Gros coup de cœur pour cet album, et merci aux précédents posteurs pour avoir attiré mon attention vers celui-ci.
Downlands est un comics à grosse pagination et pourvu d’une certaine densité narrative… que je n’ai pas su lâcher avant d’en avoir tourné la dernière page. L’histoire est en effet prenante en diable, qui traite de nos peurs les plus primaires (la mort, l'inconnu, et surtout l'énigme de l'après-mort) au travers du prisme du folklore et des légendes (anglais dans le cas présent). Il y a le fantôme de cette auto-stoppeuse qui apparait au milieu de la route, ce chien que des personnes voient la veille de leur mort, il y a cette mystérieuse voisine un peu sorcière qui intrigue et effraie les enfants. Il y a cette introduction durant laquelle le lecteur peut s'amuser à recouper différents articles de journaux... Il y a cette famille mystérieusement disparue sans laisser de traces.
J’ai adoré l’atmosphère que l’auteur parvient à créer en entremêlant diverses histoires fantastiques, les liant toutes à une petite ville, un quartier, une rue. Porté par un très charismatique personnage central, le récit prend la forme d’une enquête policière dans laquelle le fantastique s’insinue de manière naturelle, ouvrant les portes vers d’autres réalités auxquelles le lecteur que je suis se plait à croire. Force est d’admettre que les légendes qui servent d’ossature au récit ont quelque chose d’universel qui nous les rend intimes, comme si nous avions toujours vécu avec celles-ci, comme s’il était naturel d’y croire.
Au-delà de ce déjà très séduisant univers, j’ai également été ému par la description de cette famille touchée par le deuil, murée dans une pudeur silencieuse face à la douleur de la perte. Les lettres que James Reynolds écrit à sa défunte sœur sont une belle démonstration de cette souffrance pudique, camouflée derrière un bon mot ou une anecdote amusante.
Et pour parachever l’œuvre, ajoutez un dessin que j’ai beaucoup aimé. Le trait de Norm Konyu m’a fait penser à celui d’Alexandre Clérisse mais le traitement des couleurs (qui opte pour des teintes douces, très pastels) arrondi ce style anguleux tout en lui apportant de la profondeur. J’accrocherais volontiers certaines des planches de ce livre sur le mur de mon salon. Pourtant ce dessin est toujours au service de l’histoire. Il ne la domine pas, il la magnifie, lui apportant poésie, mystère et douceur.
Enfin, le récit tient la route jusqu’à sa conclusion. Une conclusion certes classique et sans doute attendue mais qui cadre tellement bien avec l’esprit de ce livre. J’ai achevé cette lecture en dévorant la postface qui revient sur l’origine des différents récits folkloriques qui rythment cette histoire, désireux de conserver le plus longtemps possible cette émotion, ce sourire tendre, triste et joyeux à la fois que Downlands avait réussi à faire naître en moi.
Gros coup de cœur !
Un one shot méconnu écrit et mis en images par deux grands artistes de la bande dessinée sur les derniers jours du marquis de Sade.
Je m'attendais à un traitement plus second degré/léger de ce personnage par Dufaux, c'eût été en effet très facile de céder à certaines complaisances vu la légende du marquis et l'attrait de Dufaux pour l'érotisme.
Mais en fait il y a une réelle volonté de rendre hommage au marquis et à son talent d'écriture. Dufaux a complètement intégré le personnage de Sade à son univers, c'est impressionnant. Au bout de 3 pages maximum, on peut déjà nommer le scénariste. Un peu comme chez Jodorowsky. Je trouve que c'est la marque des grands auteurs.
Le récit est maîtrisé jusqu'à la fin. C'est difficile d'en parler sans spolier, disons qu'il n'est pas dénué de surprise.
Griffo est au diapason, il instille une superbe ambiance avec son style si caractéristique.
Une pépite !
Un alizé chaud gonflant des palmiers embaumés de rhum, de vanille, d'épices et de poudre à canon !
C'est l'environnement dans laquelle nous baignons dans ces baies turquoises, parfois rouge sang, de "La dernière nuit d'Anne Bonny".
De plages scintillantes en tavernes sombres, de l'émeraude d'Irlande à l'azur des Caraïbes, nous embarquons avec délectation sur le navire de cette légende vivante.
L'histoire épique d'Anne Bonny et de Jack Calico est non seulement magnifiquement contée mais a l'intelligence de mettre de temps à autre en confrontation deux historiens sur la biographie de la reine des pirates, une approche historiographique des plus réussie.
