Quel écrivain, dès lors oserait, dans la bonne conscience, se faire prêcheur de vertu ?
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Ce tome contient une histoire complète, de nature biographique. Son édition originale date de 2013 Il a été réalisé par José Lenzini (auteur des livres : Derniers jours de la vie d’Albert Camus, Camus et l’Algérie) pour le scénario, et par Laurent Gnoni pour les dessins et les couleurs. Il comprend cent-vingt-trois pages de bande dessinée. Il se termine avec une liste des vingt ouvrages d’Albert Camus sous forme d’un petit dessin dans une case carrée et du titre situé au-dessus, avec une liste en bonne et due forme et les dates dans la colonne de gauche.
Quand le narrateur a appris la nouvelle, il a ressenti la nécessité d’écrire. Il a hésité. De l’eau a coulé sous les ponts depuis l’école Aumerat, depuis leurs virées au jardin d’Essai et aux Sablettes, depuis les matchs de foot au Champ-Vert ! Il a froissé plusieurs feuilles de papier sans pouvoir aller plus loin que les quelques mots du début. Albert, Bébert, Moustique ? Ils étaient si proche… Comment l’appeler sans être inconvenant ? L’enfance est loin et Albert a eu le prix Nobel, c’est quand même autre chose qu’un prix d’honneur de fin d’année ! Tiens le prix Nobel… Il pourrait commencer par ça, pourquoi pas ? Les copains et lui étaient tellement fiers quand Camus l’a eu ! Alors, il a ressorti une vieille machine à écrire, mais pas aussi vieille que leurs souvenirs de gosses, et il se met à lui parler avec ses mots écrits au fil de la mémoire partagée. Des lignes que Camus ne lira pas… Le jour est le 10 décembre 1957. Sous les ors et les brocarts de l’Hôtel de ville de Stockholm. Le narrateur imagine Camus… un goût âcre dans la bouche. Des gestes ankylosés par un engourdissement diffus. Tête lourde et tempes folles. Le souffle encore plus court qu’à l’issue de la récré. Il doit être blême. Au bord de l’évanouissement. Le doute oppresse une fois encore l’écrivain. Toujours ce vieux complexe face à un monde qui n’est pas le sien. Des flashs crépitent tels des soleils terribles. Comme il l’a dit à quelques proches, ce prix Nobel de littérature devait revenir à André Malraux. Albert n’a que quarante-trois ans. C’est un peu jeune. Et puis… son œuvre n’en est qu’à ses débuts. Une musique de cour retentit. Les applaudissements fusent dans un bruit de plage tourmentée. Impossible de se jeter à l’eau. Pourtant, il doit s’en souvenir, aux Sablettes, on y allait même par fortes vagues on y allait !
La guerre fait rage en Algérie. En ce moment de gloire, les pensées d’Albert Camus vont sûrement vers sa mère, là-bas, toujours silencieuse, résignée et digne dans sa pauvreté. Albert Camus entame son discours devant l’assemblée du prix Nobel : En recevant la distinction dont votre libre Académie a bien voulu m’honorer, ma gratitude était d’autant plus profonde que je mesurais à quel point cette récompense dépassait mes mérites personnels. Tout homme et, à plus forte raison, tout artiste, désire être reconnu. Je le désire aussi. Mais il ne m’a pas été possible d’apprendre votre décision sans comparer son retentissement à ce que je suis réellement.
Pas facile de restituer toutes les dimensions d’un tel homme que Albert Camus (1913-1960) : philosophe, écrivain, journaliste militant en particulier pendant la seconde guerre mondiale, romancier, dramaturge et novelliste, s’étant engagé en faveur des indépendantistes algériens, et ayant également dénoncé la barbarie de l’arme atomique utilisée sur Hiroshima et sur Nagasaki (comme rappelé dans le présent ouvrage). Le scénariste propose un point de vue original : celui d’un ancien copain et camarade de classe de l’auteur. Ce dispositif permet aux auteurs d’utiliser des mises en page sortant de l’ordinaire. Régulièrement, le lecteur découvre un page de texte avec des illustrations, le narrateur écrivant ses souvenirs ou ses ressentis et ses attentes vis-à-vis de Camus. Une vingtaine de pages s’apparentent à du texte illustré, et quelques-unes encore à un récitatif courant au fil de cases de bande dessinée. La page intitulée Épilogue correspond à une page de texte sans illustration et elle introduit la dernière partie de huit pages, consacrée à la déclaration relative à la préférence accordée à sa mère avant la justice. En page cinq, le lecteur découvre un titre : Discours de Suède, première partie. Il y a encore quatre extraits dudit discours, qui ouvrent chacune un nouveau chapitre dans la vie de l’auteur. Le lecteur voit alors Albert Camus à la tribune devant l’assemblée convoquée par l’Académie suédoise, avec des phylactères contenant des extraits authentiques de son discours.
D’une certaine manière, Albert Camus devient celui passé à la postérité, un peu après la moitié de l’ouvrage. Le scénariste a déjà consacré quatre ouvrages à cet écrivain, et il en présente la vie, faisant des choix sur les moments de sa vie retenus, et en intégrant plusieurs des convictions de Camus. Le lecteur plonge donc dans une présentation à la structure sophistiquée, plus ambitieuse qu’une reconstitution historique chronologique des faits. L’auteur accorde la moitié de la bande dessinée, à l’enfance d’Albert pour montrer d’où il vient, à la fois son histoire familiale, le contexte sociopolitique du milieu dans lequel il a grandi. La partie biographique commence avec la mère âgée de l’auteur se replongeant dans ses souvenirs, le pendant se trouvant dans l’épilogue qui est consacré à la phrase de l’auteur sur la défense de sa mère avant la justice. L’écrivain engagé naît en 1913 dans la campagne algérienne. Le lecteur ne s’attend pas forcément au dénuement qu’il voit : pas de voiture à l’époque mais une charrette, pas d’hôpital mais un médecin-colonel qui arrive après l’accouchement. L’emploi modeste du père : caviste dans une grande propriété vinicole, ce qui consiste à surveiller les vendanges en cours, veiller à la bonne marche des opérations dans un contexte colonial, avec un fond de racisme. Un voyage en train jusqu’à Alger en troisième classe du fait des faibles revenus du père. Un séjour chez la grand-mère qui compte chaque centime. L’opposition de cette dernière à ce que son petit-enfant continue des études car il doit travailler dès que possible pour améliorer les revenus de la famille. Etc.
Le lecteur a peut-être relevé l’emploi d’une palette de couleurs assez particulière sur la couverture, avec ce fond jaune et cette ombre carmin. L’artiste compose ses cases avec un mixte de figures détourées par un trait de contour, et d’autres éléments représentés en couleur directe. En outre il met régulièrement en œuvre une palette de couleur avec des compositions expressionnistes, plutôt que naturalistes. Il en va ainsi pour la scène de déplacement sous la pluie et d’accouchement dans la cuisine : des aplats de deux tons de jaune, d’orange, de bleu foncé, développant une ambiance entre isolement dans la nuit et chaleur humaine de solidarité. Au fil des séquences, le lecteur ressent cette sensibilité apportée par les couleurs : la robe majoritairement en aplat noir solide de la grand-mère, les fonds de case rouge alors que l’enfant Albert ressent de plein fouet la colère sourde de sa grand-mère, le blanc éclatant alors que l’enfant court dans les rues d’Alger pour exprimer la force de la lumière du soleil, le marron terne lors du séjour à l’hôpital, la superbe alliance d’un rouge carmin pour un tapis avec les rats noirs formant une svastika sur le cercle blanc comme allégorie de La peste, etc.
L’artiste sait rendre l’apparence d’Albert Camus. Il représente des personnages à la morphologie normale, sans exagération anatomique, en simplifiant leur représentation, moins de traits, tout en conservant leur humanité et leur capacité à susciter l’empathie chez le lecteur. Ce dernier sent la séduction graphique opérer sur lui : un équilibre parfait entre ce qui est montré et délimité par des traits de contour et ce qui est suggéré par les couleurs, sous-entendu et laissé à l’imagination. Il remarque la coordination étroite entre scénariste et artiste pour des mises en page pensées et imaginées spécifiquement en fonction de la scène. Il voit des trouvailles visuelles très expressives : des pages sans bordure avec des images se fondant l’une dans l’autre pour exprimer une continuité (par exemple dans les différentes tâches professionnelles de Lucien Auguste Camus), des cases de la largeur de la page pour un effet panoramique mettant en valeur la beauté des paysages algériens, des personnages dessinés par-dessus les cases d’une page pour indiquer qu’ils passent de l’une à l’autre lors de leur trajet, trois cases de la hauteur de la page pour conférer la sensation d’étroitesse de l’appartement de la grand-mère, une case se déployant comme une bande médiane sur deux pages en vis-à-vis avec les personnages représentés dans différentes positions, un fac-similé de une d’un journal, un champignon atomique avec un monceau de crânes à son pied, le visage de Camus en noir sur fond blanc dans la partie gauche de la planche s’opposant à celui de Sartre en contraste inversé (traits de contour blancs sur fond noir) pour marquer l’opposition irréconciliable, etc.
Le lecteur sent bien que les auteurs brossent un portrait orienté d’Albert Camus. Du fait de la pagination, ils ont dû faire des choix : en particulier, ils ne s’appesantissent pas les rappels historiques, ils ne développent ni le contexte de la seconde guerre mondiale, ni celui de la guerre d’Algérie (1954-1962) dont il vaut mieux disposer d’une connaissance basique pour apprécier et comprendre la position de l’écrivain. De la même manière, ils évoquent les titres des ouvrages de l’écrivain, sans les présenter que ce soit leur intrigue, ou leur contenu philosophique. Là encore, une connaissance superficielle ajoute à la richesse de cette lecture. Ils ont choisi le point de vue familial et celui du contexte géographique, social et historique. Ils se tiennent à l’écart d’une narration de type Moments clés ayant défini à tout jamais la trajectoire de vie d’Albert Camus, se positionnant plutôt dans une optique montrant les conditions dans lesquelles se sont opérées son enfance et sa trajectoire de vie jusqu’à l’âge adulte, le lecteur étant libre d’en déduire comment se sont forgées ses convictions morales, et comment il a été conduit à s’engager dans certaines causes.
Impossible de présenter Albert Camus de façon complète dans un ouvrage de moins de cent-cinquante pages. Aussi, il apparaît que les auteurs ont choisi sciemment un point de vue, celui d’un ancien camarade de classe de l’écrivain, pour évoquer des composantes précises de la vie de l’auteur. La narration visuelle s’avère très agréable, avec des émotions portées par des compositions de couleurs, et une mise à profit de solutions visuelles variées. Le lecteur découvre la singularité du parcours de vie d’Albert Camus, en tant qu’homme de son temps, avec des origines qui lui sont propres, l’amenant à mieux comprendre ses choix d’auteur. Enrichissant.
On essaie tous de faire de notre mieux. C’est le plus important, non ?
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Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Son format est à l’italienne, avec des dimensions de demi-format d’une bande dessinée franco-belge traditionnelle. Son édition originale date de 2024. Il a été réalisé par J.C. Deveney pour le scénario, et par Tommy Redolfi pour les dessins et les couleurs. Il comprend trois-cent-dix pages de bande dessinée.
