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Couverture de la série Le Château des Animaux
Le Château des Animaux

Quand j’ai ouvert le premier tome du Château des Animaux, j’ai senti immédiatement que j’entrais dans une œuvre rare. J’ai acheté les quatre tomes en édition luxe, et dès les premières pages, j’ai compris que j’avais entre les mains quelque chose d’exceptionnel. C’est beau, c’est intelligent, c’est puissant. On sent évidemment l’inspiration de La Ferme des animaux d’Orwell, mais jamais comme une copie : ici, c’est une réinterprétation sensible et moderne, une fable politique qui prend sa propre ampleur. Ce qui m’a frappé en premier, c’est l’atmosphère. On est plongé dans un château sombre, oppressant, où les animaux sont soumis à un régime brutal mené par un taureau tyrannique. Et pourtant, au milieu de cette noirceur, une petite lueur persiste : celle de l’espoir, fragile mais tenace. J’ai ressenti une empathie immense pour Miss Bengalore et les autres animaux qui rêvent de liberté. Le récit parle de courage, de révolte, mais surtout de résistance non violente. Et ça, je ne m’y attendais pas. Cette approche apporte une profondeur incroyable : on ne suit pas juste une lutte, on suit une philosophie. Les dessins, eux, m’ont laissé bouche bée. Les planches sont d’une finesse incroyable, chaque animal a une expression presque humaine, un regard chargé d’émotion. Les ambiances sont sublimes : les jeux d’ombre, les lumières, la texture des fourrures, même les silences semblent dessinés. À plusieurs moments, j’ai dû m’arrêter juste pour contempler une page. Félix Delep livre un travail qui, franchement, mérite d’être vu en grand format – d’où mon immense satisfaction d’avoir choisi l’édition luxe. Et puis, au-delà de l’esthétique, cette BD fait réfléchir. Beaucoup. Elle parle du pouvoir, de la peur, des masses qui se résignent, du courage de quelques-uns qui refusent d’abandonner. Elle m’a rappelé que les révolutions ne commencent pas toujours avec des cris, mais parfois avec un geste simple, un refus, un sourire, une main tendue. En refermant le quatrième tome, j’ai ressenti un mélange d’admiration et de mélancolie. Cette série, pour moi, c’est un 5/5 impeccable : une œuvre riche, humaine, magnifiquement dessinée et profondément inspirante. Le genre de BD qu’on relit, qu’on montre, qu’on conseille et qu’on garde précieusement dans sa bibliothèque.

07/12/2025 (modifier)
Couverture de la série Coming In
Coming In

Album introspectif et accessible, Coming In trouve un équilibre solide entre récit personnel et dimension pédagogique. Le scénario alterne moments d’avancée narrative et respirations réflexives, ce qui rend la lecture fluide tout en donnant du poids aux enjeux identitaires abordés. L’approche reste douce, structurée, sans alourdir le propos : on suit un cheminement intérieur avec justesse, sans sensation de dramatisation inutile. Le dessin, volontairement simple, accompagne parfaitement cette tonalité. Il sert de cadre lisible à un contenu plus profond, en soutenant la légèreté apparente tout en laissant la place au sérieux du sujet. Cette cohérence graphique renforce l’impression d’un texte pensé pour être compris, ressenti et transmis, sans artifice. L’ensemble se lit comme une BD nécessaire : un ouvrage qui ouvre l’esprit, bienveillant, clair, et qui parvient à toucher sans appuyer. Accessible à tous, elle trouvera un écho particulier auprès des lecteurs intéressés par les récits d’acceptation de soi, mais peut réellement parler à un public très large.

