Ouais, compliquer de noter ça. D'autant qu'il s'agit d'une lecture qui remonte à loin désormais. Je noterai donc davantage les souvenirs que j'ai de ma lecture.
Je partais de loin : je n'adhérais pas du tout au dessin. Encore aujourd'hui d'ailleurs, j'ai un peu de mal à trouver que Spiegelman a un "chouette coup de crayon". Je suis persuadé que oui, en fait, mais pas pour Maus. D'autre part, le fait d'avoir à faire avec des animaux plutôt qu'à des êtres humainsne m'emballait pas du tout. Tout ça pour dire que ce n'était pas gagné.
Et pourtant ,je suis rentré dedans comme dans du beurre. Les différents niveaux de narration se croisent avec justesse : on passe des souvenirs du père à ses commentaires parfois douteux sur la société d'aujourd'hui, en passant par le vécu de l'auteur lui-même sans effort. Rien n'est superflu.
Graphiquement, même si le dessin me laisse une impression pour le moins mitigée, je trouve que Spiegelman fait preuve d'une inventivité certaine. Je me souviens notamment de cette scène où le père raconte que lorsqu'ils s'aventuraient dehors sans leur étoile, il fallait s'efforcer de ne pas avoir l'air juif, ce que sa femme avait beaucoup de mal à faire. En l'occurrence, le dessinateur a dessiné une queue de souris dépassant de sous sa robe.
Le fait que ce sont des animaux est un truc fort aussi. Les Juifs sont des souris, les Allemands des chats, les Américains des chiens... Et les Polonais des porcs ! Vindiou ! C'est dire le ressentiment du père à l'égard des polonais...
Bref ! Une BD incontournable qui appartient à l'Histoire du genre.
Le photographe est sans conteste l'une des meilleures BD qu'il m'ait été donné de lire à ce jour. Je me suis enquillé les trois tomes tel le goinfre. Pourtant, l'idée de mêler photographies et dessin ne m'enchantait pas plus que ça, mais il y a un vrai jeu avec les clichés. Certains sont biffés, comme recalés, d'autres arrivent comme un contrepoint, ou comme une formidable ouverture. C'est génial.
Le dessin est top. le récit tout autant. On apprend des trucs incroyables qui cassent les clichés et les idées reçues. Et c'est une histoire vraie !
C'est une des rares BD pour laquelle j'ai consenti à faire l'acquisition d'une version luxueuse avec tirages de photos et coffret...
Depuis, Emmanuel Guibert occupe une bonne place dans mon panthéon personnel.
Franchement, qu'est-ce qu'on peut dire ? Oui, il y a du racisme dans les premiers Tintin (Tintin au Congo, c'est même carrément gratiné). Mais on aura beau critiquer, cette série restera pour moi (comme pour pas mal de gens à travers le monde je crois savoir) comme une montagne. J'ai lu et relu cent fois les aventures de ce petit reporter qui prend de la bouteille au fil des épisodes. Comme avec Astérix, je connais chaque album par cœur (et même les deux versions de l'Ile noire !). Ca a nourri mon imaginaire de gosse, et je ne suis pas devenu raciste pour autant (les lecteurs d'Harry P. ne sont pas tous devenus transphobes, que je sache).
Rien à ajouter à ma déclaration : je reconnais les faits mais reste innocent !
Une merveille ! Comment le dessin ornemental ne nuit pas à l'action, une unité d'histoire à une page à l'histoire ! Le petit garçon est assez passif au début, de sorte qu'on s'identifie tous à lui, il est Nemo. Mais ensuite, il s'individualise, et rencontre bien des personnages et des lieux inoubliables. Même le lit est un personnage dans la mesure où il marche, vole, est assailli par les flots ! Et quelle bonne idée que la menace d'être réveillée à cause de Flip, le neveu du soleil destructeur de rêve. Et comme la famille de Némo est rassurante. On a des démons, des merveilles, des émotions et une mère pour être rassuré. Une lecture pour tout âge pour prendre le large.
Si je pouvais, je mettrais deux cœurs. Eh oui, pour compenser les avis peu enthousiastes d'autres ! Quand l'art le plus avancé d'hier reste d'avant garde tout en respectant les fondamentaux tels que de trouver le rêveur dans le lecteur, on a un classique qui pétille. A remarquer que la fille du roi Morphée ne manque pas de personnalité, et qu'il arrive que le dessin se dévore lui-même. Bonne lecture, et plus important encore, bons rêves à tous !
Les images sont assez incroyables : on dirait des tableaux en marche. Quel beau paradoxe ! Les cases, souvent les pages, ressemblent à des tapisseries, des enluminures… Le discours est utopique : liberté, égalité et fraternité sur un ton qui semble chrétien sauf que tout cela a tourné court dans la réalité. On est donc dans une sorte de monde alternatif qui fait songer aux contes.
Notre époque accueille toutes les périodes historiques, c'est merveilleux ! On cherche et on trouve des œuvres comme Le chevalier au dragon. Et puis, on pratique le mélange des genres. C'est aussi merveilleux. Sinon, je trouve que la recherche d'un manuscrit à comprendre dramatise le récit, et permet de poser la question de l'utopie comme une quête, ce qu'elle est en réalité. Mais la rencontre des personnages, poussés par l'utopie ou non, est aussi pleine d'intérêt. Vu les fêtes de Noel, je me demande si cette œuvre ne serait pas à offrir à quelque bédéphile amateur de toutes ces thématiques mais ne connaissant pas cette œuvre.
