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Couverture de la série Contrapaso
Contrapaso

Contrapaso, une nouvelle série policière qui reconstitue pour nous l'Espagne des années Franco. Une intrigue dense, digne d'un roman noir, étayée d’anecdotes véridiques, écrite par une dame (Teresa Valero) qui nous rappelle les basses oeuvres du régime franquiste. C'est une occasion rare dans l'univers de la bande dessinée que de pouvoir rendre hommage à une dame : l'espagnole Teresa Valero mérite donc tous les éloges. D'autant qu'elle signe avec Contrapaso le scénario et le dessin de cette trilogie policière, prétexte pour apporter un point de vue féminin sur le franquisme. Histoire, police et féminisme, il n'en fallait pas tant pour nous attirer. Le premier épisode, sous-titré Les enfants des autres, est paru en français (chez Dupuis / Aire Noire sous l'égide de Doug Headline que l'on connait comme scénariste mais qui officie également comme éditeur) en 2021 et vient d'être réédité, quatre ans plus tard, sous une nouvelle maquette à l'occasion de la sortie du second tome (en septembre 2025), intitulé Pour adultes, avec réserves. Pour adultes avec réserves c'était l'une des classifications de la censure franquiste concernant le cinéma espagnol, la classe 3R sur une échelle de 1 à 4, puisqu'il sera beaucoup question de cinéma dans ce deuxième album. À noter pour les curieux : l'époux de Teresa Valero (Juan Diaz Canales) n'est autre que le scénariste de la série Blacksad. La traduction de l'espagnol est signée par Marie Estripeaut-Bourjac et Anne-Marie Ruiz. 1956 : grâce à l'influence américaine, l'Espagne franquiste se refait une beauté et entre à l'ONU. Face à la menace soviétique (mieux vaut le franquisme que le communisme, n'est-ce pas), les États-Unis installent leurs avant-postes en Europe : les accords de Madrid sont signés en 1953 et plusieurs bases militaires US sont implantées sur le territoire espagnol. Dans le même temps, les phalangistes perdent une partie de leur influence au profit de l'Opus Dei. Teresa Valero nous rappelle qu'elle s'appuie sur de nombreux faits, lieux et personnalités bien réels de l'époque : le cinéma qui jouxtait les locaux de la police de la DGS, l'hôtel Hilton, le drive-in, le bar Chicote, les films tournés en double version (une censurée pour l'Espagne, une autre pour l'étranger), l'avènement de la télévision, ... Dans un dossier qui accompagne l'album, l'auteure nous précise que son récit est nourri d'histoires vraies comme celle du documentaire sur la pauvreté des migrants espagnols qui sera "volé" et entièrement manipulé et remonté par la télévision espagnole, ou celles des spéculations immobilières et foncières de magouilleurs (dont la propre sœur de Franco) qui profitèrent des troubles liés à guerre civile. À Madrid, l'hiver 1956 se montre particulièrement rigoureux avec les hommes et la censure franquiste particulièrement tatillonne avec la presse. Les faits-diversiers sont bâillonnés : dans l'Espagne catholique de Franco, le crime n'existe pas. Il suffisait de le dire. Même si de temps à autre, il arrive que l'on retrouve malencontreusement le corps d'une jeune femme assassinée au bord du Manzanares. Autour du cadavre, il y a là Charo, la fille du médecin légiste qui n'est encore qu'une jeune adolescente mais qui veut déjà apprendre le métier avec papa. Elle apporte une touche de fraîcheur impertinente dans cette sombre histoire. Et puis il y a là, Emilio Sanz, un journaliste désabusé, fatigué de ses propres compromissions avec la censure et le régime. « - Merci de me recevoir docteur. J'enquête sur la mort de Rosa Saura. Je crois que vous la connaissiez ... - Enquêter ? N'est-ce pas le travail de la police ? - Non, pas toujours, monsieur. » Il y a là également Léon Lenoir, qui revient de France et voudrait bien faire ses