Si vous aimez la bd "Gobelin's" ou Trolls de Troy je pense que vous aimerez rolqwir. Un jeune chevalier français qui rêve d'aventures mais qui n'est pas bien futé, se retrouve au Japon. Beaucoup de références sur notre culture française, clichés et pop culture, tout cela détourné de façon humoristique. A lire.
Django a peut-être été l’homme le plus libre de tous les temps.
-
Ce tome contient une biographie des jeunes années de Django Reinhardt (1910-1953) qui ne nécessite pas de connaissance préalable sur ce musicien. Son édition originale date 2020. Il a été réalisé par Salva Rubio pour le scénario et par Ricard Efa pour les dessins et les couleurs. Il comprend soixante-deux pages de bande dessinée. Il débute par un texte introductif d’une page, rédigé par Thomas Dutronc qui déclare que Django était un dieu de la guitare, et qui développe son admiration pour ce musicien. Il se termine avec un copieux cahier thématique de seize pages avec de nombreuses photographies abordant la réalité historique de la vie de Django Reinhardt, entre ce qui est connu des circonstances de sa naissance, l’environnement dans lequel il a grandi (la Zone), le choix des morceaux interprétés par Django au cours de la bande dessinée (Les yeux noirs, La Madelon, La Montmartroise, et bien sûr Nuages, Everybody loves my baby, Ma régulière, Dinah, The sheik, Hard hearted Hannah), ses débuts un peu décalés dans le monde du bal musette, ses premiers contacts avec le jazz, ses premiers enregistrements et son nom mal orthographié, ainsi que son séjour à l’hôpital. Vient enfin une bibliographie sélective.
Par une rude journée d’hiver, dans une épaisse robe, avec un châle et un fichu, Laurence Reinhart marche d’un bon pas dans le chemin enneigé. Elle se hâte de gagner le village, tout en tenant fermement son ventre rebondi de femme enceinte. Soudain, elle sent qu’elle perd les eaux, et elle peut voir la flaque fumante dans la neige. Le vingt-trois janvier 1910, sur la grand-place du village de Liberchies, près de Charleroi, en Belgique, un groupe de musiciens est en train de monter sur l’estrade. Jean-Baptiste Reinhardt s’agace que sa femme ne soit pas encore arrivée, qu’elle n’en fasse qu’à sa tête. Une dame lui dit que le bébé est arrivé. Dans une roulotte, la jeune mère est allongée, le nouveau-né dans ses bras. Le père finit par arriver et il lui donne un nom : Django. Oui, Django était arrivé parmi eux. Mais Django Reinhardt a eu deux naissances. Celle-ci ne fut que la première. Et chacun sait, c’est de la souffrance que l’on naît.
En 1922, la Zone, près de la porte à Choisy, Django a gagné en confiance et il est en train de déclarer à son petit frère et à sa petite sœur que c’est lui le maître de la Zone, le chef de la bande des Foulards Rouges, il est le gangster Django Reinhardt. Et il leur proclame que maintenant ce territoire leur appartient. Et d’ici, ils vont conquérir l’Amérique. Il se tourne vers eux pour les enjoindre d’aller de l’avant, et il se rend compte qu’ils sont restés cachés derrière un talus. Son petit frère Nin-Nin lui rappelle qu’ils sont sur le territoire des Foulards bleus, que ces derniers vont les attraper et leur fichent une raclée. En effet, cinq autres enfants arrivent et les tapent. De retour au camp tzigane, la mère soigne Django et lui déclare qu’elle est bien contente que les autres leur aient flanqué une raclée. Elle ajoute : tant qu’à se bagarrer, ils auraient pu se débrouiller au moins pour gagner. Un ancien intervient pour les réprimander et rappeler que Django pourrait au moins aller à l’école pour apprendre à lire.
Le lecteur peut être alléché à l’idée de découvrir un récit de la jeunesse de ce grand guitariste, couvrant majoritairement la période allant de ses douze ans en 1922, à ses vingt ans en 1930. Il peut aussi avoir déjà lu d’autres ouvrages de ce duo de créateurs et être tombé sous le charme de leur narration : Monet - Nomade de la lumière (2017) ou Degas - La Danse de la solitude (2021). Après avoir lu la bande dessinée, il se plonge dans le copieux dossier et il découvre la postface, dans laquelle le scénariste explicite sa démarche. Il rappelle que : Personne, bien sûr, ne rassemble de la documentation sur les premières années de vie d’une personne ordinaire dont on ne s’attend aucunement à ce qu’elle devienne un jour l’un des plus grands génies musicaux du siècle. Il ajoute que : dans l’univers manouche, c’était seulement par la tradition que l’histoire était transmise, volontairement embellie d’anecdotes, d’exagérations et de contes rarement fiables. Enfin il indique qu’un scénariste historien comme lui accomplit une triple tâche. Un : se mettre en quête de témoignages, sources et récits qui fourniront des faits, des scènes et des rencontres dont la bande dessinée rendra compte. Deux : les transformer en un récit fluide, logique et efficace. Trois : atteindre un équilibre entre les deux précédents pour transmettre au lecteur ce qui est su et ce qu’il est impossible de savoir, de la façon la plus fiable possible, mais aussi la plus passionnante.
En commentant une illustration en double page, le scénariste a ce mot : Il restait si peu d’espace libre, dans une vie si pleine… Effectivement, la lecture peut donner une impression de narration dense, à commencer par la taille des lettres plus petite que d’habitude, ainsi régulièrement que la densité d’informations visuelles. Dans le même temps, chaque case s’assimile au premier coup d’œil et se lit facilement. L’artiste utilise un mode amalgamant des traits de contour relativement fins et souples avec de discrets arrondis convenant parfaitement à la jeunesse du musicien, et la technique de la couleur directe pour apporter d’autres informations visuelles, des textures et des ambiances lumineuses. Ainsi il réalise une reconstitution historique étoffée aussi remarquable que naturelle. Le lecteur peut très bien ne pas y prêter attention plus que ça au début. Bien vite, il prend conscience qu’il trouve les éléments qu’il attendait : les roulottes, les tenues manouches, les costumes de gadjé musiciens de Paris avec leur feutre mou, les scènes communautaires des gens du voyage, etc. À l’occasion d’une scène ou d’une autre, la curiosité ou un détail l’intrigue et il prête plus d’attention à une case ou un élément visuel. Il se rend alors compte de l’investissement du dessinateur dans ses représentations.
Efa va au-delà de la simple impression globale ou de l’apparence au premier coup d’œil. Il soigne chaque aspect historique : les tenues vestimentaires en différenciant celles plus traditionnelles des Manouches, entre femmes et hommes, ou encore les enfants. Il évoque aussi bien les terrains vagues de la Zone, que les rues pavées de Paris, les rails du tramway, la cour intérieure de l’hôpital Lariboisière. Il soigne également les intérieurs, tant dans leur aménagement que leur décoration, ou encore les accessoires : les roulottes, les bistrots accueillant un orchestre, la chambre d’hôpital, les couloirs de Lariboisière. Dans la première partie, le lecteur se régale avec les quatre cents coups de Django : bagarre de bande, attaque de voiture automobile pour provoquer un accident, tentative de faire dérailler un tramway, et puis l’apprentissage obsessionnel du banjo-guitare avec l’intensité propre à cet âge. Alors que Django devient majeur, sa confiance en lui et son arrogance en impose, avec toujours cette implication dans son art qui le rend sympathique (et puis le lecteur sait qu’il va devenir un dieu de la guitare, mondialement reconnu). Après l’accident, le lecteur regarde le jeune homme à la fois abattu par la perte de son talent, à la fois accablé à la perspective d’une vie de mendiant. La direction d’acteurs insuffle une vie et une plausibilité dans les comportements, au point que le lecteur ressent comme une vérité ce qu’il voit. La mise en scène apporte également une grande clarté dans chaque scène, ainsi qu’une évidence narrative : l’apaisement procuré par la concentration de la pratique du banjo, le contentement ineffable de pouvoir jouer dans un ensemble d’adultes, l’attraction amoureuse magnétique entre Django et Florine Mayer, la communauté manouche unie pour récupérer Django et l’extraire de l’hôpital, les magnifiques deux pages de réapprentissage avec la position de la main gauche sur le manche, etc.