07/12/2025 (modifier)
Couverture de la série Barracuda
Barracuda

La série propose un récit de piraterie classique dans le bon sens du terme : un univers globalement réaliste, ponctué d’un léger souffle fantastique juste assez présent pour nourrir le mystère sans détourner l’ancrage historique. L’intrigue assemble gouverneurs corrompus, pirates imprévisibles, enjeux religieux, quêtes de trésor et trahisons successives. Le mélange fonctionne bien : l’histoire reste lisible, rythmée, avec une dose d’humour et de romance qui allège la noirceur ambiante. Le dessin de Jérémy est solide, efficace, cohérent avec le registre. Il n’a rien de révolutionnaire mais restitue correctement les décors coloniaux, les codes visuels de la piraterie et des personnages expressifs. Les figures féminines contribuent à la dynamique du récit, entre séduction, pouvoir et ambiguïtés, sans tomber dans la gratuité. L’ensemble offre un divertissement maîtrisé, accessible à ceux qui aiment les histoires d’aventure maritimes structurées et généreuses en rebondissements. Les points forts résident dans le rythme, la variété des situations et une atmosphère bien installée ; les limites, dans une formule parfois très classique et un dessin qui privilégie l’efficacité à l’innovation. Pour les amateurs de récits d’aventure, de complots et de piraterie, c’est une lecture très plaisante.

07/12/2025 (modifier)
Couverture de la série Anaïs Nin - Sur la mer des mensonges
Anaïs Nin - Sur la mer des mensonges

Cette biographie dessinée est une immersion d’une grande finesse dans l’intimité d’Anaïs Nin. Le récit s’appuie sur une narration très humaine, où les questions d’amour, de fidélité, de vulnérabilité et de construction de soi sont traitées avec une justesse rare. L’album parvient à évoquer la multiplicité des formes d’amour sans tomber dans le romanesque, en laissant affleurer la complexité émotionnelle et les contradictions de Nin. La relation au père, choquante et difficile à saisir, apporte un contrepoint essentiel : elle empêche toute lecture confortable et garde ouverte cette zone d’incompréhension qui nourrit l’empathie sans offrir de réponses simples. Le dessin est remarquable. Léonie Bischoff mêle une apparente simplicité – presque un coloriage d’enfant dans l’approche chromatique – à une précision d’adulte dans la composition. Le résultat est un style à la fois épuré, dynamique et profondément expressif. Les couleurs servent de vecteur émotionnel sans surcharge, et plusieurs planches frappent par leur puissance visuelle. L’ensemble crée une cohérence graphique qui accompagne parfaitement l’exploration intérieure du personnage. Cette BD touchera particulièrement les lecteurs sensibles aux récits introspectifs, aux biographies littéraires et aux œuvres où le travail graphique est indissociable du propos. Elle exige un minimum de disponibilité émotionnelle, mais offre en retour une lecture dense, belle et marquante.

07/12/2025 (modifier)
Couverture de la série Revoir Comanche
Revoir Comanche

Un album étrange. Qui peut éventuellement être lu sans connaître la série dont il se présente comme une suite et conclusion, plusieurs décennies après que nous ayons quitté le ranch 666. Même si connaître l’histoire d’origine, et surtout les liens qui unissaient les protagonistes, aide à mieux saisir certains passages. Surtout à mieux saisir l’aspect crépusculaire du récit. Un aspect crépusculaire revendiqué, qui saute aux yeux, déjà dans le dessin de Romain Renard, que j’ai trouvé ici très beau. J’ai juste été un temps gêné par un traitement différent pour les personnages (un trait réaliste classique) et pour certains décors (aux airs de photos retravaillées, probablement retraités à l’informatique), les personnages paraissant parfois ancrés artificiellement aux décors. Mais cette remarque est mineure, le rendu est franchement chouette. Et très sombre : la nuit beaucoup, les nuages de poussière du Dust Bowl. Et le récit lui-même. Un récit centré sur Red Dust, le vrai héros de la série d’origine, même si, une fois de plus, Comanche lui grille la politesse sur le titre. Un Red Dust vieillard, embarqué dans une fuite en avant par une jeune femme énigmatique, dans un retour vers le passé, vers le ranch où se trouverait Comanche. Quelques dialogues, la rencontre du Cheyenne Tache de Lune jouent à fond la nostalgie, le monde finissant (des vieux types jouant leur dernier tour avant de quitter la scène). Au cours du périple qui ramène Red au 666, vers une Comanche avec laquelle il n’a jamais eu qu’une relation platonique pleine de tensions, Renard développe quelques à-côtés historiques et sociaux : la misère des Amérindiens dans les réserves, le désespoir des fermiers ruinés par la crise de 1929 et les vent fous du Dust Bowl (voir la scène de la rencontre avec cette famille qui est prête à vendre son dernier enfant vivant pour quelques dollars…). Finalement la série d’origine aurait presque pu ne pas avoir existé (même si…). Et la fin au 666 est un peu trop « facile » et expédiée. Mais globalement la lecture est plaisante à lire, très agréable à regarder. Un récit qui joue essentiellement sur l’ambiance, l’atmosphère pour signer la fin d’un monde, celui de l’Ouest sauvage qu’emporte avec lui Red Dust. C’est aussi un hommage de Renard à Hermann : Red Dust affirme d’ailleurs en fin d’album que le nom de son père était Hermann…

