La société ne porte-t-elle au moins une part de responsabilité ?
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Ce tome contient une histoire complète et indépendante de toute autre, s’appuyant sur une série de crimes réels. Son édition originale date de 2010. Il a été réalisé par Peer Meter pour le scénario, Barbara Yelin pour les dessins, et Paul Derouet pour la traduction à partir de l’allemand. Il comprend cent-quatre-vingt-dix pages de bande dessinée, en noir & blanc avec des nuances de gris. Il se termine avec une postface de quatre pages présentant les faits historiques, puis les rôles de Friedrich Leopold Voget (avocat de la meurtrière), le docteur Franz Friedrich Droste (sénateur et président du tribunal criminel), et le pasteur Heinrich Wilhelm Rotermund (pasteur et confesseur de la criminelle emprisonnée), puis le devenir des actes du procès, et une présentation de la pierre du crachat à Brême.
Un train à vapeur progresse à bonne allure sur ses rails. Dans un des compartiments, une mère explique à sa fille : Sa dernière œuvre devait en fait s’intituler Le soc, pour bien montrer qu’il s’agit dans ce livre d’un retournement de la morale dominante. Et il continue d’y travailler, bien qu’il soit presque aveugle et ne dispose de personne pour le soigner. Lou répond qu’elle est très impatiente de lui être présentée à Rome. La mère continue : elles découvriront bien assez tôt son fameux professeur Nietzsche. En outre, Rome attendra car elles doivent d’abord régler d’importantes questions éditoriales à Hambourg. Sa famille s’extasie sur le fait que Hoffman & Campe publie les mémoires de sa mère. Lorsqu’elle pense à Heinrich Heine que sa mère a côtoyé presque chaque jour durant ses dernières années parisiennes et à…
Lou est interrompue par le contrôleur qui vient de pénétrer dans leur wagon pour annoncer qu’ils n’atteindront pas Hambourg à l’heure dite. Il faudra plutôt compter avec un gros retard, car leur train doit être détourné par Brême : un accident a coupé la voie vers Hambourg. Un transport militaire a explosé ce matin. Quinze personnes y auraient laissé la vie, et dix-neuf souffriraient d’atroces blessures à l’hôpital de Hambourg. Lou remarque que sa mère est soudain très pâle et elle le lui fait observer. Une femme s’emporte contre le contrôleur car l’annonce lui a causé du désagrément ; il lui présente ses excuses. Lou suggère à sa mère qu’elle aille consulter un médecin lorsqu’elles seront à Hambourg. Sa mère explique que de même que l’arôme d’une madeleine trempée dans le thé peut soudain faire renaître toute une enfance, l’idée du contact imminent avec Brême a ranimé un monde profondément enfoui en elle. Il lui faut d’abord faire le tri. À son propre étonnement, ressurgissent devant elle des événements anciens, aussi frais que s’ils s’étaient produits voici deux mois, et non un demi-siècle. Elle explique qu’elle était à peine plus âgée que sa fille aujourd’hui, lorsque deux journées à Brême menacèrent l’espace d’un instant de bouleverser le cours de son existence. À la demande de sa fille, elle raconte toute l’histoire : c’était en avril de l’année 1831. Il n’y avait pas encore de trains permettant un voyage confortable, tout était pénible.
Une couverture très austère. Un texte de quatrième de couverture qui indique que ce drame historique est basé sur une histoire vraie, celle de Gesche Margarethe Gottfried (1785-1831), surnommée L’ange de Brême. Le lecteur relève trois références littéraires et philosophiques dans le chapitre d’introduction à bord du train : Friedrich Nietzsche (1844-1900), Heinrich Heine (1797-1856) et la madeleine de Marcel Proust (1871-1922), évoquée dans Du côté de chez Swann (1913). Il constate au cours de sa lecture que le personnage principal, la journaliste chargée de réaliser un reportage sur la ville de Brême, n’est jamais nommée. Toutefois, la référence à Nietzsche, associée au prénom Lou qui se rend à Rome pour le rencontrer évoque Lou Andreas-Salomé (1861-1937) qui fut emmenée en Italie par sa mère Louise Wilm (1823-1913) pour des raisons de santé. Toutefois la narratrice est supposée avoir une vingtaine d’années au moment de l’exécution de la meurtrière en 1831, ce qui ne correspond pas avec sa date de naissance, ni avec le fait qu’elle aurait passé plusieurs années avec Heine. Cette dame est également l’amie de Bettina von Arnim (1785-1859) une femme de lettres et une nouvelliste romantique allemande. Au cours de la lecture, peu importe qu’il s’agisse bien de Louise Wilm ou pas, car cela n’a pas d’incidence sur le déroulement du récit. En revanche, les autres références historiques permettent de comprendre l’état d’esprit de l’autrice au cours de ses découvertes, ainsi que son jugement de valeur.
L’illustration de couverture envoûte littéralement le lecteur : ce regard si intense et indéchiffrable, la masse noire et compacte du buste, la coiffe qui cache les cheveux. Il est prêt à juger cette femme sur son apparence. Il entame sa lecture : une illustration en pleine page, la locomotive qui avance dans une sorte de brouillard ou dans le froid, un véritable tableau impressionniste. La séquence introductive dans le train présente des dessins avec des traits de contour parfois un peu lâche, un usage appuyé des zones de gris pour apporter de la consistance à chaque forme détourée, un niveau de détails fluctuant, pour un registre oscillant entre réalisme descriptif et ressenti. Il se retrouve avec une impression partagée : d’un côté des dessins à l’ambiance prenante, de l’autre des représentations parfois un peu naïves car trop simplifiées en particulier pour les représentations de voirie. Oui, mais quand même… Quand même, la vue du port de Brême en page seize présente clairement la disposition des maisons le long du quai, la forme du quai, les bateaux, une petite activité sur les quais, les escaliers d’accès, c’est-à-dire une description consistante et cohérente de ce lieu. Ainsi à plusieurs reprises, le lecteur prend le temps de lire un dessin correspondant à une prise de vue complexe et détaillée : le déploiement de la passerelle pour permettre aux passagers de débarquer, l’ombre agréable sous les arcades, les façades des bâtiments autour de la grand-place, un tonneau roulé sur les pavés, une perspective de la chambre louée par Louise évoquant celle du tableau La Chambre de Van Gogh à Arles (1888), une toiture en tuiles, les poutres apparentes dans la salle d’une auberge, la magnifique promenade pour sortir de la ville, les colonnades du bâtiment abritant la prison, les caves attenantes à l’auberge, la scène de foule à l’occasion de l’exécution publique.
D’ailleurs cette séquence d’exécution capitale met en lumière la qualité particulière de la narration visuelle. Très vite le choix des nuances de gris fait sens : l’écrivaine s’enfonce dans un monde assez sombre qu’elle ne soupçonnait pas, prenant tout d’abord conscience de la monstruosité du comportement meurtrier de la Gottfried, puis s’interrogeant sur ce qui a pu la conduire à empoisonner autant de personnes, dont beaucoup de sa famille la plus proche (jusqu’à ses propres enfants), s’inquiétant que ces affres trouvent un écho dans ses propres sensations de mal-être. De ce fait, l’attention du lecteur se détourne d’un mode représentatif réaliste, pour mieux apprécier le mode émotionnel. Il voit comment les cases font ressentir des sentiments et émotions complexes : le désarroi profond de Louise en apprenant que le train va stationner à Brême, la réserve prudente à chaque fois qu’elle s’adresse à un homme attestant d’une forme de bienséance sociale voulant que chaque femme se montre accommodante avec les hommes qui s’adressent à elle, le comportement très inapproprié du pasteur qui semble compenser une forme de manque de confiance vis-à-vis des femmes en se montrant agressif, l’étonnement sans borne de Louise quand on lui reproche son comportement qui était pour elle une réaction normale, l’attitude très officielle jusqu’à en être théâtrale du président du tribunal quand il prononce sa sentence sur l’échafaud. Et puis, l’attention du lecteur est parfois attirée par la longueur d’une séquence (par exemple l’exécution) ou par ce qui semblent être un décalage dans ce que montrent les images (par exemple ce charretier qui fouette son cheval avec libéralité) et le texte.
Le titre de l’ouvrage promet de découvrir l’histoire de ces crimes d’une tueuse en série, ainsi que peut-être le procès afférent. Le lecteur se rend compte que le récit est entièrement raconté du point de vue de l’écrivaine qui vient réaliser un reportage sur la ville, et qui se trouve confrontée à plusieurs personnes qui souhaitent lui parler de l’exécution imminente et des crimes. Il découvre donc ces meurtres et l’empoisonneuse par personnes interposées, à l’exception d’extraits de compte-rendu d’interrogatoire qui rapportent la parole de Gesch Gottfried. Par ce mode indirect, les crimes sont bien racontés, ainsi que les interrogations des différents interlocuteurs sur la personnalité de l’empoisonneuse, sur ses motivations réelles, avec des points de vue contradictoires sur ces dernières, en fonction de la personne qui raconte. L’écrivaine sert donc de candide découvrant progressivement l’affaire, et de personnage dans lequel le lecteur peut se projeter, lui aussi étant un étranger dans cette ville inconnue.
