métro sexualisant leurs corps à des insultes dans la nuit, un rôdeur qui te suit quand tu rentres et des types qui profitent de toi parce qu'ils veulent tirer leurs coups. Et puis vient l'idée de faire escort-girl. Cette idée arrive tardivement dans le récit, après une lente construction de ce monde hostile, violent. L'escorting n'est pas tant traité que ça, ici. Ce que nous voyons, c'est une jeunesse qui veut étudier, qui rêve d'avenir (si elle l'espère encore) et a qui on ne donne pas les moyens d'y parvenir facilement. Un monde de riches et de pauvres, de fins de mois difficiles et d'étude chères, de sexisme ordinaires et de regard sur le corps des femmes constant. Comme d'autres BD (Le Dernier été de mon innocence, Tout est possible mais rien n'est sûr notamment) c'est un regard posé sur notre monde, un regard qui en souligne les pires travers. Encore une fois, je me dis que j'ai la chance inouïe d'être né homme, même si cette pensée est horrible.
Pour finir, je voudrais juste évoquer cette tristesse que j'ai dis ressentir à la lecture. Cette tristesse n'est pas spécifiquement liée au ton de la BD, qui n'est pas dans un ton précis, laissant le lecteur choisir la lecture qu'il en fera. Mais j'ai ressenti une tristesse infinie à la lecture de la conclusion, lorsque deux femmes que nous avons suivi tout au long du récit parlent d'avenir. Et elles s'imaginent partir au fond des bois, bâtir une cabane et vivre en paix. Si elle peut sembler mignonne, utopiste ou légère, je me suis surtout dit que si notre monde est si moche que deux jeunes femmes imaginent comme fin heureuse de s'en éloigner pour vivre loin de lui, il doit être sacrément pourri. C'est cette pensée qui prédomine après la lecture, mais je sais qu'une relecture reviendra bien vite. Et peut-être que j'en tirerais autre chose, comme c'est le cas des œuvres marquantes.
Un nouvel album de David B. à l'Association. Bien sûr que je prends et cet ouvrage est massif avec 250 pages d'un dessin noir et blanc somptueux. On a certaines pleines planches empilant les détails, les personnes ou encore les maisons, car elles meurent aussi, dans un subtil agencement d'une minutie incroyable. Au niveau de l'histoire cela se passe essentiellement au pays des Morts.
L'héroïne est une jeune femme dotée d'une ombre étrange. Elle franchit l'inframonde dans une sorte de ville de Paris inversée avec ses cafés et ses gargottes grâce à Monsieur Chouette, un étrange personnage. Un animal psychopompe qui permet de faire ce voyage interdit et guide la jeune femme pour qu'elle ne se fasse pas repérer par Cerbère. Car ce gardien des enfers flaire les vivants qui oseraient s'égarer parmi les morts.
Je mettrai un bémol sur le fait que l'histoire est un peu longue et pourrait lasser. La femme vit différentes aventures toujours poursuivie par Cerbère, il y a une grosse part de rêverie mais cet autre monde a sa cohérence, il faut se laisser porter.
Iznogoud est jouissif, comme il se donne du mal pour en faire aux autres, comme le remarque son fidèle homme de main. Et tout cela… en vain ! Comique de répétition comme le coyote de bip bip, mais on est d'autant plus content qu'il échoue qu'il trahit cette grosse mollusque de calife dont la bonté et la mollesse garantissent au peuple de ne pas être trop maltraité. Les jeux de mots, Bagdad entre Mille et une nuit et allusions à l'actualité, tout me semblait parfait avec les créateurs originels ! Et c'est ce que je note. Les dessins ont du style, humoristiques, ils n'empêchent pas le dépaysement, ce qui me semble en somme difficile à harmoniser. Bravo ! A relire un jour de tristesse politique.
Le tourisme de masse vaincra !
-
Cet ouvrage est une anthologie de gags sur le thème du tourisme destructeur. Son édition originale date de 2025. Il a été réalisé par Zidrou pour le scénario, Éric Maltaite pour les dessins, la colorisation ayant été réalisée par Philippe Ory & Hosmane Benahmed. Il comprend cinquante-trois pages de bande dessinée. Ces créateurs ont également réalisé le diptyque Hollywoodland (Maltaite/Zidrou) (2022 & 2023), ainsi que L'Instant d'après (2020).
Venise : un couple de touristes tire leur valise à roulettes, perdus dans les ruelles, à la recherche du port où est amarré leur paquebot M.S.T. (Marine Solidaire Tantrique). Le mari se plaint du poids de sa valise, et son épouse explique qu’elle contient le gorgonzola qu’elle a acheté pour remercier la voisine d’avoir nourri leurs perruches et fouiné partout dans la maison. Soudain le monsieur repère une gondole abandonnée, et ils montent dedans, le mari se chargeant de manier la rame. Il demande à son épouse de chercher le grand canal sur Gougle Maps, c’est leur A7 à eux. Elle ne parvient pas à lire la réponse qui affiche Canale grand di Venezia. Elle opte pour taper leur adresse en France, pour rejoindre leur pavillon en gondole. Ils sont interceptés par un commando du groupe terroriste FZT.
Au Machu-Picchu, deux lamas regardent la foule de touristes, tout en se faisant photographier. L’un demande à l’autre, ce qu’il y a de plus bête qu’un touriste. Réponse 2.789 touristes. Il développe son propos critique : Mais regarde-moi ces trépanés du cervelet. Franchement ! Grimper à 2.340 mètres au-dessus du niveau de la mer pour tomber aussi bas ! Y a que des ruines, ici ! Des ruines qui visitent d’autres ruines. Une civilisation perdue qui visite une autre civilisation perdue. C’est bon, ils ont leurs selfies pouraves avec le site du Machu-Picchu en arrière-plan, et eux – comme il se doit – au premier plan. Ils peuvent barrer Machu-Picchu de leur To do list. Et remonter dans leur avion low-cost, pour retrouver leur vie Lacoste dans leur pays : en Egoland. Non sans avoir au préalable acheté à l’aéroport une peluche de condor Made in China pour leur gamine qui en leur absence a nourri les plantes et arrosé le chat.
Route d’accès à la station de ski Val d’Hiver, un groupe des trois amies monte vers la station en voiture, tout en commençant à regretter de ne pas avoir mis de chaînes. Elles doivent s’arrêter devant un barrage de police. Elles sortent de voiture, et une policière leur explique qu’il a plu à monsieur Fusk de privatiser Val d’Hiver pour son bon plaisir et celui de sa 11e épouse. Il a privatisé toute la station, pour un budget correspondant à l’équivalent du P.I.B. du Mali… sauf qu’il n’y a pas une montagne digne de ce nom au Mali. Les trois copines demandent s’il a également privatisé le téléphérique de la Grande Chartreuse, le spa du Magic Hotel, la terrasse du restaurant panoramique du Mont Beige. La réponse est sans équivoque, tout est privatisé, et une flottille de drones a été déployée pour repérer les immigrants clandestins.