Quand j’ai ouvert le premier tome du Château des Animaux, j’ai senti immédiatement que j’entrais dans une œuvre rare. J’ai acheté les quatre tomes en édition luxe, et dès les premières pages, j’ai compris que j’avais entre les mains quelque chose d’exceptionnel. C’est beau, c’est intelligent, c’est puissant. On sent évidemment l’inspiration de La Ferme des animaux d’Orwell, mais jamais comme une copie : ici, c’est une réinterprétation sensible et moderne, une fable politique qui prend sa propre ampleur.
Ce qui m’a frappé en premier, c’est l’atmosphère. On est plongé dans un château sombre, oppressant, où les animaux sont soumis à un régime brutal mené par un taureau tyrannique. Et pourtant, au milieu de cette noirceur, une petite lueur persiste : celle de l’espoir, fragile mais tenace. J’ai ressenti une empathie immense pour Miss Bengalore et les autres animaux qui rêvent de liberté. Le récit parle de courage, de révolte, mais surtout de résistance non violente. Et ça, je ne m’y attendais pas. Cette approche apporte une profondeur incroyable : on ne suit pas juste une lutte, on suit une philosophie.
Les dessins, eux, m’ont laissé bouche bée. Les planches sont d’une finesse incroyable, chaque animal a une expression presque humaine, un regard chargé d’émotion. Les ambiances sont sublimes : les jeux d’ombre, les lumières, la texture des fourrures, même les silences semblent dessinés. À plusieurs moments, j’ai dû m’arrêter juste pour contempler une page. Félix Delep livre un travail qui, franchement, mérite d’être vu en grand format – d’où mon immense satisfaction d’avoir choisi l’édition luxe.
Et puis, au-delà de l’esthétique, cette BD fait réfléchir. Beaucoup. Elle parle du pouvoir, de la peur, des masses qui se résignent, du courage de quelques-uns qui refusent d’abandonner. Elle m’a rappelé que les révolutions ne commencent pas toujours avec des cris, mais parfois avec un geste simple, un refus, un sourire, une main tendue.
En refermant le quatrième tome, j’ai ressenti un mélange d’admiration et de mélancolie. Cette série, pour moi, c’est un 5/5 impeccable : une œuvre riche, humaine, magnifiquement dessinée et profondément inspirante. Le genre de BD qu’on relit, qu’on montre, qu’on conseille et qu’on garde précieusement dans sa bibliothèque.
Cette biographie dessinée est une immersion d’une grande finesse dans l’intimité d’Anaïs Nin. Le récit s’appuie sur une narration très humaine, où les questions d’amour, de fidélité, de vulnérabilité et de construction de soi sont traitées avec une justesse rare. L’album parvient à évoquer la multiplicité des formes d’amour sans tomber dans le romanesque, en laissant affleurer la complexité émotionnelle et les contradictions de Nin. La relation au père, choquante et difficile à saisir, apporte un contrepoint essentiel : elle empêche toute lecture confortable et garde ouverte cette zone d’incompréhension qui nourrit l’empathie sans offrir de réponses simples.
Le dessin est remarquable. Léonie Bischoff mêle une apparente simplicité – presque un coloriage d’enfant dans l’approche chromatique – à une précision d’adulte dans la composition. Le résultat est un style à la fois épuré, dynamique et profondément expressif. Les couleurs servent de vecteur émotionnel sans surcharge, et plusieurs planches frappent par leur puissance visuelle. L’ensemble crée une cohérence graphique qui accompagne parfaitement l’exploration intérieure du personnage.
Cette BD touchera particulièrement les lecteurs sensibles aux récits introspectifs, aux biographies littéraires et aux œuvres où le travail graphique est indissociable du propos. Elle exige un minimum de disponibilité émotionnelle, mais offre en retour une lecture dense, belle et marquante.
Triplement captivant par le sujet, ce qu'on y apprend et l'image ! De la première à la dernière case, on ne peut que tourner les pages, en adaptant le rythme au flux d'informations et à l'émotion. Ce n'est pas que j'aime la bombe, mais coup de cœur pour cette explosion narrative !
Depuis 1987, ils voient arriver un nombre croissant d’HTAP qui ont toutes pris le comprimé miracle.
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Ce tome constitue une histoire indépendante de toute autre qui ne nécessite pas de connaissance préalable. Son édition originale date de 2023. Il a été réalisé par Éric Giacometti & Irène Frachon pour le scénario, et par François Duprat pour les dessins, par Paul Bona pour les couleurs. Il comporte cent-quatre-vingt-six pages de bande dessinée. Il s’ouvre avec un texte introductif de deux pages, rédigé par les scénaristes, évoquant leur rôle dans cette affaire, et leurs objectifs : Témoigner de la souffrance indicible des victimes, mettre en lumière le rôle de Jacques Servier, le poids de ses réseaux, de son entregent, de sa gestion paranoïaque et mégalomane de sa maison. Ils expliquent que toutes leurs sources sont vérifiables, les milliers de pages des actes du procès au pénal, ainsi que les récits précis des victimes et d’Irène, les ouvrages écrits par Servier lui-même, etc. L’ouvrage se termine avec la liste des victimes et malades de la norenfluramine, la présentation de la pétition pour retirer à Jacques Servier et à titre posthume la dignité de grand-croix de la Légion d’honneur. Puis viennent un schéma présentant la chronologie d’un scandale sanitaire qui dure depuis soixante ans, la copie de l’ordre écrit de dissimuler, la formule de la molécule tueuse, quelques chiffres à propos des victimes du Mediator, ainsi que le destin des autres médicaments de Servier.
