Qu’est-ce donc, jusqu’à maintenant, que j’ai cru être ?
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Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre, qui ne nécessite pas de connaissance préalable pour pouvoir l’apprécier. Son édition originale date de 2025. Il a été réalisé par Daria Schmitt pour le scénario, les dessins et les couleurs. Il se termine par dix-huit pages d’annexes. Une présentation de René Descartes, deux pages par Denis Kambouchner. Une présentation des onze scientifiques apparaissant dans l’ouvrage. Un texte expliquant ce qu’est donc devenue la grande baleine bleue échouée sur la plage d’Ostende le cinq novembre 1827. Une explication sur le crâne dénommé René Descartes, portant le numéro d’inventaire MNHN-HA-19220, au sein des collections d’anthropologie du Muséum national d’Histoire naturelle, par Ronan Allain. Un texte sur l’apport de Descartes pour les scientifiques, par Guillaume Lecointre. Le même auteur a également rédigé le texte suivant intitulé : À quoi sert l’anatomie comparée ? Et le suivant aussi : Une controverse célèbre, l’animal-machine contre l’animal-canevas. Et enfin une copieuse page de remerciements.
René Descartes chemine difficilement dans une forêt suédoise, sous les flocons qui virevoltent. Un peu plus tard des individus commentent : ne pas faire de bruit car il se repose, il n’y aurait pas de bien à lui tirer le sang. Le philosophe lui-même a ajouté que s’il devait mourir il le ferait avec plus de contentement s’il ne les voyait pas. Dans la forêt, Descartes tombe et il voit une apparition dans le ciel nocturne, un immense cétacé. Celui-ci s’adresse à lui. La baleine lui dit qu’on raconte que Descartes aurait trouvé l’art de vivre plusieurs siècles. C’est vrai que le philosophe est une tête. Ce dernier répond que ça fait longtemps qu’il a perdu sa tête, sinon il ne serait pas là. Partout ailleurs les langues progressent, et lui il est coincé comme un âne dans la neige et le froid. Il a toujours su que ce voyage ne lui réussirait pas. En substance, il a loupé une belle occasion d’écouter son intuition.
Qu’est-ce donc, jusqu’à maintenant, que Descartes a cru être ? Un homme, sans doute, mais qu’est-ce qu’un homme ? Va-t-il dire un animal raisonnable ? Non, parce qu’il faudrait après chercher ce qu’est qu’animal, et que raisonnable, et ainsi d’une seule question, il tomberait en plusieurs autres et plus difficiles… Mais il se rendrait plutôt attentif ici à ce qui jusqu’à maintenant, se présentait à sa pensée spontanément et tout naturellement, chaque fois qu’il considérait ce qu’il était… Ce qui se présentait d’abord, c’est bien qu’il avait un visage, des mains, des bras… Et toute cette machine d’organes telle qu’on l’observe aussi dans un cadavre qu’il désignait du nom de corps. Ce qui se présentait en outre, c’est qu’il se nourrissait, marchait, sentait, pensait. Actions qu’il rapportait sans doute à une âme. Mais cette âme, qu’est-ce que c’était ? On bien il ne s’y arrêtait pas ou bien il imaginait un minuscule je ne sais quoi sur le modèle d’un vent, d’un feu ou de l’éther, qui aurait été répandu dans les parties les plus grossières de son être.
Après avoir rendu hommage à Howard Philips Lovecraft (1890-1937) dans Le Bestiaire du crépuscule (2022), la créatrice réalise une bande dessinée évoquant René Descartes (1596-1650), une nouvelle fois à sa manière très personnelle. Le fil conducteur suit le sort du crâne du philosophe, bien sûr après sa mort. En fonction de sa familiarité avec ce grand homme passé à la postérité, le lecteur découvre les circonstances de sa mort en Suède, et l’incroyable histoire de cet os, idée qui est venue à la scénariste après avoir lu un petit livre qui racontait des histoires de reliques célèbres, celles de Richelieu, Charlotte Corday et René Descartes. Ainsi ladite relique passe successivement entre les mains de Dalibert trésorier de France, puis Alexandre Lenoir pendant la révolution française, Jöns Jacob Berzelius, Jean-Baptiste Joseph Delambre, Georges Cuvier, Franz Joseph Gall, Paul Richer, la plupart d’entre eux ayant la charge de prouver à nouveau son authenticité, c’est-à-dire qu’il s’agit bien du crâne du grand homme. Dans le dossier de fin d’ouvrage, l’autrice liste les scientifiques qui apparaissent au fil des pages : Georges Cuvier (1769-1832) anatomiste et paléontologue, Jean-Baptiste Joseph Delambre (1749-1822) astronome et mathématicien français, Charles-Léopold Laurillard (1783-1853) dessinateur naturaliste, anatomiste, paléontologue, Jean-Baptiste Monet chevalier de Lamarck (1744-1829) naturaliste français, professeur du Muséum national d’Histoire naturelle, Jöns Jacob Berzelius (1779-1848) chimiste, minéralogiste, médecin, Marie Alexandre Lenoir (1761-1838), peintre, écrivain, médiéviste, Franz Joseph Gall (1758-1828) médecin, neuroanatomiste, Paul Broca (1824-1880) médecin neuroanatomiste, anthropologue, chirurgien, Pierre-Louis Gratiolet (1815-1865) zoologiste, anthropologue, neuroanatomiste, Edmond Perrier (1844-1921), zoologiste, Paul Richer (1849-1933) neuroanatomiste, historien de la médecine, illustrateur et sculpteur scientifique.
Cette autrice joue avec les couleurs pour rendre compte de temporalités différentes, et de niveaux de réalité distincts. La bande dessinée commence dans des tons bleus pour la tempête de neige dans la forêt, avec des cartouches en fond bleu pour les commentaires des individus qui découvriront Descartes proche de rendre son dernier souffle, et des phylactères sur fond blanc pour le dialogue entre le philosophe et le cétacé céleste. Puis la bande dessinée passe progressivement au noir & blanc dans les pages dix et onze, avec une discrète rémanence de bleu dans le halo irradiant du crâne de Descartes. Le fond des cartouches devient plus gris que bleu, et les phylactères de dialogue conserve un fond blanc. Puis la couleur reprend le premier plan dans les pages trente-huit et trente-neuf, pour une séquence fantasmagorique, évoquant un plan spirituel. Le noir & blanc reprend, et la couleur revient dix pages plus loin, toujours dans une palette restreinte. L’histoire de la baleine échouée à Ostende se déroule en sépia. Ainsi le lecteur distingue bien le monde réel tangible, et celui plus onirique des esprits, le crâne irradiant de bleu indiquant qu’il participe de ces deux réalités.