Au fil des pages, Louise en apprend plus sur les crimes, sur les victimes, sur le mode opératoire, sur ce qui les rend inacceptables dans cette société, cet endroit du monde, à cette époque. Dès le début, le lecteur constate la stature sociale très relative de l’écrivain : elle voyage seule, les aléas de voyage lui ayant conféré une véritable autonomie, tout étant soumise à l’autorité plus ou moins explicite des hommes, parfois simplement d’un point de vue économique d’autre fois social, un vrai patriarcat sous-jacent. Elle finit par se faire la remarque : Il est triste qu’ici aussi, une femme ne soit considérée que comme l’animal de compagnie d’un homme ! Elle constate que certains de ses interlocuteurs ont une idée bien arrêtée sur les motivations de l’empoisonneuse, pour répondre à la question : Quel motif peut-il bien conduire une femme à tuer ou à tourmenter autant de gens avec du poison ? Ainsi celui qui estime que : Une femme devrait rembourser la dette de la vie non par l’action mais par la souffrance, par les douleurs de l’enfantement et la soumission à l’homme, pour qui elle doit être une compagne patiente et agréable. L’avocat estime que : Le juge ne peut être remplacé par le médecin, et il regrette d’avoir dû plaider l’irresponsabilité, contre ses convictions morales.
Or l’écrivaine sent que : Il était de retour ce vague à l’âme qui la prenait parfois. Elle ne se connaissait pas elle-même et elle voulait écrire sur les autres. Mais comment l’être humain peut-il se connaître ? Il n’est qu’une chose sombre et cachée. Tout naturellement elle ressent une forme d’empathie pour la femme Gesche Gottfried, sans pour autant cautionner ses meurtres, ce qui l’amène à s’interroger : La société ne porte-t-elle au moins une part de responsabilité ? Elle constate que plus les habitants l’entraînent dans leur affaire criminelle, plus l’échec d’une société devient évident. Ils ne pouvaient, en aucun cas, ne fusse qu’évoquer l’idée qu’ils avaient devant eux une femme dont l’âme et l’esprit étaient malades. C’eut été avouer que durant des années ils étaient restés indifférents aux pulsions meurtrières d’une femme malade. Ils n’avaient plus d’autre choix que voir en Gesche Gottfried une femme tuant froidement et par pur égoïsme, qui avait su, toutes ces années, tromper froidement son entourage. Et tout ce qui risquait d’abimer cette image était aussitôt étouffé dans l’œuf. Elle se souvient également d’une réflexion de Novalis (1772-1801) : il était convaincu d’un lien profond et mystérieux entre luxure, religion et cruauté. Elle conclut : Il semble à la lumière de tout ceci, qu’une autre présentation des faits soit possible. Que cette Gesche Gottfried n’est rien d’autre qu’un exemple, poussé jusqu’à la plus complète absurdité, d’une société agressive, sans scrupules, et atteinte dans son âme et son esprit. Le lecteur rapproche cette réflexion de la maltraitance du cheval par le commerçant, comme une métaphore. Et elle se demande si elle avait des points communs avec une femme qui s’était comportée de manière aussi extrême à l’égard de ses contemporains ? Se sentait-elle, elle aussi, dans ce monde dominé par les hommes, comme broyée par de gigantesques meules ? Et tandis que l’écrivaine essayait de supporter cette impuissance par l’écriture, Gottfried avait-elle sombré dans la folie ?
Quel regard intense sur cette couverture ! Le récit d’une empoisonneuse à Brême ayant ainsi tué plus d’une quinzaine de personnes, au travers d’une enquête menée par une journaliste au début du dix-neuvième siècle. Une narration visuelle très grise jouant sur les sensations de malaise de la narratrice. Au fur et à mesure, un vrai polar qui sonde les mécanismes sous-jacents d’une société oppressive. Accablant.
Une modernité incroyable, des fringues aux décors, cette histoire de la petite américaine des années 50 ravira encore aujourd'hui toutes les gamines de 15 ans (l'âge de l’héroïne).
Cela fût pour moi d'une influence extraordinaire pour ma féminité.
Les histoires étaient marrantes et simples.
Sa maladresse était charmante, et tous les repères de ces années là y étaient.
Je le conseille à tous, même adultes, rien que pour les dessins très détaillés.
Incroyable, superbe, moderne.
Numéro invalide est l’une de ces œuvres qui devrait être connues de tous. C’est un manga bien narré, avec des dessins percutants qui arrivent à nous faire ressentir toutes les émotions et l’enfer que la mangaka a vécus. La mangaka est très douée pour synthétiser et rendre accessible des informations médicales. C’est une œuvre difficile à lire par sa violence mais nécessaire. À recommander en masse.
Chacun de mes pas me rapproche de mon idéal !
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Ce tome constitue une biographie de Sarah Bernhardt (1844-1923). Son édition originale date de 2020. Il a été réalisé par Eddy Simon pour le scénario, et par Marie Avril pour les dessins et les couleurs. Il comprend cent-soixante-huit pages de bande dessinée. Il se termine avec une photographie de l’actrice, et un article de trois pages, intitulé Sarah Bernhardt chronologie, retraçant rapidement des moments emblématiques de la vie de l’actrice, agrémenté d’une petite photographie d’elle dans son rôle de Fedora. Ces auteurs ont également réalisé l’adaptation du roman de Saphia Azzedine : Confidences à Allah (2015).
Acte I L’insoumise. En 1847, à la campagne, de part et d’autre d’une étroite rivière, son cousin incite Sarah à sauter par-dessus, en la houspillant, lui disant qu’il parie qu’elle n’osera jamais, parce qu’elle est une trouillarde de fille. De son côté, l’enfant se convainc elle-même qu’elle va y arriver, et elle finit par prendre son élan pour sauter. Un peu plus tard, Camille et Sarah se trouvent devant la mère du premier. Celle-ci exige qu’ils lui expliquent ce qui s’est passé. Sarah dit que c’est de la faute de son cousin si elle a les genoux écorchés et si ses habits sont sales, c’est Camille qui l’a provoquée. Sa tante la sermonne : Une jeune citadine ne doit pas se comporter comme une vulgaire campagnarde, ce n’est pas convenable ! Sarah rétorque vivement qu’elle recommencera quand même, si on la défie encore. Et elle fera toute sa vie ce qu’elle a envie de faire ! Quand même !
Le cinq janvier 1871, pendant le siège de Paris, Sarah Bernhardt travaille comme infirmière auprès des blessés. Alors qu’elle panse un soldat alité, une autre infirmière vient la chercher pour lui indiquer qu’un certain comte de Kératry qui se dit être le nouveau préfet de police demande à la voir. Pour sortir, elle traverse les différentes pièces du théâtre transformé en hôpital, tout en maugréant : Maudite engeance que la guerre… Une fois dehors, elle retrouve le préfet : Émile de Kératry. Celui-ci commente la cargaison de la charrette qui est en train d’être déchargée : Comme promis, même si cela ne s’est pas fait sans mal, voilà la livraison de vivres, vins, biscuits, café œufs… Sarah lui répond que cela devrait permettre de nourrir ses blessés pendant quelque temps, et elle demande les dernières nouvelles du front des horreurs. Il lui répond d’abord des banalités, puis à la demande de la jeune femme, il rentre dans le détail : En vérité la situation n’est guère brillante. Depuis la reddition de l’empereur, c’est la déroute : chaque jour, les troupes françaises battent en retraite et perdent du terrain sous la férocité des assauts de l’armée prussienne. Léon Gambetta et son gouvernement de défense nationale tentent bien d’organiser la résistance au nord de la Loire, mais la cause…. Semble bel et bien perdue ! Il conclut : Paris sera sans doute très bientôt une forteresse assiégée par les bataillons de Von Bismarck. Il suggère à Sarah de rejoindre sa famille en Normandie, personne ne l’en blâmera. Elle répond avec fougue : Jamais de la vie !
Dans l’inconscient collectif, Sarah Bernhardt est restée comme une actrice de légende, et pour ceux qui en ont déjà entendu parler, également comme une actrice ayant connu le succès aux États-Unis, ayant su faire fructifier son image, et étant enterrée au cimetière du Père-Lachaise. Les autrices font des choix dans leur approche biographique. De débuter par une courte scène de sa jeune enfance pour montrer un caractère bien trempé et une détermination en réaction à son cousin qui lui dit qu’elle est incapable de faire quelque chose : c’est sûr elle ne se laissera plus jamais dicter sa conduite, ou imposer des limites. Puis le récit passe de 1847 à 1871, en omettant une phase de la vie de Sarah, celle où la police des mœurs la classe parmi les dames galantes, où elle mène une vie de demi-mondaine entretenue par des clients généreux. Autre parti pris : évoquer plutôt sa vie privée que la pratique de son art, que ce soit son apprentissage ou ses performances. Pour autant, cette biographie montre comment cette dame mène sa vie, majoritairement sur le plan professionnel. En fonction de ses attentes, le lecteur peut se trouver quelque peu décontenancé par cette approche, surtout s’il venait pour une facette particulière telle sa vie mondaine, ou ses qualités d’actrice. D’un autre côté, il constate que le récit est d’une grande richesse, abordant de nombreuses facettes d’une vie particulièrement remplie, que ce soit en rencontres, en voyages, ou en entreprises professionnelles. Il n’y avait pas la place de tout mettre.
