Le dessin ? Génialissime. Il parvient à rendre visible d'un coup qui est qui - Juif souris, Allemand chat. Et pourtant, tous les protagonistes semblent "humains trop humains" jusqu'au cœur du pire. Les hachures rendent compte du drame, le noir et blanc plus épuré du dialogue du créateur et de son père donne une respiration de lumière à l'œuvre. D'ailleurs, on se rattache à ce dernier comme protagoniste principal et seul espoir puisque lui va survivre. L'œuvre n'élude rien mais rend tout supportable, ce que je trouve incroyable. Le père n'est pas sorti brisé, on le voit à son sale caractère, et il n'est pas idéalisé car raciste. On le dit souvent mais là c'est vrai : un classique et une œuvre profondément humaine.
Voilà. Il vivra trahi au lieu de mourir dans la confiance.
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Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Son édition originale date de 2025. Il a été réalisé par Franck Biancarelli pour les dessins, Lewis Trondheim pour le scénario et Jérôme Maffre pour les couleurs. Il comprend quatre-vingt-quatorze pages de bande dessinée. Il se termine avec un court paragraphe des auteurs expliquant en quoi leur ouvrage a été conçu comme un hommage aux comics des années 50, suivi par une page comprenant neuf recherches de couverture, trois pages de recherches graphiques sur le personnage, plus une page de présentation des auteurs.
Dans un appartement en colocation à Greenwich Village, un quartier de Manhattan, une jeune femme reprend connaissance. Ses deux colocatrices, Érika Grönberg & Gwen Ford, sont penchées sur elle, inquiètes de son malaise, l’appelant Tabatha. Cette dernière ouvre les yeux, totalement hébétée. Elle leur demande qui elles sont, où elle se trouve, qu’est-ce que c’est que cette tenue qu’elle porte et où se trouve son portable. Les trois amies s’assoient sur le canapé, et ses copines expliquent à la troisième qu’elle s’appelle Tabatha Sands, qu’elle est libraire et que la date est octobre 1959. Elle leur répond qu’elle est sûre d’avoir trente ans et d’être en 2025. Érika dit qu’il est temps pour Tabatha d’aller travailler, car elles ont besoin de ses rentrées d’argent pour le loyer. Comme Tabatha ne sait pas où aller, Érika l’accompagne, car elle a un casting pas loin. Une fois à l’extérieur, la trentenaire indique que pour l’instant elle tient le coup, mais qu’elle ne sait pas ce qui se passera si elle croise un des Beatles. En marchant dans la rue, la libraire constate que c’est bizarre, il y a aussi des vieilles voitures des années trente ou quarante. Pour elle, dans les films sur les années cinquante, on ne voit que des voitures des années cinquante. Elle se fait la même remarque sur les vêtements et les boutiques, certaines très vieillottes. Son ami lui demande si en 2025 il y a bien des voitures volantes.
Finalement, Tabatha décide de ne pas aller travailler et plutôt d’accompagner son amie Érika pour son casting. En sortant du métro, elles retrouvent Winfield Wayne l’agent de l’actrice, puis ensemble, ils pénètrent dans le bâtiment où se tiennent les auditions. Immédiatement, Ralph Damara repère Tabatha et énonce qu’elle est parfaite et que c’est elle qu’il veut pour incarner la sorcière verte, et elle se retrouve dans une position où elle ne peut qu’accepter de prendre Wayne comme agent pour négocier le contrat séance tenante. Plus tard, alors que la nuit est tombée, sur les quais, un groupe d’individus prend en charge une bombe livrée par d’autres, qu’ils abattent pour les faire taire, une fois l’acquisition complétée. Tabatha est rentrée dans sa colocation, et ses amies se tournent en dérision certains des termes qu’elle emploie, comme playlist, numérique, internet, wifi. Le lendemain, Tabatha se promène dans la rue et elle avise l’échoppe d’une diseuse de bonne aventure. Elle décide d’y entrer pour savoir ce qu’elle fabrique en 1959. Elle est accueillie dans une pièce plongée dans la pénombre, où une jeune femme de son âge débite quelques phrases génériques. Tabatha comprend immédiatement et lui demande si c’est la première fois qu’elle fait médium.
Dès le début, cette bande dessinée présente une saveur particulière, le lecteur éprouvant des difficultés à la définir précisément. Cela commence avec le genre dans lequel s’inscrit le récit : anticipation ou fantastique, avec cette histoire d’âme revenue dans le passé pour habiter le corps d’une autre femme. Ou peut-être même spiritualité avec cette séance chez la diseuse de bonne aventure, quand la mère de Gabriella arrive, chasse Tabatha de son parloir, puis accepte de la revoir à l’extérieur et évoque une présence, un esprit invisible à ses côtés. D’ailleurs celui-ci apparaît à l’héroïne et lui parle, lui donnant des informations accessibles en 2025. Mais voilà qu’en page quinze, le récit semble encore changer de registre, avec l‘introduction de Spiridon Ivanov, pour lequel tout porte à croire qu’il s’agit d’un espion russe, plutôt que d’un simple journaliste pour le quotidien Izvestia. À moins que l’histoire ne bifurque vers une forme de romance, avec la relation naissante entre le Russe et la déplacée temporelle. En fonction de chaque séquence, le cœur du lecteur balance entre l’un ou l’autre de ces genres, ne sachant plus trop auquel il doit accorder sa priorité, entre l’histoire d’un attentat à la bombe atomique à New York, ou l’identité réelle de Tabatha.
Il faut peut-être un peu de temps au lecteur pour ressentir la structure très particulière de cette bande dessinée, un rythme un peu saccadé, une sensation un peu hachée. En fin de tome, il découvre un texte explicitant les intentions des auteurs : ils ont souhaité réaliser un hommage aux comics des années 1950. Pour ce faire, ils se sont imposé quatre règles. Un : La première case sera toujours une grande image. Deux : La dernière case sera toujours une chute. Trois : Chaque planche doit pouvoir être lue de façon autonome, une ellipse la séparant de la précédente. Quatre : Les pages sont découpées de façon à pouvoir être montées en quatre ou trois strips. Ce cadre structurant leur a permis de jouer avec la narration et le rythme, fidèles à l’esprit de ces pages dominicales d’outre-mer qui les ont tant inspirés. En fonction de son degré d’attention, le lecteur a la confirmation de la démarche intentionnelle qu’il avait bien vue, ou bien il en fait la découverte. En effet, cette forme de composition de la narration donne une sensation très particulière à la lecture, chaque page formant une unité narrative presque autonome. Cette caractéristique renforce la sensation d’une intrigue un peu éparpillée, éclatée entre plusieurs genres d’une page à l’autre.
Dans le même temps, les pages présentent une apparence très classique et sage : des cases rectangulaires avec une bordure bien nette, disposée en bandes. Des dessins dans un registre descriptif et réaliste, avec un discret degré de simplification pour les personnages et les visages, et de solides décors. La plupart des personnages bénéficient d’une discrète élégance, une silhouette svelte sans être athlétique, des tenues vestimentaires normales et diversifiées, ils sont bien habillés sans luxe ostentatoire. Avec une exception pour l’agent Winfield Wayne avec un manteau tape-à-l’œil peu raffiné. Les quatre femmes, personnages principaux, sont traitées avec respect par les auteurs, sans situation dégradante, sans voyeurisme de quelque sorte. Les principaux personnages masculins apparaissent un peu plus convenus et moins développés : l’agent grossier, machiste et usant de méthodes de voyou, l’agent du KGB élégant, respectueux et très bien élevé, Terrence Taylor agent de la C.I.A. plus rustaud habitué à être obéi et à rudoyer ceux qui lui résistent. En fin de tome apparaît le temps d’une séquence, Frank un touriste venu de Hongrie tout aussi élégant et parfaitement antipathique non sans raison.
