Les derniers avis (7263 avis)

Couverture de la série Alim le tanneur
Alim le tanneur

J'ai passé un formidable moment de lecture avec les quatre tomes de cette série. J'avais vu son bon classement sur le site mais je n'avais lu ni le résumé ni les avis. C'est donc entièrement vierge de toute influence que j'ai commencé ma lecture. J'ai immédiatement été séduit par l'ambiance et le rythme donné par le graphisme de Virginie Augustin. Un début de série qui rappelle étrangement Aladdin de Disney jusqu'à la découverte des reliques. Ensuite le ton change et la narration de Lupano prend le dessus . Dans une société théocratique et sacrificielle, le blasphème et l'hérésie ne sont jamais loin de la peine capitale. Le ton est donné et malgré un graphisme tout en rondeur , c'est un scénario d'une grande intensité dramatique que cisèle Lupano. On y retrouve une multitude de références à la sanglante histoire de l'humanité. Lupano ratisse large : "sauveur" "prophète" "grand timonier" et d'autres renvoient clairement aux religions modernes ou à des épisodes historiques athées sanglants. Le personnage d'Alim s'efface assez rapidement face au pragmatique Khélob ou au guerrier fondamentaliste habité Torq Djihid. Si tous les deux utilisent la violence sans état d'âme leur finalité est différente. Khélob rêve d'une pax romana (ou américana ou de n'importe quel grand empire) pour apporter la lumière (Tome 3 page 25) alors que Torq lui rêve d'apporter la Vérité. Ya t il une troisième voie possible ? Lupano ne répond pas clairement ce qui rend son récit très pessimiste. Le choix d'Alim de s'isoler à la façon d'un Voltaire pour "cultiver son jardin" a montré ses limites car même caché au fond d'une sirène tueuse pendant des dizaines d'années, l'Histoire et ses tourments rattraperont Alim. Lupano a beau introduire des personnages plus légers (Bul ou Soubyre) c'est une réflexion assez sombre sur le sens de l'histoire à laquelle nous invite le final de l'auteur. J'ai déjà dit que le graphisme était très décalé par rapport à la thématique centrale de la série. Cela rend la lecture bien plus légère et dynamique à mon sens. Perso cela m'a beaucoup séduit. Ce dessin très rond qui tend souvent vers l'humour équilibre par sa lumière un récit souvent très noir. Une lecture marquante produite et construite avec beaucoup d'intelligence.

15/12/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5
Couverture de la série La Route
La Route