Les dialogues sont vivants, émouvants et l'angle narratif que je laisse découvrir aux lecteurs est quant à lui judicieusement surprenant.
Quant au dessin si singulier il est très expressif, empli de vie et fait immédiatement penser à l'œuvre vidéoludique "The Legend of Zelda The Wind Waker" de par son trait si animé, ses couleurs chatoyantes et sa capacité à nous embarquer sur les côtes marines où dangers et trésors vont de pair.
Si c'est toujours un risque de dépeindre une figure régulièrement exploitée par le 9e art, pour avoir lu toutes les BD relatives à Anne Bonny c'est la seule qui offre un horizon avec un souffle de l'aventure à ce point enchanteur.
Le sujet est hélas toujours – voire de plus en plus – d’actualité, même s’il ne concerne pas que les Syriens (et même si « l’actualité » a souvent des priorités qui étonnent et scandalisent) : les migrants. Nombreux ont été les séries à traiter ce sujet – j’en ai lues pas mal maintenant – mais peu ont su le faire avec autant de justesse et de simplicité que Fabien Toulmé.
S’inspirant d’une histoire vraie (il a juste changé certains noms) et reprenant ce que « Hakim » lui raconte de son périple, Toulmé nous raconte de l’intérieur non seulement « l’odyssée », les dangers surmontés par les migrants (beaucoup perdant la vie dans l’anonymat des naufrages), mais il a eu la très bonne idée de prendre son temps pour nous présenter les causes de ce départ : le très long passage se déroulant en Syrie au moment du Printemps arabe et des premiers massacres perpétrés par El Assad permet de bien montrer qu’on ne quitte pas son pays, ses proches de gaîté de cœur, pour planifier je ne sais quelle invasion fantasmée par quelques politiques ou journalistes complotistes racistes.
Mais ce long passage a aussi une autre vertu, celle d’ancrer le récit dans le concret, de nous attacher à Hakim, d’humaniser un sujet qui bien souvent n’apparait que sous forme de chiffre (nombre de migrants, nombres de victimes, etc.).
Et Hakim, avec son gamin, est très poignant. Le struggle for life auquel s’apparente son voyage, durant lequel il doit éviter les mauvaises rencontres, les passeurs peu scrupuleux, certains policiers (le passage en Hongrie est édifiant !) est stressant. Il doit aussi trouver à se nourrir, à faire des biberons, trouver des couches, etc. Chaque détail trivial accentue la pression (même si nous savons qu’ils vont s’en sortir, puisque c’est Hakim qui raconte à l’auteur son expérience, en France).
On mesure aussi la part de chance (à plusieurs reprises : sur le navire en Méditerranée, en Hongrie, etc), mais aussi les belles rencontres, les exemples de solidarité qui ont permis à Hakim et son fils d’arriver au bout, comme ceux qui ont un temps accompagné notre duo, ou qui ont en partie financé ce voyage (la différence entre policiers hongrois et policiers autrichiens est hallucinante !). On mesure aussi le coût exorbitant du voyage : la rapacité des passeurs n’ayant d’égale que celle de tous les « marchands » vendant aux migrants à des prix prohibitifs tout et n’importe quoi (du gilet de sauvetage à un transport en taxi, en passant par une chambre).
Le dessin à la fois simple et agréable de Toulmé (qui m’a fait penser à L'Arabe du futur de Sattouf – mais la dictature syrienne avait aussi poussé à ce rapprochement) est plaisant, et accompagne bien, sans esbroufe, le récit d’Hakim. La narration joue aussi la carte de la simplicité.
Alors que l’UE délègue à des dictatures le contrôle extérieur de ses frontières (voir ce qui se passe en Libye en particulier), renforce le refoulement des migrants tout en concourant aux départs (en soutenant des dictatures, mais aussi en pressurant économiquement les pays de départ), alors que certains usent du sujet pour faire diversion et jettent en pâture les migrants, il est bon de rappeler certaines vérités et de donner corps et dignité à ces migrants, comme l’a fait Toulmé.
Trois albums épais, mais que j’ai dévorés. C’est à la fois captivant et énervant. Les milliers de migrants qui meurent chaque année en tentant de sauver leur peau, d’échapper à la misère (souvent les deux) n’ont pas eu la chance d’Hakim. Mais son histoire participe du travail de justice qui devrait commencer à leur être rendu.
Une belle série, dont la lecture est hautement recommandable.
Mon dieu, quelle horreur... J'ai mis des mois à réussir à lire cette BD que j'ai dû reposer au moins trois ou quatre fois, en ne voulant plus y toucher le temps de me calmer. J'ai rarement été autant énervé par une BD. Réellement énervé, au point de ne pas avoir l'envie de lire la suite et que je me sentais obligé d'aller faire autre chose et ne plus y penser.
