Les derniers avis (10 avis)

Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Syrie - Des pierres et de la vie
Syrie - Des pierres et de la vie

Beaucoup disent : que la Syrie redevienne comme avant. - Cet ouvrage correspond à une forme de reportage libre qui ne nécessite pas de connaissance préalable. Son édition originale date de 2025. Il a été réalisé par Vincent Gelot et Edmond Baudoin pour le scénario, et par ce dernier pour les dessins et les couleurs. Il comprend cent-vingt-trois pages de bande dessinée. Edmond Baudoin raconte qu’il a voyagé au Mexique, en Colombie, dans le Nunavut, en France pour faire le portrait des gens rencontrés. Au cours de ces échanges, il a constaté qu’à travers le monde les êtres humains ont des désirs communs. Avoir une vieillesse correcte. Pouvoir travailler. Faire que leurs enfants puissent poursuivre leurs rêves. Printemps 2023, il fait ses bagages pour la Syrie. Vincent Gelot l’y a invité. Celui-ci lui propose de venir avec lui sur les routes syriennes, qu’il a dessinées en rouge sur une carte du pays. Vincent. En 2012, il quitte la France en 4L, à la rencontre des communautés chrétiennes d’Orient. Son voyage devait se terminer en quelques mois. Il durera deux ans. Ce périple un peu fou le mène aux confins de l’Asie Centrale, puis dans le golfe persique et la corne de l’Afrique. En 2014, Daech s’empare de Mossoul et chasse les populations de la plaine de Ninive où les gens lui avaient donné l’hospitalité. Cela l’a beaucoup marqué car il ne savait pas si ceux qui l’avaient accueilli étaient encore en vie. Quelques mois après être revenu en France, Vincent repart à Erbil, au Kurdistan irakien. Il cofonde radio Al-Salam, une radio destinée aux déplacés dans les camps de réfugiés. C’est là qu’il a compris que son engagement était de vivre aux côtés de ces communautés et de les accompagner dans leur destin de vie. En 2016, Vincent s’installe au Liban et travaille pour l’Œuvre d’Orient. Son travail est de rester au contact de la population, d’évaluer les besoins sur place et de suivre la réalisation des projets. Il aime ces gens. Nous marchons sur les chemins, ils nous font. Et plus tard, c’est nous qui les faisons. Vincent s’est engagé aux côtés des communautés chrétiennes. Oui, la vie, c’est s’engager. Depuis le moment, lors de sa naissance, où on a commencé à respirer. Et puis qu’on a continué. Vincent explique à Edmond que les Chrétiens d’Orient forment une mosaïque de communautés minoritaires, souvent discriminés, parfois persécutés. En Syrie, ils étaient environ deux millions en 2011, ils seraient 500.000 aujourd’hui. Baudoin fait observer que : Leur combat a souvent été récupéré par l’extrême droite, non ? Vincent répond que : Oui, c’est vrai, certaines associations utilisent la détresse réelle des Chrétiens du Moyen-Orient pour répondre à des ambitions personnelles et des objectifs quelques fois obscurs. Ce n’est pas le cas de l’Œuvre d’Orient. C’est une des plus vieilles associations françaises. Elle a été créée en 1856 par des professeurs de la Sorbonne et du Collège de France. Un prêtre, le père Lavigerie, fut nommé à la tête de cette association. Il deviendra plus tard le cardinal Lavigerie… Edmond l’écoute, puis son esprit s’en va ailleurs. En 2020, il a illustré des poèmes de Vincent. Nul besoin pour le lecteur de maîtriser l’histoire contemporaine de la Syrie pour apprécier cet ouvrage : le régime de Hafez el-Assad (1930-2000), celui de Bachar el-Assad (1965-), la guerre civile syrienne de 2011 à 2024 en faveur de la démocratie contre le régime du parti Baas. Le bédéaste annonce explicitement qu’il s’agit d’une commande de l’Œuvre d’Orient, une association à but non lucratif fondée en 1856, aidant les Chrétiens d’Orient. Il accompagne donc Vincent Gelot, poète et coauteur de l’ouvrage Chrétiens d'Orient: Périple au cœur d'un monde menacé (2017) avec Pascal Gollnisch. Comme il l’explique dans les premières pages, Edmond Baudoin ne parle pas la langue, et il se fait expliquer certaines situations par des interlocuteurs francophones. Il demande à Vincent la raison de son voyage : son interlocuteur expose sa perception des faits sur la période commençant en 2011. Jihanne lui explique la position des Chrétiens en Syrie. L’évêque Jacques raconte sa vie de moine, sa séquestration. Vincent parle du martyre de la ville de Hama. Nabil, un membre des Maristes bleus, raconte comment il a vécu la guerre. Le père Jihad raconte l’histoire de Mar Moussa El Abashi (Saint Moussa, le visage brulé), c’est-à-dire Le monastère de Saint-Moïse-l'Abyssin à quatre-vingt-dix kilomètres au nord de Damas. Les auteurs savent mêler l’histoire du pays avec une forme de tourisme singulier. De manière tout à fait légitime, le lecteur peut s’interroger sur le positionnement du récit, ou le point de vue à partir duquel la Syrie va être considérée. S’il connaît déjà l’œuvre de Baudoin, il connaît la réponse avant même de commencer sa lecture. S’il n’en est pas familier, il comprend rapidement qu’il s’agit d’un point de vue humaniste sincère, une volonté d’établir un contact vrai. Cela peut paraître surprenant sachant que l’artiste ne parle pas la langue du pays. Il reprend une démarche qu’il a mise en œuvre dans plusieurs pays (dont il ne parlait pas la langue non plus) : réaliser le portrait de son interlocuteur, en l’échange de sa réponse à une question. Le dessinateur l’a écrit à de nombreuses