C’est comme ça que font les gentils. Ils essaient. Ils ne laissent pas tomber. - Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Il s’agit d’une adaptation en bande dessinée, du roman La route, paru en 2006, de l’écrivain Cormac McCarthy. Sa parution originale date de 2024. Il a été réalisé par Manu Larcenet pour l’adaptation en scénario et les dessins, et pour la mise en couleurs. Il compte cent cinquante-deux pages de bande dessinée. L’auteur a déjà réalisé une adaptation précédemment : Le Rapport de Brodeck (2 tomes) en 2015 & 2016, du roman de Philippe Claudel. Des nuages chargés de cendres, de particules qui tourbillonnent sans fin, qui vont en s’épaississant, jusqu’à saturer l’air. Sous une toile tendue pour faire un abri de fortune, Père et Fils dorment, sous plusieurs couches de vêtements. Père se lève et s’éloigne un peu jusqu’à un promontoire. Il porte les jumelles à ses yeux et regarde : des paysages désolés, des constructions délabrées s’effondrant progressivement, des arbres décharnés sans feuilles, des immeubles massifs sans aucune lumière, la route qui s’étend vide, dans le lointain un pont métallique. Il retourne au campement de fortune : Fils s’est réveillé et l’attend. Ensemble, ils enlèvent la toile et la plie, et récupèrent les piquets qu’ils chargent dans leur caddie. Ils reprennent la route, en silence, père poussant le caddie devant lui. À un moment, il fait le constat en deux phrases brèves qu’ils ne pourront pas survivre à un autre hiver par ici, il faut continuer vers le sud. Le fils répond laconiquement en deux mots : D’accord alors… Et ils continuent de marcher, les cendres et les particules continuant de voleter dans l’air. Ils atteignent le pont à hauban et le franchissent, toujours sans un mot. D’autres arbres décharnés, une côte à monter qui coupe le souffle à Père qui doit faire une pause. Fils demande s’il peut regarder, en désignant les jumelles ce que père accepte. Fils regarde alentour, et Père demande ce qu’il voit. La réponse est fonctionnelle : Rien, il va pleuvoir, c’est tout. Père ajoute que ça va encore faire une boue bien collante avec la cendre. Ils reprennent leur marche sur la route. La pluie commence à tomber assez drue. Père indique que c’est fichu pour aujourd’hui et il va faire nuit. Ils vont aller chercher un abri en forêt. Ils trouvent un endroit abrité, sous une avancée rocheuse, et ils s’installent. Père reprend les jumelles pour observer alentour : pas de feu, on dirait qu’il n’y a personne, c’est bon, Fils peut allumer un feu. Ce dernier prend la boîte d’allumettes et s’exécute. Il allume une petite lampe à pétrole, ils attendent en silence. Le lendemain, la luminosité a un peu changé : moins grise, avec une nuance verdâtre. Ils reprennent la route. Fils a repéré une station-service. Un drapeau à damier flotte encore au vent. Père décide qu’ils devraient aller voir. Ils fouillent méthodiquement le site : chaque recoin, chaque tiroir, chaque placard, chaque étagère. Il n’y a rien d’intéressant, le lieu a déjà été fouillé. Par acquis de conscience ou par réflexe, mais sans espoir, Père décroche le combiné téléphonique. Puis il découvre un bidon avec quelques gouttes d’essence. Un défi peu raisonnable, relevé par un bédéiste hors norme au vu de sa bibliographie. Une démarche affichée : raconter ce roman en images, avec le moins de mots possible. De fait, la narration visuelle semble de prime abord très simple et même très terre à terre. Des nuages de cendres, et hop ! deux pages de remplies. Un type qui se réveille et qui regarde à la jumelle. Père & Fils qui se mettent à marcher dans un environnement mangé par l’air chargé en particule qui ne permet pas de voir bien loi, et hop ! des fonds de case en ombre chinoise, pour une première séquence de cinq pages presque sans un mot. Le lecteur éprouve rapidement la sensation d’un monde silencieux, ce qui induit un vrai effort de la part des personnages pour parler, briser le silence. Il peut compter trente-quatre pages sans aucun mot, tout en ayant l’impression qu’il y en ait beaucoup plus. Ce choix narratif lui donne l’impression de se trouver aux côtés des deux principaux personnages et de regarder avec eux ce qui les entoure. Il scrute avec eux chaque centimètre carré de la station-service pour ne pas rater quelque chose qui pourrait être récupéré. Il observe avec la même inquiétude les silhouettes indistinctes et assez massives au loin, prêt à aller se planquer fissa lui aussi. Il reprend la route en poussant son chariot devant lui, par automatise, sans plus penser à autre chose. Dès la couverture, le lecteur est frappé par l’investissement de l’artiste pour donner à voir, pour représenter, pour faire exister ces lieux, le quotidien concret de Père et de Fils. Il peut voir chaque pli des vêtements, leur épaisseur lui donnant une indication du nombre de couches superposées, hypothèse confirmée quand ils en viennent à se baigner. Il prend la mesure du chargement du caddie, avec tous ces paquets soigneusement emballés, certainement également de plusieurs couches pour être certain que leur contenu ne soit ni endommagé, ni altéré. Il se retrouve littéralement projeté à leurs côtés en voyant ce qu’ils voient, en vision subjective, découvrant en temps réel un lieu par leurs yeux : en fonction des lieux, des bâtiments délabrés, des cadavres en état de décomposition avancée avec tout juste la peau sur les os, des restes calcinés d’ossements humains, des cadavres encore attachés ou des membres tranchés. L’imagination du lecteur tourne alors à plein régime, quant aux circonstances dans lesquelles des êtres humains ont pu infliger de tels traitements à d’autres êtres humains, puis dans un second temps quant aux conséquences sur le moral et l’état d’esprit de Père et de Fils. Le même mécanisme intellectuel se produit quand les deux voyageurs découvrent un abri enterré en parfait état, et que leurs regards parcourent les étagères chargées de tout ce qu’il faut pour survivre, à commencer par la nourriture. Il ressent physiquement le contentement qui vient avec les six premières cases de la page cent-trois : une ampoule qui brille, une goutte d’eau qui finit de se former à l’extrémité d’un robinet, des gélules de médicament en parfait été dans leur plaquette, une canette de soda qui vient d’être bue, un plat de coquillettes chacun, de l’eau à volonté pour tous les usages. La narration visuelle génère une immersion d’une rare qualité. Le lecteur peut se dire que telle case lui fait penser à André Franquin (1924-1997) période Idées noires (1977-1983), que telle autre évoque (merci Bruce d’avoir pointé du doigt les deux références suivantes) le célèbre tableau Christina’s World (1948) d’Andrew Wyeth (1917-2009), ou qu’il y a du Francisco de Goya (1746-1828) dans certains cadavres, une touche de Gustave Doré (1832-1883) par-ci, une touche d’Albrecht Dürer (1471-1528) par-là, etc. Autant