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Par gruizzli
Note: 5/5
Couverture de la série Welcome back, Alice
Welcome back, Alice

J'hésite encore sur ma note au moment où j'écris ces mots, puisque la série finie dans son ensemble est remarquable mais je n'arrive pas à me décider à quel point. Shuzo Oshimi est un auteur que je trouve incroyable. Son Dans l'intimité de Marie était déjà une des plus grosses claque que j'ai pris en manga, tandis que ses autres séries ("Les liens de sang", Les Fleurs du mal, "Happiness") semblent toutes traiter de sujets violents, durs, tristes, mais avec un réel intérêt derrière. Loin du voyeurisme qu'on en attendrait, les séries de Oshimi posent de vraies questions, l'auteur interrogeant beaucoup d'aspects sombres de l'humain, mais aussi ses tabous et ses limites. Et si je suis si enthousiaste (je suis déjà en train de commander toutes les autres séries), c'est parce qu'il pose des questions que j'ai souvent eu aussi. "Welcome back, Alice" en est le parfait exemple. Lorsque l'histoire commence, tout les éléments sont présent pour une comédie romantique de base, ou encore une pure comédie décalée où le garçon se fait draguer par le transsexuel. Mais Shuzo Oshimi traite très sérieusement ses sujets, et nous avons une œuvre bien plus complexe et bien plus dense. Déjà, alors que le sujet semble être la transidentité, il s'avère que c'est bien plus des questionnements de genre qui arrivent. Kei s'habille en femme, mais ne se considère pas comme tel. C'est plus des questions de gender fluide et de queer. Si ces termes vous dépassent, c'est que vous ne vous êtes probablement jamais posés des questions comme celle présentes dans cette BD. Personnellement, ça m'est souvent arrivé. Parce que j'ai un parcours de vie spécifique, qui m'a conduit par exemple à faire croire à mon entourage que j'étais gay parce que c'était plus simple que d'assumer simplement que j'étais un garçon pas dans la norme. Aujourd'hui je viens bien ces questions, mais elles m'ont amenés à questionner notre perception sociétale des hommes et des femmes. Si je ne peux pas m'identifier à ce que la société considère comme un homme, que suis-je ? C'est cette question que la BD pose, d'une bonne façon d'ailleurs. Et les 7 volumes vont explorer trois personnages comme trois façons d'être : Yui qui est une femme et qui s'y conforme, sans trouver le bonheur ; Yôhei est un homme et qui s'y conforme, en souffrant de cette condition ; Kei ne veut plus être ni l'un ni l'autre, sans pour autant arriver à trouver son bonheur. Le manga est une œuvre très personnelle pour l'auteur, qui ne s'en cache pas par des textes en fin de volumes très clairs sur son rapport au corps, à l'identité de genre et à la sexualité. Sexualité très présente dans l'histoire d'ailleurs, et pas forcément d'une façon saine et agréable. Et je trouve que c'est une bonne chose aussi de rappeler qu'avoir une sexualité "normale" peut parfaitement nous faire du mal, et que nos pulsions peuvent être dicté par des conditions sociales. Je suis vraiment surpris par le ton de cette série et son déroulé. Le côté malsain dans le rapport au corps est toujours présent mais ce n'est jamais une volonté de faire dans le voyeurisme et le glauque. Le récit est articulé autour de la question du genre et la façon dont les représentations de L'Homme et La Femme peuvent faire naitre la souffrance chez des gens qui se sentent en décalage avec ces conceptions. Et je trouve extrêmement sain que des BD rappellent qu'une femme n'a pas a exister en tant que "copine de ..." ni à littéralement tenir son mec par le sexe qu'elle l'autorise à avoir avec elle, se posant en pur objet de fantasme uniquement. De même, les hommes n'ont pas à exister comme un sexe ambulant cherchant à se décharger. Il reste de la place pour des femmes qui s'accomplissent en tant que tel, indépendament des hommes, des hommes qui ont le droit d'être sensible, introverti ... Mine de rien, sous couvert d'un manga aux faux airs de comédie romantique glauque, c'est bien une histoire de genre qui questionne nos perceptions de celui-ci. Les personnages sont en souffrance, mais aussi en questionnements sur leur vie, et je trouve ces questions pertinentes. Diablement pertinentes même. Il y a une histoire qui reste optimiste, même si l'auteur précise que sa réalité ne l'est pas autant, et la fin peut sembler idéale mais c'est surtout une manière de faire comprendre la voie que l'auteur choisit. Une voie loin des représentations d'une société sexiste qui fait autant de mal aux hommes qu'aux femmes, une voie pour s'émanciper et vivre heureux loin des impératifs de représentations de genre. Pour finir, je dirais juste que cette BD me fait poser repenser à mon neveu de deux ans, que ma sœur habille volontiers en rose parce qu'il aime ça, qui a les cheveux longs et que beaucoup de gens confondent avec une petite fille. Et je me dis que notre société qui te catégorie à deux ans dans un genre avec des codes et des attentes spécifiques n'est peut-être pas une société si idéale que ça ...

29/02/2024 (MAJ le 11/01/2025) (modifier)
Couverture de la série Une épatante aventure de Jules
Une épatante aventure de Jules

