Comes est vraiment très inégal, et par là, je vise surtout ses albums en couleur, dispensables que je noterais à 2 si je m'en donnais la peine. Son talent pour le noir et blanc égale les créateurs de Mort Cinder et Corto Maltese, ce n'est pas rien. Mais ses visages sont peu variés, oscillant souvent entre dégénérés de la campagne et visages à la Giacometti de partout. Encore que la vieille très ridée au visage de masque de La maison où rêvent les arbres, et l'ingénuité de sa petite fille amorcent une diversification passée incroyablement inaperçue !
J'aime l'exploration d'une ruralité non idéalisée mais défendue contre le mépris de trop d'urbains. Il y a des éclats de magie, offrant une évasion à certains mal intégrés par la société en raison d'un psychisme particulier comme le héros éponyme Silence, ou bien parce que femmes insoumises. L'appétence vers l'esthétique nazie me met mal à l'aise, me semblant présentée comme morbide, certes, mais aussi le privilège de certains êtres raffinés. Cependant, tout cela me semble non une complaisance idéologique, mais des résurgences historiques dans le psychisme des personnages et la prolongation perverse du romantisme allemand. Pour alléger un peu l'atmosphère, un humour bienvenue apparaît parfois.
Mais à son meilleur comme ici, Comes mérite toutes nos étoiles.
Un graphisme emballant et des couleurs parfaites qui m’emmènent à l’intérieur. Des personnages un tout petit peu en dessous des canons dans les dialogues, dans la mesure de leur ego. Il manque quelques planches pour mieux comprendre les passages de déduction de l’un et l’autre. MAIS je retrouve mes deux héros préférés avec un grand bonheur. Et une pointe d’acidité digne de La Ligue des Gentlemen Extraordinaires. Une très très bonne bd découverte par hasard sur un rayon.
Pas grand chose à ajouter à mes prédécesseurs, je fais partie des très satisfaits avec cette série.
Depuis le début, la partie graphique est d’une solidité à toute épreuve. Ralph Meyer régale tout simplement, on savait qu’il avait du talent mais dans ce genre ça explose. Franchement rien à redire.
Niveau histoire, on aura ses préférences en fonction des diptyques (4 à ce jour) mais ça ne faiblit pas (peut-être même l’inverse), c’est d’une belle constance. J’aime toujours autant le cynisme du héros, Jonas Crow est encore loin de m’avoir saoulé. Je suis même bien plus impatient (qu’avec les précédents tomes) de connaître la suite de ses aventures.
Du très bon western avec juste ce qu’il faut de classique et différent. Une série qui monte tout doucement les marches des véritables poids lourds dans la catégorie.
Tehem es un auteur que j'apprécie, surtout quand il nous parle de son île d'adoption, La Réunion. La série propose un très sympathique récit choral autour de la boutique du "Chinois" amateur de photographie. En ce 22 septembre 1976, Titi, Gérard, Céline, Angelo, Turpin et ses fantômes vont être entrainer dans une folle sarabande où se mêlent zamal, rhum trafiqué, alcool à brûler, #dénoncemonporc et punition divine. La construction en quatre chapitres qui se recoupent parfaitement pour fournir de multiples rebondissements dans une progression qui ne dévoile rien du final. C'est aussi un prétexte pour nous décrire le ressenti d'un petit "Zoreille" qui vit au milieu de ce quartier cosmopolite dans un langage mi français mi créole très chantant et facile à lire. L'auteur utilise un univers animalier qui rend bien le cosmopolitisme de la situation dans un graphisme précis et dynamique. Ma seule réserve tient au choix d'un N&B qui nous prive des couleurs de l'île.
Une belle découverte.
J'ai dégusté avec délectation ce premier essai de la jeune anglaise de vingt ans ( à l'époque), Zoé Thorogood. Comme quoi le talent... . J'ai immédiatement été séduit par son talent graphique qui peint à merveille cette ambiance un peu poisseuse des rues désertes et plus ou moins mal famées de Middlesborough ou de Londres. C'est à la fois dynamique et moderne avec un formidable sentiment de vitalité qui rend son héroïne Billie si attachante dans cette lutte entre fragilité et volonté. La mise en couleur est parfaite avec ce N&B dominateur dans un environnement peuplé de laissés pour compte mais où percent les couleurs du printemps final comme des perce-neiges obstinément optimistes à combattre l'obscurité hivernale. Combattre l'obscurité c'est bien ce que doit faire Billie dans un scénario compte à rebours digne d'un très bon thriller. L'idée initiale est originale et l'auteure en extrait un récit fluide, tonique et d'une grande humanité. Les rencontres et les lieux que Zoé/Billie explore ont fortement résonné avec mon vécu associatif. Je suis même impressionné comment une artiste aussi jeune arrive à mettre autant de profondeur et de justesse dans la personnalité de ses personnages. Toutefois le récit reste résolument optimiste sans jamais tomber dans la mièvrerie sentimentale.
J'ai eu l'impression que Zoé jetait tout ce qu'elle avait dans cette œuvre comme si ensuite la lumière pouvait s'éteindre. Cela dégage une envie de création très forte.
Je me suis retenu pour ne pas mettre la note max mais cette œuvre m'a beaucoup parlé par sa thématique et son exécution. Un vrai coup de cœur.