preuves au journal, un jeune homme toujours amoureux de la vérité (et secrètement, de sa cousine Paloma). Léon est hébergé chez ses oncle et tante, une famille traditionnelle franquiste. Au journal, les débuts du français sont plutôt difficiles : Sanz est un vieux bougon qui le traite comme son valet. On a donc là, un vieux journaliste revenu de tout, parfois bienveillant avec le franquisme qui le nourrit. Et un jeune ambitieux qui croit encore à la vérité. Deux voix que tout oppose pour nous raconter une même époque. C'est le sens même du titre de la série, Contrapaso, contrepoint en français, quand « deux lignes mélodiques différentes sont interprétées en même temps » nous rappelle Teresa Valero. « - Je ne peux pas publier ça sans qu'on interdise le journal. Tu le sais très bien ! - Oui, je le sais. - Et alors, pourquoi tu l'as écrit, nom de dieu ! - Parce que c'est la vérité. [...] - Tu veux fouiller les poubelles ? Des lesbiennes et des médecins franquistes ... Qui diable ira la publier ta foutue histoire ? » On aime ce sacré duo d'enquêteurs que tout oppose, l'âge comme le parcours, les méthodes comme les sympathies politiques. On aime aussi que l'enquête nous propose plusieurs pistes à suivre au cœur de l'Espagne sous le joug franquiste avec comme fil rouge, la traque d'un tueur en série après qui Emilio Sanz court depuis des années. Dans le premier épisode, il sera question d'eugénisme, d'enfants volés et des abus et violences psychiatriques infligés aux femmes par les médecins du régime. La seconde enquête nous emmènera sur les plateaux du nouveau cinéma espagnol qui voit débarquer les américains et la télévision … et resurgir de vieilles affaires immobilières. On aime ce roman graphique où la mise en cases est dynamique et le dessin est un beau travail de reconstitution de ces années passées : les lieux et les décors, les usages et les costumes, tout est au diapason pour nous replonger dans l'Espagne franquiste des années 50 ... Cette BD est écrite comme un roman noir et le dessin, très élégant, tire habilement parti d'autres éléments graphiques : photos, affiches, journaux, publicités, films et actualités cinéma ... ... Les albums ont été réalisés en numérique mais la belle colorisation donne beaucoup de transparence, de luminosité ou de relief au dessin, semi-réaliste. Et puis on aime aussi l'humour dans la caractérisation des personnages comme dans les dialogues, une ironie caustique, amère, pince-sans-rire : la scène avec la dactylo dans les toilettes du cabaret, la dessinatrice qui crayonne ce que l'on voit dans une case, le jeune Léon qui rend son déjeuner à tout bout de champ, ... Chaque relecture révèle de nouveaux détails. L'intrigue du second épisode est un peu touffue et n'a pas l'unité de ton qui faisait la force du premier : Teresa Valero semble plus préoccupée de dresser un portrait aussi complet que possible de l'Espagne franquiste que de guider son lecteur dans une profusion de faits et de détails historiques. Parions que le dernier épisode de la trilogie reprendra la main pour terminer cette fresque historique en beauté, comme elle a commencé ... car le tueur en série court toujours ! « - Qui l'a tuée, Sanz ? - J'aimerais bien le savoir. - Tu le poursuis depuis 17 ans. Tu dois bien avoir une théorie. - Plus d'une, oui. Et aucune ne m'a mené nulle part. Il choisit toujours des femmes seules, avec peu ou pas de famille. Et ça n'a jamais rien de sexuel. Les victimes n'ont rien en commun. Leur seul point commun, c'est que ce sont des femmes. Il n'en a pas tué deux de la même façon. - Si c'est différents à chaque fois, comment es-tu sûr que c'est le même tueur ? - Les victimes sont toujours mortes avant. Parfois plusieurs jours plus tôt. Ensuite, il les déplace à l'endroit où on les retrouve. Et là, il nous prépare toujours une mise en scène. »