Outre l’attention apportée aux tenues vestimentaires, le plaisir de représenter Manhattan saute aux yeux du lecteur. Les auteurs ont choisi cette localisation avec la ferme intention de lui rendre hommage. Au travers de ces dessins soignés et précis, le lecteur peut apprécier la promenade dont il bénéficie en filigrane : les immeubles typiques du quartier de Greenwich Village, le Washington Square Arch (arc de triomphe en marbre à Washington Square Park, en commémoration du centenaire de l'inauguration de la présidence de George Washington en 1789), Central Park, ses ponts et ses allées, Coney Island sa plage et son parc d’attractions, le Seagram Building réalisé par l'architecte allemand Ludwig Mies van der Rohe (1886-1969). C’est une très belle balade, grâce certainement à des recherches rigoureuses, rayonnant du plaisir des auteurs lors de la réalisation des planches.
Totalement sous le charme de la narration visuelle, le lecteur se laisse donc porter par les nombreux événements et rebondissements. Le spectre du neveu de 2025, les rapports de force entre les hommes comme Winfield Wayne ou Terrence Taylor et les trois femmes, la présence impalpable du KGB et des Nazis, l’attentat visant à faire exploser une bombe nucléaire à New York, un enlèvement pour exécuter la victime sur les quais, l’élimination de cadavres, des paris de courses hippiques en connaissant le gagnant, un antiquaire receleur et trafiquant, un Hongrois nazi, un assassinat en pleine voie publique, etc. Il relève en passant quelques références historiques et culturelles comme celle à Arthur Q. Bryan (1899-1959, acteur, voix de Elmer Fudd), ou l’utilisation de la perte d’une bombe atomique dans un accident par l’armée américaine (authentique, une bombe Tybee, délestée pendant un exercice militaire où un bombardier B-47B est entré en collision avec un avion de chasse F-86). Il s’amuse des anachronismes occasionnés par la connaissance du futur qu’à Tabatha Sands et son neveu : les Beatles, les comportements phallocrates et le patriarcat, l’absence de réseaux sociaux et de téléphones portables, l’usage d’un Smiley, l’absence de ceinture de sécurité dans les voitures, les jolies blondes faisant les carreaux à la station-service, une location de coffre bancaire pendant soixante-dix ans, et l’énoncé de drôles de noms pour choisir celui d’une agence d’actrices (Drôles de dames, Catseyes, Me Too, Pikachu, Daft Punk, Google Instagram, Microsoft, Amazon, Paypal, Tik Tok). Il est presque surpris de découvrir que les auteurs résolvent leur intrigue en bonne et due forme, y compris l’identité véritable de Tabatha Sands.
Une bande dessinée des plus classiques en apparence : des dessins soignés et descriptifs, une aventure fantastique d’une jeune femme se retrouvant en 1959 dans le corps d’une autre femme, et des enjeux divers allant de comprendre ce qui est arrivé à l’héroïne à la menace d’un acte terroriste visant à faire exploser une bombe atomique en plein Manhattan. Le lecteur tombe vite sous le charme de ce récit à l’intrigue protéiforme, sans trop savoir quel est l’enjeu dominant. La reconstitution de Manhattan est formidable, le récit est plein de rebondissement, la forme constitue un hommage sophistiqué aux Sunday pages des années 1950. L’aventure rocambolesque est finement dosée. Un divertissement sophistiqué et élégant.
La BD qui ne fait pas dans la facilité en nous montrant un humain et son chat : miroir pour qui en a, compensation pour qui aimerait avoir un chat ! Non, il y a de l'aventure. Et pas fantastique, alors que le chat est un plus dans les aventures un peu étranges… Non, non et non, ici on est dans la quête de la compréhension des chats !
Et on va sur leur terrain, dans la rue, pour les découvrir, et éventuellement, les aider. Il y a aussi un dessin qui prend le chat au sérieux. Oyez, les gens ! Si on veut représenter un chat, c'est à ses risques et périls, les plus grands peintres n'ayant pas trouvé la chose facile. Ici, les chats sont vraiment des chats, pas des espèces de quadrupèdes style baudruche pour faire chat, avec des humains aussi approximatifs. L'humour est mieux que dans certaines séries qui se veulent humoristiques. Si j'étais un chat, je noterais plus haut, mais je suis un humain.
BD qui relève un défi : faire de la théologie, de la philosophie, et montrer l'enfer. Sans sombrer dans ces hérésies jumelles : l'ennui ou le sadomasochisme des tourments alloués aux damnés. Il faut dire qu'on ne voie que les limbes…. Jésus remet en cause le choix de Satan, qui remet en cause la bonté de Dieu, avec comme argument imparable l'enfer.
Les captifs sont à plaindre, les monstres font leur job de monstre, Jésus est une sorte de héros, Satan un opposant de bon niveau, mais subtilement, ils sont fraternels. Parce que question : à qui peuvent-ils vraiment parler, avec qui aller au fond des choses, sauf avec l'autre ? Et puis, finir sur une croix ou seigneur des enfers n'est pas follement folichon, cela me semble créer une solidarité obligée. Jésus est plus ou moins comme on l'imagine, un peu moins incarné puisque chez les morts, cependant, l'enfer a ce qu'il faut d'étrangeté, bravo au dessinateur ! Satan change d'apparence, peut-être pour désorienter ou séduire, comme on dit, peut-être pour se désennuyer un peu… Et le lecteur, par la même occasion.
Excellent donc.
J’ai été beaucoup touché par cette bd ! Très belle écriture d’une identité queer presque subie construite par le rejet extérieur. Je recommande chaudement.
Quand j’ai ouvert Stranger Things : Le Voyage, j’ai immédiatement été plongé dans un thriller maritime oppressant. Être coincé sur un cargo avec une créature monstrueuse m’a tout de suite fait penser à Alien, mais transposé sur l’océan glacial plutôt que dans l’espace. La tension monte à chaque page.
J’ai beaucoup aimé que Michael Moreci et Todor Hristov, les mêmes auteurs que Stranger Things : Kamchatka, aient réussi à créer un second one shot dans l’univers de Stranger Things.
Les dessins de Hristov m’ont vraiment immergé dans l’ambiance. Les couleurs froides et sombres renforcent le sentiment de danger et d’isolement, et chaque planche me donnait presque l’impression de voir un film.
Le seul petit bémol que j’ai ressenti, c’est que certains personnages secondaires manquent un peu de profondeur. J’aurais aimé pouvoir m’attacher davantage à eux, mais la tension constante rattrape largement ce point.
Dès les premières pages, j’ai eu l’impression de partir en voyage. Au début, tout semblait simple, presque tranquille. Mais très vite, j’ai senti que quelque chose se préparait. Il y a eu des moments où j’ai eu le cœur qui battait un peu plus vite, surtout quand les héros se retrouvent face à des choix difficiles. J’ai aimé me laisser surprendre. Parfois, j’étais perdu, mais ça ne m’a pas dérangé : ça faisait partie de l’aventure. À la fin, j’ai refermé la BD avec ce sentiment d’avoir vécu quelque chose d’important.