Une série bien poétique ! Le trait, beau, n'est pas son seul attrait. Assez d'action pour chasser l'ennui, assez de contemplation pour être plongé dans une atmosphère étrange autant qu'esthétique. Et les deux ne me semblent faire qu'un, de même que l'auteur parlant de sa vie ne parvient pas à casser le rythme. Je l'attribue au fait que la dame est talentueuse, mais pas que. Il n'y a pas opposition entre la nature, et la culture, le réel et l'imaginaire, mais des glissements très subtils, au Japon.
Sinon, j'aime que le héros protège les humains des yokais agressifs, mais aussi qu'il délivre "ses" yokais et protège aussi les créatures magiques quand c'est possible. Commenter me donne envie de le relire, ce qui va influencer ma note.
Vraiment très bon ... Je lis et relis cette aventure,tous les 4,ou 5 ans depuis sa sortie complète. Depuis 1998 je suis un admirateur du travail de Damour, Pécau, mais aussi de l'équipe d'origine des 1ers albums ... Scénario, encrage, dialogues, mise en pages et dessins ... Tout est beau, et très bien ficelé... J'adore, ainsi que la 15aine de personnes à qui j'ai passé la série.. 17/20, (les 3 derniers un peu moins 14/20).
J'avais découvert l'extraordinaire parcours d'Helen Keller dans un roman pour la jeunesse que m'avait conseillé ma fille. J'avais été vraiment touché par ce récit qui développait une émotion bien plus forte que dans le série de Joseph Lambert. Je pense que l'œuvre de Lambert s'adresse avant tout à un public US qui connait déjà bien l'histoire d'Helen. Cela explique probablement pourquoi le centre de gravité du récit est déplacé vers Annie Sullivan et sa personnalité très complexe. C'est bien la personnalité de la jeune immigrée irlandaise qui est mise en avant par l'auteur d'une façon très travaillée. Les séquences alternent empathie ( les flashback dans le terrible asile de Tewksbury à Boston) et antipathie avec une méthode éducative violente et une absence de compromis. Cette complexité du caractère de Sullivan est bien mise en avant par son rapport à l'autorité qu''elle ne supporte pas pour elle-même mais qu'elle impose avec brutalité à la jeune Helen. En outre j'ai apprécié que Lambert développe deux autres points. Le premier point va de soi en montrant la formidable richesse du cerveau humain à travers les apprentissages d'Helen. Le second point est moins évident pour un public non américain. L'auteur souligne souvent l'appartenance sociale et culturelle opposées d'Helen et d'Annie. Vingt ans à peine après la guerre de Sécession les Keller sont Sudistes, le papa fut capitaine des Gris et reprend souvent Annie sur l'inconvenance de ses actes dans la culture locale. Annnie est Nordiste, immigrée et orpheline. La rencontre improbable de ces deux êtres exceptionnels a eu un avenir d'une richesse insoupçonnée . C'est comme si l'auteur voulait montrer que l'union de ces deux parties pouvait conduire au dépassement de soi comme une sorte de "miracle".
On peut faire la fine bouche sur un graphisme minimaliste , parfois assez repoussant et qui ne met pas en valeur les personnages. J'ai lu cet excès de froideur comme une volonté de laisser l'émotion naturelle du récit seulement en arrière plan d'une lecture plus réflective.
Je comprends que certains lecteurs ou lectrices aient pu être déroutés voire rebutés mais perso j'y ai trouvé une réelle richesse humaine.
Dessins très inégaux, amenant une frustration assez semblable à la série Sandman pour les mêmes raisons. En revanche, les couleurs sont toujours intéressantes, très propres à faire sentir l'atmosphère… L'histoire est marquante et originale, mais délicate, comment le donner à entendre sans trop en dire voyons, voyons ? La vie et la mort, la guerre, la nature, la place du collectif, le rôle de la femme et le partage de nourriture sont à l'opposé du monde chrétien et romain dans la fiction, et sans doute dans une certaine mesure dans la réalité. Les apparitions de divinités et autres êtres féériques et monstrueux évitent le ridicule, les dialogues aussi, soit deux écueils des séries héroïques. Le nain sert à désenchanter, il est comique mais dégonfle quelque peu le discours tout en l'attestant puisqu'il écrit, ce qui est bien trouvé. Il est aussi l'autre, non humain, et à la logique non celte, plus romaine, chrétienne ou moderne ? Je dirais calculatrice. Tous les personnages sont intéressants, hommes et femmes, héros et non héros, humains et non humains. Le druide est assez complexe. La déesse qui fait du héros son champion bien plus encore.
Beaucoup disent : que la Syrie redevienne comme avant.
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Cet ouvrage correspond à une forme de reportage libre qui ne nécessite pas de connaissance préalable. Son édition originale date de 2025. Il a été réalisé par Vincent Gelot et Edmond Baudoin pour le scénario, et par ce dernier pour les dessins et les couleurs. Il comprend cent-vingt-trois pages de bande dessinée.
