C’est une erreur de croire que le silence favorise la paix.
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Ce tome contient une adaptation des cinq reportages réalisés par Annick Cojean pour le quotidien Le Monde en 1995. Son édition originale date de 2025. L’adaptation a été réalisée par Théa Rojzman pour le scénario, et Tamia Baudoin pour les dessins et les couleurs. Il compte cent-vingt-trois pages de bande dessinée. Il s’ouvre avec une introduction de deux pages, rédigée par la journaliste. Elle évoque les témoins bien vivants dans les années 1990, qui avaient vu des choses qu’aucun être humain ne devrait jamais voir, sa qualité de journaliste, à la fois chance et responsabilité, la conscience qu’il lui revenait d’enquêter sur les traces de cette mémoire vivante, de cette mémoire irremplaçable, fut-elle effilochée. Elle termine en évoquant son déplacement à Auschwitz, à l’occasion des commémorations du cinquantième anniversaire de la libération des camps, avec Simone Veil (1927-1917). L’ouvrage se termine avec un dossier de quatorze pages comprenant une postface de Tal Bruttmann (historien français, spécialiste de la Shoah), et des articles sur les archives vidéo Fortunoff de témoignages de l’Holocauste à l’université de Yale, celles de la Shoah Foundation à l’université californienne de Californie du Sud), un entretien avec Tal Bruttmann réalisée par Cojean, un portrait de Grete Munn (1922-2014, rescapée des camps) par Cojean, et enfin une page sur la création du prix Albert Londres.
Annick Cojean avance en titubant dans une forêt calcinée où il ne reste que des troncs dénudés. Elle continue de progresser et elle repère un bourgeon tout en haut d’une branche. Elle ramasse une échelle par terre et l’adosse au tronc pour atteindre le bourgeon. Elle le contemple de près et murmure qu’elle le cherchait, tout en en voyant d’autres sur d’autres arbres. L’année : 1994. L’an prochain, ce sera la commémoration des cinquante ans de la libération des camps de concentration et d’extermination nazis. Ou en est-on ? Annick veut comprendre ce que l’on retient de la Shoah. Et ce qui se transmet dans les familles. Tout ce poids, cette responsabilité, pour les survivants ou leurs enfants, de faire vivre à nouveau la branche. Chapitre Un : Les voix de l’indicible. Annick Cojean descend du train à New Haven dans le Connecticut où elle est attendue et accueillie par une femme tenant une pancarte portant le nom de la journaliste. Elle lui souhaite la bienvenue, et la remercie de s’intéresser à ce programme de l’université de Yale. Une fois installées dans un bureau, l’hôtesse explique à Annick qu’elle va lui montrer quelques-unes de leurs vidéos. Des témoignages archivés depuis 1979 dans le cadre du programme Fortunate Video for Holocaust Testimonies.
De très nombreux témoignages ont été recueillis aux États-Unis, en Israël et dans plusieurs pays d’Europe dont la France. Trois mille rescapés ont parlé malgré l’extrême difficulté de dire, de raconter, de se souvenir. Parler pour sortir d’un silence toxique, pour soi-même, mais aussi pour la mémoire collective. Elle doit bien comprendre qu’ils ont pris le temps et le soin d’élaborer ce programme. Elle n’en verra que le résultat, mais il suit un protocole exigeant mis en place par des équipes de psychologues et de sociologues. Ce ne sont pas de simples interviews…
Le texte de la quatrième de couverture indique clairement la nature de l’ouvrage : transposer les cinq articles de la grande reporter Annick Cojean en bande dessinée, en respectant les mémoires des survivants, de leurs enfants et des enfants de nazis, mémoires encore bien vivantes et actuelles. Un projet assez particulier : à la fois une transposition d’articles de journaux, à la fois un ouvrage supplémentaire sur la Shoah. En fonction de sa familiarité avec le sujet, le lecteur peut s’interroger sur son envie de lire une bande dessinée sur ce sujet, forcément grave, et peut-être un de plus. Les autrices racontent la démarche de la journaliste en la mettant en scène, avec ses projets, ses interrogations, ses réactions, ce qui rend immédiatement les reportages plus vivants et plus accessibles. Il découvre dans l’introduction que ces reportages trouvent leur source dans l’étonnement de la journaliste qu’en 1995 on parlait si peu de la Shoah, que le génocide nazi n’ait été qu’effleuré au lycée sans aucune résonnance avec ce qui se passait au présent, qu’il ne soit pas central dans l’enseignement et le débat public. Dans son introduction, elle écrit : Ce n’était pas si vieux ! C’était documenté ! Il y avait des films, des photos, des journaux, des récits, des centaines de milliers d’archives. Et surtout il y avait des témoins bien vivants. Il s’agissait de les écouter. Dans sa postface, Tal Bruttmann contextualise également ces articles : l’émergence de la mémoire de la Shoah, ils traitent de plusieurs des initiatives mémorielles visant à redécouvrir un passé que certains voulaient reléguer dans l’ombre, ce qui reflétait à quel point la question travaillait les sociétés.
Le lecteur peut également entamer l’ouvrage sans avoir conscience de ce contexte et de ces intentions. Il a le plaisir de découvrir une vraie bande dessinée, plutôt qu’un texte illustré. La séquence d’ouverture comporte trois pages, et seulement deux phylactères, les images portant la majorité de la narration. Qui plus est dans une scène à la fois onirique et métaphorique. Les autrices ont réalisé un vrai travail de transposition, utilisant plusieurs spécificités de la bande dessinée, sans trahir l’intention de la journaliste. La métaphore de la forêt calcinée revient à plusieurs reprises, et elle se trouve explicitée dans un flux de pensées de la journaliste qui compare les enfants des rescapés à d’improbables petits bourgeons sur un chêne calciné. Les autrices utilisent également des juxtapositions visuelles et des éléments surréalistes. Tel ce moment silencieux dans lequel les enfants de rescapés et les enfants de nazis se tiennent de part et d’autre d’une faille dans laquelle se trouvent les cadavres des Juifs exterminés, et ils y descendent pour s’occuper ensemble des cadavres. Ce moment poignant où Niklas Frank, fils de Hans Frank ministre du Troisième Reich (surnommé Bourreau de la Pologne) se couche à même le sol sur des photographies géantes des camps, en en prenant une pour s’en faire une couverture, alors qu’il évoque son sentiment de culpabilité, obsédé par les l’angoisse des Juifs qui allaient mourir. Ou Anne-Marie Levine, pianiste concertiste de New York, née pendant la nuit de cristal. Ses parents se sont enfuis la veille de l’invasion allemande en Belgique où elle est née, installés à Beverly Hills, ne parlant jamais de ce qui se passait en Europe : le lecteur la voit jouer un morceau de piano, trois longues chimères serpentines tournoyant autour d’elle, expression de son inconscient en souffrance du fait du malaise généré par les non-dits.