d’influences plausibles, pleinement assimilées par l’artiste qui les a faites siennes consciemment ou inconsciemment pour les mettre à profit dans un tout personnel. Il joue admirablement bien avec les couleurs : le lecteur sort de ce tome persuadé que les pages sont en noir & blanc avec des nuances de gris à une ou deux exceptions près. Un feuilletage a posteriori met en évidence des ambiances discrètement différentes d’une séquence en l’autre, par l’usage d’une teinte très effacée. Le lecteur se fait l’observation que les pages sont variées, alors que pourtant la marche sur la route revient très régulièrement. Il voit que l’artiste utilise des cases sagement alignées en bande, avec un nombre variable en fonction de ce qui est raconté, pouvant aller d’un dessin en pleine pages, à treize cases dans une seule page. Il observe également que le dessinateur joue sur le niveau de détail : de descriptions très précises, à de simples ombres chinoises, de bâtiments avec chaque débris apparent, chaque poutrelle, chaque plateau, à de simples silhouettes en ombre chinoise pouvant évoquer les meilleurs dessinateurs de strips britanniques comme Jim Holdaway (1927-1970) dans Modesty Blaise. Le lecteur est donc de tout cœur avec ces deux personnages, dans un récit linéaire et simple : ils vont de l’avant vers le Sud en essayant d’atteindre l’océan. En fonction de sa sensibilité, le lecteur peut y voir un conte. L’auteur prend grand soin de représenter la désintégration progressive du monde : les immeubles qui s’effondrent, les véhicules abandonnés et immobiles, les ressources quasi inexistantes, l’air toujours chargé en particules diverses, le monde végétal à l’agonie, la faune brillant par son absence. Pour autant, ces visions ne se veulent pas être une projection scientifique ou technique sur le délabrement progressif du monde, à la suite d’une catastrophe planétaire et l’absence de toute maintenance humaine, de tout entretien, de la déliquescence progressive au fur et à mesure que l’entropie fait son œuvre. La question des médicaments est évoquée, toutefois le lecteur sent bien qu’avec cet air pollué, l’eau également polluée, l’absence de légumes et fruits frais, l’état des rares survivants devrait être beaucoup plus dégradé, ce qui ne retire rien de bouleversant, de dramatique, d’émouvant, d’oppressant, de pathétique, de tragique, au récit. Le périple de ce fils et de son père s’avère accablant pour le lecteur. Ils survivent. À peine. Aucun espoir d’assouvir leurs besoins de sécurité : leur situation n’est ni stable ni prévisible, elle est remise en cause à chaque risque de rencontre, à chaque fois que l’eau ou la nourriture vient à manquer, l’anxiété est permanente. Ils ne peuvent que penser à court terme. Ils trouvent juste assez de quoi assurer leurs besoins physiologiques comme boire et s’alimenter, pour tenir jusqu’au lendemain, tout en éprouvant continuellement un état de manque et d’inquiétude. À plusieurs reprises, ils se posent la question de savoir s’ils vont mourir. Le père prépare même son fils à se donner la mort, plutôt que de risquer d’être capturé, torturé, estropié, et finalement mangé. Outre la méfiance envers tout autre humain, le plus important savoir qu’il lui transmet est de lui apprendre comment se suicider efficacement avec leur revolver. Par ailleurs, chaque rencontre est un danger grave et imminent, mortel après des souffrances ignobles. Là encore, il s’agit d’une dynamique paradoxale : à deux, ils sont tout juste (à peine) capables de survivre, leur seule possibilité de faire un peu mieux serait de s’unir avec au moins un autre survivant. Paradoxalement, envisager d’établir un contact avec un autre revient à jouer à la roulette russe, avec cinq balles dans le barillet. Les individus isolés sont encore plus démunis qu’eux, plus proches de la mort, les petits groupes ne négocieront rien, s’accapareront les maigres possessions d’autrui et les réduiront en esclavage ou les tueront. D’une certaine manière, en termes d’intrigues, le lecteur peut aussi rapprocher ce récit de deux œuvres majeures de la bande dessinée. Lone Wolf & Cub (1970-1976) par Kazuo Koike (1936-2019) & Gôseki Kojima (1928-2000), pour le voyage sans espoir d’un père et de son fils. The walking dead (2003-2019) par Robert Kirkman & Charlie Adlard, pour le thème de la survie dans un monde dévasté où les autres survivants constituent majoritairement un danger fatal. En établissant cette comparaison, le lecteur voit également apparaître les différences. Contrairement à Itto Ogami et Daigoro, Père & Fils ne font pas preuve d’une sensibilité spirituelle, encore moins religieuse. Ils sont entre la résignation et l’acceptation de l’état du monde, sans espoir d’un futur, quasiment sans vie intérieure. Il ne semble pas y avoir d’autres enfants, et ils ne croisent pas de femmes. Contrairement à Rick Grimes, Père n’a pas de vocation pour la justice, et les deux vagabonds sont bloqués au stade de la survie animale, déjà bien avancés vers l’état de morts qui marchent. Pour autant, d’autres thèmes affleurent. Par exemple, Fils veut savoir si son père et lui font partie des gentils. La réponse : Les gentils, ils essaient, ils ne laissent pas tomber. Une réponse qui mêle pulsion de vie et valeur morale. À un autre moment, le père se montre catégorique : on ne tue pas les chiens. En outre, incidemment, Fils interroge son père à deux ou trois reprises sur leur comportement, ce qui constitue une remise en question sur leur relation à autrui, par exemple quand ils abandonnent un homme isolé après l’avoir dépouillé de ses vêtements. Le dénouement illustre également le fait que le père a pris leur situation comme un état de fait généralisé, cela fait ressortir sa conception personnelle du monde, comment il l’a projeté à tout jusqu’à en faire une vérité absolue, et comment il y a adapté son comportement. Avec cette adaptation, Manu Larcenet réalise une bande dessinée d’une qualité remarquable. Il met à profit tout son savoir-faire de bédéiste pour donner à voir un fils et son père continuant à aller de l’avant, ou du moins à marcher, dans un monde postapocalyptique dévasté, toute civilisation anéantie, toute rencontre un danger mortel. La narration visuelle génère une immersion sensorielle et émotionnelle grâce des dessins pouvant aussi bien être des descriptions concrètes quasi photoréalistes, que des évocations hantées et expressionnistes. Le périple ressemble à une marche sans espoir, des êtres humains continuant vaille que vaille, malgré l’absence de tout espoir, la pulsion de vie contrebalançant tout juste des conditions de survie fragile, une vie dépourvue de tout plaisir. Ils continuent de marcher presque comme des poulets sans tête, pris dans le paradoxe de ne pas pouvoir stabiliser leur situation tout seuls et de ne pas pouvoir courir le risque d’un contact avec autrui. Poignant.