Le lecteur retrouve les cases réalisées à la plume, avec une apparence de forte densité, du fait d’aplats de noir ou de hachurages serrés. Certaines pages contiennent également des dialogues copieux ce qui donne une sensation de lecture posée, parfois un peu lente, du fait du nombre d’informations visuelles et textuelles, sans pour autant être pesante. Le lecteur commence par ressentir cette atmosphère onirique et froide de la forêt enneigée, en pleine nature. Il trouve un écho lors des séquences spirituelles sur fond de végétaux ou d’animaux, ou de globules, ou encore de ciel étoilé, une forme de mise en scène du lien du vivant avec la nature et le cosmos. Il constate rapidement la créativité de la dessinatrice dans sa capacité à concevoir des plans de prises de vue variés pour les discussions entre le crâne et les ossements des animaux soigneusement conservés dans le Muséum nationale d’Histoire naturelle. La méticulosité de leur représentation leur apporte une tangibilité et une présence remarquable, aboutissant à des personnages consistants, alors même qu’elle respecte l’anatomie et la représentation exacte des squelettes. Les séquences historiques à Paris ou ailleurs bénéficient du même investissement et de la même rigueur : des décors reconstitués avec soin et exactitude, des personnages historiques fidèles aux représentations connues, des accessoires authentiques. Et les galeries du Muséum reproduites avec minutie et précision.
Le lecteur se laisse bien volontiers embarquer par cette histoire rocambolesque de crâne vadrouilleur. Il remarque vite qu’elle charrie d’autres éléments comme la notion d’anatomie comparée, les collections du Muséum nationale d’Histoire naturelle, les jeux de mots avec Os, l’enjeu d’établir avec certitude s’il s’agit bien du crâne de René Descartes, le concept d’animal-machine, la Restauration, les tableaux représentant le philosophe, l’histoire de la baleine échouée à Ostende le cinq novembre 1827, la phrénologie, l’estimation du degré d’intelligence en fonction de la taille du cerveau ou de son nombre de plis, l’extinction du dronte de Maurice, la crue de la Seine de 1910, la petite Francine (1365-1640), etc. Entremêlé à tous ces événements et thèmes, il perçoit également des bribes de la pensée de René Descartes, soit explicites, soit implicites. Pour écrire cette bande dessinée, l’autrice a relu ou lu de grands pans de son œuvre. Il est donc question de l’animal-machine et aussi de la méthode scientifique, ainsi que de la postérité de sa philosophie, et des personnes qui se réclament de sa pensée. C’est également l’occasion pour ce spectre habitant un crâne de prendre du recul sur son œuvre et sur sa vie. Et peut-être de faire amende honorable quant à la place du règne animal vis-à-vis de l’être humain.
Un titre énigmatique qui fait référence au crâne de René Descartes, séparé du reste de ses ossements et des tribulations qui l’ont mené dans les collections du Muséum national d’Histoire naturelle, sous le numéro d’inventaire MNHN-HA 19220. Une bande dessinée à la narration visuelle solide, soignée et riche, entremêlant reconstitution historique et spectres oniriques, engendrant une réflexion sur l’œuvre du philosophe et son héritage, ainsi que l’enjeu autour de l’authenticité d’un crâne. Remarquable.
Wow ! La claque !
Ca faisait longtemps ! Quelle puissance graphique ! Fluide, originale, forte, travaillée et lâchée. Un parti pris visuel également dans les couleurs extrêmement réussie.
Une narration bien construite, originale avec de nombreuses trouvailles. Une ville qui vit et qui est morte à la fois.
Des passages touchants.
L'année 2025 se rapprochant à l'heure ou j'écris, c'est l'une des meilleures lectures de l'année. C'est comme entrer dans une rivière fraiche et en ressortir vivifié, vivant, conscient. Merci à l'autrice pour cette bd très réussie.
Noir et blanc parfait et novateur : le fond, noir, offre un écrin pertinent, au propos bien noir : les Ogres règnent sur des Hommes qu'ils tuent soit par colère, soit pour les dévorer, certains étant élevés à cet effet ! Grandeur et décadence des humains du coin d'être tombés si bas, cependant que les autres continuent leurs progrès, avec des armes à feu pouvant changer le rapport de force. Grandeur et décadence d'Ogres consanguins de plus en plus bêtes et petits ! Cependant, certains Ogres se veulent humanistes, et certains humains dominer les leurs par les Ogres, voire manipuler ces derniers en sous-mains. Le dessin semi-réaliste est parfait : assez réaliste pour qu'on croie à l'action, laissant assez de place à l'indéterminé pour ménager sa place au rêve quand les Ogres relèvent tout de même du mythe.
Les femmes, humaines et Ogres, ne jouent pas les utilités : j'ai beaucoup aimé la grand-mère de Petit, ce personnage entre humain et Ogre qui n'est pas mal non plus. Et sa maman ! Un peu d'humour parsème les pages de l'histoire agrémentée de quelques pages expliquant mieux les tenants et les aboutissants, par exemple de la réforme ratée d'un Ogre roi éclairé, et l'origine de l'institutionnalisation du cannibalisme.
Seul bémol : l'inachèvement dont grâce aux commentateurs j'apprends qu'il est hélas, définitif !
Je pense qu'on peut dire beaucoup de chose sur cette BD, et je vais essayer de faire court. Mais je pense que cette BD est une merveille de lecture, que je ne peux que recommander à tout le monde.