Histoire de Pascale : une mort d’apparence inexpliquée. Lisa est réveillée en pleine par un cri de sa mère Pascale à l’étage. Son père lui dit qu’il est en train d’appeler les secours. La jeune femme décède avant l’arrivée des pompiers qui ne peuvent la réanimer. Certificat du médecin légiste : Pascale, 51 ans, est décédée d’une insuffisance cardiaque aiguë, cause inconnue. Sur sa table de chevet : une boîte de Mediator.
Partie un : alerte à Brest ! Corsen, dans le pays de Brest, en février 2007, la famille Frachon se détend sur une plage. Irène lit un ouvrage intitulé : Maigrir, l’arme absolue. Elle estime qu’elle a cinq kilos de trop. Elle ajoute à destination de son mari, que le lendemain elle voit une patiente qui en pèse cent-trente. Le lendemain à l’hôpital de la Cavale Blanche à Brest, la docteure indique à une infirmière qu’elle monte voir une patiente HTAP envoyée par les collègues de Saint-Brieu. Depuis qu’ils sont labellisés Centre de compétence régional, les autres hôpitaux les leur adressent. L’avatar d’Hippocrate intervient pour expliciter l’appellation HTAP : C’est un acronyme qui désigne une sale maladie. HTAP veut dire HyperTension Artérielle Pulmonaire. En clair, le calibre des artères pulmonaires se rétrécit. Le cœur pousse plus fort et augment la pression pulmonaire. Une maladie rare, quelques cas par million d’habitants, mais mortelle par épuisement du cœur. Irène rentre dans la chambre de Joëlle, 52 ans, hospitalisée en pneumologie. Elle lui demande si elle suit un traitement particulier. La patiente désigne de l’index sa table de chevet : elle a un tas de médicaments, elle les a apportés avec elle. Irène remarque immédiatement une boîte de Mediator. Joëlle lui explique qu’elle le prend pour son diabète. Irène lui indique de le mettre de côté.
Un ouvrage sérieux et crédible : Irène Frachon, la coscénariste, est la lanceuse d’alerte dont les actions ont initié le scandale du Mediator. Il s’agit d’une affaire sanitaire et judiciaire ayant causé la mort de 1.500 à 2.100 personnes en France suite à la prise de ce médicament, concernant les personnes victimes de la prise de benfluorex, commercialisé sous le nom de Mediator par les laboratoires Servier de 1976 à 2009, sans compter celles qui souffrent des conséquences des effets secondaires. Elle est également docteure en médecine, spécialisée en pneumologie. Le lecteur sait donc qu’il s’agit d’un ouvrage à charge, d’autant plus que les laboratoires Servier ont été condamnés en appel en décembre 2023 à une amende de 8,75 millions d’euros, et condamnés en plus pour escroquerie, raison pour laquelle ils doivent rembourser aux organismes sociaux et mutuelles 415 millions d'euros. Éric Giacometti avait travaillé sur l’affaire de santé publique concernant l’Isoméride quelques années plus tôt quand il était journaliste au Parisien. En outre, les auteurs mettent en scène un avatar d’Hippocrate qui vient exposer des éléments d’information nécessaires : sur les laboratoires Servier, sur Jacques Servier (1922-2014) lui-même, sur la valvulopathie, les amphétamines, le Redux, l’Afssaps, l’étude cas-témoin, etc.
Rapidement, les inquiétudes du lecteur disparaissent : la lecture s’avère facile et agréable, sans rien sacrifier à la rigueur et à la précision. Tout en ayant conscience de connaître la fin de l’histoire, il éprouve de l’admiration pour la lanceuse d’alerte, s’inquiète pour elle, prend les revers de plein fouet comme elle (quand elle se heurte à la puissance des laboratoires Servier représentés par des avocats compétents à leur solde), et s’indigne, voire s’insurge, devant les différentes formes d’injustice. Les victimes de ces deux médicaments bien sûr (Isomérie, Mediator), la manipulation orientée des faits par les laboratoires Servier, la faiblesse des pouvoirs publics face à la puissance économique de cette firme, l’efficacité du lobbying favorisant la collusion d’intérêts entre les laboratoires et quelques politiques dont un président de la République très reconnaissant. Le récit prend la forme d’une véritable aventure d’un individu contre une puissance écrasante, un combat disproportionné pour, littéralement, sauver des vies humaines, pour faire cesser la diffusion d’un poison (Norfenfluramine, nom de code S585) trouvant sa source au XIXe siècle et largement employé par les gouvernements durant la seconde guerre mondiale. Malheureusement, cela ne relève pas d’une fumeuse théorie du complot créée pour son potentiel divertissant.