Edmond Baudoin raconte qu’il a voyagé au Mexique, en Colombie, dans le Nunavut, en France pour faire le portrait des gens rencontrés. Au cours de ces échanges, il a constaté qu’à travers le monde les êtres humains ont des désirs communs. Avoir une vieillesse correcte. Pouvoir travailler. Faire que leurs enfants puissent poursuivre leurs rêves. Printemps 2023, il fait ses bagages pour la Syrie. Vincent Gelot l’y a invité. Celui-ci lui propose de venir avec lui sur les routes syriennes, qu’il a dessinées en rouge sur une carte du pays. Vincent. En 2012, il quitte la France en 4L, à la rencontre des communautés chrétiennes d’Orient. Son voyage devait se terminer en quelques mois. Il durera deux ans. Ce périple un peu fou le mène aux confins de l’Asie Centrale, puis dans le golfe persique et la corne de l’Afrique. En 2014, Daech s’empare de Mossoul et chasse les populations de la plaine de Ninive où les gens lui avaient donné l’hospitalité. Cela l’a beaucoup marqué car il ne savait pas si ceux qui l’avaient accueilli étaient encore en vie. Quelques mois après être revenu en France, Vincent repart à Erbil, au Kurdistan irakien. Il cofonde radio Al-Salam, une radio destinée aux déplacés dans les camps de réfugiés. C’est là qu’il a compris que son engagement était de vivre aux côtés de ces communautés et de les accompagner dans leur destin de vie.
En 2016, Vincent s’installe au Liban et travaille pour l’Œuvre d’Orient. Son travail est de rester au contact de la population, d’évaluer les besoins sur place et de suivre la réalisation des projets. Il aime ces gens. Nous marchons sur les chemins, ils nous font. Et plus tard, c’est nous qui les faisons. Vincent s’est engagé aux côtés des communautés chrétiennes. Oui, la vie, c’est s’engager. Depuis le moment, lors de sa naissance, où on a commencé à respirer. Et puis qu’on a continué. Vincent explique à Edmond que les Chrétiens d’Orient forment une mosaïque de communautés minoritaires, souvent discriminés, parfois persécutés. En Syrie, ils étaient environ deux millions en 2011, ils seraient 500.000 aujourd’hui. Baudoin fait observer que : Leur combat a souvent été récupéré par l’extrême droite, non ? Vincent répond que : Oui, c’est vrai, certaines associations utilisent la détresse réelle des Chrétiens du Moyen-Orient pour répondre à des ambitions personnelles et des objectifs quelques fois obscurs. Ce n’est pas le cas de l’Œuvre d’Orient. C’est une des plus vieilles associations françaises. Elle a été créée en 1856 par des professeurs de la Sorbonne et du Collège de France. Un prêtre, le père Lavigerie, fut nommé à la tête de cette association. Il deviendra plus tard le cardinal Lavigerie… Edmond l’écoute, puis son esprit s’en va ailleurs. En 2020, il a illustré des poèmes de Vincent.
Nul besoin pour le lecteur de maîtriser l’histoire contemporaine de la Syrie pour apprécier cet ouvrage : le régime de Hafez el-Assad (1930-2000), celui de Bachar el-Assad (1965-), la guerre civile syrienne de 2011 à 2024 en faveur de la démocratie contre le régime du parti Baas. Le bédéaste annonce explicitement qu’il s’agit d’une commande de l’Œuvre d’Orient, une association à but non lucratif fondée en 1856, aidant les Chrétiens d’Orient. Il accompagne donc Vincent Gelot, poète et coauteur de l’ouvrage Chrétiens d'Orient: Périple au cœur d'un monde menacé (2017) avec Pascal Gollnisch. Comme il l’explique dans les premières pages, Edmond Baudoin ne parle pas la langue, et il se fait expliquer certaines situations par des interlocuteurs francophones. Il demande à Vincent la raison de son voyage : son interlocuteur expose sa perception des faits sur la période commençant en 2011. Jihanne lui explique la position des Chrétiens en Syrie. L’évêque Jacques raconte sa vie de moine, sa séquestration. Vincent parle du martyre de la ville de Hama. Nabil, un membre des Maristes bleus, raconte comment il a vécu la guerre. Le père Jihad raconte l’histoire de Mar Moussa El Abashi (Saint Moussa, le visage brulé), c’est-à-dire Le monastère de Saint-Moïse-l'Abyssin à quatre-vingt-dix kilomètres au nord de Damas. Les auteurs savent mêler l’histoire du pays avec une forme de tourisme singulier.
De manière tout à fait légitime, le lecteur peut s’interroger sur le positionnement du récit, ou le point de vue à partir duquel la Syrie va être considérée. S’il connaît déjà l’œuvre de Baudoin, il connaît la réponse avant même de commencer sa lecture. S’il n’en est pas familier, il comprend rapidement qu’il s’agit d’un point de vue humaniste sincère, une volonté d’établir un contact vrai. Cela peut paraître surprenant sachant que l’artiste ne parle pas la langue du pays. Il reprend une démarche qu’il a mise en œuvre dans plusieurs pays (dont il ne parlait pas la langue non plus) : réaliser le portrait de son interlocuteur, en l’échange de sa réponse à une question. Le dessinateur l’a écrit à de nombreuses reprises : deux êtres humains qui se regardent fixement pendant une dizaine ou une vingtaine de minutes constitue une expérience rare dans la vie d’un être humain. De fait les portraits reproduits dans l’ouvrage présentent des particularités qui les font ressortir. Les deux premiers sont tenus devant eux la personne représentée, dessinée d’une manière différente, produisant un effet de mise en abîme totalement naturel. Les suivants sont reproduits sans cet effet : le lecteur fait à nouveau l’expérience déroutante du talent d’Edmond Baudoin. Ces dessins semblent dans un premier temps s’apparenter à un assemblage de traits de pinceaux épais et irréguliers, et de traits fins, quelques fois mis en couleurs. Un résultat qui peut sembler disgracieux, opposé à un rendu photographique. Dans le même temps, ils se dégagent d’eux une impression quasi surnaturelle : celle de regarder la personne comme si elle se trouvait réellement devant le lecteur, de percevoir pour partie leur personnalité, de voir les traces laissées par les ans, de regarder un être humain dans toute sa singularité.