Balayons directement la question de la forme : vous avez aimé Algues vertes - L'Histoire interdite ? Foncez, c'est tout aussi bon et clair, didactique et étayé. Le dessin est efficace, la narration pas trop lourde et quelques fulgurances traversent la BD comme cette envolée des paysans qui disparaissent, montant au ciel les bras en croix. Symbole et métaphore, tout est clair.
Pour le reste, par contre... Quelle claque, quelle horreur. A écrire ces mots après une lecture finie récemment, je suis encore plus en colère. Cette BD, ce n'est pas le genre d'informations qui m'a fait comprendre quelque chose qui m'effraye, lié au changement climatique, à la dégradation des sols et l'épuisement des ressources. Elle est allée au-delà, elle m'a mis en fureur. Celle qui m'a fait tourner en rond chez moi en ressassant des pensées pendant des heures. Le sous-titre de catastrophe écologique et sociale est amplement méritée.
Au vu des informations que j'avais déjà et au sortir de cette lecture, j'ose affirmer que ce dont elle parle est probablement la plus grande catastrophe du XXè siècle. Au-delà des génocides, des dictateurs, des bombes nucléaires, ce qui s'est joué là a brisé quelque chose de fondamental dans l'humanité, quelque chose qui s'est construit pendant des milliers d'années et qui a définitivement disparu : la transmission de l'agriculture et des terres, des pratiques, de tout ce qui a été fait. Voir ces paysages dévastés, ces gens méprisés, exploités et désormais devenus esclaves d'une chaine de production, relégués au statut d'ouvrier d'usine mais croulant sous les dettes, toujours moins nombreux sur toujours plus de terre, avec toujours plus de matériel.
Sincèrement, j'ai rarement été énervé à ce point par une BD qui met en lumière ce qu'est réellement ce remembrement, premier acte d'une transformation radicale de l'agriculture. Je pense que personne ne peut mesurer l'ampleur de son action, la dévastation des campagnes, de nos eaux et de nos airs. La façon dont cette transformation de l'agriculture a impacté si fort notre mode de consommation, nos vies, nos systèmes sociaux, notre conception du monde... Il y a des témoignages qui donnent envie de pleurer et d'autres qui donnent envie de sortir le fusil pour aller tuer certaines têtes précises. Mais surtout, la BD oblige presque le lecteur à se battre contre cela, à s'investir pour sauver ce qui peut encore l'être. Nous sommes passés à moins de 400.000 agriculteurs en France, il faudrait au moins 1 million de plus... Qui va y aller ? Parce qu'il devient crucial de le faire...
Watership Down, roman de l'auteur britannique Richard Adams paru en 1972, m'avait marqué lors de ma jeunesse. Avec pour protagonistes une communauté de lapins de garenne, il parvient à conjuguer aventure, poésie et rudesse dans un récit d'une étonnante densité. Il a également été adapté en 1978 en un film d'animation réputé pour avoir traumatisé toute une génération de jeunes spectateurs, tant certaines scènes y sont violentes, reflet fidèle, en vérité, de la nature épique et impitoyable de l'histoire d'origine. Car la société des lapins que l'on y découvre est tout sauf paisible.
Tout commence dans une garenne bien établie, le jour où le petit frère du héros Hazel a une vision apocalyptique. Devant l'incrédulité du chef de la communauté, Hazel et quelques compagnons décident de fuir en secret, entamant un périple semé d'embûches. Leur chemin sera jalonné de dangers multiples, parfois liés à la nature, parfois à l'homme, mais souvent aux autres lapins eux-mêmes, dont certains se révèlent des plus cruels. Parvenus à fonder une nouvelle petite garenne sur la colline de Watership Down, les survivants devront affronter une autre communauté totalitaire afin de permettre à leur groupe de se pérenniser. L'enjeu : trouver des femelles pour assurer la survie de leur colonie.
L'éditeur Monsieur Toussaint Louverture publie cette BD déjà récompensée par l'Eisner Award 2024 de la meilleure adaptation et il le fait avec la manière. Au format bouquin avec un dos rond et une couverture épaisse et élégante, rehaussée d'un vernis sélectif cuivré, c'est un superbe ouvrage au papier épais et solide. Il justifie largement son prix un peu élevé par sa pagination généreuse de plus de 350 pages, sa qualité de fabrication et la richesse de son contenu. C'est un objet qu'on affiche avec plaisir dans sa bibliothèque, aux côtés d'autres beaux albums comme Château l'Attente par exemple qui avait bénéficié du même soin éditorial.