reprises : deux êtres humains qui se regardent fixement pendant une dizaine ou une vingtaine de minutes constitue une expérience rare dans la vie d’un être humain. De fait les portraits reproduits dans l’ouvrage présentent des particularités qui les font ressortir. Les deux premiers sont tenus devant eux la personne représentée, dessinée d’une manière différente, produisant un effet de mise en abîme totalement naturel. Les suivants sont reproduits sans cet effet : le lecteur fait à nouveau l’expérience déroutante du talent d’Edmond Baudoin. Ces dessins semblent dans un premier temps s’apparenter à un assemblage de traits de pinceaux épais et irréguliers, et de traits fins, quelques fois mis en couleurs. Un résultat qui peut sembler disgracieux, opposé à un rendu photographique. Dans le même temps, ils se dégagent d’eux une impression quasi surnaturelle : celle de regarder la personne comme si elle se trouvait réellement devant le lecteur, de percevoir pour partie leur personnalité, de voir les traces laissées par les ans, de regarder un être humain dans toute sa singularité. La couverture peut donner une fausse impression quant à la narration visuelle. Dès la première page, le malentendu est dissipé : Edmond Baudoin la prend en charge, exprimant sa personnalité en toute liberté. Au fil des pages, le lecteur peut aussi bien découvrir des illustrations réalisées en couleur et au pinceau (telles ces silhouettes jaunes et vertes en train de danser), une carte de la Syrie réalisée à la main avec les tracés en rouge des déplacements à venir, des têtes en train de parler avec de copieux phylactères, une composition flirtant avec l’abstraction pour un concept sur les chemins, une composition de type collage avec un visage au centre, de magnifiques paysages naturels en couleur directe, des paysages urbains comme griffonnés (à Damas), une étrange vision d’une route sans bordure avec des rangées de hauts panneaux de part et d’autre affichant le visage de Bachar El-Assad, de puissantes illustrations épurées au pinceau, quelques compositions abstraites, etc. La mise en page est tout aussi libre : conçue sur mesure pour chaque séquence, allant d’une unique illustration sans bordure sur la page, à des images juxtaposées, en passant même par des cases avec bordure, certaines s’étalant sur les deux pages en vis-à-vis. Comme à son habitude, ce créateur sait mettre en image ses observations, ses réflexions, ses sensations, ses émotions, comme s’il s’agissait d’un flux de pensées organique. Dans le même temps, il s’agit d’un récit de voyage suivant strictement son déroulé chronologique, évoquant un lieu après l’autre, dans l’ordre des déplacements, avec quelques développements incidents par association d’idées. Il apparaît que la structure narrative peut être imputée à Vincent Gelot, puisque c’est lui qui a organisé le voyage. En fonction des arrêts ou des séjours, le lieu peut être abordé par le biais de son histoire, par la personne qui les reçoit, ou par les rencontres qui s’y déroulent. Aucun moment ne ressemble à un autre, chacun étant rendu unique par la personnalité et l’histoire des êtres humains rencontrés. Le lecteur découvre la Syrie grâce au guide qu’est Vincent Gelot, grâce à sa connaissance du pays, et par le biais de la sensibilité d’Edmond Baudoin. Chaque rencontre apporte une réponse personnelle aux deux questions posées : Quel est votre rêve personnel ? Celui pour la Syrie ? Comme il peut s’y attendre, le lecteur découvre des réponses exprimant un désir de paix, soit à aller chercher ailleurs, soit à rétablir en Syrie, un rêve ou un espoir d’avenir pour soi-même, pour les enfants. Le désir que tous les enfants puissent retourner à l’école, que l’électricité revienne. Que l’on puisse acheter du pain sans faire une queue de plusieurs heures… Juste la possibilité de vivre. Il sent sa gorge se serrer en observant les destructions de la guerre. Il sent les larmes monter quand les auteurs évoluent dans des zones en ruines : Si on est attentif, on peut distinguer quelles sont les ruines dues aux bombardements de celles dues au tremblement de terre. Dans les ruines causées par les bombes, il y a de l’herbe et même des arbres qui ont eu le temps de pousser. Il est admiratif de la force vitale des personnes participant à reconstruire et à construire. Il se demande comment Baudoin peut résister émotionnellement à ce qu’il découvre, et il sourit en constatant qu’il pense encore aux arbres : Ça fait mal, tous ces palmiers déchiquetés par les bombes. Il ressent toute la vérité contenue dans le constat du père Jihad qui rêve d’une guérison politique. Il déclare tranquillement que : On leur a menti depuis quarante ans en leur disant qu’ils formaient un seul peuple, alors que certains pillent les richesses en écrasant les autres. Il rêve de danses, de musiques qui ne s’arrêtent pas. Une lecture triste et plombante ? Bien plus que ça : l’expérience de vie dans ce pays du poète et la sensibilité humaniste de l’artiste donnent à voir la diversité des habitants d’un pays en ruine, leurs espoirs simples et clairs, constructifs, les conséquences concrètes de la guerre pour ces civils, des paysages mêlant beauté naturelle et dévastation destructrice. Le lecteur en ressort meurtri et plein de compassion, ses valeurs essentielles s’en trouvant régénérées, par ces désirs communs, par cette démarche d’opposer la vie à la mort. Vital.