Commençons tout de suite par ce qui peut poser problème : Oui, Jancovici est critiquable, oui il est critiqué. Voila, posons ça tout de suite, le personnage principal de cette BD est Jancovici, la BD parle de ses principes, ses idées et ses solutions. Ce qui veut dire tout de suite que si l'on est déjà en désaccord avec le gars, autant de ne pas se plonger dans la BD ! Il y pose ce qu'il dit ailleurs, de façon synthétique et didactique, pour expliquer ce qui lui importe.
Et je vais le dire immédiatement : je vois les limites de Jancovici, j'en connais quelques unes (notamment sur des questions historiques) mais je vais largement passer outre. En fait, je dirais même qu'on s'en fout complètement.
Parce que la BD parle du sujet le plus important de notre vie, peut-être même du seul sujet important : le changement climatique et son origine humaine. Raison qui a d'ailleurs conduit à repousser sa lecture pendant des années, vu que je fais de l'éco-anxiété très facilement et que je ne voulais pas m'infliger plus que ce que je vis déjà au quotidien. Et pourtant j'ai fini par la lire, conforté par plusieurs lectures que j'ai eu sur le même sujet (Le Vivant à vif, Horizons climatiques - Rencontre avec neuf scientifiques du G.I.E.C. ...) et avec l'envie de voir ce qu'il en était ici.
Comme à son habitude (j'ai vu plusieurs intervention du bonhomme), Jancovici se concentre sur son domaine d'expertise : l'énergie. C'est son domaine d'expertise et il sait s'y faire le bougre. C'est impitoyable comme démonstration de notre dépendance énergétique, avant tout au pétrole mais à tout le reste également. L'implacable changement provoqué par l'humain, l'horreur de l'addiction des sociétés humaines aux énergies fossiles et la difficulté que ce sera d'en sortir. Avec ou sans la volonté humaine, le pétrole va disparaitre et le climat changera. Reste à savoir comment on fera pour y survivre .. La BD n'est cependant pas que défaitiste et propose quelques (maigres) pistes dans le dernier segment pour essayer d'esquiver ce qui nous tombe dessus à une vitesse dont peu de gens semblent avoir idée. Je dirais que la fin est malheureusement très pessimiste et au regard de ce qu'il s'est passé entre la sortie de cette BD et aujourd'hui, je ne peux qu'abonder en son sens.
La BD est servie par le dessin de Blain qui a fait tout son possible pour rendre compte de ce qu'il en est. Les métaphores et les séquences explicatives utilisant toutes sortes d'appareil narratifs visuels sont parfaitement bien intégrées pour que l'on ne se rende pas compte du poids de la vulgarisation. C'est dense et clair, un excellent travail qui prouve encore une fois que Blain est un excellent auteur. Rendre ainsi clair et lisible de tels concepts est admirable !
J'ai dit au début que j'essayerais de faire bref, et je m'arrêterais alors bientôt en disant simplement ceci : lisez cette BD. Il est rare que je le recommande alors que j'ai quelques légers reproches à faire à celle-ci, mais je pense encore une fois que l'ampleur du phénomène, mal perçu et mal reçu, doit avoir l'écho le plus large possible. Les détails, les petits défauts que j'y vois sont minimes à côté de ce qu'elle dit. Et son message, aussi terrifiant et cruel soit-il, doit être entendu. Rien d'autre ne compte.
La couleur tout d abord, le dessin ensuite, le récit enfin, c'est dans cet ordre que j'ai découvert Azur asphalte de Sylvain Bordesoules. On sent vraiment le sud, le vent, le soleil, rien qu'à regarder la couverture on est déjà dans l'histoire. Manque le lien entre ces deux femmes, que l'on va découvrir au fur et à mesure du récit...Leur quotidien qui n a rien d'original, tiens ça ressemble étrangement au notre ... c est à la fois beau, les illustrations notamment les pleines pages sont magnifiques, et émouvant...est ce que la vie est plus facile sous le soleil ?
La servante est étonnante, à l'écoute de son patron, certes, mais aussi bien de toute autre personne se confiant à elle. Quel contraste avec l'aristocrate et tant d'autres seulement centrés sur leur personne ! C'est je pense cette ouverture à l'autre qui la prédispose à l'ailleurs, savoir aller en Amérique. Elle se fait payer le passage par la mère de l'aristocrate, qui finit par comprendre qu'elle le lui doit bien, sans parler du fait qu'elle n'apprécie guère l'influence que prend une servante. Le happy end est permis car pas tiré par les cheveux, et le vent d des grandes plaines d'Amérique fait du bien, après le brouillard londonien et la presque société de caste anglaise !
Le dessin et la couleur sont à la hauteur, et le mieux que je puisse en dire est qu'ils savent retranscrire la beauté intérieure de la servante. Les contraintes sociales sont aussi bien rendues. Et quel sourire final de notre héroïne en Amérique !
Un classique !
Quelle bonne idée : les méchants aliens n'envahissent que l'Amérique latine, car vue comme la partie la plus faible de la planète. Bien vu : il n'y a guère de solidarité entre nations. Un bémol : l'Afrique est encore plus désarmée, mais c'est un scénariste latino qui décide ! Et qui n'a que de bonnes idées, qu'on en juge. La pluie de neige brouille tout, indistinction de l'espace, l'Eternaute, lui, le voyageur temporel, brouille le temps, deux éléments nous plongeant dans une atmosphère de fantastique. De fantastique effrayant, car les gens sont attaqués ! Assaillis par des créatures aliens ou humaines attachées par des fils, manipulées comme des marionnettes, encore une grande idée symbolique et graphique.
Comme d'habitude, toute histoire d'intrusion doit commencer par un décor et des gens bien enracinés dans la réalité. Et l'Eternaute fait le job, parfait, absolument parfait.
L'extravagance du parfait, comme on le dit d'un vin, mais je ne vais pas me lancer là-dedans.. La brièveté de l'œuvre, sa vivacité… Bon, ok, je sais que nous sommes en France, mais les formes brèves valent autant que les longues, voir les nouvelles et les haikus et autres tankas ! Parfois, ce qu'on sait fait obstacle à la connaissance, comme on le voit encore ici. On sait qu'il y a eu des problèmes de parution, on en déduit que l'œuvre en a pâti. Certes, on a les probabilités pour soi, mais en vérité, ce cri contre la tyrannie et l'abandon des faibles surgit sans doute plus court mais plus dense que sous une forme longue…. Attention, je n'ai rien contre les sagas, je rappelle les vertus de la brièveté et de l'ellipse, les formes courtes valent autant que les longues, illustration :
« Fût-ce en mille éclats.