Elijah et Leblond, deux amis adolescents skaters, se tiennent sur un pont au-dessus d’une autoroute de deux fois quatre voies, regardant les véhicules passer en contrebas. Le premier raconte à son pote que quand il était petit, son père l’emmenait ici pour regarder les bagnoles, c’était leur sortie du samedi… Enfin jusqu’à ce qu’il se barre. Cela fait réfléchir Leblond qui pensait que son beau-père était pénible. Elijah continue : c’est clair qu’il rouillait sévère, regarder filer des voitures pendant une heure, y avait plus excitant. Il pense que son père ne faisait pas ça parce qu’il pensait déjà à se tailler, même sans ça il les aurait quittés. En vrai, il pense que son père espérait qu’il se passe un truc. Un accident, un crash, quelque chose qui changerait de l’ordinaire. En plus, il suffit de pas grand-chose pour que ça arrive ! Un caillou, un bout de métal… N’importe quoi qui tombe du pont. On imagine : le pare-brise qui explose, la bagnole qui vrille et qui va en fracasser d’autres ! Le pur feu d’artifice ! En même temps un accident, ça dure jamais. Ils continuent à discuter, se disant que le vrai frisson serait de traverser avec leur planche. Leblond finit sa bouteille, la jette par-dessus le grillage, et ils partent sur leur planche. Dans l’espace, un météore poursuit sa trajectoire, dans le vide.
Hollie, aide-soignante, attend le bus dans le froid et la neige. Elle voit arriver un homme fort et de grande stature. Il s’assoit à côté d’elle dans l’abribus, en laissant une place vide entre eux. Floyd prend la parole : il s’excuse, car il ne la reconnaît pas, c’est parce qu’il a des blancs des fois. Il continue : il croise des gens, il discute et puis, pffuiit, ça s’en va. Elle le rassure : ils ne se sont jamais croisés. Il reprend la parole : Gary dit que ce n’est pas la peine qu’il raconte tout ça à tout le monde. Mais Floyd trouve que c’est mieux de dire ce qui est vrai. Elle acquiesce, surtout qu’il n’y a pas de honte à avoir, les blancs, c’est des choses qui arrivent. Il se présente et donne son nom, elle donne le sien. Il lui demande si c’est la première fois qu’elle attend le 34 de 05h46. Elle indique que oui, d’habitude elle prend sa voiture, mais elle est tombée en panne hier. Floyd se lève et dit qu’il aime bien quand la neige tombe, parce on ne sait pas si c’est elle qui descend ou si c’est soi qui monte. Hollie se souvient de son fils Elijah enfant faisant une boule de neige. Le bus arrive, la radio diffuse une chanson de Rufus Wainwright, Going to a town. Cette même chanson est diffusée par le poste dans la chambre de Casey, une jeune femme. Elle se lève et appelle son chien Chuck. Elle sort sous la neige et continue de l’appeler. Elle découvre quatre chiens sauvages qui se mettent à aboyer contre elle. Elle rentre se mettre à l’abri.
Un titre déconcertant : il annonce des météores, et en effet dans les pages huit à dix, le lecteur peut avoir un premier aperçu de l’approche d’un météore dont il ne fait nul doute qu’il fonce sur la Terre. Dans le même temps, le titre évoque des individus qui ne font que passer, et cela ne semble pas s’appliquer au météore, mais à des êtres humains, peut-être ceux qui passent par la ville. Cette dernière n’est jamais nommée, et le lecteur en vient à supposer qu’il s’agit d’une ville de faible importance en nombre d’habitants. Elle compte toutefois un magasin de meubles à monter soi-même dénommé Aeki, enseigne que le lecteur identifie facilement en lisant ce nom de droite à gauche. Il commence par faire connaissance avec les deux skaters… qui ne sont pas nommés. Il faudra attendre la page cinquante pour les revoir avec deux autres potes, et commencer à relever un nom, mais pas tous. Ils zonent avec deux adolescentes. Bref, le lecteur finit par identifier Dawn (brune à lunettes), Elijah (afro-américain), Leblond (fumeur) et Jess (jeune fille pas compliquée). Mollie et Floyd se présentent l’un à l’autre, avec un physique plus facilement mémorisable. De la même manière, il faut un peu de temps pour mettre un nom sur le visage de l’employée d’Aeki : Casey. Encore plus de pages avant de croiser le prénom de son collègue revêche : Sammy. Charlie est appelée par son nom dès sa première apparition. À contrario, le lecteur voit Floyd parler de Gary, bien avant qu’il ne fasse son apparition, et c’est le seul personnage à être doté d’un nom de famille, Hansom. Quelques seconds rôles peu nombreux dont le couple formé par Linda et Don (professeur), sans oublier la jeune manager chez Aeki.
Le lecteur se retrouve un peu déconcerté par cette absence de nom de famille, car les dessins peuvent parfois lui sembler sommaires, laissant planer un doute sur l’identité de tel ou tel personnage à deux ou trois reprises. En outre, les dialogues s’avèrent brefs et concis, sans aucune bulle de pensée, ou cartouche de texte avec une voix intérieure. La couverture peut donner une impression d’image dense en informations visuelles, et complexe en composition, en particulier dans l’usage des couleurs. Il en va de même avec la première planche. La perception du lecteur se modifie un peu par la suite, devenant sensible à une approche plus épurée, dans les formes, dans le choix des détails signifiants. Les dessins ne donnent pas l’impression d’être plus simples, ou simplistes, plutôt plus focalisés sur un point d’attention central. Tout se joue dans les impressions du lecteur. L’impression d’un récit taiseux : l’ouvrage compte quatre-vingt-dix pages silencieuses, dépourvues de tout mot, une forme de minimalisme, et en même temps une confiance dans le fait que les images se suffisent à elles-mêmes pour raconter. Une dizaine de personnages avec un rôle significatif, à la fois une belle distribution, à la fois l’impression de rester dans un cercle assez fermé. Des images parfois très dépouillées : dans le même temps, elles font sens, et les auteurs mettent à profit la forte pagination de leur ouvrage pour prendre le temps de raconter certains moments et de focaliser leur regard sur un geste, une attitude ou accessoire.
Une fois passée la première apparition du météore, en noir & blanc pour un contraste maximal, le récit revient à des situations banales du quotidien : attendre le bus au petit matin, se souvenir de la première boule de neige de son fils, s’enquérir de son chien, aider un homme âgé ayant perdu en autonomie, regarder un oiseau voler, subir les récriminations d’un collègue contre la direction dans le vestiaire, zoner avec des potes avec la flemme de faire du skate, échanger des banalités au comptoir dans un café, ressentir pleinement la banalité de la solitude, etc. La narration visuelle s’avère respectueuse et attentive. La mise en couleur joue sur quelques teintes, souvent sombres sans être vraiment ternes. Le lecteur ressent de la sympathie pour ces individus normaux, vivant leur quotidien avec un mélange de courage et de résignation, une ténacité tout ce qu’il y a de plus mécanique, qui pourtant génère un sentiment de respect et d’empathie chez le lecteur, car il reconnaît bien cette saveur du quotidien qui n’apporte que la même chose, sans plus de réel goût, tout en étant réconfortant par sa prédictibilité.
Dans le contexte de cette vie normale et sans éclat, les événements sortant de l’ordinaire apparaissent pour ce qu’ils sont : la conséquence inéluctable de tous les événements précédents, dont il n’y a donc pas raison de s’étonner, un engourdissement gagnant chaque individu ayant intégré inconsciemment que c’est l’ordre immuable des choses. Du coup, un licenciement, un incendie volontaire, des informations alarmantes sur la progression du météore s’avèrent dénués d’effet sur l’instant présent, sur la suite, une progression inéluctable qui pourrait presqu’être prédite, un enchaînement de causalités préétabli. À l’évidence, l’état mental de Floyd n’ira pas en s’améliorant, et Gary ne pourra pas toujours s’occuper de lui. Le mode de management d’Aeki apparaît pour ce qu’il est : des techniques pour flatter les employés, les motiver par un esprit d’équipe artificiel dans la mesure où il ne repose que sur eux, sans aucune implication des actionnaires sans visage. Le lecteur repense à la citation de Raymond Carver en exergue : Plus de destin. Juste un enchaînement de petits faits qui n’ont d’autre sens que celui qu’on veut bien leur donner. Une vie machinale, sans objet. La vie de tout le monde. Un autre personnage résume la dynamique de la vie : On essaie tous de faire de notre mieux, c’est le plus important, non ?
Pourtant, le comportement des personnages ne relève pas de la neurasthénie. Une forme de fluide passe dans ces vies, de principe vital, que le lecteur n’arrive pas tout à fait à identifier. Il revient au titre et à ce météore qui approche : finalement cette menace sur la survie de la Terre et de l’espèce humaine ne change pas grand-chose au quotidien, voire dans un moment atroce un personnage prend conscience que l’entreprise Aeki a pris ses dispositions pour fourguer le maximum de camelote avant que son établissement situé dans la zone d’impact ne soit détruit. Le lecteur repense également à Elijah parlant de son père : en fait il pense que son père espérait qu’il se passe un truc. Les personnages du récit ont dépassé ce stade : ils n’attendent plus rien, ils sont persuadés que leur vie va lentement se dégrader, grignotée par l’entropie. Ils ne s’y sont pas résignés : ils ont accepté cet état de fait, et s’y sont adaptés, vivent en cohérence avec cette vision de l’existence.
Page quatre-vingt-douze, Hollie arrive chez Maggie pour lui prodiguer des soins, effectuer une prise de sang. La vieille dame lui dit qu’elle aime les livres qui ne se contentent pas de raconter une histoire avec un début et une fin. Ceux qui ressemblent à la vie. Ou qui essaient en tout cas. Dans la vie, il n’y a pas de personnages principaux et de personnages secondaires. On a tous notre rôle à jouer. Tous notre importance. Le lecteur comprend que les auteurs effectuent une déclaration d’intention sur leur propre ouvrage et même une profession de foi personnelle. Il repense alors au sous-titre Ceux qui ne font que passer. Bien sûr cela désigne les individus qui risquent de périr lors de l’impact de la météorite. En prenant un peu de recul, cela désigne également tous les individus croisés par Floyd, car la mémoire de celui-ci n’est pas fiable, et il oublie les gens qu’il croise. Le lecteur peut se dire qu’il en va de même pour lui : de nombreuses connaissances, ou collègues, ou anonymes dans les transports en commun ou dans les voitures du flux de circulation, autant de personnes qui ne font que passer dans sa vie. À la lumière de ce point de vue, il prend conscience de ce qui fait le cœur du récit : ce n’est pas l’intrigue secondaire de la météorite qui n’occupe que très peu de pages. Les météores sont également les personnes que l’on croise, qui passent dans notre vie. Ceux qui ne font que passer sont l’essence même de la vie de chaque individu.
