Un western aussi bon, beau et fort que Hoka Hey !. Je sais, je prends un gros risque en commençant de la sorte.
Les auteurs de 100 bullets nous proposent une ballade et non une balade. Cette triste histoire est racontée par l'un des trois frères Blood, tel un long poème mélancolique et désabusé à la fin tragique. Il faut avouer que ce Far West ne fera de cadeaux à personne.
Pour ne pas te gâcher ta lecture avec les rebondissements qui vont parsemer le récit, je vais t'en dire le moins possible, juste faire une présentation des personnages. Les trois jeunes frères Blood vivent avec leur mère et leur père adoptif, un homme de dieu. Des gosses qui vont voir trois cow-boys, trois frères aussi, assassiner leur père adoptif et enlever leur mère. Ces trois cow-boys connaissent cette femme et l'un d'eux pourrait être leur père biologique. Les frangins Blood vont partir à la recherche de leur maman. Des personnages crédibles, complexes et très bien campés. Je vais faire un zoom sur cette femme, elle n'a rien de frêle et soumise, elle ne subit pas les événements, elle fait ce qu'il faut pour survivre. Une seconde femme, au tempérament bien trempé aussi, fera son apparition, une comanche. Voilà, tu en sais assez.
Une histoire touchante et une narration onirique, on va suivre en parallèle ces deux fratries où les liens du sang, mais aussi du cœur seront mis à rudes épreuves, où rien n'est totalement noir ou blanc. Un récit violent, mâture et maîtrisé.
La boucle est bouclée avec cette dernière planche : "Je suis le fils de mon père".
J'aimais déjà beaucoup le dessin de Risso, mais là, il monte le curseur à un niveau très élevé. L'utilisation de l'aquarelle et le choix des couleurs rendent ce récit immersif, dépaysant et profondément humain.
Les cadrages et sa mise en page permettent d'être au plus près de l'action et de ressentir les émotions des personnages.
Superbe !
De nombreuses couvertures alternatives en bonus en fin d'album, par Risso, Jock, Dave Johnson, Gabriel Ba, Howard Chaykin...
Un incontournable de 2025, je persiste et signe : un western aussi bon, beau et fort que Hoka Hey !.
Note réelle : 4,5.
Gros coup de cœur.
Eh bien, je ne m'attendais pas à un tel genre de récit. C'est de la space opera avec pas mal de folklore (créatures étranges, robots, monde bizarre et un peu de magie à la fin) dont le récit porte pas mal de mystère qu'on ne demande qu'a éclaircir par la suite. L'histoire tiens sur six tomes denses, emportant dans la lecture très très facilement jusqu'à un final que je n'attendais pas réellement.
Je peux directement commencer par quelques défauts mineurs de la série, comme la nécessité pour les auteurs de poser un contexte intriguant et des personnages avant de consacrer un tome entier (le troisième) à leur passé et leurs motivations. Cette façon très sérielle de raconter est assez caractéristique du format, qui doit rapidement embarquer le lecteur dans l'histoire et prend ensuite le temps de poser les bases lorsqu'on est plus avancé et que l'on ne risque pas de devoir interrompre la série en lassant le lecteur. Mais de fait, je trouve ça dommage que tout le passé arrive d'un bloc et sur un seul volume plutôt que par petites touches disséminées. D'autre part, si je vois bien le récit aller d'un point à un autre, il y a quelques lacunes dans le récit et quelques moments qui semblent un peu improvisés sur le fil du récit, donnant parfois lieu à des mystères non-résolus ou des détours pas nécessaires avant de revenir à l'intrigue principale. C'est dommage, mais pas spécialement désagréable au fil de la lecture.
Puisque je le répète, la lecture est fascinante et prenante. Tout au long des six volumes, j'ai suivi ces personnages en attendant la suite, même si certains m'ont moins plus que d'autres (Qu'on dont j'ai du mal à comprendre les motivations tout du long). Et l'histoire rend tout le monde attachant surtout dans les faiblesses, finissant sur un récit étrangement sombre dont le propos semble être bel et bien l'incapacité de l'humain à entretenir des liens corrects avec les autres (et en eux-même). Il y aurait quelques réflexions à mener sur le thème des robots, central au récit, et qui semble inspiré des récits de Asimov mais dans une réflexion plus actuelle.
Le dessin va en phase avec le tout, maniant à merveille les tons de blancs omniprésent et les couleurs par touches, les têtes des créatures qui donnent un contexte spatial en rappelant parfois des genres à la Star Wars, dans des environnements futuristes bien trouvés. C'est beau à voir, les couvertures ont du cachet d'ailleurs et l'ensemble est clair et lisible tout du long.
Une très bonne série de SF, que je recommanderais par son caractère unique dans le scénario, ses thématiques globalement bien amenées et ses personnages en souffrances, paumé dans un monde dangereux qui ne va pas bien. Je ne suis pas sur de quelle métaphore Jeff Lemire s'est emparé (même si j'ai ma petite idée) mais ça marche jusqu'au bout. Tout au plus, je regrette la fin un peu trop ouverte pour une suite (Ascender) qui n'étais pas nécessaire et aurait pu être plus subtile. Mais même avec ça, je ne peux que vous recommander !
Rêver de l’horizon, observer, étudier… et ne pas cesser de s’émerveiller.
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Ce tome contient un récit complet, une forme de correspondance dessinée entre un homme et une femme, tous les deux artistes. Son édition originale date de 2024. Il a été réalisé à quatre mains pour le scénario et les dessins, par Edmond Baudoin & Aurore Bize. Il comporte quatre-vingt-deux pages de bande dessinée, en noir & blanc.
Un dessin d’arbre, puis un dessin avec un plus grand angle, et les mots d’Aurore Bize : Te souviens-tu de ce dessin ? Nous l’avions fait à deux, la première fois où tu étais venu marcher dans ces chemins qui n’étaient pas encore les miens. Je les découvrais avec toi. Tes traits et mes traits s’y mêlent et pourtant je peux voir clairement lesquels sont les tiens et lesquels sont les miens. Tu m’apprenais à regarder, à choisir. Je sens encore le soleil de cette fin d’hiver. Je sens encore ton odeur et ta veste chaude contre moi. J’ai commencé à tracer maladroitement. Tu as pris la feuille et tu as fait pousser le dessin. Juste comme ça, quelques souffles, quelques coups de pinceau. L’essentiel. La vie. Je vois comme mes branches étaient encore rigides, comme les tiennes dansaient dans le vent. C’est cette liberté du geste, cette sensualité, que j’admirais, que je cherchais.