La couverture peut donner une fausse impression quant à la narration visuelle. Dès la première page, le malentendu est dissipé : Edmond Baudoin la prend en charge, exprimant sa personnalité en toute liberté. Au fil des pages, le lecteur peut aussi bien découvrir des illustrations réalisées en couleur et au pinceau (telles ces silhouettes jaunes et vertes en train de danser), une carte de la Syrie réalisée à la main avec les tracés en rouge des déplacements à venir, des têtes en train de parler avec de copieux phylactères, une composition flirtant avec l’abstraction pour un concept sur les chemins, une composition de type collage avec un visage au centre, de magnifiques paysages naturels en couleur directe, des paysages urbains comme griffonnés (à Damas), une étrange vision d’une route sans bordure avec des rangées de hauts panneaux de part et d’autre affichant le visage de Bachar El-Assad, de puissantes illustrations épurées au pinceau, quelques compositions abstraites, etc. La mise en page est tout aussi libre : conçue sur mesure pour chaque séquence, allant d’une unique illustration sans bordure sur la page, à des images juxtaposées, en passant même par des cases avec bordure, certaines s’étalant sur les deux pages en vis-à-vis. Comme à son habitude, ce créateur sait mettre en image ses observations, ses réflexions, ses sensations, ses émotions, comme s’il s’agissait d’un flux de pensées organique.
Dans le même temps, il s’agit d’un récit de voyage suivant strictement son déroulé chronologique, évoquant un lieu après l’autre, dans l’ordre des déplacements, avec quelques développements incidents par association d’idées. Il apparaît que la structure narrative peut être imputée à Vincent Gelot, puisque c’est lui qui a organisé le voyage. En fonction des arrêts ou des séjours, le lieu peut être abordé par le biais de son histoire, par la personne qui les reçoit, ou par les rencontres qui s’y déroulent. Aucun moment ne ressemble à un autre, chacun étant rendu unique par la personnalité et l’histoire des êtres humains rencontrés. Le lecteur découvre la Syrie grâce au guide qu’est Vincent Gelot, grâce à sa connaissance du pays, et par le biais de la sensibilité d’Edmond Baudoin. Chaque rencontre apporte une réponse personnelle aux deux questions posées : Quel est votre rêve personnel ? Celui pour la Syrie ? Comme il peut s’y attendre, le lecteur découvre des réponses exprimant un désir de paix, soit à aller chercher ailleurs, soit à rétablir en Syrie, un rêve ou un espoir d’avenir pour soi-même, pour les enfants. Le désir que tous les enfants puissent retourner à l’école, que l’électricité revienne. Que l’on puisse acheter du pain sans faire une queue de plusieurs heures… Juste la possibilité de vivre. Il sent sa gorge se serrer en observant les destructions de la guerre. Il sent les larmes monter quand les auteurs évoluent dans des zones en ruines : Si on est attentif, on peut distinguer quelles sont les ruines dues aux bombardements de celles dues au tremblement de terre. Dans les ruines causées par les bombes, il y a de l’herbe et même des arbres qui ont eu le temps de pousser. Il est admiratif de la force vitale des personnes participant à reconstruire et à construire. Il se demande comment Baudoin peut résister émotionnellement à ce qu’il découvre, et il sourit en constatant qu’il pense encore aux arbres : Ça fait mal, tous ces palmiers déchiquetés par les bombes. Il ressent toute la vérité contenue dans le constat du père Jihad qui rêve d’une guérison politique. Il déclare tranquillement que : On leur a menti depuis quarante ans en leur disant qu’ils formaient un seul peuple, alors que certains pillent les richesses en écrasant les autres. Il rêve de danses, de musiques qui ne s’arrêtent pas.
Une lecture triste et plombante ? Bien plus que ça : l’expérience de vie dans ce pays du poète et la sensibilité humaniste de l’artiste donnent à voir la diversité des habitants d’un pays en ruine, leurs espoirs simples et clairs, constructifs, les conséquences concrètes de la guerre pour ces civils, des paysages mêlant beauté naturelle et dévastation destructrice. Le lecteur en ressort meurtri et plein de compassion, ses valeurs essentielles s’en trouvant régénérées, par ces désirs communs, par cette démarche d’opposer la vie à la mort. Vital.