Le scénariste a fourni un travail tout aussi remarquable de reconstitution historique que ce soit pour les lieux comme la Zone (espace résultant de l’enceinte de Thiers, surnommé aussi les fortifications ou les fortif’) ou l’hôpital Lariboisière, pour l’évocation de la première carrière de Django avec ses différents chefs de formation musicale : Pierre Vettese dit Guérino (1895-1952), accordéoniste français d'origine sinti piémontaise, Jean Vaissade (1911-1979), accordéoniste et un compositeur français, Jack Hylton (1892-1965), chef d'ensemble à vent, chef d'orchestre, impresario, Émile Audiffred (1894-1948), chanteur, librettiste, parolier et producteur français. S’il connaît le répertoire de l’époque, le lecteur relève les références aux airs populaires, sinon il les découvre dans le dossier en fin d’ouvrage, à commencer par Nuages. Bientôt le lecteur suit Django, en pleine empathie, sans plus se préoccuper de faire preuve de distanciation ou d’esprit critique. Il poursuit sa lecture avec le dossier dans lequel l’auteur expose ce qui relève de faits établis, et ce qui relève d’une interprétation, assimilant par là-même les informations historiques et leur contexte dont il ne disposait pas forcément. Il prend connaissance de l’état d’esprit du scénariste ou de sa ligne directrice : Quand l’historien et le scénariste se mettent finalement d’accord, ils en arrivent à une conclusion claire, il n’existe pas de héros réel qui n’ait sa part de légende.
Qu’il ait déjà succombé au charme de Nuages ou non, le lecteur peut éprouver de la curiosité pour les jeunes années de Django Reinhardt, avant la célébrité, ou vouloir retrouver ce duo d’auteurs. Il apprécie immédiatement la narration visuelle colorée et agréable, tout autant que rigoureuse, documentée, à la mise en scène fluide et sophistiquée. Il suit un jeune délinquant sur une mauvaise pente, trouvant sa raison de vivre dans le banjo qui lui permet d’intégrer le monde des adultes en avance, puis le terrible accident et la force de caractère permettant de construire une seconde vie, avec l’aide de sa communauté. Singulier.
Ce premier épisode est plein de promesses. C'est une série jeunesse qui débute sur une belle lancée pour plaire à un public assez jeune. J'y ai trouvé un bel équilibre entre le scénario et un graphisme très attractif et coloré. Le scénario reste classique mêlant le merveilleux, le surnaturel et l'aventure du jeune orphelin Loun et de la salamandre Nahal qui ne sait pas attraper de poissons.
Loun malgré son jeune âge est un pêcheur expérimenté, aidé dans sa pratique par la protection du Poisson-roi. Suite à une bévue de Nahal les deux personnages devront s'acquitter d'une épreuve qui les conduira à la découverte d'éléments du passé douloureux de Loun. Les valeurs de courage, solidarité, complémentarité et responsabilité sont mises en avant à travers le personnage de Loun très mature. Nahal fait un contrepoint comique qui exprimera sa complémentarité le moment venu.
La narration est très fluide avec un bon niveau de langage ce qui procure une lecture facile et agréable pour tous.
J'ai beaucoup apprécié le graphisme rond, dynamique et coloré de Zoé B. Simpson. L'autrice nous entraine dans une ambiance à la saveur asiatique très exotique. Le village côtier puise son inspiration dans l'architecture méditerranéenne. Ce mixte humain-animaux passe très bien et donne une belle diversité à un visuel très bien travaillé dans les détails.
Une lecture jeunesse attrayante et j'attends la suite avec curiosité.
J’avais déjà lu pas mal de choses sur ce thème, dans le Canard enchainé et dans le Monde Diplomatique, mais cet album remet très bien les choses en place, et en lumière. Il compile et adapte plusieurs enquêtes publiées par Disclose et par La Revue dessinée, le tout accompagné de mises au point inédites et de divers compléments. Le seul reproche que l’on pourrait faire à cette publication est que certains thèmes, certains faits se répètent, sont un peu redondant.
Mais l’ensemble est très intéressant. Très documenté, factuel, la démonstration est implacable. La France vend des armes – et de plus en plus – au mépris des valeurs qu’elle proclame défendre, mais aussi des traités et engagement qu’elle a pris. Et ce dans une grande discrétion, le secret défense arrivant opportunément pour protéger le secret des affaires, les collusions entre marchands d’armes et hauts dirigeants. Le Drian, ministre transformé en représentant des marchands d’armes français est en cela édifiant, Tartuffe incarnant l’hypocrisie à son apogée.
Les milliers de civils victimes des armes et technologies françaises, au Yemen, en Égypte – voire en Ukraine – ne pèsent pas lourds face aux milliards engrangés par les industriels français et face à « l’intérêt national ».
La narration est très agréable, parfois ludique et humoristique, en tout cas jamais barbante. C’est fluide et instructif, comme souvent pour les reportages de La Revue dessinée. C’est à lire, pour se rendre compte à quel point nos dirigeants (de droite comme de gauche) se foutent de nous lorsqu’ils se scandalisent médiatiquement des guerres et des dictatures, qu’ils ont pourtant facilitées et renforcées.
Dans le triptyque à succès d'Alan Moore, il me manquait ce "V pour Vendetta" à mon tableau de lecture.
Dans une Angleterre imaginaire, un régime totalitaire est au pouvoir après une guerre nucléaire, nous sommes en 1977.
Alan Moore nous décrit un régime néo-fasciste à vomir, régime évidement raciste et homophobe. Média d'État, caméras de surveillance à chaque coin de rue sont ses outils pour contrôler le peuple.
V est un homme qui cache son visage sous un masque. Le choix de ce masque ne doit rien au hasard puisqu'il reprend un portrait stylisé de Guy Fawkes (membre d'un groupe qui a planifié la Conspiration des Poudres). Il se veut la mèche qui réveillera les consciences avec ses idées anarchistes.
Un récit dense, bourré de références, des passages un peu longuet, mais c'est passionnant, intrigant et effrayant.
Une œuvre, qui malgré ses 35 ans ne fait pas son âge, elle est toujours d'actualité. Elle nous rappelle que rien n'est jamais acquis.
Alan Moore a le don de choisir des dessinateurs clivants, et à chaque fois je me trouve dans le camp de la minorité. Il est vrai qu'au premier regard, ce dessin et ces couleurs ne sont guère appétissants. Mais en y regardant de plus près, ce dessin vieillot au trait gras pas toujours lisible au premier regard et à la colorisation terne contribue fortement à ressentir cette ambiance inquiétante qui enveloppe le lecteur d'une chape de plomb.
Du bon boulot.
Le meilleur Alan Moore avec From Hell.
Les biographies m'ennuient souvent, et je n'avais qu'une curiosité très modérée à l'idée de découvrir le parcours de Patrick Dewaere, acteur français dont j'avais bien sûr entendu parler mais dont je n'avais vu aucun film. Pourtant, je dois reconnaître que cette BD m'a surpris par la qualité de sa narration, qui m'a complètement absorbé.
Le choix narratif est original : ce n'est pas un biographe extérieur qui raconte, mais Patrick Dewaere lui-même, qui se confie à la première personne. Son récit n'est pas chronologique, mais reste toujours fluide et intuitif, on ne s'y perd jamais. Il commence par les heures qui précèdent sa mort, puis remonte progressivement le fil de ses pensées pour expliquer comment il en est arrivé là, ce qui l'a façonné, ce qui l'a abîmé. Le ton est humain, direct, sans fioritures, et malgré les allers-retours dans le temps, l'ensemble reste clair et cohérent.
C'est aussi une immersion dans la France des années 70, une époque qui me rebute toujours un peu mais qui prend ici vie avec beaucoup de relief. L'ambiance, les mentalités, les rapports humains : tout est bien restitué. On comprend sans difficulté l'état d'esprit du personnage principal et de son entourage. Patrick Dewaere est présenté sans filtre : un acteur talentueux, intense, mais aussi un homme tourmenté, égocentrique, parfois violent, psychologiquement cabossé, probablement à cause d'un viol subi dans sa jeunesse (évoqué sans être ici raconté).
Tout au long de la lecture, j'ai trouvé le récit instructif et remarquablement construit, mais c'est surtout sa conclusion qui m'a marqué. La mise en scène, les dialogues, l'émotion contenue mais juste : les dernières pages m'ont touché de manière inattendue.
Pour quelqu'un dont je ne connaissais rien et que je n'avais jamais vu jouer, c'est une biographie réussie.