Un dessin d’arbres et de sous-bois, puis des arbres sans végétation au pied, puis une zone naturelle sans arbre, et les mots d’Edmond Baudoin : Il y a en toi Aurore, un devenir avec les arbres. Le dialogue qui se crée avec eux quand tu les dessines s’entend. Je l’écoute quand je regarde tes dessins. Tu me dis ne pas être satisfaite de ce que tu fais, comme pour le paysage ci-dessus, tu ne le seras jamais. Pour moi c’est pareil. Pourtant on va continuer tous les deux dans ce livre, continuer de nous approcher au plus près de l’impossible. Approcher l’impossible. Dessiner, peindre, écrire, danser, c’est comme s’aimer avec les bouches, les peaux, les sexes. C’est toucher à la seconde qui contient tout, et tout perdre l’instant d’après, par la faute d’un trait de trop, d’une note de musique qui grince, d’un geste inopportun. C’est notre condition, notre humanité. C’est pour ça que les Grecs ont inventé les dieux et demi-dieux. Pour y arriver à travers eux. Aurore reprend : Oui, Edmond, nous allons essayer à tous les deux de nous approcher de cet impossible. Il y a longtemps que nous voulions travailler ensemble, mais la distance et nos vies si remplies nous ont obligés à laisser mûrir nos idées et m’ont permis de continuer à faire pousser mon dessin. Et maintenant, je te retrouve dans notre chemin. Dessins de feuilles et un chemin. Aurore continue : Je marche seule dans les collines. Je m’arrête parfois pour dessiner un peu. Garder une trace. Travailler mon geste. Avec la contrainte du temps, je vais à l’essentiel. La présence du paysage, le vent, les nuages, le soleil, libèrent ma pensée et mes sens. Dans ces moments de solitude choisie, je suis libre d’écrire et dessiner dans ma tête. Les caresses du soleil et du vent sont comme les baisers de mes amants. Tout mon corps est éveil. Comme je suis bien là-haut dans le vent. C’est grisant. Le vent me lave.
De temps à autre, Edmond Baudoin réalise une bande dessinée en collaboration avec un autre artiste : quatre albums avec Jean-Marc Troubet, dit Troubs (Viva la vida - Los Sueños de Ciudad Juàrez en 2011, Le goût de la terre en 2013, Humains - La Roya est un fleuve en 2018, Inuit en 2023), La Diagonale des jours (1992) avec Tanguy Dohollau, Les Yeux dans le mur (2003) avec Céline Wagner, La Traverse avec Mariette Nodet en 2019, Au pied des étoiles (2024) avec Emmanuel Lepage. Comme d’habitude, sa conception de la bande dessinée induit une grande liberté dans la forme, en l’occurrence, une alternance d’illustrations réalisées soit par lui, soit par Aurore, le plus souvent une par page, parfois deux, parfois une illustration s’étalant sur une double page, et pourtant une sensation de bande dessinée. À la lecture, il est possible parfois de déceler l’influence d’Edmond dans un dessin d’Aurore et réciproquement, la dessinatrice indiquant au début qu’il a pu en être ainsi ponctuellement. Cet ouvrage reprend l’habitude établie dans les précédentes collaborations : Baudoin utilise des lettres capitales manuscrites pour ses textes, Bize écrit en minuscules, avec une police de caractère de type informatique. La narration alterne les dessins et les textes de l’un avec ceux de l’autre. Il s’établit un véritable dialogue, l’un répondant à l’autre, et réciproquement tout du long de la bande dessinée. Le lecteur ressent une progression narrative, qui va au-delà d’une discussion informelle.
Conscient de la nature de l’ouvrage, le lecteur se laisse porter par le flux de la discussion, tout en admirant les dessins. Baudoin indique que leur objectif est de dessiner des arbres. En effet, les différents dessins ont pour objet la nature, le plus souvent avec des arbres. Très peu de dessins comportent un être humain : la silhouette de Baudoin, la silhouette d’Eustacia Vye (un personnage du roman Le Retour au pays natal, 1878, de Thomas Hardy, 1840-1928), la silhouette de Louison (le fils d’Aurore), le corps d’Aurore elle-même. Alors le lecteur admire le paysage, ou plutôt les paysages successifs. Des arbres, des montagnes, des prairies, encore des arbres. S’il a déjà lu certaines BD de Baudoin, il en reconnaît immédiatement le trait de pinceau : gras épais, parfois complété par des traits fins, un assemblage d’une justesse épatante, surnaturelle même. Des représentations souvent épurées, transcrivant la vie de l’arbre dans sa silhouette, dans certaines textures, dans le déploiement de ses formes, de ses branches, une capacité extraordinaire à rendre justice à ces organismes vivants, à leur histoire personnelle qui a façonné leur développement. Par comparaison, les dessins d’Aurore Bize semblent s’inscrire dans un registre plus descriptif, plus proche de la réalité physique de ce que voit l’œil. Le lecteur perçoit qu’elle progresse dans son art au fil des séquences, s’éloignant un peu des apparences pour saisir la vie dans les arbres.
Accolés à ces dessins qui donnent à voir les arbres dans la manifestation de leur vie, se trouvent de courts textes, dans lesquels les auteurs développent leurs réflexions, leurs échanges. Le lecteur apprécie de suivre un dialogue construit : une suite d’anecdotes et d’idées. De manière organique et élégante, Aurore et Edmond évoquent la nature de leur projet, leur envie de collaborer de longue date, leur relation. Le lecteur se sent invité et accepté dans l’intimité de leur relation, évoquée avec pudeur. Il ressent le fait qu’ils aient probablement été amants, même si cela n’est pas dit de manière explicite. Leur bienveillance réciproque rayonne littéralement de leurs échanges, ainsi que leur profonde humanité, leur amour et leur respect de l’être humain. Ainsi, ce qui apparaît tout d’abord comme une discussion entre deux artistes, avec des collaborations discrètes de l’un sur les dessins de l’autre, acquiert une dimension narrative pour ce qui est de l’histoire passée de leur relation, et une dimension réflexive, dénuée d’aigreur ou de la forme de conservatisme que l’on pourrait attendre du fait de leur âge. Ils expriment leur inquiétude pour l’avenir de l’humanité, sans cynisme ou résignation, sans se targuer d’avoir vu les choses empirer.