Cette biographie est racontée du point de vue de l’intéressée, amenant ainsi le lecteur à prendre fait et cause pour elle, à pouvoir découvrir ses motivations, ses réactions émotionnelles, la conception et la réalisation de ses projets, ses convictions et comment elle les met en pratique. En effet, il s’agit d’une vie riche et dense. Bernhardt se dévoue comme infirmière pour les blessés du siège de Paris pendant la guerre franco-allemande de 1870. Elle ira jouer pour les poilus au parc de Commercy dans la Meuse le dix mai 1916. Elle se fera même emmener au plus près des tranchées alors que son nom figure sur la liste des otages que les Allemands veulent capturer. Elle fera plusieurs voyages, d’abord à Londres en 1878, puis à Louisville aux États-Unis, traversant les étendues sauvages en train. Là encore, le lecteur peut se trouver surpris que les autrices ne développent pas plus cette odyssée, tout en comprenant qu’il aurait fallu y consacrer un tome entier. Au cours de sa vie et de sa carrière, elle va rencontrer ou travailler avec de nombreuses personnalités : Léon Gambetta (1838-1882), Victor Hugo (1802-1885), Mounet -Sully (1841-1916, acteur de théâtre), Louise Abbema (1853-1927, peintre, graveuse, illustratrice, sculptrice), Oscar Wilde (1854-1900), Alfons Mucha (1861-1939), Edmond Rostand (1868-1918), sans même parler de ses amants ou d’autres auteurs de théâtre.
L’illustration de couverture attire l’œil, mettant en avant le monde intérieur qui emplit l’esprit de cette créatrice. Puis le lecteur découvre celle en pleine page servant d’annonce de l’acte I, avec le titre L’insoumise. Il va ainsi admirer une douzaine, pour les trois actes, l’entracte, et des tableaux intermédiaires : L’insoumise, L’étoile, Memento Mori, L’indomptable, Barnum, L’aventurière, Fantasque, La muse, Je me quitte, L’impératrice, One of us. La dessinatrice reprend le principe des affiches pour une composition simple mettant en valeur l’actrice dans une situation exotique ou métaphorique, ce qui constitue un écho à la fois à ses rôles, à la fois à la phase de sa vie. Vient ensuite la première scène de narration séquentielle proprement dite : le lecteur découvre les traits de contours fins et fragiles, esquissant rapidement les formes, la représentation étant réalisée ensuite en couleur directe. Cela donne un ressenti assez complexe, entre simplicité des formes, évidence des situations, et nuances émotionnelles apportées par les couleurs. Le lecteur passe ainsi de l’insouciance teintée de l’intense gravité de l’enfance, à l’horreur des cadavres sur le champ de bataille enneigé, à des dialogues de personnages sur fond uni comme sur une scène sans décor.
Les épisodes de la vie de Sarah Bernhardt se révèlent d’une grande richesse, au point que leur contenu en vient à éclipser le reste. Toutefois, s’il y prête attention, le lecteur voit que la dessinatrice met en œuvre de nombreuses techniques narratives variées, ce qui enrichit encore le récit. Quelques exemples : page neuf, une planche silencieuse, dans laquelle Sarah se regarde en passant dans un miroir, évoquant l’importance de son apparence pour son métier d’actrice. Page quatorze : le théâtre des opérations, la scène du théâtre se trouvant devant la scène de bataille. Les superbes paysages de montagne lors d’un voyage en train, une composition en double page de représentations théâtrales avec pour fond chaque livret faisant apparaître le titre et l’auteur, deux spectres semblant flotter autour de Sarah dans la rue par un temps brumeux pour évoquer l’incertitude de l’identité de son père, Sarah promenant son improbable ménagerie dans les rues de Londres, des coupures de presse retraçant les moments les plus improbables de sa première tournée aux États-Unis, un fac-similé d’affiche de Gismonda par Alfons Mucha, et quelques moments de représentations en particulier Bernhardt dans le costume de l’Aiglon pour la tirade de Flambeau.
En fonction de sa familiarité avec la vie de l’actrice, le lecteur en découvre de belles. Il voit se dessiner le portrait d’une artiste ambitieuse. Il constate par l’intermédiaire de son succès et des louanges dressées par des personnalités de référence, que ses qualités d’actrice sont remarquables, voire exceptionnelles. Les autrices montrent un être humain animé par la passion du théâtre, veillant à rester indépendante, et maître de ses choix. En creux, apparaît sa capacité à faire sa promotion, par des décisions innovantes : le recours à la photographie, l’image choc comme dormir dans son cercueil, la présence d’esprit de s’attacher les services d’Alfons Mucha, et même l’apparition de produits dérivés, parfois initiés par elle, parfois par des profiteurs avec le sens du commerce. Elle apparaît comme une artiste faisant ses preuves dans des pièces de moindre importance, dans des classiques, puis dans des œuvres contemporaines, certaines engagées, implication qui se retrouve dans son soutien de Louise Michel (1830-1905) militante anarchiste, et du capitaine Alfred Dreyfus (1859-1935) accusé à tort d’être un espion au service de l’Empire allemand. Le point de vue narratif est intentionnellement partie prenante pour la Divine, sans regard critique : tout en étant conscient de ce choix, le lecteur éprouve une admiration pour une artiste aussi formidable dans son art, dans ses convictions, dans son énergie pour entreprendre, dans sa démesure.
Quelle put bien être la vie de Sarah Bernhardt pour passer à la postérité ? Les autrices racontent une démarche artistique incroyable, une existence débordant de succès et de prises de risque, une vie personnelle tout aussi riche. La narration visuelle rend compte de cette diversité avec une élégance légère et pleine d’émotions. Les pages se tournent toutes seules, et le lecteur termine l’ouvrage surpris par la densité de ce qu’il a vécu. Tourbillonnant.
Peut-on exister après avoir réalisé un chef d’œuvre du niveau de Bone?
Jeff Smith a démontré il y a plus de 10 ans désormais que c’était tout à fait possible.
RASL est un ovni incroyablement dense qui réussit à faire peur, à émouvoir, à faire rire, etc.
Mais pourquoi, pourquoi Jeff ne produit il plus rien ou presque depuis tout ce temps… Quelle tristesse. Ce type est un génie du 9eme art.
C'est une œuvre majeure avec en préface la définition du "fantastique".
Les temps se superposent dans cette guerre de 14. Absurdité de la guerre. Le monde du malheureux Hans von Berlichingen bascule dans une autre monde où différents personnages incarnent une manière de mourir.
En lisant Saga, j'ai été transporté dans un univers sans limites, peuplé de créatures étranges et de mondes en guerre. L'histoire d'amour entre Alana et Marko, deux amants que tout oppose, m'a profondément touché. Leur fuite désespérée pour protéger leur fille, Hazel, m'a tenue en haleine à chaque page.
Les dialogues sont vifs, parfois crus, mais toujours authentiques. J'ai ri, j'ai frissonné, et j'ai même versé une larme. Les personnages, qu'ils soient humains, robots ou extraterrestres, sont complexes et attachants. J'ai aimé les suivre dans leurs aventures, leurs doutes et leurs combats.
Le dessin, bien que déroutant au début, s'est révélé parfaitement adapté à cet univers foisonnant. Les couleurs contrastées ajoutent une dimension visuelle unique. Et puis, cette idée de mélanger space opera et soap opera, c'est tout simplement génial !
Saga est une série qui m'a captivé du début à la fin. Si vous cherchez une BD originale, pleine d'action, d'amour et d'humour, je vous la recommande chaudement.
La Constitution prime sur la loi.
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Ce tome constitue une présentation des différentes facettes du Conseil constitutionnel créé en 1958. Son édition originale date de 2024. Il a été réalisé par Marie Bardiaux-Vaïente pour le scénario, par Gally pour les dessins, et par cette dernière et Grinette pour les couleurs. Il comprend cent-neuf pages de bande dessinée.
Deux rue Montpensier dans le premier arrondissement de Paris, Marie & Gally passent les contrôles d’accès : scan des sacs et détection de métaux, pour entrer dans le bâtiment du Conseil constitutionnel. La première a des étoiles plein les yeux, la seconde se demande encore pourquoi elle a accepté, en reconnaissant toutefois le caractère exceptionnel de l’architecture du bâtiment. Elle demande à la scénariste à quoi sert le Conseil. Marie commence son exposé : Quand on se réfère au Conseil constitutionnel, on pense immédiatement à l’élection présidentielle. Tout le monde sait qu’il a un rôle à jouer dans la bonne tenue de cet événement majeur de la vie publique française. Mais dès son origine, cette institution créée en même temps que la Ve République avait d’autres motivations. Le 1er juin 1958, la IVe République se décompose littéralement. René Coty fait appel au général De Gaule pour former un gouvernement et réformer les institutions. Le général sollicite alors l’investiture de l’Assemblée nationale. […] Investi des pleins pouvoirs le 3 juin, il obtient des parlementaires de mettre en place une nouvelle constitution dans les six mois qui suivent.