Étrange titre, accouplé à un sous-titre énigmatique, une couverture qui dit très peu du contenu. Narration semblant parfois minimaliste que ce soit par les silences des personnages ou par des cases épurées. Pour autant, point de déprime ou de misérabilisme, de solitude rongeant l’âme. Le récit se déroule très tranquillement, même si des événements surviennent. Le lecteur sent qu’il reste immergé grâce à un sentiment diffus qu’il éprouve pour les personnages… jusqu’à ce qu’il prenne conscience des différents niveaux de sens de l’expression : Ceux qui ne font que passer. Émouvant.
Il s'agit pour moi ni plus ni moins que de la meilleure adaptation graphique du roman culte de Bram Stoker.
En rapport avec certains commentaire précédents, cette œuvre possède donc les défauts de ses qualités avec une adaptation graphique très fidèle du roman initial et donc des voix off et des dialogues qui peuvent paraitre trop présents et/ou datés. Pour ma part, je suis assez féru de BD de ce type, denses et qui prennent du temps à être lus et appréciées. Je ne reviendrai pas sur l'histoire que tout le monde connait, mais j'émettrai juste un regret, l’œuvre manque à mon sens d'un peu plus d'érotisme à la manière dont F.F. Coppola avait pu le faire dans son adaptation cinématographique et la fin aurait mérité un côté un peu plus épique. C'est presque trop facile d'en finir avec Dracula à mon goût...
Au niveau du dessin, les planches mêlant fond photographiques et scènes dessinées en noir et blanc sont vraiment magnifiques. J'ai particulièrement aimé les dessins d'illustrations du type de celui de la couverture qui parsèment ça et là l'ouvrage (notamment les débuts de chapitre). Le dessin et notamment les personnages auraient peut-être gagné en profondeur avec des nuances de gris plutôt qu'un basique noir et blanc mais je chipote.
Une œuvre à posséder tant pour sa fidélité à l’œuvre initiale que pour son dessin.
SCENARIO (Originalité, Histoire, personnages) : 8,5/10
GRAPHISME (Dessin, colorisation) : 8,5/10
NOTE GLOBALE : 17/20
Jeff Lemire signe un récit bouleversant, mêlant habilement drame intime et mystère. L’histoire, portée par une narration subtile et émouvante, suit un père hanté par la disparition de sa fille, perdu entre réalité et cauchemars.
Le style graphique épuré de Lemire, avec son trait expressif et ses aquarelles délicates, accentue l’intensité émotionnelle du récit. Chaque page respire la mélancolie et l’étrangeté, renforçant l’immersion dans cette quête poignante.
Un album magistral, à la fois touchant et captivant, qui prouve une fois de plus le talent unique de Lemire. Incontournable !
Rencontre aux sommets entre deux éminents artistes du Neuvième art, Alain Ayroles génial scénariste qui accumule les succès critiques et publics (Garulfo, De Cape et de Crocs, etc...) et Hervé Tanquerelle dessinateur classique aux style et traits facilement identifiables, le monsieur possède d'ailleurs lui aussi une bibliographie bien fournie et jalonnée de multiples pépites (Racontars Arctiques, Le Dernier Atlas).
Tout comme pour Les Indes fourbes, avec la formation d'un tel duo, les auteurs se savent attendus, le récit est ambitieux et s'étale sur plus de 250 pages. A trop vouloir en faire, en mettre, va-t-on sombrer dans la grandiloquence et le pompeux ? Alors, quid du résultat ? Eh bien, autant le dire d'entrée, et vous l'aurez vu à ma note plus haut, l'éléphant a accouché d'une ......baleine…..Et à bosse* qui plus est ! (*clin d'oeil au personnage principal!)
Véritable pièce de théâtre déclinée en Bande Dessinée, "Shakespearienne" dans l'âme, cette tragédie haletante et sans fausses notes comble les attentes et rempli les attendus d'un tel exercice.
Proposant donc une structure théâtrale, un découpage en cinq actes et multiples scènes, le séquençage qui en découle est de ce fait ultra rythmé et sans réel temps mort, on lit (avale) le livre avec gourmandise. D'autres codes sont empruntés avec réussite tel l’aparté quand le personnage principal Richard s’adresse directement aux lecteurs.
Cette grande fresque nous conte l'histoire d'un personnage comme je les aime : Ambigus, retors, antipathique mais également parfois touchant et attachant, particulièrement révélé à travers ses multiples faiblesses dont la principale et plus évidente, son handicap physique.
En parfait contrepoint d'un personnage aussi complexe et charismatique, le récit, d'une grande richesse, fourmille de formidables personnages secondaires très travaillés et tout aussi intéressants et subtils.
L'écriture d'Ayroles, aussi bien dans le descriptif que dans les dialogues est de concert avec l'ambition et le propos, finement ciselé, parfaite. Le verbe, tout en équilibre et justesse, sonne fort et beau.
Le scénario et l'écriture qui va avec à eux seuls auraient suffît à en faire une très grande BD mais ils sont soutenus par un dessin très détaillé, sublime et admirable tout au long des 250 pages sans signe d'essoufflement qui la transforme derechef en immense BD. Le trait de Tanquerelle est je trouve d'ailleurs, tout en gardant sa griffe, plus grand public que précédemment, me rappelant par moment Matthieu Bonhomme.
Même pas besoin de mentionner que c'est un gigantesque coup de coeur. Ce sera difficile de faire mieux en 2025, la barre est placée très (trop!) haut.
Lu dans sa version Noir Et Blanc, hâtez vous de vous la procurer s'il en reste en magasin, sinon, faites comme moi et ruez vous sur la version couleur disponible début Avril (Du peu entrevue des pages disponibles sur le net, le travail de colorisation semble remarquable !).
Paul le Poulpe voit l'avenir, vous ne le regretterez pas (et paf, le prochain posteur mettra une étoile !).
A peine sortie et déjà UN CLASSIQUE.
J'ai été vraiment séduit par cette adaptation décalée du Nouveau Testament proposée par JVH et Rosinski. Pourtant le pari était osé entre caricature grossière et copie sans âme ni recul, le chemin est étroit et rempli d'embuches. Mais le personnage de J'on est si attachant et si profond qu'il est difficile d'y rester insensible. Pris dans une destinée qui le dépasse mais qu'il ne refuse pas malgré les frustrations de ses propres désirs, J'on est une belle image de l'insignifiante faiblesse qui transforme l'Histoire. La narration est vive, précise et toujours relancée à chaque nouveau court chapitre. L'ensemble est d'une grande cohérence et l'auteur a su y ajouter une belle touche d'humour dans ce running gag des frustrations sexuelles de J'on vis à vis de G'wel. Les épisodes s'enchainent avec une telle fluidité sans facilité incongrue pour un final à la fois attendu et déroutant qui ouvre à la méditation.
La série n'aurait pas ce niveau d'excellence sans le formidable graphisme de Rosinski. J'ai lu la version intégrale en N&B qui m'a saisi dès la première case. Le trait est fin, élégant, souple et vif. Il apporte une grande expressivité et une fort dynamisme à la narration. Rosinski distribue temps forts de l'action et situations méditatives avec justesse pour un récit très équilibré. Ses personnages féminins sont tous d'une grande beauté, très sexy mais sans voyeurisme marchand. C'est un dessin qui n'a pas vieilli d'une ride, à faire pâlir d'envie nombre d'IA ou de tablettes numériques. A chaque nouvelle lecture on y découvre un nouvel élément.
Personnellement une très grande lecture toujours aussi moderne.
"Blacksad" m'aura fait de l'œil pendant très longtemps . Et s'il est sûr d'une chose, c'est que je ne regrette pas du tout d'avoir succombé à son charme.
Quelle claque j'ai reçue.
Il se dégage de ces polars comme une odeur des années 50-60, des clubs de jazz enfumés de NY ou de La Nouvelle Orleans.
Outre des dessins magnifiques, j'ai trouvé le choix des animaux très pertinent avec une réelle corrélation entre leur caractère et leur fonction.
Pour moi il s'agit clairement de la série anthropomorphiste la plus "réaliste" que j'ai pu lire.
John Blacksad me fait penser à Stacy Keach dans la série TV Mike Hammer pour ceux qui connaissent (faut bien avoir 40-45 ans minimum ). Je trouve que c'est la même atmosphère qui s'en dégage.
Si on devait relever un point négatif cela serait dans le dénouement des enquêtes qui peut être un peu trop rapide.
Cette série à été ,à juste titre, récompensée de nombreuses fois et devrait figurer en bonne place dans toute bibliothèque qui se respecte.
Jean, 32 ans, est chanteur dans un groupe de rock. Après une petite tournée, ils doivent partir enregistrer leur tout premier album aux Etats-Unis. Pour Jean, le rêve de sa vie est sur le point de se réaliser. Malheureusement pour lui, la vie a choisi pour lui un tout autre chemin...
"Je suis au-delà de la mort !" c'est certes l'histoire d'un combat, d'une colère mais c'est aussi et surtout une histoire d'amitié, d'ouverture aux autres et de nouveaux rêves à accomplir.
Je suis au-delà de la mort : qu'est ce que je peux trouver ces mots puissants. Ils provoquent chez moi une résonnance particulière. J'aurais aimé les entendre, j'espère n'avoir jamais à les dire.
Je suis au-delà de la mort : qu'est ce que ces mots respirent la vie.
Le graphisme à la Mario, souligné par Jeïrhk, apporte une touche de légèreté. Il tranche magnifiquement bien avec la dureté du thème et évite du coup cette chappe de plomb qui viendrait gâcher la lecture.
Moi j'ai versé ma larme quand ma compagne a elle littéralement fondu en larmes.
Vous aurez donc compris que cet ouvrage m'a (nous a) particulièrement marqué, touché.
Aussi si un jour par hasard vous avez la possibilité, la chance, de pouvoir le lire, alors ne passez pas votre chemin et saisissez cette opportunité incroyable de vous sentir VIVANT.
Aller de l'avant, c'est aussi prendre des risques.
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Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. La première édition date de 2019. Il a été écrit, dessiné et encré par Vincent Vanoli, auteur de bande dessinée ayant commencé sa carrière en 1989, ayant déjà réalisé plus de 35 histoires complètes en 1 tome, dont la précédente est La Femme d'argile parue en 2018. Ce tome comprend 60 pages de bande dessinée en noir & blanc, avec des nuances de gris.
En 1853; en Russie, Simirniakov se lève et ouvre les rideaux de sa grande chambre au premier étage de sa riche demeure de propriétaire terrien. Il regarde les gens s'affairer en bas : étendre le linge, s'apprêter à aller travailler aux champs. Il part faire le tour de ses terres, sur son cheval Vladimir. Toujours en selle, il écoute les informations d'Oboïeski, celui qui administre son domaine : le risque de l'abolition du servage, la possibilité de l'anticiper en créant une forme de représentativité au sein des moujiks, les travaux de réparation de clôture à programmer. Simirniakov continue son chemin et croise des paysans qui lui disent qu'il faut construire une digue pour éviter les inondations. Ils se mettent à faire des mines pour se conformer à l'allure de moujiks que le propriétaire attend, et il demande à Kolia de faire son numéro de vol dans les airs (ce qu'il fait). Simirniakov promet de demander à Oboïeski de faire construire une digue et il poursuit son chemin. Le lendemain matin, Simirniakov s'est assis sur le bord de son lit et il observe l'extérieur à travers la fenêtre. Sa femme toque à la porte pour l'exhorter à se lever et à s'occuper de son domaine qui en a bien besoin, Oboïeski ne pouvant pas s'occuper de tout.