J'entends déjà les gens s'écrier "5 étoiles ?! Mais c'est cinq fois plus que un !". Eh bien oui : 5 étoiles ! Pour moi, cette série mérite amplement un statut de culte. Les récits sont entraînants, les personnages attachants, les dialogues dynamiques et drôles, ... Bref, ça se lit bien. Mais au delà d'être simplement agréable à lire, les récits sont aussi intelligents. Quelle claque je m'étais prise dans ma jeunesse lorsque j'étais tombée sur les problématiques soulevées dans ces histoires, et quelle admiration j'avais pour l'intelligence et la maturité dont faisaient preuve les protagonistes. Cela doit bien être la seule série jeunesse qui me vient en tête qui arrive à rendre accessibles et intéressantes les problématiques de la bioéthique à des enfants. Parmi les diverses problématiques soulevées dans la série (scientifiques ou non), on pourra retrouver l'individualité d'un clone vis-à-vis de la personne de qui proviennent ses gènes, la question de Dieu et de la foi, ce qui fait ou non une famille, l'écologie, notre propre mortalité et surtout (surtout) l'égo scientifique - et même plus généralement humain. Et encore, je suis sûre que je dois en oublier. Chaque album est une aventure à part entière, soulevant ses questions propres, mais on y suit tout de même une évolution des personnages. Nos protagonistes, notamment, murissent beaucoup (tant physiquement que psychologiquement) aux gré de leurs aventures. Tiens, à propos des protagonistes, il serait peut-être temps de les présenter. Tout d'abord, il y a Jules, sans aucun doute LE protagonistes de ces histoires. C'est un enfant qui nous est presque présenté comme lambda dans le premier album. Il est jeune, vif, impétueux, fana de jeux-vidéos et désireux d'aventures. Il gagnera beaucoup en maturité au fur et à mesures de ses aventures, finissant par devenir une figure plus calme et réfléchie (voir même quelques fois un peu en retrait). Il est également grandement défini par sa famille, chaotique au possible, avec sa mère constamment bloquée au foyer, son père assez égocentrique et étroit d'esprit, et son petit frère proprement idiot. C'est principalement par elleux (même si d'autres personnages secondaires aident aussi) que l'on marque la distinction entre les gens idiots et les autres. Attention ! Pas que la série tente nécessairement de faire un discours pédant, les personnages présentés comme intelligents dans cette série ne sont pas nécessairement présentés comme des scientifiques (malgré le fait qu'on parle beaucoup de science) et les idiots sont encore moins présentés comme des gens prédisposés à la bêtise. Non, dans cette série, les gens intelligents sont simplement celleux qui s'ouvrent à l'impossible, les rêveurs ou tout simplement les gens désireux de découvrir le monde qui les entoure. L'idiotie dans ces histoires n'est pas une fatalité mais un choix (et une source de gags). Peut-être faudrait-il d'ailleurs plus parler d'étroitesse d'esprit que de bêtise. Mais Jules ne vit pas ses aventures seul et sera majoritairement accompagné de Janet (fille d'une éminente scientifique britannique), Tim (un alien télépathe à tendances sarcastiques), Salsifi (autre alien et souffre-douleur de Tim) et Bidule (son cochon-dinde). Et bon, sa famille aussi quelques fois, mais ça c'est bien contre le gré de ce pauvre Jules. Voilà, j'espère ne pas avoir été trop lourde, trop longue dans ma présentation de cette série et de ces personnages. J'ai bataillé pour écrire cet avis, j'ai même tenté par quatre fois de le réécrire entièrement durant ces deux mois. Mais voilà, j'avais tant de choses à dire que je finissais toujours par devenir fouillis. J'aime énormément ces personnages, leurs histoires et leurs dialogues. C'est sans conteste la meilleure série que j'avais découverte enfant (et elle a réussi à conserver ce statut de culte même après toutes ces années, même après le passage à l'âge adulte). Vraiment, si vous ne connaissiez pas, que vous avez réussi à me lire jusqu'au bout et que j'ai (par miracle) réussi à vous convaincre de tenter cette lecture, foncez !

10/01/2025 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5
Couverture de la série Mezek
Mezek