J'apprécie généralement les albums sans texte pour la jeunesse. Pour une fois ce ne sont pas les éditions de la Gouttière (Anuki,Passe-passe, Myrmidon) mais une autre petite maison, Le Diplodocus, qui propose cet excellent récit graphique de David Wautier. Cette série s'adresse surtout aux jeunes lecteurs et lectrices de 4/5 ans comme une initiation à la BD mais pas seulement. En effet j'ai immédiatement été séduit par l'intelligence du scénario qui peut facilement parler à un lectorat plus âgé (comme moi). Tout d'abord 44 pages, c'est beaucoup pour un très jeune lectorat. Cela demande un effort de concentration assez intense pour ne pas lâcher sa lecture. C'est tout le talent de l'auteur de proposer des "rebondissements", une montée dans l'intensité dramatique des évènements puis un final classique mais libérateur pour réussir à capter l'attention jusqu'au bout.
Wautier choisit un environnement inhabituel pour un très jeune public : une ferme isolée au pied de la Monument Valley dans le désert de l'Arizona. Un jeune garçon de 5/6 ans s'y promène avec sa petite sœur (et sa poupée) seuls à quelques centaines de mètre de la ferme où la maman est seule à faire le linge. Une entrée en matière particulière car si elle permet une appropriation immédiate pour un très jeune lectorat, elle installe un climat assez fort d'angoisse pour une vision adulte (isolement, vulnérabilité des personnages). Ce sentiment augmente quand on sent le danger invisible arriver. Des Indiens ? des hors la loi ? ce serait un imaginaire adulte sur lequel Wautier joue avec malice. Non ce ne sont que des nuages noirs qui soulagent le lecteur adulte mais pas forcément l'enfant qui voit son espace de confort malmené par des événements qu'il connait bien.
Ce (trop) long développement pour montrer comment j'ai trouvé intelligente la construction du récit de l'auteur.
Le reste n'est que plaisir des yeux ! le graphisme de Wautier pouvant parler à un public très large. La construction des planches reste dans le classique gaufrier émotionnel et actif avec quelques pleines pages contemplatives.
Une très belle lecture pour tous à faire seul.e ou partagée.
Jouer à voir
-
Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Son édition originale date de 1978. Il s’agit de la première collaboration entre Alejandro Jodorowsky (scénario) et Jean Giraud (1938-2012), sous le pseudonyme de Mœbius. Cet ouvrage compte cinquante pages de bande dessinée. L’édition de 2013 présente la particularité d’avoir été imprimée sur des pages jaunes. Elle comprend également une préface écrite par le scénariste le vingt-neuf juillet 2011. Il explique comment il avait commencé à travailler sur le projet de film d’adaptation du roman Dune (1970) de Frank Herbert (1920-1986). Lors d’un plein d’essence, il découvre sur les rayonnages de la station-service de splendides dessins de vaisseaux spatiaux signés Mœbius, et sur une série western dessinée par Jean Giraud, et il comprend qu’il a trouvé l’artiste pour les costumes et celui pour le storyboard. Arrivé à Paris, il rend visite à son attaché de presse qui est en conversation avec Jean Giraud, et le scénariste découvre qu’il a devant lui les deux personnes qu’il recherche, et qui ne sont qu’un seul homme. Puis il explique dans sa préface les circonstances de la réalisation de la présente histoire, réalisée à titre gracieux, et offerte aux lecteurs du mensuel Métal Hurlant, publié par les Humanoïdes Associés.
Un enfant se tient dans l’encadrement d’une très haute fenêtre, ou sur une terrasse. Il est revêtu d’un vêtement ample, il a le crâne rasé. Il regarde au loin. Haut dans le ciel un aigle s’éloigne pour une destination inconnue. Une mégalopole indéterminée : de très hauts gratte-ciels qui surplombent les autres constructions, certaines se trouvant dans leur ombre. Des antennes au sommet de ces constructions fines et élancées. Le ciel est totalement masqué par des nuages d’une nature indiscernable.
L’enfant n’a pas bougé de place. Il se tient parfaitement immobile, tourné vers le lointain, dans la même posture. À une distance indéterminée dans la ville, les nuages ont pris une forme étale, constituant une sorte de plafond opaque. Il se produit une trouée à la forme régulière qui laisse passer comme une colonne inclinée de lumière atteignant le sol d’une sorte de placette. Dans ce quartier, l’architecture de la ville combine plusieurs caractéristiques. Comme un rappel d’une fortification, ou peut-être une large parcelle piétonne desservant les étages les plus élevés des maisons. Il se trouve aussi un mélange d’immeubles parisiens et de constructions plus baroques surmontées de dômes. Au pied de l’une d’elle sur le pont piétons se trouvent des débris de maçonnerie. L’enfant respecte une immobilité parfaite devant sa très haute fenêtre : il a perçu le rayon de soleil qui a percé la couche nuageuse. Il s’agit en fait d’un rayon de lumière d’un ou deux mètres de diamètre qui atteint le sol de la placette. Les façades d’immeubles sont délabrées : les fenêtres éclatées, des impacts sur les murs, le revêtement dégradé. Des détritus au sol de nature technologique. Au travers d’une fenêtre brisée, apparaissent des objets abandonnés en tas. Le secteur semble désert, dépourvu de toute présence humaine.
En lisant la préface, le lecteur prend connaissance des circonstances dans lesquelles cette bande dessinée a vu le jour : une belle campagne de publicité de l’éditeur qui a pris la forme d’une nouvelle collection de petits volumes, en tirage limité, baptisée Mistral. Chacun de ces volumes portaient la mention : Cette édition ne saurait être vendue, elle est donnée gratuitement à tout fidèle des Humanoïdes Associés. Jodorowsky explicite en détails les conditions de réalisation de ces petits volumes. Il commence par rappeler que : La bande dessinée est un art industriel, les artistes sont des artisans, ils font leur travail et ils sont payés à la page, c’est leur modus vivendi. Pour ces ouvrages, l’éditeur leur proposait de travailler gratuitement, c’est-à-dire sans toucher de droits d’auteurs, ce que les présents créateurs ont accepté pour être sûr sur que leur autre projet puisse bien aller jusqu’à la publication, en l’occurrence L’Incal. Afin de répondre à la demande, le scénariste a intégré les spécifications et les exigences éditoriales, pour les transformer en un exercice de style. Il a indiqué à l’artiste que : Plutôt que de réaliser des planches découpées en vignettes, ils vont présenter l’histoire comme une suite d’illustrations aussi solitaires que l’enfant et le chat, et chaque vignette occupera une page entière. En face de chaque tableau, l’artiste pourra mettre comme un motif qui se répète, l’ombre de l’enfant en train de regarder par la fenêtre.
Ainsi les contraintes éditoriales deviennent une structure formelle conceptuelle. Les créateurs partent sur le principe que la planche de gauche, celle avec l’enfant qui tourne le dos au lecteur, est multipliée dix-huit fois. Dans la première, Mœbius a simplement ajouté l’aigle au loin qui part en chasse. Puis lorsque l’aigle revient après une longue attente, il a commencé à animer l’enfant, et à modifier les ombres qui fonctionnent alors comme un contrechamp de l’image à droite. En outre, le personnage prononce en tout et pour tout douze phrases, très courtes, moins de dix mots à chaque fois, saupoudrées sur douze pages différentes. Du coup, au premier contact, la lecture s’avère très rapide : dix minutes en prenant le temps de vérifier si le personnage a bougé d’une page de gauche à une autre, et en absorbant les informations visuelles de la page de droite. L’intrigue s’avère linéaire et simple : page de gauche le personnage a vu partir l’aigle et il attend son retour sans bouger, page de droite l’aigle finit par arriver sur la placette où il fait face au chat que mentionne le titre du récit. La promesse implicite de la couverture est tenue : il y a bien un affrontement entre les deux animaux. Le récit se clôt en bonne et due forme, inscrivant le récit dans le genre horrifique, dans un environnement de science-fiction. Et voilà.
Le récit s’avère plus intéressant pour un amateur de bande dessinée en tant que médium. Il constitue la première collaboration entre deux auteurs majeurs, qui travailleront ensuite sur la série L’Incal (1980-1988), la trilogie du Cœur couronné (La folle du Sacré Cœur, Le piège de l’irrationnel, Le fou de la Sorbonne), Griffes d’ange, ainsi que sur le projet de film avorté Dune. Il permet également d’admirer les planches de l’artiste, dans un récit complet, avec une structure rigoureuse et accessible. Tout commence avec une page de gauche, et la silhouette immobile du personnage de dos, dans un grand cadre étroit vertical. Le lecteur en déduit qu’il s’agit du personnage principal, qu’il se tient dans l’embrasure d’une fenêtre monumentale, démesurée par rapport à la taille d’un être humain, relativisant l’importance de ce dernier dans un décor gigantesque. Il découvre la répétition de cette image à l’identique, dix-sept fois la même, et avec un élément supplémentaire (l’aigle au loin dans le ciel) pour la première. Ce dispositif visuel produit un effet de stabilité, d’impassibilité, laissant le doute dans l’esprit du lecteur si le personnage est perdu dans ses pensées, ou au contraire focalisé sur la survenance d’un événement à venir. Le déroulement du récit lui permet de comprendre qu’il s’agit de la deuxième hypothèse.