Dès le début, cet ouvrage se lit comme une vraie bande dessinée : les quatre pages montrant la mort inexpliquée de Pascale avec le présage de la présence de cette boîte de Mediator. Puis la docteure Frachon se rend au chevet d’une de ses patientes et la questionne sur ses différents traitements. Les auteurs ont bien pris soin d’écrire pour ce média, par opposition à un texte tout prêt confié à un dessinateur, avec bonne chance à lui pour imaginer des dessins qui ne soient pas redondants avec le texte. Ainsi le lecteur découvre des séquences sur plusieurs cases ou plusieurs pages : outre la visite à la malade Joëlle, un cambriolage nocturne dans le Montreal Jewish General Hospital, une scène de réception dans l’hôtel particulier de Servier à Neuilly, la première présentation, très décevante, de la docteure devant un petit groupe de travail de l’AFSSAPS (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé), un atroce face à face entre la docteure et ses compagnons d’alerte devant l’équipe de pharmacovigilance de Servier avec les avocats de la firme, le malaise de Cathy lors de l’ascension du mont Sinaï, etc.
Les dessins appartiennent à un registre réaliste et descriptif, avec un degré de simplification significatif, qui les rend immédiatement lisible. La majorité des personnages apparaissent sympathiques, et normaux, à quelques exceptions près comme Jacques Servier lui-même, ou l’avocate maître Nathalie Carrère. Le lecteur se rend compte de la qualité de la narration visuelle en constatant que l’artiste sait rendre visuellement intéressant la docteure en train de faire des recherches sur ordinateur, action pourtant peu dynamique. Tout du long de l’ouvrage, le dessinateur met en œuvre des constructions et des outils graphiques très diversifiés, s’adaptant à chaque propos. Il sait utiliser des représentations anatomiques en les simplifiant sans les dénaturer (par exemple pour expliquer l’HTAP). Il s’amuse avec Hippocrate qui ouvre un livre duquel sort une licorne et une sorcière. Parmi les multiples idées visuelles : les différents sites de Servier comme des cartes postales (Tiansin, Maroc, Jacarepagua, Sopayno), Éric Giacometti faisant son entrée en scène en ouvrant un rideau de théâtre, la représentation spatiale de la molécule d’amphétamine, le médecin de la Sécu au milieu d’une pièce dont les murs sont tapissés d’écrans d’ordinateur, sans parler des accessoires de Jacques Servier en fonction de la situation comme un casque militaire ou une batte de baseball.
La lecture s’avère donc facile et agréable, souvent ludique, les auteurs suivant une narration chronologique, avec des apartés ou des développements en fonction des informations nécessaires. Le lecteur revit le parcours de la lanceuse d’alerte avec le bénéfice de la connaissance de l’issue de l’affaire. Il peut ainsi mieux mesurer le rapport de force disproportionné entre elle et la firme Servier, les risques pris et les doutes tout naturels, l’inertie des structures, que ce soit du fait de leur faible effectif, des doutes et des précautions légitimes ou non, des enjeux économiques, de l’efficacité professionnelle des équipes des laboratoires Servier qui allouent un budget et des moyens à la hauteur des enjeux financiers pour eux. Il se retrouve partagé entre l’admiration pour les médecins compétents, les journalistes efficaces, et l’horreur du peu de cas qui est fait des vies humaines en jeu dans l’inertie des réactions. Ce témoignage de première main est aussi admirable pour l’engagement des personnes concernées, qu’édifiant quant au parcours du combattant à traverser, et une démonstration exemplaire de ce que valent les vies humaines face au profit.
L’affaire du Mediator : le lecteur peut appréhender un ouvrage aride et compliqué, il découvre une histoire prenante et passionnante, facile d’accès. Il sait qu’il bénéficie d’un témoignage de première main, celui de la lanceuse d’alerte elle-même. La narration visuelle s’avère inventive et au service du récit, efficace et diversifiée. Les auteurs présentent clairement l’ampleur de l’escroquerie criminelle perpétrée par les laboratoires Servier et son propriétaire. Éclairant.
Cette œuvre construit un récit initiatique d’une grande justesse, jouant en permanence sur une apparente simplicité pour mieux atteindre une profondeur émotionnelle rare. La naïveté volontaire du ton n’affaiblit jamais le propos : elle sert de filtre pour aborder la violence, la loyauté et la construction de soi sans cynisme. Le scénario, linéaire mais solidement charpenté, maintient une tension douce qui rend la progression d’Aldobrando à la fois crédible et touchante. La fin est vraiment satisfaisante et me laisse un joli sourire aux lèvres.
Graphiquement, le style caricatural – qui pourrait sembler déroutant hors contexte – fonctionne ici comme un amplificateur narratif. Les proportions exagérées, les visages expressifs et le traitement chromatique épuré renforcent l’innocence du protagoniste et la dureté du monde qui l’entoure. Le dessin accompagne la montée en maturité du personnage et soutient la dynamique émotionnelle du livre de manière précise, sans surcharge.
L’ensemble forme un conte moderne, dur et doux à la fois, capable de toucher un large public. Les lecteurs sensibles aux récits initiatiques, aux univers médiévaux sobres et aux fables morales y trouveront un équilibre rare entre simplicité et profondeur.