Lors de son discours devant l’Assemblée nationale, le général De Gaulle déclare que le gouvernement qu’il va former moyennant la confiance des députés, saisira l’Assemblée sans délai d’un projet de réforme de la Constitution, de telle sorte que l’Assemblée nationale donne mandat au gouvernement d’élaborer, puis de proposer au pays par la voie du référendum, les changements indispensables. Le suffrage universel est la source de tout pouvoir. Le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif doivent être effectivement séparés de façon que le gouvernement et le parlement assument, chacun pour sa part et sous sa responsabilité, la plénitude de ses attributions. Le dernier garde des Sceaux de la IVe République est chargé d’établir un projet de constitution. Cet homme, c’est Michel Debré. Il établit qu’Un comité constitutionnel dégagé de toute attache, aura qualité pour apprécier si les lois votées sont conformes à la Constitution et si les élections diverses ont lieu régulièrement. De Gaulle lui précise que toute loi devra dorénavant respecter la norme suprême : la Constitution. Le projet de nouvelle constitution est soumis à référendum le 28 septembre. En outre-mer, la question posée comporte une double signification : les électeurs et électrices expriment aussi leur volonté de demeurer liés à la France sous une forme à déterminer. C’est un succès. 85,07% des votants approuvent la nouvelle constitution.
Le Conseil constitutionnel en bande dessinée ? Au moins, les autrices font preuve d’ambition pour rendre intelligible cette institution française au plus grand nombre. Pour cette œuvre pédagogique de vulgarisation, elles adoptent un dispositif narratif classique et éprouvé pour ce genre d’ouvrage : se mettre en scène sous forme d’avatar simplifié aux réactions parfois exagérées ce qui introduit une saveur humoristique, sans pour autant dénaturer le propos. Marie joue le rôle de bonne élève désireuse d’apprendre, disposant déjà des notions de base sur le sujet, respectueuse et même admiratrice de cette institution. Galy joue le rôle de mauvais élève : pas intéressée a priori, présentant quelques troubles de déficit de l’attention, facilement distraite par ce qui se passe autour d’elle, par les actions des uns et des autres. La narration visuelle happe de suite le lecteur, montrant beaucoup et de manière diversifiée. Réaliser un exposé en bande dessiné représente un défi narratif : il faut parvenir à dépasser la suite d’illustrations accolées à un texte copieux et didactique. Dans les premières pages, le lecteur suit les deux autrices : il passe le contrôle à l’entrée avec elles, il monte l’escalier et admire l’architecture, il assite au discours du général De Gaulle comme s’il visionnait un document d’archive, il se trouve dans le salon où se réunissent les onze membres originels pour la première fois, il se promène au milieu des colonnes de Buren, il assiste au discours de Camille Desmoulins, il voit les schémas plaçant les différentes ordres civil, pénal et administratif et leur organes, ou encore la pyramide des normes, dite de Kelsen.
L’utilisation de dispositifs visuels variés peut dans un premier temps apparaître comme un effort d’apporter de la diversité dans les cases. Le lecteur commence par l’envisager, et progressivement il prend conscience qu’ils apportent d’autres choses à la narration. Cela apparaît une évidence que les deux avatars se promènent dans les locaux du Conseil constitutionnel, permettant ainsi au lecteur de la visiter. Il peut trouver plaisant ou rigolo de bénéficier d’une vue imprenable sur l’installation Les deux plateaux (1986) de Daniel Buren (1938-), ou les Hommes de Bessines (réalisés en 1991) de l’artiste Fabrice Hyber crachant de l’eau par tous les orifices, de constater le moelleux des fauteuils, de faire le touriste avec les ruches sur le toit, treize cartouches de cuivre émaillées cloutées sur parquet de bois, la réparation du cadran d’une grande horloge murale par le secrétaire général lui-même, ou encore l’installation d’une boule à facettes géante pour la décoration hall en vue de fêter l’entrée dans la nouvelle année, etc. Les autrices font également un usage raisonné du décalage, que ce soit les regards enamourés de Marie pour l’institution, ses cœurs dans les yeux quand elles reçoivent des cadeaux (des produits marqués du sigle du Conseil), ou une irrésistible disposition de page singeant l’émission de jeux télévisuelle de l’Académie des neuf. Il se rend compte que ces éléments et ces détails rendent l’institution tangible et concrète dans sa matérialité bâtimentaire et fonctionnelle, administrative et humaine, son incarnation pragmatique.
En progressant dans l’ouvrage, le lecteur se prend à sourire des facéties de Marie et de Gally, chacune avec un trait de caractère appuyé, l’admiration sans borne pour l’une, le dilettantisme du cancre pour l’autre. Là encore, la direction d’actrices montre leurs réactions, parfois un peu appuyées, aux différentes étapes de leur visite, en particulier la chance de pouvoir ainsi explorer les locaux du 2 rue Montpensier, et les rencontres avec des hommes politiques de premier plan dans un contexte privilégié. Le lecteur peut éventuellement regretter une forme de consensualité dans la façon de les présenter, ou il peut l’envisager comme une forme de respect poli correspondant à la démarche de vulgarisation. Quoi qu’il en soit, ces moments participent également à montrer qu’il s’agit d’êtres humains comme les autres, une manière supplémentaire de faire s’incarner l’institution, des professionnels faisant leur travail, que ce soit l’apiculteur, le secrétaire général, et même les députés s’opposant à la loi sur l’I.V.G.
La scénariste a conçu une structure d’exposé qui mêle l’ordre chronologique et les questions thématiques. Elle commence par aborder l’historique de la création du Conseil constitutionnel à l’occasion de la création de la Ve République, puis sa composition, son rôle dans l’élection présidentielle, l’articulation entre Constitution française et Constitution européenne. Puis elle présente le développement du rôle du Conseil, en évoquant sa décision contre le ministère de l’Intérieur concernant la création d’une association de soutien à l’organisation La gauche prolétarienne en 1971, puis l’élargissement de la saisine du Conseil, initialement réservée aux présidents de la République, Premier ministre, ou président de l'une ou l'autre assemblée, qui est élargie avec la loi constitutionnelle du 29 octobre 1974, à soixante députés ou soixante sénateurs. Viennent ensuite le processus de la Question Prioritaire Constitutionnelle (QPC), l’intégration de la charte de l’Environnement à la Constitution, la conformité à la Constitution du régime de garde à vue, etc. Ces évolutions de fonctionnement sont présentées par le biais de cas concrets, comme la saisine par Cédric Herrou (agriculteur habitant dans la vallée de La Roya) qui a déposé une QPC devant la Cour de cassation qui l’a transmise au Conseil constitutionnel le neuf mai 2018, la décision de ce dernier donnant une portée juridique au principe de Fraternité, en l’occurrence la liberté d’aider autrui dans un but humanitaire sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national.
Parmi les autres missions réalisées par le Conseil constitutionnel, les autrices consacrent six pages à la décision I.V.G. : il répond sur le droit et non sur le sujet de l’I.V.G. Par ailleurs il s’appuie sur la notion de liberté, et plus précisément la liberté des femmes à disposer de leur corps. La dernière partie explique à quoi sert le Conseil pour l’élection présidentielle : il veille à la régularité de cette élection. Les deux autrices suivent le processus de détermination des candidats à l’issue de la période dite des parrainages, puis elles accompagnent, chacune de leur côté, un délégué du Conseil de constitutionnel pour les opérations de contrôle des bureaux de votes. Tout observer avant de se présenter aux assesseurs : le nombre de bulletins et tous les noms des candidates et candidats présents, l’affichage de la loi au mur, la présence des procès-verbaux à disposition du public, l’ordre des opérations de vote (c’est-à-dire qu’il faut mettre son bulletin dans l’urne, puis signer), la transparence de l’urne et ses cadenas qui confirment qu’elle bien fermée, l’accessibilité aux isoloirs, et la détention de chacun une clé par assesseur. Ce chapitre comprend une dizaine de cas d’entorse ayant donné lieu à l’annulation des votes du bureau concerné.
La promesse de visiter les couloirs d’une telle institution peut intimider a priori le lecteur. Il bénéficie de l’accompagnement de deux autrices bienveillantes, pédagogues et pleines d’entrain avec un humour bien dosé. Il se rend compte qu’avec de telles guides l’histoire et le rôle du Conseil constitutionnel se découvrent et s’apprennent aisément, deviennent passionnants et l’emmènent dans des situations inattendues aussi bien historiques (la loi sur l’I.V.G.), qu’artistiques (les colonnes de Buren), sociales (venir en aide à des personnes en situation irrégulière) et même anecdotiques (le miel du Conseil). Édifiant et indispensable.