05/11/2025 (modifier)
Par Lodi
Note: 5/5
Couverture de la série Prince Valiant
Prince Valiant

Un chef d'œuvre. Et je m'en vais défendre deux choses : cette BD est dynamique. Dynamique ? On n'est pas dans Alix par parenthèse qui ne manque pas de qualité, les personnages, les chevaux, tout est plein d'allant. Est-ce que ce qui serait statique amènerait la comparaison avec Robin des Bois d'Errol Flyn ? Jamais. Je pense que par manque de dynamisme on veut dire sans marque de mouvement, sans bulle, sans flou, sans le style moderne. Mais il y a plusieurs façons d'être mobile ! Le cadrage des images, la tension dans l'action qui évite les poses de statues et d'ailleurs, d'acteur, les images aux tons vifs, tout cela insuffle un sacré dynamisme ! Pour les stéréotypes de genre…D'abord les femmes car il y en a dans la BD. L'âge médiéval n'est pas le nôtre, ensuite, la princesse Aleta domine souvent la relation, avec Prince Vaillant. Et elle n'est pas la seule femme de caractère. Certes, la femme du roi Arthur n'est pas extraordinaire, mais sa sœur est un des meilleurs méchants. Un pirate viking se marie avec une Indienne qui a de la personnalité, la sœur de Prince Vaillant n'en manque pas, mais je ne vais pas dresser de liste. Par contre, évidemment, il était inconcevable à l'époque qu'on nous montre des chevaleresses mais les historiens les avaient-ils seulement découvertes ? Certes, il y avait des femmes commerçantes et pratiquant l'artisanat, à l'époque médiévale, mais on ne les voit guère, les producteurs, dans l'histoire, même les paysans, de loin les plus nombreux, ne sont qu'aperçus : souvent des serfs éventuellement exploités par des méchants que les héros délivrent… Presque pas de prêtres, pas tant de sorciers que ça, des rois, surtout comme combattants, selon la tradition des chansons de gestes et des romans d'aventures. Reste la question de l'homosexualité, mais alors là, vu l'époque, il ne faut pas rêver : ni sexe, ni homosexualité en bande dessinée ! En fait, tant mieux, vu l'ambiance, je pense que tout cela aurait été présenté de façon négative alors que dans la saga, si on ne montre pas tout, personne ne peut se sentir diabolisé, sauf peut-être les Huns ! A noter que les Indiens sont respectés et qu'il y a un vieux commerçant pouvant faire penser à un Juif qui ne manque ni de courage ni de générosité que protège Prince Vaillant. Il y a des personnages comiques dans l'Histoire, mais on ne gomme pas pour autant leur qualité, Gauvain est un séducteur assez fat mais ne manque pas de courage et de malice, un Grec filou devient un héros par amour, un simple paysan par moment passablement ridicule donne toute sa part de butin pour tirer un ami de l'esclavage, et d'ailleurs, des bouffons, un jour, imitent de loin le roi Arthur de loin pour leurrer des ennemis pour qu'ils puissent prendre les assaillants par surprise.