Ce qui m’a touché, ce sont les idées derrière l’histoire. On parle de traditions, de secrets, de ce que les légendes peuvent faire à un peuple. J’ai senti une réflexion sur la peur et sur le poids du passé. Il y a aussi des moments sombres, où je me suis demandé : « Et moi, qu’est-ce que j’aurais fait à leur place ? ». Ce n’est pas juste une histoire de héros contre des monstres. C’est plus profond, et ça m’a fait réfléchir.
Au début, je ne savais pas trop quoi penser des héros. Mais au fil des pages, j’ai appris à les aimer. Firfin m’a fait sourire avec son côté malin. Les nains, eux, m’ont impressionné par leur courage, même quand tout semble perdu. J’ai aussi eu des frissons avec certains personnages mystérieux. Parfois, j’avais envie de leur faire confiance, parfois non. Et c’est ça qui m’a plu : je me suis senti proche d’eux, comme si je faisais partie du voyage.
Le dessin m’a donné une sensation étrange au début. C’est très détaillé, presque trop parfois. J’ai dû m’arrêter pour regarder chaque case. Mais plus j’avançais, plus j’ai compris que c’était ça qui donnait cette ambiance unique. Les couleurs sont un peu anciennes, mais elles collent parfaitement à l’histoire. J’ai adoré les paysages, qui m’ont fait rêver, et les créatures, qui m’ont parfois fait frissonner. À la fin, j’ai eu l’impression d’avoir traversé un monde entier.
Un véritable camouflet pour la Royal Navy.
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Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre, qui ne nécessite pas de connaissances préalables. Son édition originale date de 2025. Ila été réalisé par Jean-Yves Delitte pour le scénario, par Philippe Adamov (1956-2020) pour les dessins, ceux-ci ayant repris par Fabio Pezzi après le décès de l’artiste initial, avec une mise en couleurs réalisée par Douchka Delitte. Il comporte quarante-six pages de bande dessinée. Il se termine par un dossier de huit pages, rédigé par le scénariste, généreusement illustré par des documents d’archives, avec des parties portant les titres suivants : Il y a d’abord l’histoire, Touché, coulé !, U-Boot une arme allemande, Un engin sale et malodorant, … qui deviendra une arme terrifiante !, Le canon ou la torpille ?, De l’arme méprisée à l’exploit !, Et après ?
Ils se croyaient invulnérables… Ils pensaient pouvoir couler les plus puissants des navires, comme David, qui avec une simple pierre, avait terrassé le géant Goliath. Mais ils auraient dû savoir que la flèche s’est toujours brisée sur l’armure. Leur submersible pouvait bien déplacer près de 800 tonnes et filer à plus de 15 nœuds, tout cela avait peu d’importance quand une masse qui déplace plus de 18.000 tonnes à 20 nœuds vous éperonne. Un sous-marin éventré gît par le fond, les cadavres des marins flottant entre deux eaux. En surface, les officiers commandant un énorme croiseur-cuirassé se félicitent : ils viennent d’heurter un sous-marin allemand, il y a enfin une justice ! Coupé en deux et pas un survivant. L’un d’entre d’eux a pu lire son immatriculation : U-29. Un autre renchérit : il paraît que cette saleté a attaqué au canon pas moins de six marchands en l’espace d’une semaine. Le troisième se félicite : une chose est sûre : ils entrent dans l’histoire leur HMS Dreadnought, malgré sa vétusté, est le premier cuirassé à couler un sous-marin. La scène se déroule à Pentland Firth, en Écosse le 18 mars 1915.
À Danzig, dans l’empire allemand, le 4 août 1914, des marins sont en train de charger des torpilles dans un sous-marin. L’oberbootsmann les tance : ils doivent faire attention avec le palan, s’ils ne veulent pas les envoyer au Paradis avant l’heure ! Il y a plus de cent-soixante kilogrammes d’explosif dans ces cigares ! Si cela explose, il ne restera d’eux que des lambeaux de chair… sans même parler des autres navires qui les entourent. Otto Eduard Weddigen est rejoint par son frère Karl, ensemble ils grimpent la passerelle pour accéder au pont, où un officier tend un journal devant lui : ils sont en guerre contre l’Angleterre, la presse en fait écho ! Otto le sait déjà : il a reçu ses ordres, le jeu infernal des dominos a commencé. Il explique : un archiduc autrichien se fait tuer par un fanatique serbe et, au nom des alliances, toute l’Europe s’embrase. Y a-t-il vraiment quelque chose de réjouissant ? Les deux frères redescendent à quai : Otto explique à Karl qu’il va larguer les amarres pour aller à Heligoland, un bout de terre perdu dans la mer, le tout ne doit pas dépasser deux kilomètres carrés. D’autres ordres doivent l’y attendre. Karl s’emporte : Si c’est comme ça que leurs amiraux conçoivent la guerre, ce n’est pas demain qu’ils danseront sur les Champs Élysées ! Il faut attaquer sans attendre, comme l’a fait Bismarck en 1870. Attaquer !
Il est possible que le nom d’U-9 soit inconnu du lecteur et que ce dernier soit venu pour découvrir une nouvelle grande bataille navale dans cette collection dont il apprécie les caractéristiques. L’auteur sait inclure des informations de manière organique et bien dosée, c’est-à-dire sans tomber dans des pages d’exposition avec de longues cellules de texte en petits caractères. Progressivement, il distille les faits et les indications permettant de situer cette bataille dans le temps, de comprendre la nouveauté que représentent les sous-marins à l’époque, et de découvrir de quelle bataille il s’agit précisément et les caractéristiques qui la font sortir du lot, et qui l’ont fait passer à la postérité. Arrivé à la fin de cette histoire, le dossier vient apporter des compléments forts bienvenus : sur l’histoire du développement des sous-marins (Lequel peut être considéré comme avoir été le premier à mériter ce nom ?), sur le rapport de force entre un sous-marin et un croiseur-cuirassé, sur le temps qu’il a fallu pour que naisse la lutte anti-sous-marine, sur les circonstances qui ont fait que dans l’imagerie populaire d’aucuns attribueront la paternité de cette arme à l’Allemagne, sur l’évolution des sous-marins qui passent d’un engin sale et malodorant à une arme terrifiante, sur le choix de l’arme entre le canon et la torpille, et sur l’après.
Cet ouvrage s’ouvre sur un mot du scénariste en mémoire de l’artiste, à l’époque où celui-ci dessinait les séries Le Vent des Dieux (tomes 1 à 5, 1985-1991), et Les Eaux de Mortelune (tomes 1 à 10, 1986-1998), toutes les deux écrites par le scénariste Patrick Cothias. Il explique que Philippe Adamov avait réalisé une vingtaine de pages crayonnées, avant de larguer les amarres définitivement, et qu’alors s’est posée la question de savoir que faire de ce travail inachevé. En fonction de sa familiarité avec l’œuvre de cet artiste (également la série L’impératrice rouge, avec Jean Dufaux, quatre tomes, 1999-2003), le lecteur peut identifier les pages en question, ou il peut constater qu’il ne ressent pas de différence entre les deux artistes. Comme à son accoutumée, la coloriste choisit une palette de teintes réalistes, un petit peu ternies et assombries, pour être en phase avec le sujet de la guerre, les morts au combat, et les affrontements. Elle sait jouer des nuances d’une même teinte pour accentuer le relief de certaines surfaces, pour nourrir les formes détourées, pour compléter les fonds de case, et même créer les cieux avec nuages et variation de luminosité, évoquer les reflets toujours changeant de la surface de la mer, rendre compte de l’exiguïté des coursives du sous-marin. Ainsi le lecteur peut ressentir l’ambiance d’un mois de septembre déjà rafraichi.