Mais au-delà du contenant, c'est bien le contenu qui impressionne. Le récit original de Richard Adams brillait déjà par sa capacité à insuffler un souffle épique à une fable animalière, tout en explorant la dureté du monde sauvage, la solidarité, le courage et la transmission des mythes. L'univers des lapins est doté d'un langage propre, de légendes fondatrices et d'une cohérence interne fascinante. Cette édition s'enrichit d'ailleurs d'une carte détachée des lieux traversés ainsi que d'un glossaire reprenant les termes spécifiques à leur culture.
Le scénario de James Sturm réussit l'exploit de restituer fidèlement cette richesse sans alourdir le récit. Le rythme est maîtrisé, les dialogues limpides, et la narration fluide. Quant au dessin de Joe Sutphin, légèrement naturaliste, il colle parfaitement à l'ambiance du récit. Il parvient à exprimer toute la vitalité des lapins, à restituer les paysages de la campagne anglaise avec simplicité et beauté, et à insuffler une vraie tension dans les scènes d'action. Il trouve quelques petites idées graphiques pour permettre de reconnaitre les personnages même s'il faut admettre que c'est probablement là la seule faiblesse de l'ensemble, la quantité de lapins étant telle qu'il est parfois ardu de différencier les uns des autres. Si les dialogues permettent sans problème de ne pas s'y perdre la majorité du temps, j'ai ressenti cette difficulté dans une scène de combat vers la fin de l'album où l'on passe d'un combattant à un autre sans que je l'ai compris en première lecture, ce qui m'a forcé à revenir en arrière pour bien assimiler ce qu'il s'était déroulé. Cela reste toutefois un bémol mineur face à la qualité générale de la mise en scène et du dessin.
Violence, danger, fraternité, paysages bucoliques, moments de grâce et d'angoisse : tout y est. Cette adaptation graphique de Watership Down est une franche réussite, à la fois respectueuse de l'œuvre originale et pleinement convaincante dans sa forme. Un album dense, émouvant, intelligent et magnifiquement réalisé. Une vraie réussite sur tous les plans !
Les superbes aquarelles de Krassinsky nous invitent à un beau voyage initiatique en pleine nuit arctique. Un régal pour les yeux et les esprits des vents et des glaces.
Jean-Paul Krassinsky (né en 1972) est un auteur de BD connu pour quelques belles aquarelles.
Ce dessinateur réputé adapte ici un roman (sorti en 2020) de Bérengère Cournut : De pierre et d'os, une fable initiatique qui suit le parcours d'une jeune inuite au pays des glaces.
Uqsuralik est encore une jeune fille et l'album s'ouvre avec l'apparition de ses premières règles.
Elle va se faire surprendre par la banquise qui se brise et l'éloigne de l'igloo familial. Elle se retrouve seule, séparée des siens, en pleine nuit arctique.
Elle n'a pour compagnons que quelques chiens et il va lui falloir "chasser avec eux, apprendre d'eux, ou bien mourir par eux, il n'y a pas d'autre choix possible".
Après plusieurs jours de marche et de survie difficile, elle rencontre un autre groupe d'humains, plusieurs familles à géométrie variable comme le veut la coutume, mais avec des "femmes mal tatouées et des chasseurs maladroits".
Ils l'accueillent car "quiconque peuple la banquise par une telle nuit est le bienvenu" et ils vont l'appeler Arnaautuq ce qui veut dire garçon manqué. Elle n'est pas forcément la bienvenue, c'est une bouche de plus à nourrir et l'un des hommes va même la "couper en deux".
L'album est précédé de la réputation du roman bien sûr (prix du roman Fnac 2019), mais ce sont surtout les superbes aquarelles de Krassinsky qui vont appâter l'amateur de BD. De véritables peintures qui se déploient sur de grandes pages (au format presque carré) avec des tableaux tantôt grandioses, tantôt intimes.
On passe des étoiles sur la banquise glacée aux fleurs sur la toundra verdoyante au printemps.
Ces magnifiques dessins comptent pour beaucoup dans le charme envoûtant de cette aventure écrite au féminin.
Au cours de ce grand voyage initiatique, la jeune fille deviendra femme, mère, chasseuse et même chamane. La survie de ces nomades est réglée sur les saisons, la chasse et la pêche.
Et là-bas on est obligé de compter les bouches à nourrir avant l'hiver aussi précisément que les réserves de gibier.