Tout de même, voilà un projet singulier de dessiner des arbres pour parler de leur pratique de l’art du dessin, de leur impossibilité d’être satisfait de leur dessin tout en continuant d’essayer de s’approcher de cet impossible, d’évoquer également la manière dont s’exprime leur amour, leurs démarches pour comprendre l’autre sexe, ou encore ce monde mortifère qui pèse dans leurs têtes et dans leurs corps. Tout en découvrant les pages, le lecteur garde le titre en mémoire : Sous les écorces. C’est Baudoin qui l’écrit : alors j’ai de la haine à mon égard, parce que je ne sais pas descendre dans ses racines (celles de l’arbre), passer derrière son écorce. Dessiner les arbres va plus loin qu’un exercice complexe de transcription de l’histoire vécue par un être vivant dans un simple dessin. L’une et l’autre ont pour ambition de transcrire l’enchevêtrement des possibles, une quête di vivant par le dessin.
Charge au lecteur de lire les dessins et d’établir un ou plusieurs liens avec ce que dit le texte. Aurore Bize écrit : Un même dessin peut raconter plusieurs histoires. Baudoin se demande : Une même image peut être lue de combien de façons ? L’un et l’autre font le constat de l’ambivalence des textes et des images, concepts développés dans les théories de la réception et de la lecture, par exemple par l’école de Constance. Au fil de la discussion, les autres envies de ces créateurs s’égrènent : garder une trace, répandre son émotion. Le sujet de l’arbre incarne en fait une recherche de la vie en l’autre, y compris les êtres humains, que Baudoin dessine régulièrement au travers de portraits pendant ses voyages, et que Bize dessine également. Cette recherche constitue également l’expression de leur amour : chercher la vie en l’autre, aimer en témoin non en maîtrise, comprendre l’autre. D’un côté l’un et l’autre ont conscience qu’il leur est de plus en plus difficile de se vider la tête ; de l’autre côté, ils conçoivent que le temps du dessin est comme une danse, une forme de résistance contre un monde mortifère. Cette pratique leur permet de rejeter toute catégorisation qui étouffe l’être, de témoigner de la vie, de chanter l’humanité
Une discussion entre deux créateurs, sous la forme d’une bande dessinée, ou tout du moins d’une succession de dessins avec la voix intérieure de l’un et de l’autre qui court en alternance. Une bande dessinée, ou une succession d’illustrations associées à des réflexions en réponse à celles précédant ? En filigrane, il apparaît bien une trame narrative, celle qui évoque avec discrétion l’histoire de la relation, et celle qui évoque le développement de leurs réflexions. Le lecteur se prend rapidement d’amitié pour ces deux auteurs, pour leur chaleur humaine authentique. Il tombe sous le charme de l’incroyable densité de ce qu’expriment leurs représentations d’arbres. Il les écoute avidement parler de l’art du dessin de la rencontre et de l’altérité, de l’expression de leur amour, du sens qu’il donne à leur art, de leur espoir en la vie. Comme le conclut Edmond Baudoin : Les paysages se déconstruisent et reconstruisent eux aussi. Rien n’est immuable, même pas l’éternité. C’est notre chance. Nous pouvons ainsi continuer à rêver de l’horizon.
J’ai découvert Le Voyageur de Koren Shadmi un peu par curiosité, et je ne regrette pas. Même en un seul tome, l’auteur réussit à créer une ambiance unique et à raconter une histoire complète qui reste en tête.
Le style graphique est vraiment marquant : des traits précis, des couleurs qui renforcent l’atmosphère parfois mélancolique, parfois angoissante. On ressent bien la solitude et le malaise du héros, ce qui donne une profondeur émotionnelle au récit.
L’histoire, entre science-fiction et réflexion existentielle, m’a surpris par sa maturité. Pas besoin d’une série entière : en une lecture, Shadmi parvient à faire voyager et à faire réfléchir sur le temps et nos choix.
Un one-shot intelligent et visuellement fort, parfait si vous cherchez une BD de SF qui se lit d’une traite mais laisse une vraie impression après coup.
Commençons par ce qui peut légitimement gêner les lecteurs (ça a semble-t-il été le cas pour mes prédécesseurs, ça a aussi été le cas pour moi, à un degré moindre toutefois). D’abord un dessin parfois difficile à déchiffrer (pourtant très bon techniquement), avec un rendu pas toujours heureux de photos retouchées et/ou complétées par le dessin.
Ensuite une narration clinique, ne cherchant pas vraiment dynamisme et à-côtés captivants.
C’est sûr, ça n’est pas une lecture détente et/ou déconne. Mais, si la lecture a été parfois laborieuse, elle a été toujours intéressante. Les auteurs se sont amplement documentés. Et le côté « clinique » évoqué plus haut est aussi un atout. C’est froid, mais le mécanisme des attentats, ainsi que des surveillances de la part des services de renseignements est très bien rendu.
Les auteurs n’ont rien montré des attentats eux-mêmes et c’est très bien, pas de sensationnalisme ici déplacé. C’est une enquête rigoureuse, bien sûr à réserver à ceux que le sujet intéresse. Mais dans le genre c’est du très bon travail. Et donc, malgré les bémols évoqués au départ de mon avis, c’est une lecture que j’ai bien appréciée.
Elle fait froid dans le dos. Ne reste plus ensuite qu’à compléter ça avec des documentaires expliquant le chaos et les renoncements qui ont permis à DAECH de s’épanouir. Mais ça n’est pas ici le sujet.
Note réelle 3,5/5.
Je n'ai pas lu le roman de Charlotte Brontë et ce manga m'a permis de combler en partie cette lacune. En effet j'ai découvert un récit très plaisant à travers un texte riche. Depuis que je lis cette collection je m'aperçois que les auteurs adaptent les œuvres d'une façon convaincante en respectant souvent bien l'esprit du roman. Ici encore les auteurs nous proposent une vraie lecture avec un texte au vocabulaire recherché qui met en valeur la richesse et la modernité du roman de Charlotte Brontë. J'ai été très touché par le personnage de Jane Eyre et sa pensée sur l'indépendance de la femme à contre courant d'une époque victorienne bien rigide dans ce domaine.