En temps de guerre, un soldat obéit aux ordres. - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Sa première édition date de 2011. Il a été réalisé par Yann (Yann Le Pennetier) pour le scénario et par André Juillard (1948-2024) pour les dessins et la mise en couleurs. Il comprend soixante planches de bande dessinée. Il se termine avec une liste de douze ouvrages consultés, une biographie de chacun des deux auteurs et leur bibliographie. Israël, en juin 1948, dans un quartier de Tel-Aviv, les habitants vaquent à leurs occupations quotidiennes dans la rue, quand soudain retentit la sirène signalant une attaque aérienne. Un homme crie qu’il s’agit de l’aviation égyptienne, encore elle. Une femme fait descendre son enfant du bus pour qu’ils se mettent à l’abri. L’escadrille d’avions survole la ville et lâche ses bombes. Soudain, les avions de l’Israeli Air Force apparaissent dans le ciel et contrattaquent, chassant les ennemis et se lançant à leur poursuite. Ils parviennent à en abattre deux, et les autres s’éloignent hors de portée. L’un des pilotes se félicite : quelle débande ! Des Spitfire égyptiens descendus pas des Messerschmitt ornés de l’étoile de David ! Mais un autre pilote signale qu’un avion de leur formation a été abattu et que le sien est incontrôlable. Ils rentrent à l’aéroport de Herzliya, au nord-est de Tel-Aviv, la base du Squadron 101. Le mécanicien Samuel se précipite vers le premier chasseur à atterrir, celui de Björn : il demande ce qu’il est arrivé aux deux autres Mezek. Le pilote répond qu’il se sont crashés. Soudain l’avion de Max atterrit en faisant une culbute, l’avion prend feu, le pilote meurt prisonnier du cockpit alors que son avion explose. Modi Alon, le commandant de la base fait le bilan de cette sortie avec Björn et Jackie Moggridge qui est en train de le panser : C’est une catastrophe ! Il continue : Trois appareils perdus en une seule opération, sans compter les précédents, le tiers de leurs chasseurs en état de combattre, l’Israeli Air Force ne peut pas se permettre une telle hécatombe. Björn fait observer qu’il ne faut pas oublier la mort de trois excellents pilotes. Le commandant se montre plus dur : Des mercenaires qui savaient ce qu’ils risquaient et qui étaient grassement payés pour le faire ! Il explique : À cause de l’embargo international, il est beaucoup plus facile pour Israël d’acheter des pilotes que des appareils. Il continue : il s’agissait de mercenaires comme Björn. Ce dernier répond qu’il sait parfaitement ce qu’il a à faire, le problème ce sont ces maudits Mezek, ces foutus Tchèques leur ont vendu à prix d’or des cercueils volants. Alon rétorque qu’ils n’ont pas eu le choix. La Tchécoslovaquie a accepté de leur vendre des chasseurs malgré le blocus. Alors même si ces satanés engins ne sont pas absolument casher, c’est tout ce qu’ils ont pour défendre le pays et les pilotes devront continuer à faire avec. La base attend une nouvelle livraison de quinze de ces Mezek démontés et transportés clandestinement de la base tchèque de Zatec jusqu’à Tel-Aviv. Le commandant compte sur Björn pour respecter son contrat et apprendre à ses pilotes à dompter ces satanées mules. Un titre énigmatique, un dessin cryptique (Il va être question d’un avion à hélice ?), mais aussi la promesse d’une bande dessinée ambitieuse créée par deux auteurs de renom publiée dans une collection prestigieuse. Les premières scènes permettent au lecteur de se faire une idée : une narration visuelle de type descriptive et réaliste, un récit ancré dans une réalité historique très précise. La création de l’état d’Israël a été proclamée le 14 mai 1948 par David Ben Gourion (1886-1973), au terme du mandat britannique, conformément au Plan de partage de la Palestine voté par l’ONU le 29 novembre 1947. Le lecteur se trouve vite confronté à un certain de mots qui lui parlent plus ou moins, en fonction de sa familiarité avec l’histoire de cet état, la situation géopolitique de 1948, et des termes hébreux. Pour ces derniers, le scénariste les traduit en bas de page : Egrof (poing), Be hezrat (Si Dieu le veut), Shiksa (jolie fille non-juive), Kugel (dessert hébreu), Schlemiel (abruti), Sodi beyoder (top secret), Hitsk (tête brûlée), etc. Pour les forces politiques et militaires en présence, en revanche, elles sont mentionnées dans les conversations, par des personnages qui savent de quoi ils parlent, sans incorporer artificiellement des explications dans les dialogues ou des cartouches de texte. Charge au lecteur de savoir ou de se renseigner sur différentes dimensions historiques. À commencer par la guerre israélo-arabe de 1948-1949, dont les tout premiers jours voient le bombardement de Tel-Aviv par des avions égyptiens, ce qui correspond à la scène d’ouverture de la bande dessinée. De la même manière, le scénariste évoque les faits et le contexte de l’époque comme étant connus de tout le monde, ainsi que les différentes institutions et organisations. Il est possible que le lecteur soit amené à se renseigner plus avant sur la Ligue des États arabes (fondée le 22 mars 1945), sur la Haganah et son lien avec la Force de défense d’Israël, sur l’Irgoun (Irgoun Zvaï Leoumi, organisation militaire nationale) fondée par Menahem Begin (1913-1992) et les convictions politiques de celui-ci, le Palmach (une force paramilitaire juive sioniste de Palestine mandataire), sans oublier le Sha’y (service de renseignement et de contrespionnage de la Haganah). Il suffit au lecteur de situer ces organisations de manière grossière pour que le récit lui soit intelligible, sinon certains enjeux lui resteront nébuleux. D’un autre côté, des notes en bas de page ou des remarques des personnages viennent expliciter d’autres éléments comme Kaddish (prière des morts), Kadap (technique