Une bande dessinée éditée par Fluide Glacial, un titre sciemment provocateur (dont les initiales forment l’acronyme FZT, le nom du groupe terroriste anti-touristes), une illustration clairement critique de cette race de décérébrés, avec la représentation de ce couple apparaissant au mieux comme des imbéciles heureux qu’il convient d’exterminer. Les auteurs s’inscrivent avec énergie dans le registre comique associé à cet éditeur et au mensuel afférent, y faisant même une référence explicite. Un touriste explique qu’à Auschwitz-Birkenau, il faut payer un supplément pour entrer dans les chambres à gaz depuis qu’un vandale a tagué : Fluide Glacial umour et bandessinées disponible en kiosque tous les mois. S’il est un habitué de la sensibilité humaniste du scénariste, le lecteur peut s’attendre à un choc en découvrant un humour réellement mordant. En phase avec cette démarche, l’artiste ne ménage pas l’apparence visuelle des différents touristes : gras du bide, habillés de manière voyante et vulgaire, ou au contraire aguichante pour un selfie, avec souvent des expressions de visages trahissant un QI bas du front, leur condescendance pleine de morgue, leur entrain pour consommer des paysages et des lieux avec une appétence proche de la dévoration, et une suffisance sans limite. Chaque lecteur se retrouve à se reconnaître dans un comportement ou un autre. Accablant.
Dans le même temps, les auteurs font preuve d’une forme d’empathie envers ces touristes au comportement crétin et destructeur, irresponsable. D’accord, le couple de quadragénaires ou quinquagénaires à Venise se sent supérieur avec une légitimité à être traité prioritairement sur les autochtones : leur condition de touriste implique que leur environnement existe pour satisfaire leurs exigences d’exotisme, et doit se conformer à leurs attentes. Toutefois, ils apparaissent sympathiques, constructifs dans leurs actions pour pouvoir jouir de leur voyage, totalement vulnérables quand ils se retrouvent dans la situation dépeinte sur la couverture. La deuxième histoire est racontée du point de vue de deux lamas, qui suscitent également la sympathie du lecteur, mais c’est un peu différent, pas vraiment des touristes. Dans la troisième histoire, les trois jeunes femmes sont fort sympathiques, cherchant juste à skier, profondément et sincèrement choquées qu’un seul individu puisse privatiser une grande station de ski. Impossible d’éprouver de la sympathie pour le troupeau de touristes venus assister au débarquement de migrants dans une embarcation de fortune. En revanche, impossible de se retenir d’en éprouver une pointe pour ce couple souhaitant photographier le dernier rhinocéros vivant au monde, pour le collectionneur de guides du Routard, pour la ribambelle de gugusses souhaitant réaliser un selfie souvenir qui en mettra plein la vue à leurs amis, avec eux au premier plan, et le site remarquable en arrière-plan… et pourtant leur comportement est insupportable, tout en étant simplement humain.
L’illustration de couverture rend évident le talent de l’artiste pour croquer des individus normaux, avec une touche caricaturale, que ce soit la bouille ronde et bonhomme de monsieur, ou le double menton et les bijoux massifs et en toc de madame. Ce dosage entre détails réalistes et exagération rend chaque personnage très vivant, que ce soit les acharnés de la photographie ou du selfie, le mari fier de sa moustache et de son chapeau safari, Chantal qui fait penser à Mademoiselle Jeanne, le petit groupe de Belges joueurs de pétanque, la jolie guide blonde touristique maniant le pistolet à bord du bus de touristes, les vieilles dames âgées touristes aussi avides que les autres, la quinquagénaire plantureuse qui pose ses seins dénudés sur la table pour faire admirer les tatouages qui les ornent, le couple homosexuel passant en revue les options de destination dans une agence de voyage (sans S), etc. Le lecteur constate rapidement que le dessinateur réalise des planches avec un fort niveaux de détails, donnant à voir chaque lieu avec des éléments visuels consistants, attestant d’un vrai travail de recherche de référence, de repérage. Il est possible de voir les gondoles et les canaux de la cité des doges, et aussi les quais, les façades, le type de lampadaires, etc. L’histoire sur la station de ski permet d’admirer l’implantation des chalets et des installations sur la montagne, un téléphérique, le spa en plein air d’un hôtel, etc. La visite de Barcelone montre la Sagrada Familia, le Mercat, la façade du grand théâtre du Liceu, le quartier gothique, la plage. L’avant-dernière histoire offrent de magnifiques cases de balades dans la campagne française. Etc.
La verve comique des deux auteurs repose sur une attaque virulente du tourisme de masse et de ses ravages. Ils réagissent en créant des situations aussi énormes que ce phénomène, allant jusqu’à l’absurde. Le lecteur apprécie qu’ils se lâchent ainsi : un groupe terroriste dézinguant les touristes pour préserver leur environnement quotidien de cette horde d’envahisseurs sans cesse renouvelée, la privatisation d’une station de ski de grande envergure, le débarquement de migrants transformé en spectacle pour touristes, la réplique grandeur nature visitable de la statue de la Liberté pour ne pas abîmer l’originale, les quatre-vingt-trois ans de liste d’attente avant de pouvoir visiter le camp de concentration et d’extermination d’Auschwitz-Birkenau, l’île paradisiaque s’enfonçant dans les eaux sous le poids des touristes, etc. Avec une tonalité misanthrope dirigée contre cette engeance que sont les touristes en groupe, également avec une belle inventivité. Le scénariste se moque de marques bien connues au travers de détournement comme Diatribadvisor, Gougle Maps, MST (Marine Solidaire Tantrique), Cretinstagram. Il évoque des personnalités comme Elon Musk, Liliane Bettencourt, Philippe Gloaguen. Ces aventures reposent sur des phénomènes concrets, aussi bien par la fausse dérision (l’interdiction de l’usage des pailles) que par la réalité des ravages du surtourisme, la privatisation par les indécemment riches, l’immigration avec des embarcations du fortune sur la mer Méditerranée, la vague d’extinction des espèces animales, la montée des eaux, la marchandisation universelle… jusqu’à la disparition, ou plutôt l’extermination de la notion de bien commun. Rien ne peut s’opposer à la marchandisation des lieux et des populations, cette pratique abêtifie ceux qui la pratiquent en masse, s’abattant tel un fléau sur leur destination, tel un ogre dont rien ne peut arrêter la dévoration… quitte à ce qu’il périsse lui-même dans ses actions vaines pour rassasier sa faim inextinguible.