Quoi qu’il en soit, le lecteur commence à tourner les pages, et il retrouve ce à quoi il s’attend visuellement : des militaires en train de parler, de belles cases mettant en valeur les navires de guerre, et bien sûr la mer. Il identifie tout de suite le savoir-faire du scénariste : une poignée de personnages nommés, ceux dont la postérité a retenu le nom, des discussions brèves régulièrement interrompues par le voyage en mer jusqu’à la bataille navale promise, et des personnages qui bougent. Pour ces derniers, les dessinateurs jouent le jeu : montrer ces hommes en train de parler, et représenter le décor avec un bon niveau de détail pour donner à voir l’environnement, que ce soit à terre ou à bord, en intérieur ou en extérieur. Il en découle une narration visuelle avec un rythme agréable, et des changements de décors réguliers apportant de la diversité. Bien évidemment, les deux dessinateurs se sont documentés sur les uniformes, les armes et les navires, et ils réalisent une reconstitution historique solide et fiable. L’enjeu du récit est d’arriver à la bataille navale en ayant informé le lecteur sur les forces en présence, sans se focaliser sur la vie à l’intérieur du long cigare de métal. Par voie de conséquence, les dessinateurs représentent aussi bien le port de Danzig, l’estuaire de la Forth, la rade de l’île de Heligoland, un cimetière de campagne, un bureau militaire allemand, et quelques zones du sous-marin.
Bien sûr l’U-9 est également mis visuellement en avant, ainsi que les croiseurs-cuirassés britanniques, avec leurs armements, donnant lieu à quelques belles vues de ces navires en mer. Le scénariste installe progressivement les circonstances menant à la bataille, avec un certain naturel né l’expérience. La bataille elle-même se déroule en neuf pages, à la narration visuelle impeccable, limpide et factuelle. Dans le dossier final, le lecteur retrouve un résumé de la bataille, correspondant en tout point à ce qui est montré. Les auteurs restent dans ce registre factuel : des hommes normaux faisant leur métier, sans crise existentielle quant au fait de tuer des ennemis, c’est-à-dire des êtres humains, sans soif sanguinaire, sans rêve de devenir des héros de guerre, des supersoldats, ou de futurs officiers, que ce soit du côté allemand ou du côté britannique. Bref, une affaire rondement menée, sans chichi. Le lecteur en ressort avec une bonne compréhension du rôle joué par ce sous-marin, de l’effet de surprise dont profite son équipage, du fait d’équipages ennemis sans connaissance ou compréhension particulière de ce type d’attaque.
En scénariste aguerri (c’est le cas de le dire), Jean-Yves Delitte sait intégrer quelques réflexions bien senties dans les dialogues. Le lecteur le constate dans les échanges entre les deux frères, celui qui commande un navire, et l’autre qui reste à terre dans une fonction administrative. Il apprécie plus le dialogue moins convenu entre deux marins : le premier expliquant au second que cette guerre se résume à des cousins qui s’entretuent, car les têtes couronnées de cette vieille Europe ont toutes des liens de parenté, ils vont être les témoins de la plus grande dispute familiale que le monde n’ait jamais connue. Au cours de la bataille, Otto Eduard Weddigen ne peut pas croire à la réaction totalement inconsciente des commandants britanniques qui n’ont aucune idée de ce qui leur arrive. Dans le même temps, une de ses réponses à un simple marin fait bien ressortir que les décisions du commandant engagent tous les membres de l’équipage, au risque qu’ils y perdent leur vie.
Un tome de plus dans cette collection, avec plusieurs particularités. La première réside bien sûr dans la nature de la bataille du 22 septembre 1914, impliquant un sous-marin allemand. La seconde tient à Philippe Adamov qui a réalisé des planches différentes de celles sortant du moule habituel, avec une narration visuelle plus organique, à hauteur de simple mortel, ramenant le récit au niveau d’un reportage dépourvu de toute forme de glorification ou de dramatisation convenue. Un récit de guerre didactique, raconté avec honnêteté, contenant quelques remarques attestant d’une prise de recul.
Ouais, c'est pas mal, même bien. Mais ça aurait pu être 'achement mieux.
Bon déjà, le dessin n'est pas mon trop mon truc. Il fait le taf mais reste pour moi à l'état d'esquisse. Les personnages sont bien empoignés. On sent bien ce qui les anime. On sent leurs faiblesses et tout le poids de leur passé peser sur leurs épaules. L'histoire valait vraiment d'être racontée, et ça ramène un peu les pieds sur terre de se dire que oui, il y a deux cents ans, on en était encore (la Science) à lutter contre l'obscurantisme religieux, religion avec laquelle il fallait composer, quitte à tordre le récit scientifique pour le faire coïncider avec les textes bibliques. C'est peut être le scénar qui est peut-être un peu linéaire. Mais je fais mon difficile là !
La BD en tant qu'objet est soignée. Belle couv, reliure de qualité, donc solide. Chouette illustration qui induit d'ailleurs un peu en "erreur" sur le contenu graphique même.
Non, au final, je ne vais pas faire le salaud. Je file 4/5, c'est pas de l'arnaque.
Merveilleuse idée ! Et il n'y a rien de prétentieux chez les Japonais. L'auteur projette la façon nippone d'apprendre sur son Romain. Pas très exact historiquement, s'il est vrai que les Romains ont beaucoup imité, des Grecs, mais pas seulement.
Autre objection à balayer : son Romain est anormalement peu curieux. Pardon, mais il est pile représentatif du Romain normal, sauf élite de l'élite intellectuelle, le Romain, pragmatique, s'occupe de ce qui marche ou pas, il y a peu de question du comment. Peuple bourré de rites mais sans mythes bien métaphysiques, qui reprend les résultats des Grecs en science sans trop s'attarder sur le cheminement intellectuel. Donc notre héros voit tout ce qu'il peut transposer dans ses thermes, et n'a pas l'idée d'aller explorer le nouveau monde des "faces plates". Pourquoi faire ? Son avance indique qu'on ne saurait le conquérir, et il ne semble pas tenté d'envahir Rome non plus, alors…
Le Romain n'est pas un Carthaginois ou un Grec, la découverte du monde et lui, ça fait deux. Il ne conquiert et ne garde d'ailleurs que ce qu'il peut administrer, ainsi, Auguste dit basta ! L'idée étant de ne plus conquérir, on ne saurait administre ce qui déborde trop. Et non, ce n'est pas que pour empêcher un général victorieux de concurrencer son pouvoir par son prestige… Plus tard, Dioclétien coupera l'Empire en deux pour mieux administrer. Le Romain est pragmatique, il aime aussi dominer… Cela implique de ne pas se disperser, rien à voir avec les Gaulois et leurs druides, les Grecs et leurs philosophes et autres. Une chance pour l'auteur ! La monomanie de notre héros sur les bains n'aurait guère été crédible autrement.
Là, si !
Le dessin ne se remarque pas, mais si on y pense… Il donne de la crédibilité question bains, on s'attache aux personnages, la lecture est dynamique. Parfait, donc !