Les pages de droite s’avèrent plus fournies en information, constituant une narration visuelle plus classique, racontant des événements dans un ordre chronologique. Du fait de la composition de l’ouvrage, une case par page, celle de gauche identique de l’une à l’autre, l’attention du lecteur se trouve focalisée sur les informations contenues dans l’illustration en pleine page à droite. Il commence par s’intéresser à l’environnement : une mégalopole dans un futur indéterminé, peut-être pas sur Terre, peut-être que oui, cela n’a finalement pas d’importance dans le récit. Une influence de l’urbanisme parisien visible dans certaines formes d’immeubles et de toitures. Et comme une ville construite pour partie par-dessus, avec une architecture futuriste, un avenir plus ou moins lointain, pas très rieur, une forme de résignation à un environnement inhospitalier commençant à se délabrer. Le lecteur relève un ou deux détails supplémentaires : les appareillages technologiques abscons dont il n’est pas possible de devenir les fonctions, les déchets présents sur le sol, et la forme caractéristique d’une plante à cinq feuilles sur le frontispice au-dessus de la fenêtre à l’extérieur.
Les pages de droites révèlent également que le personnage se tient bien devant l’encadrement d’une haute fenêtre, et qu’il s’agit peut-être d’un adolescent ou d’un jeune adulte. Le lecteur découvre donc progressivement l’intrigue : l’apparition d’un chat sur la placette et l’arrivée de l’aigle pour un affrontement, comme le montre l’illustration retenue pour la couverture de l’édition de 2013. Jodorowsky utilise le mot tableau pour parler de chacune de ces illustrations. Le lecteur fait l’expérience qu’elles forment bien d’une narration séquentielle : chacune raconte quelque chose en elle-même, et en relation avec la précédente et la suivante elle constitue un moment. Sur la première planche de droite, le lecteur ne voit pas juste la représentation d’une ville d’un point de vue au-dessus des toits, il voit ce que voit le personnage, il voit une cité d’anticipation, et il voit un ciel bouché, peut-être du fait de la pollution atmosphérique, une préoccupation très prégnante à l’époque de la réalisation du récit. Dans la deuxième, il comprend que la trouée dans les nuages laissant passer la lumière du soleil constitue un événement, rendant l’image dynamique, au lieu d’une simple représentation statique. Dans la troisième, la lumière du soleil atteint le sol de la placette : vraisemblablement un fait remarquable, comme un coup de projecteur sur cet endroit précis, et le décor montre qu’il s’agit d’un quartier particulier de la mégalopole. Par la suite, le lecteur ressent les variations de nature dans les cadrages et les cadrages plus ou moins large ou près : les postures et la curiosité du chat, le comportement de prédateur de l’aigle, le lien qui l’unit au personnage humain, etc. La narration visuelle se suffit à elle-même pour que le lecteur comprenne l’intrigue, sans l’aide de mots.
Une curiosité que cette première collaboration entre ces deux créateurs hors norme ? Il y a de cela, et c’est aussi une leçon magistrale d’art séquentiel, de narration visuelle utilisant les fortes contraintes de production du récit (pagination imposée, absence de rémunération, rythme élevé de production) pour structurer la bande dessinée. Une histoire courte vite lue et classique ? Certes, et aussi une intrigue de genre, cruelle et mystique (l’affrontement entre deux animaux pour le bénéficie d’un être humain isolé du reste de l’humanité dans sa tour d’ivoire, et délabrée). Un conte impitoyable pour adultes.
3.5
J'aime bien les séries de mangas qui montrent l'envers du décor du monde des mangas. J'ai lu les deux premiers tomes de cette nouvelle série est c'est vraiment bon !
Bon, par moment on dirait que les problèmes du personnage principal sont un peu exagérés (je pense surtout aux assistants qui semblent être les pires du monde), mais la vie de mangaka est effectivement dure, constamment sur leur table à dessin à faire des dizaines de pages par semaine et les débutants sont à la merci d'éditeurs qui peuvent faire ce qu’ils veulent d'eux vu que le manga est un marché concurrentiel et pleins d'auteurs disparaissent rapidement s'ils ne plaisent pas aux lecteurs.
Une particularité de cette série est qu'en plus de voir un jeune mangaka galérer même après avoir rencontré le succès, on voit son lui du futur qui est revenu dans le passé pour lui dire d'arrêter les mangas parce qu'il va gâcher sa vie. Il y a aussi le seul personnage féminin qui est intéressant. Au début, on dirait juste le gros cliché sexiste de la femme qui couche avec n'importe qui de connu, mais dans le second tome on commence à lui donner une personnalité un peu plus complexe de femme sexy qui vit dans un monde patriarcal qui ne la considère que comme un objet sexuel. J'espère que les tomes suivants vont continuer dans ce sens et la développer encore plus.
Le dessin est bon, c'est le style réaliste que j'aime bien retrouver dans ce genre de seinen.
Je suis un grand admirateur du travail d'Olivier Grenson. Que ce soit Koda ou La Femme accident j'aime ses créations graphiques souples et détaillées. Ici Grenson propose une création complète avec un scénario où l'on devine qu'il a mis beaucoup de lui-même. En effet les deux thématiques principales qui sont le deuil et la réconciliation impliquent souvent une pioche dans un vécu douloureux pour nourrir le récit. On en a malheureusement la confirmation avec la dédicace nécrologique glaçante en avant propos du T1.
L'auteur nous propose deux personnages centraux sombres qui se nourrissent de rancœurs contre les autres ou contre eux-mêmes. Malgré les épisodes sur la guerre de Corée, Grenson propose un récit plus introspectif qu'actif. Le rythme est donc lent à la mesure de la gestation de la parole libératrice. Grenson positionne son récit sur plusieurs niveaux de réconciliations, intra familiale (le couple ou. Billy/Ted ) au niveau national entre les deux Corée et envers soi-même. Cette proposition élargie donne à la thématique une belle profondeur avec des passages ou des dialogues très touchants quand l'auteur y ajoute celle du deuil. J'ai quelques réserves mineurs sur certains points du récit de Ted mais cela ne m'a pas empêché d'apprécier la fluidité du récit.
Evidemment le graphisme de Grenson est toujours un plaisir de l'œil et donne à la narration un confort constant. Toutefois j'ai trouvé certaines cases moins abouties surtout pour les visages des deux femmes Martha et Emily. Pour le reste c'est toujours très réussi que ce soit dans les extérieurs de Corée, de San Francisco ou des épisodes de guerre.
Une belle lecture qui invite au retour sur soi dans de nombreux passages.
En France, les livres sont au même prix partout. C'est la loi !
Avec BDfugue, vous payez donc le même prix qu'avec les géants de la vente en ligne mais pour un meilleur service :
des promotions et des goodies en permanence
des réceptions en super état grâce à des cartons super robustes
une équipe joignable en cas de besoin
2. C'est plus avantageux pour nous
Si BDthèque est gratuit, il a un coût.
Pour financer le service et le faire évoluer, nous dépendons notamment des achats que vous effectuez depuis le site. En effet, à chaque fois que vous commencez vos achats depuis BDthèque, nous touchons une commission. Or, BDfugue est plus généreux que les géants de la vente en ligne !
3. C'est plus avantageux pour votre communauté
En choisissant BDfugue plutôt que de grandes plateformes de vente en ligne, vous faites la promotion du commerce local, spécialisé, éthique et indépendant.
Meilleur pour les emplois, meilleur pour les impôts, la librairie indépendante promeut l'émergence des nouvelles séries et donc nos futurs coups de cœur.
Chaque commande effectuée génère aussi un don à l'association Enfance & Partage qui défend et protège les enfants maltraités. Plus d'informations sur bdfugue.com
Pourquoi Cultura ?
Indépendante depuis sa création en 1998, Cultura se donne pour mission de faire vivre et aimer la culture.