31/12/2025 (modifier)
Par Présence
Note: 4/5
Couverture de la série L'Homme à la licorne
L'Homme à la licorne

À cette époque, l'exact n'est pas le vrai. - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Son édition originale date de 2025. Il a été réalisé par Christophe Dabitch pour le récit, et par Nylso (Jean-Michel Masson) pour les dessins. Il comporte deux-cent-vingt-cinq pages de bande dessinée en noir & blanc. C’était le début du printemps. Les fleurs bourgeonnaient et les animaux frétillaient. La sève montait, les idées paraissaient soudain plus légères au sortir du grand hiver. Quelque chose s’emparait de vous. Des correspondances résonnaient à nouveau, des échos faisaient sens. En un mot, il y avait de l’enthousiasme dans l’air. C’est dans cet état d’esprit que Christophe traversa la place ce matin-là sous les grands arbres pour honorer le rendez-vous promis avec la licorne. Il s’assoit à une terrasse de café, tout se parlant à lui-même : il évoque un loustic, un sacré loustic, un individu que presque personne de connaît. C’est fascinant. Son flux de pensées se poursuit : Mais bientôt ils sauront tout de sa vie, grâce au bédéaste, enfin… au moins ceux qui lisent encore. Christophe fait le constat que c’est rare de trouver une histoire aussi folle que vraie. Comment la dire pour en donner tout le sel ? La réalité est parfois si incroyable qu’il faut en faire une fiction. L’auteur se dit qu’il pourrait imaginer une conversation la nuit tombée sur un bateau au large des côtes anglaises avec un homme mystérieux qui aurait connu Albert. Ou alors il trouverait par hasard le livre oublié d’un auteur inconnu qu’un archiviste aurait déniché sur le plus haut rayonnage d’une grande bibliothèque en Amérique du Sud. En soufflant sur la poussière, l’histoire apparaîtrait par magie. Christophe se rend au musée de la Chasse et de la Nature, dans le quartier du Marais, à Paris. Il célèbre la cynégétique, l’art de la chasse (oui, on dit art), l’acte immémorial de prédation (plus ou moins empathique) et la beauté maîtrisée des proies (représentées ou empaillées). La nature aussi. Un couple de riches industriels des Ardennes, grands propriétaires, chasseurs et amateurs d’art (François Sommer et son épouse Jacqueline), l’a fondé en 1967 pour y présenter ses collections. Chiens à l’arrêt, sangliers, grandes bêtes. Peintures, dessins, collection d’ares, objets délicats, chevaux, chiens, stratégies de chasse… Une approche d’esthète pour des esprits éclairés, avec une idée de préservation de la faune sauvage. Une part du rapport de l’être humain à la nature, à l’animal, est là, mais, comment dire ? Les temps ont changé. La chasse a mauvaise presse. Alors depuis 2007, le musée propose des résidences immersives à des artistes contemporains dans le domaine de la Fondation (Domaine de Bel-Val, Ardennes) à des fins de restitution. Et ce musée est devenu l’un des plus branchés de Paris. Tête de sanglier et art contemporain : tout le monde est à l’arrêt. Et pourtant, dans le dédale animalier, Christophe avait toujours négligé une salle, et il ne comprend ni pourquoi ni comment. Voilà un an, alors que le musée venait de rouvrir après d’importants travaux, il l’a enfin visitée. Un bien étrange album : format plus petit, pas tout à fait carré, dessines réalistes avec une forme de simplification en même temps qu’une forte densité de traits, évoquant par moment une parenté avec Jacques Sempé (1932-2022) sans en avoir la légèreté ou l’élégance, des cases sans bordure, parfois juste une illustration avec un texte au-dessus, en-dessous ou sur le côté, parfois des dessins sans un seul mot, d’autres fois des cases alignées en bande, etc. Le lecteur ressent une liberté formelle dans une grande cohérence narrative, évoquant un flux de pensées bien construit se laissant guider par la nature du propos. Il peut ressentir cette même liberté dans la suite de sujets abordés, avec une sensation un peu au fil de l’eau. Tout d’abord l’interrogation de l’auteur (Christophe) sur la manière de présenter son sujet, la licorne. Puis la visite au musée de la Chasse et de la Nature, 62 rue des Archives dans le troisième arrondissement, et sa découverte d’une salle qu’il avait toujours négligée. Un premier souvenir de chasse à la bécasse avec son oncle, sa fascination avec la licorne, l’impossible qu’elle incarne, quelque chose qui échappe et qu’on ne peut contrôler, pas de la pureté, plutôt l’union des contraires. Une nouvelle visite au musée de la Chasse et de la Nature, et le constat que la vitrine consacrée à la licorne a été déposée. Puis brusquement, une séquence qui commence à Paris en avril 1922 posant la question : Qui peut avoir l’idée de vendre la tour Eiffel en 1922 ? Le récit semble alors prendre la tangente, une nouvelle direction pour se consacrer à Victor Lustig (1890-1947), un célèbre escroc et imposteur qui a vendu la tour Eiffel. Puis l’auteur, Christophe, en discute avec son éditeur Sébastien (Gnaedig ?) : un bon sujet, mais déjà maintes fois abordé par d’autres. Alors il se rabat sur son fils putatif : Albert Lustig (né en 1914), personnage inventé pour l’occasion. Cela procure une sensation étrange : faute d’espoir d’écrire quelque chose d’original sur un escroc de génie, les auteurs en inventent un à la petite semaine. Un peu comme ce choix de narration visuelle, à la manière de Sempé, évidemment sans en avoir le génie… tout en étant plutôt réussie. Quelques petits contours informes et le lecteur voit les feuilles dans les arbres… cependant les façades sont un peu trop de guingois et mal assurées… en revanche le mobilier urbain est authentique à commencer par les barrières de type Croix