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L'Empoisonneuse
La société ne porte-t-elle au moins une part de responsabilité ? - Ce tome contient une histoire complète et indépendante de toute autre, s’appuyant sur une série de crimes réels. Son édition originale date de 2010. Il a été réalisé par Peer Meter pour le scénario, Barbara Yelin pour les dessins, et Paul Derouet pour la traduction à partir de l’allemand. Il comprend cent-quatre-vingt-dix pages de bande dessinée, en noir & blanc avec des nuances de gris. Il se termine avec une postface de quatre pages présentant les faits historiques, puis les rôles de Friedrich Leopold Voget (avocat de la meurtrière), le docteur Franz Friedrich Droste (sénateur et président du tribunal criminel), et le pasteur Heinrich Wilhelm Rotermund (pasteur et confesseur de la criminelle emprisonnée), puis le devenir des actes du procès, et une présentation de la pierre du crachat à Brême. Un train à vapeur progresse à bonne allure sur ses rails. Dans un des compartiments, une mère explique à sa fille : Sa dernière œuvre devait en fait s’intituler Le soc, pour bien montrer qu’il s’agit dans ce livre d’un retournement de la morale dominante. Et il continue d’y travailler, bien qu’il soit presque aveugle et ne dispose de personne pour le soigner. Lou répond qu’elle est très impatiente de lui être présentée à Rome. La mère continue : elles découvriront bien assez tôt son fameux professeur Nietzsche. En outre, Rome attendra car elles doivent d’abord régler d’importantes questions éditoriales à Hambourg. Sa famille s’extasie sur le fait que Hoffman & Campe publie les mémoires de sa mère. Lorsqu’elle pense à Heinrich Heine que sa mère a côtoyé presque chaque jour durant ses dernières années parisiennes et à… Lou est interrompue par le contrôleur qui vient de pénétrer dans leur wagon pour annoncer qu’ils n’atteindront pas Hambourg à l’heure dite. Il faudra plutôt compter avec un gros retard, car leur train doit être détourné par Brême : un accident a coupé la voie vers Hambourg. Un transport militaire a explosé ce matin. Quinze personnes y auraient laissé la vie, et dix-neuf souffriraient d’atroces blessures à l’hôpital de Hambourg. Lou remarque que sa mère est soudain très pâle et elle le lui fait observer. Une femme s’emporte contre le contrôleur car l’annonce lui a causé du désagrément ; il lui présente ses excuses. Lou suggère à sa mère qu’elle aille consulter un médecin lorsqu’elles seront à Hambourg. Sa mère explique que de même que l’arôme d’une madeleine trempée dans le thé peut soudain faire renaître toute une enfance, l’idée du contact imminent avec Brême a ranimé un monde profondément enfoui en elle. Il lui faut d’abord faire le tri. À son propre étonnement, ressurgissent devant elle des événements anciens, aussi frais que s’ils s’étaient produits voici deux mois, et non un demi-siècle. Elle explique qu’elle était à peine plus âgée que sa fille aujourd’hui, lorsque deux journées à Brême menacèrent l’espace d’un instant de bouleverser le cours de son existence. À la demande de sa fille, elle raconte toute l’histoire : c’était en avril de l’année 1831. Il n’y avait pas encore de trains permettant un voyage confortable, tout était pénible. Une couverture très austère. Un texte de quatrième de couverture qui indique que ce drame historique est basé sur une histoire vraie, celle de Gesche Margarethe Gottfried (1785-1831), surnommée L’ange de Brême. Le lecteur relève trois références littéraires et philosophiques dans le chapitre d’introduction à bord du train : Friedrich Nietzsche (1844-1900), Heinrich Heine (1797-1856) et la madeleine de Marcel Proust (1871-1922), évoquée dans Du côté de chez Swann (1913). Il constate au cours de sa lecture que le personnage principal, la journaliste chargée de réaliser un reportage sur la ville de Brême, n’est jamais nommée. Toutefois, la référence à Nietzsche, associée au prénom Lou qui se rend à Rome pour le rencontrer évoque Lou Andreas-Salomé (1861-1937) qui fut emmenée en Italie par sa mère Louise Wilm (1823-1913) pour des raisons de santé. Toutefois la narratrice est supposée avoir une vingtaine d’années au moment de l’exécution de la meurtrière en 1831, ce qui ne correspond pas avec sa date de naissance, ni avec le fait qu’elle aurait passé plusieurs années avec Heine. Cette dame est également l’amie de Bettina von Arnim (1785-1859) une femme de lettres et une nouvelliste romantique allemande. Au cours de la lecture, peu importe qu’il s’agisse bien de Louise Wilm ou pas, car cela n’a pas d’incidence sur le déroulement du récit. En revanche, les autres références historiques permettent de comprendre l’état d’esprit de l’autrice au cours de ses découvertes, ainsi que son jugement de valeur. L’illustration de couverture envoûte littéralement le lecteur : ce regard si intense et indéchiffrable, la masse noire et compacte du buste, la coiffe qui cache les cheveux. Il est prêt à juger cette femme sur son apparence. Il entame sa lecture : une illustration en pleine page, la locomotive qui avance dans une sorte de brouillard ou dans le froid, un véritable tableau impressionniste. La séquence introductive dans le train présente des dessins avec des traits de contour parfois un peu lâche, un usage appuyé des zones de gris pour apporter de la consistance à chaque forme détourée, un niveau de détails fluctuant, pour un registre oscillant entre réalisme descriptif et ressenti. Il se retrouve avec une impression partagée : d’un côté des dessins à l’ambiance prenante, de l’autre des représentations parfois un peu naïves car trop simplifiées en particulier pour les représentations de voirie. Oui, mais quand même… Quand même, la vue du port de Brême en page seize présente clairement la disposition des maisons le long du quai, la forme du quai, les bateaux, une petite activité sur les quais, les escaliers d’accès, c’est-à-dire une description consistante et cohérente de ce lieu. Ainsi à plusieurs reprises, le lecteur prend le temps de lire un dessin correspondant à une prise de vue complexe et détaillée : le déploiement de la passerelle pour permettre aux passagers de débarquer, l’ombre agréable sous les arcades, les façades des bâtiments autour de la grand-place, un tonneau roulé sur les pavés, une perspective de la chambre louée par Louise évoquant celle du tableau La Chambre de Van Gogh à Arles (1888), une toiture en tuiles, les poutres apparentes dans la salle d’une auberge, la magnifique promenade pour sortir de la ville, les colonnades du bâtiment abritant la prison, les caves attenantes à l’auberge, la scène de foule à l’occasion de l’exécution publique. D’ailleurs cette séquence d’exécution capitale met en lumière la qualité particulière de la narration visuelle. Très vite le choix des nuances de gris fait sens : l’écrivaine s’enfonce dans un monde assez sombre qu’elle ne soupçonnait pas, prenant tout d’abord conscience de la monstruosité du comportement meurtrier de la Gottfried, puis s’interrogeant sur ce qui a pu la conduire à empoisonner autant de personnes, dont beaucoup de sa famille la plus proche (jusqu’à ses propres enfants), s’inquiétant que ces affres trouvent un écho dans ses propres sensations de mal-être. De ce fait, l’attention du lecteur se détourne d’un mode représentatif réaliste, pour mieux apprécier le mode émotionnel. Il voit comment les cases font ressentir des sentiments et émotions complexes : le désarroi profond de Louise en apprenant que le train va stationner à Brême, la réserve prudente à chaque fois qu’elle s’adresse à un homme attestant d’une forme de bienséance sociale voulant que chaque femme se montre accommodante avec les hommes qui s’adressent à elle, le comportement très inapproprié du pasteur qui semble compenser une forme de manque de confiance vis-à-vis des femmes en se montrant agressif, l’étonnement sans borne de Louise quand on lui reproche son comportement qui était pour elle une réaction normale, l’attitude très officielle jusqu’à en être théâtrale du président du tribunal quand il prononce sa sentence sur l’échafaud. Et puis, l’attention du lecteur est parfois attirée par la longueur d’une séquence (par exemple l’exécution) ou par ce qui semblent être un décalage dans ce que montrent les images (par exemple ce charretier qui fouette son cheval avec libéralité) et le texte. Le titre de l’ouvrage promet de découvrir l’histoire de ces crimes d’une tueuse en série, ainsi que peut-être le procès afférent. Le lecteur se rend compte que le récit est entièrement raconté du point de vue de l’écrivaine qui vient réaliser un reportage sur la ville, et qui se trouve confrontée à plusieurs personnes qui souhaitent lui parler de l’exécution imminente et des crimes. Il découvre donc ces meurtres et