Le rythme n'est pas rapide mais sans ennui. L'adaptation prend le temps d'approfondir la psychologie de Jane et de Rochester au sein d'une société aux conventions immobiles.
Ma seule réserve tient au graphisme des deux principaux personnages. Jane est dessinée à la mode manga comme une gamine de douze ans voire moins parfois. Rochester est lui dessiné comme un BG de 25 ans ce qui est tout le contraire du personnage laid et plus âgé dans la version originale. C'est dommage parce que le reste du graphisme est assez séduisant dans les extérieurs.
Je garde une note élevée malgré cette forte réserve graphique à cause de la qualité de la lecture texte que j'y ai trouvée.
Les éditions Revival ont plutôt de très bons choix dans leur sélection. Colville est une histoire auto-éditée à la base puis reprise et complétée des années plus tard par Steven Gilbert, un canadien fan de comics dont les inspirations type C. Burns ou D. Clowes semblent émerger ici. C'est un polar qui se situe dans une petite ville, Colville, comme il en existe tant. Une histoire d'argent qui tourne mal. On pourrait dire qu'on a déjà vu/lu de nombreuses fois des choses similaires dans le genre slasher mais il faut avouer que l'auteur a une patte, sur le dessin, les silences. J'ai été un poil déçu de la fin.
Un bon 3,5 pour cette histoire de Frédéric Pontarolo. Un nom qui fleure bon l'Italie et c'est d'ailleurs un premier thème abordé par l'auteur, dont j'aime bien le travail depuis Naciré et les machines, dans ce qui est sans doute son album le plus personnel. Fils d'immigrés transalpins né en 1970 dans un petit village lorrain entouré d'industries, tout le voisinage se connait. On va à la pêche, on fait des conneries avec les copains. Un jour une petite soeur rejoint la famille et c'est l'objet d'un second thème plutôt vers la fin, une histoire d'attouchements par un cousin un peu plus âgé et pas très futé ; cela en présence de Frédéric qui ne réagit pas, sidéré par cet acte et encore des années après ce souvenir le hante, surtout qu'il lui arrive de recroiser le cousin en question. En tout cas si la famille n'était pas au courant, maintenant elle sait. Plusieurs anecdotes se mélangent alternant bons moments et d'autres bien plus tristes, comme une sorte de mémoire familiale laissée à sa propre descendance.
Tout cela, l'auteur le raconte à l'occasion de la mort de son père, pas toujours très affectif et la mère n'a pas très bien tourné non plus. L'album est l'occasion de revivre des souvenirs culturels similaires pour ceux qui sont à peu près de cette génération. Un dessin très bon, une histoire forte ; un exutoire sans doute.
Je ne connaissais que le Libon du journal de Spirou, avec Les Cavaliers de l'Apocadispe, une série jeunesse délicieusement loufoque. Avec Un petit pas pour l'homme, un croche-patte pour l'humanité, je découvre une nouvelle facette de l'auteur qui, sans se déparer d'une certaine forme de naïveté presque poétique, s'autorise à aller un peu plus loin dans le trash puisqu'il publie ici pour un public plus adulte, celui de Fluide glacial. Rien de très violent non plus, mais le vocabulaire est largement familier et la vulgarité s'invite plus frontalement dans certains récits. Malgré cela, j'aime la tonalité choisie par Libon, qui n'a pas ici pour but de choquer mais d'aller toujours plus loin dans l'absurde.
Et il y réussit très bien ! Dans les meilleurs moments de sa saga, Libon parvient même à s'approcher d'un Goscinny tendance Les Dingodossiers ou Les Divagations de Mr Sait-Tout ou d'un Gotlib - référence évidente pour qui publie dans Fluide Glacial -, même si, bien sûr, Libon n'en a jamais tout à fait le génie. Avec son ton (vraiment) très absurde, l'auteur (et dessinateur) se lâche et nous emmène dans son univers qui, s'il évoque les références citées ci-dessus, a sa propre identité, et pourrait même se rapprocher d'un humour plus cinématographique. On pense évidemment ici aux Monty Python ou au trio ZAZ.
Même si, parfois, Libon manque soudain de la finesse salvatrice qui rehausse la plupart de ses histoires courtes, on rit beaucoup trop au long de ces deux tomes pour lui reprocher quelques faiblesses passagères. Espérons que la saga se poursuive encore un peu !
Je n'avais aucune idée de ce que la BD allait être mais elle est franchement intéressante. La vie d'un truand français, d'ailleurs reparti en taule depuis la parution de cette BD, qui a eu une vie assez classique de truand (mais à la française) et dont le sens global semble malheureux. Comme tant d'autres ...
Laurent Astier croque avec son trait classique mais toujours aussi efficace les gueules réelles de ces messieurs-dames, croisant la réalité avec le récit recomposé comme une fiction. Les lieux précis, les détails dans les vieillissement des personnages, tout est mis en place pour se plonger dans un récit biographique. Une patte agréable et qui colle à merveille au récit !
Récit de truand, donc, des années 70 aux années 2000, suivant un gamin en rébellion contre les parents, la société (pas très sympathique) et contre les banques qu'il va se faire un malin plaisir de vider régulièrement. Le récit est déstructuré, sans doute pour éviter l'écueil classique d'un récit, la linéarité. Le fait de changer souvent de moment et de lieux permet d'accrocher plus facilement le lecteur, obligeant à rester attentif. Cette simple astuce créative permet de rendre le récit globalement linéaire et sans grande surprises lorsqu'on connait déjà d'autres histoires (surtout via des films devenus cultes) bien plus intéressante à suivre. D'ailleurs le message global sur ce fameux mur qu'on fixe si longtemps est très bien amené et je le trouve pertinent. Un bon rappel que la vie de truand n'est pas si rose qu'on veut parfois nous le faire croire.
Une lecture pas transcendante mais carrément intéressante, que je recommande franchement. Une tranche de vie dans le banditisme français, avec nombre de casses et mauvais coup entrecoupés d'autant de cellule et de prison, une vie bien triste au final, pour un type qui ne voulait rien faire dans les clous.