Un vrai plaisir de retrouver l’humour mordant et critique de ce duo d’auteurs s’exerçant contre le touriste en groupe, la chute en flèche de son Q.I., sa conviction que tout lui est dû et tout lui est permis, et que sa destination n’existe que pour le satisfaire. Le dessinateur réalise des planches à l’équilibre parfait entre solides descriptions et exagération comique. Le scénariste pousse le curseur de l’exagération à la dimension de l’horreur du surtourisme, alors même que son humanisme lui fait conserver une sympathie pour ces êtres humains, tout en brossant le portrait d’une pratique destructrice dans un monde déjà livré aux démons du capitalisme, du manque de culture, et de l’indifférence à la souffrance humaine. Salvateur.
Un auteur est né ! La dame a un style épuré qui pourtant ne manque pas de chair, que ce soit dans le récit ou dans le coup de trait ! Le faux coupable et le flic fatigué me plaisent bien dans leur relation à la fois distante et filiale. L'auteur sait montrer le ciel, le métro, l'appartement, des visages fins, surtout celui du jeune héros, d'une manière différente, les fait redécouvrir. Les deux personnages principaux ne sont pas des Blancs sans que pour autant on se focalise sur cette caractéristique : bien trop pris par l'intrigue pour en faire plus de cas que par le vide qui règne toujours plus ou moins dans les cases. Solitudes des personnages, esthétique, philosophie bouddhique ? En tout cas, il intrigue, plus prenant que la ville et presque que l'intrigue… Des traits si purs et un vide qui n'étouffe pas mais qui oscille entre écrin de solitude et respiration sont rares.
Avec Gaston, on oscille entre rire, sourire et tendresse… Si Gaston nous libère par sa fantaisie, on aime tout le monde. Bien sûr, je dirais comme tout le monde, tous ses potes, et la mouette, et le chat, et l'instrument de musique qui fait fuir les taupes du champ des paysans où il va l'essayer. Mais aussi tout le monde, tout le monde ! Les collègues de Gaston, qui sont gentils avec lui, l'agent de police psychorigide mais pas méchant, l'homme d'affaires qui n'arrive pas à signer les contrats mais ne demande jamais qu'on saque Gaston. Et il y a le trait incisif et tendre de Franquin ! Son dynamisme. Assez de détails pour qu'on ait plaisir à relire, mais pas trop pour ne pas ralentir la lecture. Il fait aimer le moindre objet, les voitures notamment, normales, et plus encore étranges comme le char de notre héros. Les frites ? On en sent l'odeur et on a envie de les manger. Et l'idylle avec M'oiselle Jeanne. Bref, en écrivant, je me sens fondre, ce qui méritera un coup de cœur !
Depuis René·e aux bois dormants, un premier album acclamé par la critique et auréolé du Grand Prix ACDB, Elene Usdin ne s’est pas reposée sur ses lauriers. L’autrice française nous revient ici avec un ouvrage produit à quatre mains, avec Boni, quasi-inconnu dans la bande dessinée mais référencé comme « artiste pluridisciplinaire », « compositeur, scénariste, artiste visuel, multi-instrumentiste et développeur sonore ». Les deux artistes ont ainsi mis en commun leur savoir-faire graphique et scénaristique pour produire « Detroit Roma », un objet que l’on peut qualifier de monumental, à mi-chemin entre l’ « art séquentiel » cher à Will Eisner et le livre d’art, et bénéficiant de la qualité éditoriale, désormais proverbiale, de l’éditeur Sarbacane
Et ce qui saute aux yeux ici, c’est bien la puissance visuelle qui se déploie sur ces pages au format à l’italienne, un choix assez logique au regard du titre, mais un format qui rappelle également le septième art, une thématique qui imprègne tout le livre.
Ce dont parle « Detroit Roma » en quelques mots, c’est cette fascination des Européens pour le fameux rêve américain, en confrontation avec les histoires les plus sordides dans un pays où l’argent est roi, où la cupidité de quelques-uns conduit une vaste frange de la population au bord de la pauvreté. C’est ainsi que démarre le récit, avec l’arrivée dans un motel des deux protagonistes, Summer et Becki, avec une référence bien trouvée au cultissime « Thelma & Louise ». Issue d’une famille très modeste, Becki en sera la narratrice, évoquant son enfance difficile à Detroit, ville touchée de plein fouet par le déclin industriel, la mort de sa mère noyée dans sa baignoire ou le combat quotidien de son père pour subvenir aux besoins du foyer. Elle trouvera son salut dans sa passion pour le dessin et le « street art ». Quant à Summer, elle est son antithèse absolue en apparence. Fille d’une ancienne actrice aisée mais désormais en fin de course, elle est loin d’être dans le besoin mais cherche une échappatoire entre cette mère aigrie et alcoolique, et un père queutard se complaisant dans les orgies. Summer côtoie les milieux artistiques underground, au grand dam de sa mère. Becki, en quête de petits boulots pour pouvoir satisfaire sa passion artistique, va être recrutée par Gloria en tant qu’aide à domicile et sera amenée à faire la connaissance de Summer. Les deux jeunes filles découvriront bientôt les raisons de l’étrange complicité qui les unit. Notons que ces deux personnages sont assez réalistes psychologiquement et également touchants dans leur fragilité.
On ne rentre pas si facilement dans ce récit globalement assez lent et à la narration morcelée. Mais heureusement, l’incroyable force du graphisme permet de patienter jusqu’à la moitié du livre, c’est alors que les éléments commencent à se mettre en place, avec des révélations qui pourront émouvoir les cœurs les plus sensibles.
Mais clairement, c’est bien le graphisme le gros point fort de « Detroit Roma ». Le travail à quatre mains donne lieu à une succession de styles très variés mais qui mystérieusement parviennent à trouver leur équilibre et leur cohérence. On retrouve bien la patte d’Elene Usdin avec son art maîtrisé de la couleur dont elle avait fait preuve avec « Renée aux bois dormants ». On pourra en déduire que les séquences monochromes, plus sombres, ont été réalisées par Boni. Les séquences cinématographiques, contemplatives et plus « optimistes », avec moult références au cinéma hollywoodien ou italien du XXe siècle (Fellini, Pasolini, Jarmusch, Cassavetes, Coppola ou encore Wim Wenders), mais également à la Rome antique, s’enchaînent avec les scènes plus âpres, teintés d’onirisme, où souvent la violence et l’anxiété entrent en jeu.
Mais au-delà des représentations clichées (et pleinement assumées) de l’Amérique des grands espaces, des drive-in et de l’imaginaire collectif, Usdin transcende par sa palette arc-en-ciel un monde où le bonheur résiderait, à tort ou à raison, dans le clinquant consumériste. Sous son pinceau, elle parvient à rendre « artistique » un très moche rayonnage de supermarché ou une zone commerciale hérissée d’enseignes KFC ou H&M. Et ça, c’est très fort, et ça rappelle un peu ce qu’avait fait Edward Hopper avec son célèbre tableau « Essence ». Dans cette Amérique sans passé, les constructions, souvent délabrées, prennent parfois des airs de décors de cinéma, dégageant un sentiment de grande solitude. Ponctuant la narration, les portraits en esquisse d’anonymes d’une Amérique pré-trumpiste, loin des spots, confèrent un côté authentique à l’objet.