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Silence
Comes est vraiment très inégal, et par là, je vise surtout ses albums en couleur, dispensables que je noterais à 2 si je m'en donnais la peine. Son talent pour le noir et blanc égale les créateurs de Mort Cinder et Corto Maltese, ce n'est pas rien. Mais ses visages sont peu variés, oscillant souvent entre dégénérés de la campagne et visages à la Giacometti de partout. Encore que la vieille très ridée au visage de masque de La maison où rêvent les arbres, et l'ingénuité de sa petite fille amorcent une diversification passée incroyablement inaperçue ! J'aime l'exploration d'une ruralité non idéalisée mais défendue contre le mépris de trop d'urbains. Il y a des éclats de magie, offrant une évasion à certains mal intégrés par la société en raison d'un psychisme particulier comme le héros éponyme Silence, ou bien parce que femmes insoumises. L'appétence vers l'esthétique nazie me met mal à l'aise, me semblant présentée comme morbide, certes, mais aussi le privilège de certains êtres raffinés. Cependant, tout cela me semble non une complaisance idéologique, mais des résurgences historiques dans le psychisme des personnages et la prolongation perverse du romantisme allemand. Pour alléger un peu l'atmosphère, un humour bienvenue apparaît parfois. Mais à son meilleur comme ici, Comes mérite toutes nos étoiles.
Sherlock Holmes contre Arsène Lupin
Un graphisme emballant et des couleurs parfaites qui m’emmènent à l’intérieur. Des personnages un tout petit peu en dessous des canons dans les dialogues, dans la mesure de leur ego. Il manque quelques planches pour mieux comprendre les passages de déduction de l’un et l’autre. MAIS je retrouve mes deux héros préférés avec un grand bonheur. Et une pointe d’acidité digne de La Ligue des Gentlemen Extraordinaires. Une très très bonne bd découverte par hasard sur un rayon.
Undertaker
Pas grand chose à ajouter à mes prédécesseurs, je fais partie des très satisfaits avec cette série. Depuis le début, la partie graphique est d’une solidité à toute épreuve. Ralph Meyer régale tout simplement, on savait qu’il avait du talent mais dans ce genre ça explose. Franchement rien à redire. Niveau histoire, on aura ses préférences en fonction des diptyques (4 à ce jour) mais ça ne faiblit pas (peut-être même l’inverse), c’est d’une belle constance. J’aime toujours autant le cynisme du héros, Jonas Crow est encore loin de m’avoir saoulé. Je suis même bien plus impatient (qu’avec les précédents tomes) de connaître la suite de ses aventures. Du très bon western avec juste ce qu’il faut de classique et différent. Une série qui monte tout doucement les marches des véritables poids lourds dans la catégorie.
Quartier Western
Tehem es un auteur que j'apprécie, surtout quand il nous parle de son île d'adoption, La Réunion. La série propose un très sympathique récit choral autour de la boutique du "Chinois" amateur de photographie. En ce 22 septembre 1976, Titi, Gérard, Céline, Angelo, Turpin et ses fantômes vont être entrainer dans une folle sarabande où se mêlent zamal, rhum trafiqué, alcool à brûler, #dénoncemonporc et punition divine. La construction en quatre chapitres qui se recoupent parfaitement pour fournir de multiples rebondissements dans une progression qui ne dévoile rien du final. C'est aussi un prétexte pour nous décrire le ressenti d'un petit "Zoreille" qui vit au milieu de ce quartier cosmopolite dans un langage mi français mi créole très chantant et facile à lire. L'auteur utilise un univers animalier qui rend bien le cosmopolitisme de la situation dans un graphisme précis et dynamique. Ma seule réserve tient au choix d'un N&B qui nous prive des couleurs de l'île. Une belle découverte.
Dans les yeux de Billie Scott
J'ai dégusté avec délectation ce premier essai de la jeune anglaise de vingt ans ( à l'époque), Zoé Thorogood. Comme quoi le talent... . J'ai immédiatement été séduit par son talent graphique qui peint à merveille cette ambiance un peu poisseuse des rues désertes et plus ou moins mal famées de Middlesborough ou de Londres. C'est à la fois dynamique et moderne avec un formidable sentiment de vitalité qui rend son héroïne Billie si attachante dans cette lutte entre fragilité et volonté. La mise en couleur est parfaite avec ce N&B dominateur dans un environnement peuplé de laissés pour compte mais où percent les couleurs du printemps final comme des perce-neiges obstinément optimistes à combattre l'obscurité hivernale. Combattre l'obscurité c'est bien ce que doit faire Billie dans un scénario compte à rebours digne d'un très bon thriller. L'idée initiale est originale et l'auteure en extrait un récit fluide, tonique et d'une grande humanité. Les rencontres et les lieux que Zoé/Billie explore ont fortement résonné avec mon vécu associatif. Je suis même impressionné comment une artiste aussi jeune arrive à mettre autant de profondeur et de justesse dans la personnalité de ses personnages. Toutefois le récit reste résolument optimiste sans jamais tomber dans la mièvrerie sentimentale. J'ai eu l'impression que Zoé jetait tout ce qu'elle avait dans cette œuvre comme si ensuite la lumière pouvait s'éteindre. Cela dégage une envie de création très forte. Je me suis retenu pour ne pas mettre la note max mais cette œuvre m'a beaucoup parlé par sa thématique et son exécution. Un vrai coup de cœur.