14/12/2024 (modifier)
Par Florent
Note: 5/5
Couverture de la série La Révolte sans précédent
La Révolte sans précédent

Enfin ! Les vérités qu'on pense sont dites de manière drôle et subtile. Une part de rêve dans cette révolte de celles et ceux qu'on n'entend pas crier lorsqu'ils et elles souffrent. Pas de fausses vérités non plus, on sent que la science a été consultée avant de faire dire n'importe quoi aux animaux, notamment l'exemple des interactions orques/bateaux. Cela fait du bien à lire, on rit et on sent que le récit va déranger ceux et celles qui "aiment" les animaux mais les mangent, ou les régulent.

13/12/2024 (modifier)
Par PAco
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Fannie la renoueuse
Fannie la renoueuse

Ahhhh !!! Quel bonheur de retrouver ce petit univers si singulier mais tellement attachant que celui de la Pieuvre ! Chaque nouveau tome vient compléter ce petit Paris de la fin XIXe développé par Gess de façon subtile et intelligente. Avec "Fanny la Renoueuse" c'est une grosse pièce du puzzle qui s'agence, même si chaque tome reste indépendant... J'aime cette période historique tellement riche en innovations politiques, artistiques, scientifiques. Et Gess s'empare de tout cela à merveille pour nous restituer un Paris transcendé par cette touche de fantastique où la Pieuvre règne en maîtresse depuis des lustres. Et c'est qu'on en apprend beaucoup dans ce tome sur les origines de cette entité mafieuse ! Et c'est par l'intermédiaire du passé de certains de ses protagonistes que la lumière se fait petit à petit ; et quel passé ! Et quelles révélations ! On a aussi le plaisir de retrouver la Bête que nous avions découvert dans le premier tome de cette série La Malédiction de Gustave Babel. Tout commence à s'interpénétrer en nous révélant l'étendue spectatentaculaire de la Pieuvre et de sa mainmise. C'était déjà riche et dense, cela en devient magnifique et hallucinant quand la mythologie vient en plus s'en mêler ! Du côté de l'objet et du dessin, la maquette est toujours aussi bien travaillée avec ce dos toilé, ces fonds de planche faussement jaunis, qui assoient cette ambiance fin XIXe tout en valorisant pleinement de dessin de Gess et sa colorisation si personnelle. Bref, avec ce 4e opus, je passe ma note à 5 (culte !), tant je suis conquis par l'univers qu'aura su nous proposer et développer l'auteur. J'en REVEUX ! A quand un prochain tome ???