d’autodéfense ancêtre du Krav Maga), Pancake (atterrissage en catastrophe), IAF (Israeli Air Force), et même de manière inattendue la référence à Mary Poppins (personnage principal du film de 1964, du même nom produit par les studios Disney). Par comparaison, le scénariste et le dessinateur se montrent beaucoup plus didactiques pour tout ce qui relève des avions de chasse et des bombardiers de ce récit. Ils établissent le contexte du Squadron 101 : formé le 20 mai 1948, six jours après qu'Israël a déclaré son indépendance, et la constitution de son équipe de pilotes comprenant à la fois des Israéliens et des mercenaires. Ils expliquent la provenance des chasseurs, ainsi que les difficultés techniques de leur pilotage. Ils développent le mot utilisé pour le titre, une mule, appliqué aux Messerschmitt fabriqués dans une usine tchécoslovaque et livrés en Israël, par un subterfuge à base de fausse société de production de films. Grâce à eux, le lecteur assiste à livraison du premier avion bombardier pour l’escadron : un B-17, aussi connu sous le nom de Forteresse volante, construit par la société Boeing. Il est également question de la livraison des premiers (Supermarine) Spitfire de conception et de fabrication britanniques. Il ne manque à l’appel que l’appellation spécifique desdits Messerschmitt construit en Tchécoslovaquie : Avia S-199. Le lecteur peut compter sur le dessinateur pour des représentations précises et authentiques de ces différents avions. Il remarque également le soin apporté aux autres moyens de locomotion : modèle d’autocar, modèle des avions égyptiens, véhicules militaires de transport, blindés, moto de Björn, Jeep et même un moteur de Mezek démonté. Juillard utilise un trait très fin et très précis pour détourer les formes, avec parfois quelques traits secs pour donner un peu plus de relief, ou marquer des plis sur les vêtements. Le lecteur déguste les dessins qui présentent une forte filiation avec la ligne claire : trait noir d'épaisseur régulière pour tous les éléments de dessin, pas d’ombre dessinée pour les personnages (mais présentes pour les véhicules), uniquement des cases rectangulaires disposées en bande, se permettant la fantaisie d’une poignée de cases en insert. Pour autant, l’artiste a choisi de s’affranchir de la limite des couleurs en aplats pour introduire des nuances plus foncées venant rehausser le relier des formes, et marquer l’ombre des personnages. Ainsi la narration visuelle semble s’apparenter à un reportage en prises de vue réelle, ce qui place le récit sur le plan du témoignage en (quasi) temps réel, avec l’avantage d’un placement de caméra le mieux choisi par rapport au moment de chaque scène. Le lecteur se rend compte que la narration visuelle semble presque épurée, avec des cases lisibles au premier coup d’œil, et que dans le même temps, elle apporte énormément d’élément d’informations qui viennent compléter les dialogues, sans redite. Il peut ainsi apprécier les paysages des différents lieux d’Israël, allant de la base du Squadron 101 assez spartiate, aux bains de minuit. Le dessinateur place ses personnages dans le même registre réaliste, avec une discrète touche romanesque pour Björn et certains paysages féminins, ainsi qu’une sensualité inattendue à l’occasion des bains de minuit. Le scénariste dirige une distribution d’une dizaine d’acteurs pour les rôles principaux, et le dessinateur leur donne une apparence différenciée, ainsi que des expressions de visage dans un registre adulte, qui font parfois apparaître une émotion non contrôlée, à la suite d’un événement traumatisant, ou une découverte générant une vive surprise. Ainsi la vie personnelle de chaque personnage se trouve façonnée par ces circonstances exceptionnelles : les premières semaines de vie d’un nouveau pays qui est déjà en guerre. La trame de fond évoque la naissance d’une nation, la constitution de son armée, les conséquences de l’embargo, le rôle des Nations Unies, et en sous-entendu l’espoir d’une paix mondiale. De manière organique, chacun des principaux personnages incarne une origine différente. Des Juifs vivant déjà dans la région avant la création de l’état d’Israël, totalement légitime dans le rôle de militaire défendant son pays, voire même obligé par les circonstances à endosser ce rôle. S’il en a la curiosité, le lecteur découvre que Modi Alon (1921-1948) a réellement existé : un pilote de chasse israélien, commandant d’un escadron de chasse ayant participé au premiers combats de l'IAF le 29 mai et le 3 juin 1948. Björn a le statut de mercenaire étranger au sein de cet escadron, avec une histoire personnelle très particulière pendant la seconde guerre mondiale. Il y a un Juif américain qui se retrouve à être mercenaire également, une combattante du Plamach, etc. Le lecteur voit la diversité des origines des combattants côté israélien. La couverture promet vaguement une histoire de guerre sans beaucoup plus de précision. La narration visuelle emporte tout de suite le lecteur à Tel-Aviv en 1948 : un lieu et une époque bien définis, avec des dessins minutieux réalisant une reconstitution historique solide et facile à lire. L’intrigue se déroule au tout début de la guerre israélo-arabe de 1948-1949, aux côtés du premier escadron de l’armée de l’air israélienne. Sous réserve qu’il dispose de quelques connaissances sur cette période à cet endroit du globe, le lecteur découvre un récit intégrant plusieurs dimensions : reconstitution historique et mission épineuse pour arrêter l’Antinea, difficultés à surmonter pour faire exister cette armée de l’air, réalité de la diversité des vies des êtres humains attachants constituant ladite armée, se retrouvant à défendre l’état d’Israël contre un ennemi extérieur, et un risque intérieur. Une réalité complexe.