07/12/2025 (modifier)
Couverture de la série Dans la tête de Sherlock Holmes
Dans la tête de Sherlock Holmes

J’ai découvert Dans la tête de Sherlock Holmes grâce au coffret qui réunit les deux premiers tomes, accompagné des tickets en version physique. Rien que l’objet en lui-même m’a donné envie de me plonger dans l’univers : le coffret est beau, soigné, et les petits éléments supplémentaires renforcent vraiment l’immersion. Même sans encore avoir lu Le cauchemar du Loch Leathan, j’ai tout de suite senti que j’allais entrer dans un projet éditorial qui ne fait pas les choses à moitié. Dès les premières pages, j’ai compris que cette série n’avait rien d’une simple adaptation de Sherlock Holmes. Ce que j’ai adoré, c’est la manière dont les auteurs nous font littéralement entrer dans la tête du détective. Je n’ai pas seulement suivi une enquête ; j’ai eu l’impression de visualiser son raisonnement, ses associations d’idées, ses intuitions. Les pages se transforment en espace mental, et j’ai trouvé ça à la fois original, intelligent et terriblement immersif. Graphiquement, j’ai été bluffé. Les planches sont inventives, parfois foisonnantes, parfois presque labyrinthiques, mais toujours cohérentes avec l’idée de nous montrer le fonctionnement interne de Sherlock. J’aime les BD qui essaient de nouvelles choses, et ici, chaque détail compte. J’ai passé du temps à observer les cases, à revenir en arrière, à apprécier les trouvailles visuelles. On sent un vrai travail artistique derrière chaque page, et ça m’a accroché du début à la fin. Si je mets 4/5 au lieu de 5/5, c’est parce que parfois, justement, la lecture demande beaucoup d’attention. Ce n’est pas une BD que l’on feuillette distraitement. Certaines pages sont tellement riches que j’ai dû m’arrêter plusieurs fois pour être sûr de ne rien manquer. Ça m’a plu, mais je peux comprendre que ça puisse freiner certains lecteurs. Et même si l’enquête est bien menée, ce n’est pas la partie qui m’a le plus marqué : ce sont vraiment l’ambiance, la créativité et la plongée dans le mental de Sherlock qui font la force de ce diptyque. Au final, j’ai passé un excellent moment. Ce coffret m’a permis de découvrir une BD à la fois élégante, inventive et intelligente, qui se distingue des autres adaptations du personnage. Je suis vraiment content de m’y être intéressé, et je recommande sans hésiter

06/12/2025 (modifier)
Par Brodeck
Note: 4/5
Couverture de la série Moonlight Express
Moonlight Express

Quelle belle histoire, que ce Moonlight express ! J'ai acquis cet album avec un ex-libris qui me fera désormais entendre les notes du Clair de lune de Larry Adler à chaque fois que mes yeux se poseront sur cette villa au bord de la plage. Image judicieuse qui illustre parfaitement cette romance mâtinée de polar : un homme un peu gauche, dont la raideur trahit le passé militaire, semble hésiter, un bouquet à la main. Une petite silhouette sur le balcon, d'un geste amical, l'invite à renouer les fils du passé et prolonger l'histoire qui s'était brutalement interrompue un soir d'hiver dans un Berlin plongé en pleine guerre froide. Si ce n'est pas encore fait, je vous recommande de découvrir cette bd très cinématographique qui a la grâce et le charme des films des années 50. J'avais beaucoup aimé Diabolik du même duo, je ressors enchanté de ma lecture de Moonlight, les pistes audio sont un vrai plus et accompagnent parfaitement le dessin magnifique de Clerisse. Chaque case est un ravissement et j'ai suivi avec un grand plaisir l'histoire de ce trio, Norman, Clarisse et Jay qui prennent vie au fil des pages, gagnent en épaisseur et rappellent l'élégance, la pétillance, la droiture morale des personnages des plus belles heures du cinéma hollywoodien.