Simirniakov finit par sortir faire un tour à cheval et passer au milieu des champs où travaillent les moujiks, mais sans s'arrêter. Il rentre chez lui où il est attendu par son personnel de maison et sa femme, car il a des invités pour le repas. Au milieu des banalités échangées, sa femme lui rappelle que ses filles reviennent à la maison le lendemain, et qu'elle partira en voyage en Europe avec elles en septembre. Sitôt le repas terminé, son fils Nounourskine indique qu'il sort faire la fête ce soir même. Il sort sur le pas de la porte et appelle le cocher André pour qu'il amène le tarantass. Arrivé au village, Nounourskine demande à André d'aller chercher des tziganes pour qu'ils jouent de la musique, et il retrouve son ami Sarvoskine pour faire la fête dans une auberge, avec leurs potes. Déjà bien éméchés, ils décident de poursuivre leurs libations dans les bois. L'un d'entre eux trouve une bonne idée de mettre le feu à l'isba qu'ils viennent de quitter, ce que fait Nournourskine. Le lendemain, Siminiakov fait l'effort de se lever et d'aller jusqu'à son balcon. Il se fait héler par sa femme qui lui dit que son cheva Vladimir ne veut pas être attelé. Elle prend un autre cheval. Une fois prêt, Simirniakov sort et harnache Vladimir pour aller se promener jusqu'à la Cabane aux Corbeaux. Chemin faisant, ils discutent sur la langueur qui s'empare souvent de Simirniakov.
En choisissant cette bande dessinée, le lecteur ne sait pas trop à quel genre de récit s'attendre, si ce n'est qu'il sera raconté de manière très personnelle par l'auteur. Il comprend rapidement qu'il s'agit d'une sorte de roman mettant en scène un riche propriétaire terrien, et ses relations avec sa famille, ainsi que ses états d'âme sur son existence. En termes de narration personnelle, il est servi dès la première page. Sur le plan de l'histoire, Vincent Vanoli utilise les outils classiques du roman. En termes de narration visuelle, le lecteur est tout de suite frappé par les idiosyncrasies. Il voit que l'artiste a choisi un rendu global plutôt dense, qui peut aller jusqu'à donner une impression générale de fouillis par endroit. La première case est de la largeur de la page, et il n'y a quasiment aucune surface blanche, du fait de nuances de gris appliquées sur presque toutes le surfaces pour apporter une impression de texture aux murs, au sol et aux meubles. L'avantage est que la cellule de texte à fond blanc ressort bien. La quatrième case occupe plus d'un tiers de la page et comporte elle aussi de nombreuses informations visuelles : la façade de la demeure à étage où toutes les poutres sont dessinées avec leur nervure, les 2 femmes en train d'étendre le linge, et un groupe de 8 paysans avec 2 chevaux en train de se houspiller.
Le lecteur s'immerge donc dans un monde étrange. Les personnages sont affublés de nez difformes au-delà de toute plausibilité morphologique. Il suffit de regarder les nez pour s'en rendre compte. Celui de Simirniakov mesure bien 15 centimètres de long avec une extrémité enroulé comme un escargot. C'est le modèle arboré par la plupart des personnages. Le lecteur peut aussi trouver des nez bien droits dont la longueur ferait rougir Pinocchio, et des nez bien ronds empruntés à Obélix et compagnie. S'il se livre au même examen pour les visages, il découvre des formes possibles d'un point de vue morphologique, des ronds parfaits, des oreilles aussi grandes que la tête, des visages trop étroits au niveau de la mâchoire supérieure, des sourcils qui ressemblent parfois à des bouts de coton collés au-dessus des yeux, des implantations capillaires impossibles, des barbes défiant la gravité, des vêtements souvent informes (sorte de grande robe unisexe très évasée vers le bas). Le lecteur sent que le dessinateur s'amuse bien à donner une apparence incongrue à ses personnages, avec un degré d'investissement incroyable au vu du nombre de personnages qu'il dessine, étant tous différents.
Avec les deux premières scènes, le lecteur s'immerge dans une forme de conte : l'enjeu n'est pas une reconstitution historique visuellement authentique (même si l'année est précisée : 1853) et il y a quelques remarques qui introduisent des éléments anachroniques. Il s'agit donc plus d'un regard décalé sur l'histoire d'un riche propriétaire terrien lassé de jouer son rôle. L'auteur promène le lecteur dans différents endroits : la demeure de Simirniakov, les champs, un bar, les écuries, le monastère du starets, une gare, un quartier populaire urbain, une maison servant de salle de réunion pour l'agitateur. À chaque fois, l'artiste effectue des représentations minutieuses pas forcément exactes, bourrées de détails, et s'amuse même avec un effet fish-eye. Dans un entretien, Vincent Vanoli a indiqué qu'il s'était inspiré des tableaux de Pieter Brueghel l'Ancien (1529-1565) pour la composition de certaines pages. Un peu dérouté au départ, le lecteur s'adapte rapidement aux idiosyncrasies visuelles de la narration, et n'en fait qu'à sa guise : consacrant plus de temps à telle case ou telle page pour en apprécier les facéties visuelles, passant moins de temps sur d'autres trop accaparé par l'intrigue ou la comédie.
Vincent Vanoli introduit également des références littéraires explicites, un personnage nommant Ivan Tourgueniev (1818-1883), Anton Tchekov (1860-1904), Léon (Lev Nikolaïevitch) Tolstoï (19828-1910), immédiatement suivi par une touche de dérision : mon préféré Tostoïevski. De la même manière, l'auteur incorpore également des références à de vrais faits historiques comme la guerre de Crimée (1853-1856). Certains personnages font également référence à des événements pas encore survenus comme l'abolition du servage en Russie en 1861, ou encore la révolution russe en 1917. D'autres se mettent à fredonner des chansons des Beatles. Le lecteur comprend que l'intention de l'auteur est de composer une histoire à la manière d'un roman russe, tout en y incorporant une bonne dose d'absurde et des facéties tant visuelles que dialoguées, ramenant au principe d'un conte haut en couleurs, à la vraisemblance malmenée, mais à la logique interne rigoureuse. Effectivement, cette bande dessinée peut se lire comme un roman russe (ou une parodie de roman russe) : une riche famille, un père à l'âme tourmentée par une remise en question, des paysans sous le joug du servage, une épouse uniquement préoccupée par ses obligations sociales, un fils aîné uniquement préoccupé de jouir de la vie sans égard pour les conséquences de ses actes, trois filles dont la présence réchauffe le cœur du père… et un cheval qui parle pour permettre au père d'énoncer tout haut ses états d'âme et à l'auteur de rabrouer son personnage principal par la voix de son cheval.
Vincent Vanoli réalise également le portrait d'une société, ou d'un système économique avec un regard moqueur : le riche propriétaire qui souhaite se libérer du fardeau de diriger son exploitation, le régisseur qui qui fait son travail consciencieusement et pallie les manquements de son maître sans chercher à le supplanter, les moujiks conscients de la forme d'exploitation qu'ils subissent sans chercher à se révolter pour autant. Au travers de ces 3 positions sociales, l'auteur en profite pour évoquer l'âme russe, en tournant en dérision ce mélange de résignation et d'envie de changement. Vincent Vanoli ne s'en tient pas à une simple fable caustique sur un système social : à plusieurs reprises, il pousse la réflexion plus loin que le simple constat. Le lecteur se rend compte que l'évocation anachronique des bouleversements sociaux à venir fait ressortir avec force l'obsolescence du modèle en place, mais aussi le manque de discernement des protagonistes persuadés de l'immuabilité de ce modèle et de sa pérennité. Avec un regard pénétrant, Vanoli décortique aussi bien l'avantage pour les patrons de mettre en place la libre concurrence entre les individus qui s'écharpent entre eux pour des miettes plutôt que de s'unir contre les patrons, que la docilité et la tiédeur des ouvriers qui préfèrent la sécurité d'un système de classes éprouvé plutôt que l'incertitude de l'inconnu, l'arnaque sans nom de la théorie du ruissellement (passage très savoureux), le lyrisme romantique de Simirniakov à l'abri du besoin matériel, ou encore discrètement la religion en tant qu'opium du peuple, tout ça avec une verve sarcastique piquante, sans être cynique.
S'il connaît déjà cet auteur, le lecteur est assuré de découvrir une bande dessinée atypique, et ce n'est rien de le dire. Sous des dehors de roman russe, Vincent Vanoli effectue la description d'une société de manière facétieuse que ce soit par les dessins comprenant diverses exagérations et déformations tout en conservant la priorité à la narration visuelle, ou par l'usage d'anachronismes choisis avec soin pour leur capacité révélatrice. Le tout forme un récit cohérent et savoureux, drôle et critique, intelligent atypique.
Voilà un prix Jeunesse bien mérité à mes yeux. Jeunesse et plus d'ailleurs car j'ai personnellement été pris par cette épopée d'Osamu et d'Akiko à travers les zones hautement contaminées de Fukushima pour honorer leur grand-mère et réunir tous leurs ancêtres. Laurent Galandon propose ainsi un récit à hauteur d'enfants sur les risques du nucléaire bien plus percutant et touchant que nombre de documentaires. Même si on reste dans une pure fiction sa narration et sa galerie de personnages est si crédible que j'y ai trouvé un petit côté documentaire à la Emmanuel Lepage dans Un printemps à Tchernobyl. En effet de nombreuses thématiques; sur la forêt, les animaux, les populations ou travailleurs autochtones se retrouvent .Dans les deux cas cela conduit à un récit chargé d'émotion où la vie veut vaincre la peur.
De façon très ingénieuse l'auteur introduit des sujets sensibles aux enfants: les animaux, les apparitions fantastiques dans un cadre moderne avec les tutos d'Akiko. C'est aussi une façon intelligente de faire connaître aux enfants urbains occidentaux ce Japon aux deux visages si moderne et si proche de la nature et de ses traditions ancestrales.
J'ai beaucoup apprécié le côté réaliste du parcours des deux enfants. Le capitaine de police Tamura n'est pas un gros incapable qui se laisse berner par deux super enfants à la mode James Bond. Les situations de fuite sont toutes bien trouvées même si certaines sont assez connues. Le beau personnage providentiel ( il en faut bien un) de Natsuo apporte beaucoup au récit à travers une séquence drôle et imprévue et introduit un final ouvert avec une forte charge émotionnelle.
Le graphisme avec une connotation Manga forte fait corps avec l'ambiance du récit. Cela convient parfaitement et plaira sûrement à un lectorat habitué à ce genre. C'est surtout vrai pour les personnages enfants, les adultes étant à mes yeux plus réalistes. Crouzat reste sobre dans l'expressivité de ses créatures en n'utilisant pas de SD plus ou moins humoristiques. J'y ai trouvé une raison de plus pour rester coller à ma lecture.
Une très belle lecture pour tous les âges (8 +) qui ne joue pas sur la peur ou l'anxiété malgré sa lucidité.
