Depuis René·e aux bois dormants, un premier album acclamé par la critique et auréolé du Grand Prix ACDB, Elene Usdin ne s’est pas reposée sur ses lauriers. L’autrice française nous revient ici avec un ouvrage produit à quatre mains, avec Boni, quasi-inconnu dans la bande dessinée mais référencé comme « artiste pluridisciplinaire », « compositeur, scénariste, artiste visuel, multi-instrumentiste et développeur sonore ». Les deux artistes ont ainsi mis en commun leur savoir-faire graphique et scénaristique pour produire « Detroit Roma », un objet que l’on peut qualifier de monumental, à mi-chemin entre l’ « art séquentiel » cher à Will Eisner et le livre d’art, et bénéficiant de la qualité éditoriale, désormais proverbiale, de l’éditeur Sarbacane
Et ce qui saute aux yeux ici, c’est bien la puissance visuelle qui se déploie sur ces pages au format à l’italienne, un choix assez logique au regard du titre, mais un format qui rappelle également le septième art, une thématique qui imprègne tout le livre.
Ce dont parle « Detroit Roma » en quelques mots, c’est cette fascination des Européens pour le fameux rêve américain, en confrontation avec les histoires les plus sordides dans un pays où l’argent est roi, où la cupidité de quelques-uns conduit une vaste frange de la population au bord de la pauvreté. C’est ainsi que démarre le récit, avec l’arrivée dans un motel des deux protagonistes, Summer et Becki, avec une référence bien trouvée au cultissime « Thelma & Louise ». Issue d’une famille très modeste, Becki en sera la narratrice, évoquant son enfance difficile à Detroit, ville touchée de plein fouet par le déclin industriel, la mort de sa mère noyée dans sa baignoire ou le combat quotidien de son père pour subvenir aux besoins du foyer. Elle trouvera son salut dans sa passion pour le dessin et le « street art ». Quant à Summer, elle est son antithèse absolue en apparence. Fille d’une ancienne actrice aisée mais désormais en fin de course, elle est loin d’être dans le besoin mais cherche une échappatoire entre cette mère aigrie et alcoolique, et un père queutard se complaisant dans les orgies. Summer côtoie les milieux artistiques underground, au grand dam de sa mère. Becki, en quête de petits boulots pour pouvoir satisfaire sa passion artistique, va être recrutée par Gloria en tant qu’aide à domicile et sera amenée à faire la connaissance de Summer. Les deux jeunes filles découvriront bientôt les raisons de l’étrange complicité qui les unit. Notons que ces deux personnages sont assez réalistes psychologiquement et également touchants dans leur fragilité.
On ne rentre pas si facilement dans ce récit globalement assez lent et à la narration morcelée. Mais heureusement, l’incroyable force du graphisme permet de patienter jusqu’à la moitié du livre, c’est alors que les éléments commencent à se mettre en place, avec des révélations qui pourront émouvoir les cœurs les plus sensibles.
Mais clairement, c’est bien le graphisme le gros point fort de « Detroit Roma ». Le travail à quatre mains donne lieu à une succession de styles très variés mais qui mystérieusement parviennent à trouver leur équilibre et leur cohérence. On retrouve bien la patte d’Elene Usdin avec son art maîtrisé de la couleur dont elle avait fait preuve avec « Renée aux bois dormants ». On pourra en déduire que les séquences monochromes, plus sombres, ont été réalisées par Boni. Les séquences cinématographiques, contemplatives et plus « optimistes », avec moult références au cinéma hollywoodien ou italien du XXe siècle (Fellini, Pasolini, Jarmusch, Cassavetes, Coppola ou encore Wim Wenders), mais également à la Rome antique, s’enchaînent avec les scènes plus âpres, teintés d’onirisme, où souvent la violence et l’anxiété entrent en jeu.
Mais au-delà des représentations clichées (et pleinement assumées) de l’Amérique des grands espaces, des drive-in et de l’imaginaire collectif, Usdin transcende par sa palette arc-en-ciel un monde où le bonheur résiderait, à tort ou à raison, dans le clinquant consumériste. Sous son pinceau, elle parvient à rendre « artistique » un très moche rayonnage de supermarché ou une zone commerciale hérissée d’enseignes KFC ou H&M. Et ça, c’est très fort, et ça rappelle un peu ce qu’avait fait Edward Hopper avec son célèbre tableau « Essence ». Dans cette Amérique sans passé, les constructions, souvent délabrées, prennent parfois des airs de décors de cinéma, dégageant un sentiment de grande solitude. Ponctuant la narration, les portraits en esquisse d’anonymes d’une Amérique pré-trumpiste, loin des spots, confèrent un côté authentique à l’objet.