La création de Cultura repose sur une vision de la culture, accessible et contributive. Nous avons ainsi considéré depuis toujours notre responsabilité sociétale, et par conviction, développé les pratiques durables et sociales. C’est maintenant au sein de notre stratégie de création de valeur et en accord avec les Objectifs de Développement Durable que nous déployons nos actions. Nous traitons avec lucidité l’impact de nos activités, avec une vision de long terme. Mais agir en responsabilité implique d’aller bien plus loin, en contribuant positivement à trois grands enjeux de développement durable.
Nos enjeux environnementaux
Nous sommes résolument engagés dans la réduction de notre empreinte carbone, pour prendre notre part dans la lutte contre le réchauffement climatique et la préservation de la planète.
Nos enjeux culturels et sociétaux
La mission de Cultura est de faire vivre et aimer la culture. Pour cela, nous souhaitons stimuler la diversité des pratiques culturelles, sources d’éveil et d’émancipation.
Nos enjeux sociaux
Nous accordons une attention particulière au bien-être de nos collaborateurs à la diversité, l’inclusion et l’égalité des chances, mais aussi à leur épanouissement, en encourageant l’expression des talents artistiques.
Votre vote
Rolqwir
Si vous aimez la bd "Gobelin's" ou Trolls de Troy je pense que vous aimerez rolqwir. Un jeune chevalier français qui rêve d'aventures mais qui n'est pas bien futé, se retrouve au Japon. Beaucoup de références sur notre culture française, clichés et pop culture, tout cela détourné de façon humoristique. A lire.
Django Main de feu
Django a peut-être été l’homme le plus libre de tous les temps. - Ce tome contient une biographie des jeunes années de Django Reinhardt (1910-1953) qui ne nécessite pas de connaissance préalable sur ce musicien. Son édition originale date 2020. Il a été réalisé par Salva Rubio pour le scénario et par Ricard Efa pour les dessins et les couleurs. Il comprend soixante-deux pages de bande dessinée. Il débute par un texte introductif d’une page, rédigé par Thomas Dutronc qui déclare que Django était un dieu de la guitare, et qui développe son admiration pour ce musicien. Il se termine avec un copieux cahier thématique de seize pages avec de nombreuses photographies abordant la réalité historique de la vie de Django Reinhardt, entre ce qui est connu des circonstances de sa naissance, l’environnement dans lequel il a grandi (la Zone), le choix des morceaux interprétés par Django au cours de la bande dessinée (Les yeux noirs, La Madelon, La Montmartroise, et bien sûr Nuages, Everybody loves my baby, Ma régulière, Dinah, The sheik, Hard hearted Hannah), ses débuts un peu décalés dans le monde du bal musette, ses premiers contacts avec le jazz, ses premiers enregistrements et son nom mal orthographié, ainsi que son séjour à l’hôpital. Vient enfin une bibliographie sélective. Par une rude journée d’hiver, dans une épaisse robe, avec un châle et un fichu, Laurence Reinhart marche d’un bon pas dans le chemin enneigé. Elle se hâte de gagner le village, tout en tenant fermement son ventre rebondi de femme enceinte. Soudain, elle sent qu’elle perd les eaux, et elle peut voir la flaque fumante dans la neige. Le vingt-trois janvier 1910, sur la grand-place du village de Liberchies, près de Charleroi, en Belgique, un groupe de musiciens est en train de monter sur l’estrade. Jean-Baptiste Reinhardt s’agace que sa femme ne soit pas encore arrivée, qu’elle n’en fasse qu’à sa tête. Une dame lui dit que le bébé est arrivé. Dans une roulotte, la jeune mère est allongée, le nouveau-né dans ses bras. Le père finit par arriver et il lui donne un nom : Django. Oui, Django était arrivé parmi eux. Mais Django Reinhardt a eu deux naissances. Celle-ci ne fut que la première. Et chacun sait, c’est de la souffrance que l’on naît. En 1922, la Zone, près de la porte à Choisy, Django a gagné en confiance et il est en train de déclarer à son petit frère et à sa petite sœur que c’est lui le maître de la Zone, le chef de la bande des Foulards Rouges, il est le gangster Django Reinhardt. Et il leur proclame que maintenant ce territoire leur appartient. Et d’ici, ils vont conquérir l’Amérique. Il se tourne vers eux pour les enjoindre d’aller de l’avant, et il se rend compte qu’ils sont restés cachés derrière un talus. Son petit frère Nin-Nin lui rappelle qu’ils sont sur le territoire des Foulards bleus, que ces derniers vont les attraper et leur fichent une raclée. En effet, cinq autres enfants arrivent et les tapent. De retour au camp tzigane, la mère soigne Django et lui déclare qu’elle est bien contente que les autres leur aient flanqué une raclée. Elle ajoute : tant qu’à se bagarrer, ils auraient pu se débrouiller au moins pour gagner. Un ancien intervient pour les réprimander et rappeler que Django pourrait au moins aller à l’école pour apprendre à lire. Le lecteur peut être alléché à l’idée de découvrir un récit de la jeunesse de ce grand guitariste, couvrant majoritairement la période allant de ses douze ans en 1922, à ses vingt ans en 1930. Il peut aussi avoir déjà lu d’autres ouvrages de ce duo de créateurs et être tombé sous le charme de leur narration : Monet - Nomade de la lumière (2017) ou Degas - La Danse de la solitude (2021). Après avoir lu la bande dessinée, il se plonge dans le copieux dossier et il découvre la postface, dans laquelle le scénariste explicite sa démarche. Il rappelle que : Personne, bien sûr, ne rassemble de la documentation sur les premières années de vie d’une personne ordinaire dont on ne s’attend aucunement à ce qu’elle devienne un jour l’un des plus grands génies musicaux du siècle. Il ajoute que : dans l’univers manouche, c’était seulement par la tradition que l’histoire était transmise, volontairement embellie d’anecdotes, d’exagérations et de contes rarement fiables. Enfin il indique qu’un scénariste historien comme lui accomplit une triple tâche. Un : se mettre en quête de témoignages, sources et récits qui fourniront des faits, des scènes et des rencontres dont la bande dessinée rendra compte. Deux : les transformer en un récit fluide, logique et efficace. Trois : atteindre un équilibre entre les deux précédents pour transmettre au lecteur ce qui est su et ce qu’il est impossible de savoir, de la façon la plus fiable possible, mais aussi la plus passionnante. En commentant une illustration en double page, le scénariste a ce mot : Il restait si peu d’espace libre, dans une vie si pleine… Effectivement, la lecture peut donner une impression de narration dense, à commencer par la taille des lettres plus petite que d’habitude, ainsi régulièrement que la densité d’informations visuelles. Dans le même temps, chaque case s’assimile au premier coup d’œil et se lit facilement. L’artiste utilise un mode amalgamant des traits de contour relativement fins et souples avec de discrets arrondis convenant parfaitement à la jeunesse du musicien, et la technique de la couleur directe pour apporter d’autres informations visuelles, des textures et des ambiances lumineuses. Ainsi il réalise une reconstitution historique étoffée aussi remarquable que naturelle. Le lecteur peut très bien ne pas y prêter attention plus que ça au début. Bien vite, il prend conscience qu’il trouve les éléments qu’il attendait : les roulottes, les tenues manouches, les costumes de gadjé musiciens de Paris avec leur feutre mou, les scènes communautaires des gens du voyage, etc. À l’occasion d’une scène ou d’une autre, la curiosité ou un détail l’intrigue et il prête plus d’attention à une case ou un élément visuel. Il se rend alors compte de l’investissement du dessinateur dans ses représentations. Efa va au-delà de la simple impression globale ou de l’apparence au premier coup d’œil. Il soigne chaque aspect historique : les tenues vestimentaires en différenciant celles plus traditionnelles des Manouches, entre femmes et hommes, ou encore les enfants. Il évoque aussi bien les terrains vagues de la Zone, que les rues pavées de Paris, les rails du tramway, la cour intérieure de l’hôpital Lariboisière. Il soigne également les intérieurs, tant dans leur aménagement que leur