05/11/2025 (modifier)
Par Yannis
Note: 5/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Une invitée dans la demeure
Une invitée dans la demeure

Voilà encore un bel ouvrage aux éditions 404. J'avais déjà lu Speak du/de la même auteur(rice) que j'avais beaucoup aimé tant niveau graphique que de l'histoire. L'histoire débute comme une banale histoire de famille recomposée avec une jeune femme devenue belle-mère et qui espère bien faire avec sa belle-fille d'autant plus que la maman est décédée. Abby aime cette vie même son amour avec David est un peu distant. Mais petit à petit le trouble et des questions apparaissent sur la mort de Sheila, la première femme de David. La tension monte progressivement. Si l'on pense savoir où l'histoire nous emmène on est finalement surprit par le dénouement. On est sur un conte horrifique avec un brin de fantastique ce qui a très bien marché avec moi. Me dessin n'est pas en reste avec un très beau noir et blanc pour la vie quotidienne/réelle et l'apparition des couleurs pour les passages oniriques et les fantômes. Les couleurs sont flamboyantes au milieu du noir et blanc avec des pages sublimes. Un petit mot aussi sur le livre en lui-même. C'est encore une belle édition avec un papier épais et de qualité comme la couverture d'ailleurs. La jaquette du livre est sublime aussi. Le livre a un coût 30€ mais il est pour moi amplement justifié par la qualité de l'ouvrage en lui même.

05/11/2025 (modifier)
Par Lodi
Note: 5/5
Couverture de la série La Couleur tombée du ciel
La Couleur tombée du ciel

Gou Tanabe m'éblouit à double titre, dans ses adaptations de Lovecraft. Qu'est-il ? Un dessinateur tombé du ciel. Evidemment, pas un couleur... Si un autre faisait aussi bien en couleur, je lui mettrais un coup de cœur, tiens. Bref, il adapte, il réinvente Lovecraft, et ce n'est pas rien ! Il n'illustre pas platement, il ne transfère pas non plus une partie de son univers dans un autre pour le raviver comme dans les eaux de Mortelune mais pas seulement. Il parvient à montrer l’immontrable, qui échappe pourtant toujours à l'appréhension du lecteur. Et comment y parvient-il ? Je pense que c'est grâce à un noir et blanc étonnant, je veux dire ni noir et blanc tranché, expressionniste, ni gris crasseux censé montrer le chaos, la misère et le trouble des deux. Il unit les deux et un caractère contemplatif pour montrer et dérober à la fois les images que le maître de Providence ne fait qu'évoquer sans les réduire à des phénomènes de foire. Montrer fortement, avec une réserve, et en instaurant un tempo, un temps différent des autres BD, bravo ! Accessoirement, il n'est pas mal d'avoir une couverture évoquant celles des anciens grimoires, c'est un bel objet, et un seuil à ouvrir pour franchir un autre monde. Après tant de compliments, on pourrait s'étonner que je ne marque pas de coup de cœur. Je l'attribue au fait de ne pas découvrir une nouvelle histoire, et je ne peux pas donner la note que j'aurais accordé au maître au disciple.