Elle est toujours là.
La lune dans l'eau ! »
Haiku de Ueda Chôsh qui est aussi beau que capable de remonter le moral… fut-ce un instant ! Dans cette poésie comme dans l'Eternaute, pointe l'éloge de la résilience, si l'un est plus passionné que l'autre. Il y a aussi la chaude amitié entre notre groupe de survivants combattant les envahisseurs. Œuvre ancrée dans son temps qui s'arrime au nôtre, elle est classique, non une œuvre qu'il faut avoir lu pour comprendre comment la BD évolue, mais parce que sa perfection la place au firmament avec quelques autres comme les Corto Maltese.
Noir destin des humains, griffés par le dessin, blanc qui fait éclater les formes et les cases, coïncidence des contraires, feu d'artifice de perfection, trésor à garder dans sa bibliothèque pour le rouvrir, ébloui, havre et tempête !
A l'origine, je regardais quelques images, je lisais quelques phrases de Corto, mais je comprenais que je n'étais pas prêt. Un jour enfin, j'ai senti qu'il était temps, j'ai lu et ne m'en suis jamais repenti. Quels traits, qui vous emportent comme la mer… Quel héros : Corto peut rester immobile, à fumer le cigare, sans qu'on s'ennuie, et on peut espérer que la suite dispensable ne le condamnera pas à mâchonner de l'herbe comme Lucky Luke. Et que de personnages pour lui donner la réplique ! On en trouve de toutes les couleurs, et je dirais que Hugo Pratt en a le droit, lui, alors que d'autres, non, trois fois non ! Pourquoi, parce qu'il sait les dessiner, déjà, on n'est ni dans la caricature, ni dans la fadeur, il rend parfaitement le corps humain, son visage, ses mouvements, tout…. Ensuite, en terme de perception, mais c'est aussi important, parce que Pratt connait et invente assez d'histoire pour que les gens de toutes les couleurs y soient non comme collection pour montrer de la diversité, mais des personnages d'histoires à part entière. Et quelles histoires ? La réalité et le rêve s'enrichissent mutuellement.
Même remarque pour les femmes que pour la diversité ethnique, sociale, religieuse, culturelle et psychologique. D'ailleurs ce fou de Raspoutine lui reproche d'être toujours entouré de trop de femmes ! Il y a aussi l'alcoolique Steiner qui nous montre un vieux savant assez émouvant dans sa dérive, et parfois, comme dans un spectacle, il y a des invités, des personnages historiques comme le Baron fou qu'une chinoise aidée d'une organisation secrète comme il en grouille dans Corto en Sibérie, contrecarre. Contrairement à une duchesse de cette aventure ou Bouche dorée de plein d'aventures, c''est après coup qu'on se rend compte de son importance.
C'est formidable, non ? Mais parfois, on est tout aussi heureux pour une mouette fendant l'air - par parenthèse, découvrez l'aventure provoquée par ce genre de volatile ! Ou bien pour des cases où le noir et le blanc font le… tango? Mais Corto, gentilhomme de fortune, né de la mer, est sans doute mieux suivi en commençant par la mer salée, dans les pas de Stevenson et sa navigation, et son île au trésor quand Corto en cherche tant, passionné et plein de détachement, mystérieux à l'image du monde qui se reflète dans ses yeux.
Krimi est une œuvre magistrale, autant sur le fond que sur la forme. Alex W. Inker livre ici un travail graphique absolument saisissant, réalisé à l’encre et au fusain, qui confère à chaque planche une profondeur et une texture incroyables. Les noirs sont d’une densité rare, les contrastes subtilement dosés, et le trait évoque la pellicule d’un vieux film. On y retrouve tout l’esprit du cinéma expressionniste allemand, ses ombres mouvantes et son esthétique du clair-obscur. Graphiquement, c’est un choc.
L’édition de Sarbacane est à la hauteur du contenu : grand format et dos toilé, un véritable écrin pour ce travail d’orfèvre. On sent une vraie volonté de mettre en valeur la matérialité du dessin, presque palpable à chaque page. C’est le genre d’album qu’on feuillette lentement, pour savourer la puissance de chaque composition.
Le scénario, signé Thibault Vermot, plonge dans la figure complexe de Fritz Lang, cinéaste de génie hanté par ses démons, son époque et la culpabilité. L’histoire entremêle la réalité et la fiction avec une grande maîtrise, tout en gardant une cohérence narrative et émotionnelle remarquable. Le rythme, lent mais tendu, accompagne parfaitement cette descente dans l’ombre.
Je conseille de voir le film M le Maudit avant de se plonger dans la BD : cela permet de saisir pleinement les enjeux artistiques et psychologiques du récit, et de comprendre comment Inker et Vermot dialoguent avec l’œuvre de Lang.
En somme, Krimi est plus qu’un simple polar : c’est une réflexion sur la création, la culpabilité et le pouvoir des images. Un album ambitieux, noir et superbe, servi par un duo d’auteurs en parfaite symbiose.
Hombre vit pour survivre. Son emploi du temps : trouver des balles pour son fusil et de la viande pour se nourrir.
Hombre et ses décors post apo sont dessinés de main de maître.
Hombre a des dialogues crus et intelligents.
Hombre croise tout un tas d'ordures et leur fait la faveur de les envoyer ad patres.
Hombre est désabusé, lassé mais a conservé ce fil rouge d'humanité qui le lie au monde.
Hombre ferait passer Jeremiah pour un bisounours.
Hombre a de faux airs de Sean Connery.
Hombre est difficilement trouvable en librairie, ce qui renforce son statut d'oeuvre culte.
Hombre a des airs de macho mais il se fait apprendre la vie par Attila, sa partenaire amazone.
Attila a la phobie des fringues.
Muchas gracias Hombre.