Si « Detroit Roma », incontestablement un ouvrage qui marquera cette année 2025 (un OVNI peut-être, mais pas pour autant hermétique), confirme le talent d’Elene Usdin, il révélera aussi celui de Boni, dont c’est la première incursion dans le neuvième art. Ce road trip dense et visuellement généreux comblera sans aucun doute les cinéphiles, mais aussi celles et ceux qui aiment l’ « Amérique » pour ce qu’elle est — ou plus précisément ce qu’elle a été, étant donné le contexte actuel —, avec ses qualités et ses travers. Celles et ceux qui savent qu’à côté des rêves les plus ostentatoires, le cauchemar demeure en embuscade, et parfois vient gangréner toute une société.
En France, les livres sont au même prix partout. C'est la loi !
Avec BDfugue, vous payez donc le même prix qu'avec les géants de la vente en ligne mais pour un meilleur service :
des promotions et des goodies en permanence
des réceptions en super état grâce à des cartons super robustes
une équipe joignable en cas de besoin
2. C'est plus avantageux pour nous
Si BDthèque est gratuit, il a un coût.
Pour financer le service et le faire évoluer, nous dépendons notamment des achats que vous effectuez depuis le site. En effet, à chaque fois que vous commencez vos achats depuis BDthèque, nous touchons une commission. Or, BDfugue est plus généreux que les géants de la vente en ligne !
3. C'est plus avantageux pour votre communauté
En choisissant BDfugue plutôt que de grandes plateformes de vente en ligne, vous faites la promotion du commerce local, spécialisé, éthique et indépendant.
Meilleur pour les emplois, meilleur pour les impôts, la librairie indépendante promeut l'émergence des nouvelles séries et donc nos futurs coups de cœur.
Chaque commande effectuée génère aussi un don à l'association Enfance & Partage qui défend et protège les enfants maltraités. Plus d'informations sur bdfugue.com
Pourquoi Cultura ?
Indépendante depuis sa création en 1998, Cultura se donne pour mission de faire vivre et aimer la culture.
La création de Cultura repose sur une vision de la culture, accessible et contributive. Nous avons ainsi considéré depuis toujours notre responsabilité sociétale, et par conviction, développé les pratiques durables et sociales. C’est maintenant au sein de notre stratégie de création de valeur et en accord avec les Objectifs de Développement Durable que nous déployons nos actions. Nous traitons avec lucidité l’impact de nos activités, avec une vision de long terme. Mais agir en responsabilité implique d’aller bien plus loin, en contribuant positivement à trois grands enjeux de développement durable.
Nos enjeux environnementaux
Nous sommes résolument engagés dans la réduction de notre empreinte carbone, pour prendre notre part dans la lutte contre le réchauffement climatique et la préservation de la planète.
Nos enjeux culturels et sociétaux
La mission de Cultura est de faire vivre et aimer la culture. Pour cela, nous souhaitons stimuler la diversité des pratiques culturelles, sources d’éveil et d’émancipation.
Nos enjeux sociaux
Nous accordons une attention particulière au bien-être de nos collaborateurs à la diversité, l’inclusion et l’égalité des chances, mais aussi à leur épanouissement, en encourageant l’expression des talents artistiques.
Votre vote
Il était une fois en France
Oyez oyez lecteurs de BDthèque ! Roulement de tambour s’il vous plaît et faites rugir les trompettes pour Il était une fois en France, un chef-d’œuvre à savourer sans modération ! Cette série est dessinée par le génialissime Sylvain Vallée et celle-ci a été primée – excuser du peu - à Angoulême en 2011. Vous allez plonger dans une œuvre où l’Histoire et l’art se rencontrent avec une puissance rare. Tout, absolument tout, est fascinant dans cette bande dessinée : du récit inspiré de faits réels, qui nous transporte dans les méandres de la résistance et de la collaboration, au trait puissant et expressif de Sylvain Vallée, chaque planche est une invitation à l’émotion et à la réflexion. C’est juste dingo ! Le découpage des pages est tout simplement parfait, un équilibre subtilement maîtrisé entre tension narrative et respiration visuelle. Les scènes s’enchaînent avec une fluidité qui captive, tandis que la colorisation, d’une richesse et d’une finesse exceptionnelles, renforce l’immersion et l’atmosphère de chaque époque évoquée. Les dessins, d’une beauté à couper le souffle, sont à la fois réalistes et chargés d’une intensité dramatique qui rend chaque personnage inoubliable. Un petit conseil... Ayez un peu de temps devant vous car quand vous allez commercer la lecture de la série, vous ne pourrez pas quitter votre canapé avant de découvrir la fin ! Il était une fois en France n’est pas seulement une bande dessinée : c’est une œuvre d’art totale, une plongée dans l’âme humaine à travers les tourments du XXe siècle. C’est le genre de série qui mérite une place de choix dans toutes les bibliothèques, et qui se savoure autant pour son contenu que pour sa forme. C’est bientôt Noel ! C’est le cadeau idéal pour les amateurs de récits historiques, de dessin sublime et d’émotions fortes. Si vous cherchez une BD exceptionnelle à offrir, ne cherchez plus : cette série est un trésor à partager, une expérience de lecture qui marque à jamais. À mettre entre toutes les mains, sans hésiter ! Et bonne nouvelle, vous pouvez vous procurer la série sous forme d'intégrale. Quel kiff cette lecture !