de Saint André. Finalement, l’artiste sait très bien rendre l’ambiance parisienne, par des détails concrets et authentiques, discrets et parfaitement à leur place : la tour Eiffel bien sûr (avant qu’elle ne soit vendue), la façade de l’hôtel Crillon, l’une des façades du musée national du Moyen Âge-Thermes et hôtel de Cluny, un quai de métro avec ses assises caractéristiques, un réverbère, etc. D’ailleurs le scénario se montre exigeant vis-à-vis du dessinateur, à la fois pour les différents lieux et environnements, à la fois pour les situations. L’artiste passe ainsi de sites reconnaissables de Paris à une partie de chasse avec son oncle après avoir rallié le bois en barque, la contemplation d’animaux empaillés dans le musée de la Chasse et de la Nature, un paquebot transatlantique, les six tapisseries de la Dame à la licorne (entre 1484 et 1538), une cour d’école à Mouzon dans les Ardennes françaises en 1924, une discussion dans un café parisien à écouter les autres clients tous écrivains, et bien sûr des expéditions de chasse et de safari en Afrique. Sans oublier trois séquences de trois pages, chaque planche composée de quatre cases, montrant une vague forme pouvant d’apparenter à une licorne à demi-dissimulée par la végétation du sous-bois (80 à 82, 125 à 127, 204 à 206). Ainsi le lecteur observe aussi bien Christophe au musée contemplant les œuvres et artefacts ayant trait aux licornes, Victor Lustig convainquant les acheteurs potentiels de la tour Eiffel, Christophe et Sébastien discutant attablés en terrasse, un cerf en train de boire dans la forêt, Rob O’Hara posant à côté d’un trophée de chasse après l’autre, Christophe effectuant des recherches sur Internet. Et – peut-être – la licorne dans les bois. Mais alors du coup ça raconte quoi ? Hé bien d’abord, cette envie de l’auteur de dire sa fascination pour les licornes et pour ce qu’elles représentent, et aussi cette invraisemblable expédition de chasse à la licorne en Afrique du Sud, en direction des chutes d’Augrabies en suivant d’abord la rivière Orange avant de pénétrer dans le désert du Kalahari jusqu’au village reculé de Riemvasmaak. Et aussi sa fascination pour l’escroc Victor Lustig. Et encore la vie du fils fictionnel de Lustig, l’amitié d’Albert avec François Sommer, la rencontre avec le milliardaire américain Rob O’Hara, grand chasseur au cœur noir et membre du conseil d’administration du Field Museum à Chicago. Étrange de consacrer un récit de nature semi-autobiographique à des personnages de fiction… D’un autre côté, Christophe annonce dès le départ que c’est rare de trouver une histoire aussi folle que vraie. Comment la dire pour en donner tout le sel ? Et il évoque différentes formes de mises en abîmes utilisées par des romanciers de la fin du dix-neuvième siècle pour évoquer des expéditions. D’ailleurs, au fur et à mesure, le lecteur relève plusieurs références à la pratique de la littérature, et à la création artistique. Il y a cette séquence révélatrice dans un café parisien, où Christophe et Sébastien entendent la conversation d’autres auteurs à des tables autour d’eux. Des remarques portant sur la pratique de leur métier : un est en panne en ce moment et a envie de tout arrêter. Un autre se lamente que son dernier livre a été totalement passé sous silence. Certains commentent leur livre en cours : Pas d’histoire, pas de personnage, pas de psychologie, celui-ci ne veut faire aucune concession cette fois. Un autre énonce : Exposition, dénouement, flashback, en jeu, conflit interne, climax, un arc narratif, twist, il a tout mis ! Une écrivaine explique : Ce n’est pas de l’autofiction au sens habituel du terme mais une fiction autonome autour de l’idée même du moi. Un autre encore évoque Georges Pérec à qui il rend hommage avec un peuple qui n’utilise jamais la lettre P. Le lecteur perçoit une élégante mise en abîme où les auteurs évoquent leur propre démarche créatrice, la démarche de proposer une histoire de fiction (Albert Lustig inventé de toutes pièces), se raccrochant à la réalité (Victor Lustig, un escroc bien réel), dans des périodes historiques marquées (grands chasseurs en Afrique), tout en se mettant en scène eux-mêmes dans la quête d’un sujet pour leur histoire, en se demandant comment la raconter pour lui donner plus d’impact, leur fascination pour la licorne et les différentes qui lui ont été associées. Le lecteur ressent que ces trois apparitions de licorne dans les bois correspondent à une phase de la vie de l’observateur qui sait que son bonheur se trouve dans la poursuite d’une chimère. D’ailleurs l’auteur lui-même, ou plutôt son avatar, finit par prendre conscience que sa démarche relève de l’auto-aveuglement… ce qui a donné un sens passager à sa vie, tout comme la licorne pour Rob O’Hara, ou encore l’image du père pour Albert Lustig. Une bien étrange bande dessinée, avec une narration visuelle évoquant Sempé, mais pas tout à fait, et une histoire évoquant l’escroc qui a vendu la tour Eiffel, mais pas tout à fait. À la poursuite d’un animal chimérique dans une salle de musée imaginaire, ou dans un safari, avec des dessins légers et évocateurs comme des croquis pris sur le vif, et en même temps une structure solide et une réflexion sur la recherche d’une histoire ayant assez de qualités et de consistance pour être racontée et séduire un lectorat. Une mise en abîme de la démarche d’auteur à créer une œuvre présentant un intérêt pour un potentiel public, et aussi pour investir son existence à la raconter. Un prodigieux cheminement d’auteur pour trouver un sujet qui en vaille coup, une métaphore de la démarche de donner du sens à une histoire, à son histoire, à sa vie.