Le lecteur apprécie tout autant la narration visuelle en mode descriptif et concret. L’artiste réalise des dessins aux contours un peu simplifiés, tout en conservant un bon niveau de détails. Elle prête attention aux tenues vestimentaires, en respectant la mode de l’époque, ou la fonctionnalité. Elle s’attache à représenter les décorations intérieures avec attention : le salon très confortable dans lequel Annick visionne les cassettes vidéo, le bureau de travail de Geoffrey Hartman (1929-2016) à l’université de Yale, celui de Dori Laub (1937-2018, psychiatre et psychanalyste israélo-américain), une salle de concert où se produit la pianiste, l’appartement d’Edda Goering (fille de Hermann et Emmy Goering), un parloir en prison lors d’une visite à Hans Frank, un café, un restaurant, une salle de réunion à l’université allemande de Wuppertal où se rencontrent les enfants de rescapés et ceux de nazis à l’initiative de Dan Bar-On (1938-2008), etc. Elle représente avec la même solidité les environnements en extérieurs, allant des paysages traversés par la voie de chemin de fer, aux camps de concentration et d’extermination. Pour ces derniers, elle sait en retranscrire toute l’inhumanité et l’horreur, sans une once de voyeurisme. Le lecteur en ressort ému et affecté, ayant ressenti de l’empathie pour les souffrances évoquées par les survivants.
Le lecteur peut ressentir de bout en bout la fidélité aux articles originaux. Il assite à la démarche journalistique, il comprend la motivation de la journaliste, il découvre avec elle les travaux mémoriels. Il prend connaissance avec elle des témoignages, passages essentiels de transmission, et aussi de contact direct avec la réalité de ce qu’ont vécu ces personnes, du comportement des soldats. Il sait qu’il est loin d’éprouver par lui-même ces horreurs inimaginables, et dans le même temps il s’en trouve bouleversé. Il retrouve ou il découvre les différentes initiatives mémorielles. Il assiste à la mise en œuvre des captations vidéo. Il écoute avec Annick l’explication du professeur Geoffrey Hartman pour les archives vidéo Fortunoff. En particulier, lorsqu’il dit que : Chaque survivant a un besoin impérieux de dire son histoire pour parvenir à en réunir les morceaux. Besoin de se délivrer des fantômes du passé, besoin de connaître sa vérité enterrée pour pouvoir reconnaître le cours normal de sa vie. C’est une erreur de croire que le silence favorise la paix. Il ne fait que perpétuer la tyrannie des événements passés. Il favorise leur déformation et les laisse contaminer la vie quotidienne. Le mensonge est toxique et le silence étouffe… Parler guérit, oui, mais seulement si on est écouté. Le récit non écouté est un traumatisme aussi grave que l’épreuve initiale. Le lecteur prend la mesure de la double peine que ce fut pour certains rescapés, l’histoire de Grete Munn (1922-2014) en fin de tome en est un témoignage d’une force terrassante. Il peut faire le lien avec les conséquences du silence dans une autre de ses formes pour d’autres crimes abjectes, évoqué par Théa Rojzman dans Grand Silence (2021) avec Sandrine Revel.
Une œuvre formidable sur les mémoires de la Shoah, autant sur les articles d’Annick Cojean, que sur les témoignages des survivants, de leurs enfants, des enfants des nazis, que sur plusieurs initiatives mémorielles dans les années 1990. Avec une narration visuelle riche et adaptée, les autrices font honneur à ces cinq articles, les font connaître à de nouvelles générations, illustrant le besoin de mémoire, et les modalités de sa mise en œuvre. Formidable.
Les amateurs de Chabouté ne seront pas déçus je pense. Un dessin réaliste toujours aussi net et une histoire plus contemplative je dirais sur le voyage préparé de longue date d'un homme solitaire et dévoué à son travail de nuit. Sauf qu'au lieu de partir loin comme il l'espérait, un concours de circonstances l'empêche de bouger donc il décide de loger à l'hôtel de l'autre côté de la place, en face de son appartement. Lui qui vit la nuit et dort le jour découvre la vie de son quartier et de ses habitants. Il s'amuse de quelques objets et y décèle une certaine poésie à la manière d'un Banksy.
N'ayant rien lu avant de l'histoire, je n'ai pas été spoilé du résumé de l'éditeur : "Le lendemain, David se réveille dans le corps de l'inconnue.". C'est quand même le twist que je n'attendais pas. Je pensai lire un roman graphique et ça tourne sur le fantastique. La suite, sans trop dévoiler, est une longue enquête pour savoir comment c'est arrivé, si c'est réversible, qui est la femme dont il a pris le corps, où est son ancien corps à lui etc. On déambule dans l'est de Paris, quartier Belleville principalement, le marché d'Aligre aussi dans cette recherche. On reconnait bien la ville et l'auteur y glisse quelques messages dans le décor (Free Gaza par exemple).
Un épais bouquin de 350 pages qui n'est pas si long à lire. Le style m'a rappelé certains auteurs américains, par exemple Daniel Clowes. Le manga Parasite m'est aussi venu à l'esprit. La fin peut être un chouïa déconcertante et éludée en quelques pages sans plus d'explications. En même temps David avait 2 choix principaux face à sa situation.
Je suis très surpris de cette lecture, qui part sur des chapeaux de roues et s'embarque dans une histoire aux tournants imprévisibles. Je suis très fan de la direction prise par l'histoire après ce premier tome !
Ce tome introductif est parfaitement bien exécuté, avec une histoire vite campée et des personnages bien inspirés. Le protagoniste est ce bretteur amateur de bon mots, protecteur des pauvres gens dans une cité ressemblant un peu à Venise, dans un contexte de magie et de questionnements sociaux. En quelques pages l'histoire prend un envol avec cette congrégation de révolutionnaires qui entendent changer les choses dans le monde. Et si l'on a du classique dans le début de l'aventure, très vite le récit semble accélérer jusqu'à une révélation finale surprenante et qui augure du bon pour la suite. J'ai accroché tout de suite à l'histoire et j'ai envie de voir la suite, qui est prometteuse.