Les Aventures de Tintin
50ème avis, ça se fête. Et pour la peine, il fallait bien un héros hors normes. Ayant déjà écrit sur un couple de gaulois, un petit teigneux et un gros costaud, c'est naturellement que notre ami à la houppette rousse fut désigné victime idéale Mais comment passer après l'excellent avis rédigé par Deretaline au sujet de cette série cultissime. Quels arguments pourrai-je bien lui opposer, tant son argumentaire est bien construit ? Un simple "Mais moi Tintin je kiffe" me semble bien fade et bien léger. On va déjà commencer par évacuer le sujet du racisme et autres stéréotypes nauséabonds. Raciste Tintin ? Je ne pense pas fondamentalement, dès 1936 Tintin se liera d'amitié avec un jeune chinois. Hergé peut être, sous les traits d'Haddock, mais pas son héros. D'ailleurs dans le Lotus Bleu, le rôle du raciste est tenu par un méchant. Bourré de stéréotypes ? Indubitablement et tous ne sont pas heureux, loin de là. Mais il ne faudrait pas oublier de quand date la série. On retrouve ces mêmes clichés chez Jacobs avec ses très british Blake et Mortimer L'Europe colonialiste est encore une puissance importante et de part le monde les gens de couleurs sont estimés comme inférieurs et opprimés, Hergé n'étant finalement qu'un contemporain de son époque. Est ce qu'aujourd'hui Tintin pourrait paraitre de la sorte ? Assurément et heureusement non. Mais voilà il est paru dans les années 30, il y a presqu'un siècle. Est-on autant révolté en lisant du Blueberry paru 30 ans plus tard et dont le traitement des amérindiens n'est pas meilleur ? Fait on le même procès à Charlier ? Je n'en ai pas l'impression. Moi, Tintin, je kiffe pour plusieurs raisons. Ses aventures, et c'est important car le titre de la série c'est "Les Aventures de Tintin" J'ai bien entendu mes préférées (les deux diptyques, l'île noire ou encore au pays de l'or noir) mais je trouve que toutes se lisent relativement bien. Et comme pour le petit gaulois je peux les lire et les relire à l'envie (en tout cas mes préférées). L'écriture d'Hergé qui au contraire de Jacobs, n'en rajoute pas inutilement. Pas de voix off venant me dire "qu'un caillou rebondit sur le sol" quand il n''y a que ça dans la case. Hergé se contente de faire dialoguer ses personnages de manière plus ou moins développée mais je ne trouve jamais ça pompeux. Le dessin d'Hergé, que je trouve bien meilleur que celui de certains de nos contemporains. Même si aujourd'hui il peut paraitre daté, je lui trouve une constance rare, une simplicité et une fluidité agréables et engageantes. Ensuite j'ai un réel attachement, plus qu'à Tintin d'ailleurs, aux personnages secondaires créés par Hergé. Le Capitaine Haddock, les Dupond et Dupont, sont uniques et valent rien qu'à eux le détour. Plus encore que les villageois d'Astérix, ils prennent une part prépondérante dans les aventures et apporte un vrai plus à la série. Que ce soit l'effet comique des 2 policiers où le coté entier du capitaine, à chaque fois Hergé use d'eux à bon escient Enfin Tintin, ça, s'est arrêté avec Hergé. Là ou nombreux héros tirent sur la corde mercantile avec plus ou moins de réussite, je ne peux les citer tellement ils sont nombreux, le génie d'Hergé a été d'avoir imposé l'arrêt de la série avec sa mort. Et ça c'est un vrai plus pour moi Au final, il est clair que pour moi Tintin est culte, il constitue une sorte de rite de passage. Comme si il était impossible de dire "je lis des BD" sans avoir lu une de ses aventures. Rares sont les nonagénaires à se porter aussi bien que notre héros. PS: Deretaline j'ai adoré ton avis et plus encore ton PS :-)
Le Journal de mon père
Ayant apprécié le très bon Quartier lointain, je poursuis ma découverte de l'œuvre de Jiro Taniguchi avec "Le Journal de mon père" Ici le mangaka nous propose une plongée dans les souvenirs d'enfance d'un homme qui, au décès de son père, s'interroge sur sa relation avec ce dernier. Ce voyage introspectif est lent, très lent, Jiro Taniguchi nous laisse le temps de la réflexion. Cette lenteur peut se révéler par moment pesante. Pourtant je la trouve bienvenue. Elle nous permet de "comprendre" quelque peu le héros, enfant meurtri par le départ de sa mère, fuyant le poids des traditions dans ce Japon d'après guerre. Cette relation distendue entre le père et le fils a eu chez moi une résonnance très particulière. Elle a remué des choses enfouies depuis un petit moment maintenant. Mais avec beaucoup de subtilités, sans auto-flagellation. Graphiquement c'est très beau, les traits sont fins et même si les personnages ont tendance à se ressembler (en même temps ils sont de la même famille) on arrive quand même à les distinguer. Les décors sont vraiment soignés. Bref un vrai travail d'artiste. Un ouvrage très intimiste, qui compte tenu de mon vécu aura su emporter mon adhésion. Décidément Jiro Taniguchi sait me parler.
Sibylline - Chroniques d'une escort girl
Quelle merveille que d'être ému aux larmes en finissant une BD. Et pourtant je dois dire que ce qui m'a marquée à la lecture, c'est ce sentiment de tristesse qui imprégnait une fin pourtant belle et presque heureuse. Est-ce parce que je suis plus sensible en ce moment ou parce qu'elle a su capter quelque chose qui m'a touchée particulièrement ? Je dirais surtout la seconde option, mais disons que les deux ne sont pas incompatibles. Cette BD ne passe pas inaperçu depuis sa sortie, j'ai l'impression, et je me joins au concert de louanges. Déjà parce que l'autrice, Dano Sixtine, est ajoutée à ma liste de celle que je suivrais à l'avenir. Au-delà du récit, son trait est une des grandes découvertes de la BD. En finesse, jamais racoleur ou voyeur, subtil et pourtant précis, il est un régal visuel. J'ai été conquis presque à la couverture, mais en lisant la suite du récit j'étais convaincu. Elle arrive à rendre tangible beaucoup beaucoup de choses dont elle parle textuellement dans la BD, faisant des rappels visuels qui servent le propos. Un vrai travail de composition visuel, donc, un travail d'autrice de BD. Le tout est servi par un noir et blanc aux traits fins qui permets de jouer très vite sur l'émotion, sur l'indicible. C'est un trait sensible, plein de pudeur malgré son sujet. Je dis pudeur car au-delà du voyeurisme qu'on imaginerait à voir de l'intérieur ce métier d'escort-girl, la BD n'est jamais construite sur un regard lubrique. Je ne sais pas à quel point le fait que ce soit une femme qui l'ait écrit joue dans le résultat, mais il est bien là. La BD est bien pudique, ne dévoilant pas tout de son héroïne, Sibylline, qui restera une femme dont nous serons qu'observateur. Que pense-t-elle, que vit-elle, qu'espère-t-elle ? Nous n'en saurons que l'essentiel, le récit n'étant pas là pour faire des états d'âme ou creuser un personnage. Il est là pour montrer une situation. Et cette situation, c'est la violence d'un monde envers les femmes. Cette violence parsème le récit, d'une affiche de métro sexualisant leurs corps à des insultes dans la nuit, un rôdeur qui te suit quand tu rentres et des types qui profitent de toi parce qu'ils veulent tirer leurs coups. Et puis vient l'idée de faire escort-girl. Cette idée arrive tardivement dans le récit, après une lente construction de ce monde hostile, violent. L'escorting n'est pas tant traité que ça, ici. Ce que nous voyons, c'est une jeunesse qui veut étudier, qui rêve d'avenir (si elle l'espère encore) et a qui on ne donne pas les moyens d'y parvenir facilement. Un monde de riches et de pauvres, de fins de mois difficiles et d'étude chères, de sexisme ordinaires et de regard sur le corps des femmes constant. Comme d'autres BD (Le Dernier été de mon innocence, Tout est possible mais rien n'est sûr notamment) c'est un regard posé sur notre monde, un regard qui en souligne les pires travers. Encore une fois, je me dis que j'ai la chance inouïe d'être né homme, même si cette pensée est horrible. Pour finir, je voudrais juste évoquer cette tristesse que j'ai dis ressentir à la lecture. Cette tristesse n'est pas spécifiquement liée au ton de la BD, qui n'est pas dans un ton précis, laissant le lecteur choisir la lecture qu'il en fera. Mais j'ai ressenti une tristesse infinie à la lecture de la conclusion, lorsque deux femmes que nous avons suivi tout au long du récit parlent d'avenir. Et elles s'imaginent partir au fond des bois, bâtir une cabane et vivre en paix. Si elle peut sembler mignonne, utopiste ou légère, je me suis surtout dit que si notre monde est si moche que deux jeunes femmes imaginent comme fin heureuse de s'en éloigner pour vivre loin de lui, il doit être sacrément pourri. C'est cette pensée qui prédomine après la lecture, mais je sais qu'une relecture reviendra bien vite. Et peut-être que j'en tirerais autre chose, comme c'est le cas des œuvres marquantes.