03/11/2025 (modifier)
Par Vaudou
Note: 5/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Les Fils d'El Topo
Les Fils d'El Topo

Les fils d'El Topo est une fable initiatique fabuleuse racontée par un Jodorowsky ultra motivé. Cette bd, c'est sa grande revanche par rapport au film qu'il n'a jamais pu tourner faute de financement et qui devait être la suite d'El Topo sorti dans les salles en 1970. C'est le récit le plus ambitieux que j'ai pu lire de sa part, c'est difficile d'en parler sans révéler l'intrigue. La plupart des personnages sont en quête de rédemption même sans en avoir conscience. J'ai rarement vu des personnages vivre de telles expériences - et en ressortir autant transformés - dans une bande dessinée. Ladronn a permis de donner vie à cet univers, il y a une osmose entre le texte et l'image très forte, on le sent en état de grâce comme son compère. Les fils d'El Topo sera un jour considéré à sa juste valeur, c'est à dire comme l'ultime chef d'oeuvre de Jodorowsky, son magnum opus.

02/11/2025 (modifier)
Par Lodi
Note: 5/5
Couverture de la série Orbital
Orbital

Orbital : une série sur la diplomatie dans l'espace. Quelle bonne idée ! Et quels beaux dessins, originaux ! Et quels bons personnages… Cela me fait penser à Valérian mais en mieux. Les deux personnages principaux sont aussi attachants queValérian et Laureline à la base sauf que… Plus ! On voit leur histoire, très intriquée dans la galaxie, et pour l'instant je ne me lasse pas, contrairement à ce qui s'est passé pour Valérian. Parce que je trouve l'univers à la fois plus inventif et plus crédible ? J'hésite : qu'elle continue car les virtualités me semblent très grande, ou qu'elle arrête pour ne pas me décevoir ? Et la couleur qu'on ne remarque guère tant elle ne fait qu'un avec un dessin aussi précis que dynamique ! C'est rare, un dessin qu'on reconnait tout de suite sans qu'il s'impose devant l'univers.

02/11/2025 (modifier)
Par Lodi
Note: 5/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Ikkyu
Ikkyu

Culte ou qui le mériterait ! A rempli le job pour moi, une histoire et des dessins agencés de telle sorte qu'on plonge dedans avec l'idée de revenir. Parfois, on confond des personnages ? Quand bien même, quelle importance, car cela montre le chaos de l'époque, soit une des raisons poussant si fortement au détachement, soit dans un monastère, soit seul au hasard des routes ! De plus, quand j'ai tenu ces bd, je n'ai eu de cesse de les relire. C'est dense, et en même temps, rempli de moments de grâce contemplative, une grâce qui exprime le meilleur du Japon ! Le héros ne serait pas sympatoche ? Eh bien, les êtres en quêtes, par exemple les artistes et les mystiques ne le sont pas toujours : obsédés par leur but et ne prenant pas toujours de gants. En plus, le bouddhisme prône certes la compassion, mais aussi toutes sortes de moyens pour sortir les gens de leurs illusions, et parler de façon énigmatique ou brutale peut en faire partie. Le héros a une sorte de rival pas présenté de façon très flatteuse, mais qui ne manque pas non plus de perspicacité, comprenant bien comment tout ce que rejette le héros peut être utile aux masses de fidèles. Les samouraïs ne sont pas flattés, ce n'est rien de le dire et ça change, le peuple souffre, les aristocrates sont raffinés, eux ne font que ravager ! L'enfant qui subsiste dans le héros ne cesse de regretter d'être séparé de sa mère, et c'est ce qui conserve une humanité secrète mais poignante au héros.

01/11/2025 (modifier)
Par Tanguy
Note: 5/5
Couverture de la série Fantax
Fantax

Cette série n'a pas été censurée mais Chott l'a arrêtée de lui-même en 1949 par peur d'être censuré. C'est en 1955 que les soucis commencent avec une série de 5 procès contre BIG BILL le Casseur, un cow-boy masqué. Après avoir gagné les 4 premiers procès, Chott perd le dernier en 1961. Ceci met fin à sa maison d'édition. Pour se replonger dans cette série mythique (le numéro 1 a été tiré à 90 000 exemplaires à l'époque), il existe 6 albums regroupant toutes les aventures de FANTAX accompagnées de documents et récits inédits sur la vie de Pierre Mouchot. Et cette année, deux nouveaux albums couleurs sont sortis pour relancer les nouvelles aventures de FANTAX avec ARROYO et MILLET aux crayons et DEPELLEY et MORNET aux stylos. Site : https://fantaxbd.com Pour moi, c'est donc incontournable mais en fouillant vous comprendrez pourquoi... ;)