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Maus
Ouais, compliquer de noter ça. D'autant qu'il s'agit d'une lecture qui remonte à loin désormais. Je noterai donc davantage les souvenirs que j'ai de ma lecture. Je partais de loin : je n'adhérais pas du tout au dessin. Encore aujourd'hui d'ailleurs, j'ai un peu de mal à trouver que Spiegelman a un "chouette coup de crayon". Je suis persuadé que oui, en fait, mais pas pour Maus. D'autre part, le fait d'avoir à faire avec des animaux plutôt qu'à des êtres humainsne m'emballait pas du tout. Tout ça pour dire que ce n'était pas gagné. Et pourtant ,je suis rentré dedans comme dans du beurre. Les différents niveaux de narration se croisent avec justesse : on passe des souvenirs du père à ses commentaires parfois douteux sur la société d'aujourd'hui, en passant par le vécu de l'auteur lui-même sans effort. Rien n'est superflu. Graphiquement, même si le dessin me laisse une impression pour le moins mitigée, je trouve que Spiegelman fait preuve d'une inventivité certaine. Je me souviens notamment de cette scène où le père raconte que lorsqu'ils s'aventuraient dehors sans leur étoile, il fallait s'efforcer de ne pas avoir l'air juif, ce que sa femme avait beaucoup de mal à faire. En l'occurrence, le dessinateur a dessiné une queue de souris dépassant de sous sa robe. Le fait que ce sont des animaux est un truc fort aussi. Les Juifs sont des souris, les Allemands des chats, les Américains des chiens... Et les Polonais des porcs ! Vindiou ! C'est dire le ressentiment du père à l'égard des polonais... Bref ! Une BD incontournable qui appartient à l'Histoire du genre.
Le Photographe
Le photographe est sans conteste l'une des meilleures BD qu'il m'ait été donné de lire à ce jour. Je me suis enquillé les trois tomes tel le goinfre. Pourtant, l'idée de mêler photographies et dessin ne m'enchantait pas plus que ça, mais il y a un vrai jeu avec les clichés. Certains sont biffés, comme recalés, d'autres arrivent comme un contrepoint, ou comme une formidable ouverture. C'est génial. Le dessin est top. le récit tout autant. On apprend des trucs incroyables qui cassent les clichés et les idées reçues. Et c'est une histoire vraie ! C'est une des rares BD pour laquelle j'ai consenti à faire l'acquisition d'une version luxueuse avec tirages de photos et coffret... Depuis, Emmanuel Guibert occupe une bonne place dans mon panthéon personnel.
Les Aventures de Tintin
Franchement, qu'est-ce qu'on peut dire ? Oui, il y a du racisme dans les premiers Tintin (Tintin au Congo, c'est même carrément gratiné). Mais on aura beau critiquer, cette série restera pour moi (comme pour pas mal de gens à travers le monde je crois savoir) comme une montagne. J'ai lu et relu cent fois les aventures de ce petit reporter qui prend de la bouteille au fil des épisodes. Comme avec Astérix, je connais chaque album par cœur (et même les deux versions de l'Ile noire !). Ca a nourri mon imaginaire de gosse, et je ne suis pas devenu raciste pour autant (les lecteurs d'Harry P. ne sont pas tous devenus transphobes, que je sache). Rien à ajouter à ma déclaration : je reconnais les faits mais reste innocent !
Little Nemo in Slumberland
Une merveille ! Comment le dessin ornemental ne nuit pas à l'action, une unité d'histoire à une page à l'histoire ! Le petit garçon est assez passif au début, de sorte qu'on s'identifie tous à lui, il est Nemo. Mais ensuite, il s'individualise, et rencontre bien des personnages et des lieux inoubliables. Même le lit est un personnage dans la mesure où il marche, vole, est assailli par les flots ! Et quelle bonne idée que la menace d'être réveillée à cause de Flip, le neveu du soleil destructeur de rêve. Et comme la famille de Némo est rassurante. On a des démons, des merveilles, des émotions et une mère pour être rassuré. Une lecture pour tout âge pour prendre le large. Si je pouvais, je mettrais deux cœurs. Eh oui, pour compenser les avis peu enthousiastes d'autres ! Quand l'art le plus avancé d'hier reste d'avant garde tout en respectant les fondamentaux tels que de trouver le rêveur dans le lecteur, on a un classique qui pétille. A remarquer que la fille du roi Morphée ne manque pas de personnalité, et qu'il arrive que le dessin se dévore lui-même. Bonne lecture, et plus important encore, bons rêves à tous !
L'Âge d'or
Les images sont assez incroyables : on dirait des tableaux en marche. Quel beau paradoxe ! Les cases, souvent les pages, ressemblent à des tapisseries, des enluminures… Le discours est utopique : liberté, égalité et fraternité sur un ton qui semble chrétien sauf que tout cela a tourné court dans la réalité. On est donc dans une sorte de monde alternatif qui fait songer aux contes. Notre époque accueille toutes les périodes historiques, c'est merveilleux ! On cherche et on trouve des œuvres comme Le chevalier au dragon. Et puis, on pratique le mélange des genres. C'est aussi merveilleux. Sinon, je trouve que la recherche d'un manuscrit à comprendre dramatise le récit, et permet de poser la question de l'utopie comme une quête, ce qu'elle est en réalité. Mais la rencontre des personnages, poussés par l'utopie ou non, est aussi pleine d'intérêt. Vu les fêtes de Noel, je me demande si cette œuvre ne serait pas à offrir à quelque bédéphile amateur de toutes ces thématiques mais ne connaissant pas cette œuvre.