Le tout est servi par un dessin qui est appréciable. Je n'ai encore rien lu de sa part mais la dessinatrice a un coup de crayon qui fait ressortir les scènes d'actions et les intérieurs, tout en ayant un trait global qui rappelle tout à fait les films de capes et d'épées, une esthétique vénitienne et les visuels marquants. L'ensemble est clair et lisible, dynamique et coloré, une lecture franchement agréable ! Je ne peux que recommander la lecture de ce premier tome qui promet pour la suite.
Noir c’est noir, il n’y a plus d’espoir…
C’est la troisième fois que je croise Mau sur un récit aussi noir après les très bons Au revoir Monsieur et Achevé d'imprimer. Et bien avec ce « Bonne nuit les Petits », on est là encore dans un récit à l’atmosphère oppressante, très noir.
Le récit est bâti sur l’entrecroisement de deux histoires, autour de deux personnages que tout semble opposer : Jeanne, une jeune femme qui se bat pour surnager au milieu de la mouise, et Fabrice, un jeune homme plein aux as et fêtard.
Jeanne est une battante, pleine d’envies, qui positive toujours, alors qu’elle ne croise que des beaufs, des gros nazes, et que patrons et mecs ne cherchent qu’à l’exploiter et « se la faire ». Plus on tourne les pages et plus l’univers de Jeanne est noir, même si elle garde toujours l’espoir de s’en sortir, cumulant les petits boulots, les castings. Les passages où nous croisons Fabrice, dilettante dilapidant le fric de son père dans des fêtes où la drogue, l’alcool et les prostituées déconnectent de la réalité sont autant de moments contrastant avec la vie glauque de Jeanne.
Si Mau développe une atmosphère de plus en plus étouffante, la chute – au moment de la rencontre de Jeanne et de Fabrice parvient à atteindre un degré supplémentaire en matière de noirceur, avec une chute pleine d’ironie et d’un humour très noir.
Lenglet accompagne bien ce récit, avec un dessin lui aussi très noir, parsemé de quelques nuances de gris.
J’espère que les scénarios de Mau ne sont pas trop inspirés de sa propre vie, car on a là quelque chose d’excessivement déprimant ! Mais j’ai encore une fois beaucoup aimé ma lecture, même si je place cet album légèrement en deçà des deux autres, cités plus hauts.
Note réelle 3,5/5.
Je suis surpris de retrouver Matz au scénario de cet album, lui que j’imagine plus sur des polars ou des romans graphiques. Mais il s’en tire plutôt bien, sur quelque chose de différent, un documentaire ambitieux qui, sous couvert de nous présenter une « histoire de la mer », balaye assez large, en termes de thématiques, de chronologie et d’espaces.
Histoire économique, politique, prise en compte des enjeux environnementaux, rappel des grandes explorations, des richesses, des sources d’inspirations, ainsi que quelques faits marquants ayant inspiré la littérature, on le voit, cet album est éclectique : c’est sa force et sa faiblesse, les chapitres s’enchainant sur des thèmes très variés, avec comme dénominateur commun la mer, qu’elle soit voie de transport, enjeu commercial, frontière, espace vierge à découvrir ou exploiter, que ce soit en surface ou dans ses grands fonds.
C’est fourre-tout, parfois inégal, mais globalement très intéressant. Et très solidement documenté (l’album est publié en partenariat avec la Sorbonne, et la bibliographie finale est très abondante).
En tout cas j’ai apprécié cette lecture, instructive, qui ouvre sur beaucoup de thématiques, et qui lie bien passé et présent, rappelant que dès l’origine, c’est de la mer que vient la vie sur Terre – et qu’il faudrait donc en prendre davantage soin…
Le dessin et la colorisation sont classiques, plutôt lisibles et agréables (même si les visages ne sont pas toujours réussis).
Au final, un album imposant, mais dont la lecture est assez rapide – et captivante.
Agrimbau et Varela sont deux auteurs argentins que j’aime vraiment bien. Et les retrouver ici ensemble, chez un éditeur que j’apprécie tout autant, était a priori gage de plaisir de lecture. Je n’ai pas été déçu.
Agrimbau est un scénariste original, dont les récits sortent souvent de l’ordinaire, et c’est le cas ici, avec ces illustrations, sous forme d’histoires courtes, de diverses « maladies » liées à certains dérèglements des sens ou de la perception du monde extérieur.
L’album regroupe six histoires. Seule « Akinétopsie » m’a laissé de côté et un peu déçu. « Synesthésie », sorte de polar à la fois classique et étrange, avait failli le faire aussi, mais sa chute relève sérieusement le plat ! Les autres sont franchement originales et très intéressantes, avec des univers très différents d’une histoire à l’autre. Ma préférée est sans doute « Claustrophobie », pleine de délires oubapiens que Marc-Antoine Mathieu ne renierait pas. Mais la dernière, « Prosopagnosie », est aussi réussie, faisant penser à un épisode de la série télé « La Quatrième dimension » (même si l’épisode que j’ai en tête user de plus de surprise et de brutalité dans la chute autour des visages, l’ambiance est très proche).
Pour accompagner ces histoires, le dessin de Varela est vraiment très bon. Un trait précis, diverses bichromies, et un rendu souvent glaçant, raccord avec les ambiances développées par son compère Agrimbau.
Au final, on a un album très original, où la créativité d’Agrimbau et le talent graphique de Varela (sur « Claustrophobie » surtout, avec ces jeux sur le médium, la planche elle-même – mais pas seulement) offrent une lecture divertissante.
1870, une cantatrice ruinée, accompagnée d'un vieux baroudeur et de sa fille tireuse d'élite, se rend dans un village isolé des montagnes Rocheuses pour prendre possession du manoir dont elle a hérité. Ce qu'ils ignorent, c'est que la région est menacée par des créatures issues des légendes amérindiennes.