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La Tête de mort venue de Suède
Qu’est-ce donc, jusqu’à maintenant, que j’ai cru être ? - Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre, qui ne nécessite pas de connaissance préalable pour pouvoir l’apprécier. Son édition originale date de 2025. Il a été réalisé par Daria Schmitt pour le scénario, les dessins et les couleurs. Il se termine par dix-huit pages d’annexes. Une présentation de René Descartes, deux pages par Denis Kambouchner. Une présentation des onze scientifiques apparaissant dans l’ouvrage. Un texte expliquant ce qu’est donc devenue la grande baleine bleue échouée sur la plage d’Ostende le cinq novembre 1827. Une explication sur le crâne dénommé René Descartes, portant le numéro d’inventaire MNHN-HA-19220, au sein des collections d’anthropologie du Muséum national d’Histoire naturelle, par Ronan Allain. Un texte sur l’apport de Descartes pour les scientifiques, par Guillaume Lecointre. Le même auteur a également rédigé le texte suivant intitulé : À quoi sert l’anatomie comparée ? Et le suivant aussi : Une controverse célèbre, l’animal-machine contre l’animal-canevas. Et enfin une copieuse page de remerciements. René Descartes chemine difficilement dans une forêt suédoise, sous les flocons qui virevoltent. Un peu plus tard des individus commentent : ne pas faire de bruit car il se repose, il n’y aurait pas de bien à lui tirer le sang. Le philosophe lui-même a ajouté que s’il devait mourir il le ferait avec plus de contentement s’il ne les voyait pas. Dans la forêt, Descartes tombe et il voit une apparition dans le ciel nocturne, un immense cétacé. Celui-ci s’adresse à lui. La baleine lui dit qu’on raconte que Descartes aurait trouvé l’art de vivre plusieurs siècles. C’est vrai que le philosophe est une tête. Ce dernier répond que ça fait longtemps qu’il a perdu sa tête, sinon il ne serait pas là. Partout ailleurs les langues progressent, et lui il est coincé comme un âne dans la neige et le froid. Il a toujours su que ce voyage ne lui réussirait pas. En substance, il a loupé une belle occasion d’écouter son intuition. Qu’est-ce donc, jusqu’à maintenant, que Descartes a cru être ? Un homme, sans doute, mais qu’est-ce qu’un homme ? Va-t-il dire un animal raisonnable ? Non, parce qu’il faudrait après chercher ce qu’est qu’animal, et que raisonnable, et ainsi d’une seule question, il tomberait en plusieurs autres et plus difficiles… Mais il se rendrait plutôt attentif ici à ce qui jusqu’à maintenant, se présentait à sa pensée spontanément et tout naturellement, chaque fois qu’il considérait ce qu’il était… Ce qui se présentait d’abord, c’est bien qu’il avait un visage, des mains, des bras… Et toute cette machine d’organes telle qu’on l’observe aussi dans un cadavre qu’il désignait du nom de corps. Ce qui se présentait en outre, c’est qu’il se nourrissait, marchait, sentait, pensait. Actions qu’il rapportait sans doute à une âme. Mais cette âme, qu’est-ce que c’était ? On bien il ne s’y arrêtait pas ou bien il imaginait un minuscule je ne sais quoi sur le modèle d’un vent, d’un feu ou de l’éther, qui aurait été répandu dans les parties les plus grossières de son être. Après avoir rendu hommage à Howard Philips Lovecraft (1890-1937) dans Le Bestiaire du crépuscule (2022), la créatrice réalise une bande dessinée évoquant René Descartes (1596-1650), une nouvelle fois à sa manière très personnelle. Le fil conducteur suit le sort du crâne du philosophe, bien sûr après sa mort. En fonction de sa familiarité avec ce grand homme passé à la postérité, le lecteur découvre les circonstances de sa mort en Suède, et l’incroyable histoire de cet os, idée qui est venue à la scénariste après avoir lu un petit livre qui racontait des histoires de reliques célèbres, celles de Richelieu, Charlotte Corday et René Descartes. Ainsi ladite relique passe successivement entre les mains de Dalibert trésorier de France, puis Alexandre Lenoir pendant la révolution française, Jöns Jacob Berzelius, Jean-Baptiste Joseph Delambre, Georges Cuvier, Franz Joseph Gall, Paul Richer, la plupart d’entre eux ayant la charge de prouver à nouveau son authenticité, c’est-à-dire qu’il s’agit bien du crâne du grand homme. Dans le dossier de fin d’ouvrage, l’autrice liste les scientifiques qui apparaissent au fil des pages : Georges Cuvier (1769-1832) anatomiste et paléontologue, Jean-Baptiste Joseph Delambre (1749-1822) astronome et mathématicien français, Charles-Léopold Laurillard (1783-1853) dessinateur naturaliste, anatomiste, paléontologue, Jean-Baptiste Monet chevalier de Lamarck (1744-1829) naturaliste français, professeur du Muséum national d’Histoire naturelle, Jöns Jacob Berzelius (1779-1848) chimiste, minéralogiste, médecin, Marie Alexandre Lenoir (1761-1838), peintre, écrivain, médiéviste, Franz Joseph Gall (1758-1828) médecin, neuroanatomiste, Paul Broca (1824-1880) médecin neuroanatomiste, anthropologue, chirurgien, Pierre-Louis Gratiolet (1815-1865) zoologiste, anthropologue, neuroanatomiste, Edmond Perrier (1844-1921), zoologiste, Paul Richer (1849-1933) neuroanatomiste, historien de la médecine, illustrateur et sculpteur scientifique. Cette autrice joue avec les couleurs pour rendre compte de temporalités différentes, et de niveaux de réalité distincts. La bande dessinée commence dans des tons bleus pour la tempête de neige dans la forêt, avec des cartouches en fond bleu pour les commentaires des individus qui découvriront Descartes proche de rendre son dernier souffle, et des phylactères sur fond blanc pour le dialogue entre le philosophe et le cétacé céleste. Puis la bande dessinée passe progressivement au noir & blanc dans les pages dix et onze, avec une discrète rémanence de bleu dans le halo irradiant du crâne de Descartes. Le fond des