06/12/2025 (modifier)
Couverture de la série Les Navigateurs
Les Navigateurs

Le fantastique n’est pas a priori mon genre préféré, et je suis souvent circonspect concernant son utilisation pour dynamiser une histoire. Mais ici j’ai trouvé l’intrigue suffisamment prenante pour que cette lecture soit plus que plaisante. Lehman parvient à nous faire entrer dans son histoire facilement, à nous faire accepter peu à peu ces mystères, ce monde à la fois parallèle et ancien, autour d’un vieux Paris où seules quelques terres émergeaient. J’ai aussi accepté sans être frustré outre mesure que toutes les clés ne nous soient pas livrées, que certaines questions soient restées sans réponse. Quant au dessin de De Caneva, il accompagne très bien le récit. Son travail en Noir et Blanc, avec diverses nuances de gris, m’a fait penser à celui de Tanabe sur ses adaptations de Lovecraft. Un univers qui a quelques accointances avec celui développé ici par Lehman, en moins noir et horrible. Une lecture agréable.

06/12/2025 (modifier)
Par Lodi
Note: 5/5
Couverture de la série La Bombe
La Bombe

Triplement captivant par le sujet, ce qu'on y apprend et l'image ! De la première à la dernière case, on ne peut que tourner les pages, en adaptant le rythme au flux d'informations et à l'émotion. Ce n'est pas que j'aime la bombe, mais coup de cœur pour cette explosion narrative !

06/12/2025 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Mediator - Un crime chimiquement pur
Mediator - Un crime chimiquement pur