décoration, ou encore les accessoires : les roulottes, les bistrots accueillant un orchestre, la chambre d’hôpital, les couloirs de Lariboisière. Dans la première partie, le lecteur se régale avec les quatre cents coups de Django : bagarre de bande, attaque de voiture automobile pour provoquer un accident, tentative de faire dérailler un tramway, et puis l’apprentissage obsessionnel du banjo-guitare avec l’intensité propre à cet âge. Alors que Django devient majeur, sa confiance en lui et son arrogance en impose, avec toujours cette implication dans son art qui le rend sympathique (et puis le lecteur sait qu’il va devenir un dieu de la guitare, mondialement reconnu). Après l’accident, le lecteur regarde le jeune homme à la fois abattu par la perte de son talent, à la fois accablé à la perspective d’une vie de mendiant. La direction d’acteurs insuffle une vie et une plausibilité dans les comportements, au point que le lecteur ressent comme une vérité ce qu’il voit. La mise en scène apporte également une grande clarté dans chaque scène, ainsi qu’une évidence narrative : l’apaisement procuré par la concentration de la pratique du banjo, le contentement ineffable de pouvoir jouer dans un ensemble d’adultes, l’attraction amoureuse magnétique entre Django et Florine Mayer, la communauté manouche unie pour récupérer Django et l’extraire de l’hôpital, les magnifiques deux pages de réapprentissage avec la position de la main gauche sur le manche, etc. Le scénariste a fourni un travail tout aussi remarquable de reconstitution historique que ce soit pour les lieux comme la Zone (espace résultant de l’enceinte de Thiers, surnommé aussi les fortifications ou les fortif’) ou l’hôpital Lariboisière, pour l’évocation de la première carrière de Django avec ses différents chefs de formation musicale : Pierre Vettese dit Guérino (1895-1952), accordéoniste français d'origine sinti piémontaise, Jean Vaissade (1911-1979), accordéoniste et un compositeur français, Jack Hylton (1892-1965), chef d'ensemble à vent, chef d'orchestre, impresario, Émile Audiffred (1894-1948), chanteur, librettiste, parolier et producteur français. S’il connaît le répertoire de l’époque, le lecteur relève les références aux airs populaires, sinon il les découvre dans le dossier en fin d’ouvrage, à commencer par Nuages. Bientôt le lecteur suit Django, en pleine empathie, sans plus se préoccuper de faire preuve de distanciation ou d’esprit critique. Il poursuit sa lecture avec le dossier dans lequel l’auteur expose ce qui relève de faits établis, et ce qui relève d’une interprétation, assimilant par là-même les informations historiques et leur contexte dont il ne disposait pas forcément. Il prend connaissance de l’état d’esprit du scénariste ou de sa ligne directrice : Quand l’historien et le scénariste se mettent finalement d’accord, ils en arrivent à une conclusion claire, il n’existe pas de héros réel qui n’ait sa part de légende. Qu’il ait déjà succombé au charme de Nuages ou non, le lecteur peut éprouver de la curiosité pour les jeunes années de Django Reinhardt, avant la célébrité, ou vouloir retrouver ce duo d’auteurs. Il apprécie immédiatement la narration visuelle colorée et agréable, tout autant que rigoureuse, documentée, à la mise en scène fluide et sophistiquée. Il suit un jeune délinquant sur une mauvaise pente, trouvant sa raison de vivre dans le banjo qui lui permet d’intégrer le monde des adultes en avance, puis le terrible accident et la force de caractère permettant de construire une seconde vie, avec l’aide de sa communauté. Singulier.
Le Pêcheur et la Salamandre
Ce premier épisode est plein de promesses. C'est une série jeunesse qui débute sur une belle lancée pour plaire à un public assez jeune. J'y ai trouvé un bel équilibre entre le scénario et un graphisme très attractif et coloré. Le scénario reste classique mêlant le merveilleux, le surnaturel et l'aventure du jeune orphelin Loun et de la salamandre Nahal qui ne sait pas attraper de poissons. Loun malgré son jeune âge est un pêcheur expérimenté, aidé dans sa pratique par la protection du Poisson-roi. Suite à une bévue de Nahal les deux personnages devront s'acquitter d'une épreuve qui les conduira à la découverte d'éléments du passé douloureux de Loun. Les valeurs de courage, solidarité, complémentarité et responsabilité sont mises en avant à travers le personnage de Loun très mature. Nahal fait un contrepoint comique qui exprimera sa complémentarité le moment venu. La narration est très fluide avec un bon niveau de langage ce qui procure une lecture facile et agréable pour tous. J'ai beaucoup apprécié le graphisme rond, dynamique et coloré de Zoé B. Simpson. L'autrice nous entraine dans une ambiance à la saveur asiatique très exotique. Le village côtier puise son inspiration dans l'architecture méditerranéenne. Ce mixte humain-animaux passe très bien et donne une belle diversité à un visuel très bien travaillé dans les détails. Une lecture jeunesse attrayante et j'attends la suite avec curiosité.
On leur vend des armes
J’avais déjà lu pas mal de choses sur ce thème, dans le Canard enchainé et dans le Monde Diplomatique, mais cet album remet très bien les choses en place, et en lumière. Il compile et adapte plusieurs enquêtes publiées par Disclose et par La Revue dessinée, le tout accompagné de mises au point inédites et de divers compléments. Le seul reproche que l’on pourrait faire à cette publication est que certains thèmes, certains faits se répètent, sont un peu redondant. Mais l’ensemble est très intéressant. Très documenté, factuel, la démonstration est implacable. La France vend des armes – et de plus en plus – au mépris des valeurs qu’elle proclame défendre, mais aussi des traités et engagement qu’elle a pris. Et ce dans une grande discrétion, le secret défense arrivant opportunément pour protéger le secret des affaires, les collusions entre marchands d’armes et hauts dirigeants. Le Drian, ministre transformé en représentant des marchands d’armes français est en cela édifiant, Tartuffe incarnant l’hypocrisie à son apogée. Les milliers de civils victimes des armes et technologies françaises, au Yemen, en Égypte – voire en Ukraine – ne pèsent pas lourds face aux milliards engrangés par les industriels français et face à « l’intérêt national ». La narration est très agréable, parfois ludique et humoristique, en tout cas jamais barbante. C’est fluide et instructif, comme souvent pour les reportages de La Revue dessinée. C’est à lire, pour se rendre compte à quel point nos dirigeants (de droite comme de gauche) se foutent de nous lorsqu’ils se scandalisent médiatiquement des guerres et des dictatures, qu’ils ont pourtant facilitées et renforcées.
V pour Vendetta
Dans le triptyque à succès d'Alan Moore, il me manquait ce "V pour Vendetta" à mon tableau de lecture. Dans une Angleterre imaginaire, un régime totalitaire est au pouvoir après une guerre nucléaire, nous sommes en 1977. Alan Moore nous décrit un régime néo-fasciste à vomir, régime évidement raciste et homophobe. Média d'État, caméras de surveillance à chaque coin de rue sont ses outils pour contrôler le peuple. V est un homme qui cache son visage sous un masque. Le choix de ce masque ne doit rien au hasard puisqu'il reprend un portrait stylisé de Guy Fawkes (membre d'un groupe qui a planifié la Conspiration des Poudres). Il se veut la mèche qui réveillera les consciences avec ses idées anarchistes. Un récit dense, bourré de références, des passages un peu longuet, mais c'est passionnant, intrigant et effrayant. Une œuvre, qui malgré ses 35 ans ne fait pas son âge, elle est toujours d'actualité. Elle nous rappelle que rien n'est jamais acquis. Alan Moore a le don de choisir des dessinateurs clivants, et à chaque fois je me trouve dans le camp de la minorité. Il est vrai qu'au premier regard, ce dessin et ces couleurs ne sont guère appétissants. Mais en y regardant de plus près, ce dessin vieillot au trait gras pas toujours lisible au premier regard et à la colorisation terne contribue fortement à ressentir cette ambiance inquiétante qui enveloppe le lecteur d'une chape de plomb. Du bon boulot. Le meilleur Alan Moore avec From Hell.