Le Pacte des Yôkai
Une série bien poétique ! Le trait, beau, n'est pas son seul attrait. Assez d'action pour chasser l'ennui, assez de contemplation pour être plongé dans une atmosphère étrange autant qu'esthétique. Et les deux ne me semblent faire qu'un, de même que l'auteur parlant de sa vie ne parvient pas à casser le rythme. Je l'attribue au fait que la dame est talentueuse, mais pas que. Il n'y a pas opposition entre la nature, et la culture, le réel et l'imaginaire, mais des glissements très subtils, au Japon. Sinon, j'aime que le héros protège les humains des yokais agressifs, mais aussi qu'il délivre "ses" yokais et protège aussi les créatures magiques quand c'est possible. Commenter me donne envie de le relire, ce qui va influencer ma note.
Nash
Vraiment très bon ... Je lis et relis cette aventure,tous les 4,ou 5 ans depuis sa sortie complète. Depuis 1998 je suis un admirateur du travail de Damour, Pécau, mais aussi de l'équipe d'origine des 1ers albums ... Scénario, encrage, dialogues, mise en pages et dessins ... Tout est beau, et très bien ficelé... J'adore, ainsi que la 15aine de personnes à qui j'ai passé la série.. 17/20, (les 3 derniers un peu moins 14/20).
Annie Sullivan & Helen Keller
J'avais découvert l'extraordinaire parcours d'Helen Keller dans un roman pour la jeunesse que m'avait conseillé ma fille. J'avais été vraiment touché par ce récit qui développait une émotion bien plus forte que dans le série de Joseph Lambert. Je pense que l'œuvre de Lambert s'adresse avant tout à un public US qui connait déjà bien l'histoire d'Helen. Cela explique probablement pourquoi le centre de gravité du récit est déplacé vers Annie Sullivan et sa personnalité très complexe. C'est bien la personnalité de la jeune immigrée irlandaise qui est mise en avant par l'auteur d'une façon très travaillée. Les séquences alternent empathie ( les flashback dans le terrible asile de Tewksbury à Boston) et antipathie avec une méthode éducative violente et une absence de compromis. Cette complexité du caractère de Sullivan est bien mise en avant par son rapport à l'autorité qu''elle ne supporte pas pour elle-même mais qu'elle impose avec brutalité à la jeune Helen. En outre j'ai apprécié que Lambert développe deux autres points. Le premier point va de soi en montrant la formidable richesse du cerveau humain à travers les apprentissages d'Helen. Le second point est moins évident pour un public non américain. L'auteur souligne souvent l'appartenance sociale et culturelle opposées d'Helen et d'Annie. Vingt ans à peine après la guerre de Sécession les Keller sont Sudistes, le papa fut capitaine des Gris et reprend souvent Annie sur l'inconvenance de ses actes dans la culture locale. Annnie est Nordiste, immigrée et orpheline. La rencontre improbable de ces deux êtres exceptionnels a eu un avenir d'une richesse insoupçonnée . C'est comme si l'auteur voulait montrer que l'union de ces deux parties pouvait conduire au dépassement de soi comme une sorte de "miracle". On peut faire la fine bouche sur un graphisme minimaliste , parfois assez repoussant et qui ne met pas en valeur les personnages. J'ai lu cet excès de froideur comme une volonté de laisser l'émotion naturelle du récit seulement en arrière plan d'une lecture plus réflective. Je comprends que certains lecteurs ou lectrices aient pu être déroutés voire rebutés mais perso j'y ai trouvé une réelle richesse humaine.
Sláine
Dessins très inégaux, amenant une frustration assez semblable à la série Sandman pour les mêmes raisons. En revanche, les couleurs sont toujours intéressantes, très propres à faire sentir l'atmosphère… L'histoire est marquante et originale, mais délicate, comment le donner à entendre sans trop en dire voyons, voyons ? La vie et la mort, la guerre, la nature, la place du collectif, le rôle de la femme et le partage de nourriture sont à l'opposé du monde chrétien et romain dans la fiction, et sans doute dans une certaine mesure dans la réalité. Les apparitions de divinités et autres êtres féériques et monstrueux évitent le ridicule, les dialogues aussi, soit deux écueils des séries héroïques. Le nain sert à désenchanter, il est comique mais dégonfle quelque peu le discours tout en l'attestant puisqu'il écrit, ce qui est bien trouvé. Il est aussi l'autre, non humain, et à la logique non celte, plus romaine, chrétienne ou moderne ? Je dirais calculatrice. Tous les personnages sont intéressants, hommes et femmes, héros et non héros, humains et non humains. Le druide est assez complexe. La déesse qui fait du héros son champion bien plus encore.