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La Ballade des frères Blood
Un western aussi bon, beau et fort que Hoka Hey !. Je sais, je prends un gros risque en commençant de la sorte. Les auteurs de 100 bullets nous proposent une ballade et non une balade. Cette triste histoire est racontée par l'un des trois frères Blood, tel un long poème mélancolique et désabusé à la fin tragique. Il faut avouer que ce Far West ne fera de cadeaux à personne. Pour ne pas te gâcher ta lecture avec les rebondissements qui vont parsemer le récit, je vais t'en dire le moins possible, juste faire une présentation des personnages. Les trois jeunes frères Blood vivent avec leur mère et leur père adoptif, un homme de dieu. Des gosses qui vont voir trois cow-boys, trois frères aussi, assassiner leur père adoptif et enlever leur mère. Ces trois cow-boys connaissent cette femme et l'un d'eux pourrait être leur père biologique. Les frangins Blood vont partir à la recherche de leur maman. Des personnages crédibles, complexes et très bien campés. Je vais faire un zoom sur cette femme, elle n'a rien de frêle et soumise, elle ne subit pas les événements, elle fait ce qu'il faut pour survivre. Une seconde femme, au tempérament bien trempé aussi, fera son apparition, une comanche. Voilà, tu en sais assez. Une histoire touchante et une narration onirique, on va suivre en parallèle ces deux fratries où les liens du sang, mais aussi du cœur seront mis à rudes épreuves, où rien n'est totalement noir ou blanc. Un récit violent, mâture et maîtrisé. La boucle est bouclée avec cette dernière planche : "Je suis le fils de mon père". J'aimais déjà beaucoup le dessin de Risso, mais là, il monte le curseur à un niveau très élevé. L'utilisation de l'aquarelle et le choix des couleurs rendent ce récit immersif, dépaysant et profondément humain. Les cadrages et sa mise en page permettent d'être au plus près de l'action et de ressentir les émotions des personnages. Superbe ! De nombreuses couvertures alternatives en bonus en fin d'album, par Risso, Jock, Dave Johnson, Gabriel Ba, Howard Chaykin... Un incontournable de 2025, je persiste et signe : un western aussi bon, beau et fort que Hoka Hey !. Note réelle : 4,5. Gros coup de cœur.
Descender
Eh bien, je ne m'attendais pas à un tel genre de récit. C'est de la space opera avec pas mal de folklore (créatures étranges, robots, monde bizarre et un peu de magie à la fin) dont le récit porte pas mal de mystère qu'on ne demande qu'a éclaircir par la suite. L'histoire tiens sur six tomes denses, emportant dans la lecture très très facilement jusqu'à un final que je n'attendais pas réellement. Je peux directement commencer par quelques défauts mineurs de la série, comme la nécessité pour les auteurs de poser un contexte intriguant et des personnages avant de consacrer un tome entier (le troisième) à leur passé et leurs motivations. Cette façon très sérielle de raconter est assez caractéristique du format, qui doit rapidement embarquer le lecteur dans l'histoire et prend ensuite le temps de poser les bases lorsqu'on est plus avancé et que l'on ne risque pas de devoir interrompre la série en lassant le lecteur. Mais de fait, je trouve ça dommage que tout le passé arrive d'un bloc et sur un seul volume plutôt que par petites touches disséminées. D'autre part, si je vois bien le récit aller d'un point à un autre, il y a quelques lacunes dans le récit et quelques moments qui semblent un peu improvisés sur le fil du récit, donnant parfois lieu à des mystères non-résolus ou des détours pas nécessaires avant de revenir à l'intrigue principale. C'est dommage, mais pas spécialement désagréable au fil de la lecture. Puisque je le répète, la lecture est fascinante et prenante. Tout au long des six volumes, j'ai suivi ces personnages en attendant la suite, même si certains m'ont moins plus que d'autres (Qu'on dont j'ai du mal à comprendre les motivations tout du long). Et l'histoire rend tout le monde attachant surtout dans les faiblesses, finissant sur un récit étrangement sombre dont le propos semble être bel et bien l'incapacité de l'humain à entretenir des liens corrects avec les autres (et en eux-même). Il y aurait quelques réflexions à mener sur le thème des robots, central au récit, et qui semble inspiré des récits de Asimov mais dans une réflexion plus actuelle. Le dessin va en phase avec le tout, maniant à merveille les tons de blancs omniprésent et les couleurs par touches, les têtes des créatures qui donnent un contexte spatial en rappelant parfois des genres à la Star Wars, dans des environnements futuristes bien trouvés. C'est beau à voir, les couvertures ont du cachet d'ailleurs et l'ensemble est clair et lisible tout du long. Une très bonne série de SF, que je recommanderais par son caractère unique dans le scénario, ses thématiques globalement bien amenées et ses personnages en souffrances, paumé dans un monde dangereux qui ne va pas bien. Je ne suis pas sur de quelle métaphore Jeff Lemire s'est emparé (même si j'ai ma petite idée) mais ça marche jusqu'au bout. Tout au plus, je regrette la fin un peu trop ouverte pour une suite (Ascender) qui n'étais pas nécessaire et aurait pu être plus subtile. Mais même avec ça, je ne peux que vous recommander !