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Le dessin ? Génialissime. Il parvient à rendre visible d'un coup qui est qui - Juif souris, Allemand chat. Et pourtant, tous les protagonistes semblent "humains trop humains" jusqu'au cœur du pire. Les hachures rendent compte du drame, le noir et blanc plus épuré du dialogue du créateur et de son père donne une respiration de lumière à l'œuvre. D'ailleurs, on se rattache à ce dernier comme protagoniste principal et seul espoir puisque lui va survivre. L'œuvre n'élude rien mais rend tout supportable, ce que je trouve incroyable. Le père n'est pas sorti brisé, on le voit à son sale caractère, et il n'est pas idéalisé car raciste. On le dit souvent mais là c'est vrai : un classique et une œuvre profondément humaine.
Green Witch Village
Voilà. Il vivra trahi au lieu de mourir dans la confiance. - Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Son édition originale date de 2025. Il a été réalisé par Franck Biancarelli pour les dessins, Lewis Trondheim pour le scénario et Jérôme Maffre pour les couleurs. Il comprend quatre-vingt-quatorze pages de bande dessinée. Il se termine avec un court paragraphe des auteurs expliquant en quoi leur ouvrage a été conçu comme un hommage aux comics des années 50, suivi par une page comprenant neuf recherches de couverture, trois pages de recherches graphiques sur le personnage, plus une page de présentation des auteurs. Dans un appartement en colocation à Greenwich Village, un quartier de Manhattan, une jeune femme reprend connaissance. Ses deux colocatrices, Érika Grönberg & Gwen Ford, sont penchées sur elle, inquiètes de son malaise, l’appelant Tabatha. Cette dernière ouvre les yeux, totalement hébétée. Elle leur demande qui elles sont, où elle se trouve, qu’est-ce que c’est que cette tenue qu’elle porte et où se trouve son portable. Les trois amies s’assoient sur le canapé, et ses copines expliquent à la troisième qu’elle s’appelle Tabatha Sands, qu’elle est libraire et que la date est octobre 1959. Elle leur répond qu’elle est sûre d’avoir trente ans et d’être en 2025. Érika dit qu’il est temps pour Tabatha d’aller travailler, car elles ont besoin de ses rentrées d’argent pour le loyer. Comme Tabatha ne sait pas où aller, Érika l’accompagne, car elle a un casting pas loin. Une fois à l’extérieur, la trentenaire indique que pour l’instant elle tient le coup, mais qu’elle ne sait pas ce qui se passera si elle croise un des Beatles. En marchant dans la rue, la libraire constate que c’est bizarre, il y a aussi des vieilles voitures des années trente ou quarante. Pour elle, dans les films sur les années cinquante, on ne voit que des voitures des années cinquante. Elle se fait la même remarque sur les vêtements et les boutiques, certaines très vieillottes. Son ami lui demande si en 2025 il y a bien des voitures volantes. Finalement, Tabatha décide de ne pas aller travailler et plutôt d’accompagner son amie Érika pour son casting. En sortant du métro, elles retrouvent Winfield Wayne l’agent de l’actrice, puis ensemble, ils pénètrent dans le bâtiment où se tiennent les auditions. Immédiatement, Ralph Damara repère Tabatha et énonce qu’elle est parfaite et que c’est elle qu’il veut pour incarner la sorcière verte, et elle se retrouve dans une position où elle ne peut qu’accepter de prendre Wayne comme agent pour négocier le contrat séance tenante. Plus tard, alors que la nuit est tombée, sur les quais, un groupe d’individus prend en charge une bombe livrée par d’autres, qu’ils abattent pour les faire taire, une fois l’acquisition complétée. Tabatha est rentrée dans sa colocation, et ses amies se tournent en dérision certains des termes qu’elle emploie, comme playlist, numérique, internet, wifi. Le lendemain, Tabatha se promène dans la rue et elle avise l’échoppe d’une diseuse de bonne aventure. Elle décide d’y entrer pour savoir ce qu’elle fabrique en 1959. Elle est accueillie dans une pièce plongée dans la pénombre, où une jeune femme de son âge débite quelques phrases génériques. Tabatha comprend immédiatement et lui demande si c’est la première fois qu’elle fait médium. Dès le début, cette bande dessinée présente une saveur particulière, le lecteur éprouvant des difficultés à la définir précisément. Cela commence avec le genre dans lequel s’inscrit le récit : anticipation ou fantastique, avec cette histoire d’âme revenue dans le passé pour habiter le corps d’une autre femme. Ou peut-être même spiritualité avec cette séance chez la diseuse de bonne aventure, quand la mère de Gabriella arrive, chasse Tabatha de son parloir, puis accepte de la revoir à l’extérieur et évoque une présence, un esprit invisible à ses côtés. D’ailleurs celui-ci apparaît à l’héroïne et lui parle, lui donnant des informations accessibles en 2025. Mais voilà qu’en page quinze, le récit semble encore changer de registre, avec l‘introduction de Spiridon Ivanov, pour lequel tout porte à croire qu’il s’agit d’un espion russe, plutôt que d’un simple journaliste pour le quotidien Izvestia. À moins que l’histoire ne bifurque vers une forme de romance, avec la relation naissante entre le Russe et la déplacée temporelle. En fonction de chaque séquence, le cœur du lecteur balance entre l’un ou l’autre de ces genres, ne sachant plus trop auquel il doit accorder sa priorité, entre l’histoire d’un attentat à la bombe atomique à New York, ou l’identité réelle de Tabatha. Il faut peut-être un peu de temps au lecteur pour ressentir la structure très particulière de cette bande dessinée, un rythme un peu saccadé, une sensation un peu hachée. En fin de tome, il découvre un texte explicitant les intentions des auteurs : ils ont souhaité réaliser un hommage aux comics des années 1950. Pour ce faire, ils se sont imposé quatre règles. Un : La première case sera toujours une grande image. Deux : La dernière case sera toujours une chute. Trois : Chaque planche doit pouvoir être lue de façon autonome, une ellipse la séparant de la précédente. Quatre : Les pages sont découpées de façon à pouvoir être montées en quatre ou trois strips. Ce cadre structurant leur a permis de jouer avec la narration et le rythme, fidèles à l’esprit de ces pages dominicales d’outre-mer qui les ont tant inspirés. En fonction de son degré d’attention, le lecteur a la confirmation de la démarche intentionnelle qu’il avait bien vue, ou bien il en fait la découverte. En effet, cette forme de composition de la narration donne une sensation très particulière à la lecture, chaque page formant une unité narrative presque autonome. Cette caractéristique renforce la sensation d’une intrigue un peu éparpillée, éclatée entre plusieurs genres d’une page à l’autre. Dans le même temps, les pages présentent une apparence très classique et sage : des cases rectangulaires avec une bordure bien nette, disposée en bandes. Des dessins dans un registre descriptif et réaliste, avec un discret degré de simplification pour les personnages et les visages, et de solides décors. La plupart des personnages bénéficient d’une discrète élégance, une silhouette svelte sans être athlétique, des tenues vestimentaires normales et diversifiées, ils sont bien habillés sans luxe