13/12/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Les Cinq Vies de Lee Miller
Les Cinq Vies de Lee Miller

Je ne peux pas fourrer mon pied dans une pantoufle de verre. - Ce tome contient une biographie de Lee Miller (1907-1977), modèle, photographe, reporter, égérie du surréalisme. La première édition date de 2013 pour la version originale en italien, et de 2024 pour la version française. Il a été réalisé par Eleonora Antonioni pour le scénario et les dessinés, et traduits par Laurent Lombard. Il comprend cent-cinquante-et-une pages de bande dessinée. Il se termine avec la présentation succincte de six des hommes de la vie de Lee (Theodore Miller, Man Ray, Erik Miller, Aziz Eloui Bey, David E. Scherman, Roland Penrose), et un lexique de toutes les autres personnes citées, chacune présentée avec ses dates de naissance et de mort, et un court paragraphe d’une phrase, au nombre de trente-cinq de George Antheil (1900-1959, pianiste, compositeur, écrivain) à Elizabeth Audrey Whithers (1905-2001, journaliste). Le tome s’achève avec une bibliographie minimale, des pages web intéressantes et des recherches iconographiques. En 1928, l’atelier de Neysa McMein, à New York, Elizabeth Miller, vingt-et-un ans, rejoint une tablée qui l’accueille avec les honneurs. Un homme fait observer qu’il paraît que les hommes se souviennent toujours des blondes. Une jeune femme fait remarquer que le visage de Lee est l’un des plus connus des revues de M. Condé Nast. Un autre note qu’il lui manque juste un joli pseudonyme pour se lancer. Elle répond : Lee Miller. Enfance et adolescence. Originaire de Pennsylvanie, déterminé, curieux et tenance, Theodore Miller a fait carrière dans le domaine technique jusqu’à devenir directeur des établissements De Laval à Poughkeepsie dans l’état de New York. Productrice d’équipements pour traire et traiter le lait, De Laval était la plus grande et la plus importante entreprise de Poughkeepsie. Lors de son précédent emploi à Utica, Theodore fit la connaissance d’une jeune infirmière : Florence Mac Donald. Les fiançailles furent longues, car il ne voulait pas se marier avant d’avoir trouvé une stabilité financière et professionnelle. C’est donc après son recrutement chez De Laval que le couple se marie et que Florence s’installe à Poughkeepsie. Florence Mac Donald, la jeune épouse, attire d’emblée l’attention des Daughters of the American Revolution qui l’invitent à faire partie de leur prestigieuse association patriotique. Invitation aussitôt retirée lorsqu’elles découvrent les origines canadiennes de Florence. En tout cas, cette anecdote n’empêche pas Florence de devenir une parfaite dame de la haute bourgeoisie comme l’exige la mode de l’époque. Outre sa passion pour la technologie, Theodore cultive un grand intérêt pour les arts, jusqu’à en faire un élément central de la vie familiale. Féru de photographie qu’il se plait à pratiquer en dilettante, il a recours à son épouse Florence comme modèle parmi ses sujets préférés, les nus féminins, selon lui, l’une des plus hautes expressions de l’art. Bien vite, Theodore et Florence ont des enfants : John naît en 1905, Ellizabeth en 1907, Erik en 1910. La petite et toute blonde Elizabeth, appelée Lili, conquiert Theodore au premier regard devenant, sans qu’il s’en cache trop, sa préférée. Peut-être que le lecteur a une vague conscience de l’existence de Lee Miller et de ses œuvres, ou qu’il n’en a jamais entendu parler : cette bande dessinée constitue l’occasion d’en apprendre plus sur elle. De fait, l’autrice réalise une biographie chronologique, à l’exception de la scène d’introduction. Elle raconte les différentes phases de la vie de cette femme, en cinq chapitres : Enfance et adolescence d’Elizabeth Miller, Surréalisme, Nuage, Barbelés, Coupure. En fonction de sa familiarité avec ladite biographie, le lecteur peut parfois se retrouver décontenancé. Par exemple, le récit montre bien les rencontres entre Lee Miller et différents artistes de l’époque comme Man Ray (Emmanuel Radnitsky, 1890-1976) ou Pablo Picasso (1881-1973), sans pour autant la mettre en scène comme étant l’égérie du surréalisme. Pour autant, il retrouve bien sa carrière de modèle, puis son apprentissage de la photographie et ses fréquentations avec les surréalistes, son engagement comme photographe de guerre, et sa carrière d’autrice de recettes culinaires. La personnalité de la narration visuelle apparaît tout de suite : des traits encrés très fins et solides, un noir & blanc rehaussé de jaune, la plupart du temps en une seule nuance, parfois deux. Une approche réaliste avec un degré de simplification allant vers l’élégance, avec un sens très sûr de la gestion de densité d’information par case, soit un luxe de détails, ou une focalisation sur les personnages en train de parler, ou des effets de texture. L’autrice insère son personnage dans le contexte historique à la fois par les événements évoqués, à la fois par les dessins. D’une certaine manière, le lecteur peut interpréter les caractéristiques graphiques comme une touche féminine délicate et