Syrie - Des pierres et de la vie
Beaucoup disent : que la Syrie redevienne comme avant. - Cet ouvrage correspond à une forme de reportage libre qui ne nécessite pas de connaissance préalable. Son édition originale date de 2025. Il a été réalisé par Vincent Gelot et Edmond Baudoin pour le scénario, et par ce dernier pour les dessins et les couleurs. Il comprend cent-vingt-trois pages de bande dessinée. Edmond Baudoin raconte qu’il a voyagé au Mexique, en Colombie, dans le Nunavut, en France pour faire le portrait des gens rencontrés. Au cours de ces échanges, il a constaté qu’à travers le monde les êtres humains ont des désirs communs. Avoir une vieillesse correcte. Pouvoir travailler. Faire que leurs enfants puissent poursuivre leurs rêves. Printemps 2023, il fait ses bagages pour la Syrie. Vincent Gelot l’y a invité. Celui-ci lui propose de venir avec lui sur les routes syriennes, qu’il a dessinées en rouge sur une carte du pays. Vincent. En 2012, il quitte la France en 4L, à la rencontre des communautés chrétiennes d’Orient. Son voyage devait se terminer en quelques mois. Il durera deux ans. Ce périple un peu fou le mène aux confins de l’Asie Centrale, puis dans le golfe persique et la corne de l’Afrique. En 2014, Daech s’empare de Mossoul et chasse les populations de la plaine de Ninive où les gens lui avaient donné l’hospitalité. Cela l’a beaucoup marqué car il ne savait pas si ceux qui l’avaient accueilli étaient encore en vie. Quelques mois après être revenu en France, Vincent repart à Erbil, au Kurdistan irakien. Il cofonde radio Al-Salam, une radio destinée aux déplacés dans les camps de réfugiés. C’est là qu’il a compris que son engagement était de vivre aux côtés de ces communautés et de les accompagner dans leur destin de vie. En 2016, Vincent s’installe au Liban et travaille pour l’Œuvre d’Orient. Son travail est de rester au contact de la population, d’évaluer les besoins sur place et de suivre la réalisation des projets. Il aime ces gens. Nous marchons sur les chemins, ils nous font. Et plus tard, c’est nous qui les faisons. Vincent s’est engagé aux côtés des communautés chrétiennes. Oui, la vie, c’est s’engager. Depuis le moment, lors de sa naissance, où on a commencé à respirer. Et puis qu’on a continué. Vincent explique à Edmond que les Chrétiens d’Orient forment une mosaïque de communautés minoritaires, souvent discriminés, parfois persécutés. En Syrie, ils étaient environ deux millions en 2011, ils seraient 500.000 aujourd’hui. Baudoin fait observer que : Leur combat a souvent été récupéré par l’extrême droite, non ? Vincent répond que : Oui, c’est vrai, certaines associations utilisent la détresse réelle des Chrétiens du Moyen-Orient pour répondre à des ambitions personnelles et des objectifs quelques fois obscurs. Ce n’est pas le cas de l’Œuvre d’Orient. C’est une des plus vieilles associations françaises. Elle a été créée en 1856 par des professeurs de la Sorbonne et du Collège de France. Un prêtre, le père Lavigerie, fut nommé à la tête de cette association. Il deviendra plus tard le cardinal Lavigerie… Edmond l’écoute, puis son esprit s’en va ailleurs. En 2020, il a illustré des poèmes de Vincent. Nul besoin pour le lecteur de maîtriser l’histoire contemporaine de la Syrie pour apprécier cet ouvrage : le régime de Hafez el-Assad (1930-2000), celui de Bachar el-Assad (1965-), la guerre civile syrienne de 2011 à 2024 en faveur de la démocratie contre le régime du parti Baas. Le bédéaste annonce explicitement qu’il s’agit d’une commande de l’Œuvre d’Orient, une association à but non lucratif fondée en 1856, aidant les Chrétiens d’Orient. Il accompagne donc Vincent Gelot, poète et coauteur de l’ouvrage Chrétiens d'Orient: Périple au cœur d'un monde menacé (2017) avec Pascal Gollnisch. Comme il l’explique dans les premières pages, Edmond Baudoin ne parle pas la langue, et il se fait expliquer certaines situations par des interlocuteurs francophones. Il demande à Vincent la raison de son voyage : son interlocuteur expose sa perception des faits sur la période commençant en 2011. Jihanne lui explique la position des Chrétiens en Syrie. L’évêque Jacques raconte sa vie de moine, sa séquestration. Vincent parle du martyre de la ville de Hama. Nabil, un membre des Maristes bleus, raconte comment il a vécu la guerre. Le père Jihad raconte l’histoire de Mar Moussa El Abashi (Saint Moussa, le visage brulé), c’est-à-dire Le monastère de Saint-Moïse-l'Abyssin à quatre-vingt-dix kilomètres au nord de Damas. Les auteurs savent mêler l’histoire du pays avec une forme de tourisme singulier. De manière tout à fait légitime, le lecteur peut s’interroger sur le positionnement du récit, ou le point de vue à partir duquel la Syrie va être considérée. S’il connaît déjà l’œuvre de Baudoin, il connaît la réponse avant même de commencer sa lecture. S’il n’en est pas familier, il comprend rapidement qu’il s’agit d’un point de vue humaniste sincère, une volonté d’établir un contact vrai. Cela peut paraître surprenant sachant que l’artiste ne parle pas la langue du pays. Il reprend une démarche qu’il a mise en œuvre dans plusieurs pays (dont il ne parlait pas la langue non plus) : réaliser le portrait de son interlocuteur, en l’échange de sa réponse à une question. Le dessinateur l’a écrit à de nombreuses reprises : deux êtres humains qui se regardent fixement