31/12/2025 (modifier)
Par Lodi
Note: 4/5
Couverture de la série Kersten - Médecin d'Himmler
Kersten - Médecin d'Himmler

Réhabilitons le docteur… et le dessin de cette bd ! Les images me semblent discrètement dépressives, comme le médecin. Sa survie, ses efforts pour arracher des victimes en échange de ses bons soins, tout lui interdit de se laisser aller. On le voit pourtant toujours triste, d'abord et bien sûr à cause du nazisme, et ensuite qu'on l'accuse de complicité. Du dynamisme, des couleurs ? Et pourquoi pas le docteur courant en tout sens comme les héros des films d'action ? Il agit comme médecin, pas comme cascadeur. Comme on n'est pas au cœur de l'enfer, dans les camps, il serait excessif d'adopter un style expressionniste, mais de là à introduire francs sourires et rayons de soleil, il ne faut pas abuser ! De cette tristesse suppure le courage… et la compassion du personnage principal, comme médecin pour ses malades, si répugnants soient-ils, et pour les victimes. J'attribue d'ailleurs à sa compétence de personne soulageant les douleurs, mais aussi à sa compassion, à sa psychologie d'avoir pu obtenir la grâce de tant de victimes ! Je ne sais si on réhabilitera le docteur, mais j'exprime ma plus vive admiration pour son intelligence, son empathie, son courage, son action sans désir de récompense et le fait qu'on l'ait accusé à tort, à la fin, sans l'aigrir. Si les morts peuvent nous lire, bravo et merci !

30/12/2025 (modifier)
Par Vaudou
Note: 4/5
Couverture de la série Moi, Dragon
Moi, Dragon

Je ne comprends pas trop les reproches sur cette oeuvre. C'est une saga de fantasy médiévale solide. Gimenez était aussi un bon scénariste. L'histoire et la narration bien que sans génie particulier sont maîtrisés pendant les trois tomes. Il y a des accents de tragédie grecque dans cette histoire qui m'ont beaucoup plu. J'ai trouvé le dessin un ton en dessous de la caste des metabarons mais 10 crans au dessus de 99% de la production actuelle, donc ça compense.

30/12/2025 (modifier)
Par Josq
Note: 4/5
Couverture de la série Notre-Dame de Guadalupe
Notre-Dame de Guadalupe