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Camus - Entre Justice et Mère
Quel écrivain, dès lors oserait, dans la bonne conscience, se faire prêcheur de vertu ? - Ce tome contient une histoire complète, de nature biographique. Son édition originale date de 2013 Il a été réalisé par José Lenzini (auteur des livres : Derniers jours de la vie d’Albert Camus, Camus et l’Algérie) pour le scénario, et par Laurent Gnoni pour les dessins et les couleurs. Il comprend cent-vingt-trois pages de bande dessinée. Il se termine avec une liste des vingt ouvrages d’Albert Camus sous forme d’un petit dessin dans une case carrée et du titre situé au-dessus, avec une liste en bonne et due forme et les dates dans la colonne de gauche. Quand le narrateur a appris la nouvelle, il a ressenti la nécessité d’écrire. Il a hésité. De l’eau a coulé sous les ponts depuis l’école Aumerat, depuis leurs virées au jardin d’Essai et aux Sablettes, depuis les matchs de foot au Champ-Vert ! Il a froissé plusieurs feuilles de papier sans pouvoir aller plus loin que les quelques mots du début. Albert, Bébert, Moustique ? Ils étaient si proche… Comment l’appeler sans être inconvenant ? L’enfance est loin et Albert a eu le prix Nobel, c’est quand même autre chose qu’un prix d’honneur de fin d’année ! Tiens le prix Nobel… Il pourrait commencer par ça, pourquoi pas ? Les copains et lui étaient tellement fiers quand Camus l’a eu ! Alors, il a ressorti une vieille machine à écrire, mais pas aussi vieille que leurs souvenirs de gosses, et il se met à lui parler avec ses mots écrits au fil de la mémoire partagée. Des lignes que Camus ne lira pas… Le jour est le 10 décembre 1957. Sous les ors et les brocarts de l’Hôtel de ville de Stockholm. Le narrateur imagine Camus… un goût âcre dans la bouche. Des gestes ankylosés par un engourdissement diffus. Tête lourde et tempes folles. Le souffle encore plus court qu’à l’issue de la récré. Il doit être blême. Au bord de l’évanouissement. Le doute oppresse une fois encore l’écrivain. Toujours ce vieux complexe face à un monde qui n’est pas le sien. Des flashs crépitent tels des soleils terribles. Comme il l’a dit à quelques proches, ce prix Nobel de littérature devait revenir à André Malraux. Albert n’a que quarante-trois ans. C’est un peu jeune. Et puis… son œuvre n’en est qu’à ses débuts. Une musique de cour retentit. Les applaudissements fusent dans un bruit de plage tourmentée. Impossible de se jeter à l’eau. Pourtant, il doit s’en souvenir, aux Sablettes, on y allait même par fortes vagues on y allait ! La guerre fait rage en Algérie. En ce moment de gloire, les pensées d’Albert Camus vont sûrement vers sa mère, là-bas, toujours silencieuse, résignée et digne dans sa pauvreté. Albert Camus entame son discours devant l’assemblée du prix Nobel : En recevant la distinction dont votre libre Académie a bien voulu m’honorer, ma gratitude était d’autant plus profonde que je mesurais à quel point cette récompense dépassait mes mérites personnels. Tout homme et, à plus forte raison, tout artiste, désire être reconnu. Je le désire aussi. Mais il ne m’a pas été possible d’apprendre votre décision sans comparer son retentissement à ce que je suis réellement. Pas facile de restituer toutes les dimensions d’un tel homme que Albert Camus (1913-1960) : philosophe, écrivain, journaliste militant en particulier pendant la seconde guerre mondiale, romancier, dramaturge et novelliste, s’étant engagé en faveur des indépendantistes algériens, et ayant également dénoncé la barbarie de l’arme atomique utilisée sur Hiroshima et sur Nagasaki (comme rappelé dans le présent ouvrage). Le scénariste propose un point de vue original : celui d’un ancien copain et camarade de classe de l’auteur. Ce dispositif permet aux auteurs d’utiliser des mises en page sortant de l’ordinaire. Régulièrement, le lecteur découvre un page de texte avec des illustrations, le narrateur écrivant ses souvenirs ou ses ressentis et ses attentes vis-à-vis de Camus. Une vingtaine de pages s’apparentent à du texte illustré, et quelques-unes encore à un récitatif courant au fil de cases de bande dessinée. La page intitulée Épilogue correspond à une page de texte sans illustration et elle introduit la dernière partie de huit pages, consacrée à la déclaration relative à la préférence accordée à sa mère avant la justice. En page cinq, le lecteur découvre un titre : Discours de Suède, première partie. Il y a encore quatre extraits dudit discours, qui ouvrent chacune un nouveau chapitre dans la vie de l’auteur. Le lecteur voit alors Albert Camus à la tribune devant l’assemblée convoquée par l’Académie suédoise, avec des phylactères contenant des extraits authentiques de son discours. D’une certaine manière, Albert Camus devient celui passé à la postérité, un peu après la moitié de l’ouvrage. Le scénariste a déjà consacré quatre ouvrages à cet écrivain, et il en présente la vie, faisant des choix sur les moments de sa vie retenus, et en intégrant plusieurs des convictions de Camus. Le lecteur plonge donc dans une présentation à la structure sophistiquée, plus ambitieuse qu’une reconstitution historique chronologique des faits. L’auteur accorde la moitié de la bande dessinée, à l’enfance d’Albert pour montrer d’où il vient, à la fois son histoire familiale, le contexte sociopolitique du milieu dans lequel il a grandi. La partie biographique commence avec la mère âgée de l’auteur se replongeant dans ses souvenirs, le pendant se trouvant dans l’épilogue qui est consacré à la phrase de l’auteur sur la défense de sa mère avant la justice. L’écrivain engagé naît en 1913 dans la campagne algérienne. Le lecteur ne s’attend pas forcément au dénuement qu’il voit : pas de voiture à l’époque mais une charrette, pas d’hôpital mais un médecin-colonel qui arrive après l’accouchement. L’emploi modeste du père : caviste dans une grande propriété vinicole, ce qui consiste à surveiller les vendanges en cours, veiller à la bonne marche des opérations dans un contexte colonial, avec un fond de racisme. Un voyage en train jusqu’à Alger en troisième classe du fait des faibles revenus du père. Un séjour chez la grand-mère qui compte chaque centime. L’opposition de cette dernière à ce que son petit-enfant continue des études car il doit travailler dès que possible pour améliorer les revenus de la famille. Etc. Le lecteur a peut-être relevé l’emploi d’une palette de couleurs assez particulière sur la couverture, avec ce fond jaune et cette ombre carmin. L’artiste compose ses cases avec un mixte de figures détourées par un trait de contour, et d’autres éléments représentés en couleur directe. En outre il met régulièrement en œuvre une palette de couleur avec des compositions expressionnistes, plutôt que naturalistes. Il en va ainsi pour la scène de déplacement sous la pluie et d’accouchement dans la cuisine : des aplats de deux tons de jaune, d’orange, de bleu foncé, développant une ambiance entre isolement dans la nuit et chaleur humaine de solidarité. Au fil des séquences, le lecteur ressent cette sensibilité apportée par les couleurs : la robe majoritairement en aplat noir solide de la grand-mère, les fonds de case rouge alors que l’enfant Albert ressent de plein fouet la colère sourde de sa grand-mère, le blanc éclatant alors que l’enfant court dans les rues d’Alger pour exprimer la force de la lumière du soleil, le marron terne lors du séjour à l’hôpital, la superbe alliance d’un rouge carmin pour un tapis avec les rats noirs formant une svastika sur le cercle blanc comme allégorie de La peste, etc. L’artiste sait rendre l’apparence d’Albert Camus. Il représente des personnages à la morphologie normale, sans exagération anatomique, en simplifiant leur représentation, moins de traits, tout en conservant leur humanité et leur capacité à susciter l’empathie chez le lecteur. Ce dernier sent la séduction graphique opérer sur lui : un équilibre parfait entre ce qui est montré et délimité par des traits de contour et ce qui est suggéré par les couleurs, sous-entendu et laissé à l’imagination. Il remarque la coordination étroite entre scénariste et artiste pour des mises en page pensées et imaginées spécifiquement en fonction de la scène. Il voit des trouvailles visuelles très expressives : des pages sans bordure avec des images se fondant l’une dans l’autre pour exprimer une continuité (par exemple dans les différentes tâches professionnelles de Lucien Auguste Camus), des cases de la largeur de la page pour un effet panoramique mettant en valeur la beauté des paysages algériens, des personnages dessinés par-dessus les cases d’une page pour indiquer qu’ils passent de l’une à l’autre lors de leur trajet, trois cases de la hauteur de la page pour conférer la sensation d’étroitesse de l’appartement de la grand-mère, une case se déployant comme une bande médiane sur deux pages en vis-à-vis avec les personnages représentés dans différentes positions, un fac-similé de une d’un journal, un champignon atomique avec un monceau de crânes à son pied, le visage de Camus en noir sur fond blanc dans la partie gauche de la planche s’opposant à celui de Sartre en contraste inversé (traits de contour blancs sur fond noir) pour marquer l’opposition irréconciliable, etc. Le lecteur sent bien que les auteurs brossent un portrait orienté d’Albert Camus. Du fait de la pagination, ils ont dû faire des choix : en particulier, ils ne s’appesantissent pas les rappels historiques, ils ne développent ni le contexte de la seconde guerre mondiale, ni celui de la guerre d’Algérie (1954-1962) dont il vaut mieux disposer d’une connaissance basique pour apprécier et comprendre la position de l’écrivain. De la même manière, ils évoquent les titres des ouvrages de l’écrivain, sans les présenter que ce soit leur intrigue, ou leur contenu philosophique. Là encore, une connaissance superficielle ajoute à la richesse de cette lecture. Ils ont choisi le point de vue familial et celui du contexte géographique, social et historique. Ils se tiennent à l’écart d’une narration de type Moments clés ayant défini à tout jamais la trajectoire de vie d’Albert Camus, se positionnant plutôt dans une optique montrant les conditions dans lesquelles se sont opérées son enfance et sa trajectoire de vie jusqu’à l’âge adulte, le lecteur étant libre d’en déduire comment se sont forgées ses convictions morales, et comment il a été conduit à s’engager dans certaines causes. Impossible de présenter Albert Camus de façon complète dans un ouvrage de moins de cent-cinquante pages. Aussi, il apparaît que les auteurs ont choisi sciemment un point de vue, celui d’un ancien camarade de classe de l’écrivain, pour évoquer des composantes précises de la vie de l’auteur. La narration visuelle s’avère très agréable, avec des émotions portées par des compositions de couleurs, et une mise à profit de solutions visuelles variées. Le lecteur découvre la singularité du parcours de vie d’Albert Camus, en tant qu’homme de son temps, avec des origines qui lui sont propres, l’amenant à mieux comprendre ses choix d’auteur. Enrichissant.