ostentatoire. Avec une exception pour l’agent Winfield Wayne avec un manteau tape-à-l’œil peu raffiné. Les quatre femmes, personnages principaux, sont traitées avec respect par les auteurs, sans situation dégradante, sans voyeurisme de quelque sorte. Les principaux personnages masculins apparaissent un peu plus convenus et moins développés : l’agent grossier, machiste et usant de méthodes de voyou, l’agent du KGB élégant, respectueux et très bien élevé, Terrence Taylor agent de la C.I.A. plus rustaud habitué à être obéi et à rudoyer ceux qui lui résistent. En fin de tome apparaît le temps d’une séquence, Frank un touriste venu de Hongrie tout aussi élégant et parfaitement antipathique non sans raison. Outre l’attention apportée aux tenues vestimentaires, le plaisir de représenter Manhattan saute aux yeux du lecteur. Les auteurs ont choisi cette localisation avec la ferme intention de lui rendre hommage. Au travers de ces dessins soignés et précis, le lecteur peut apprécier la promenade dont il bénéficie en filigrane : les immeubles typiques du quartier de Greenwich Village, le Washington Square Arch (arc de triomphe en marbre à Washington Square Park, en commémoration du centenaire de l'inauguration de la présidence de George Washington en 1789), Central Park, ses ponts et ses allées, Coney Island sa plage et son parc d’attractions, le Seagram Building réalisé par l'architecte allemand Ludwig Mies van der Rohe (1886-1969). C’est une très belle balade, grâce certainement à des recherches rigoureuses, rayonnant du plaisir des auteurs lors de la réalisation des planches. Totalement sous le charme de la narration visuelle, le lecteur se laisse donc porter par les nombreux événements et rebondissements. Le spectre du neveu de 2025, les rapports de force entre les hommes comme Winfield Wayne ou Terrence Taylor et les trois femmes, la présence impalpable du KGB et des Nazis, l’attentat visant à faire exploser une bombe nucléaire à New York, un enlèvement pour exécuter la victime sur les quais, l’élimination de cadavres, des paris de courses hippiques en connaissant le gagnant, un antiquaire receleur et trafiquant, un Hongrois nazi, un assassinat en pleine voie publique, etc. Il relève en passant quelques références historiques et culturelles comme celle à Arthur Q. Bryan (1899-1959, acteur, voix de Elmer Fudd), ou l’utilisation de la perte d’une bombe atomique dans un accident par l’armée américaine (authentique, une bombe Tybee, délestée pendant un exercice militaire où un bombardier B-47B est entré en collision avec un avion de chasse F-86). Il s’amuse des anachronismes occasionnés par la connaissance du futur qu’à Tabatha Sands et son neveu : les Beatles, les comportements phallocrates et le patriarcat, l’absence de réseaux sociaux et de téléphones portables, l’usage d’un Smiley, l’absence de ceinture de sécurité dans les voitures, les jolies blondes faisant les carreaux à la station-service, une location de coffre bancaire pendant soixante-dix ans, et l’énoncé de drôles de noms pour choisir celui d’une agence d’actrices (Drôles de dames, Catseyes, Me Too, Pikachu, Daft Punk, Google Instagram, Microsoft, Amazon, Paypal, Tik Tok). Il est presque surpris de découvrir que les auteurs résolvent leur intrigue en bonne et due forme, y compris l’identité véritable de Tabatha Sands. Une bande dessinée des plus classiques en apparence : des dessins soignés et descriptifs, une aventure fantastique d’une jeune femme se retrouvant en 1959 dans le corps d’une autre femme, et des enjeux divers allant de comprendre ce qui est arrivé à l’héroïne à la menace d’un acte terroriste visant à faire exploser une bombe atomique en plein Manhattan. Le lecteur tombe vite sous le charme de ce récit à l’intrigue protéiforme, sans trop savoir quel est l’enjeu dominant. La reconstitution de Manhattan est formidable, le récit est plein de rebondissement, la forme constitue un hommage sophistiqué aux Sunday pages des années 1950. L’aventure rocambolesque est finement dosée. Un divertissement sophistiqué et élégant.
Félin pour l'autre !
La BD qui ne fait pas dans la facilité en nous montrant un humain et son chat : miroir pour qui en a, compensation pour qui aimerait avoir un chat ! Non, il y a de l'aventure. Et pas fantastique, alors que le chat est un plus dans les aventures un peu étranges… Non, non et non, ici on est dans la quête de la compréhension des chats ! Et on va sur leur terrain, dans la rue, pour les découvrir, et éventuellement, les aider. Il y a aussi un dessin qui prend le chat au sérieux. Oyez, les gens ! Si on veut représenter un chat, c'est à ses risques et périls, les plus grands peintres n'ayant pas trouvé la chose facile. Ici, les chats sont vraiment des chats, pas des espèces de quadrupèdes style baudruche pour faire chat, avec des humains aussi approximatifs. L'humour est mieux que dans certaines séries qui se veulent humoristiques. Si j'étais un chat, je noterais plus haut, mais je suis un humain.
Jésus aux Enfers
BD qui relève un défi : faire de la théologie, de la philosophie, et montrer l'enfer. Sans sombrer dans ces hérésies jumelles : l'ennui ou le sadomasochisme des tourments alloués aux damnés. Il faut dire qu'on ne voie que les limbes…. Jésus remet en cause le choix de Satan, qui remet en cause la bonté de Dieu, avec comme argument imparable l'enfer. Les captifs sont à plaindre, les monstres font leur job de monstre, Jésus est une sorte de héros, Satan un opposant de bon niveau, mais subtilement, ils sont fraternels. Parce que question : à qui peuvent-ils vraiment parler, avec qui aller au fond des choses, sauf avec l'autre ? Et puis, finir sur une croix ou seigneur des enfers n'est pas follement folichon, cela me semble créer une solidarité obligée. Jésus est plus ou moins comme on l'imagine, un peu moins incarné puisque chez les morts, cependant, l'enfer a ce qu'il faut d'étrangeté, bravo au dessinateur ! Satan change d'apparence, peut-être pour désorienter ou séduire, comme on dit, peut-être pour se désennuyer un peu… Et le lecteur, par la même occasion. Excellent donc.
Rebis
J’ai été beaucoup touché par cette bd ! Très belle écriture d’une identité queer presque subie construite par le rejet extérieur. Je recommande chaudement.
Stranger Things - Le voyage
Quand j’ai ouvert Stranger Things : Le Voyage, j’ai immédiatement été plongé dans un thriller maritime oppressant. Être coincé sur un cargo avec une créature monstrueuse m’a tout de suite fait penser à Alien, mais transposé sur l’océan glacial plutôt que dans l’espace. La tension monte à chaque page. J’ai beaucoup aimé que Michael Moreci et Todor Hristov, les mêmes auteurs que Stranger Things : Kamchatka, aient réussi à créer un second one shot dans l’univers de Stranger Things. Les dessins de Hristov m’ont vraiment immergé dans l’ambiance. Les couleurs froides et sombres renforcent le sentiment de danger et d’isolement, et chaque planche me donnait presque l’impression de voir un film. Le seul petit bémol que j’ai ressenti, c’est que certains personnages secondaires manquent un peu de profondeur. J’aurais aimé pouvoir m’attacher davantage à eux, mais la tension constante rattrape largement ce point.