09/01/2025 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Pieter Bruegel
Pieter Bruegel

Le mensonge marche, comme l’estropié, avec des béquilles. - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre, une histoire autour du peintre Pieter Bruegel (1525-1569). Son édition originale date de 2015 ; il fait partie de la collection Les grands peintres. Il a été réalisé par François Corteggiani pour le scénario, Mankho (Dominique Cèbe) pour les dessins, par Bonaventure pour les couleurs. Il comprend quarante-six pages de bande dessinée. À la fin se trouve un dossier de six pages, rédigé par Dimitri Joannidès, intitulé Philosophe du burlesque, composé de sept parties intitulées : Une inspiration flamande, Un fin observateur de son siècle, Le premier homme des tavernes, Un révolutionnaire au cœur simple, La danse pathétique des cinq mendiants, Le fondateur d’une dynastie, Une disparition prématurée. Bruxelles, le cinq juin 1568, le bourreau cagoulé de noir attend les deux condamnés à mort. Dans l’immense palais, le conseiller se permet de dire au duc d’Albe qu’il n’aurait pas dû faire ça, ce à quoi son interlocuteur répond qu’il le sait. Il ajoute que ce qu’il aurait dû faire, c’est de s’assurer de la personne de Guillaume d’Orange, et ce avant qu’il ne quitte Bruxelles pour se réfugier en Saxe, chez son beau-père. La charrette continue d’avancer lentement, tirée par un cheval, vers le gibet, scène observée discrètement par un individu barbu avec un petit chapeau, derrière la rangée de curieux. Le duc d’Albe continue : les comtes d’Egmont et de Hornes seront décapités pour l’exemple. Il répond à son conseiller : peu importe que cela horrifie la populace qu’on touche à ces personnes, du moment que cela les terrifie en premier lieu. Il espère que cette exécution calmera l’ardeur de ces calvinistes, iconoclastes et de tous les protestants. Même si ce sont des catholiques, il estime que ce sont avant tout des traitres, des opposants forcenés à la politique du bon roi Philippe II. Des gueux comme ils aiment à se nommer depuis ce bon mot de monsieur de Berlaymont. Le seigneur du Breucq, Guislain de Haynan en tua trop peu dans ces marais, l’année dernière. Les comtes d’Egmont et de Hornes ont gravi les marches, les mains attachées dans le dos. Ils se tiennent devant le bourreau. Ils s’agenouillent, et le bourreau abat son épée pour leur trancher la tête. Dans le palais, le duc d’Albe continue de marteler sa position : le duc d’Egmont était le gouverneur de la Flandre et de l’Artois, c’est du passé. Lui et les autres, tous les autres, vont regretter amèrement que ce ne soit plus Marguerite de Parme qui les gouverne. Il révèle à son conseiller que des reitres bien informés, et surtout grassement payés par ses soins, sont sur les traces du seigneur de Nassau, prince d’Orange. Le conseiller fait observer qu’il n’est pas seul, dit-on, à guider la révolte. On parle de trois hommes, peut-être cinq… Bourgeois, nobles ou paysans dont on ignore tout et d’autant moins le nom et le faciès. Le duc d’Albe en fait son affaire : un homme torturé a révélé le signe de reconnaissance utilisé par les rebelles, il s’agit un tableau de format réduit. Voilà qui est déconcertant : le lecteur tourne la dernière page sans être bien sûr que Pieter Bruegel figure dans ce récit ! Une certitude : la présence du tableau Les mendiants (1568), attribué à Pieter Brueghel l'Ancien (oui, parce que les auteurs ont préféré l’orthographe plus simple de Bruegel, plutôt que celle qui fait autorité avec un H). Pour le reste, le lecteur assiste à une opération militaire dans la répression d’un mouvement de rébellion en Belgique. D’ailleurs, il est possible qu’il perde rapidement pied s’il s’élance dans cette lecture sans quelques connaissances historiques. Le scénariste énonce bien des noms, des alliances, quelques éléments de contexte, sans les détailler. Un petit tour sur des sites de référence permet de mieux saisir ce qui se passe. Le lecteur peut commencer par le duc d’Albe : Ferdinand Alvare de Tolède y Pimentel (1507-1582), un Grand d'Espagne qui a exercé les fonctions de régent des Pays-Bas espagnols, à partir de 1567, au début de la guerre de Quatre-Vingts Ans, sous le règne de Philippe II. La scène introductive de peine capitale correspond à une décision dudit vice-roi, dans le cadre de sa mission confiée par Philippe II, en qualité de chef de la Contre-Réforme catholique, après avoir mis en place un organisme judiciaire exceptionnel, le Conseil des troubles. Lamoral, comte d'Egmont (1522-1568) est un général et un homme d’État des Pays-Bas des Habsbourg, ayant exercé la fonction de gouverneur de la Flandre et de l'Artois. Le comte de Hornes (vers 1518-1568, Philippe II de Montmorency-Nivelle) est un noble des Pays-Bas bourguignons et des Pays-Bas espagnols, parent du comte d’Egmont. Leur exécution sert de point de repère historique pour le début de Guerre de Quatre-Vingts ans qui aboutira à la reconnaissance par l'Espagne, en 1648, de l'indépendance de la République des Provinces-Unies. Pour autant, le lecteur peut se lancer dans cette histoire sans bien saisir la complexité du contexte historique, en s’attachant plutôt à l’intrigue telle qu’elle apparaît au premier degré. Les Pays-Bas sont sous le joug du gouvernement Philippe II (1527-1598), roi d’Espagne, il existe un mouvement de rébellion. Le duc d’Albe représentant de l’autorité du roi d’Espagne a mis en œuvre des actions de répression : exécutions pour trahison, réseau d’espions, interrogatoires sous la torture, action militaire pour exterminer les rebelles. À partir de la page dix, l’envoyé du duc d’Abe arrive à la tête de plusieurs dizaines d’hommes dans un village où se trouveraient soit les traîtres et rebelles à l’autorité du roi d’Espagne, soit le ou les auteurs du petit tableau qui sert de signe de reconnaissance. En effet, plus individus du village conspirent contre le roi d’Espagne, et ils se sont préparés à la venue des forces armées. Celles-ci sont menées par un individu masqué : Don César Blasco de Lopez, surnommé le diable rouge, ou également la main gauche du démon, et portant un masque rouge intégral orné de deux cornes de bouc. Le récit se focalise alors sur quelques heures dans une journée : les villageois résistant à la force armée. La narration visuelle s’inscrit dans un registre descriptif et détaillé, hérité de la ligne claire, engendrant une immersion tangible pour le lecteur. L’artiste a effectué un solide travail de recherche pour réaliser une reconstitution historique consistante. Après une case de la largeur de la page avec un très gros plan sur les yeux du bourreau, le lecteur bénéficie d’une autre case de la largeur de la page représentant les étages supérieurs de l’hôtel de ville de la grand-place de Bruxelles, avec une minutie impressionnante. Troisième case de la largeur de la page : le lecteur prend le temps de regarder les bâtiments en arrière-plan des deux comtes, avec un grand soin apporté aux rambardes en pierre taillée du premier étage. Il ralentit également sa lecture pour admirer les poutres apparentes de la salle où se tiennent le duc d’Albe et son conseiller, les boiseries, bancs, table et chaises. Puis il les suit alors qu’ils empruntent un escalier menant à des pièces souterraines sous voute, en jetant un coup d’œil à la lourde porte en bois avec ses ferrures, aux arches, et aux supports des bougies et des torches. Lorsque le récit passe dans le village, l’artiste apporte le même soin minutieux à la représentation des différents bâtiments, extérieur comme intérieur, aux ponts. Il remarque la grande case de la largeur de la page dans la planche onze : une déclinaison du tableau Chasseurs dans la neige (1565) du peintre. Il note également le soin apporté aux tenues vestimentaires : celles sophistiquées du duc et des citadins, celles plus simples et pratiques des paysans. Alors que le détachement militaire arrive à la ville enneigée, le lecteur peut voir la voir depuis une position en hauteur, s’étalant devant lui, y compris le fleuve et les ponts, qui joueront un rôle par la suite. Il peut suivre la progression du rebelle qui s’enfuit par les toits, il note en passant l’isolation dans un grenier. Il souffre pour le soldat recevant une pierre en pleine mâchoire. Il sourit en voyant deux paysans bloquer une des portes de la ville, grâce à une charrette coincée et l’explosion de tonnelets de poudre qu’elle transporte. Il retient son souffle alors que le fuyard traverse la rivière gelée à pied. Il suit aisément la manière dont les soldats se retrouvent regroupés dans la grande place, conformément à la stratégie des paysans. La narration visuelle raconte chaque action avec une grande clarté, le lecteur établissant inconsciemment un parallèle avec André Juillard et les tomes de la série Masquerouge, avec Patrick Cothias. Il est pris de court quand une forme de surnaturel s’immisce dans la confrontation. Mais quand même, où est passé Pieter Bruegel ? Le lecteur se souvient qu’il figure en bonne place sur la couverture : c’est cet homme qui se tient derrière le diable rouge. En y repensant, il se rend compte qu’il a vu ce visage ailleurs : dans la dernière case de la première planche. Il fait ensuite le lien avec son tableau Les mendiants, et avec le contexte politique, éventuellement après avoir effectué les recherches nécessaires. Il se lance dans le dossier en fin de tome, et il parvient aux paragraphes consacrés audit tableau. Dimitri Joannidès passe en revue les différentes interprétations qui ont pu en être formulées. Une simple scène de la vie quotidienne, avec une marque inattendue d’empathie du peintre au dos du tableau (Estropiés, courage, que vos affaires s’améliorent). Ou bien il écrit : Chacun de ces mendiants pourrait représenter une classe de cette société malsaine et corrompue courant à sa perte, c’est-à-dire la monarchie, l’armée, la bourgeoisie, les paysans et les ecclésiastiques, chacune identifiée par son couvre-chef. Ou encore les auteurs ont pu choisir une autre interprétation : le tableau serait une version déformée de la Révolte des gueux, des calvinistes essayant de mobiliser la petite noblesse et la grande bourgeoisie pour combattre la domination espagnole. Ce qui semble correspondre exactement à la présente intrigue. Dans cette collection, l’horizon d’attente implicite consiste à réaliser une biographie, parfois partielle, d’un grand peintre. Ce tome sort du lot par son parti pris. Le grand peintre ne figure que dans une case et sur la couverture : il n’est pas question de sa vie, qui est assez mal connue. En lieu et place, la narration visuelle réalise une belle reconstitution historique bien nourrie et détaillée, et raconte une histoire d’attaque de soldats espagnols contre un village flamand abritant des rebelles. Le scénariste place le tableau Les mendiants au centre de cette révolte, mettant en scène l’une des façons d’interpréter l’œuvre de Pieter Bruegel, et l’artiste y glisse des allusions visuelles comme à la toile Chasseurs dans la neige. Déconcertant, et totalement convaincant.