l’empoisonneuse par personnes interposées, à l’exception d’extraits de compte-rendu d’interrogatoire qui rapportent la parole de Gesch Gottfried. Par ce mode indirect, les crimes sont bien racontés, ainsi que les interrogations des différents interlocuteurs sur la personnalité de l’empoisonneuse, sur ses motivations réelles, avec des points de vue contradictoires sur ces dernières, en fonction de la personne qui raconte. L’écrivaine sert donc de candide découvrant progressivement l’affaire, et de personnage dans lequel le lecteur peut se projeter, lui aussi étant un étranger dans cette ville inconnue. Au fil des pages, Louise en apprend plus sur les crimes, sur les victimes, sur le mode opératoire, sur ce qui les rend inacceptables dans cette société, cet endroit du monde, à cette époque. Dès le début, le lecteur constate la stature sociale très relative de l’écrivain : elle voyage seule, les aléas de voyage lui ayant conféré une véritable autonomie, tout étant soumise à l’autorité plus ou moins explicite des hommes, parfois simplement d’un point de vue économique d’autre fois social, un vrai patriarcat sous-jacent. Elle finit par se faire la remarque : Il est triste qu’ici aussi, une femme ne soit considérée que comme l’animal de compagnie d’un homme ! Elle constate que certains de ses interlocuteurs ont une idée bien arrêtée sur les motivations de l’empoisonneuse, pour répondre à la question : Quel motif peut-il bien conduire une femme à tuer ou à tourmenter autant de gens avec du poison ? Ainsi celui qui estime que : Une femme devrait rembourser la dette de la vie non par l’action mais par la souffrance, par les douleurs de l’enfantement et la soumission à l’homme, pour qui elle doit être une compagne patiente et agréable. L’avocat estime que : Le juge ne peut être remplacé par le médecin, et il regrette d’avoir dû plaider l’irresponsabilité, contre ses convictions morales. Or l’écrivaine sent que : Il était de retour ce vague à l’âme qui la prenait parfois. Elle ne se connaissait pas elle-même et elle voulait écrire sur les autres. Mais comment l’être humain peut-il se connaître ? Il n’est qu’une chose sombre et cachée. Tout naturellement elle ressent une forme d’empathie pour la femme Gesche Gottfried, sans pour autant cautionner ses meurtres, ce qui l’amène à s’interroger : La société ne porte-t-elle au moins une part de responsabilité ? Elle constate que plus les habitants l’entraînent dans leur affaire criminelle, plus l’échec d’une société devient évident. Ils ne pouvaient, en aucun cas, ne fusse qu’évoquer l’idée qu’ils avaient devant eux une femme dont l’âme et l’esprit étaient malades. C’eut été avouer que durant des années ils étaient restés indifférents aux pulsions meurtrières d’une femme malade. Ils n’avaient plus d’autre choix que voir en Gesche Gottfried une femme tuant froidement et par pur égoïsme, qui avait su, toutes ces années, tromper froidement son entourage. Et tout ce qui risquait d’abimer cette image était aussitôt étouffé dans l’œuf. Elle se souvient également d’une réflexion de Novalis (1772-1801) : il était convaincu d’un lien profond et mystérieux entre luxure, religion et cruauté. Elle conclut : Il semble à la lumière de tout ceci, qu’une autre présentation des faits soit possible. Que cette Gesche Gottfried n’est rien d’autre qu’un exemple, poussé jusqu’à la plus complète absurdité, d’une société agressive, sans scrupules, et atteinte dans son âme et son esprit. Le lecteur rapproche cette réflexion de la maltraitance du cheval par le commerçant, comme une métaphore. Et elle se demande si elle avait des points communs avec une femme qui s’était comportée de manière aussi extrême à l’égard de ses contemporains ? Se sentait-elle, elle aussi, dans ce monde dominé par les hommes, comme broyée par de gigantesques meules ? Et tandis que l’écrivaine essayait de supporter cette impuissance par l’écriture, Gottfried avait-elle sombré dans la folie ? Quel regard intense sur cette couverture ! Le récit d’une empoisonneuse à Brême ayant ainsi tué plus d’une quinzaine de personnes, au travers d’une enquête menée par une journaliste au début du dix-neuvième siècle. Une narration visuelle très grise jouant sur les sensations de malaise de la narratrice. Au fur et à mesure, un vrai polar qui sonde les mécanismes sous-jacents d’une société oppressive. Accablant.
Aggie
Une modernité incroyable, des fringues aux décors, cette histoire de la petite américaine des années 50 ravira encore aujourd'hui toutes les gamines de 15 ans (l'âge de l’héroïne). Cela fût pour moi d'une influence extraordinaire pour ma féminité. Les histoires étaient marrantes et simples. Sa maladresse était charmante, et tous les repères de ces années là y étaient. Je le conseille à tous, même adultes, rien que pour les dessins très détaillés. Incroyable, superbe, moderne.
Numéro Invalide
Numéro invalide est l’une de ces œuvres qui devrait être connues de tous. C’est un manga bien narré, avec des dessins percutants qui arrivent à nous faire ressentir toutes les émotions et l’enfer que la mangaka a vécus. La mangaka est très douée pour synthétiser et rendre accessible des informations médicales. C’est une œuvre difficile à lire par sa violence mais nécessaire. À recommander en masse.
Divine - Vie(s) de Sarah Bernhardt
Chacun de mes pas me rapproche de mon idéal ! - Ce tome constitue une biographie de Sarah Bernhardt (1844-1923). Son édition originale date de 2020. Il a été réalisé par Eddy Simon pour le scénario, et par Marie Avril pour les dessins et les couleurs. Il comprend cent-soixante-huit pages de bande dessinée. Il se termine avec une photographie de l’actrice, et un article de trois pages, intitulé Sarah Bernhardt chronologie, retraçant rapidement des moments emblématiques de la vie de l’actrice, agrémenté d’une petite photographie d’elle dans son rôle de Fedora. Ces auteurs ont également réalisé l’adaptation du roman de Saphia Azzedine : Confidences à Allah (2015). Acte I L’insoumise. En 1847, à la campagne, de part et d’autre d’une étroite rivière, son cousin incite Sarah à sauter par-dessus, en la houspillant, lui disant qu’il parie qu’elle n’osera jamais, parce qu’elle est une trouillarde de fille. De son côté, l’enfant se convainc elle-même qu’elle va y arriver, et elle finit par prendre son élan pour sauter. Un peu plus tard, Camille et Sarah se trouvent devant la mère du premier. Celle-ci exige qu’ils lui expliquent ce qui s’est passé. Sarah dit que c’est de la faute de son cousin si elle a les genoux écorchés et si ses habits sont sales, c’est Camille qui l’a provoquée. Sa tante la sermonne : Une jeune citadine ne doit pas se comporter comme une vulgaire campagnarde, ce n’est pas convenable ! Sarah rétorque vivement qu’elle recommencera quand même, si on la défie encore. Et elle fera toute sa vie ce qu’elle a envie de faire ! Quand même ! Le cinq janvier 1871, pendant le siège de Paris, Sarah Bernhardt travaille comme infirmière auprès des blessés. Alors qu’elle panse un soldat alité, une autre infirmière vient la chercher pour lui indiquer qu’un certain comte de Kératry qui se dit être le nouveau préfet de police demande à la voir. Pour sortir, elle traverse les différentes pièces du théâtre transformé en hôpital, tout en maugréant : Maudite engeance que la guerre… Une fois dehors, elle retrouve le préfet : Émile de Kératry. Celui-ci commente la cargaison de la charrette qui est en train d’être déchargée : Comme promis, même si cela ne s’est pas fait sans mal, voilà la livraison de vivres, vins, biscuits, café œufs… Sarah lui répond que cela devrait permettre de nourrir ses blessés pendant quelque temps, et elle demande les dernières nouvelles du front des horreurs. Il lui répond d’abord des banalités, puis à la demande de la jeune femme, il rentre dans le détail : En vérité la situation n’est guère brillante. Depuis la reddition de l’empereur, c’est la déroute : chaque jour, les troupes françaises battent en retraite et perdent du terrain sous la férocité des assauts de l’armée prussienne. Léon Gambetta et son gouvernement de défense nationale tentent bien d’organiser la résistance au nord de la Loire, mais la cause…. Semble bel et bien perdue ! Il conclut : Paris sera sans doute très bientôt une forteresse assiégée par les bataillons de Von Bismarck. Il suggère à Sarah de rejoindre sa famille en Normandie, personne ne l’en blâmera. Elle répond avec fougue : Jamais de la vie ! Dans l’inconscient collectif, Sarah Bernhardt est restée comme une actrice de légende, et pour ceux qui en ont déjà entendu parler, également comme une actrice ayant connu le succès aux États-Unis, ayant su faire fructifier son image, et étant enterrée au cimetière du Père-Lachaise. Les autrices font des choix dans leur approche