Les Météores
On essaie tous de faire de notre mieux. C’est le plus important, non ? - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Son format est à l’italienne, avec des dimensions de demi-format d’une bande dessinée franco-belge traditionnelle. Son édition originale date de 2024. Il a été réalisé par J.C. Deveney pour le scénario, et par Tommy Redolfi pour les dessins et les couleurs. Il comprend trois-cent-dix pages de bande dessinée. Elijah et Leblond, deux amis adolescents skaters, se tiennent sur un pont au-dessus d’une autoroute de deux fois quatre voies, regardant les véhicules passer en contrebas. Le premier raconte à son pote que quand il était petit, son père l’emmenait ici pour regarder les bagnoles, c’était leur sortie du samedi… Enfin jusqu’à ce qu’il se barre. Cela fait réfléchir Leblond qui pensait que son beau-père était pénible. Elijah continue : c’est clair qu’il rouillait sévère, regarder filer des voitures pendant une heure, y avait plus excitant. Il pense que son père ne faisait pas ça parce qu’il pensait déjà à se tailler, même sans ça il les aurait quittés. En vrai, il pense que son père espérait qu’il se passe un truc. Un accident, un crash, quelque chose qui changerait de l’ordinaire. En plus, il suffit de pas grand-chose pour que ça arrive ! Un caillou, un bout de métal… N’importe quoi qui tombe du pont. On imagine : le pare-brise qui explose, la bagnole qui vrille et qui va en fracasser d’autres ! Le pur feu d’artifice ! En même temps un accident, ça dure jamais. Ils continuent à discuter, se disant que le vrai frisson serait de traverser avec leur planche. Leblond finit sa bouteille, la jette par-dessus le grillage, et ils partent sur leur planche. Dans l’espace, un météore poursuit sa trajectoire, dans le vide. Hollie, aide-soignante, attend le bus dans le froid et la neige. Elle voit arriver un homme fort et de grande stature. Il s’assoit à côté d’elle dans l’abribus, en laissant une place vide entre eux. Floyd prend la parole : il s’excuse, car il ne la reconnaît pas, c’est parce qu’il a des blancs des fois. Il continue : il croise des gens, il discute et puis, pffuiit, ça s’en va. Elle le rassure : ils ne se sont jamais croisés. Il reprend la parole : Gary dit que ce n’est pas la peine qu’il raconte tout ça à tout le monde. Mais Floyd trouve que c’est mieux de dire ce qui est vrai. Elle acquiesce, surtout qu’il n’y a pas de honte à avoir, les blancs, c’est des choses qui arrivent. Il se présente et donne son nom, elle donne le sien. Il lui demande si c’est la première fois qu’elle attend le 34 de 05h46. Elle indique que oui, d’habitude elle prend sa voiture, mais elle est tombée en panne hier. Floyd se lève et dit qu’il aime bien quand la neige tombe, parce on ne sait pas si c’est elle qui descend ou si c’est soi qui monte. Hollie se souvient de son fils Elijah enfant faisant une boule de neige. Le bus arrive, la radio diffuse une chanson de Rufus Wainwright, Going to a town. Cette même chanson est diffusée par le poste dans la chambre de Casey, une jeune femme. Elle se lève et appelle son chien Chuck. Elle sort sous la neige et continue de l’appeler. Elle découvre quatre chiens sauvages qui se mettent à aboyer contre elle. Elle rentre se mettre à l’abri. Un titre déconcertant : il annonce des météores, et en effet dans les pages huit à dix, le lecteur peut avoir un premier aperçu de l’approche d’un météore dont il ne fait nul doute qu’il fonce sur la Terre. Dans le même temps, le titre évoque des individus qui ne font que passer, et cela ne semble pas s’appliquer au météore, mais à des êtres humains, peut-être ceux qui passent par la ville. Cette dernière n’est jamais nommée, et le lecteur en vient à supposer qu’il s’agit d’une ville de faible importance en nombre d’habitants. Elle compte toutefois un magasin de meubles à monter soi-même dénommé Aeki, enseigne que le lecteur identifie facilement en lisant ce nom de droite à gauche. Il commence par faire connaissance avec les deux skaters… qui ne sont pas nommés. Il faudra attendre la page cinquante pour les revoir avec deux autres potes, et commencer à relever un nom, mais pas tous. Ils zonent avec deux adolescentes. Bref, le lecteur finit par identifier Dawn (brune à lunettes), Elijah (afro-américain), Leblond (fumeur) et Jess (jeune fille pas compliquée). Mollie et Floyd se présentent l’un à l’autre, avec un physique plus facilement mémorisable. De la même manière, il faut un peu de temps pour mettre un nom sur le visage de l’employée d’Aeki : Casey. Encore plus de pages avant de croiser le prénom de son collègue revêche : Sammy. Charlie est appelée par son nom dès sa première apparition. À contrario, le lecteur voit Floyd parler de Gary, bien avant qu’il ne fasse son apparition, et c’est le seul personnage à être doté d’un nom de famille, Hansom. Quelques seconds rôles peu nombreux dont le couple formé par Linda et Don (professeur), sans oublier la jeune manager chez Aeki. Le lecteur se retrouve un peu déconcerté par cette absence de nom de famille, car les dessins peuvent parfois lui sembler sommaires, laissant planer un doute sur l’identité de tel ou tel personnage à deux ou trois reprises. En outre, les dialogues s’avèrent brefs et concis, sans aucune bulle de pensée, ou cartouche de texte avec une voix intérieure. La couverture peut donner une impression d’image dense en informations visuelles, et complexe en composition, en particulier dans l’usage des couleurs. Il en va de même avec la première planche. La perception du lecteur se modifie un peu par la suite, devenant sensible à une approche plus épurée, dans les formes, dans le choix des détails signifiants. Les dessins ne donnent pas l’impression d’être plus simples, ou simplistes, plutôt plus focalisés sur un point d’attention central. Tout se joue dans les impressions du lecteur. L’impression d’un récit taiseux : l’ouvrage compte quatre-vingt-dix pages silencieuses, dépourvues de tout mot, une forme de minimalisme, et en même temps une confiance dans le fait que les images se suffisent à elles-mêmes pour raconter. Une dizaine de personnages avec un rôle significatif, à la fois une belle distribution, à la fois l’impression de rester dans un cercle assez fermé. Des images parfois très dépouillées : dans le même temps, elles font sens, et les auteurs mettent à profit la forte pagination de leur ouvrage pour prendre le temps de raconter certains moments et de focaliser leur regard sur un geste, une attitude ou accessoire. Une fois passée la première apparition du météore, en noir & blanc pour un contraste maximal, le récit revient à des situations banales du quotidien : attendre le bus au petit matin, se souvenir de la première boule de neige de son fils, s’enquérir de son chien, aider un homme âgé ayant perdu en autonomie, regarder un oiseau voler, subir les récriminations d’un collègue contre la direction dans le vestiaire, zoner avec des potes avec la flemme de faire du skate, échanger des banalités au comptoir dans un café, ressentir pleinement la banalité de la solitude, etc. La narration visuelle s’avère respectueuse et attentive. La mise en couleur joue sur quelques teintes, souvent sombres sans être vraiment ternes. Le lecteur ressent de la sympathie pour ces individus normaux, vivant leur quotidien avec un mélange de courage et de résignation, une ténacité tout ce qu’il y a de plus mécanique, qui pourtant génère un sentiment de respect et d’empathie chez le lecteur, car il reconnaît bien cette saveur du quotidien qui n’apporte que la même chose, sans plus de réel goût, tout en étant réconfortant par sa prédictibilité. Dans le contexte de cette vie normale et sans éclat, les événements sortant de l’ordinaire apparaissent pour ce qu’ils sont : la conséquence inéluctable de tous les événements précédents, dont il n’y a donc pas raison de s’étonner, un engourdissement gagnant chaque individu ayant intégré inconsciemment que c’est l’ordre immuable des choses. Du coup, un licenciement, un incendie volontaire, des informations alarmantes sur la progression du météore s’avèrent dénués d’effet sur l’instant présent, sur la suite, une progression inéluctable qui pourrait presqu’être prédite, un enchaînement de causalités préétabli. À l’évidence, l’état mental de Floyd n’ira pas en s’améliorant, et Gary ne pourra pas toujours s’occuper de lui. Le mode de management d’Aeki apparaît pour ce qu’il est : des techniques pour flatter les employés, les motiver par un esprit d’équipe artificiel dans la mesure où il ne repose que sur eux, sans aucune implication des actionnaires sans visage. Le lecteur repense à la citation de Raymond Carver en exergue : Plus de destin. Juste un enchaînement de petits faits qui n’ont d’autre sens que celui qu’on veut bien leur donner. Une vie machinale, sans objet. La vie de tout le monde. Un autre personnage résume la dynamique de la vie : On essaie tous de faire de notre mieux, c’est le plus important, non ? Pourtant, le comportement des personnages ne relève pas de la neurasthénie. Une forme de fluide passe dans ces vies, de principe vital, que le lecteur n’arrive pas tout à fait à identifier. Il revient au titre et à ce météore qui approche : finalement cette menace sur la survie de la Terre et de l’espèce humaine ne change pas grand-chose au quotidien, voire dans un moment atroce un personnage prend conscience que l’entreprise Aeki a pris ses dispositions pour fourguer le maximum de camelote avant que son établissement situé dans la zone d’impact ne soit détruit. Le lecteur repense également à Elijah parlant de son père : en fait il pense que son père espérait qu’il se passe un truc. Les personnages du récit ont dépassé ce stade : ils n’attendent plus rien, ils sont persuadés que leur vie va lentement se dégrader, grignotée par l’entropie. Ils ne s’y sont pas résignés : ils ont accepté cet état de fait, et s’y sont adaptés, vivent en cohérence avec cette vision de l’existence. Page quatre-vingt-douze, Hollie arrive chez Maggie pour lui prodiguer des soins, effectuer une prise de sang. La vieille dame lui dit qu’elle aime les livres qui ne se contentent pas de raconter une histoire avec un début et une fin. Ceux qui ressemblent à la vie. Ou qui essaient en tout cas. Dans la vie, il n’y a pas de personnages principaux et de personnages secondaires. On a tous notre rôle à jouer. Tous notre importance. Le lecteur comprend que les auteurs effectuent une déclaration d’intention sur leur propre ouvrage et même une profession de foi personnelle. Il repense alors au sous-titre Ceux qui ne font que passer. Bien sûr cela désigne les individus qui risquent de périr lors de l’impact de la météorite. En prenant un peu de recul, cela désigne également tous les individus croisés par Floyd, car la mémoire de celui-ci n’est pas fiable, et il oublie les gens qu’il croise. Le lecteur peut se dire qu’il en va de même pour lui : de nombreuses connaissances, ou collègues, ou anonymes dans les transports en commun ou dans les voitures du flux de circulation, autant de personnes qui ne font que passer dans sa vie. À la lumière de ce point de vue, il prend conscience de ce qui fait le cœur du récit : ce n’est pas l’intrigue secondaire de la météorite qui n’occupe que très peu de pages. Les météores sont également les personnes que l’on croise, qui passent dans notre vie. Ceux qui ne font que passer sont l’essence même de la vie de chaque individu. Étrange titre, accouplé à un sous-titre énigmatique, une couverture qui dit très peu du contenu. Narration semblant parfois minimaliste que ce soit par les silences des personnages ou par des cases épurées. Pour autant, point de déprime ou de misérabilisme, de solitude rongeant l’âme. Le récit se déroule très tranquillement, même si des événements surviennent. Le lecteur sent qu’il reste immergé grâce à un sentiment diffus qu’il éprouve pour les personnages… jusqu’à ce qu’il prenne conscience des différents niveaux de sens de l’expression : Ceux qui ne font que passer. Émouvant.