Monsieur Chouette
Un nouvel album de David B. à l'Association. Bien sûr que je prends et cet ouvrage est massif avec 250 pages d'un dessin noir et blanc somptueux. On a certaines pleines planches empilant les détails, les personnes ou encore les maisons, car elles meurent aussi, dans un subtil agencement d'une minutie incroyable. Au niveau de l'histoire cela se passe essentiellement au pays des Morts. L'héroïne est une jeune femme dotée d'une ombre étrange. Elle franchit l'inframonde dans une sorte de ville de Paris inversée avec ses cafés et ses gargottes grâce à Monsieur Chouette, un étrange personnage. Un animal psychopompe qui permet de faire ce voyage interdit et guide la jeune femme pour qu'elle ne se fasse pas repérer par Cerbère. Car ce gardien des enfers flaire les vivants qui oseraient s'égarer parmi les morts. Je mettrai un bémol sur le fait que l'histoire est un peu longue et pourrait lasser. La femme vit différentes aventures toujours poursuivie par Cerbère, il y a une grosse part de rêverie mais cet autre monde a sa cohérence, il faut se laisser porter.
Iznogoud
Iznogoud est jouissif, comme il se donne du mal pour en faire aux autres, comme le remarque son fidèle homme de main. Et tout cela… en vain ! Comique de répétition comme le coyote de bip bip, mais on est d'autant plus content qu'il échoue qu'il trahit cette grosse mollusque de calife dont la bonté et la mollesse garantissent au peuple de ne pas être trop maltraité. Les jeux de mots, Bagdad entre Mille et une nuit et allusions à l'actualité, tout me semblait parfait avec les créateurs originels ! Et c'est ce que je note. Les dessins ont du style, humoristiques, ils n'empêchent pas le dépaysement, ce qui me semble en somme difficile à harmoniser. Bravo ! A relire un jour de tristesse politique.
Fuck ze tourists !
Le tourisme de masse vaincra ! - Cet ouvrage est une anthologie de gags sur le thème du tourisme destructeur. Son édition originale date de 2025. Il a été réalisé par Zidrou pour le scénario, Éric Maltaite pour les dessins, la colorisation ayant été réalisée par Philippe Ory & Hosmane Benahmed. Il comprend cinquante-trois pages de bande dessinée. Ces créateurs ont également réalisé le diptyque Hollywoodland (Maltaite/Zidrou) (2022 & 2023), ainsi que L'Instant d'après (2020). Venise : un couple de touristes tire leur valise à roulettes, perdus dans les ruelles, à la recherche du port où est amarré leur paquebot M.S.T. (Marine Solidaire Tantrique). Le mari se plaint du poids de sa valise, et son épouse explique qu’elle contient le gorgonzola qu’elle a acheté pour remercier la voisine d’avoir nourri leurs perruches et fouiné partout dans la maison. Soudain le monsieur repère une gondole abandonnée, et ils montent dedans, le mari se chargeant de manier la rame. Il demande à son épouse de chercher le grand canal sur Gougle Maps, c’est leur A7 à eux. Elle ne parvient pas à lire la réponse qui affiche Canale grand di Venezia. Elle opte pour taper leur adresse en France, pour rejoindre leur pavillon en gondole. Ils sont interceptés par un commando du groupe terroriste FZT. Au Machu-Picchu, deux lamas regardent la foule de touristes, tout en se faisant photographier. L’un demande à l’autre, ce qu’il y a de plus bête qu’un touriste. Réponse 2.789 touristes. Il développe son propos critique : Mais regarde-moi ces trépanés du cervelet. Franchement ! Grimper à 2.340 mètres au-dessus du niveau de la mer pour tomber aussi bas ! Y a que des ruines, ici ! Des ruines qui visitent d’autres ruines. Une civilisation perdue qui visite une autre civilisation perdue. C’est bon, ils ont leurs selfies pouraves avec le site du Machu-Picchu en arrière-plan, et eux – comme il se doit – au premier plan. Ils peuvent barrer Machu-Picchu de leur To do list. Et remonter dans leur avion low-cost, pour retrouver leur vie Lacoste dans leur pays : en Egoland. Non sans avoir au préalable acheté à l’aéroport une peluche de condor Made in China pour leur gamine qui en leur absence a nourri les plantes et arrosé le chat. Route d’accès à la station de ski Val d’Hiver, un groupe des trois amies monte vers la station en voiture, tout en commençant à regretter de ne pas avoir mis de chaînes. Elles doivent s’arrêter devant un barrage de police. Elles sortent de voiture, et une policière leur explique qu’il a plu à monsieur Fusk de privatiser Val d’Hiver pour son bon plaisir et celui de sa 11e épouse. Il a privatisé toute la station, pour un budget correspondant à l’équivalent du P.I.B. du Mali… sauf qu’il n’y a pas une montagne digne de ce nom au Mali. Les trois copines demandent s’il a également privatisé le téléphérique de la Grande Chartreuse, le spa du Magic Hotel, la terrasse du restaurant panoramique du Mont Beige. La réponse est sans équivoque, tout est privatisé, et une flottille de drones a été déployée pour repérer les immigrants clandestins. Une bande dessinée éditée par Fluide Glacial, un titre sciemment provocateur (dont les initiales forment l’acronyme FZT, le nom du groupe terroriste anti-touristes), une illustration clairement critique de cette race de décérébrés, avec la représentation de ce couple apparaissant au mieux comme des imbéciles heureux qu’il convient d’exterminer. Les auteurs s’inscrivent avec énergie dans le registre comique associé à cet éditeur et au mensuel afférent, y faisant même une référence explicite. Un touriste explique qu’à Auschwitz-Birkenau, il faut payer un supplément pour entrer dans les chambres à gaz depuis qu’un vandale a tagué : Fluide Glacial umour et bandessinées disponible en kiosque tous les mois. S’il est un habitué de la sensibilité humaniste du scénariste, le lecteur peut s’attendre à un choc en découvrant un humour réellement mordant. En phase avec cette démarche, l’artiste ne ménage pas l’apparence visuelle des différents touristes : gras du bide, habillés de manière voyante et vulgaire, ou au contraire aguichante pour un selfie, avec souvent des expressions de visages trahissant un QI bas du front, leur condescendance pleine de morgue, leur entrain pour consommer des paysages et des lieux avec une appétence proche de la dévoration, et une suffisance sans limite. Chaque lecteur se retrouve à se reconnaître dans un comportement ou un autre. Accablant. Dans le même temps, les auteurs font preuve d’une forme d’empathie envers ces touristes au comportement crétin et destructeur, irresponsable. D’accord, le couple de quadragénaires ou quinquagénaires à Venise se sent supérieur avec une légitimité à être traité prioritairement sur les autochtones : leur condition de touriste implique que leur