Le Château des Animaux
Quand j’ai ouvert le premier tome du Château des Animaux, j’ai senti immédiatement que j’entrais dans une œuvre rare. J’ai acheté les quatre tomes en édition luxe, et dès les premières pages, j’ai compris que j’avais entre les mains quelque chose d’exceptionnel. C’est beau, c’est intelligent, c’est puissant. On sent évidemment l’inspiration de La Ferme des animaux d’Orwell, mais jamais comme une copie : ici, c’est une réinterprétation sensible et moderne, une fable politique qui prend sa propre ampleur. Ce qui m’a frappé en premier, c’est l’atmosphère. On est plongé dans un château sombre, oppressant, où les animaux sont soumis à un régime brutal mené par un taureau tyrannique. Et pourtant, au milieu de cette noirceur, une petite lueur persiste : celle de l’espoir, fragile mais tenace. J’ai ressenti une empathie immense pour Miss Bengalore et les autres animaux qui rêvent de liberté. Le récit parle de courage, de révolte, mais surtout de résistance non violente. Et ça, je ne m’y attendais pas. Cette approche apporte une profondeur incroyable : on ne suit pas juste une lutte, on suit une philosophie. Les dessins, eux, m’ont laissé bouche bée. Les planches sont d’une finesse incroyable, chaque animal a une expression presque humaine, un regard chargé d’émotion. Les ambiances sont sublimes : les jeux d’ombre, les lumières, la texture des fourrures, même les silences semblent dessinés. À plusieurs moments, j’ai dû m’arrêter juste pour contempler une page. Félix Delep livre un travail qui, franchement, mérite d’être vu en grand format – d’où mon immense satisfaction d’avoir choisi l’édition luxe. Et puis, au-delà de l’esthétique, cette BD fait réfléchir. Beaucoup. Elle parle du pouvoir, de la peur, des masses qui se résignent, du courage de quelques-uns qui refusent d’abandonner. Elle m’a rappelé que les révolutions ne commencent pas toujours avec des cris, mais parfois avec un geste simple, un refus, un sourire, une main tendue. En refermant le quatrième tome, j’ai ressenti un mélange d’admiration et de mélancolie. Cette série, pour moi, c’est un 5/5 impeccable : une œuvre riche, humaine, magnifiquement dessinée et profondément inspirante. Le genre de BD qu’on relit, qu’on montre, qu’on conseille et qu’on garde précieusement dans sa bibliothèque.
Anaïs Nin - Sur la mer des mensonges
Cette biographie dessinée est une immersion d’une grande finesse dans l’intimité d’Anaïs Nin. Le récit s’appuie sur une narration très humaine, où les questions d’amour, de fidélité, de vulnérabilité et de construction de soi sont traitées avec une justesse rare. L’album parvient à évoquer la multiplicité des formes d’amour sans tomber dans le romanesque, en laissant affleurer la complexité émotionnelle et les contradictions de Nin. La relation au père, choquante et difficile à saisir, apporte un contrepoint essentiel : elle empêche toute lecture confortable et garde ouverte cette zone d’incompréhension qui nourrit l’empathie sans offrir de réponses simples. Le dessin est remarquable. Léonie Bischoff mêle une apparente simplicité – presque un coloriage d’enfant dans l’approche chromatique – à une précision d’adulte dans la composition. Le résultat est un style à la fois épuré, dynamique et profondément expressif. Les couleurs servent de vecteur émotionnel sans surcharge, et plusieurs planches frappent par leur puissance visuelle. L’ensemble crée une cohérence graphique qui accompagne parfaitement l’exploration intérieure du personnage. Cette BD touchera particulièrement les lecteurs sensibles aux récits introspectifs, aux biographies littéraires et aux œuvres où le travail graphique est indissociable du propos. Elle exige un minimum de disponibilité émotionnelle, mais offre en retour une lecture dense, belle et marquante.
La Bombe
Triplement captivant par le sujet, ce qu'on y apprend et l'image ! De la première à la dernière case, on ne peut que tourner les pages, en adaptant le rythme au flux d'informations et à l'émotion. Ce n'est pas que j'aime la bombe, mais coup de cœur pour cette explosion narrative !