élégante ; d’un autre côté, cela n’obère en rien l’investissement de la dessinatrice dans les représentations. La séquence introductive montre des jeunes gens de la haute bourgeoisie, bien habillés à l’occasion d’un rendez-vous mondain. Le lecteur remarque de suite l’attention portée aux tenues vestimentaires que ce soit la coupe des costumes pour les messieurs, ou les différentes robes avec leurs accessoires pour ces dames, y compris les bibis et les colliers. La présentation de Theodore Miller s’effectue par un dessin le représentant assis sur une chaise : belle veste avec un motif jaune, une paire de bottines à bouton. La présentation de Florence Mac Donald se déroule en deux temps : d’abord en robe simple avec tablier (et un petit chapeau), puis en robe habillée avec un chapeau plus sophistiqué et plus décoratif. L’artiste fait preuve du même degré d’implication tout du long de l’ouvrage pour les tenues vestimentaires : les habits plus simples des enfants, les robes de soirée ou pour faire la fête, les manteaux, les accessoires divers et variés, les uniformes militaires, jusqu’à la robe noire et simple avec tablier dans laquelle Lee Miller reçoit le journaliste à Farley’s Farm, à Chiddingly, Muddles Green, dans la dernière période de sa vie. De la même manière, la reconstitution historique se trouve dans chaque lieu, chaque environnement. Les lampes avec leur abat-jour dans l’atelier de Neysa McMein, les meubles et les pots de fleurs chez les Miller, le modèle du landau, les différentes voitures, les évocations d’œuvres artistiques de l’époque (dont celles de Man Ray et de Picasso), l’appartement d’Adolf Hitler à Berlin, et bien d’autres encore. Progressivement, le lecteur prend conscience que la bédéiste utilise de nombreuses possibilités offertes par la bande dessinée : case avec bordure ou sans, éléments de décor devenant une ornementation pour les autres cases, cases en trapèze ou en losange pour accentuer un mouvement, cases de la hauteur ou de la largeur de la page, dessins en pleine page, cases en insert, carte de la région pour accompagner les voyages de la photographe, etc. Elle joue également avec les phylactères et la typographie : écriture blanche sur fond noir, titres en barbelés quand Miller accompagne l’armée libératrice vers l’Est, etc. Si dans un premier temps, les personnages peuvent apparaître un peu simplifiés, en particulier pour les traits de visage, le lecteur se rend vite compte que la direction d’acteurs et les expressions de visage relèvent d’adultes aux émotions complexes, certains silences ou certaines pauses fugaces attestant de l’impact d’une situation ou d’un constat. Le lecteur mesure mieux les choix de l’autrice lorsqu’un médecin indique que : Elizabeth Lee a contracté une méchante maladie vénérienne, et que malheureusement le traitement sera long, que les parents devront surtout essayer de lui faire surmonter le traumatisme psychologique. Les deux pages suivantes montrent que la fillette se sent sale en permanence, puis elle se montre insupportable dans les différents établissements scolaires où elle est inscrite. En allant chercher plus d’informations, il apparaît qu’il s’agit d’un viol perpétré sur la fillette alors qu’elle avait sept ans, une façon déconcertante de présenter un tel crime et ses conséquences dévastatrices. Pour autant, lorsque Lee Miller accompagne l’armée américaine à Torgau, puis Dachau, puis Berlin, toute l’horreur de la guerre impacte de plein fouet la jeune femme. Le lecteur en déduit que cette biographie est racontée avec le point de vue de Lee Miller, en fonction de ce qu’elle ressent et de ce qu’elle peut exprimer, sa façon de se représenter le monde à chaque moment de sa vie. Il constate alors que l’autrice montre l’impact des événements, des expériences, des découvertes, de la manière dont l’artiste le ressent. Au fur et à mesure, le lecteur découvre la vie de cette femme, ou plutôt ses vies, de modèle pour photographes, à photographe de mode elle-même, photoreporter de guerre, autrice de recettes. En fonction de ses centres d’intérêt, il aurait pu souhaiter que telle ou telle facette de sa vie soit plus développée, tout en ayant conscience que cette biographie regorge d’informations et de moments sortant de l’ordinaire, qu’elle est riche et dense. Réaliser une biographie constitue un exercice compliqué entre hagiographie et enfilade aride de faits avérés. Celle-ci combine les éléments factuels avec la vision que Lee Miller a pu en avoir au moment de leur survenance dans le contexte de sa vie, et dans celui historique. L’autrice se livre à une reconstitution extraordinaire de références et de détails pertinents et opportuns, en sachant montrer l’environnement correspondant. Le lecteur accompagne une jeune femme séduisante et libérée, menant sa vie comme elle l’entend, connectée au monde, réussissant aussi bien une carrière de modèle que de photoreporter de guerre (jusque dans la baignoire d’Hitler), tout en en faisant l’expérience de son point de vue, moments de plaisir comme traumatismes. Une réussite exemplaire.