Depuis 1987, ils voient arriver un nombre croissant d’HTAP qui ont toutes pris le comprimé miracle. - Ce tome constitue une histoire indépendante de toute autre qui ne nécessite pas de connaissance préalable. Son édition originale date de 2023. Il a été réalisé par Éric Giacometti & Irène Frachon pour le scénario, et par François Duprat pour les dessins, par Paul Bona pour les couleurs. Il comporte cent-quatre-vingt-six pages de bande dessinée. Il s’ouvre avec un texte introductif de deux pages, rédigé par les scénaristes, évoquant leur rôle dans cette affaire, et leurs objectifs : Témoigner de la souffrance indicible des victimes, mettre en lumière le rôle de Jacques Servier, le poids de ses réseaux, de son entregent, de sa gestion paranoïaque et mégalomane de sa maison. Ils expliquent que toutes leurs sources sont vérifiables, les milliers de pages des actes du procès au pénal, ainsi que les récits précis des victimes et d’Irène, les ouvrages écrits par Servier lui-même, etc. L’ouvrage se termine avec la liste des victimes et malades de la norenfluramine, la présentation de la pétition pour retirer à Jacques Servier et à titre posthume la dignité de grand-croix de la Légion d’honneur. Puis viennent un schéma présentant la chronologie d’un scandale sanitaire qui dure depuis soixante ans, la copie de l’ordre écrit de dissimuler, la formule de la molécule tueuse, quelques chiffres à propos des victimes du Mediator, ainsi que le destin des autres médicaments de Servier. Histoire de Pascale : une mort d’apparence inexpliquée. Lisa est réveillée en pleine par un cri de sa mère Pascale à l’étage. Son père lui dit qu’il est en train d’appeler les secours. La jeune femme décède avant l’arrivée des pompiers qui ne peuvent la réanimer. Certificat du médecin légiste : Pascale, 51 ans, est décédée d’une insuffisance cardiaque aiguë, cause inconnue. Sur sa table de chevet : une boîte de Mediator. Partie un : alerte à Brest ! Corsen, dans le pays de Brest, en février 2007, la famille Frachon se détend sur une plage. Irène lit un ouvrage intitulé : Maigrir, l’arme absolue. Elle estime qu’elle a cinq kilos de trop. Elle ajoute à destination de son mari, que le lendemain elle voit une patiente qui en pèse cent-trente. Le lendemain à l’hôpital de la Cavale Blanche à Brest, la docteure indique à une infirmière qu’elle monte voir une patiente HTAP envoyée par les collègues de Saint-Brieu. Depuis qu’ils sont labellisés Centre de compétence régional, les autres hôpitaux les leur adressent. L’avatar d’Hippocrate intervient pour expliciter l’appellation HTAP : C’est un acronyme qui désigne une sale maladie. HTAP veut dire HyperTension Artérielle Pulmonaire. En clair, le calibre des artères pulmonaires se rétrécit. Le cœur pousse plus fort et augment la pression pulmonaire. Une maladie rare, quelques cas par million d’habitants, mais mortelle par épuisement du cœur. Irène rentre dans la chambre de Joëlle, 52 ans, hospitalisée en pneumologie. Elle lui demande si elle suit un traitement particulier. La patiente désigne de l’index sa table de chevet : elle a un tas de médicaments, elle les a apportés avec elle. Irène remarque immédiatement une boîte de Mediator. Joëlle lui explique qu’elle le prend pour son diabète. Irène lui indique de le mettre de côté. Un ouvrage sérieux et crédible : Irène Frachon, la coscénariste, est la lanceuse d’alerte dont les actions ont initié le scandale du Mediator. Il s’agit d’une affaire sanitaire et judiciaire ayant causé la mort de 1.500 à 2.100 personnes en France suite à la prise de ce médicament, concernant les personnes victimes de la prise de benfluorex, commercialisé sous le nom de Mediator par les laboratoires Servier de 1976 à 2009, sans compter celles qui souffrent des conséquences des effets secondaires. Elle est également docteure en médecine, spécialisée en pneumologie. Le lecteur sait donc qu’il s’agit d’un ouvrage à charge, d’autant plus que les laboratoires Servier ont été condamnés en appel en décembre 2023 à une amende de 8,75 millions d’euros, et condamnés en plus pour escroquerie, raison pour laquelle ils doivent rembourser aux organismes sociaux et mutuelles 415 millions d'euros. Éric Giacometti avait travaillé sur l’affaire de santé publique concernant l’Isoméride quelques années plus tôt quand il était journaliste au Parisien. En outre, les auteurs mettent en scène un avatar d’Hippocrate qui vient exposer des éléments d’information nécessaires : sur les laboratoires Servier, sur Jacques Servier (1922-2014) lui-même, sur la valvulopathie, les amphétamines, le Redux, l’Afssaps, l’étude cas-témoin, etc. Rapidement, les inquiétudes du lecteur disparaissent : la lecture s’avère facile et agréable, sans rien sacrifier à la rigueur et à la précision. Tout en ayant conscience de connaître la fin de l’histoire, il éprouve de l’admiration pour la lanceuse d’alerte, s’inquiète pour elle, prend les revers de plein fouet comme elle (quand elle se heurte à la puissance des laboratoires Servier représentés par des avocats compétents à leur solde), et s’indigne, voire