Mediator - Un crime chimiquement pur
Depuis 1987, ils voient arriver un nombre croissant d’HTAP qui ont toutes pris le comprimé miracle. - Ce tome constitue une histoire indépendante de toute autre qui ne nécessite pas de connaissance préalable. Son édition originale date de 2023. Il a été réalisé par Éric Giacometti & Irène Frachon pour le scénario, et par François Duprat pour les dessins, par Paul Bona pour les couleurs. Il comporte cent-quatre-vingt-six pages de bande dessinée. Il s’ouvre avec un texte introductif de deux pages, rédigé par les scénaristes, évoquant leur rôle dans cette affaire, et leurs objectifs : Témoigner de la souffrance indicible des victimes, mettre en lumière le rôle de Jacques Servier, le poids de ses réseaux, de son entregent, de sa gestion paranoïaque et mégalomane de sa maison. Ils expliquent que toutes leurs sources sont vérifiables, les milliers de pages des actes du procès au pénal, ainsi que les récits précis des victimes et d’Irène, les ouvrages écrits par Servier lui-même, etc. L’ouvrage se termine avec la liste des victimes et malades de la norenfluramine, la présentation de la pétition pour retirer à Jacques Servier et à titre posthume la dignité de grand-croix de la Légion d’honneur. Puis viennent un schéma présentant la chronologie d’un scandale sanitaire qui dure depuis soixante ans, la copie de l’ordre écrit de dissimuler, la formule de la molécule tueuse, quelques chiffres à propos des victimes du Mediator, ainsi que le destin des autres médicaments de Servier. Histoire de Pascale : une mort d’apparence inexpliquée. Lisa est réveillée en pleine par un cri de sa mère Pascale à l’étage. Son père lui dit qu’il est en train d’appeler les secours. La jeune femme décède avant l’arrivée des pompiers qui ne peuvent la réanimer. Certificat du médecin légiste : Pascale, 51 ans, est décédée d’une insuffisance cardiaque aiguë, cause inconnue. Sur sa table de chevet : une boîte de Mediator. Partie un : alerte à Brest ! Corsen, dans le pays de Brest, en février 2007, la famille Frachon se détend sur une plage. Irène lit un ouvrage intitulé : Maigrir, l’arme absolue. Elle estime qu’elle a cinq kilos de trop. Elle ajoute à destination de son mari, que le lendemain elle voit une patiente qui en pèse cent-trente. Le lendemain à l’hôpital de la Cavale Blanche à Brest, la docteure indique à une infirmière qu’elle monte voir une patiente HTAP envoyée par les collègues de Saint-Brieu. Depuis qu’ils sont labellisés Centre de compétence régional, les autres hôpitaux les leur adressent. L’avatar d’Hippocrate intervient pour expliciter l’appellation HTAP : C’est un acronyme qui désigne une sale maladie. HTAP veut dire HyperTension Artérielle Pulmonaire. En clair, le calibre des artères pulmonaires se rétrécit. Le cœur pousse plus fort et augment la pression pulmonaire. Une maladie rare, quelques cas par million d’habitants, mais mortelle par épuisement du cœur. Irène rentre dans la chambre de Joëlle, 52 ans, hospitalisée en pneumologie. Elle lui demande si elle suit un traitement particulier. La patiente désigne de l’index sa table de chevet : elle a un tas de médicaments, elle les a apportés avec elle. Irène remarque immédiatement une boîte de Mediator. Joëlle lui explique qu’elle le prend pour son diabète. Irène lui indique de le mettre de côté. Un ouvrage sérieux et crédible : Irène Frachon, la coscénariste, est la lanceuse d’alerte dont les actions ont initié le scandale du Mediator. Il s’agit d’une affaire sanitaire et judiciaire ayant causé la mort de 1.500 à 2.100 personnes en France suite à la prise de ce médicament, concernant les personnes victimes de la prise de benfluorex, commercialisé sous le nom de Mediator par les laboratoires Servier de 1976 à 2009, sans compter celles qui souffrent des conséquences des effets secondaires. Elle est également docteure en médecine, spécialisée en pneumologie. Le lecteur sait donc qu’il s’agit d’un ouvrage à charge, d’autant plus que les laboratoires Servier ont été condamnés en appel en décembre 2023 à une amende de 8,75 millions d’euros, et condamnés en plus pour escroquerie, raison pour laquelle ils doivent rembourser aux organismes sociaux et mutuelles 415 millions d'euros. Éric Giacometti avait travaillé sur l’affaire de santé publique concernant l’Isoméride quelques années plus tôt quand il était journaliste au Parisien. En outre, les auteurs mettent en scène un avatar d’Hippocrate qui vient exposer des éléments d’information nécessaires : sur les laboratoires Servier, sur Jacques Servier (1922-2014) lui-même, sur la valvulopathie, les amphétamines, le Redux, l’Afssaps, l’étude cas-témoin, etc. Rapidement, les inquiétudes du lecteur disparaissent : la lecture s’avère facile et agréable, sans rien sacrifier à la rigueur et à la précision. Tout en ayant conscience de connaître la fin de l’histoire, il éprouve de l’admiration pour la lanceuse d’alerte, s’inquiète pour elle, prend les revers de plein fouet comme elle (quand elle se heurte à la puissance des laboratoires Servier représentés par des avocats compétents à leur solde), et s’indigne, voire s’insurge, devant les différentes formes d’injustice. Les victimes de ces deux médicaments bien sûr (Isomérie, Mediator), la manipulation orientée des faits par les laboratoires Servier, la faiblesse des pouvoirs publics face à la puissance économique de cette firme, l’efficacité du lobbying favorisant la collusion d’intérêts entre les laboratoires et quelques politiques dont un président de la République très reconnaissant. Le récit prend la forme d’une véritable aventure d’un individu contre une puissance écrasante, un combat disproportionné pour, littéralement, sauver des vies humaines, pour