Patrick Dewaere - A part ça la vie est belle
Les biographies m'ennuient souvent, et je n'avais qu'une curiosité très modérée à l'idée de découvrir le parcours de Patrick Dewaere, acteur français dont j'avais bien sûr entendu parler mais dont je n'avais vu aucun film. Pourtant, je dois reconnaître que cette BD m'a surpris par la qualité de sa narration, qui m'a complètement absorbé. Le choix narratif est original : ce n'est pas un biographe extérieur qui raconte, mais Patrick Dewaere lui-même, qui se confie à la première personne. Son récit n'est pas chronologique, mais reste toujours fluide et intuitif, on ne s'y perd jamais. Il commence par les heures qui précèdent sa mort, puis remonte progressivement le fil de ses pensées pour expliquer comment il en est arrivé là, ce qui l'a façonné, ce qui l'a abîmé. Le ton est humain, direct, sans fioritures, et malgré les allers-retours dans le temps, l'ensemble reste clair et cohérent. C'est aussi une immersion dans la France des années 70, une époque qui me rebute toujours un peu mais qui prend ici vie avec beaucoup de relief. L'ambiance, les mentalités, les rapports humains : tout est bien restitué. On comprend sans difficulté l'état d'esprit du personnage principal et de son entourage. Patrick Dewaere est présenté sans filtre : un acteur talentueux, intense, mais aussi un homme tourmenté, égocentrique, parfois violent, psychologiquement cabossé, probablement à cause d'un viol subi dans sa jeunesse (évoqué sans être ici raconté). Tout au long de la lecture, j'ai trouvé le récit instructif et remarquablement construit, mais c'est surtout sa conclusion qui m'a marqué. La mise en scène, les dialogues, l'émotion contenue mais juste : les dernières pages m'ont touché de manière inattendue. Pour quelqu'un dont je ne connaissais rien et que je n'avais jamais vu jouer, c'est une biographie réussie.
La Tempête (David Wautier)
J'apprécie généralement les albums sans texte pour la jeunesse. Pour une fois ce ne sont pas les éditions de la Gouttière (Anuki,Passe-passe, Myrmidon) mais une autre petite maison, Le Diplodocus, qui propose cet excellent récit graphique de David Wautier. Cette série s'adresse surtout aux jeunes lecteurs et lectrices de 4/5 ans comme une initiation à la BD mais pas seulement. En effet j'ai immédiatement été séduit par l'intelligence du scénario qui peut facilement parler à un lectorat plus âgé (comme moi). Tout d'abord 44 pages, c'est beaucoup pour un très jeune lectorat. Cela demande un effort de concentration assez intense pour ne pas lâcher sa lecture. C'est tout le talent de l'auteur de proposer des "rebondissements", une montée dans l'intensité dramatique des évènements puis un final classique mais libérateur pour réussir à capter l'attention jusqu'au bout. Wautier choisit un environnement inhabituel pour un très jeune public : une ferme isolée au pied de la Monument Valley dans le désert de l'Arizona. Un jeune garçon de 5/6 ans s'y promène avec sa petite sœur (et sa poupée) seuls à quelques centaines de mètre de la ferme où la maman est seule à faire le linge. Une entrée en matière particulière car si elle permet une appropriation immédiate pour un très jeune lectorat, elle installe un climat assez fort d'angoisse pour une vision adulte (isolement, vulnérabilité des personnages). Ce sentiment augmente quand on sent le danger invisible arriver. Des Indiens ? des hors la loi ? ce serait un imaginaire adulte sur lequel Wautier joue avec malice. Non ce ne sont que des nuages noirs qui soulagent le lecteur adulte mais pas forcément l'enfant qui voit son espace de confort malmené par des événements qu'il connait bien. Ce (trop) long développement pour montrer comment j'ai trouvé intelligente la construction du récit de l'auteur. Le reste n'est que plaisir des yeux ! le graphisme de Wautier pouvant parler à un public très large. La construction des planches reste dans le classique gaufrier émotionnel et actif avec quelques pleines pages contemplatives. Une très belle lecture pour tous à faire seul.e ou partagée.
Les Yeux du Chat
Jouer à voir - Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Son édition originale date de 1978. Il s’agit de la première collaboration entre Alejandro Jodorowsky (scénario) et Jean Giraud (1938-2012), sous le pseudonyme de Mœbius. Cet ouvrage compte cinquante pages de bande dessinée. L’édition de 2013 présente la particularité d’avoir été imprimée sur des pages jaunes. Elle comprend également une préface écrite par le scénariste le vingt-neuf juillet 2011. Il explique comment il avait commencé à travailler sur le projet de film d’adaptation du roman Dune (1970) de Frank Herbert (1920-1986). Lors d’un plein d’essence, il découvre sur les rayonnages de la station-service de splendides dessins de vaisseaux spatiaux signés Mœbius, et sur une série western dessinée par Jean Giraud, et il comprend qu’il a trouvé l’artiste pour les costumes et celui pour le storyboard. Arrivé à Paris, il rend visite à son attaché de presse qui est en conversation avec Jean Giraud, et le scénariste découvre qu’il a devant lui les deux personnes qu’il recherche, et qui ne sont qu’un seul homme. Puis il explique dans sa préface les circonstances de la réalisation de la présente histoire, réalisée à titre gracieux, et offerte aux lecteurs du mensuel Métal Hurlant, publié par les Humanoïdes Associés. Un enfant se tient dans l’encadrement d’une très haute fenêtre, ou sur une terrasse. Il est revêtu d’un vêtement ample, il a le crâne rasé. Il regarde au loin. Haut dans le ciel un aigle s’éloigne pour une destination inconnue. Une mégalopole indéterminée : de très hauts gratte-ciels qui surplombent les autres constructions, certaines se trouvant dans leur ombre. Des antennes au sommet de ces constructions fines et élancées. Le ciel est totalement masqué par des nuages d’une nature indiscernable. L’enfant n’a pas bougé de place. Il se tient parfaitement immobile, tourné vers le lointain, dans la même posture. À une distance indéterminée dans la ville, les nuages ont pris une forme étale, constituant une sorte de plafond opaque. Il se produit une trouée à la forme régulière qui laisse passer comme une colonne inclinée de lumière atteignant le sol d’une sorte de placette. Dans ce quartier, l’architecture de la ville combine plusieurs caractéristiques. Comme un rappel d’une fortification, ou peut-être une large parcelle piétonne desservant les étages les plus élevés des maisons. Il se trouve aussi un mélange d’immeubles parisiens et de constructions plus baroques surmontées de dômes. Au pied de l’une d’elle sur le pont piétons se trouvent des débris de maçonnerie. L’enfant respecte une immobilité parfaite devant sa très haute fenêtre : il a perçu le rayon de soleil qui a percé la couche nuageuse. Il s’agit en fait d’un rayon de lumière d’un ou deux mètres de diamètre qui atteint le sol de la placette. Les façades d’immeubles sont délabrées : les fenêtres éclatées, des impacts sur les murs, le revêtement dégradé. Des détritus au sol de nature technologique. Au travers d’une fenêtre brisée, apparaissent des objets abandonnés en tas. Le secteur semble désert, dépourvu de toute présence humaine. En lisant la préface, le lecteur prend connaissance des circonstances dans lesquelles cette bande dessinée a vu le jour : une belle campagne de publicité de l’éditeur qui a pris la forme d’une nouvelle collection de petits volumes, en tirage limité, baptisée Mistral. Chacun de ces volumes portaient la mention : Cette édition ne saurait être vendue, elle est donnée gratuitement à tout fidèle des Humanoïdes Associés. Jodorowsky explicite en détails les conditions de réalisation de ces petits volumes. Il commence par rappeler que : La bande dessinée est un art industriel, les artistes sont des artisans, ils font leur travail et ils sont payés à la page, c’est leur modus vivendi. Pour ces ouvrages, l’éditeur leur proposait de travailler gratuitement, c’est-à-dire sans toucher de droits d’auteurs, ce que les présents créateurs ont accepté pour être sûr sur que leur autre projet puisse bien aller jusqu’à la publication, en l’occurrence L’Incal. Afin de répondre à la demande, le scénariste a intégré les spécifications et les exigences éditoriales, pour les transformer en un exercice de style. Il a indiqué à l’artiste que : Plutôt que de réaliser des planches découpées en vignettes, ils vont présenter l’histoire comme une suite d’illustrations aussi solitaires que l’enfant et le chat, et chaque vignette occupera une page entière. En face de chaque tableau, l’artiste pourra mettre comme un motif qui se répète, l’ombre de l’enfant en train de regarder par la fenêtre. Ainsi les contraintes éditoriales deviennent une structure formelle conceptuelle. Les créateurs partent sur le principe que la planche de gauche, celle avec l’enfant qui tourne le dos au lecteur, est multipliée dix-huit fois. Dans la première, Mœbius a simplement ajouté l’aigle au loin qui part en chasse. Puis lorsque l’aigle revient après une longue attente, il a commencé à animer l’enfant, et à modifier les ombres