12/12/2024 (modifier)
Couverture de la série Les 5 Terres
Les 5 Terres

Une série ambitieuse et qui n’est même pas encore à la moitié de ses tomes annoncés … et pourtant déjà culte pour moi. Je m’emballe peut être un peu mais en 2-3 tomes, cette série m’a littéralement conquis et depuis la suite ne vient pas ternir cette excellente impression. Un peu comme avec Donjon, je suis complètement addict. La partie graphique est agréable mais ce n’est pas sur ce point que l’œuvre marquera véritablement. Designs, couleurs et dessins sont efficaces, toujours fluides et lisibles. Cependant à mon goût, c’est limite un peu trop sobre parfois, mais il faut tenir la cadence de parution et ça accompagne sans fioriture le récit. Amateur de GoT & co, j’ai retrouvé tout ce que j’aimais dans le genre et surtout le plaisir de découvrir un monde cohérent, intelligemment mis en œuvre. C’est faussement complexe avec les Très nombreux personnages et des intrigues à tiroirs, mais tout paraît cohérent et est passionnant à suivre. J’aime le coté adulte, l’incertitude constante sur le destin des personnages et la façon d’explorer cet univers. Chaque tome amène sa petite pierre et se termine systématiquement par une soif de découvrir la suite. Chaque cycle dépeindra un continent et ses habitants avec en toile de fond le pouvoir sous toutes ses formes (Royal, politique, mafieux …). Chaque parution, je fonce chez mon libraire. Une parfaite et rare alchimie entre les auteurs, alors que je me méfiais un peu du côté « atelier ou artificiel », je suis vraiment ravi du résultat. Je suis archi confiant pour la suite. Bravo à eux.

11/12/2024 (modifier)
Par Ju
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Majo No Michi
Majo No Michi

Quel vent de fraîcheur ! J'ai adoré Majo No Michi qui mêle à la fois : - de belles illustrations de Strasbourg et de l'Alsace - une histoire avec des personnages principaux féminins - un récit sur l'écologie, l'amitié, le vélo et le changement climatique - de la sorcellerie ! Les illustrations sont très réussies et obnubilée par les détails des vélos ou de la cathédrale jamais je n'ai pris le temps de regarder des oreilles (wtf). J'ai apprécié les visages expressifs, le détail des décors et les scènes de vitesse avec des lignes rapides. Concernant l'assistanat dont certain parle... Remettons le livre dans son contexte : les personnages sont jeunes et sortent d'école, elles ne sont pas encore pleinement dans la vie active. Le livre parle également de culpabilité de toucher des aides, de la volonté d'indépendance et de la nécessité de faire le bien autour de soit (écologie, société et du coup sorcellerie). Je conseille cette ouvrage à toutes les personnes qui considèrent que participer à la société, contribuer à ralentir le changement climatique et défendre l'envrionnement sont des notions importantes. De même concernant l'amitié. Ce livre est destiné à un public jeune optimiste et joyeux ! Ne l'offrez pas à votre oncle aigri ou à un étudiant en école de commerce qui souhaite travailler dans une banque ou un cabinet de conseil, ils risquent de passer à côté de la beauté des images et des messages. Hâte de lire la suite !

11/12/2024 (modifier)
Couverture de la série Jean Doux et le Mystère de la Disquette Molle
Jean Doux et le Mystère de la Disquette Molle

Je suis désolé de casser le consensus mais j'ai trop apprécié cette lecture pour me contenter d'un 4. Pourtant en découvrant cet improbable graphisme et l'épaisseur de la BD j'ai craint le pire. Que nenni, je suis immédiatement tombé sous le charme de cet humour absurde très présent dans le début du récit. Il faut dire que l'entrée en scène de Jean Doux ne manque pas d'originalité dans sa construction et son déroulé. Cette introduction permet à Valette de créer une ambiance de bureau 90's avec ses codes, son langage et sa technologie ( le minitel!) aux allures historico nostalgiques pleines de dérisions . C'est presque tout le temps très drôle avec un enchaînement de scènes qui donne une grande dynamique au récit. Ensuite Valette glisse doucement sur un polar industriel qui met au devant de la scène un outil reléguer dans un coin : le broyeur à papier. Au détour d'une petite anecdote signifiante, Valette rappelle que ce banal outil peut se montrer d'une importance vitale. Alors où veut nous conduire ce scénario loufoque mais si bien construit? Valette retombe sur ses pieds grâce à un final fantastique à la H.G Wells. Impossible d'en dire plus tellement le récit mérite la fraicheur de la découverte. Je veux mettre en exergue certaines trouvailles presque d'anthologie comme cette poursuite en chaises de bureau. Pour compléter l'ambiance, Valette pioche dans le vieux graphismes des premiers jeux vidéos aux personnages sans relief et à l'allure saccadée. Mais l'auteur transforme le vintage en moderne. Ses personnages deviennent réellement dynamiques et expressifs. Une excellente lecture qui exploite une idée originale avec beaucoup d'humour et de créativité.