Si « Detroit Roma », incontestablement un ouvrage qui marquera cette année 2025 (un OVNI peut-être, mais pas pour autant hermétique), confirme le talent d’Elene Usdin, il révélera aussi celui de Boni, dont c’est la première incursion dans le neuvième art. Ce road trip dense et visuellement généreux comblera sans aucun doute les cinéphiles, mais aussi celles et ceux qui aiment l’ « Amérique » pour ce qu’elle est — ou plus précisément ce qu’elle a été, étant donné le contexte actuel —, avec ses qualités et ses travers. Celles et ceux qui savent qu’à côté des rêves les plus ostentatoires, le cauchemar demeure en embuscade, et parfois vient gangréner toute une société.
Cette œuvre construit un récit initiatique d’une grande justesse, jouant en permanence sur une apparente simplicité pour mieux atteindre une profondeur émotionnelle rare. La naïveté volontaire du ton n’affaiblit jamais le propos : elle sert de filtre pour aborder la violence, la loyauté et la construction de soi sans cynisme. Le scénario, linéaire mais solidement charpenté, maintient une tension douce qui rend la progression d’Aldobrando à la fois crédible et touchante. La fin est vraiment satisfaisante et me laisse un joli sourire aux lèvres.
Graphiquement, le style caricatural – qui pourrait sembler déroutant hors contexte – fonctionne ici comme un amplificateur narratif. Les proportions exagérées, les visages expressifs et le traitement chromatique épuré renforcent l’innocence du protagoniste et la dureté du monde qui l’entoure. Le dessin accompagne la montée en maturité du personnage et soutient la dynamique émotionnelle du livre de manière précise, sans surcharge.
L’ensemble forme un conte moderne, dur et doux à la fois, capable de toucher un large public. Les lecteurs sensibles aux récits initiatiques, aux univers médiévaux sobres et aux fables morales y trouveront un équilibre rare entre simplicité et profondeur.
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Detroit Roma
Depuis René·e aux bois dormants, un premier album acclamé par la critique et auréolé du Grand Prix ACDB, Elene Usdin ne s’est pas reposée sur ses lauriers. L’autrice française nous revient ici avec un ouvrage produit à quatre mains, avec Boni, quasi-inconnu dans la bande dessinée mais référencé comme « artiste pluridisciplinaire », « compositeur, scénariste, artiste visuel, multi-instrumentiste et développeur sonore ». Les deux artistes ont ainsi mis en commun leur savoir-faire graphique et scénaristique pour produire « Detroit Roma », un objet que l’on peut qualifier de monumental, à mi-chemin entre l’ « art séquentiel » cher à Will Eisner et le livre d’art, et bénéficiant de la qualité éditoriale, désormais proverbiale, de l’éditeur Sarbacane Et ce qui saute aux yeux ici, c’est bien la puissance visuelle qui se déploie sur ces pages au format à l’italienne, un choix assez logique au regard du titre, mais un format qui rappelle également le septième art, une thématique qui imprègne tout le livre. Ce dont parle « Detroit Roma » en quelques mots, c’est cette fascination des Européens pour le fameux rêve américain, en confrontation avec les histoires les plus sordides dans un pays où l’argent est roi, où la cupidité de quelques-uns conduit une vaste frange de la population au bord de la pauvreté. C’est ainsi que démarre le récit, avec l’arrivée dans un motel des deux protagonistes, Summer et Becki, avec une référence bien trouvée au cultissime « Thelma & Louise ». Issue d’une famille très modeste, Becki en sera la narratrice, évoquant son enfance difficile à Detroit, ville touchée de plein fouet par le déclin industriel, la mort de sa mère noyée dans sa baignoire ou le combat quotidien de son père pour subvenir aux besoins du foyer. Elle trouvera son salut dans sa passion pour le dessin et le « street art ». Quant à Summer, elle est son antithèse absolue en apparence. Fille d’une ancienne actrice aisée mais désormais en fin de course, elle est loin d’être dans le besoin mais cherche une échappatoire entre cette mère aigrie et alcoolique, et un père queutard se complaisant dans les orgies. Summer côtoie les milieux artistiques underground, au grand dam de sa mère. Becki, en quête de petits boulots pour pouvoir satisfaire sa passion