Sous les écorces
Rêver de l’horizon, observer, étudier… et ne pas cesser de s’émerveiller. - Ce tome contient un récit complet, une forme de correspondance dessinée entre un homme et une femme, tous les deux artistes. Son édition originale date de 2024. Il a été réalisé à quatre mains pour le scénario et les dessins, par Edmond Baudoin & Aurore Bize. Il comporte quatre-vingt-deux pages de bande dessinée, en noir & blanc. Un dessin d’arbre, puis un dessin avec un plus grand angle, et les mots d’Aurore Bize : Te souviens-tu de ce dessin ? Nous l’avions fait à deux, la première fois où tu étais venu marcher dans ces chemins qui n’étaient pas encore les miens. Je les découvrais avec toi. Tes traits et mes traits s’y mêlent et pourtant je peux voir clairement lesquels sont les tiens et lesquels sont les miens. Tu m’apprenais à regarder, à choisir. Je sens encore le soleil de cette fin d’hiver. Je sens encore ton odeur et ta veste chaude contre moi. J’ai commencé à tracer maladroitement. Tu as pris la feuille et tu as fait pousser le dessin. Juste comme ça, quelques souffles, quelques coups de pinceau. L’essentiel. La vie. Je vois comme mes branches étaient encore rigides, comme les tiennes dansaient dans le vent. C’est cette liberté du geste, cette sensualité, que j’admirais, que je cherchais. Un dessin d’arbres et de sous-bois, puis des arbres sans végétation au pied, puis une zone naturelle sans arbre, et les mots d’Edmond Baudoin : Il y a en toi Aurore, un devenir avec les arbres. Le dialogue qui se crée avec eux quand tu les dessines s’entend. Je l’écoute quand je regarde tes dessins. Tu me dis ne pas être satisfaite de ce que tu fais, comme pour le paysage ci-dessus, tu ne le seras jamais. Pour moi c’est pareil. Pourtant on va continuer tous les deux dans ce livre, continuer de nous approcher au plus près de l’impossible. Approcher l’impossible. Dessiner, peindre, écrire, danser, c’est comme s’aimer avec les bouches, les peaux, les sexes. C’est toucher à la seconde qui contient tout, et tout perdre l’instant d’après, par la faute d’un trait de trop, d’une note de musique qui grince, d’un geste inopportun. C’est notre condition, notre humanité. C’est pour ça que les Grecs ont inventé les dieux et demi-dieux. Pour y arriver à travers eux. Aurore reprend : Oui, Edmond, nous allons essayer à tous les deux de nous approcher de cet impossible. Il y a longtemps que nous voulions travailler ensemble, mais la distance et nos vies si remplies nous ont obligés à laisser mûrir nos idées et m’ont permis de continuer à faire pousser mon dessin. Et maintenant, je te retrouve dans notre chemin. Dessins de feuilles et un chemin. Aurore continue : Je marche seule dans les collines. Je m’arrête parfois pour dessiner un peu. Garder une trace. Travailler mon geste. Avec la contrainte du temps, je vais à l’essentiel. La présence du paysage, le vent, les nuages, le soleil, libèrent ma pensée et mes sens. Dans ces moments de solitude choisie, je suis libre d’écrire et dessiner dans ma tête. Les caresses du soleil et du vent sont comme les baisers de mes amants. Tout mon corps est éveil. Comme je suis bien là-haut dans le vent. C’est grisant. Le vent me lave. De temps à autre, Edmond Baudoin réalise une bande dessinée en collaboration avec un autre artiste : quatre albums avec Jean-Marc Troubet, dit Troubs (Viva la vida - Los Sueños de Ciudad Juàrez en 2011, Le goût de la terre en 2013, Humains - La Roya est un fleuve en 2018, Inuit en 2023), La Diagonale des jours (1992) avec Tanguy Dohollau, Les Yeux dans le mur (2003) avec Céline Wagner, La Traverse avec Mariette Nodet en 2019, Au pied des étoiles (2024) avec Emmanuel Lepage. Comme d’habitude, sa conception de la bande dessinée induit une grande liberté dans la forme, en l’occurrence, une alternance d’illustrations réalisées soit par lui, soit par Aurore, le plus souvent une par page, parfois deux, parfois une illustration s’étalant sur une double page, et pourtant une sensation de bande dessinée. À la lecture, il est possible parfois de déceler l’influence d’Edmond dans un dessin d’Aurore et réciproquement, la dessinatrice indiquant au début qu’il a pu en être ainsi ponctuellement. Cet ouvrage reprend l’habitude établie dans les précédentes collaborations : Baudoin utilise des lettres capitales manuscrites pour ses textes, Bize écrit en minuscules, avec une police de caractère de type informatique. La narration alterne les dessins et les textes de l’un avec ceux de l’autre. Il s’établit un véritable dialogue, l’un répondant à l’autre, et réciproquement tout du long de la bande dessinée. Le lecteur ressent une progression narrative, qui va au-delà d’une discussion informelle. Conscient de la nature de l’ouvrage, le lecteur se laisse porter par le flux de la discussion, tout en admirant les dessins. Baudoin indique que leur objectif est de dessiner des arbres. En effet, les différents dessins ont pour objet la nature, le plus souvent avec des arbres. Très peu de dessins comportent un être humain : la silhouette de Baudoin, la silhouette d’Eustacia Vye (un personnage du roman Le Retour au pays natal, 1878, de Thomas Hardy, 1840-1928), la silhouette de Louison (le fils d’Aurore), le corps d’Aurore elle-même. Alors le lecteur admire le paysage, ou plutôt les paysages successifs. Des arbres, des montagnes, des prairies, encore des arbres. S’il a déjà lu certaines BD de Baudoin, il en reconnaît immédiatement le trait de pinceau : gras épais, parfois complété par des traits fins, un assemblage d’une justesse épatante, surnaturelle même. Des représentations souvent épurées, transcrivant la vie de l’arbre dans sa silhouette, dans certaines textures, dans le déploiement de ses formes, de ses branches, une capacité extraordinaire à rendre justice à ces organismes vivants, à leur histoire personnelle qui a façonné leur développement. Par comparaison, les dessins d’Aurore Bize semblent s’inscrire dans un registre plus descriptif, plus proche de la réalité physique de ce que voit l’œil. Le lecteur perçoit qu’elle progresse dans son art au fil des séquences, s’éloignant un peu des apparences pour saisir la vie dans les arbres. Accolés à ces dessins qui donnent à voir les arbres dans la manifestation de leur vie, se trouvent de courts textes, dans lesquels les auteurs développent leurs réflexions, leurs échanges. Le lecteur apprécie de suivre un dialogue construit : une suite d’anecdotes et d’idées. De manière organique et