cartouches devient plus gris que bleu, et les phylactères de dialogue conserve un fond blanc. Puis la couleur reprend le premier plan dans les pages trente-huit et trente-neuf, pour une séquence fantasmagorique, évoquant un plan spirituel. Le noir & blanc reprend, et la couleur revient dix pages plus loin, toujours dans une palette restreinte. L’histoire de la baleine échouée à Ostende se déroule en sépia. Ainsi le lecteur distingue bien le monde réel tangible, et celui plus onirique des esprits, le crâne irradiant de bleu indiquant qu’il participe de ces deux réalités. Le lecteur retrouve les cases réalisées à la plume, avec une apparence de forte densité, du fait d’aplats de noir ou de hachurages serrés. Certaines pages contiennent également des dialogues copieux ce qui donne une sensation de lecture posée, parfois un peu lente, du fait du nombre d’informations visuelles et textuelles, sans pour autant être pesante. Le lecteur commence par ressentir cette atmosphère onirique et froide de la forêt enneigée, en pleine nature. Il trouve un écho lors des séquences spirituelles sur fond de végétaux ou d’animaux, ou de globules, ou encore de ciel étoilé, une forme de mise en scène du lien du vivant avec la nature et le cosmos. Il constate rapidement la créativité de la dessinatrice dans sa capacité à concevoir des plans de prises de vue variés pour les discussions entre le crâne et les ossements des animaux soigneusement conservés dans le Muséum nationale d’Histoire naturelle. La méticulosité de leur représentation leur apporte une tangibilité et une présence remarquable, aboutissant à des personnages consistants, alors même qu’elle respecte l’anatomie et la représentation exacte des squelettes. Les séquences historiques à Paris ou ailleurs bénéficient du même investissement et de la même rigueur : des décors reconstitués avec soin et exactitude, des personnages historiques fidèles aux représentations connues, des accessoires authentiques. Et les galeries du Muséum reproduites avec minutie et précision. Le lecteur se laisse bien volontiers embarquer par cette histoire rocambolesque de crâne vadrouilleur. Il remarque vite qu’elle charrie d’autres éléments comme la notion d’anatomie comparée, les collections du Muséum nationale d’Histoire naturelle, les jeux de mots avec Os, l’enjeu d’établir avec certitude s’il s’agit bien du crâne de René Descartes, le concept d’animal-machine, la Restauration, les tableaux représentant le philosophe, l’histoire de la baleine échouée à Ostende le cinq novembre 1827, la phrénologie, l’estimation du degré d’intelligence en fonction de la taille du cerveau ou de son nombre de plis, l’extinction du dronte de Maurice, la crue de la Seine de 1910, la petite Francine (1365-1640), etc. Entremêlé à tous ces événements et thèmes, il perçoit également des bribes de la pensée de René Descartes, soit explicites, soit implicites. Pour écrire cette bande dessinée, l’autrice a relu ou lu de grands pans de son œuvre. Il est donc question de l’animal-machine et aussi de la méthode scientifique, ainsi que de la postérité de sa philosophie, et des personnes qui se réclament de sa pensée. C’est également l’occasion pour ce spectre habitant un crâne de prendre du recul sur son œuvre et sur sa vie. Et peut-être de faire amende honorable quant à la place du règne animal vis-à-vis de l’être humain. Un titre énigmatique qui fait référence au crâne de René Descartes, séparé du reste de ses ossements et des tribulations qui l’ont mené dans les collections du Muséum national d’Histoire naturelle, sous le numéro d’inventaire MNHN-HA 19220. Une bande dessinée à la narration visuelle solide, soignée et riche, entremêlant reconstitution historique et spectres oniriques, engendrant une réflexion sur l’œuvre du philosophe et son héritage, ainsi que l’enjeu autour de l’authenticité d’un crâne. Remarquable.
Le Grand Vide
Wow ! La claque ! Ca faisait longtemps ! Quelle puissance graphique ! Fluide, originale, forte, travaillée et lâchée. Un parti pris visuel également dans les couleurs extrêmement réussie. Une narration bien construite, originale avec de nombreuses trouvailles. Une ville qui vit et qui est morte à la fois. Des passages touchants. L'année 2025 se rapprochant à l'heure ou j'écris, c'est l'une des meilleures lectures de l'année. C'est comme entrer dans une rivière fraiche et en ressortir vivifié, vivant, conscient. Merci à l'autrice pour cette bd très réussie.
Les Ogres-Dieux
Noir et blanc parfait et novateur : le fond, noir, offre un écrin pertinent, au propos bien noir : les Ogres règnent sur des Hommes qu'ils tuent soit par colère, soit pour les dévorer, certains étant élevés à cet effet ! Grandeur et décadence des humains du coin d'être tombés si bas, cependant que les autres continuent leurs progrès, avec des armes à feu pouvant changer le rapport de force. Grandeur et décadence d'Ogres consanguins de plus en plus bêtes et petits ! Cependant, certains Ogres se veulent humanistes, et certains humains dominer les leurs par les Ogres, voire manipuler ces derniers en sous-mains. Le dessin semi-réaliste est parfait : assez réaliste pour qu'on croie à l'action, laissant assez de place à l'indéterminé pour ménager sa place au rêve quand les Ogres relèvent tout de même du mythe. Les femmes, humaines et Ogres, ne jouent pas les utilités : j'ai beaucoup aimé la grand-mère de Petit, ce personnage entre humain et Ogre qui n'est pas mal non plus. Et sa maman ! Un peu d'humour parsème les pages de l'histoire agrémentée de quelques pages expliquant mieux les tenants et les aboutissants, par exemple de la réforme ratée d'un Ogre roi éclairé, et l'origine de l'institutionnalisation du cannibalisme. Seul bémol : l'inachèvement dont grâce aux commentateurs j'apprends qu'il est hélas, définitif !