On se situe ici dans un western fantastique assez classique, où cowboys et pistoleros croisent magie et créatures surnaturelles. On pense aux séries Lune d'argent sur Providence, La Piste des Ombres ou encore Wendigo. Le scénario de cette BD reste globalement prévisible, avec juste une petite surprise en cours de route mais aussi une légère confusion entre les deux villages où il se déroule, mais sa vraie force ne réside pas tant dans l'intrigue que dans ses personnages et sa mise en scène, qui captivent le lecteur et rendent la lecture plaisante.
Côté dessin, Steven Dhondt, déjà remarquable dans Wanted - Portrait de sang, offre un univers de western du XIXe siècle riche et détaillé, avec des personnages vivants et expressifs. Ceux-ci se révèlent rapidement attachants et originaux. J'ai apprécié particulièrement la jeune pistolero talentueuse mais débutante, guidée par son père, dont les interactions avec un tueur mercenaire rencontré au fil de l'aventure sont intéressantes. On sourit aussi à la relation plus romantique qui se tisse entre le vieux père et la cantatrice.
Malgré la simplicité de son intrigue de fond, cet album bénéficie d'une mise en scène suffisamment dense pour maintenir l'attention du lecteur de bout en bout et donner envie de voir comment vont se débrouiller ces protagonistes qu'on prend plaisir à suivre et à voir interagir. C'est un divertissement solide, bien mené et joliment dessiné, digne des bons westerns fantastiques.
Comment se fait-il qu’un an après sa sortie ce petit bijou ne soit pas encore référencé sur ce beau site ? La couverture m’avait fait de l’œil lors de sa sortie, mais, je ne sais pourquoi, je n’avais pas sauté le pas et, vite disparu des étals des librairies, il en avait fait de même de ma mémoire.
Et voilà-t-y pas que je retombe dessus, et qu’alors je ne lui laisse aucune chance de s’échapper ! Aussitôt en main, aussitôt lu. Et quel plaisir.
C’est un album qui se positionne clairement pour un lectorat jeunesse (8-15 ans), mais qui passe très facilement la barrière de l’âge.
L’album d’une quarantaine de pages est divisé en 5 ou 6 petites histoires, ayant pour protagonistes deux personnages : le chasseur et son fidèle – et (très) dévoué – serviteur. A chaque fois ils partent à la chasse d’un animal pour compléter la collection de trophées du chasseur. Voilà pour la trame générale.
Pour le reste, l’univers développé par Martin Desbat (déjà découvert avec « Mégamonsieur », même si je n’avais au départ pas fait le rapprochement) est bourré de références, toutes très bien exploitées (c’est là que l’adulte profite de certains détails qui échapperont à l’enfant auquel est avant tout destinée cette série).
Le chasseur est loufoque, vit dans ses rêves, vit ses rêves, et cherche à tout prix à leur soumettre la réalité, comme Don Quichotte (son serviteur, répond au nom de Sancho !). Et ce duo de choc va se lancer à la poursuite d’animaux improbables : Bétopotame, Poëléphant, Bufflets Empire !, etc. On le voit le terrain de chasse est vaste et va même plus loin que la réalité ! Mais le chasseur, lecteur de Verne et de Freud, nous mène vers des contrées faisant moult clins d’œil à « Alice au pays des merveilles » de Carroll, au « Voyage au centre de la Terre » de Verne, à l’univers de Wells (et encore, je n’ai sûrement pas tout décrypté).
Ajoutons à cela un dessin moderne, mais efficace, une colorisation aux petits oignons, et quelques petites pincées d’humour (excellent l’envers du décor du mur des trophées !), vous avez avec cet album une belle réussite à côté de laquelle il serait dommage de passer.
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Je reviens mettre à jour mon avis après lecture des deux albums que je n'avait pas encore eus sous la main. En m'étonnant encore du peu d'avis recueillis par cette série, qui mérite vraiment le coup d'oeil.
Les aventures loufoques se poursuivent, avec notre chasseur rêveur et un peu dépassé par les événements, toujours accompagné par son fidèle serviteur Sancho, qui, lui, est plus terre à terre et sauve souvent la mise à son patron. Tous les deux continuent de nous amener dans des contrées diverses et lointaines, qui font références à de très nombreuses oeuvres littéraires majeures, ce dernier détail permettant à un lecteur adulte d'apprécier ces aventures enjouées et farfelues. Une série jeunesse qui plait aux grands, et qui est bourrée de références. A découvrir donc !
Même si la surprise joue moins que lorsque j'avais découvert la série avec le premier tome, la suite confirme la qualité de l'ensemble.
Une description de l'adolescence chez les bourgeois citadins bien gratinée. Contrairement aux frustrés, on rit . Bretecher invente des noms et un vocabulaire imaginaire qui, à lui seul, est drôle.
Beaucoup d'aviseurs trouvent le dessin moche , soit mais pas insignifiant. Les tenues des personnages, les chaussures, les couleurs, tout est très bien observé et réinterpreté, rien n'est laissé au hasard. Je comprends bien que les purs esprits ne se sont pas penchés sur la question de la mode adolescente mais en tant que mère, j'y ai été confrontée de force, et je suis bien contente de me sentir moins seule devant le ridicule du capitalisme textile.
On dira que c'est un female gaze puisque cela semble laisser de glace le lectorat masculin : oui nous sommes tenues de faire attention à notre apparence depuis le plus jeune âge et oui les femmes de Bretecher sont des fashion-victimes ( comme la plupart d'entre nous) mais sans être montrées séduisantes pour les hommes. C'est un choix très courant chez les autrices de BD ( cf Florence Cestac ou plus près de nous Marion Montaigne). Si je cherche pourquoi, il me semble que c'est un essai d'échapper au système mercantile fondé sur la séduction et donc sur la domination des femmes.
Le père, Merlan, la mère, Poule, la grand-mère, Ninifle, ( son prof d'informatique, Falgoët Credo Dumaïs) l'arrière grand-mère, le petit frère, Biron (!) sa meilleure copine, Bergère... et les divers petits cons qui seraient sensés être intéressés par Agripinne, tous ces personnages sont parfaitement campés et ridiculisés.
Les histoires sont un peu inégales mais je rejoints mes collègues sur "l'ancêtre" qui est sans doute le plus chouette par son balayage des générations.
Commencez par celui-là et après vous serez attachés aux personnages et vous aimerez aussi les autres volumes et l'inventivité socio-vestimentaire de Bretecher.
Un délice !