élégante, Aurore et Edmond évoquent la nature de leur projet, leur envie de collaborer de longue date, leur relation. Le lecteur se sent invité et accepté dans l’intimité de leur relation, évoquée avec pudeur. Il ressent le fait qu’ils aient probablement été amants, même si cela n’est pas dit de manière explicite. Leur bienveillance réciproque rayonne littéralement de leurs échanges, ainsi que leur profonde humanité, leur amour et leur respect de l’être humain. Ainsi, ce qui apparaît tout d’abord comme une discussion entre deux artistes, avec des collaborations discrètes de l’un sur les dessins de l’autre, acquiert une dimension narrative pour ce qui est de l’histoire passée de leur relation, et une dimension réflexive, dénuée d’aigreur ou de la forme de conservatisme que l’on pourrait attendre du fait de leur âge. Ils expriment leur inquiétude pour l’avenir de l’humanité, sans cynisme ou résignation, sans se targuer d’avoir vu les choses empirer. Tout de même, voilà un projet singulier de dessiner des arbres pour parler de leur pratique de l’art du dessin, de leur impossibilité d’être satisfait de leur dessin tout en continuant d’essayer de s’approcher de cet impossible, d’évoquer également la manière dont s’exprime leur amour, leurs démarches pour comprendre l’autre sexe, ou encore ce monde mortifère qui pèse dans leurs têtes et dans leurs corps. Tout en découvrant les pages, le lecteur garde le titre en mémoire : Sous les écorces. C’est Baudoin qui l’écrit : alors j’ai de la haine à mon égard, parce que je ne sais pas descendre dans ses racines (celles de l’arbre), passer derrière son écorce. Dessiner les arbres va plus loin qu’un exercice complexe de transcription de l’histoire vécue par un être vivant dans un simple dessin. L’une et l’autre ont pour ambition de transcrire l’enchevêtrement des possibles, une quête di vivant par le dessin. Charge au lecteur de lire les dessins et d’établir un ou plusieurs liens avec ce que dit le texte. Aurore Bize écrit : Un même dessin peut raconter plusieurs histoires. Baudoin se demande : Une même image peut être lue de combien de façons ? L’un et l’autre font le constat de l’ambivalence des textes et des images, concepts développés dans les théories de la réception et de la lecture, par exemple par l’école de Constance. Au fil de la discussion, les autres envies de ces créateurs s’égrènent : garder une trace, répandre son émotion. Le sujet de l’arbre incarne en fait une recherche de la vie en l’autre, y compris les êtres humains, que Baudoin dessine régulièrement au travers de portraits pendant ses voyages, et que Bize dessine également. Cette recherche constitue également l’expression de leur amour : chercher la vie en l’autre, aimer en témoin non en maîtrise, comprendre l’autre. D’un côté l’un et l’autre ont conscience qu’il leur est de plus en plus difficile de se vider la tête ; de l’autre côté, ils conçoivent que le temps du dessin est comme une danse, une forme de résistance contre un monde mortifère. Cette pratique leur permet de rejeter toute catégorisation qui étouffe l’être, de témoigner de la vie, de chanter l’humanité Une discussion entre deux créateurs, sous la forme d’une bande dessinée, ou tout du moins d’une succession de dessins avec la voix intérieure de l’un et de l’autre qui court en alternance. Une bande dessinée, ou une succession d’illustrations associées à des réflexions en réponse à celles précédant ? En filigrane, il apparaît bien une trame narrative, celle qui évoque avec discrétion l’histoire de la relation, et celle qui évoque le développement de leurs réflexions. Le lecteur se prend rapidement d’amitié pour ces deux auteurs, pour leur chaleur humaine authentique. Il tombe sous le charme de l’incroyable densité de ce qu’expriment leurs représentations d’arbres. Il les écoute avidement parler de l’art du dessin de la rencontre et de l’altérité, de l’expression de leur amour, du sens qu’il donne à leur art, de leur espoir en la vie. Comme le conclut Edmond Baudoin : Les paysages se déconstruisent et reconstruisent eux aussi. Rien n’est immuable, même pas l’éternité. C’est notre chance. Nous pouvons ainsi continuer à rêver de l’horizon.
Le Voyageur
J’ai découvert Le Voyageur de Koren Shadmi un peu par curiosité, et je ne regrette pas. Même en un seul tome, l’auteur réussit à créer une ambiance unique et à raconter une histoire complète qui reste en tête. Le style graphique est vraiment marquant : des traits précis, des couleurs qui renforcent l’atmosphère parfois mélancolique, parfois angoissante. On ressent bien la solitude et le malaise du héros, ce qui donne une profondeur émotionnelle au récit. L’histoire, entre science-fiction et réflexion existentielle, m’a surpris par sa maturité. Pas besoin d’une série entière : en une lecture, Shadmi parvient à faire voyager et à faire réfléchir sur le temps et nos choix. Un one-shot intelligent et visuellement fort, parfait si vous cherchez une BD de SF qui se lit d’une traite mais laisse une vraie impression après coup.
La Cellule - Enquête sur les attentats du 13 novembre 2015
Commençons par ce qui peut légitimement gêner les lecteurs (ça a semble-t-il été le cas pour mes prédécesseurs, ça a aussi été le cas pour moi, à un degré moindre toutefois). D’abord un dessin parfois difficile à déchiffrer (pourtant très bon techniquement), avec un rendu pas toujours heureux de photos retouchées et/ou complétées par le dessin. Ensuite une narration clinique, ne cherchant pas vraiment dynamisme et à-côtés captivants. C’est sûr, ça n’est pas une lecture détente et/ou déconne. Mais, si la lecture a été parfois laborieuse, elle a été toujours intéressante. Les auteurs se sont amplement documentés. Et le côté « clinique » évoqué plus haut est aussi un atout. C’est froid, mais le mécanisme des attentats, ainsi que des surveillances de la part des services de renseignements est très bien rendu. Les auteurs n’ont rien montré des attentats eux-mêmes et c’est très bien, pas de sensationnalisme ici déplacé. C’est une enquête rigoureuse, bien sûr à réserver à ceux que le sujet intéresse. Mais dans le genre c’est du très bon travail. Et donc, malgré les bémols évoqués au départ de mon avis, c’est une lecture que j’ai bien appréciée. Elle fait froid dans le dos. Ne reste plus ensuite qu’à compléter ça avec des documentaires expliquant le chaos et les renoncements qui ont permis à DAECH de s’épanouir. Mais ça n’est pas ici le sujet. Note réelle 3,5/5.