environnement existe pour satisfaire leurs exigences d’exotisme, et doit se conformer à leurs attentes. Toutefois, ils apparaissent sympathiques, constructifs dans leurs actions pour pouvoir jouir de leur voyage, totalement vulnérables quand ils se retrouvent dans la situation dépeinte sur la couverture. La deuxième histoire est racontée du point de vue de deux lamas, qui suscitent également la sympathie du lecteur, mais c’est un peu différent, pas vraiment des touristes. Dans la troisième histoire, les trois jeunes femmes sont fort sympathiques, cherchant juste à skier, profondément et sincèrement choquées qu’un seul individu puisse privatiser une grande station de ski. Impossible d’éprouver de la sympathie pour le troupeau de touristes venus assister au débarquement de migrants dans une embarcation de fortune. En revanche, impossible de se retenir d’en éprouver une pointe pour ce couple souhaitant photographier le dernier rhinocéros vivant au monde, pour le collectionneur de guides du Routard, pour la ribambelle de gugusses souhaitant réaliser un selfie souvenir qui en mettra plein la vue à leurs amis, avec eux au premier plan, et le site remarquable en arrière-plan… et pourtant leur comportement est insupportable, tout en étant simplement humain. L’illustration de couverture rend évident le talent de l’artiste pour croquer des individus normaux, avec une touche caricaturale, que ce soit la bouille ronde et bonhomme de monsieur, ou le double menton et les bijoux massifs et en toc de madame. Ce dosage entre détails réalistes et exagération rend chaque personnage très vivant, que ce soit les acharnés de la photographie ou du selfie, le mari fier de sa moustache et de son chapeau safari, Chantal qui fait penser à Mademoiselle Jeanne, le petit groupe de Belges joueurs de pétanque, la jolie guide blonde touristique maniant le pistolet à bord du bus de touristes, les vieilles dames âgées touristes aussi avides que les autres, la quinquagénaire plantureuse qui pose ses seins dénudés sur la table pour faire admirer les tatouages qui les ornent, le couple homosexuel passant en revue les options de destination dans une agence de voyage (sans S), etc. Le lecteur constate rapidement que le dessinateur réalise des planches avec un fort niveaux de détails, donnant à voir chaque lieu avec des éléments visuels consistants, attestant d’un vrai travail de recherche de référence, de repérage. Il est possible de voir les gondoles et les canaux de la cité des doges, et aussi les quais, les façades, le type de lampadaires, etc. L’histoire sur la station de ski permet d’admirer l’implantation des chalets et des installations sur la montagne, un téléphérique, le spa en plein air d’un hôtel, etc. La visite de Barcelone montre la Sagrada Familia, le Mercat, la façade du grand théâtre du Liceu, le quartier gothique, la plage. L’avant-dernière histoire offrent de magnifiques cases de balades dans la campagne française. Etc. La verve comique des deux auteurs repose sur une attaque virulente du tourisme de masse et de ses ravages. Ils réagissent en créant des situations aussi énormes que ce phénomène, allant jusqu’à l’absurde. Le lecteur apprécie qu’ils se lâchent ainsi : un groupe terroriste dézinguant les touristes pour préserver leur environnement quotidien de cette horde d’envahisseurs sans cesse renouvelée, la privatisation d’une station de ski de grande envergure, le débarquement de migrants transformé en spectacle pour touristes, la réplique grandeur nature visitable de la statue de la Liberté pour ne pas abîmer l’originale, les quatre-vingt-trois ans de liste d’attente avant de pouvoir visiter le camp de concentration et d’extermination d’Auschwitz-Birkenau, l’île paradisiaque s’enfonçant dans les eaux sous le poids des touristes, etc. Avec une tonalité misanthrope dirigée contre cette engeance que sont les touristes en groupe, également avec une belle inventivité. Le scénariste se moque de marques bien connues au travers de détournement comme Diatribadvisor, Gougle Maps, MST (Marine Solidaire Tantrique), Cretinstagram. Il évoque des personnalités comme Elon Musk, Liliane Bettencourt, Philippe Gloaguen. Ces aventures reposent sur des phénomènes concrets, aussi bien par la fausse dérision (l’interdiction de l’usage des pailles) que par la réalité des ravages du surtourisme, la privatisation par les indécemment riches, l’immigration avec des embarcations du fortune sur la mer Méditerranée, la vague d’extinction des espèces animales, la montée des eaux, la marchandisation universelle… jusqu’à la disparition, ou plutôt l’extermination de la notion de bien commun. Rien ne peut s’opposer à la marchandisation des lieux et des populations, cette pratique abêtifie ceux qui la pratiquent en masse, s’abattant tel un fléau sur leur destination, tel un ogre dont rien ne peut arrêter la dévoration… quitte à ce qu’il périsse lui-même dans ses actions vaines pour rassasier sa faim inextinguible. Un vrai plaisir de retrouver l’humour mordant et critique de ce duo d’auteurs s’exerçant contre le touriste en groupe, la chute en flèche de son Q.I., sa conviction que tout lui est dû et tout lui est permis, et que sa destination n’existe que pour le satisfaire. Le dessinateur réalise des planches à l’équilibre parfait entre solides descriptions et exagération comique. Le scénariste pousse le curseur de l’exagération à la dimension de l’horreur du surtourisme, alors même que son humanisme lui fait conserver une sympathie pour ces êtres humains, tout en brossant le portrait d’une pratique destructrice dans un monde déjà livré aux démons du capitalisme, du manque de culture, et de l’indifférence à la souffrance humaine. Salvateur.
Lost Lad London
Un auteur est né ! La dame a un style épuré qui pourtant ne manque pas de chair, que ce soit dans le récit ou dans le coup de trait ! Le faux coupable et le flic fatigué me plaisent bien dans leur relation à la fois distante et filiale. L'auteur sait montrer le ciel, le métro, l'appartement, des visages fins, surtout celui du jeune héros, d'une manière différente, les fait redécouvrir. Les deux personnages principaux ne sont pas des Blancs sans que pour autant on se focalise sur cette caractéristique : bien trop pris par l'intrigue pour en faire plus de cas que par le vide qui règne toujours plus ou moins dans les cases. Solitudes des personnages, esthétique, philosophie bouddhique ? En tout cas, il intrigue, plus prenant que la ville et presque que l'intrigue… Des traits si purs et un vide qui n'étouffe pas mais qui oscille entre écrin de solitude et respiration sont rares.