artistique, va être recrutée par Gloria en tant qu’aide à domicile et sera amenée à faire la connaissance de Summer. Les deux jeunes filles découvriront bientôt les raisons de l’étrange complicité qui les unit. Notons que ces deux personnages sont assez réalistes psychologiquement et également touchants dans leur fragilité. On ne rentre pas si facilement dans ce récit globalement assez lent et à la narration morcelée. Mais heureusement, l’incroyable force du graphisme permet de patienter jusqu’à la moitié du livre, c’est alors que les éléments commencent à se mettre en place, avec des révélations qui pourront émouvoir les cœurs les plus sensibles. Mais clairement, c’est bien le graphisme le gros point fort de « Detroit Roma ». Le travail à quatre mains donne lieu à une succession de styles très variés mais qui mystérieusement parviennent à trouver leur équilibre et leur cohérence. On retrouve bien la patte d’Elene Usdin avec son art maîtrisé de la couleur dont elle avait fait preuve avec « Renée aux bois dormants ». On pourra en déduire que les séquences monochromes, plus sombres, ont été réalisées par Boni. Les séquences cinématographiques, contemplatives et plus « optimistes », avec moult références au cinéma hollywoodien ou italien du XXe siècle (Fellini, Pasolini, Jarmusch, Cassavetes, Coppola ou encore Wim Wenders), mais également à la Rome antique, s’enchaînent avec les scènes plus âpres, teintés d’onirisme, où souvent la violence et l’anxiété entrent en jeu. Mais au-delà des représentations clichées (et pleinement assumées) de l’Amérique des grands espaces, des drive-in et de l’imaginaire collectif, Usdin transcende par sa palette arc-en-ciel un monde où le bonheur résiderait, à tort ou à raison, dans le clinquant consumériste. Sous son pinceau, elle parvient à rendre « artistique » un très moche rayonnage de supermarché ou une zone commerciale hérissée d’enseignes KFC ou H&M. Et ça, c’est très fort, et ça rappelle un peu ce qu’avait fait Edward Hopper avec son célèbre tableau « Essence ». Dans cette Amérique sans passé, les constructions, souvent délabrées, prennent parfois des airs de décors de cinéma, dégageant un sentiment de grande solitude. Ponctuant la narration, les portraits en esquisse d’anonymes d’une Amérique pré-trumpiste, loin des spots, confèrent un côté authentique à l’objet. Si « Detroit Roma », incontestablement un ouvrage qui marquera cette année 2025 (un OVNI peut-être, mais pas pour autant hermétique), confirme le talent d’Elene Usdin, il révélera aussi celui de Boni, dont c’est la première incursion dans le neuvième art. Ce road trip dense et visuellement généreux comblera sans aucun doute les cinéphiles, mais aussi celles et ceux qui aiment l’ « Amérique » pour ce qu’elle est — ou plus précisément ce qu’elle a été, étant donné le contexte actuel —, avec ses qualités et ses travers. Celles et ceux qui savent qu’à côté des rêves les plus ostentatoires, le cauchemar demeure en embuscade, et parfois vient gangréner toute une société.
Aldobrando
Cette œuvre construit un récit initiatique d’une grande justesse, jouant en permanence sur une apparente simplicité pour mieux atteindre une profondeur émotionnelle rare. La naïveté volontaire du ton n’affaiblit jamais le propos : elle sert de filtre pour aborder la violence, la loyauté et la construction de soi sans cynisme. Le scénario, linéaire mais solidement charpenté, maintient une tension douce qui rend la progression d’Aldobrando à la fois crédible et touchante. La fin est vraiment satisfaisante et me laisse un joli sourire aux lèvres. Graphiquement, le style caricatural – qui pourrait sembler déroutant hors contexte – fonctionne ici comme un amplificateur narratif. Les proportions exagérées, les visages expressifs et le traitement chromatique épuré renforcent l’innocence du protagoniste et la dureté du monde qui l’entoure. Le dessin accompagne la montée en maturité du personnage et soutient la dynamique émotionnelle du livre de manière précise, sans surcharge. L’ensemble forme un conte moderne, dur et doux à la fois, capable de toucher un large public. Les lecteurs sensibles aux récits initiatiques, aux univers médiévaux sobres et aux fables morales y trouveront un équilibre rare entre simplicité et profondeur.