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Les Mémoires de la Shoah
C’est une erreur de croire que le silence favorise la paix. - Ce tome contient une adaptation des cinq reportages réalisés par Annick Cojean pour le quotidien Le Monde en 1995. Son édition originale date de 2025. L’adaptation a été réalisée par Théa Rojzman pour le scénario, et Tamia Baudoin pour les dessins et les couleurs. Il compte cent-vingt-trois pages de bande dessinée. Il s’ouvre avec une introduction de deux pages, rédigée par la journaliste. Elle évoque les témoins bien vivants dans les années 1990, qui avaient vu des choses qu’aucun être humain ne devrait jamais voir, sa qualité de journaliste, à la fois chance et responsabilité, la conscience qu’il lui revenait d’enquêter sur les traces de cette mémoire vivante, de cette mémoire irremplaçable, fut-elle effilochée. Elle termine en évoquant son déplacement à Auschwitz, à l’occasion des commémorations du cinquantième anniversaire de la libération des camps, avec Simone Veil (1927-1917). L’ouvrage se termine avec un dossier de quatorze pages comprenant une postface de Tal Bruttmann (historien français, spécialiste de la Shoah), et des articles sur les archives vidéo Fortunoff de témoignages de l’Holocauste à l’université de Yale, celles de la Shoah Foundation à l’université californienne de Californie du Sud), un entretien avec Tal Bruttmann réalisée par Cojean, un portrait de Grete Munn (1922-2014, rescapée des camps) par Cojean, et enfin une page sur la création du prix Albert Londres. Annick Cojean avance en titubant dans une forêt calcinée où il ne reste que des troncs dénudés. Elle continue de progresser et elle repère un bourgeon tout en haut d’une branche. Elle ramasse une échelle par terre et l’adosse au tronc pour atteindre le bourgeon. Elle le contemple de près et murmure qu’elle le cherchait, tout en en voyant d’autres sur d’autres arbres. L’année : 1994. L’an prochain, ce sera la commémoration des cinquante ans de la libération des camps de concentration et d’extermination nazis. Ou en est-on ? Annick veut comprendre ce que l’on retient de la Shoah. Et ce qui se transmet dans les familles. Tout ce poids, cette responsabilité, pour les survivants ou leurs enfants, de faire vivre à nouveau la branche. Chapitre Un : Les voix de l’indicible. Annick Cojean descend du train à New Haven dans le Connecticut où elle est attendue et accueillie par une femme tenant une pancarte portant le nom de la journaliste. Elle lui souhaite la bienvenue, et la remercie de s’intéresser à ce programme de l’université de Yale. Une fois installées dans un bureau, l’hôtesse explique à Annick qu’elle va lui montrer quelques-unes de leurs vidéos. Des témoignages archivés depuis 1979 dans le cadre du programme Fortunate Video for Holocaust Testimonies. De très nombreux témoignages ont été recueillis aux États-Unis, en Israël et dans plusieurs pays d’Europe dont la France. Trois mille rescapés ont parlé malgré l’extrême difficulté de dire, de raconter, de se souvenir. Parler pour sortir d’un silence toxique, pour soi-même, mais aussi pour la mémoire collective. Elle doit bien comprendre qu’ils ont pris le temps et le soin d’élaborer ce programme. Elle n’en verra que le résultat, mais il suit un protocole exigeant mis en place par des équipes de psychologues et de sociologues. Ce ne sont pas de simples interviews… Le texte de la quatrième de couverture indique clairement la nature de l’ouvrage : transposer les cinq articles de la grande reporter Annick Cojean en bande dessinée, en respectant les mémoires des survivants, de leurs enfants et des enfants de nazis, mémoires encore bien vivantes et actuelles. Un projet assez particulier : à la fois une transposition d’articles de journaux, à la fois un ouvrage supplémentaire sur la Shoah. En fonction de sa familiarité avec le sujet, le lecteur peut s’interroger sur son envie de lire une bande dessinée sur ce sujet, forcément grave, et peut-être un de plus. Les autrices racontent la démarche de la journaliste en la mettant en scène, avec ses projets, ses interrogations, ses réactions, ce qui rend immédiatement les reportages plus vivants et plus accessibles. Il découvre dans l’introduction que ces reportages trouvent leur source dans l’étonnement de la journaliste qu’en 1995 on parlait si peu de la Shoah, que le génocide nazi n’ait été qu’effleuré au lycée sans aucune résonnance avec ce qui se passait au présent, qu’il ne soit pas central dans l’enseignement et le débat public. Dans son introduction, elle écrit : Ce n’était pas si vieux ! C’était documenté ! Il y avait des films, des photos, des journaux, des récits, des centaines de milliers d’archives. Et surtout il y avait des témoins bien vivants. Il s’agissait de les écouter. Dans sa postface, Tal Bruttmann contextualise également ces articles : l’émergence de la mémoire de la Shoah, ils traitent de plusieurs des initiatives mémorielles visant à redécouvrir un passé que certains voulaient reléguer dans l’ombre, ce qui reflétait à quel point la question travaillait les sociétés. Le lecteur peut également entamer l’ouvrage sans avoir conscience de ce contexte et de ces intentions. Il a le plaisir de découvrir une vraie bande dessinée, plutôt qu’un texte illustré. La séquence d’ouverture comporte trois pages, et seulement deux phylactères, les images portant la majorité de la narration. Qui plus est dans une scène à la fois onirique et métaphorique. Les autrices ont réalisé un vrai travail de transposition, utilisant plusieurs spécificités de la bande dessinée, sans trahir l’intention de la journaliste. La métaphore de la forêt calcinée revient à plusieurs reprises, et elle se trouve explicitée dans un flux de pensées de la journaliste qui compare les enfants des rescapés à d’improbables petits bourgeons sur un chêne calciné. Les autrices utilisent également des juxtapositions visuelles et des éléments surréalistes. Tel ce moment silencieux dans lequel les enfants de rescapés et les enfants de nazis se tiennent de part et d’autre d’une faille dans laquelle se trouvent les cadavres