Quand une bande dessinée touche à un sujet aussi clivant que la religion, il est souvent difficile d'en parler de manière neutre. Avec Notre-Dame de Guadalupe, les auteurs nous mettent plus d'une fois en difficulté. Ils exposent ici tous les arguments qui, selon eux et beaucoup d'autres croyants, prouvent l'authenticité de la Tilma, c'est-à-dire une image de la Vierge Marie apparue en 1531, dont les catholiques affirment qu'elle est non faite de main d'homme et qu'elle serait apparue miraculeusement sur le manteau d'un homme à qui la Vierge serait apparue, Juan Diego. Reconnaissons tout d'abord aux auteurs la réussite d'avoir admirablement résumé tous les arguments en faveur de l'authenticité des apparitions de Notre-Dame de Guadalupe. Je ne connais pas ces auteurs, mais il semblerait qu'il s'agisse d'un couple, dont le mari est ingénieur de formation, et a déjà écrit il y a plus de 20 ans un livre a priori de référence sur les apparitions de Guadalupe. Quoiqu'il en soit, la synthèse offerte par la BD est un travail qui sera dans tous les cas un exercice intellectuel captivant, qu'on soit athée ou catholique. Avant de continuer cet avis et à titre purement informatif, j'admets me trouver dans le second camp qui, soit dit en passant, a probablement la tâche la plus facile, car il s'agit simplement de vérifier des travaux scientifiques déjà faits par des spécialistes, là où l'athée aura un travail plus ardu s'il veut contrer chaque argument en faveur de l'authenticité, dans la mesure où il faudra tout reprendre à zéro pour vérifier que les expertises scientifiques ont été sérieuses. C'est d'ailleurs le point de départ du récit de cette bande dessinée. Les auteurs mettent en effet en scène Daniel, un jeune homme rationaliste, qui remet en cause la réalité des apparitions de Guadalupe. Ces dernières ayant laissé une trace considérable avec la Tilma, un vieux croyant propose alors à Daniel d'étudier chaque argument scientifique censé prouver l'authenticité de l'image. Soyons clairs : le parti pris de la bande dessinée est catholique, et montrera point par point l'incapacité de Daniel à démonter l'authenticité de l'image. Toutefois, hormis dans la conclusion beaucoup plus religieuse de la bande dessinée, le récit cherche bien à rester centré sur un plan historique et scientifique. Car comme le Suaire de Turin, la science a abondamment étudié l'objet. La bande dessinée de David et Gabriela Caron expose ainsi avec le plus grand intérêt le contexte historique (aisément vérifiable, et qui m'a permis d'apprendre beaucoup de choses sur l'histoire du Mexique) et les recherches scientifiques qui ont été faites sur le sujet, impliquant des grands noms de la science comme Richard Kuhn (prix Nobel de chimie en 1938). Pour ma part, j'avoue avoir été surpris d'être aussi captivé. Comme bon nombre de catholiques, je suis globalement intéressé par l'image de Guadalupe qui, comme le Saint-Suaire, se trouve au croisement entre la foi et la science, et se place au centre de bons nombres de débats impossibles à trancher. Mais je ne pensais pas être aussi embarqué par un sujet qui reste relativement secondaire dans ma foi. Il faut dire que ce qui m'a pleinement permis d'accrocher, après une entrée en matière qui m'a fait craindre un prosélytisme maladroit, c'est le merveilleux dessin de l'inconnu François Rocher. Si les couleurs font plus numériques (ce qui ne les empêchent pas d'être belles et chaleureuses), le dessin est vraiment rigoureux, élégant et pile poil sur le bon équilibre entre réaliste et pas trop réaliste. C'est la qualité du dessin qui m'a permis d'être pleinement séduit par cette bande dessinée, dont la qualité éditoriale est d'ailleurs très élevée, ce qui me paraît relativement rare chez ce genre de petit éditeur catholique. On sera évidemment plus ou moins convaincu par les différents arguments exposés (certains paraissant plus fiables que d'autres), mais il me semble que la qualité narrative de l'album, et la clarté de son exposé, jamais brouillon et toujours bien mené, dépasse largement le clivage religieux. Maintenant, je serais forcément très intéressé d'avoir l'avis d'un athée sur le sujet traité, bien conscient que mon adhésion à cette bande dessinée peut, malgré ma recherche de neutralité, être influencée par mes opinions religieuses (ce qui serait vrai aussi venant d'un athée, mais justement, cela permettrait d'équilibrer). Encore faudrait-il trouver un athée suffisamment intéressé par le sujet pour se farcir cette bande dessinée ! Dans tous les cas, je crois avoir suffisamment d'expérience bédéphile pour affirmer sans conteste que Notre-Dame de Guadalupe est une bande dessinée de qualité, bien écrite, bien dessinée, bien éditée, qui a su prendre mes craintes à rebours pour me montrer que, oui, même chez de petits éditeurs catholiques, on peut faire un vrai travail de pro.

29/12/2025 (modifier)
Couverture de la série Frontier
Frontier

Quand j’ai commencé Frontier, j’ai tout de suite été marqué par le dessin, qui est vraiment particulier. Le style de Singelin, avec ses personnages aux têtes rondes, presque enfantines, et ses influences très manga, peut surprendre au premier abord. Mais moi, j’ai accroché immédiatement. J’aime beaucoup ce contraste entre des personnages très stylisés et un univers de science-fiction hyper détaillé. Les décors, les vaisseaux et les paysages spatiaux sont riches et impressionnants, et je prends souvent le temps de m’arrêter sur certaines cases juste pour admirer le travail graphique. Pour moi, ce dessin donne une vraie identité à la BD et la rend mémorable. Le scénario m’a aussi beaucoup plu. Je me suis laissé emporter par cette histoire d’exploration spatiale qui parle autant d’aventure que de relations humaines. J’ai trouvé l’univers crédible et bien construit, avec ses règles, ses dangers et ses mystères. J’ai aimé découvrir peu à peu ce monde et comprendre ce qui se cache derrière cette quête de nouveaux horizons. Le récit avance de manière fluide, et j’avais toujours envie de tourner la page pour savoir ce qui allait arriver. Les personnages sont un autre point fort à mes yeux. Je les ai trouvés attachants, avec leurs failles, leurs peurs et leurs rêves. Même dans un contexte futuriste, je me suis reconnu dans leurs réactions et leurs émotions. J’ai apprécié la façon dont leurs relations évoluent au fil de l’histoire, entre tensions, entraide et moments plus intimes. Grâce au dessin très expressif de Singelin, je trouve que leurs sentiments passent aussi beaucoup par les regards et les attitudes, ce qui rend l’ensemble encore plus vivant. Frontier m’a vraiment marqué parce qu’il réussit à combiner un style graphique atypique que j’adore avec un scénario solide et prenant. Je ressors de cette lecture avec l’impression d’avoir voyagé dans un univers à part, à la fois spectaculaire et humain. Pour moi, c’est une BD qui vaut autant pour le plaisir des yeux que pour l’histoire qu’elle raconte, et que je recommanderais sans hésiter à ceux qui aiment la science-fiction et les œuvres qui sortent des sentiers battus.