01/11/2025 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série L'Amourante
L'Amourante

La beauté ?! C’est la plus grande arnaque de la création ! - Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Son édition originale date de 2025. Il a été réalisé par Pierre Alexandrine pour le scénario, les dessins et les couleurs. Il comprend deux-cent-vingt-huit pages de bande dessinée. Au temps présent, un soir à Paris, dans le vingtième arrondissement, non loin du parc des Buttes-Chaumont, Zayn, un jeune homme, se rend dans un bel appartement spacieux et haut de plafond, habité par Louise. Elle accepte qu’il monte chez elle. Elle l’accueille poliment en lui disant qu’elle était en train de s’endormir devant une série. Il est très impressionné par l’appartement. Il finit par indiquer qu’il est venu parce qu’il n’arrête pas de penser à elle depuis la dernière fois, et il voulait savoir s’il y avait la moindre chance que… Elle répond immédiatement : Non. Elle pensait avoir été claire : c’était bien, tous les deux, mais elle préfère qu’ils en restent là. Il lui dit qu’il ne comprend pas : c’est elle qui l’a abordé dans ce bar, qui l’a séduit, qui l’a embrassé, et cette nuit chez lui, il avait cru… Et ses textos à elle, ses déclarations enflammées. Elle ne s’en souvient pas. Il a juste besoin de comprendre pourquoi. Il la supplie. Elle finit par accepter, tout en le prévenant qu’il risque d’avoir du mal à la croire. Elle lâche le morceau : elle a fait en sorte qu’il tombe amoureux d’elle parce que, faute d’amour, elle se met à vieillir. Mais quand on l’aime elle devient éternelle. C’est la stricte vérité : tant que quelqu’un a des sentiments pour elle, elle ne peut pas vieillir. Elle lui montre un tableau dont elle a été le modèle, datant de 1527. Zayn acceptant de l’écouter, Louise continue. Elle a dans les six ans, elle est née au quinzième siècle. Au risque de le décevoir, elle raconte qu’elle n’a pas rencontré beaucoup de gens célèbres. Jean-Sébastien Bach lui a parlé une fois. Elle a dû croiser Oscar Wilde à deux trois soirées. Elle a bu du porto avec Marlene Dietrich en 1934… C’est tout. Ah, et elle a couché avec Spinoza, excellent amant d’ailleurs. Répondant à une question du jeune homme, elle indique qu’il lui est arrivé quelques bricoles, mais la plupart des trucs qui font mourir les humains sont inefficaces sur elle. Son corps se régénère de façon quasi instantanée. Il n’y a guère que le feu qui puisse la détruire. Elle est née avec ce pouvoir miraculeux, et elle ignore d’où il lui vient. Devant ses yeux, elle se tire une belle dans la poitrine et en ressort indemne. Il comprend qu’elle est une sorte de vampire de l’amour et que la vie a dû être facile pour elle. Cette remarque la fait sortir de ses gonds. IL n’a aucune idée de ce à quoi ressemblait le monde avant son petit vingt-et-unième siècle. A-t-il déjà connu le vrai froid ? Et la faim ? La guerre ? La misère ? La peur ? A-t-il déjà été traqué par un village entier juste parce qu’on le trouvait bizarre ? Est-ce qu’on l’a déjà pendu parce qu’il avait flirté avec la mauvaise personne ? Combien de fois dans sa vie s’est-il fait traiter de succube ? De renarde, de stryge ? De chienne impudique ? De puterelle malfaisante et vérolée ? Un point de départ fantastique très simple : tant que quelqu’un aime Louise, elle ne peut pas vieillir, et elle a maintenant six cents ans. Un jeune homme épris d’elle vient pour obtenir une réponse claire sur les raisons qui ont poussé Louise à le laisser tomber du jour au lendemain : parce qu’il est sympathique elle accepte de lui raconter son histoire. Le lecteur trouve ce qu’il est en droit d’attendre : des moments historiques, ou plutôt des époques identifiées avec parfois une référence historique, des leçons d’amour, ou plutôt de séduction, ou plutôt comment rendre un homme fou de désir, des périodes sans rien de particulier, le temps qui passe, le questionnement sur le pourquoi de cette immortalité, la solitude, la tentation de succomber à l’amour, etc. Il s’agit d’une histoire avec une forte pagination qui se lit très facilement. L’artiste se place dans un registre proche de la Ligne Claire : des traits de contours nets et une légère simplification dans les visages et dans la représentation des objets et des décors, par comparaison avec une approche qui aurait été plus photoréaliste. La mise en couleurs déroge quelque peu aux dogmes de la Ligne Claire : elle intègre des variations de nuances pour une même couleur, de discrets ombrages en fonction des sources de lumière, quelques rares effets discrètement expressionnistes. Le lecteur remarque également quelques personnages en ombre chinoise, se faisant écho entre ces séquences, une demi-douzaine de dessins en pleine page. Le lecteur ressent immédiatement qu’il s’agit de l’œuvre d’un artiste complet : à la fois pour la complémentarité entre les textes et les dessins sans redondances, à la fois pour la personnalité de la narration. En effet l’appartenance à la famille de la Ligne Claire donne une apparence assez jeune aux personnages, de jeunes adultes en tout cas, à l’exception de Martin de la Fôle étant devenu un vieil homme, ou encore d’Eleanore, elle aussi atteinte par l’âge. Dans le même temps, le soin apporté aux tenues vestimentaires et aux décors place la narration visuelle dans un registre adulte, plutôt que tout public, sans voyeurisme graphique pour autant. Au fil des années qui passent, des décennies qui défilent, des siècles qui siècles qui s’accumulent, le personnage principal voit du paysage, à la fois par ses