Dracula (Bess)
Il s'agit pour moi ni plus ni moins que de la meilleure adaptation graphique du roman culte de Bram Stoker. En rapport avec certains commentaire précédents, cette œuvre possède donc les défauts de ses qualités avec une adaptation graphique très fidèle du roman initial et donc des voix off et des dialogues qui peuvent paraitre trop présents et/ou datés. Pour ma part, je suis assez féru de BD de ce type, denses et qui prennent du temps à être lus et appréciées. Je ne reviendrai pas sur l'histoire que tout le monde connait, mais j'émettrai juste un regret, l’œuvre manque à mon sens d'un peu plus d'érotisme à la manière dont F.F. Coppola avait pu le faire dans son adaptation cinématographique et la fin aurait mérité un côté un peu plus épique. C'est presque trop facile d'en finir avec Dracula à mon goût... Au niveau du dessin, les planches mêlant fond photographiques et scènes dessinées en noir et blanc sont vraiment magnifiques. J'ai particulièrement aimé les dessins d'illustrations du type de celui de la couverture qui parsèment ça et là l'ouvrage (notamment les débuts de chapitre). Le dessin et notamment les personnages auraient peut-être gagné en profondeur avec des nuances de gris plutôt qu'un basique noir et blanc mais je chipote. Une œuvre à posséder tant pour sa fidélité à l’œuvre initiale que pour son dessin. SCENARIO (Originalité, Histoire, personnages) : 8,5/10 GRAPHISME (Dessin, colorisation) : 8,5/10 NOTE GLOBALE : 17/20
Le Labyrinthe inachevé
Jeff Lemire signe un récit bouleversant, mêlant habilement drame intime et mystère. L’histoire, portée par une narration subtile et émouvante, suit un père hanté par la disparition de sa fille, perdu entre réalité et cauchemars. Le style graphique épuré de Lemire, avec son trait expressif et ses aquarelles délicates, accentue l’intensité émotionnelle du récit. Chaque page respire la mélancolie et l’étrangeté, renforçant l’immersion dans cette quête poignante. Un album magistral, à la fois touchant et captivant, qui prouve une fois de plus le talent unique de Lemire. Incontournable !
La Terre verte
Rencontre aux sommets entre deux éminents artistes du Neuvième art, Alain Ayroles génial scénariste qui accumule les succès critiques et publics (Garulfo, De Cape et de Crocs, etc...) et Hervé Tanquerelle dessinateur classique aux style et traits facilement identifiables, le monsieur possède d'ailleurs lui aussi une bibliographie bien fournie et jalonnée de multiples pépites (Racontars Arctiques, Le Dernier Atlas). Tout comme pour Les Indes fourbes, avec la formation d'un tel duo, les auteurs se savent attendus, le récit est ambitieux et s'étale sur plus de 250 pages. A trop vouloir en faire, en mettre, va-t-on sombrer dans la grandiloquence et le pompeux ? Alors, quid du résultat ? Eh bien, autant le dire d'entrée, et vous l'aurez vu à ma note plus haut, l'éléphant a accouché d'une ......baleine…..Et à bosse* qui plus est ! (*clin d'oeil au personnage principal!) Véritable pièce de théâtre déclinée en Bande Dessinée, "Shakespearienne" dans l'âme, cette tragédie haletante et sans fausses notes comble les attentes et rempli les attendus d'un tel exercice. Proposant donc une structure théâtrale, un découpage en cinq actes et multiples scènes, le séquençage qui en découle est de ce fait ultra rythmé et sans réel temps mort, on lit (avale) le livre avec gourmandise. D'autres codes sont empruntés avec réussite tel l’aparté quand le personnage principal Richard s’adresse directement aux lecteurs. Cette grande fresque nous conte l'histoire d'un personnage comme je les aime : Ambigus, retors, antipathique mais également parfois touchant et attachant, particulièrement révélé à travers ses multiples faiblesses dont la principale et plus évidente, son handicap physique. En parfait contrepoint d'un personnage aussi complexe et charismatique, le récit, d'une grande richesse, fourmille de formidables personnages secondaires très travaillés et tout aussi intéressants et subtils. L'écriture d'Ayroles, aussi bien dans le descriptif que dans les dialogues est de concert avec l'ambition et le propos, finement ciselé, parfaite. Le verbe, tout en équilibre et justesse, sonne fort et beau. Le scénario et l'écriture qui va avec à eux seuls auraient suffît à en faire une très grande BD mais ils sont soutenus par un dessin très détaillé, sublime et admirable tout au long des 250 pages sans signe d'essoufflement qui la transforme derechef en immense BD. Le trait de Tanquerelle est je trouve d'ailleurs, tout en gardant sa griffe, plus grand public que précédemment, me rappelant par moment Matthieu Bonhomme. Même pas besoin de mentionner que c'est un gigantesque coup de coeur. Ce sera difficile de faire mieux en 2025, la barre est placée très (trop!) haut. Lu dans sa version Noir Et Blanc, hâtez vous de vous la procurer s'il en reste en magasin, sinon, faites comme moi et ruez vous sur la version couleur disponible début Avril (Du peu entrevue des pages disponibles sur le net, le travail de colorisation semble remarquable !). Paul le Poulpe voit l'avenir, vous ne le regretterez pas (et paf, le prochain posteur mettra une étoile !). A peine sortie et déjà UN CLASSIQUE.
Le Grand Pouvoir du Chninkel
J'ai été vraiment séduit par cette adaptation décalée du Nouveau Testament proposée par JVH et Rosinski. Pourtant le pari était osé entre caricature grossière et copie sans âme ni recul, le chemin est étroit et rempli d'embuches. Mais le personnage de J'on est si attachant et si profond qu'il est difficile d'y rester insensible. Pris dans une destinée qui le dépasse mais qu'il ne refuse pas malgré les frustrations de ses propres désirs, J'on est une belle image de l'insignifiante faiblesse qui transforme l'Histoire. La narration est vive, précise et toujours relancée à chaque nouveau court chapitre. L'ensemble est d'une grande cohérence et l'auteur a su y ajouter une belle touche d'humour dans ce running gag des frustrations sexuelles de J'on vis à vis de G'wel. Les épisodes s'enchainent avec une telle fluidité sans facilité incongrue pour un final à la fois attendu et déroutant qui ouvre à la méditation. La série n'aurait pas ce niveau d'excellence sans le formidable graphisme de Rosinski. J'ai lu la version intégrale en N&B qui m'a saisi dès la première case. Le trait est fin, élégant, souple et vif. Il apporte une grande expressivité et une fort dynamisme à la narration. Rosinski distribue temps forts de l'action et situations méditatives avec justesse pour un récit très équilibré. Ses personnages féminins sont tous d'une grande beauté, très sexy mais sans voyeurisme marchand. C'est un dessin qui n'a pas vieilli d'une ride, à faire pâlir d'envie nombre d'IA ou de tablettes numériques. A chaque nouvelle lecture on y découvre un nouvel élément. Personnellement une très grande lecture toujours aussi moderne.
Blacksad
"Blacksad" m'aura fait de l'œil pendant très longtemps . Et s'il est sûr d'une chose, c'est que je ne regrette pas du tout d'avoir succombé à son charme. Quelle claque j'ai reçue. Il se dégage de ces polars comme une odeur des années 50-60, des clubs de jazz enfumés de NY ou de La Nouvelle Orleans. Outre des dessins magnifiques, j'ai trouvé le choix des animaux très pertinent avec une réelle corrélation entre leur caractère et leur fonction. Pour moi il s'agit clairement de la série anthropomorphiste la plus "réaliste" que j'ai pu lire. John Blacksad me fait penser à Stacy Keach dans la série TV Mike Hammer pour ceux qui connaissent (faut bien avoir 40-45 ans minimum ). Je trouve que c'est la même atmosphère qui s'en dégage. Si on devait relever un point négatif cela serait dans le dénouement des enquêtes qui peut être un peu trop rapide. Cette série à été ,à juste titre, récompensée de nombreuses fois et devrait figurer en bonne place dans toute bibliothèque qui se respecte.
Je suis au-delà de la mort !
Jean, 32 ans, est chanteur dans un groupe de rock. Après une petite tournée, ils doivent partir enregistrer leur tout premier album aux Etats-Unis. Pour Jean, le rêve de sa vie est sur le point de se réaliser. Malheureusement pour lui, la vie a choisi pour lui un tout autre chemin... "Je suis au-delà de la mort !" c'est certes l'histoire d'un combat, d'une colère mais c'est aussi et surtout une histoire d'amitié, d'ouverture aux autres et de nouveaux rêves à accomplir. Je suis au-delà de la mort : qu'est ce que je peux trouver ces mots puissants. Ils provoquent chez moi une résonnance particulière. J'aurais aimé les entendre, j'espère n'avoir jamais à les dire. Je suis au-delà de la mort : qu'est ce que ces mots respirent la vie. Le graphisme à la Mario, souligné par Jeïrhk, apporte une touche de légèreté. Il tranche magnifiquement bien avec la dureté du thème et évite du coup cette chappe de plomb qui viendrait gâcher la lecture. Moi j'ai versé ma larme quand ma compagne a elle littéralement fondu en larmes. Vous aurez donc compris que cet ouvrage m'a (nous a) particulièrement marqué, touché. Aussi si un jour par hasard vous avez la possibilité, la chance, de pouvoir le lire, alors ne passez pas votre chemin et saisissez cette opportunité incroyable de vous sentir VIVANT.