biographique. De débuter par une courte scène de sa jeune enfance pour montrer un caractère bien trempé et une détermination en réaction à son cousin qui lui dit qu’elle est incapable de faire quelque chose : c’est sûr elle ne se laissera plus jamais dicter sa conduite, ou imposer des limites. Puis le récit passe de 1847 à 1871, en omettant une phase de la vie de Sarah, celle où la police des mœurs la classe parmi les dames galantes, où elle mène une vie de demi-mondaine entretenue par des clients généreux. Autre parti pris : évoquer plutôt sa vie privée que la pratique de son art, que ce soit son apprentissage ou ses performances. Pour autant, cette biographie montre comment cette dame mène sa vie, majoritairement sur le plan professionnel. En fonction de ses attentes, le lecteur peut se trouver quelque peu décontenancé par cette approche, surtout s’il venait pour une facette particulière telle sa vie mondaine, ou ses qualités d’actrice. D’un autre côté, il constate que le récit est d’une grande richesse, abordant de nombreuses facettes d’une vie particulièrement remplie, que ce soit en rencontres, en voyages, ou en entreprises professionnelles. Il n’y avait pas la place de tout mettre. Cette biographie est racontée du point de vue de l’intéressée, amenant ainsi le lecteur à prendre fait et cause pour elle, à pouvoir découvrir ses motivations, ses réactions émotionnelles, la conception et la réalisation de ses projets, ses convictions et comment elle les met en pratique. En effet, il s’agit d’une vie riche et dense. Bernhardt se dévoue comme infirmière pour les blessés du siège de Paris pendant la guerre franco-allemande de 1870. Elle ira jouer pour les poilus au parc de Commercy dans la Meuse le dix mai 1916. Elle se fera même emmener au plus près des tranchées alors que son nom figure sur la liste des otages que les Allemands veulent capturer. Elle fera plusieurs voyages, d’abord à Londres en 1878, puis à Louisville aux États-Unis, traversant les étendues sauvages en train. Là encore, le lecteur peut se trouver surpris que les autrices ne développent pas plus cette odyssée, tout en comprenant qu’il aurait fallu y consacrer un tome entier. Au cours de sa vie et de sa carrière, elle va rencontrer ou travailler avec de nombreuses personnalités : Léon Gambetta (1838-1882), Victor Hugo (1802-1885), Mounet -Sully (1841-1916, acteur de théâtre), Louise Abbema (1853-1927, peintre, graveuse, illustratrice, sculptrice), Oscar Wilde (1854-1900), Alfons Mucha (1861-1939), Edmond Rostand (1868-1918), sans même parler de ses amants ou d’autres auteurs de théâtre. L’illustration de couverture attire l’œil, mettant en avant le monde intérieur qui emplit l’esprit de cette créatrice. Puis le lecteur découvre celle en pleine page servant d’annonce de l’acte I, avec le titre L’insoumise. Il va ainsi admirer une douzaine, pour les trois actes, l’entracte, et des tableaux intermédiaires : L’insoumise, L’étoile, Memento Mori, L’indomptable, Barnum, L’aventurière, Fantasque, La muse, Je me quitte, L’impératrice, One of us. La dessinatrice reprend le principe des affiches pour une composition simple mettant en valeur l’actrice dans une situation exotique ou métaphorique, ce qui constitue un écho à la fois à ses rôles, à la fois à la phase de sa vie. Vient ensuite la première scène de narration séquentielle proprement dite : le lecteur découvre les traits de contours fins et fragiles, esquissant rapidement les formes, la représentation étant réalisée ensuite en couleur directe. Cela donne un ressenti assez complexe, entre simplicité des formes, évidence des situations, et nuances émotionnelles apportées par les couleurs. Le lecteur passe ainsi de l’insouciance teintée de l’intense gravité de l’enfance, à l’horreur des cadavres sur le champ de bataille enneigé, à des dialogues de personnages sur fond uni comme sur une scène sans décor. Les épisodes de la vie de Sarah Bernhardt se révèlent d’une grande richesse, au point que leur contenu en vient à éclipser le reste. Toutefois, s’il y prête attention, le lecteur voit que la dessinatrice met en œuvre de nombreuses techniques narratives variées, ce qui enrichit encore le récit. Quelques exemples : page neuf, une planche silencieuse, dans laquelle Sarah se regarde en passant dans un miroir, évoquant l’importance de son apparence pour son métier d’actrice. Page quatorze : le théâtre des opérations, la scène du théâtre se trouvant devant la scène de bataille. Les superbes paysages de montagne lors d’un voyage en train, une composition en double page de représentations théâtrales avec pour fond chaque livret faisant apparaître le titre et l’auteur, deux spectres semblant flotter autour de Sarah dans la rue par un temps brumeux pour évoquer l’incertitude de l’identité de son père, Sarah promenant son improbable ménagerie dans les rues de Londres, des coupures de presse retraçant les moments les plus improbables de sa première tournée aux États-Unis, un fac-similé d’affiche de Gismonda par Alfons Mucha, et quelques moments de représentations en particulier Bernhardt dans le costume de l’Aiglon pour la tirade de Flambeau. En fonction de sa familiarité avec la vie de l’actrice, le lecteur en découvre de belles. Il voit se dessiner le portrait d’une artiste ambitieuse. Il constate par l’intermédiaire de son succès et des louanges dressées par des personnalités de référence, que ses qualités d’actrice sont remarquables, voire exceptionnelles. Les autrices montrent un être humain animé par la passion du théâtre, veillant à rester indépendante, et maître de ses choix. En creux, apparaît sa capacité à faire sa promotion, par des décisions innovantes : le recours à la photographie, l’image choc comme dormir dans son cercueil, la présence d’esprit de s’attacher les services d’Alfons Mucha, et même l’apparition de produits dérivés, parfois initiés par elle, parfois par des profiteurs avec le sens du commerce. Elle apparaît comme une artiste faisant ses preuves dans des pièces de moindre importance, dans des classiques, puis dans des œuvres contemporaines, certaines engagées, implication qui se retrouve dans son soutien de Louise Michel (1830-1905) militante anarchiste, et du capitaine Alfred Dreyfus (1859-1935) accusé à tort d’être un espion au service de l’Empire allemand. Le point de vue narratif est intentionnellement partie prenante pour la Divine, sans regard critique : tout en étant conscient de ce choix, le lecteur éprouve une admiration pour une artiste aussi formidable dans son art, dans ses convictions, dans son énergie pour entreprendre, dans sa démesure. Quelle put bien être la vie de Sarah Bernhardt pour passer à la postérité ? Les autrices racontent une démarche artistique incroyable, une existence débordant de succès et de prises de risque, une vie personnelle tout aussi riche. La narration visuelle rend compte de cette diversité avec une élégance légère et pleine d’émotions. Les pages se tournent toutes seules, et le lecteur termine l’ouvrage surpris par la densité de ce qu’il a vécu. Tourbillonnant.
RASL
Peut-on exister après avoir réalisé un chef d’œuvre du niveau de Bone? Jeff Smith a démontré il y a plus de 10 ans désormais que c’était tout à fait possible. RASL est un ovni incroyablement dense qui réussit à faire peur, à émouvoir, à faire rire, etc. Mais pourquoi, pourquoi Jeff ne produit il plus rien ou presque depuis tout ce temps… Quelle tristesse. Ce type est un génie du 9eme art.
L'Ombre du Corbeau
C'est une œuvre majeure avec en préface la définition du "fantastique". Les temps se superposent dans cette guerre de 14. Absurdité de la guerre. Le monde du malheureux Hans von Berlichingen bascule dans une autre monde où différents personnages incarnent une manière de mourir.
Saga
En lisant Saga, j'ai été transporté dans un univers sans limites, peuplé de créatures étranges et de mondes en guerre. L'histoire d'amour entre Alana et Marko, deux amants que tout oppose, m'a profondément touché. Leur fuite désespérée pour protéger leur fille, Hazel, m'a tenue en haleine à chaque page. Les dialogues sont vifs, parfois crus, mais toujours authentiques. J'ai ri, j'ai frissonné, et j'ai même versé une larme. Les personnages, qu'ils soient humains, robots ou extraterrestres, sont complexes et attachants. J'ai aimé les suivre dans leurs aventures, leurs doutes et leurs combats. Le dessin, bien que déroutant au début, s'est révélé parfaitement adapté à cet univers foisonnant. Les couleurs contrastées ajoutent une dimension visuelle unique. Et puis, cette idée de mélanger space opera et soap opera, c'est tout simplement génial ! Saga est une série qui m'a captivé du début à la fin. Si vous cherchez une BD originale, pleine d'action, d'amour et d'humour, je vous la recommande chaudement.