Légendes des Contrées Oubliées
Dès les premières pages, j’ai eu l’impression de partir en voyage. Au début, tout semblait simple, presque tranquille. Mais très vite, j’ai senti que quelque chose se préparait. Il y a eu des moments où j’ai eu le cœur qui battait un peu plus vite, surtout quand les héros se retrouvent face à des choix difficiles. J’ai aimé me laisser surprendre. Parfois, j’étais perdu, mais ça ne m’a pas dérangé : ça faisait partie de l’aventure. À la fin, j’ai refermé la BD avec ce sentiment d’avoir vécu quelque chose d’important. Ce qui m’a touché, ce sont les idées derrière l’histoire. On parle de traditions, de secrets, de ce que les légendes peuvent faire à un peuple. J’ai senti une réflexion sur la peur et sur le poids du passé. Il y a aussi des moments sombres, où je me suis demandé : « Et moi, qu’est-ce que j’aurais fait à leur place ? ». Ce n’est pas juste une histoire de héros contre des monstres. C’est plus profond, et ça m’a fait réfléchir. Au début, je ne savais pas trop quoi penser des héros. Mais au fil des pages, j’ai appris à les aimer. Firfin m’a fait sourire avec son côté malin. Les nains, eux, m’ont impressionné par leur courage, même quand tout semble perdu. J’ai aussi eu des frissons avec certains personnages mystérieux. Parfois, j’avais envie de leur faire confiance, parfois non. Et c’est ça qui m’a plu : je me suis senti proche d’eux, comme si je faisais partie du voyage. Le dessin m’a donné une sensation étrange au début. C’est très détaillé, presque trop parfois. J’ai dû m’arrêter pour regarder chaque case. Mais plus j’avançais, plus j’ai compris que c’était ça qui donnait cette ambiance unique. Les couleurs sont un peu anciennes, mais elles collent parfaitement à l’histoire. J’ai adoré les paysages, qui m’ont fait rêver, et les créatures, qui m’ont parfois fait frissonner. À la fin, j’ai eu l’impression d’avoir traversé un monde entier.
U-9
Un véritable camouflet pour la Royal Navy. - Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre, qui ne nécessite pas de connaissances préalables. Son édition originale date de 2025. Ila été réalisé par Jean-Yves Delitte pour le scénario, par Philippe Adamov (1956-2020) pour les dessins, ceux-ci ayant repris par Fabio Pezzi après le décès de l’artiste initial, avec une mise en couleurs réalisée par Douchka Delitte. Il comporte quarante-six pages de bande dessinée. Il se termine par un dossier de huit pages, rédigé par le scénariste, généreusement illustré par des documents d’archives, avec des parties portant les titres suivants : Il y a d’abord l’histoire, Touché, coulé !, U-Boot une arme allemande, Un engin sale et malodorant, … qui deviendra une arme terrifiante !, Le canon ou la torpille ?, De l’arme méprisée à l’exploit !, Et après ? Ils se croyaient invulnérables… Ils pensaient pouvoir couler les plus puissants des navires, comme David, qui avec une simple pierre, avait terrassé le géant Goliath. Mais ils auraient dû savoir que la flèche s’est toujours brisée sur l’armure. Leur submersible pouvait bien déplacer près de 800 tonnes et filer à plus de 15 nœuds, tout cela avait peu d’importance quand une masse qui déplace plus de 18.000 tonnes à 20 nœuds vous éperonne. Un sous-marin éventré gît par le fond, les cadavres des marins flottant entre deux eaux. En surface, les officiers commandant un énorme croiseur-cuirassé se félicitent : ils viennent d’heurter un sous-marin allemand, il y a enfin une justice ! Coupé en deux et pas un survivant. L’un d’entre d’eux a pu lire son immatriculation : U-29. Un autre renchérit : il paraît que cette saleté a attaqué au canon pas moins de six marchands en l’espace d’une semaine. Le troisième se félicite : une chose est sûre : ils entrent dans l’histoire leur HMS Dreadnought, malgré sa vétusté, est le premier cuirassé à couler un sous-marin. La scène se déroule à Pentland Firth, en Écosse le 18 mars 1915. À Danzig, dans l’empire allemand, le 4 août 1914, des marins sont en train de charger des torpilles dans un sous-marin. L’oberbootsmann les tance : ils doivent faire attention avec le palan, s’ils ne veulent pas les envoyer au Paradis avant l’heure ! Il y a plus de cent-soixante kilogrammes d’explosif dans ces cigares ! Si cela explose, il ne restera d’eux que des lambeaux de chair… sans même parler des autres navires qui les entourent. Otto Eduard Weddigen est rejoint par son frère Karl, ensemble ils grimpent la passerelle pour accéder au pont, où un officier tend un journal devant lui : ils sont en guerre contre l’Angleterre, la presse en fait écho ! Otto le sait déjà : il a reçu ses ordres, le jeu infernal des dominos a commencé. Il explique : un archiduc autrichien se fait tuer par un fanatique serbe et, au nom des alliances, toute l’Europe s’embrase. Y a-t-il vraiment quelque chose de réjouissant ? Les deux frères redescendent à quai : Otto explique à Karl qu’il va larguer les amarres pour aller à Heligoland, un bout de terre perdu dans la mer, le tout ne doit pas dépasser deux kilomètres carrés. D’autres ordres doivent l’y attendre. Karl s’emporte : Si c’est comme ça que leurs amiraux conçoivent la guerre, ce n’est pas demain qu’ils danseront sur les Champs Élysées ! Il faut attaquer sans attendre, comme l’a fait Bismarck en 1870. Attaquer ! Il est possible que le nom d’U-9 soit inconnu du lecteur et que ce dernier soit venu pour découvrir une nouvelle grande bataille navale dans cette collection dont il apprécie les caractéristiques. L’auteur sait inclure des informations de manière organique et bien dosée, c’est-à-dire sans tomber dans des pages d’exposition avec de longues cellules de texte en petits caractères. Progressivement, il distille les faits et les indications permettant de situer cette bataille dans le temps, de comprendre la nouveauté que représentent les sous-marins à l’époque, et de découvrir de quelle bataille il s’agit précisément et les caractéristiques qui la font sortir du lot, et qui l’ont fait passer à la postérité. Arrivé à la fin de cette histoire, le dossier vient apporter des compléments forts bienvenus : sur l’histoire du développement des sous-marins (Lequel peut être considéré comme avoir été le premier à mériter ce nom ?), sur le rapport de force entre un sous-marin et un croiseur-cuirassé, sur le temps qu’il a fallu pour que naisse la lutte anti-sous-marine, sur les circonstances qui ont fait que dans l’imagerie populaire d’aucuns attribueront la paternité de cette arme à l’Allemagne, sur l’évolution des sous-marins qui passent d’un engin sale et malodorant à une arme terrifiante, sur le choix de l’arme entre le canon et la torpille, et sur l’après. Cet ouvrage s’ouvre sur un mot du scénariste en mémoire de l’artiste, à l’époque où celui-ci dessinait les séries Le Vent des Dieux (tomes 1 à 5, 1985-1991), et Les Eaux de Mortelune (tomes 1 à 10, 1986-1998), toutes les deux écrites par le scénariste Patrick Cothias. Il explique que Philippe Adamov avait réalisé une vingtaine de pages crayonnées, avant de larguer les amarres définitivement, et qu’alors s’est posée la question de savoir que faire de ce travail inachevé. En fonction de sa familiarité avec l’œuvre de cet artiste (également la série L’impératrice rouge, avec Jean Dufaux, quatre tomes, 1999-2003), le lecteur peut identifier les pages en question, ou il peut constater qu’il ne ressent pas de différence entre les deux artistes. Comme à son accoutumée, la coloriste choisit une palette de teintes réalistes, un petit peu ternies et assombries, pour être en phase avec le sujet de la