Gaston Lagaffe
Avec Gaston, on oscille entre rire, sourire et tendresse… Si Gaston nous libère par sa fantaisie, on aime tout le monde. Bien sûr, je dirais comme tout le monde, tous ses potes, et la mouette, et le chat, et l'instrument de musique qui fait fuir les taupes du champ des paysans où il va l'essayer. Mais aussi tout le monde, tout le monde ! Les collègues de Gaston, qui sont gentils avec lui, l'agent de police psychorigide mais pas méchant, l'homme d'affaires qui n'arrive pas à signer les contrats mais ne demande jamais qu'on saque Gaston. Et il y a le trait incisif et tendre de Franquin ! Son dynamisme. Assez de détails pour qu'on ait plaisir à relire, mais pas trop pour ne pas ralentir la lecture. Il fait aimer le moindre objet, les voitures notamment, normales, et plus encore étranges comme le char de notre héros. Les frites ? On en sent l'odeur et on a envie de les manger. Et l'idylle avec M'oiselle Jeanne. Bref, en écrivant, je me sens fondre, ce qui méritera un coup de cœur !
Detroit Roma
Depuis René·e aux bois dormants, un premier album acclamé par la critique et auréolé du Grand Prix ACDB, Elene Usdin ne s’est pas reposée sur ses lauriers. L’autrice française nous revient ici avec un ouvrage produit à quatre mains, avec Boni, quasi-inconnu dans la bande dessinée mais référencé comme « artiste pluridisciplinaire », « compositeur, scénariste, artiste visuel, multi-instrumentiste et développeur sonore ». Les deux artistes ont ainsi mis en commun leur savoir-faire graphique et scénaristique pour produire « Detroit Roma », un objet que l’on peut qualifier de monumental, à mi-chemin entre l’ « art séquentiel » cher à Will Eisner et le livre d’art, et bénéficiant de la qualité éditoriale, désormais proverbiale, de l’éditeur Sarbacane Et ce qui saute aux yeux ici, c’est bien la puissance visuelle qui se déploie sur ces pages au format à l’italienne, un choix assez logique au regard du titre, mais un format qui rappelle également le septième art, une thématique qui imprègne tout le livre. Ce dont parle « Detroit Roma » en quelques mots, c’est cette fascination des Européens pour le fameux rêve américain, en confrontation avec les histoires les plus sordides dans un pays où l’argent est roi, où la cupidité de quelques-uns conduit une vaste frange de la population au bord de la pauvreté. C’est ainsi que démarre le récit, avec l’arrivée dans un motel des deux protagonistes, Summer et Becki, avec une référence bien trouvée au cultissime « Thelma & Louise ». Issue d’une famille très modeste, Becki en sera la narratrice, évoquant son enfance difficile à Detroit, ville touchée de plein fouet par le déclin industriel, la mort de sa mère noyée dans sa baignoire ou le combat quotidien de son père pour subvenir aux besoins du foyer. Elle trouvera son salut dans sa passion pour le dessin et le « street art ». Quant à Summer, elle est son antithèse absolue en apparence. Fille d’une ancienne actrice aisée mais désormais en fin de course, elle est loin d’être dans le besoin mais cherche une échappatoire entre cette mère aigrie et alcoolique, et un père queutard se complaisant dans les orgies. Summer côtoie les milieux artistiques underground, au grand dam de sa mère. Becki, en quête de petits boulots pour pouvoir satisfaire sa passion artistique, va être recrutée par Gloria en tant qu’aide à domicile et sera amenée à faire la connaissance de Summer. Les deux jeunes filles découvriront bientôt les raisons de l’étrange complicité qui les unit. Notons que ces deux personnages sont assez réalistes psychologiquement et également touchants dans leur fragilité. On ne rentre pas si facilement dans ce récit globalement assez lent et à la narration morcelée. Mais heureusement, l’incroyable force du graphisme permet de patienter jusqu’à la moitié du livre, c’est alors que les éléments commencent à se mettre en place, avec des révélations qui pourront émouvoir les cœurs les plus sensibles. Mais clairement, c’est bien le graphisme le gros point fort de « Detroit Roma ». Le travail à quatre mains donne lieu à une succession de styles très variés mais qui mystérieusement parviennent à trouver leur équilibre et leur cohérence. On retrouve bien la patte d’Elene Usdin avec son art maîtrisé de la couleur dont elle avait fait preuve avec « Renée aux bois dormants ». On pourra en déduire que les séquences monochromes, plus sombres, ont été réalisées par Boni. Les séquences cinématographiques, contemplatives et plus « optimistes », avec moult références au cinéma hollywoodien ou italien du XXe siècle (Fellini, Pasolini, Jarmusch, Cassavetes, Coppola ou encore Wim Wenders), mais également à la Rome antique, s’enchaînent avec les scènes plus âpres, teintés d’onirisme, où souvent la violence et l’anxiété entrent en jeu. Mais au-delà des représentations clichées (et pleinement assumées) de l’Amérique des grands espaces, des drive-in et de l’imaginaire collectif, Usdin transcende par sa palette arc-en-ciel un monde où le bonheur résiderait, à tort ou à raison, dans le clinquant consumériste. Sous son pinceau, elle parvient à rendre « artistique » un très moche rayonnage de supermarché ou une zone commerciale hérissée d’enseignes KFC ou H&M. Et ça, c’est très fort, et ça rappelle un peu ce qu’avait fait Edward Hopper avec son célèbre tableau « Essence ». Dans cette Amérique sans passé, les constructions, souvent délabrées, prennent parfois des airs de décors de cinéma, dégageant un sentiment de grande solitude. Ponctuant la narration, les portraits en esquisse d’anonymes d’une Amérique pré-trumpiste, loin des spots, confèrent un côté authentique à l’objet. Si « Detroit Roma », incontestablement un ouvrage qui marquera cette année 2025 (un OVNI peut-être, mais pas pour autant hermétique), confirme le talent d’Elene Usdin, il révélera aussi celui de Boni, dont c’est la première incursion dans le neuvième art. Ce road trip dense et visuellement généreux comblera sans aucun doute les cinéphiles, mais aussi celles et ceux qui aiment l’ « Amérique » pour ce qu’elle est — ou plus précisément ce qu’elle a été, étant donné le contexte actuel —, avec ses qualités et ses travers. Celles et ceux qui savent qu’à côté des rêves les plus ostentatoires, le cauchemar demeure en embuscade, et parfois vient gangréner toute une société.