s’insurge, devant les différentes formes d’injustice. Les victimes de ces deux médicaments bien sûr (Isomérie, Mediator), la manipulation orientée des faits par les laboratoires Servier, la faiblesse des pouvoirs publics face à la puissance économique de cette firme, l’efficacité du lobbying favorisant la collusion d’intérêts entre les laboratoires et quelques politiques dont un président de la République très reconnaissant. Le récit prend la forme d’une véritable aventure d’un individu contre une puissance écrasante, un combat disproportionné pour, littéralement, sauver des vies humaines, pour faire cesser la diffusion d’un poison (Norfenfluramine, nom de code S585) trouvant sa source au XIXe siècle et largement employé par les gouvernements durant la seconde guerre mondiale. Malheureusement, cela ne relève pas d’une fumeuse théorie du complot créée pour son potentiel divertissant. Dès le début, cet ouvrage se lit comme une vraie bande dessinée : les quatre pages montrant la mort inexpliquée de Pascale avec le présage de la présence de cette boîte de Mediator. Puis la docteure Frachon se rend au chevet d’une de ses patientes et la questionne sur ses différents traitements. Les auteurs ont bien pris soin d’écrire pour ce média, par opposition à un texte tout prêt confié à un dessinateur, avec bonne chance à lui pour imaginer des dessins qui ne soient pas redondants avec le texte. Ainsi le lecteur découvre des séquences sur plusieurs cases ou plusieurs pages : outre la visite à la malade Joëlle, un cambriolage nocturne dans le Montreal Jewish General Hospital, une scène de réception dans l’hôtel particulier de Servier à Neuilly, la première présentation, très décevante, de la docteure devant un petit groupe de travail de l’AFSSAPS (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé), un atroce face à face entre la docteure et ses compagnons d’alerte devant l’équipe de pharmacovigilance de Servier avec les avocats de la firme, le malaise de Cathy lors de l’ascension du mont Sinaï, etc. Les dessins appartiennent à un registre réaliste et descriptif, avec un degré de simplification significatif, qui les rend immédiatement lisible. La majorité des personnages apparaissent sympathiques, et normaux, à quelques exceptions près comme Jacques Servier lui-même, ou l’avocate maître Nathalie Carrère. Le lecteur se rend compte de la qualité de la narration visuelle en constatant que l’artiste sait rendre visuellement intéressant la docteure en train de faire des recherches sur ordinateur, action pourtant peu dynamique. Tout du long de l’ouvrage, le dessinateur met en œuvre des constructions et des outils graphiques très diversifiés, s’adaptant à chaque propos. Il sait utiliser des représentations anatomiques en les simplifiant sans les dénaturer (par exemple pour expliquer l’HTAP). Il s’amuse avec Hippocrate qui ouvre un livre duquel sort une licorne et une sorcière. Parmi les multiples idées visuelles : les différents sites de Servier comme des cartes postales (Tiansin, Maroc, Jacarepagua, Sopayno), Éric Giacometti faisant son entrée en scène en ouvrant un rideau de théâtre, la représentation spatiale de la molécule d’amphétamine, le médecin de la Sécu au milieu d’une pièce dont les murs sont tapissés d’écrans d’ordinateur, sans parler des accessoires de Jacques Servier en fonction de la situation comme un casque militaire ou une batte de baseball. La lecture s’avère donc facile et agréable, souvent ludique, les auteurs suivant une narration chronologique, avec des apartés ou des développements en fonction des informations nécessaires. Le lecteur revit le parcours de la lanceuse d’alerte avec le bénéfice de la connaissance de l’issue de l’affaire. Il peut ainsi mieux mesurer le rapport de force disproportionné entre elle et la firme Servier, les risques pris et les doutes tout naturels, l’inertie des structures, que ce soit du fait de leur faible effectif, des doutes et des précautions légitimes ou non, des enjeux économiques, de l’efficacité professionnelle des équipes des laboratoires Servier qui allouent un budget et des moyens à la hauteur des enjeux financiers pour eux. Il se retrouve partagé entre l’admiration pour les médecins compétents, les journalistes efficaces, et l’horreur du peu de cas qui est fait des vies humaines en jeu dans l’inertie des réactions. Ce témoignage de première main est aussi admirable pour l’engagement des personnes concernées, qu’édifiant quant au parcours du combattant à traverser, et une démonstration exemplaire de ce que valent les vies humaines face au profit. L’affaire du Mediator : le lecteur peut appréhender un ouvrage aride et compliqué, il découvre une histoire prenante et passionnante, facile d’accès. Il sait qu’il bénéficie d’un témoignage de première main, celui de la lanceuse d’alerte elle-même. La narration visuelle s’avère inventive et au service du récit, efficace et diversifiée. Les auteurs présentent clairement l’ampleur de l’escroquerie criminelle perpétrée par les laboratoires Servier et son propriétaire. Éclairant.

06/12/2025 (modifier)