des Juifs exterminés, et ils y descendent pour s’occuper ensemble des cadavres. Ce moment poignant où Niklas Frank, fils de Hans Frank ministre du Troisième Reich (surnommé Bourreau de la Pologne) se couche à même le sol sur des photographies géantes des camps, en en prenant une pour s’en faire une couverture, alors qu’il évoque son sentiment de culpabilité, obsédé par les l’angoisse des Juifs qui allaient mourir. Ou Anne-Marie Levine, pianiste concertiste de New York, née pendant la nuit de cristal. Ses parents se sont enfuis la veille de l’invasion allemande en Belgique où elle est née, installés à Beverly Hills, ne parlant jamais de ce qui se passait en Europe : le lecteur la voit jouer un morceau de piano, trois longues chimères serpentines tournoyant autour d’elle, expression de son inconscient en souffrance du fait du malaise généré par les non-dits. Le lecteur apprécie tout autant la narration visuelle en mode descriptif et concret. L’artiste réalise des dessins aux contours un peu simplifiés, tout en conservant un bon niveau de détails. Elle prête attention aux tenues vestimentaires, en respectant la mode de l’époque, ou la fonctionnalité. Elle s’attache à représenter les décorations intérieures avec attention : le salon très confortable dans lequel Annick visionne les cassettes vidéo, le bureau de travail de Geoffrey Hartman (1929-2016) à l’université de Yale, celui de Dori Laub (1937-2018, psychiatre et psychanalyste israélo-américain), une salle de concert où se produit la pianiste, l’appartement d’Edda Goering (fille de Hermann et Emmy Goering), un parloir en prison lors d’une visite à Hans Frank, un café, un restaurant, une salle de réunion à l’université allemande de Wuppertal où se rencontrent les enfants de rescapés et ceux de nazis à l’initiative de Dan Bar-On (1938-2008), etc. Elle représente avec la même solidité les environnements en extérieurs, allant des paysages traversés par la voie de chemin de fer, aux camps de concentration et d’extermination. Pour ces derniers, elle sait en retranscrire toute l’inhumanité et l’horreur, sans une once de voyeurisme. Le lecteur en ressort ému et affecté, ayant ressenti de l’empathie pour les souffrances évoquées par les survivants. Le lecteur peut ressentir de bout en bout la fidélité aux articles originaux. Il assite à la démarche journalistique, il comprend la motivation de la journaliste, il découvre avec elle les travaux mémoriels. Il prend connaissance avec elle des témoignages, passages essentiels de transmission, et aussi de contact direct avec la réalité de ce qu’ont vécu ces personnes, du comportement des soldats. Il sait qu’il est loin d’éprouver par lui-même ces horreurs inimaginables, et dans le même temps il s’en trouve bouleversé. Il retrouve ou il découvre les différentes initiatives mémorielles. Il assiste à la mise en œuvre des captations vidéo. Il écoute avec Annick l’explication du professeur Geoffrey Hartman pour les archives vidéo Fortunoff. En particulier, lorsqu’il dit que : Chaque survivant a un besoin impérieux de dire son histoire pour parvenir à en réunir les morceaux. Besoin de se délivrer des fantômes du passé, besoin de connaître sa vérité enterrée pour pouvoir reconnaître le cours normal de sa vie. C’est une erreur de croire que le silence favorise la paix. Il ne fait que perpétuer la tyrannie des événements passés. Il favorise leur déformation et les laisse contaminer la vie quotidienne. Le mensonge est toxique et le silence étouffe… Parler guérit, oui, mais seulement si on est écouté. Le récit non écouté est un traumatisme aussi grave que l’épreuve initiale. Le lecteur prend la mesure de la double peine que ce fut pour certains rescapés, l’histoire de Grete Munn (1922-2014) en fin de tome en est un témoignage d’une force terrassante. Il peut faire le lien avec les conséquences du silence dans une autre de ses formes pour d’autres crimes abjectes, évoqué par Théa Rojzman dans Grand Silence (2021) avec Sandrine Revel. Une œuvre formidable sur les mémoires de la Shoah, autant sur les articles d’Annick Cojean, que sur les témoignages des survivants, de leurs enfants, des enfants des nazis, que sur plusieurs initiatives mémorielles dans les années 1990. Avec une narration visuelle riche et adaptée, les autrices font honneur à ces cinq articles, les font connaître à de nouvelles générations, illustrant le besoin de mémoire, et les modalités de sa mise en œuvre. Formidable.
Plus loin qu'ailleurs
Les amateurs de Chabouté ne seront pas déçus je pense. Un dessin réaliste toujours aussi net et une histoire plus contemplative je dirais sur le voyage préparé de longue date d'un homme solitaire et dévoué à son travail de nuit. Sauf qu'au lieu de partir loin comme il l'espérait, un concours de circonstances l'empêche de bouger donc il décide de loger à l'hôtel de l'autre côté de la place, en face de son appartement. Lui qui vit la nuit et dort le jour découvre la vie de son quartier et de ses habitants. Il s'amuse de quelques objets et y décèle une certaine poésie à la manière d'un Banksy.
Le Cas David Zimmerman
N'ayant rien lu avant de l'histoire, je n'ai pas été spoilé du résumé de l'éditeur : "Le lendemain, David se réveille dans le corps de l'inconnue.". C'est quand même le twist que je n'attendais pas. Je pensai lire un roman graphique et ça tourne sur le fantastique. La suite, sans trop dévoiler, est une longue enquête pour savoir comment c'est arrivé, si c'est réversible, qui est la femme dont il a pris le corps, où est son ancien corps à lui etc. On déambule dans l'est de Paris, quartier Belleville principalement, le marché d'Aligre aussi dans cette recherche. On reconnait bien la ville et l'auteur y glisse quelques messages dans le décor (Free Gaza par exemple). Un épais bouquin de 350 pages qui n'est pas si long à lire. Le style m'a rappelé certains auteurs américains, par exemple Daniel Clowes. Le manga Parasite m'est aussi venu à l'esprit. La fin peut être un chouïa déconcertante et éludée en quelques pages sans plus d'explications. En même temps David avait 2 choix principaux face à sa situation.