guerre, les morts au combat, et les affrontements. Elle sait jouer des nuances d’une même teinte pour accentuer le relief de certaines surfaces, pour nourrir les formes détourées, pour compléter les fonds de case, et même créer les cieux avec nuages et variation de luminosité, évoquer les reflets toujours changeant de la surface de la mer, rendre compte de l’exiguïté des coursives du sous-marin. Ainsi le lecteur peut ressentir l’ambiance d’un mois de septembre déjà rafraichi. Quoi qu’il en soit, le lecteur commence à tourner les pages, et il retrouve ce à quoi il s’attend visuellement : des militaires en train de parler, de belles cases mettant en valeur les navires de guerre, et bien sûr la mer. Il identifie tout de suite le savoir-faire du scénariste : une poignée de personnages nommés, ceux dont la postérité a retenu le nom, des discussions brèves régulièrement interrompues par le voyage en mer jusqu’à la bataille navale promise, et des personnages qui bougent. Pour ces derniers, les dessinateurs jouent le jeu : montrer ces hommes en train de parler, et représenter le décor avec un bon niveau de détail pour donner à voir l’environnement, que ce soit à terre ou à bord, en intérieur ou en extérieur. Il en découle une narration visuelle avec un rythme agréable, et des changements de décors réguliers apportant de la diversité. Bien évidemment, les deux dessinateurs se sont documentés sur les uniformes, les armes et les navires, et ils réalisent une reconstitution historique solide et fiable. L’enjeu du récit est d’arriver à la bataille navale en ayant informé le lecteur sur les forces en présence, sans se focaliser sur la vie à l’intérieur du long cigare de métal. Par voie de conséquence, les dessinateurs représentent aussi bien le port de Danzig, l’estuaire de la Forth, la rade de l’île de Heligoland, un cimetière de campagne, un bureau militaire allemand, et quelques zones du sous-marin. Bien sûr l’U-9 est également mis visuellement en avant, ainsi que les croiseurs-cuirassés britanniques, avec leurs armements, donnant lieu à quelques belles vues de ces navires en mer. Le scénariste installe progressivement les circonstances menant à la bataille, avec un certain naturel né l’expérience. La bataille elle-même se déroule en neuf pages, à la narration visuelle impeccable, limpide et factuelle. Dans le dossier final, le lecteur retrouve un résumé de la bataille, correspondant en tout point à ce qui est montré. Les auteurs restent dans ce registre factuel : des hommes normaux faisant leur métier, sans crise existentielle quant au fait de tuer des ennemis, c’est-à-dire des êtres humains, sans soif sanguinaire, sans rêve de devenir des héros de guerre, des supersoldats, ou de futurs officiers, que ce soit du côté allemand ou du côté britannique. Bref, une affaire rondement menée, sans chichi. Le lecteur en ressort avec une bonne compréhension du rôle joué par ce sous-marin, de l’effet de surprise dont profite son équipage, du fait d’équipages ennemis sans connaissance ou compréhension particulière de ce type d’attaque. En scénariste aguerri (c’est le cas de le dire), Jean-Yves Delitte sait intégrer quelques réflexions bien senties dans les dialogues. Le lecteur le constate dans les échanges entre les deux frères, celui qui commande un navire, et l’autre qui reste à terre dans une fonction administrative. Il apprécie plus le dialogue moins convenu entre deux marins : le premier expliquant au second que cette guerre se résume à des cousins qui s’entretuent, car les têtes couronnées de cette vieille Europe ont toutes des liens de parenté, ils vont être les témoins de la plus grande dispute familiale que le monde n’ait jamais connue. Au cours de la bataille, Otto Eduard Weddigen ne peut pas croire à la réaction totalement inconsciente des commandants britanniques qui n’ont aucune idée de ce qui leur arrive. Dans le même temps, une de ses réponses à un simple marin fait bien ressortir que les décisions du commandant engagent tous les membres de l’équipage, au risque qu’ils y perdent leur vie. Un tome de plus dans cette collection, avec plusieurs particularités. La première réside bien sûr dans la nature de la bataille du 22 septembre 1914, impliquant un sous-marin allemand. La seconde tient à Philippe Adamov qui a réalisé des planches différentes de celles sortant du moule habituel, avec une narration visuelle plus organique, à hauteur de simple mortel, ramenant le récit au niveau d’un reportage dépourvu de toute forme de glorification ou de dramatisation convenue. Un récit de guerre didactique, raconté avec honnêteté, contenant quelques remarques attestant d’une prise de recul.
La Dent de l'iguanodon
Ouais, c'est pas mal, même bien. Mais ça aurait pu être 'achement mieux. Bon déjà, le dessin n'est pas mon trop mon truc. Il fait le taf mais reste pour moi à l'état d'esquisse. Les personnages sont bien empoignés. On sent bien ce qui les anime. On sent leurs faiblesses et tout le poids de leur passé peser sur leurs épaules. L'histoire valait vraiment d'être racontée, et ça ramène un peu les pieds sur terre de se dire que oui, il y a deux cents ans, on en était encore (la Science) à lutter contre l'obscurantisme religieux, religion avec laquelle il fallait composer, quitte à tordre le récit scientifique pour le faire coïncider avec les textes bibliques. C'est peut être le scénar qui est peut-être un peu linéaire. Mais je fais mon difficile là ! La BD en tant qu'objet est soignée. Belle couv, reliure de qualité, donc solide. Chouette illustration qui induit d'ailleurs un peu en "erreur" sur le contenu graphique même. Non, au final, je ne vais pas faire le salaud. Je file 4/5, c'est pas de l'arnaque.
Thermae Romae
Merveilleuse idée ! Et il n'y a rien de prétentieux chez les Japonais. L'auteur projette la façon nippone d'apprendre sur son Romain. Pas très exact historiquement, s'il est vrai que les Romains ont beaucoup imité, des Grecs, mais pas seulement. Autre objection à balayer : son Romain est anormalement peu curieux. Pardon, mais il est pile représentatif du Romain normal, sauf élite de l'élite intellectuelle, le Romain, pragmatique, s'occupe de ce qui marche ou pas, il y a peu de question du comment. Peuple bourré de rites mais sans mythes bien métaphysiques, qui reprend les résultats des Grecs en science sans trop s'attarder sur le cheminement intellectuel. Donc notre héros voit tout ce qu'il peut transposer dans ses thermes, et n'a pas l'idée d'aller explorer le nouveau monde des "faces plates". Pourquoi faire ? Son avance indique qu'on ne saurait le conquérir, et il ne semble pas tenté d'envahir Rome non plus, alors… Le Romain n'est pas un Carthaginois ou un Grec, la découverte du monde et lui, ça fait deux. Il ne conquiert et ne garde d'ailleurs que ce qu'il peut administrer, ainsi, Auguste dit basta ! L'idée étant de ne plus conquérir, on ne saurait administre ce qui déborde trop. Et non, ce n'est pas que pour empêcher un général victorieux de concurrencer son pouvoir par son prestige… Plus tard, Dioclétien coupera l'Empire en deux pour mieux administrer. Le Romain est pragmatique, il aime aussi dominer… Cela implique de ne pas se disperser, rien à voir avec les Gaulois et leurs druides, les Grecs et leurs philosophes et autres. Une chance pour l'auteur ! La monomanie de notre héros sur les bains n'aurait guère été crédible autrement. Là, si ! Le dessin ne se remarque pas, mais si on y pense… Il donne de la crédibilité question bains, on s'attache aux personnages, la lecture est dynamique. Parfait, donc !