Le Monde sans fin
Je pense qu'on peut dire beaucoup de chose sur cette BD, et je vais essayer de faire court. Mais je pense que cette BD est une merveille de lecture, que je ne peux que recommander à tout le monde. Commençons tout de suite par ce qui peut poser problème : Oui, Jancovici est critiquable, oui il est critiqué. Voila, posons ça tout de suite, le personnage principal de cette BD est Jancovici, la BD parle de ses principes, ses idées et ses solutions. Ce qui veut dire tout de suite que si l'on est déjà en désaccord avec le gars, autant de ne pas se plonger dans la BD ! Il y pose ce qu'il dit ailleurs, de façon synthétique et didactique, pour expliquer ce qui lui importe. Et je vais le dire immédiatement : je vois les limites de Jancovici, j'en connais quelques unes (notamment sur des questions historiques) mais je vais largement passer outre. En fait, je dirais même qu'on s'en fout complètement. Parce que la BD parle du sujet le plus important de notre vie, peut-être même du seul sujet important : le changement climatique et son origine humaine. Raison qui a d'ailleurs conduit à repousser sa lecture pendant des années, vu que je fais de l'éco-anxiété très facilement et que je ne voulais pas m'infliger plus que ce que je vis déjà au quotidien. Et pourtant j'ai fini par la lire, conforté par plusieurs lectures que j'ai eu sur le même sujet (Le Vivant à vif, Horizons climatiques - Rencontre avec neuf scientifiques du G.I.E.C. ...) et avec l'envie de voir ce qu'il en était ici. Comme à son habitude (j'ai vu plusieurs intervention du bonhomme), Jancovici se concentre sur son domaine d'expertise : l'énergie. C'est son domaine d'expertise et il sait s'y faire le bougre. C'est impitoyable comme démonstration de notre dépendance énergétique, avant tout au pétrole mais à tout le reste également. L'implacable changement provoqué par l'humain, l'horreur de l'addiction des sociétés humaines aux énergies fossiles et la difficulté que ce sera d'en sortir. Avec ou sans la volonté humaine, le pétrole va disparaitre et le climat changera. Reste à savoir comment on fera pour y survivre .. La BD n'est cependant pas que défaitiste et propose quelques (maigres) pistes dans le dernier segment pour essayer d'esquiver ce qui nous tombe dessus à une vitesse dont peu de gens semblent avoir idée. Je dirais que la fin est malheureusement très pessimiste et au regard de ce qu'il s'est passé entre la sortie de cette BD et aujourd'hui, je ne peux qu'abonder en son sens. La BD est servie par le dessin de Blain qui a fait tout son possible pour rendre compte de ce qu'il en est. Les métaphores et les séquences explicatives utilisant toutes sortes d'appareil narratifs visuels sont parfaitement bien intégrées pour que l'on ne se rende pas compte du poids de la vulgarisation. C'est dense et clair, un excellent travail qui prouve encore une fois que Blain est un excellent auteur. Rendre ainsi clair et lisible de tels concepts est admirable ! J'ai dit au début que j'essayerais de faire bref, et je m'arrêterais alors bientôt en disant simplement ceci : lisez cette BD. Il est rare que je le recommande alors que j'ai quelques légers reproches à faire à celle-ci, mais je pense encore une fois que l'ampleur du phénomène, mal perçu et mal reçu, doit avoir l'écho le plus large possible. Les détails, les petits défauts que j'y vois sont minimes à côté de ce qu'elle dit. Et son message, aussi terrifiant et cruel soit-il, doit être entendu. Rien d'autre ne compte.
Azur Asphalte
La couleur tout d abord, le dessin ensuite, le récit enfin, c'est dans cet ordre que j'ai découvert Azur asphalte de Sylvain Bordesoules. On sent vraiment le sud, le vent, le soleil, rien qu'à regarder la couverture on est déjà dans l'histoire. Manque le lien entre ces deux femmes, que l'on va découvrir au fur et à mesure du récit...Leur quotidien qui n a rien d'original, tiens ça ressemble étrangement au notre ... c est à la fois beau, les illustrations notamment les pleines pages sont magnifiques, et émouvant...est ce que la vie est plus facile sous le soleil ?
Monsieur désire ?
La servante est étonnante, à l'écoute de son patron, certes, mais aussi bien de toute autre personne se confiant à elle. Quel contraste avec l'aristocrate et tant d'autres seulement centrés sur leur personne ! C'est je pense cette ouverture à l'autre qui la prédispose à l'ailleurs, savoir aller en Amérique. Elle se fait payer le passage par la mère de l'aristocrate, qui finit par comprendre qu'elle le lui doit bien, sans parler du fait qu'elle n'apprécie guère l'influence que prend une servante. Le happy end est permis car pas tiré par les cheveux, et le vent d des grandes plaines d'Amérique fait du bien, après le brouillard londonien et la presque société de caste anglaise ! Le dessin et la couleur sont à la hauteur, et le mieux que je puisse en dire est qu'ils savent retranscrire la beauté intérieure de la servante. Les contraintes sociales sont aussi bien rendues. Et quel sourire final de notre héroïne en Amérique !
L'Eternaute 1969
Un classique ! Quelle bonne idée : les méchants aliens n'envahissent que l'Amérique latine, car vue comme la partie la plus faible de la planète. Bien vu : il n'y a guère de solidarité entre nations. Un bémol : l'Afrique est encore plus désarmée, mais c'est un scénariste latino qui décide ! Et qui n'a que de bonnes idées, qu'on en juge. La pluie de neige brouille tout, indistinction de l'espace, l'Eternaute, lui, le voyageur temporel, brouille le temps, deux éléments nous plongeant dans une atmosphère de fantastique. De fantastique effrayant, car les gens sont attaqués ! Assaillis par des créatures aliens ou humaines attachées par des fils, manipulées comme des marionnettes, encore une grande idée symbolique et graphique. Comme d'habitude, toute histoire d'intrusion doit commencer par un décor et des gens bien enracinés dans la réalité. Et l'Eternaute fait le job, parfait, absolument parfait. L'extravagance du parfait, comme on le dit d'un vin, mais je ne vais pas me lancer là-dedans.. La brièveté de l'œuvre, sa vivacité… Bon, ok, je sais que nous sommes en France, mais les formes brèves valent autant que les longues, voir les nouvelles et les haikus et autres tankas ! Parfois, ce qu'on sait fait obstacle à la connaissance, comme on le voit encore ici. On sait qu'il y a eu des problèmes de parution, on en déduit que l'œuvre en a pâti. Certes, on a les probabilités pour soi, mais en vérité, ce cri contre la tyrannie et l'abandon des faibles surgit sans doute plus court mais plus dense que sous une forme longue…. Attention, je n'ai rien contre les sagas, je rappelle les vertus de la brièveté et de l'ellipse, les formes courtes valent autant que les longues, illustration : « Fût-ce en mille éclats. Elle est toujours là. La lune dans l'eau ! » Haiku de Ueda Chôsh qui est aussi beau que capable de remonter le moral… fut-ce un instant ! Dans cette poésie comme dans l'Eternaute, pointe l'éloge de la résilience, si l'un est plus passionné que l'autre. Il y a aussi la chaude amitié entre notre groupe de survivants combattant les envahisseurs. Œuvre ancrée dans son temps qui s'arrime au nôtre, elle est classique, non une œuvre qu'il faut avoir lu pour comprendre comment la BD évolue, mais parce que sa perfection la place au firmament avec quelques autres comme les Corto Maltese. Noir destin des humains, griffés par le dessin, blanc qui fait éclater les formes et les cases, coïncidence des contraires, feu d'artifice de perfection, trésor à garder dans sa bibliothèque pour le rouvrir, ébloui, havre et tempête !