08/01/2025 (modifier)
Par Badus
Note: 5/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Very Bad Ping
Very Bad Ping

Very Bad Ping, Premier set, est une BD accessible à tout lecteur/trice : pas besoin de pratiquer le ping-pong en club pour se plonger dans l'univers du ping ! De style franco-belge, on y retrouve l'influence de séries comme Joe Bar Team, Gaston Lagaffe, Le Petit Spirou. L'humour est décapant avec des chutes percutantes... Difficile toutefois d'être objectif puisque j'en suis l'un des auteurs (précision de taille quand même) ! Un travail de 7 années, une BD fabriquée avec le cœur. Les gags ne vous laisseront pas indifférent/e. Very bonne lecture !

07/01/2025 (modifier)
Par grogro
Note: 5/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Champs de Bataille - L'histoire enfouie du remembrement
Champs de Bataille - L'histoire enfouie du remembrement

Champs de bataille est une BD d'utilité publique. Très bien conçue, elle condense des années de recherches tout en restant accessible, mais surtout sans abdiquer sur le fond. Le contenu est tragique et vous colle un vrai coup de bambou car le constat est dramatique, c'est peu de le dire, et semble irréversible. Mais il faut la lire, tout le monde doit la lire. D'utilité publique que j'vous dis ! Bondiou ! Mais d'abord, de quoi ça cause ? Ben du remembrement pardi ! En gros, dans l'immédiat après-guerre, le pays est dévasté. C'est l'occasion ou jamais de faire entrer de plein fouet notre glorieuse nation dans la modernité et de l'arracher aux pécores qui, trop nombreux, entachent l'image du pays. Dans la foulée du plan Marshall, reprenant à leur compte un projet ébauché sous Vichy, la FNSEA va s'acharner à coups de lobbying et de primes accordées aux plus gros exploitants, à remodeler les terres et le paysage français. Une nouvelle guerre commence, menée cette fois à coups de bulldozers, qui verra progressivement l'ensemble des terres redistribué sans aucune prise en compte des réalités du terrain. L'Etat va ainsi raser les haies, faire disparaitre les chemins creux et les parcelles en partie boisées, et même détourner les cours d'eau. Tout cela afin d'adapter les pays aux dictats du commerce et de l'industrie mondiales. Les conséquences vous être, on s'en doute, désastreuses, au point qu'elles se font encore sentir aujourd'hui. Conséquences humaines : diminution du nombre de paysan (presque 9 sur dix), destruction des structures sociales villageoises, querelles de voisinages, perte d'autonomie et de compétences, endettement, perte de sens, stress, suicides en masse... Mais également conséquences écologiques d'une extrême gravité : destruction des écosystèmes, disparition des prédateurs, pollution des sols et des rivières, sécheresses et inondations (apparues dès les premières années du remembrement)... On en est là ! Pas la peine d'insister. Car oui, ce que nous vivons actuellement en France, est en grande partie une conséquence directe de politiques menées au détriment des populations. Il suffit de lire cette BD pour vous en convaincre ! Le dessin est nickel, tout comme la mise en couleur très efficace. Le récit est très bien ficelé et opère d'incessants aller retours entre l'Histoire et le concret, le passé et le présent. On passe de l'intime au général, tout cela se lit très très bien. On comprend vite, et grâce à un abondant matériel en annexe, ainsi que par de multiples renvois bibliographiques disséminés tout au long de la BD (références de livres, d'émissions télé ou radio, de documentaires filmés, d'articles), on sent la chose explorés dans ses moindres recoins. Tout cela est très solide. Rarement, je n'ai ressenti une telle nostalgie, qui plus est pour une période que je n'ai même pas connue (ou si peu), mais franchement, il y a de quoi vous tirer toutes les larmes de votre corps, ou susciter en vous une colère sourde. Parce que le pire dans tout cela, c'est qu'en réalité, on savait ! L'Etat savait et n'ignorait rien des conséquences de cette politique brutale imposée envers et contre tout !... Heureusement, les dernières pages offrent une lueur d'espoir. Disons plutôt une étincelle d'espoir tant les dommages semblent aujourd'hui irréversibles. Mais lire cette BD, aussi sombre que lumineuse, constitue une première étape : mieux comprendre comment on en est arrivé là. Le suite appartient à chacun-e d'entre nous, et libre à nous de nous en saisir.

07/01/2025 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Fournier - Ma vie de rêves
Fournier - Ma vie de rêves