Don Juan des Flots
Je suis très surpris de cette lecture, qui part sur des chapeaux de roues et s'embarque dans une histoire aux tournants imprévisibles. Je suis très fan de la direction prise par l'histoire après ce premier tome ! Ce tome introductif est parfaitement bien exécuté, avec une histoire vite campée et des personnages bien inspirés. Le protagoniste est ce bretteur amateur de bon mots, protecteur des pauvres gens dans une cité ressemblant un peu à Venise, dans un contexte de magie et de questionnements sociaux. En quelques pages l'histoire prend un envol avec cette congrégation de révolutionnaires qui entendent changer les choses dans le monde. Et si l'on a du classique dans le début de l'aventure, très vite le récit semble accélérer jusqu'à une révélation finale surprenante et qui augure du bon pour la suite. J'ai accroché tout de suite à l'histoire et j'ai envie de voir la suite, qui est prometteuse. Le tout est servi par un dessin qui est appréciable. Je n'ai encore rien lu de sa part mais la dessinatrice a un coup de crayon qui fait ressortir les scènes d'actions et les intérieurs, tout en ayant un trait global qui rappelle tout à fait les films de capes et d'épées, une esthétique vénitienne et les visuels marquants. L'ensemble est clair et lisible, dynamique et coloré, une lecture franchement agréable ! Je ne peux que recommander la lecture de ce premier tome qui promet pour la suite.
Bonne nuit les petits
Noir c’est noir, il n’y a plus d’espoir… C’est la troisième fois que je croise Mau sur un récit aussi noir après les très bons Au revoir Monsieur et Achevé d'imprimer. Et bien avec ce « Bonne nuit les Petits », on est là encore dans un récit à l’atmosphère oppressante, très noir. Le récit est bâti sur l’entrecroisement de deux histoires, autour de deux personnages que tout semble opposer : Jeanne, une jeune femme qui se bat pour surnager au milieu de la mouise, et Fabrice, un jeune homme plein aux as et fêtard. Jeanne est une battante, pleine d’envies, qui positive toujours, alors qu’elle ne croise que des beaufs, des gros nazes, et que patrons et mecs ne cherchent qu’à l’exploiter et « se la faire ». Plus on tourne les pages et plus l’univers de Jeanne est noir, même si elle garde toujours l’espoir de s’en sortir, cumulant les petits boulots, les castings. Les passages où nous croisons Fabrice, dilettante dilapidant le fric de son père dans des fêtes où la drogue, l’alcool et les prostituées déconnectent de la réalité sont autant de moments contrastant avec la vie glauque de Jeanne. Si Mau développe une atmosphère de plus en plus étouffante, la chute – au moment de la rencontre de Jeanne et de Fabrice parvient à atteindre un degré supplémentaire en matière de noirceur, avec une chute pleine d’ironie et d’un humour très noir. Lenglet accompagne bien ce récit, avec un dessin lui aussi très noir, parsemé de quelques nuances de gris. J’espère que les scénarios de Mau ne sont pas trop inspirés de sa propre vie, car on a là quelque chose d’excessivement déprimant ! Mais j’ai encore une fois beaucoup aimé ma lecture, même si je place cet album légèrement en deçà des deux autres, cités plus hauts. Note réelle 3,5/5.
Histoire de la mer
Je suis surpris de retrouver Matz au scénario de cet album, lui que j’imagine plus sur des polars ou des romans graphiques. Mais il s’en tire plutôt bien, sur quelque chose de différent, un documentaire ambitieux qui, sous couvert de nous présenter une « histoire de la mer », balaye assez large, en termes de thématiques, de chronologie et d’espaces. Histoire économique, politique, prise en compte des enjeux environnementaux, rappel des grandes explorations, des richesses, des sources d’inspirations, ainsi que quelques faits marquants ayant inspiré la littérature, on le voit, cet album est éclectique : c’est sa force et sa faiblesse, les chapitres s’enchainant sur des thèmes très variés, avec comme dénominateur commun la mer, qu’elle soit voie de transport, enjeu commercial, frontière, espace vierge à découvrir ou exploiter, que ce soit en surface ou dans ses grands fonds. C’est fourre-tout, parfois inégal, mais globalement très intéressant. Et très solidement documenté (l’album est publié en partenariat avec la Sorbonne, et la bibliographie finale est très abondante). En tout cas j’ai apprécié cette lecture, instructive, qui ouvre sur beaucoup de thématiques, et qui lie bien passé et présent, rappelant que dès l’origine, c’est de la mer que vient la vie sur Terre – et qu’il faudrait donc en prendre davantage soin… Le dessin et la colorisation sont classiques, plutôt lisibles et agréables (même si les visages ne sont pas toujours réussis). Au final, un album imposant, mais dont la lecture est assez rapide – et captivante.
Diagnostics
Agrimbau et Varela sont deux auteurs argentins que j’aime vraiment bien. Et les retrouver ici ensemble, chez un éditeur que j’apprécie tout autant, était a priori gage de plaisir de lecture. Je n’ai pas été déçu. Agrimbau est un scénariste original, dont les récits sortent souvent de l’ordinaire, et c’est le cas ici, avec ces illustrations, sous forme d’histoires courtes, de diverses « maladies » liées à certains dérèglements des sens ou de la perception du monde extérieur. L’album regroupe six histoires. Seule « Akinétopsie » m’a laissé de côté et un peu déçu. « Synesthésie », sorte de polar à la fois classique et étrange, avait failli le faire aussi, mais sa chute relève sérieusement le plat ! Les autres sont franchement originales et très intéressantes, avec des univers très différents d’une histoire à l’autre. Ma préférée est sans doute « Claustrophobie », pleine de délires oubapiens que Marc-Antoine Mathieu ne renierait pas. Mais la dernière, « Prosopagnosie », est aussi réussie, faisant penser à un épisode de la série télé « La Quatrième dimension » (même si l’épisode que j’ai en tête user de plus de surprise et de brutalité dans la chute autour des visages, l’ambiance est très proche). Pour accompagner ces histoires, le dessin de Varela est vraiment très bon. Un trait précis, diverses bichromies, et un rendu souvent glaçant, raccord avec les ambiances développées par son compère Agrimbau. Au final, on a un album très original, où la créativité d’Agrimbau et le talent graphique de Varela (sur « Claustrophobie » surtout, avec ces jeux sur le médium, la planche elle-même – mais pas seulement) offrent une lecture divertissante.