qui fonctionnent alors comme un contrechamp de l’image à droite. En outre, le personnage prononce en tout et pour tout douze phrases, très courtes, moins de dix mots à chaque fois, saupoudrées sur douze pages différentes. Du coup, au premier contact, la lecture s’avère très rapide : dix minutes en prenant le temps de vérifier si le personnage a bougé d’une page de gauche à une autre, et en absorbant les informations visuelles de la page de droite. L’intrigue s’avère linéaire et simple : page de gauche le personnage a vu partir l’aigle et il attend son retour sans bouger, page de droite l’aigle finit par arriver sur la placette où il fait face au chat que mentionne le titre du récit. La promesse implicite de la couverture est tenue : il y a bien un affrontement entre les deux animaux. Le récit se clôt en bonne et due forme, inscrivant le récit dans le genre horrifique, dans un environnement de science-fiction. Et voilà. Le récit s’avère plus intéressant pour un amateur de bande dessinée en tant que médium. Il constitue la première collaboration entre deux auteurs majeurs, qui travailleront ensuite sur la série L’Incal (1980-1988), la trilogie du Cœur couronné (La folle du Sacré Cœur, Le piège de l’irrationnel, Le fou de la Sorbonne), Griffes d’ange, ainsi que sur le projet de film avorté Dune. Il permet également d’admirer les planches de l’artiste, dans un récit complet, avec une structure rigoureuse et accessible. Tout commence avec une page de gauche, et la silhouette immobile du personnage de dos, dans un grand cadre étroit vertical. Le lecteur en déduit qu’il s’agit du personnage principal, qu’il se tient dans l’embrasure d’une fenêtre monumentale, démesurée par rapport à la taille d’un être humain, relativisant l’importance de ce dernier dans un décor gigantesque. Il découvre la répétition de cette image à l’identique, dix-sept fois la même, et avec un élément supplémentaire (l’aigle au loin dans le ciel) pour la première. Ce dispositif visuel produit un effet de stabilité, d’impassibilité, laissant le doute dans l’esprit du lecteur si le personnage est perdu dans ses pensées, ou au contraire focalisé sur la survenance d’un événement à venir. Le déroulement du récit lui permet de comprendre qu’il s’agit de la deuxième hypothèse. Les pages de droite s’avèrent plus fournies en information, constituant une narration visuelle plus classique, racontant des événements dans un ordre chronologique. Du fait de la composition de l’ouvrage, une case par page, celle de gauche identique de l’une à l’autre, l’attention du lecteur se trouve focalisée sur les informations contenues dans l’illustration en pleine page à droite. Il commence par s’intéresser à l’environnement : une mégalopole dans un futur indéterminé, peut-être pas sur Terre, peut-être que oui, cela n’a finalement pas d’importance dans le récit. Une influence de l’urbanisme parisien visible dans certaines formes d’immeubles et de toitures. Et comme une ville construite pour partie par-dessus, avec une architecture futuriste, un avenir plus ou moins lointain, pas très rieur, une forme de résignation à un environnement inhospitalier commençant à se délabrer. Le lecteur relève un ou deux détails supplémentaires : les appareillages technologiques abscons dont il n’est pas possible de devenir les fonctions, les déchets présents sur le sol, et la forme caractéristique d’une plante à cinq feuilles sur le frontispice au-dessus de la fenêtre à l’extérieur. Les pages de droites révèlent également que le personnage se tient bien devant l’encadrement d’une haute fenêtre, et qu’il s’agit peut-être d’un adolescent ou d’un jeune adulte. Le lecteur découvre donc progressivement l’intrigue : l’apparition d’un chat sur la placette et l’arrivée de l’aigle pour un affrontement, comme le montre l’illustration retenue pour la couverture de l’édition de 2013. Jodorowsky utilise le mot tableau pour parler de chacune de ces illustrations. Le lecteur fait l’expérience qu’elles forment bien d’une narration séquentielle : chacune raconte quelque chose en elle-même, et en relation avec la précédente et la suivante elle constitue un moment. Sur la première planche de droite, le lecteur ne voit pas juste la représentation d’une ville d’un point de vue au-dessus des toits, il voit ce que voit le personnage, il voit une cité d’anticipation, et il voit un ciel bouché, peut-être du fait de la pollution atmosphérique, une préoccupation très prégnante à l’époque de la réalisation du récit. Dans la deuxième, il comprend que la trouée dans les nuages laissant passer la lumière du soleil constitue un événement, rendant l’image dynamique, au lieu d’une simple représentation statique. Dans la troisième, la lumière du soleil atteint le sol de la placette : vraisemblablement un fait remarquable, comme un coup de projecteur sur cet endroit précis, et le décor montre qu’il s’agit d’un quartier particulier de la mégalopole. Par la suite, le lecteur ressent les variations de nature dans les cadrages et les cadrages plus ou moins large ou près : les postures et la curiosité du chat, le comportement de prédateur de l’aigle, le lien qui l’unit au personnage humain, etc. La narration visuelle se suffit à elle-même pour que le lecteur comprenne l’intrigue, sans l’aide de mots. Une curiosité que cette première collaboration entre ces deux créateurs hors norme ? Il y a de cela, et c’est aussi une leçon magistrale d’art séquentiel, de narration visuelle utilisant les fortes contraintes de production du récit (pagination imposée, absence de rémunération, rythme élevé de production) pour structurer la bande dessinée. Une histoire courte vite lue et classique ? Certes, et aussi une intrigue de genre, cruelle et mystique (l’affrontement entre deux animaux pour le bénéficie d’un être humain isolé du reste de l’humanité dans sa tour d’ivoire, et délabrée). Un conte impitoyable pour adultes.
Stand by me Kakuemon
3.5 J'aime bien les séries de mangas qui montrent l'envers du décor du monde des mangas. J'ai lu les deux premiers tomes de cette nouvelle série est c'est vraiment bon ! Bon, par moment on dirait que les problèmes du personnage principal sont un peu exagérés (je pense surtout aux assistants qui semblent être les pires du monde), mais la vie de mangaka est effectivement dure, constamment sur leur table à dessin à faire des dizaines de pages par semaine et les débutants sont à la merci d'éditeurs qui peuvent faire ce qu’ils veulent d'eux vu que le manga est un marché concurrentiel et pleins d'auteurs disparaissent rapidement s'ils ne plaisent pas aux lecteurs. Une particularité de cette série est qu'en plus de voir un jeune mangaka galérer même après avoir rencontré le succès, on voit son lui du futur qui est revenu dans le passé pour lui dire d'arrêter les mangas parce qu'il va gâcher sa vie. Il y a aussi le seul personnage féminin qui est intéressant. Au début, on dirait juste le gros cliché sexiste de la femme qui couche avec n'importe qui de connu, mais dans le second tome on commence à lui donner une personnalité un peu plus complexe de femme sexy qui vit dans un monde patriarcal qui ne la considère que comme un objet sexuel. J'espère que les tomes suivants vont continuer dans ce sens et la développer encore plus. Le dessin est bon, c'est le style réaliste que j'aime bien retrouver dans ce genre de seinen.
La Douceur de l'Enfer
Je suis un grand admirateur du travail d'Olivier Grenson. Que ce soit Koda ou La Femme accident j'aime ses créations graphiques souples et détaillées. Ici Grenson propose une création complète avec un scénario où l'on devine qu'il a mis beaucoup de lui-même. En effet les deux thématiques principales qui sont le deuil et la réconciliation impliquent souvent une pioche dans un vécu douloureux pour nourrir le récit. On en a malheureusement la confirmation avec la dédicace nécrologique glaçante en avant propos du T1. L'auteur nous propose deux personnages centraux sombres qui se nourrissent de rancœurs contre les autres ou contre eux-mêmes. Malgré les épisodes sur la guerre de Corée, Grenson propose un récit plus introspectif qu'actif. Le rythme est donc lent à la mesure de la gestation de la parole libératrice. Grenson positionne son récit sur plusieurs niveaux de réconciliations, intra familiale (le couple ou. Billy/Ted ) au niveau national entre les deux Corée et envers soi-même. Cette proposition élargie donne à la thématique une belle profondeur avec des passages ou des dialogues très touchants quand l'auteur y ajoute celle du deuil. J'ai quelques réserves mineurs sur certains points du récit de Ted mais cela ne m'a pas empêché d'apprécier la fluidité du récit. Evidemment le graphisme de Grenson est toujours un plaisir de l'œil et donne à la narration un confort constant. Toutefois j'ai trouvé certaines cases moins abouties surtout pour les visages des deux femmes Martha et Emily. Pour le reste c'est toujours très réussi que ce soit dans les extérieurs de Corée, de San Francisco ou des épisodes de guerre. Une belle lecture qui invite au retour sur soi dans de nombreux passages.