pendant une dizaine ou une vingtaine de minutes constitue une expérience rare dans la vie d’un être humain. De fait les portraits reproduits dans l’ouvrage présentent des particularités qui les font ressortir. Les deux premiers sont tenus devant eux la personne représentée, dessinée d’une manière différente, produisant un effet de mise en abîme totalement naturel. Les suivants sont reproduits sans cet effet : le lecteur fait à nouveau l’expérience déroutante du talent d’Edmond Baudoin. Ces dessins semblent dans un premier temps s’apparenter à un assemblage de traits de pinceaux épais et irréguliers, et de traits fins, quelques fois mis en couleurs. Un résultat qui peut sembler disgracieux, opposé à un rendu photographique. Dans le même temps, ils se dégagent d’eux une impression quasi surnaturelle : celle de regarder la personne comme si elle se trouvait réellement devant le lecteur, de percevoir pour partie leur personnalité, de voir les traces laissées par les ans, de regarder un être humain dans toute sa singularité. La couverture peut donner une fausse impression quant à la narration visuelle. Dès la première page, le malentendu est dissipé : Edmond Baudoin la prend en charge, exprimant sa personnalité en toute liberté. Au fil des pages, le lecteur peut aussi bien découvrir des illustrations réalisées en couleur et au pinceau (telles ces silhouettes jaunes et vertes en train de danser), une carte de la Syrie réalisée à la main avec les tracés en rouge des déplacements à venir, des têtes en train de parler avec de copieux phylactères, une composition flirtant avec l’abstraction pour un concept sur les chemins, une composition de type collage avec un visage au centre, de magnifiques paysages naturels en couleur directe, des paysages urbains comme griffonnés (à Damas), une étrange vision d’une route sans bordure avec des rangées de hauts panneaux de part et d’autre affichant le visage de Bachar El-Assad, de puissantes illustrations épurées au pinceau, quelques compositions abstraites, etc. La mise en page est tout aussi libre : conçue sur mesure pour chaque séquence, allant d’une unique illustration sans bordure sur la page, à des images juxtaposées, en passant même par des cases avec bordure, certaines s’étalant sur les deux pages en vis-à-vis. Comme à son habitude, ce créateur sait mettre en image ses observations, ses réflexions, ses sensations, ses émotions, comme s’il s’agissait d’un flux de pensées organique. Dans le même temps, il s’agit d’un récit de voyage suivant strictement son déroulé chronologique, évoquant un lieu après l’autre, dans l’ordre des déplacements, avec quelques développements incidents par association d’idées. Il apparaît que la structure narrative peut être imputée à Vincent Gelot, puisque c’est lui qui a organisé le voyage. En fonction des arrêts ou des séjours, le lieu peut être abordé par le biais de son histoire, par la personne qui les reçoit, ou par les rencontres qui s’y déroulent. Aucun moment ne ressemble à un autre, chacun étant rendu unique par la personnalité et l’histoire des êtres humains rencontrés. Le lecteur découvre la Syrie grâce au guide qu’est Vincent Gelot, grâce à sa connaissance du pays, et par le biais de la sensibilité d’Edmond Baudoin. Chaque rencontre apporte une réponse personnelle aux deux questions posées : Quel est votre rêve personnel ? Celui pour la Syrie ? Comme il peut s’y attendre, le lecteur découvre des réponses exprimant un désir de paix, soit à aller chercher ailleurs, soit à rétablir en Syrie, un rêve ou un espoir d’avenir pour soi-même, pour les enfants. Le désir que tous les enfants puissent retourner à l’école, que l’électricité revienne. Que l’on puisse acheter du pain sans faire une queue de plusieurs heures… Juste la possibilité de vivre. Il sent sa gorge se serrer en observant les destructions de la guerre. Il sent les larmes monter quand les auteurs évoluent dans des zones en ruines : Si on est attentif, on peut distinguer quelles sont les ruines dues aux bombardements de celles dues au tremblement de terre. Dans les ruines causées par les bombes, il y a de l’herbe et même des arbres qui ont eu le temps de pousser. Il est admiratif de la force vitale des personnes participant à reconstruire et à construire. Il se demande comment Baudoin peut résister émotionnellement à ce qu’il découvre, et il sourit en constatant qu’il pense encore aux arbres : Ça fait mal, tous ces palmiers déchiquetés par les bombes. Il ressent toute la vérité contenue dans le constat du père Jihad qui rêve d’une guérison politique. Il déclare tranquillement que : On leur a menti depuis quarante ans en leur disant qu’ils formaient un seul peuple, alors que certains pillent les richesses en écrasant les autres. Il rêve de danses, de musiques qui ne s’arrêtent pas. Une lecture triste et plombante ? Bien plus que ça : l’expérience de vie dans ce pays du poète et la sensibilité humaniste de l’artiste donnent à voir la diversité des habitants d’un pays en ruine, leurs espoirs simples et clairs, constructifs, les conséquences concrètes de la guerre pour ces civils, des paysages mêlant beauté naturelle et dévastation destructrice. Le lecteur en ressort meurtri et plein de compassion, ses valeurs essentielles s’en trouvant régénérées, par ces désirs communs, par cette démarche d’opposer la vie à la mort. Vital.