Skinwalker
1870, une cantatrice ruinée, accompagnée d'un vieux baroudeur et de sa fille tireuse d'élite, se rend dans un village isolé des montagnes Rocheuses pour prendre possession du manoir dont elle a hérité. Ce qu'ils ignorent, c'est que la région est menacée par des créatures issues des légendes amérindiennes. On se situe ici dans un western fantastique assez classique, où cowboys et pistoleros croisent magie et créatures surnaturelles. On pense aux séries Lune d'argent sur Providence, La Piste des Ombres ou encore Wendigo. Le scénario de cette BD reste globalement prévisible, avec juste une petite surprise en cours de route mais aussi une légère confusion entre les deux villages où il se déroule, mais sa vraie force ne réside pas tant dans l'intrigue que dans ses personnages et sa mise en scène, qui captivent le lecteur et rendent la lecture plaisante. Côté dessin, Steven Dhondt, déjà remarquable dans Wanted - Portrait de sang, offre un univers de western du XIXe siècle riche et détaillé, avec des personnages vivants et expressifs. Ceux-ci se révèlent rapidement attachants et originaux. J'ai apprécié particulièrement la jeune pistolero talentueuse mais débutante, guidée par son père, dont les interactions avec un tueur mercenaire rencontré au fil de l'aventure sont intéressantes. On sourit aussi à la relation plus romantique qui se tisse entre le vieux père et la cantatrice. Malgré la simplicité de son intrigue de fond, cet album bénéficie d'une mise en scène suffisamment dense pour maintenir l'attention du lecteur de bout en bout et donner envie de voir comment vont se débrouiller ces protagonistes qu'on prend plaisir à suivre et à voir interagir. C'est un divertissement solide, bien mené et joliment dessiné, digne des bons westerns fantastiques.
Le Chasseur de Rêves
Comment se fait-il qu’un an après sa sortie ce petit bijou ne soit pas encore référencé sur ce beau site ? La couverture m’avait fait de l’œil lors de sa sortie, mais, je ne sais pourquoi, je n’avais pas sauté le pas et, vite disparu des étals des librairies, il en avait fait de même de ma mémoire. Et voilà-t-y pas que je retombe dessus, et qu’alors je ne lui laisse aucune chance de s’échapper ! Aussitôt en main, aussitôt lu. Et quel plaisir. C’est un album qui se positionne clairement pour un lectorat jeunesse (8-15 ans), mais qui passe très facilement la barrière de l’âge. L’album d’une quarantaine de pages est divisé en 5 ou 6 petites histoires, ayant pour protagonistes deux personnages : le chasseur et son fidèle – et (très) dévoué – serviteur. A chaque fois ils partent à la chasse d’un animal pour compléter la collection de trophées du chasseur. Voilà pour la trame générale. Pour le reste, l’univers développé par Martin Desbat (déjà découvert avec « Mégamonsieur », même si je n’avais au départ pas fait le rapprochement) est bourré de références, toutes très bien exploitées (c’est là que l’adulte profite de certains détails qui échapperont à l’enfant auquel est avant tout destinée cette série). Le chasseur est loufoque, vit dans ses rêves, vit ses rêves, et cherche à tout prix à leur soumettre la réalité, comme Don Quichotte (son serviteur, répond au nom de Sancho !). Et ce duo de choc va se lancer à la poursuite d’animaux improbables : Bétopotame, Poëléphant, Bufflets Empire !, etc. On le voit le terrain de chasse est vaste et va même plus loin que la réalité ! Mais le chasseur, lecteur de Verne et de Freud, nous mène vers des contrées faisant moult clins d’œil à « Alice au pays des merveilles » de Carroll, au « Voyage au centre de la Terre » de Verne, à l’univers de Wells (et encore, je n’ai sûrement pas tout décrypté). Ajoutons à cela un dessin moderne, mais efficace, une colorisation aux petits oignons, et quelques petites pincées d’humour (excellent l’envers du décor du mur des trophées !), vous avez avec cet album une belle réussite à côté de laquelle il serait dommage de passer. ******** Je reviens mettre à jour mon avis après lecture des deux albums que je n'avait pas encore eus sous la main. En m'étonnant encore du peu d'avis recueillis par cette série, qui mérite vraiment le coup d'oeil. Les aventures loufoques se poursuivent, avec notre chasseur rêveur et un peu dépassé par les événements, toujours accompagné par son fidèle serviteur Sancho, qui, lui, est plus terre à terre et sauve souvent la mise à son patron. Tous les deux continuent de nous amener dans des contrées diverses et lointaines, qui font références à de très nombreuses oeuvres littéraires majeures, ce dernier détail permettant à un lecteur adulte d'apprécier ces aventures enjouées et farfelues. Une série jeunesse qui plait aux grands, et qui est bourrée de références. A découvrir donc ! Même si la surprise joue moins que lorsque j'avais découvert la série avec le premier tome, la suite confirme la qualité de l'ensemble.
Agrippine
Une description de l'adolescence chez les bourgeois citadins bien gratinée. Contrairement aux frustrés, on rit . Bretecher invente des noms et un vocabulaire imaginaire qui, à lui seul, est drôle. Beaucoup d'aviseurs trouvent le dessin moche , soit mais pas insignifiant. Les tenues des personnages, les chaussures, les couleurs, tout est très bien observé et réinterpreté, rien n'est laissé au hasard. Je comprends bien que les purs esprits ne se sont pas penchés sur la question de la mode adolescente mais en tant que mère, j'y ai été confrontée de force, et je suis bien contente de me sentir moins seule devant le ridicule du capitalisme textile. On dira que c'est un female gaze puisque cela semble laisser de glace le lectorat masculin : oui nous sommes tenues de faire attention à notre apparence depuis le plus jeune âge et oui les femmes de Bretecher sont des fashion-victimes ( comme la plupart d'entre nous) mais sans être montrées séduisantes pour les hommes. C'est un choix très courant chez les autrices de BD ( cf Florence Cestac ou plus près de nous Marion Montaigne). Si je cherche pourquoi, il me semble que c'est un essai d'échapper au système mercantile fondé sur la séduction et donc sur la domination des femmes. Le père, Merlan, la mère, Poule, la grand-mère, Ninifle, ( son prof d'informatique, Falgoët Credo Dumaïs) l'arrière grand-mère, le petit frère, Biron (!) sa meilleure copine, Bergère... et les divers petits cons qui seraient sensés être intéressés par Agripinne, tous ces personnages sont parfaitement campés et ridiculisés. Les histoires sont un peu inégales mais je rejoints mes collègues sur "l'ancêtre" qui est sans doute le plus chouette par son balayage des générations. Commencez par celui-là et après vous serez attachés aux personnages et vous aimerez aussi les autres volumes et l'inventivité socio-vestimentaire de Bretecher. Un délice !