Dans les couloirs du Conseil constitutionnel
La Constitution prime sur la loi. - Ce tome constitue une présentation des différentes facettes du Conseil constitutionnel créé en 1958. Son édition originale date de 2024. Il a été réalisé par Marie Bardiaux-Vaïente pour le scénario, par Gally pour les dessins, et par cette dernière et Grinette pour les couleurs. Il comprend cent-neuf pages de bande dessinée. Deux rue Montpensier dans le premier arrondissement de Paris, Marie & Gally passent les contrôles d’accès : scan des sacs et détection de métaux, pour entrer dans le bâtiment du Conseil constitutionnel. La première a des étoiles plein les yeux, la seconde se demande encore pourquoi elle a accepté, en reconnaissant toutefois le caractère exceptionnel de l’architecture du bâtiment. Elle demande à la scénariste à quoi sert le Conseil. Marie commence son exposé : Quand on se réfère au Conseil constitutionnel, on pense immédiatement à l’élection présidentielle. Tout le monde sait qu’il a un rôle à jouer dans la bonne tenue de cet événement majeur de la vie publique française. Mais dès son origine, cette institution créée en même temps que la Ve République avait d’autres motivations. Le 1er juin 1958, la IVe République se décompose littéralement. René Coty fait appel au général De Gaule pour former un gouvernement et réformer les institutions. Le général sollicite alors l’investiture de l’Assemblée nationale. […] Investi des pleins pouvoirs le 3 juin, il obtient des parlementaires de mettre en place une nouvelle constitution dans les six mois qui suivent. Lors de son discours devant l’Assemblée nationale, le général De Gaulle déclare que le gouvernement qu’il va former moyennant la confiance des députés, saisira l’Assemblée sans délai d’un projet de réforme de la Constitution, de telle sorte que l’Assemblée nationale donne mandat au gouvernement d’élaborer, puis de proposer au pays par la voie du référendum, les changements indispensables. Le suffrage universel est la source de tout pouvoir. Le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif doivent être effectivement séparés de façon que le gouvernement et le parlement assument, chacun pour sa part et sous sa responsabilité, la plénitude de ses attributions. Le dernier garde des Sceaux de la IVe République est chargé d’établir un projet de constitution. Cet homme, c’est Michel Debré. Il établit qu’Un comité constitutionnel dégagé de toute attache, aura qualité pour apprécier si les lois votées sont conformes à la Constitution et si les élections diverses ont lieu régulièrement. De Gaulle lui précise que toute loi devra dorénavant respecter la norme suprême : la Constitution. Le projet de nouvelle constitution est soumis à référendum le 28 septembre. En outre-mer, la question posée comporte une double signification : les électeurs et électrices expriment aussi leur volonté de demeurer liés à la France sous une forme à déterminer. C’est un succès. 85,07% des votants approuvent la nouvelle constitution. Le Conseil constitutionnel en bande dessinée ? Au moins, les autrices font preuve d’ambition pour rendre intelligible cette institution française au plus grand nombre. Pour cette œuvre pédagogique de vulgarisation, elles adoptent un dispositif narratif classique et éprouvé pour ce genre d’ouvrage : se mettre en scène sous forme d’avatar simplifié aux réactions parfois exagérées ce qui introduit une saveur humoristique, sans pour autant dénaturer le propos. Marie joue le rôle de bonne élève désireuse d’apprendre, disposant déjà des notions de base sur le sujet, respectueuse et même admiratrice de cette institution. Galy joue le rôle de mauvais élève : pas intéressée a priori, présentant quelques troubles de déficit de l’attention, facilement distraite par ce qui se passe autour d’elle, par les actions des uns et des autres. La narration visuelle happe de suite le lecteur, montrant beaucoup et de manière diversifiée. Réaliser un exposé en bande dessiné représente un défi narratif : il faut parvenir à dépasser la suite d’illustrations accolées à un texte copieux et didactique. Dans les premières pages, le lecteur suit les deux autrices : il passe le contrôle à l’entrée avec elles, il monte l’escalier et admire l’architecture, il assite au discours du général De Gaulle comme s’il visionnait un document d’archive, il se trouve dans le salon où se réunissent les onze membres originels pour la première fois, il se promène au milieu des colonnes de Buren, il assiste au discours de Camille Desmoulins, il voit les schémas plaçant les différentes ordres civil, pénal et administratif et leur organes, ou encore la pyramide des normes, dite de Kelsen. L’utilisation de dispositifs visuels variés peut dans un premier temps apparaître comme un effort d’apporter de la diversité dans les cases. Le lecteur commence par l’envisager, et progressivement il prend conscience qu’ils apportent d’autres choses à la narration. Cela apparaît une évidence que les deux avatars se promènent dans les locaux du Conseil constitutionnel, permettant ainsi au lecteur de la visiter. Il peut trouver plaisant ou rigolo de bénéficier d’une vue imprenable sur l’installation Les deux plateaux (1986) de Daniel Buren (1938-), ou les Hommes de Bessines (réalisés en 1991) de l’artiste Fabrice Hyber crachant de l’eau par tous les orifices, de constater le moelleux des fauteuils, de faire le touriste avec les ruches sur le toit, treize cartouches de cuivre émaillées cloutées sur parquet de bois, la réparation du cadran d’une grande horloge murale par le secrétaire général lui-même, ou encore l’installation d’une boule à facettes géante pour la décoration hall en vue de fêter l’entrée dans la nouvelle année, etc. Les autrices font également un usage raisonné du décalage, que ce soit les regards enamourés de Marie pour l’institution, ses cœurs dans les yeux quand elles reçoivent des cadeaux (des produits marqués du sigle du Conseil), ou une irrésistible disposition de page singeant l’émission de jeux télévisuelle de l’Académie des neuf. Il se rend compte que ces éléments et ces détails rendent l’institution tangible et concrète dans sa matérialité bâtimentaire et fonctionnelle, administrative et humaine, son incarnation pragmatique. En progressant dans l’ouvrage, le lecteur se prend à sourire des facéties de Marie et de Gally, chacune avec un trait de caractère appuyé, l’admiration sans borne pour l’une, le dilettantisme du cancre pour l’autre. Là encore, la direction d’actrices montre leurs réactions, parfois un peu appuyées, aux différentes étapes de leur visite, en particulier la chance de pouvoir ainsi explorer les locaux du 2 rue Montpensier, et les rencontres avec des hommes politiques de premier plan dans un contexte privilégié. Le lecteur peut éventuellement regretter une forme de consensualité dans la façon de les présenter, ou il peut l’envisager comme une forme de respect poli correspondant à la démarche de vulgarisation. Quoi qu’il en soit, ces moments participent également à montrer qu’il s’agit d’êtres humains comme les autres, une manière supplémentaire de faire s’incarner l’institution, des professionnels faisant leur travail, que ce soit l’apiculteur, le secrétaire général, et même les députés s’opposant à la loi sur l’I.V.G. La scénariste a conçu une structure d’exposé qui mêle l’ordre chronologique et les questions thématiques. Elle commence par aborder l’historique de la création du Conseil constitutionnel à l’occasion de la création de la Ve République, puis sa composition, son rôle dans l’élection présidentielle, l’articulation entre Constitution française et Constitution européenne. Puis elle présente le développement du rôle du Conseil, en évoquant sa décision contre le ministère de l’Intérieur concernant la création d’une association de soutien à l’organisation La gauche prolétarienne en 1971, puis l’élargissement de la saisine du Conseil, initialement réservée aux présidents de la République, Premier ministre, ou président de l'une ou l'autre assemblée, qui est élargie avec la loi constitutionnelle du 29 octobre 1974, à soixante députés ou soixante sénateurs. Viennent ensuite le processus de la Question Prioritaire Constitutionnelle (QPC), l’intégration de la charte de l’Environnement à la Constitution, la conformité à la Constitution du régime de garde à vue, etc. Ces évolutions de fonctionnement sont présentées par le biais de cas concrets, comme la saisine par Cédric Herrou (agriculteur habitant dans la vallée de La Roya) qui a déposé une QPC devant la Cour de cassation qui l’a transmise au Conseil constitutionnel le neuf mai 2018, la décision de ce dernier donnant une portée juridique au principe de Fraternité, en l’occurrence la liberté d’aider autrui dans un but humanitaire sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national. Parmi les autres missions réalisées par le Conseil constitutionnel, les autrices consacrent six pages à la décision I.V.G. : il répond sur le droit et non sur le sujet de l’I.V.G. Par ailleurs il s’appuie sur la notion de liberté, et plus précisément la liberté des femmes à disposer de leur corps. La dernière partie explique à quoi sert le Conseil pour l’élection présidentielle : il veille à la régularité de cette élection. Les deux autrices suivent le processus de détermination des candidats à l’issue de la période dite des parrainages, puis elles accompagnent, chacune de leur côté, un délégué du Conseil de constitutionnel pour les opérations de contrôle des bureaux de votes. Tout observer avant de se présenter aux assesseurs : le nombre de bulletins et tous les noms des candidates et candidats présents, l’affichage de la loi au mur, la présence des procès-verbaux à disposition du public, l’ordre des opérations de vote (c’est-à-dire qu’il faut mettre son bulletin dans l’urne, puis signer), la transparence de l’urne et ses cadenas qui confirment qu’elle bien fermée, l’accessibilité aux isoloirs, et la détention de chacun une clé par assesseur. Ce chapitre comprend une dizaine de cas d’entorse ayant donné lieu à l’annulation des votes du bureau concerné. La promesse de visiter les couloirs d’une telle institution peut intimider a priori le lecteur. Il bénéficie de l’accompagnement de deux autrices bienveillantes, pédagogues et pleines d’entrain avec un humour bien dosé. Il se rend compte qu’avec de telles guides l’histoire et le rôle du Conseil constitutionnel se découvrent et s’apprennent aisément, deviennent passionnants et l’emmènent dans des situations inattendues aussi bien historiques (la loi sur l’I.V.G.), qu’artistiques (les colonnes de Buren), sociales (venir en aide à des personnes en situation irrégulière) et même anecdotiques (le miel du Conseil). Édifiant et indispensable.