… comme l’enfant qu’il était et qu’il est resté par bien des côtés. - Ce tome contient dix-huit histoires à caractère autobiographique, ainsi qu’un copieux dossier final de trente-cinq pages, intitulé Crobards, archives et compagnie. Son édition originale date de 2024. Il est l’œuvre de Jean-Claude Fournier pour le scénario, les dessins, les couleurs et les souvenirs. Il s’ouvre avec une préface écrite par Emmanuel Lepage : un texte d’une page intitulé Jean-Claude Fournier est un passeur, agrémenté d’une photographie en pleine page, en vis-à-vis. Il compte une centaine de pages de bande dessinée, auxquelles ils convient d’ajouter des textes intercalaires entre chaque histoire, agrémentés de documents d’archives, et le dossier final qui comprend également des pages de bandes dessinées. Drôle de tête, une page : Hôpital Tenon à Paris, le 21 mai 1948, à 21 heures, naissance de Jean-Claude Fournier, beau bébé, avec un crâne en pain de sucre. Le médecin accoucheur rassure les parents, : dans quelques jours il n’y paraîtra plus, le crâne va être manipulé, pressé, malaxé, massé, comprimé, il pourra même arriver qu’on lui souffle dedans. Le papa de Jean-Claude était parti à Paris pour échapper au STO. Avant de quitter le garage familial de Saint-Quay-Portrieux, il avait laissé un futur rejeton, en cadeau à sa maman. Comme elle tenait absolument à être près de son mari pour accoucher, elle partit pour la capitale en train, dans des conditions effroyables : c’était la guerre et l’Occupation… Il a donc vécu les trois premiers mois de sa vie à Paris, mais avec une tête redevenue normale en quelques jours, comme l’avait annoncé le médecin. Hélas, ainsi que ce brave homme l’avait redouté, il est diabétique ! Noël en auto, neuf pages ! Noël est encore loin, mais Jean-Claude et ses copains pensent déjà au cadeau qu’ils vont demander. Un appareil photo pour Jacky, une voiture pour Jean-Claude et pour son petit frère. Leur famille habitait un petit appartement en bois à l’intérieur d’un grand garage en tôle. Comme c’était au bord de la mer, le vent provoquait toutes sortes de bruits. Mais, c’est cette nuit-là que tout commença… Michel et Jean-Claude sont réveillés en pleine nuit par un drôle de bruit qu’ils n’arrivent pas à identifier. Le lendemain matin au petit-déjeuner, les parents sont très surpris de ce que racontent leurs deux fils, car ils n’ont rien entendu. – Parking diabolique, deux pages : le soir, le petit Jean-Claude a très peur de la profonde obscurité qui règne dans la maison, il se rend donc aux toilettes à tâtons. En bas de l’escalier, dans l’obscurité, il se fige : il a l’impression que plusieurs dizaines d’yeux l’épient. – Première BD, trois pages : Jean-Claude est très mauvais en sport à l’école, que ce soit le monter de corde, la course à pied, ou pire encore le football. Un jour, il se fait dribbler, et il chute lourdement, avec pour conséquence le bras gauche cassé et un plâtre pour un mois. Quelques jours plus tard, le maître d’école annonce un concours de bande dessinée proposé aux élèves de côte-du-Nord, sur le thème de la prévention routière. Le texte de quatrième de couverture explicite la nature du contenu : l’auteur retrace les anecdotes qu’il réservait jusque-là à sa famille et ses amis. Le lecteur peut être attiré par cet ouvrage parce qu’il connaît déjà l’œuvre de ce bédéiste et que sa curiosité le porte à en savoir plus, ou parce qu’il est curieux de découvrir lesdites anecdotes qui portent pour partie sur des auteurs qu’il admire, à commencer par André Franquin (1924-1997, créateur du Marsupilami et de Gaston Lagaffe), ainsi que Maurice Tillieux (1921-1978, créateur de Gil Jourdan), Arthur Berckmans (1929-2020, dit Berck, créateur de Sammy), Willy Maltaite (1927-2000, alias Will, un des piliers du journal de Spirou), et même un voyage en avion avec Morris (Maurice de Bevere, 1923-2001, créateur de Lucky Luke). Dans la préface, Emmanuel Lepage loue les qualités de Jean-Claude Fournier : il a toujours su se renouveler et explorer d’autres champs graphiques et narratifs. Il continue : il a su s’affranchir de cette école franco-belge qui a bercé son enfance, éveillé son désir de bande dessinée, tout en y étant profondément ancré, c’est sûrement pour ça qu’il dessine toujours aujourd’hui avec passion, comme l’enfant qu’il était et qu’il est resté par bien des côtés. En effet, la narration est bon enfant : enjouée, sans méchanceté à part pour le récit Le gang des démolisseurs (sept pages) qui évoque son départ de la série Spirou en 1980, avec des dessins dans un registre réaliste simplifié, avec parfois quelques exagérations enfantines. JC Fournier raconte une petite vingtaine d’anecdotes : la forme de son crâne à la naissance (une page), la préparation d’un cadeau de Noël par ses parents (neuf pages), sa première BD en école primaire (trois pages), sa fascination pour les bateaux-bouteilles (deux pages), un trajet en vélomoteur et en bicyclette de nuit à travers la Bretagne rurale pour aller voir un concert de bagad (dix pages), les premiers voyages à Bruxelles pour séjourner dans l’atelier d’André Franquin qui lui prodigue des conseils pour devenir meilleur professionnel (dix-neuf pages), les blagues entre collègues (deux histoires), la situation conflictuelle qui l’a amené à quitter la série Spirou (sept pages) et ce qu’il a fait après (neuf pages) en particulier sa collaboration avec Zidrou (Benoît Drousie) pour la création des personnages de la série Les Crannibales (huit tomes, de 1998 à 2005). En fonction de sa familiarité avec l’auteur, le lecteur s’attend peut-être à retrouver une narration visuelle tout public, voire enfantine, à l’identique de ses pages pour Spirou (série dont il a pris la suite d’André Franquin, et dont il a réalisé les albums 20 à 23 et 25 à 29, soit neuf albums), ou celles de sa série Bizu. Ou alors il a plutôt en tête une narration visuelle plus adulte, celle du diptyque Les chevaux du vent (2008 & 2012, scénario de Christian Lax) ou du diptyque Plus près de toi (2017 & 2019, scénario de Kris / Christophe Goret). Pour ses souvenirs et anecdotes, Jean-Claude Fournier réalise des dessins plus proche d’un registre réaliste et descriptif, avec parfois quelques exagérations ou simplifications telles que des gros nez ou de bonnes bouilles bien rondes. Il utilise un trait très fin pour le détourage des individus et des objets, ainsi que pour les décors, un peu tremblé par moment, ce qui génère un effet de dessin empreint de spontanéité, avec une sensation humoristique bon enfant en toute circonstance, même dans les moments difficiles. Le lecteur peut y voir comme une politesse et un symptôme d’humilité : l’artiste ne souhaite pas attribuer plus d’importance que ça à ses petits moments de vie personnelle, finalement pas grand-chose au regard de l’histoire de l’humanité. Dans le même temps, le lecteur ressent la narration visuelle comme construite et variée, l’expérience professionnelle infusant chaque page. L’artiste maîtrise à merveille le dosage de ses effets comiques, en particulier dans les expressions de visage, les moues et les mimiques. Il sait passer d’un registre mesuré et sérieux (tout est relatif) d’adulte, à des facéties enfantines (en particulier les farces de Maurice Tillieux lors des voyages en train). Il prend soin de dessiner les décors très régulièrement afin que le lecteur garde à l’esprit à chaque instant l’environnement dans lequel se déroule le souvenir : maternité, appartement familial, garage, salle de classe, infirmerie, maison d’un oncle, défilé d’un bagad dans les rues de Saint-Malo, lande bretonne et route de campagne, atelier de Franquin et magasin de fournitures de dessin, trains et compartiments, bureaux des éditions Dupuis, caravane, centrale nucléaire, etc. La mise en couleurs est réalisée à base d’aplats uniformes, avec parfois le recours à l’aquarelle le temps de quelques cases. L’auteur imagine des prises de vue variées, y compris pour les phases de dialogue statiques. Il a recours à un petit personnage à gros nez dans une tenue blanche à gros boutons noirs de Pierrot pour une case explicative, ou une transition entre deux moments. Sans en avoir l’air, la narration visuelle s’avère d’une grande richesse. Le lecteur apprécie de côtoyer des individus majoritairement sympathiques, quelques-uns facétieux, avec souvent le sourire aux lèvres, à la seule exception de cette terrible réunion de Fournier avec les responsables éditoriaux de Dupuis en 1980, qui a conduit à son abandon de la série. L’amateur de bande dessinée se délecte de ces anecdotes de cet environnement professionnel vu de l’intérieur. La personnalité de Maurice Tillieux. L’amitié développée avec Willy Maltaite (Will). Il se sent privilégié d’assister à la rencontre entre Fournier et Franquin, la manière dont ce dernier le prend sous son aile et l’aide à progresser en critiquant ses planches de manière constructive. La version de Fournier quant à son départ de la série Spirou, avec le contentement de pouvoir découvrir les cinq planches commencées pour le tome La maison dans la mousse, jamais réalisé. Le lecteur néophyte y trouve également son content. Il découvre un moment clé dans l’histoire de la bande dessinée franco-belge : la reprise de Spirou après Franquin. Il observe le témoignage d’une époque, avec des rapports sociaux plus policés, le port quasi généralisé de la chemise, avec ou sans cravate (et un nœud papillon pour Morris). Quelques modèles de voiture d’époque, dont une deux-chevaux. Une forme de camaraderie entre les différents bédéistes travaillant pour Dupuis. Il est ramené à la dure réalité des propriétés intellectuels quand l’éditeur impose une alternance d’auteurs pour produire plus d’albums, en opposition totale avec le sentiment de responsabilité personnelle de l’auteur vis-à-vis du personnage qu’il a contribué à développer comme si c’était sa propre création. Enfin, la réelle modestie et l’humilité de l’auteur s’avèrent compatibles avec des récits personnels et intimes, au travers desquels le lecteur en apprend plus sur lui. Certaines anecdotes combinent la dimension sociale de l’époque et le chemin de vie, telle celle sur la dédicace dans une centrale nucléaire. Un recueil de souvenirs d’un auteur de BD… S’il le connaît déjà, le lecteur est enthousiaste à la promesse d’en apprendre plus sur Jean-Claude Fournier, de retrouver sa personnalité assurée et modeste, et de profiter d’un regard dans les coulisses. S’il ne le connaît pas, il peut nourrir quelques doutes quant à l’intérêt que présente un tel ouvrage. Il est vite charmé par la personnalité de l’auteur, et très heureux de pouvoir partager ces moments avec lui. Il ressent que derrière l’apparence peut-être fruste des dessins, se trouve une narration visuelle riche et sophistiquée, le fruit de décennies de pratique.