29/12/2025 (modifier)
Par Ubrald
Note: 4/5
Couverture de la série Sang Barbare
Sang Barbare

Âpre, violent, sombre, tranchant. Voici une version beaucoup moins lisse que la plupart des adaptations de la série Conan le Cimmérien chez Glénat. Si on n’est pas trop allergique aux lames et à la violence, c’est une très belle interprétation du mythe de Conan. Un récit qui prend sa source dans plusieurs histoires originelles de Robert E. Howard, surtout « Au-delà de la rivière noire » avec les tribus pictes, et se situant pendant la période ou Conan est roi d’Aquilonie et dont le fils commence à tracer son propre chemin, ce qui permettra aux auteurs de développer une intéressante relation père-fils / roi-prince. Un graphisme similaire à de la Dark Fantasy. On sent les auteurs passionnés et très savants de la saga Conan. C’est effectivement un très bel hommage.

28/12/2025 (modifier)
Par Lodi
Note: 5/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Le Joueur d'échecs (David Sala)
Le Joueur d'échecs (David Sala)

Fascinant. Sur un navire, des parties d'échecs, ce qui fait qu'on a deux ruptures avec le reste du monde : géographique et symbolique. Je n'ai pas lu l'écrivain, mais à ce que j'ai relevé de mes collègues commentateurs, le dessinateur a fait preuve d'une créativité éblouissante en inventant la manière de montrer ce qu'il ne fait que suggérer. Donc, pour une fois, je ne vais pas sous-noter une adaptation ! Je trouve bien que tout ne soit pas aussi intense. Les échecs sont un monde dans le monde, il faut montrer comment le jeu prend place dans le monde, un peu comme on ne voit pas tout de suite le mystère dans les œuvres fantastiques dont cette bd a le climat. Les échecs ? Un monde dans le monde. La folie ? Aussi, et la folie des échecs comme résistance à un monde en folie, le joueur autodidacte s'étant raccroché au damier pour ne pas céder aux nazis. Le dessin et les couleurs ont quelque chose de l'époque, et semblent, en même temps, intemporels. Quelle perfection !

28/12/2025 (modifier)
Par Lodi
Note: 4/5
Couverture de la série Hägar Dünor le Viking
Hägar Dünor le Viking

Le contraste entre la fascination qu'on a pour les vikings et la quotidienneté qu'on en voit fait la moitié du comique. J'aime aussi les dialogues et les dessins. On peut si on veut y voir une satire de l'Amérique mais je trouve le comique plus large que ça. En plus, j'aime bien tous les personnages qui n'ont rien de terrifiant. Un comique entre caustique et tendre. En plus, on n'oublie pas cette série.

28/12/2025 (modifier)
Couverture de la série The Summer Hikaru Died
The Summer Hikaru Died