Corto Maltese
A l'origine, je regardais quelques images, je lisais quelques phrases de Corto, mais je comprenais que je n'étais pas prêt. Un jour enfin, j'ai senti qu'il était temps, j'ai lu et ne m'en suis jamais repenti. Quels traits, qui vous emportent comme la mer… Quel héros : Corto peut rester immobile, à fumer le cigare, sans qu'on s'ennuie, et on peut espérer que la suite dispensable ne le condamnera pas à mâchonner de l'herbe comme Lucky Luke. Et que de personnages pour lui donner la réplique ! On en trouve de toutes les couleurs, et je dirais que Hugo Pratt en a le droit, lui, alors que d'autres, non, trois fois non ! Pourquoi, parce qu'il sait les dessiner, déjà, on n'est ni dans la caricature, ni dans la fadeur, il rend parfaitement le corps humain, son visage, ses mouvements, tout…. Ensuite, en terme de perception, mais c'est aussi important, parce que Pratt connait et invente assez d'histoire pour que les gens de toutes les couleurs y soient non comme collection pour montrer de la diversité, mais des personnages d'histoires à part entière. Et quelles histoires ? La réalité et le rêve s'enrichissent mutuellement. Même remarque pour les femmes que pour la diversité ethnique, sociale, religieuse, culturelle et psychologique. D'ailleurs ce fou de Raspoutine lui reproche d'être toujours entouré de trop de femmes ! Il y a aussi l'alcoolique Steiner qui nous montre un vieux savant assez émouvant dans sa dérive, et parfois, comme dans un spectacle, il y a des invités, des personnages historiques comme le Baron fou qu'une chinoise aidée d'une organisation secrète comme il en grouille dans Corto en Sibérie, contrecarre. Contrairement à une duchesse de cette aventure ou Bouche dorée de plein d'aventures, c''est après coup qu'on se rend compte de son importance. C'est formidable, non ? Mais parfois, on est tout aussi heureux pour une mouette fendant l'air - par parenthèse, découvrez l'aventure provoquée par ce genre de volatile ! Ou bien pour des cases où le noir et le blanc font le… tango? Mais Corto, gentilhomme de fortune, né de la mer, est sans doute mieux suivi en commençant par la mer salée, dans les pas de Stevenson et sa navigation, et son île au trésor quand Corto en cherche tant, passionné et plein de détachement, mystérieux à l'image du monde qui se reflète dans ses yeux.
Krimi
Krimi est une œuvre magistrale, autant sur le fond que sur la forme. Alex W. Inker livre ici un travail graphique absolument saisissant, réalisé à l’encre et au fusain, qui confère à chaque planche une profondeur et une texture incroyables. Les noirs sont d’une densité rare, les contrastes subtilement dosés, et le trait évoque la pellicule d’un vieux film. On y retrouve tout l’esprit du cinéma expressionniste allemand, ses ombres mouvantes et son esthétique du clair-obscur. Graphiquement, c’est un choc. L’édition de Sarbacane est à la hauteur du contenu : grand format et dos toilé, un véritable écrin pour ce travail d’orfèvre. On sent une vraie volonté de mettre en valeur la matérialité du dessin, presque palpable à chaque page. C’est le genre d’album qu’on feuillette lentement, pour savourer la puissance de chaque composition. Le scénario, signé Thibault Vermot, plonge dans la figure complexe de Fritz Lang, cinéaste de génie hanté par ses démons, son époque et la culpabilité. L’histoire entremêle la réalité et la fiction avec une grande maîtrise, tout en gardant une cohérence narrative et émotionnelle remarquable. Le rythme, lent mais tendu, accompagne parfaitement cette descente dans l’ombre. Je conseille de voir le film M le Maudit avant de se plonger dans la BD : cela permet de saisir pleinement les enjeux artistiques et psychologiques du récit, et de comprendre comment Inker et Vermot dialoguent avec l’œuvre de Lang. En somme, Krimi est plus qu’un simple polar : c’est une réflexion sur la création, la culpabilité et le pouvoir des images. Un album ambitieux, noir et superbe, servi par un duo d’auteurs en parfaite symbiose.
Hombre
Hombre vit pour survivre. Son emploi du temps : trouver des balles pour son fusil et de la viande pour se nourrir. Hombre et ses décors post apo sont dessinés de main de maître. Hombre a des dialogues crus et intelligents. Hombre croise tout un tas d'ordures et leur fait la faveur de les envoyer ad patres. Hombre est désabusé, lassé mais a conservé ce fil rouge d'humanité qui le lie au monde. Hombre ferait passer Jeremiah pour un bisounours. Hombre a de faux airs de Sean Connery. Hombre est difficilement trouvable en librairie, ce qui renforce son statut d'oeuvre culte. Hombre a des airs de macho mais il se fait apprendre la vie par Attila, sa partenaire amazone. Attila a la phobie des fringues. Muchas gracias Hombre.