voyages, à la fois par l’évolution de la société aussi bien technologique que sociétale. Une fois bien calé dans son fauteuil dans ce bel appartement parisien aux côtés de Zayn pour écouter Louise, le lecteur voyage lui aussi : au galop dans un champ, dans une maison close parisienne au quinzième siècle y compris lors d’une réception aussi somptueuse que décadente ou dans la plus belle chambre, en Hollande au pied des moulins, dans une cathédrale, dans un grand bal à Venise, sur une scène de théâtre, aux portes de l’université de Samarcande, à la cour de Catherine II. Puis le temps d’une case : à Lhassa, à bord d’un grand voilier militaire, dans la jungle des Indes, au Japon devant le mont Fuji. Etc. L’artiste sait faire voyager le lecteur, sans ostentation, de manière organique et intégrée au récit, servant le déroulement de la vie de l’amourante. Tout au long du récit, le lecteur relève également un usage à bon escient d’éléments visuels variés. Quelques exemples : trente pages muettes dépourvues de tout texte où les dessins portent toute la narration, cinq dessins en pleine page, un dessin en double page, quelques visuels se répondant (par exemple le passage au pied des moulins qui revient plus tard avec le même cadrage, mais à une autre saison, page cinquante rappelé en page cent-trente-trois), des silhouettes en ombre chinoise, le jeu des couleurs, etc. Il remarque que l’artiste utilise des découpages de page à base de cases rectangulaires bien alignées en bande, avec un nombre variable en fonction de la nature de la scène. Il met en œuvre une direction d’acteurs de type naturaliste, sans exagérer les émotions ou les gestes, sauf lorsqu’ils sont en représentation, littéralement sur une scène de théâtre, ou en phase de séduction en appliquant des techniques. Le lecteur se trouve vite séduit par cette narration visuelle facile à lire, agréable à l’œil, riche en informations sans être indigeste. Une narration douce et substantielle donnant à voir cette vie longue de plusieurs siècles, riche de voyages et de découvertes, avec quelques péripéties, sans se transformer en une suite d’aventures échevelées. Louise elle-même dit qu’elle n’a pas rencontré beaucoup de personnes célèbres. L’histoire raconte donc la vie de cette femme qui se découvre un pouvoir extraordinaire : vivre éternellement jeune, sous réserve que quelqu’un soit amoureux d’elle. Elle rencontre Eleanor qui lui explique comment faire pour séduire et éveiller la passion, et les décennies se succèdent les unes aux autres. Le lecteur voit apparaître un thème : l’évolution de la vie amoureuse de Louise. Cela commence par un bon mariage de raison avec un paysan, puis par un veuvage soudain. Dans ce quinzième siècle, elle se retrouve jeune veuve sans le sou et décide de monter à Paris. Dépourvue de ressources, elle se retrouve contrainte à la prostitution dans une maison close, où ses qualités (la maladie n’a pas de prise sur elle, elle ne risque pas de tomber enceinte) en font une professionnelle inégalable. Puis le schéma s’inverse : ayant bénéficié de la tutelle d’une autre amourante, c’est elle qui suscite l’amour chez les hommes, selon sa volonté. Le lecteur assiste alors à une leçon, une technique en cinq étapes : le désir, le mystère, l’obstacle, une pincée d’espoir, la souffrance. L’amour devient ainsi un simple moyen pour parvenir à ses fins. Eleanor le décrit ainsi : Le véritable amour, celui qui fait brûler de désir et mourir de jalousie… L’amour qui brise les amitiés et provoque des guerres, le grand et terrible amour qui se presse dans les cœurs depuis que le monde est monde, ce n’est pas un noble sentiment. Il est chaotique, violent, incontrôlable. C’est une maladie… L’histoire raconte également une forme d’émancipation : cette femme qui maîtrise son corps, qui séduit les hommes pour les utiliser, qui maîtrise parfaitement la psychologie de la séduction. Une chose importante à retenir, c’est qu’à chaque variété d’homme correspond une approche bien précise. Avec les jeunes, il suffit d’être entreprenante. Les types mûrs, il faut les flatter. Les riches, ne pas avoir l’air impressionné par leur argent. Avec les débauchés, il faut surjouer l’innocence. Avec les chastes, la dépravation. Être directe avec les timides et évasive avec les téméraires. Face à un orgueilleux, le coup de froideur indifférente est la meilleure option. Sauf si on a affaire à un demeuré. Auquel cas mieux vaut passer tout de suite à la technique de la demoiselle en détresse. […] Un être humain également détaché des contingences matérielles pouvant satisfaire sa soif de découvertes, de voyages, de savoir grâce à un temps sans limite. Une personne dans un corps jeune, avec une expérience de plusieurs siècles, en pleine possession de ses moyens physiques et intellectuels. Comme tout être humain, Louise est la recherche du sens à donner à sa vie, à cette existence éternelle, cette vie dont elle a la totale jouissance et la totale responsabilité, dont la seule limite est de devoir s’accommoder des évolutions de la société. Une simple histoire d’amour, ou d’amoureuse, avec une touche de fantastique ? Tellement plus que ça : une narration visuelle accessible et impeccable, riche et agréable, sympathique et solide. Un récit s’étalant sur plusieurs siècles, mêlant amour, séduction, quelques aventures, et une touche de perversité dans la manière d’instrumentaliser le désir des hommes. Un exercice de pensée sur ce que l’on peut attendre de l’existence, ou ce que l’on peut rechercher dans la vie de telles conditions de vie. Formidable.