10/12/2024 (modifier)
Couverture de la série La Quête de l'Oiseau du Temps
La Quête de l'Oiseau du Temps

Ah la Quête … inutile de vous dire que je ne serai pas des plus objectif (même si j’essaierai), les 3ers tomes m’ont toujours accompagné et la conclusion découverte plus tard en B.U. (un comble) reste un souvenir émouvant. C’est le finish récent de son préquel qui m’a donné envie de me replonger dans cette série, histoire de voir et comparer … et il y a pas à tortiller du cul, la Quête c’est la Quête, un monument du 9eme art. J’ai pris un pied absolu à relire cette série. Tout est là, ça ne vieillit pas et ça reste une référence dans le domaine. Cerise sur le gâteau et malgré son bel âge, mon édition bd sent bon, elle possède un parfum suranné des plus exquis. Bref je m’égare mais qu’en était-il vraiment ? 2 jeunes auteurs, alors quasi inconnus, qui marqueront le paysage de la Fantasy. Loisel impose sa patte d’office et son trait ne cessera de s’améliorer au fil des parutions. On critique pas mal les couleurs et son dessin dans les 2ers tomes mais je trouve le tout toujours très bon. J’aime la construction de ses planches et Akbar apparaît des plus vivantes, on y croit et on peut plonger totalement dans cet univers. Univers que l’on va se faire une joie d’explorer sous les récits de Le Tendre. Chaque album monte en puissance et en maturité. J’ai bien mes préférences mais je les aime vraiment tous. Le premier, bien sûr, lance l’aventure de belle façon. Un peu classique dans son déroulé mais il pose les bases d’un monde et d’une quête que l’on a soif de découvrir. L’ADN de la série est déjà là et tout est intelligemment amené pour les amateurs : les personnages, les marches, le bestiaire, la dangerosité de ce monde … un résultat fluide, équilibré et d’une belle richesse. Le deuxième continue sur les mêmes bases mais n’oublie de voyager et d’amener d’autres peuples. Toujours aussi classique dans son déroulé mais c’est exécuté de main de maître, il n’y a rien à jeter, je ne vois pas comment il aurait pu être mieux. J’aime le lieu, Bodias, les péripéties et ce côté sombre qui plane. Le troisième est une tuerie absolue, la quête se fait moins présente, nos héros rencontreront en chemin Le Rige … Ce tome est un vrai travail d’orfèvre niveau ambiance et émotions. Tout est parfaitement orchestré et millimétré, on saisit à travers des silences et non dits, le ressenti des personnages comme jamais. Un album magique qui m’attrape à chaque fois. Le quatrième, enfin (ou à regret), conclue magistralement cette épopée. Nous quitterons nos héros avec ce sentiment de ah ouais ! on a lu un chouette truc là ! Une série loin d’être fade et qui vous marquera. Pour moi c’est plus que culte, ça m’a évidemment marqué mais avec un peu de recul et l’âge, c’est franchement toujours aussi bon. Une réalisation de haute volée qui s’affranchit des décennies, pour une histoire divertissante où le lecteur n’est pas pris pour un idiot. Un incontournable du genre.

10/12/2024 (modifier)
Couverture de la série Innovation 67
Innovation 67

"Innovation 67" fait partie d'une série dessinée de mains de Maître par un grand de la BD belge, Baudouin Deville. Ce très sympathique auteur, secondé par un superbe scénariste Patrick Weber, nous présente ici un quatrième Opus très bien ficelé. Un événement tragique, qui aurait très bien pu être oublié ou ne pas être connu à l'extérieur de la Belgique. Deville et Weber nous présentent ici le magnifique magasin "Innovation" à Bruxelles à une époque où ces grandes surfaces étaient des lieux de rencontre de toute une ville. Le travail de ce duo fantastique est tout simplement magnifique! Là où de nombreuses personnes ont perdu la vie, tous les détails qui ont mené à ce drame épouvantable sont décrits avec grande habileté tant par la ligne claire de Baudouin Deville que par le fil conducteur de Patrick Weber. Ce tome 4 de la série, dont Kathleen est la protagoniste, est un petit bijou à lire absolument!

09/12/2024 (modifier)