07/01/2025 (modifier)
Par BENEYTO
Note: 5/5
Couverture de la série La Quête de l'Oiseau du Temps
La Quête de l'Oiseau du Temps

J'ai découvert la série au tout début donc il y a pas loin de quarante ans. J'ai eu pendant des années le dessin de Pélisse (qui était donné avec le N° 4 Collector) accroché à un mur de ma chambre. Je suis un fan absolu de cette série. Je regrette juste qu'ils aient mis aussi longtemps à écrire la suite (ou plutôt le prequel) qui est fabuleux lui aussi. Le final ne pouvait pas nous décevoir. Il est à l'image du final de la première série. C'est un monde à la Jack Vance. D'ailleurs, je proposerai bien à Loisel et Letendre de tenter de mettre en images au choix Rhialto le Merveilleux ou Cugel l'Astucieux.

04/01/2025 (modifier)
Par karibou79
Note: 5/5
Couverture de la série Les Bidochon
Les Bidochon

Mettre 5/5 à une BD dont le dessin est somme toute dégueulasse et sommaire peut laisser songeur. Mais cette note correspond au mot "culte" et c'est ce que je voue à cette oeuvre. Plus de 4 dizaines d'années que des albums sortent régulièrement et des (pas autant) dizaines d'années que je relis les Bidochon en m'étonnant à chaque fois d'être plié en 2 en suivant des tranchses de vie ordinaires. La manière dont sont dépeints les personnages, pas seulement Robert et Raymonde mais tous, est cruelle mais pas méchante alors que la bascule vers du Hara-Kiri aurait été facile. C'est cruellement marrant, les situations font mouche et rappellent des scènes vues ou vécues. Parfois on y reconnaît des personnes proches ou moins proches que l'on a croisées, parfois on s'y reconnaît soi-même. Qui n'a pas vécu un réveillon merdique, n'a pas connu des gens galérant avec un ordianteur, n'ayant pas eu de tracasseries administratives ou des emmerdes sur un chantier? Binet doit prendre des petites notes en douce à chaque fois pour les coucher sur papier. Et des notes qu'il doit sûrement archiver car les albums sont rapidement devenus thématiques: le logement collectif, les voyages organisés, la voiture... il y a en pour tous. Plus intéressant, Binet pointe parfois la bêtise de Robert pour ensuite montrer la manière dont on peut changer, le tome sur le tri écologique en est un parfait exemple. Raymonde, trouillarde et simplette, prend parfois son courage à 2 mains quand la situation est en passe de déraper. Et puis pour élargir un horizon finalement restreint, l'auteur a eu la bonne idée d'étendre sont univers avec Impondérables (Propos Irresponsables) qui est toutefois plus cynique, en quelque sorte le pendant des Idées Noires de Franquin.

02/01/2025 (modifier)
Couverture de la série Valentina
Valentina

Valentina est un chef-d’œuvre de la bande dessinée érotique. Crepax a développé un style si personnel, si révolutionnaire, qu’il ne peut être reproduit. Son utilisation de l’espace négatif et de lignes simples mais évocatrices crée un univers atmosphérique d’érotisme raffiné. La nature érotique de Valentina doit être abordée. Cette série a brisé des tabous et, selon moi, illustre parfaitement que l’érotisme offre le même potentiel de grandeur artistique que n’importe quel autre genre. Les aventures érotiques de Valentina peuvent être surréalistes, intelligentes, psychologiquement complexes, mais jamais vulgaires et jamais ennuyeuses.

01/01/2025 (modifier)