Simirniakov
Aller de l'avant, c'est aussi prendre des risques. - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. La première édition date de 2019. Il a été écrit, dessiné et encré par Vincent Vanoli, auteur de bande dessinée ayant commencé sa carrière en 1989, ayant déjà réalisé plus de 35 histoires complètes en 1 tome, dont la précédente est La Femme d'argile parue en 2018. Ce tome comprend 60 pages de bande dessinée en noir & blanc, avec des nuances de gris. En 1853; en Russie, Simirniakov se lève et ouvre les rideaux de sa grande chambre au premier étage de sa riche demeure de propriétaire terrien. Il regarde les gens s'affairer en bas : étendre le linge, s'apprêter à aller travailler aux champs. Il part faire le tour de ses terres, sur son cheval Vladimir. Toujours en selle, il écoute les informations d'Oboïeski, celui qui administre son domaine : le risque de l'abolition du servage, la possibilité de l'anticiper en créant une forme de représentativité au sein des moujiks, les travaux de réparation de clôture à programmer. Simirniakov continue son chemin et croise des paysans qui lui disent qu'il faut construire une digue pour éviter les inondations. Ils se mettent à faire des mines pour se conformer à l'allure de moujiks que le propriétaire attend, et il demande à Kolia de faire son numéro de vol dans les airs (ce qu'il fait). Simirniakov promet de demander à Oboïeski de faire construire une digue et il poursuit son chemin. Le lendemain matin, Simirniakov s'est assis sur le bord de son lit et il observe l'extérieur à travers la fenêtre. Sa femme toque à la porte pour l'exhorter à se lever et à s'occuper de son domaine qui en a bien besoin, Oboïeski ne pouvant pas s'occuper de tout. Simirniakov finit par sortir faire un tour à cheval et passer au milieu des champs où travaillent les moujiks, mais sans s'arrêter. Il rentre chez lui où il est attendu par son personnel de maison et sa femme, car il a des invités pour le repas. Au milieu des banalités échangées, sa femme lui rappelle que ses filles reviennent à la maison le lendemain, et qu'elle partira en voyage en Europe avec elles en septembre. Sitôt le repas terminé, son fils Nounourskine indique qu'il sort faire la fête ce soir même. Il sort sur le pas de la porte et appelle le cocher André pour qu'il amène le tarantass. Arrivé au village, Nounourskine demande à André d'aller chercher des tziganes pour qu'ils jouent de la musique, et il retrouve son ami Sarvoskine pour faire la fête dans une auberge, avec leurs potes. Déjà bien éméchés, ils décident de poursuivre leurs libations dans les bois. L'un d'entre eux trouve une bonne idée de mettre le feu à l'isba qu'ils viennent de quitter, ce que fait Nournourskine. Le lendemain, Siminiakov fait l'effort de se lever et d'aller jusqu'à son balcon. Il se fait héler par sa femme qui lui dit que son cheva Vladimir ne veut pas être attelé. Elle prend un autre cheval. Une fois prêt, Simirniakov sort et harnache Vladimir pour aller se promener jusqu'à la Cabane aux Corbeaux. Chemin faisant, ils discutent sur la langueur qui s'empare souvent de Simirniakov. En choisissant cette bande dessinée, le lecteur ne sait pas trop à quel genre de récit s'attendre, si ce n'est qu'il sera raconté de manière très personnelle par l'auteur. Il comprend rapidement qu'il s'agit d'une sorte de roman mettant en scène un riche propriétaire terrien, et ses relations avec sa famille, ainsi que ses états d'âme sur son existence. En termes de narration personnelle, il est servi dès la première page. Sur le plan de l'histoire, Vincent Vanoli utilise les outils classiques du roman. En termes de narration visuelle, le lecteur est tout de suite frappé par les idiosyncrasies. Il voit que l'artiste a choisi un rendu global plutôt dense, qui peut aller jusqu'à donner une impression générale de fouillis par endroit. La première case est de la largeur de la page, et il n'y a quasiment aucune surface blanche, du fait de nuances de gris appliquées sur presque toutes le surfaces pour apporter une impression de texture aux murs, au sol et aux meubles. L'avantage est que la cellule de texte à fond blanc ressort bien. La quatrième case occupe plus d'un tiers de la page et comporte elle aussi de nombreuses informations visuelles : la façade de la demeure à étage où toutes les poutres sont dessinées avec leur nervure, les 2 femmes en train d'étendre le linge, et un groupe de 8 paysans avec 2 chevaux en train de se houspiller. Le lecteur s'immerge donc dans un monde étrange. Les personnages sont affublés de nez difformes au-delà de toute plausibilité morphologique. Il suffit de regarder les nez pour s'en rendre compte. Celui de Simirniakov mesure bien 15 centimètres de long avec une extrémité enroulé comme un escargot. C'est le modèle arboré par la plupart des personnages. Le lecteur peut aussi trouver des nez bien droits dont la longueur ferait rougir Pinocchio, et des nez bien ronds empruntés à Obélix et compagnie. S'il se livre au même examen pour les visages, il découvre des formes possibles d'un point de vue morphologique, des ronds parfaits, des oreilles aussi grandes que la tête, des visages trop étroits au niveau de la mâchoire supérieure, des sourcils qui ressemblent parfois à des bouts de coton collés au-dessus des yeux, des implantations capillaires impossibles, des barbes défiant la gravité, des vêtements souvent informes (sorte de grande robe unisexe très évasée vers le bas). Le lecteur sent que le dessinateur s'amuse bien à donner une apparence incongrue à ses personnages, avec un degré d'investissement incroyable au vu du nombre de personnages qu'il dessine, étant tous différents. Avec les deux premières scènes, le lecteur s'immerge dans une forme de conte : l'enjeu n'est pas une reconstitution historique visuellement authentique (même si l'année est précisée : 1853) et il y a quelques remarques qui introduisent des éléments anachroniques. Il s'agit donc plus d'un regard décalé sur l'histoire d'un riche propriétaire terrien lassé de jouer son rôle. L'auteur promène le lecteur dans différents endroits : la demeure de Simirniakov, les champs, un bar, les écuries, le monastère du starets, une gare, un quartier populaire urbain, une maison servant de salle de réunion pour l'agitateur. À chaque fois, l'artiste effectue des représentations minutieuses pas forcément exactes, bourrées de détails, et s'amuse même avec un effet fish-eye. Dans un entretien, Vincent Vanoli a indiqué qu'il s'était inspiré des tableaux de Pieter Brueghel l'Ancien (1529-1565) pour la composition de certaines pages. Un peu dérouté au départ, le lecteur s'adapte rapidement aux idiosyncrasies visuelles de la narration, et n'en fait qu'à sa guise : consacrant plus de temps à telle case ou telle page pour en apprécier les facéties visuelles, passant moins de temps sur d'autres trop accaparé par l'intrigue ou la comédie. Vincent Vanoli introduit également des références littéraires explicites, un personnage nommant Ivan Tourgueniev (1818-1883), Anton Tchekov (1860-1904), Léon (Lev Nikolaïevitch) Tolstoï (19828-1910), immédiatement suivi par une touche de dérision : mon préféré Tostoïevski. De la même manière, l'auteur incorpore également des références à de vrais faits historiques comme la guerre de Crimée (1853-1856). Certains personnages font également référence à des événements pas encore survenus comme l'abolition du servage en Russie en 1861, ou encore la révolution russe en 1917. D'autres se mettent à fredonner des chansons des Beatles. Le lecteur comprend que l'intention de l'auteur est de composer une histoire à la manière d'un roman russe, tout en y incorporant une bonne dose d'absurde et des facéties tant visuelles que dialoguées, ramenant au principe d'un conte haut en couleurs, à la vraisemblance malmenée, mais à la logique interne rigoureuse. Effectivement, cette bande dessinée peut se lire comme un roman russe (ou une parodie de roman russe) : une riche famille, un père à l'âme tourmentée par une remise en question, des paysans sous le joug du servage, une épouse uniquement préoccupée par ses obligations sociales, un fils aîné uniquement préoccupé de jouir de la vie sans égard pour les conséquences de ses actes, trois filles dont la présence réchauffe le cœur du père… et un cheval qui parle pour permettre au père d'énoncer tout haut ses états d'âme et à l'auteur de rabrouer son personnage principal par la voix de son cheval. Vincent Vanoli réalise également le portrait d'une société, ou d'un système économique avec un regard moqueur : le riche propriétaire qui souhaite se libérer du fardeau de diriger son exploitation, le régisseur qui qui fait son travail consciencieusement et pallie les manquements de son maître sans chercher à le supplanter, les moujiks conscients de la forme d'exploitation qu'ils subissent sans chercher à se révolter pour autant. Au travers de ces 3 positions sociales, l'auteur en profite pour évoquer l'âme russe, en tournant en dérision ce mélange de résignation et d'envie de changement. Vincent Vanoli ne s'en tient pas à une simple fable caustique sur un système social : à plusieurs reprises, il pousse la réflexion plus loin que le simple constat. Le lecteur se rend compte que l'évocation anachronique des bouleversements sociaux à venir fait ressortir avec force l'obsolescence du modèle en place, mais aussi le manque de discernement des protagonistes persuadés de l'immuabilité de ce modèle et de sa pérennité. Avec un regard pénétrant, Vanoli décortique aussi bien l'avantage pour les patrons de mettre en place la libre concurrence entre les individus qui s'écharpent entre eux pour des miettes plutôt que de s'unir contre les patrons, que la docilité et la tiédeur des ouvriers qui préfèrent la sécurité d'un système de classes éprouvé plutôt que l'incertitude de l'inconnu, l'arnaque sans nom de la théorie du ruissellement (passage très savoureux), le lyrisme romantique de Simirniakov à l'abri du besoin matériel, ou encore discrètement la religion en tant qu'opium du peuple, tout ça avec une verve sarcastique piquante, sans être cynique. S'il connaît déjà cet auteur, le lecteur est assuré de découvrir une bande dessinée atypique, et ce n'est rien de le dire. Sous des dehors de roman russe, Vincent Vanoli effectue la description d'une société de manière facétieuse que ce soit par les dessins comprenant diverses exagérations et déformations tout en conservant la priorité à la narration visuelle, ou par l'usage d'anachronismes choisis avec soin pour leur capacité révélatrice. Le tout forme un récit cohérent et savoureux, drôle et critique, intelligent atypique.
Retour à Tomioka
Voilà un prix Jeunesse bien mérité à mes yeux. Jeunesse et plus d'ailleurs car j'ai personnellement été pris par cette épopée d'Osamu et d'Akiko à travers les zones hautement contaminées de Fukushima pour honorer leur grand-mère et réunir tous leurs ancêtres. Laurent Galandon propose ainsi un récit à hauteur d'enfants sur les risques du nucléaire bien plus percutant et touchant que nombre de documentaires. Même si on reste dans une pure fiction sa narration et sa galerie de personnages est si crédible que j'y ai trouvé un petit côté documentaire à la Emmanuel Lepage dans Un printemps à Tchernobyl. En effet de nombreuses thématiques; sur la forêt, les animaux, les populations ou travailleurs autochtones se retrouvent .Dans les deux cas cela conduit à un récit chargé d'émotion où la vie veut vaincre la peur. De façon très ingénieuse l'auteur introduit des sujets sensibles aux enfants: les animaux, les apparitions fantastiques dans un cadre moderne avec les tutos d'Akiko. C'est aussi une façon intelligente de faire connaître aux enfants urbains occidentaux ce Japon aux deux visages si moderne et si proche de la nature et de ses traditions ancestrales. J'ai beaucoup apprécié le côté réaliste du parcours des deux enfants. Le capitaine de police Tamura n'est pas un gros incapable qui se laisse berner par deux super enfants à la mode James Bond. Les situations de fuite sont toutes bien trouvées même si certaines sont assez connues. Le beau personnage providentiel ( il en faut bien un) de Natsuo apporte beaucoup au récit à travers une séquence drôle et imprévue et introduit un final ouvert avec une forte charge émotionnelle. Le graphisme avec une connotation Manga forte fait corps avec l'ambiance du récit. Cela convient parfaitement et plaira sûrement à un lectorat habitué à ce genre. C'est surtout vrai pour les personnages enfants, les adultes étant à mes yeux plus réalistes. Crouzat reste sobre dans l'expressivité de ses créatures en n'utilisant pas de SD plus ou moins humoristiques. J'y ai trouvé une raison de plus pour rester coller à ma lecture. Une très belle lecture pour tous les âges (8 +) qui ne joue pas sur la peur ou l'anxiété malgré sa lucidité.