faire cesser la diffusion d’un poison (Norfenfluramine, nom de code S585) trouvant sa source au XIXe siècle et largement employé par les gouvernements durant la seconde guerre mondiale. Malheureusement, cela ne relève pas d’une fumeuse théorie du complot créée pour son potentiel divertissant. Dès le début, cet ouvrage se lit comme une vraie bande dessinée : les quatre pages montrant la mort inexpliquée de Pascale avec le présage de la présence de cette boîte de Mediator. Puis la docteure Frachon se rend au chevet d’une de ses patientes et la questionne sur ses différents traitements. Les auteurs ont bien pris soin d’écrire pour ce média, par opposition à un texte tout prêt confié à un dessinateur, avec bonne chance à lui pour imaginer des dessins qui ne soient pas redondants avec le texte. Ainsi le lecteur découvre des séquences sur plusieurs cases ou plusieurs pages : outre la visite à la malade Joëlle, un cambriolage nocturne dans le Montreal Jewish General Hospital, une scène de réception dans l’hôtel particulier de Servier à Neuilly, la première présentation, très décevante, de la docteure devant un petit groupe de travail de l’AFSSAPS (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé), un atroce face à face entre la docteure et ses compagnons d’alerte devant l’équipe de pharmacovigilance de Servier avec les avocats de la firme, le malaise de Cathy lors de l’ascension du mont Sinaï, etc. Les dessins appartiennent à un registre réaliste et descriptif, avec un degré de simplification significatif, qui les rend immédiatement lisible. La majorité des personnages apparaissent sympathiques, et normaux, à quelques exceptions près comme Jacques Servier lui-même, ou l’avocate maître Nathalie Carrère. Le lecteur se rend compte de la qualité de la narration visuelle en constatant que l’artiste sait rendre visuellement intéressant la docteure en train de faire des recherches sur ordinateur, action pourtant peu dynamique. Tout du long de l’ouvrage, le dessinateur met en œuvre des constructions et des outils graphiques très diversifiés, s’adaptant à chaque propos. Il sait utiliser des représentations anatomiques en les simplifiant sans les dénaturer (par exemple pour expliquer l’HTAP). Il s’amuse avec Hippocrate qui ouvre un livre duquel sort une licorne et une sorcière. Parmi les multiples idées visuelles : les différents sites de Servier comme des cartes postales (Tiansin, Maroc, Jacarepagua, Sopayno), Éric Giacometti faisant son entrée en scène en ouvrant un rideau de théâtre, la représentation spatiale de la molécule d’amphétamine, le médecin de la Sécu au milieu d’une pièce dont les murs sont tapissés d’écrans d’ordinateur, sans parler des accessoires de Jacques Servier en fonction de la situation comme un casque militaire ou une batte de baseball. La lecture s’avère donc facile et agréable, souvent ludique, les auteurs suivant une narration chronologique, avec des apartés ou des développements en fonction des informations nécessaires. Le lecteur revit le parcours de la lanceuse d’alerte avec le bénéfice de la connaissance de l’issue de l’affaire. Il peut ainsi mieux mesurer le rapport de force disproportionné entre elle et la firme Servier, les risques pris et les doutes tout naturels, l’inertie des structures, que ce soit du fait de leur faible effectif, des doutes et des précautions légitimes ou non, des enjeux économiques, de l’efficacité professionnelle des équipes des laboratoires Servier qui allouent un budget et des moyens à la hauteur des enjeux financiers pour eux. Il se retrouve partagé entre l’admiration pour les médecins compétents, les journalistes efficaces, et l’horreur du peu de cas qui est fait des vies humaines en jeu dans l’inertie des réactions. Ce témoignage de première main est aussi admirable pour l’engagement des personnes concernées, qu’édifiant quant au parcours du combattant à traverser, et une démonstration exemplaire de ce que valent les vies humaines face au profit. L’affaire du Mediator : le lecteur peut appréhender un ouvrage aride et compliqué, il découvre une histoire prenante et passionnante, facile d’accès. Il sait qu’il bénéficie d’un témoignage de première main, celui de la lanceuse d’alerte elle-même. La narration visuelle s’avère inventive et au service du récit, efficace et diversifiée. Les auteurs présentent clairement l’ampleur de l’escroquerie criminelle perpétrée par les laboratoires Servier et son propriétaire. Éclairant.
Aldobrando
Cette œuvre construit un récit initiatique d’une grande justesse, jouant en permanence sur une apparente simplicité pour mieux atteindre une profondeur émotionnelle rare. La naïveté volontaire du ton n’affaiblit jamais le propos : elle sert de filtre pour aborder la violence, la loyauté et la construction de soi sans cynisme. Le scénario, linéaire mais solidement charpenté, maintient une tension douce qui rend la progression d’Aldobrando à la fois crédible et touchante. La fin est vraiment satisfaisante et me laisse un joli sourire aux lèvres. Graphiquement, le style caricatural – qui pourrait sembler déroutant hors contexte – fonctionne ici comme un amplificateur narratif. Les proportions exagérées, les visages expressifs et le traitement chromatique épuré renforcent l’innocence du protagoniste et la dureté du monde qui l’entoure. Le dessin accompagne la montée en maturité du personnage et soutient la dynamique émotionnelle du livre de manière précise, sans surcharge. L’ensemble forme un conte moderne, dur et doux à la fois, capable de toucher un large public. Les lecteurs sensibles aux récits initiatiques, aux univers médiévaux sobres et aux fables morales y trouveront un équilibre rare entre simplicité et profondeur.