J'ai entendu du bien de cette série pendant très longtemps et, même si je ne serai pas aussi dithyrambique que les échos glanés auraient pu me le faire croire, j'avoue que l’œuvre mérite des louanges. Le titre est explicite, ça va parler de mort, de la mort de l'éponyme Hikaru pour être exacte. Enfin, pas si explicite que ça parce que l'on ne se doute pas forcément dans quoi on s'embarque avec ce simple postulat. Quelqu'un est mort, quelqu'un qui avait des proches, des proches qu'il a aimés, qui l'ont aimé aussi, il sera question de deuil et de la force de la mémoire, bref le sujet central est la mort. Dans un petit village de campagne japonaise, un beau jour d'été, Hikaru a disparu dans la montagne. Ces ami-e-s n'ont jamais su pourquoi, d'autant qu'Hikaru est apparemment rentré une semaine après disparition, mais il va très clairement paraître évident à Yoshiki, son meilleur ami, que quelque chose cloche. Cela ressemble à Hikaru, cela a la voix d'Hikaru, cela a les souvenirs d'Hikaru, mais cela n'est pas Hikaru. Hikaru est mort dans la montagne et quelque chose a pris possession de son cadavre, enfilant sa peau comme on enfilerait un costume, et essaye de s'immiscer parmi les humains pour exaucer le dernier souhait du véritable Hikaru : faire en sorte que ses ami-e-s ne se retrouvent pas seul-e-s, ne souffrent pas de son absence. L'œuvre est tout d'abord un subtil mélange entre tranche de vie campagnarde dans un petit village abandonné et un récit horrifique et réflexif sur la nature des liens humains. Je me doutais à la réputation de cette série qu'elle flirterait avec les mystères angoissants (sans être non plus absolument terrifiant), mais j'avoue avoir été surprise de la direction prise. Tout le mystère de ce qui est arrivé à Hikaru, de ce qu'est le nouvel Hikaru, de ce qu'il s'est passé il y a bien longtemps dans la région est prenant, alternant horreurs et attaques "au delà de la compréhension humaine" dans notre présent narratif et flashbacks et légendes nous en apprenant chaque fois un peu plus sur la sordide histoire de la région. L'héritage historique, culturel et spirituel du Japon est utilisé à plein escient, on nous parle d'anciens rites animistes, de cultes, d'arrivée de la chrétienté, de légendes locales, de l'évolution et de la déformation des mythes aussi. La dimension horrifique de l'œuvre est sympathique, le graphisme la rend particulièrement prenante - j'applaudis notamment la forme réelle (ou irréelle en l’occurrence) d'Hikaru, sorte de peinture noire flottante et dégoulinante, simple mais efficace pour illustrer à la fois le côté parasitique de cet être et sa nature d'être à la frontière entre deux plans d'existence. Le mystère et l'horreur sont prenants, certes, mais si l'œuvre est joliment travaillée c'est aussi grâce à son travail sur ses personnages et leurs liens. Qu'il s'agisse du drame de Yoshiki, tout d'abord forcé de continuer d'agir comme si de rien n'était, incapable de pleinement faire son deuil, car quelque chose qu'il peine à comprendre s'est déguisé en son ami décédé, ou bien du nouvel Hikaru qui peine à comprendre le simple fait d'exister, lui qui jusque là n'avait jamais été qu'une idée, une chose d'un autre plan, tous les personnages se révèlent rapidement assez complexes - je n'ai parlé que de ces deux là car ils sont les personnages centraux de ce récit, mais tous les autres sont aussi assez complexes et attachants. La relation Hikaru/Yoshiki est centrale, le cœur du récit, même. Oui, il est question de deuil (ou d'incapacité à vraiment pouvoir faire son deuil), mais il est aussi question d'amour et d'attachement. D'amour dans toutes ses formes d'ailleurs, Yoshiki étant vraisemblablement homosexuel et ayant aimé en secret Hikaru depuis longtemps. Cet état de fait n'est jamais directement confirmé mais rapidement évident, plus que sous-entendu par les dialogues internes de Yoshiki et par la mise en scène (notamment des flashbacks). Yoshiki aimait Hikaru, n'a jamais pu le lui dire, n'a jamais pu passer outre les stigmates sociaux que cela engendrerait, et peut-être que cela le hante d'autant plus maintenant qu'Hikaru tel qu'il l'a connu n'est plus. L'amour romantique n'est pas le seul lien traité ici, la nature de l'attachement du second Hikaru pour Yoshiki est d'ailleurs encore floue, même pour lui (il faut dire que pour quelqu'un qui peine encore à pleinement comprendre le concept de mort car le concept même de vie lui était inconnu cela ne doit pas être facile d'appréhender une chose aussi complexe que la nature des émotions), en tout cas ils s'aiment tous les deux - on ressort même une de mes métaphores préférées pour traiter la romance de manière complexe et horrifique, à savoir l'envie de dévorer ou d'assimiler l'autre à son propre être (yay). J'apprécie aussi que, puisqu'il est question d'amour et d'attachement entre deux êtres, on aborde la situation émotionnelle complexe du fait de s'attacher à quelque chose qui ressemble en tout point à ce que l'on a aimé autrefois tout en reconnaissant que ce quelque chose est bel et bien différent, mérite d'être individualisé. L'œuvre est elle parfaite ? Bien sûr que non, je regrette par exemple certaines facilités scénaristiques comme le fait que les protagonistes et adjuvants ont une sacrée chance et tombent toujours sur l'individu capable de les sauver et/ou de leur raconter l'histoire exacte qu'il leur fallait pour avancer dans leur enquête. Cependant, même si pas parfaite, l'œuvre est très bonne, joliment mise en scène et dessinée, l'histoire racontée est touchante et angoissante, le mélange tranche de vie dans un village de campagne loin de tout et récit horrifique marche très bien, la fin du tome 6 me donne vraiment envie de savoir la suite (d'autant qu'on sait enfin à quoi ressemble ces fichus trous), ... Bref, la série est très bonne et mérite la lecture.

27/12/2025 (modifier)