01/11/2025 (modifier)
Par Lodi
Note: 5/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série L'Incal
L'Incal

L'Incal est une œuvre dont l'inventivité foisonnante et le dessin - Moebius à son meilleur niveau ! - pourraient me suffire. Mais il n'y a pas que ça, c'est une œuvre dont les enjeux sont grands, salut du monde, libération des êtres, la dramatisation parfaite, l'humour discrètement présent, par exemple avec son antihéros dont les dialogues avec l'Incal mais aussi sa mouette à béton ne manquent pas de sel ! On pourrait avoir l'impression d'un manque de structure, mais au contraire, il y aurait presque excès comme ne le cachent pas les titres, Incal lumière, Incal ténèbre, ce qui est en haut, ce qui est en bas…. Structure binaire, en reflet, car "ce qui est en haut est comme ce qui est en bas", dans la série - pour le reste je ne vais pas me prononcer… Il y a encore le jeu de tarot divinatoire, Solune, est par exemple, le soleil et la lune, la forteresse techno une version perverse de la Maison-Dieu. Il n'est pas sans intérêt de savoir que Moebius et Jorodosky avaient préparé un storyboard de Dune, ce qui fait qu'à la force des symboles divers que j'ai évoqués plus haut sans parler de ceux qui m'ont forcément échappé, s'ajoute l'armature littéraire d'un texte important de la sf - les suites et les préquels sont moins bons, hélas ! Et il rentre dans l'Incal quelque chose du dynamisme de la préparation à l'image animée qu'est un film. Bref, si vous soupçonnez du mysticisme à tous les coins de page, vous avez raison. Mais il n'est pas requis d'entrer dans autre chose que dans l'émerveillement du récit, seulement de rêver, car "rêver, c'est survivre". Si les œuvres dérivées de l'Incal ne sont pas mauvaises, elles restent tout de même clairement dispensables.

01/11/2025 (modifier)