Jane Eyre
Je n'ai pas lu le roman de Charlotte Brontë et ce manga m'a permis de combler en partie cette lacune. En effet j'ai découvert un récit très plaisant à travers un texte riche. Depuis que je lis cette collection je m'aperçois que les auteurs adaptent les œuvres d'une façon convaincante en respectant souvent bien l'esprit du roman. Ici encore les auteurs nous proposent une vraie lecture avec un texte au vocabulaire recherché qui met en valeur la richesse et la modernité du roman de Charlotte Brontë. J'ai été très touché par le personnage de Jane Eyre et sa pensée sur l'indépendance de la femme à contre courant d'une époque victorienne bien rigide dans ce domaine. Le rythme n'est pas rapide mais sans ennui. L'adaptation prend le temps d'approfondir la psychologie de Jane et de Rochester au sein d'une société aux conventions immobiles. Ma seule réserve tient au graphisme des deux principaux personnages. Jane est dessinée à la mode manga comme une gamine de douze ans voire moins parfois. Rochester est lui dessiné comme un BG de 25 ans ce qui est tout le contraire du personnage laid et plus âgé dans la version originale. C'est dommage parce que le reste du graphisme est assez séduisant dans les extérieurs. Je garde une note élevée malgré cette forte réserve graphique à cause de la qualité de la lecture texte que j'y ai trouvée.
Colville
Les éditions Revival ont plutôt de très bons choix dans leur sélection. Colville est une histoire auto-éditée à la base puis reprise et complétée des années plus tard par Steven Gilbert, un canadien fan de comics dont les inspirations type C. Burns ou D. Clowes semblent émerger ici. C'est un polar qui se situe dans une petite ville, Colville, comme il en existe tant. Une histoire d'argent qui tourne mal. On pourrait dire qu'on a déjà vu/lu de nombreuses fois des choses similaires dans le genre slasher mais il faut avouer que l'auteur a une patte, sur le dessin, les silences. J'ai été un poil déçu de la fin.
Deux Roméo sous un arbre
Un bon 3,5 pour cette histoire de Frédéric Pontarolo. Un nom qui fleure bon l'Italie et c'est d'ailleurs un premier thème abordé par l'auteur, dont j'aime bien le travail depuis Naciré et les machines, dans ce qui est sans doute son album le plus personnel. Fils d'immigrés transalpins né en 1970 dans un petit village lorrain entouré d'industries, tout le voisinage se connait. On va à la pêche, on fait des conneries avec les copains. Un jour une petite soeur rejoint la famille et c'est l'objet d'un second thème plutôt vers la fin, une histoire d'attouchements par un cousin un peu plus âgé et pas très futé ; cela en présence de Frédéric qui ne réagit pas, sidéré par cet acte et encore des années après ce souvenir le hante, surtout qu'il lui arrive de recroiser le cousin en question. En tout cas si la famille n'était pas au courant, maintenant elle sait. Plusieurs anecdotes se mélangent alternant bons moments et d'autres bien plus tristes, comme une sorte de mémoire familiale laissée à sa propre descendance. Tout cela, l'auteur le raconte à l'occasion de la mort de son père, pas toujours très affectif et la mère n'a pas très bien tourné non plus. L'album est l'occasion de revivre des souvenirs culturels similaires pour ceux qui sont à peu près de cette génération. Un dessin très bon, une histoire forte ; un exutoire sans doute.
Un petit pas pour l'homme, un croche-patte pour l'humanité
Je ne connaissais que le Libon du journal de Spirou, avec Les Cavaliers de l'Apocadispe, une série jeunesse délicieusement loufoque. Avec Un petit pas pour l'homme, un croche-patte pour l'humanité, je découvre une nouvelle facette de l'auteur qui, sans se déparer d'une certaine forme de naïveté presque poétique, s'autorise à aller un peu plus loin dans le trash puisqu'il publie ici pour un public plus adulte, celui de Fluide glacial. Rien de très violent non plus, mais le vocabulaire est largement familier et la vulgarité s'invite plus frontalement dans certains récits. Malgré cela, j'aime la tonalité choisie par Libon, qui n'a pas ici pour but de choquer mais d'aller toujours plus loin dans l'absurde. Et il y réussit très bien ! Dans les meilleurs moments de sa saga, Libon parvient même à s'approcher d'un Goscinny tendance Les Dingodossiers ou Les Divagations de Mr Sait-Tout ou d'un Gotlib - référence évidente pour qui publie dans Fluide Glacial -, même si, bien sûr, Libon n'en a jamais tout à fait le génie. Avec son ton (vraiment) très absurde, l'auteur (et dessinateur) se lâche et nous emmène dans son univers qui, s'il évoque les références citées ci-dessus, a sa propre identité, et pourrait même se rapprocher d'un humour plus cinématographique. On pense évidemment ici aux Monty Python ou au trio ZAZ. Même si, parfois, Libon manque soudain de la finesse salvatrice qui rehausse la plupart de ses histoires courtes, on rit beaucoup trop au long de ces deux tomes pour lui reprocher quelques faiblesses passagères. Espérons que la saga se poursuive encore un peu !
Face au mur
Je n'avais aucune idée de ce que la BD allait être mais elle est franchement intéressante. La vie d'un truand français, d'ailleurs reparti en taule depuis la parution de cette BD, qui a eu une vie assez classique de truand (mais à la française) et dont le sens global semble malheureux. Comme tant d'autres ... Laurent Astier croque avec son trait classique mais toujours aussi efficace les gueules réelles de ces messieurs-dames, croisant la réalité avec le récit recomposé comme une fiction. Les lieux précis, les détails dans les vieillissement des personnages, tout est mis en place pour se plonger dans un récit biographique. Une patte agréable et qui colle à merveille au récit ! Récit de truand, donc, des années 70 aux années 2000, suivant un gamin en rébellion contre les parents, la société (pas très sympathique) et contre les banques qu'il va se faire un malin plaisir de vider régulièrement. Le récit est déstructuré, sans doute pour éviter l'écueil classique d'un récit, la linéarité. Le fait de changer souvent de moment et de lieux permet d'accrocher plus facilement le lecteur, obligeant à rester attentif. Cette simple astuce créative permet de rendre le récit globalement linéaire et sans grande surprises lorsqu'on connait déjà d'autres histoires (surtout via des films devenus cultes) bien plus intéressante à suivre. D'ailleurs le message global sur ce fameux mur qu'on fixe si longtemps est très bien amené et je le trouve pertinent. Un bon rappel que la vie de truand n'est pas si rose qu'on veut parfois nous le faire croire. Une lecture pas transcendante mais carrément intéressante, que je recommande franchement. Une tranche de vie dans le banditisme français, avec nombre de casses et mauvais coup entrecoupés d'autant de cellule et de prison, une vie bien triste au final, pour un type qui ne voulait rien faire dans les clous.