L'album est généreux (200 pages) et le lecteur verra défiler les saisons puis les années, les générations. À travers Uqsuralik et ses multiples rencontres, le texte, adapté du livre de Bérengère Cournut, va nous permettre de découvrir les coutumes, les traditions, les chants et les superstitions du peuple de l'arctique.
C'est un très beau voyage, éprouvant, émouvant.
Bon, j'arrive après la bataille. Les cinq avis précédents oscillent entre 3/5 et 4/5.
Je les ai lus, et j'ai compris ce que tous ont "aimé" et "pas aimé" dans cette BD.
Alors oui le film avec Kirk Douglas, oui le livre d'Edward Abbey, oui tout ça. On a vu le film (un grand souvenir d'enfance pour moi), lu le livre (pas mon préféré d'Abbey, mais quand même), et, forcément, quand on a vu la couverture de la BD chez son libraire préféré, ben on s'est dit "banco".
Résultat : je le dis en toute franchise, et c'est une première pour moi : voilà l'un des rarissime cas où la BD est supérieure au livre.
Rien de moins.
Et pourtant, j'adore Abbey, ses clefs à mollette, ses déserts perdus, ses héros fatigués du monde…
Mais là, Max de Radiguès et Hugo Piette livrent non pas une adaptation, mais une réécriture de la trame du roman. Une version surexposée (merci les couleurs), aiguisée jusqu'au fil, une réduction au sens culinaire du mot : on chauffe, on chauffe, on élimine la flotte et le superflu pour garder le suc, l'ampleur de l'histoire, l'odeur du sable et des cailloux, le rat-rat-rat des pales d'hélico, le refus de la jument Whisky face à chaque obstacle.
Bon sang, c'est virtuose…
Alors oui, c'est pas Usual Suspect et la fin ne cueille pas le spectateur. Mais faudrait pas oublier que c'est le second roman d'Abbey, écrit à 29 ans. Oui, encore, il ne s'était pas foulé pour le titre. Se contentant d'un "The brave cowboy" qui ne risquait pas d'attiser la curiosité des lecteurs un peu exigeants. Mais cette version là, cette BD solaire et crépusculaire à la fois, moi je la veux sur mon étagère. Et je l'offre aux amis à qui je suis sûr de faire plaisir.
J'ai dévoré avec avidité cette adaptation d'un roman noir de Marcus Malte. Je ne connais pas l'œuvre d'origine mais Gomont lui fait honneur de brillante façon. J'ai été happé dès les premières planches par cette ambiance glauque que le graphisme de l'auteur retranscrit à merveille. Il y a beaucoup d'inventivité dans la poursuite de ces deux récits en parallèle des couples Clovis/ Nathalie et Clovis/Cesaria. Les sauts temporels soulignés par une très légère différence de couleurs sont introduits de manière si ingénieuse que la fluidité du récit reste parfaite. Gomont s'arrange à créer un équilibre qui fait monter l'intensité dramatique de façon similaire dans chacune des deux histoires. J'ai donc autant été passionné par l'histoire Brigade Rouge que par le road trip avec Césaria. Si Clovis est un personnage classique et attachant même dans ses actions troubles, j'ai beaucoup aimé l'opposition des personnages Nathalie/Césaria.
Ces deux personnages s'inscrivent parfaitement dans les époques décrites, les années de plomb puis les années SIDA. Au milieu de ces ambiances mortifères il y a ces deux histoires d'amours improbables et inabouties car secondaires pour un Clovis aveugle.
Le graphisme de Gomont est entièrement synchrone avec l'esprit du roman. Les expressions sont très bien travaillées avec un Clovis taiseux, une Nathalie fofolle et une Césaria profonde.
Le final m'a bouleversé pour conclure une lecture qui m'a séduit de bout en bout.
Un top pour ce genre.
Fauve Navarre est exorciste pour le musée du Louvre. Elle utilise sa capacité à communiquer avec les œuvres d'art pour aider ces dernières a maîtriser leurs émotions, causées par leur auteur ou les visiteurs. Chapitre après chapitre, elle règle les problèmes qui se présentent à elle, et nous (re)fait découvrir l'histoire derrière une création.
Sous couvert de fantastique, Paula Andrade nous donne un petit cours d'histoire de l'art et nous permet de mieux connaître les œuvres "classiques", en nous racontant pourquoi ou comment elles ont été créées. L'exorciste calme les tableaux ou sculptures, et avec des anecdotes nous explique pourquoi ils génèrent de si grandes émotions. Chaque "problème" à traiter est court, réglé en 1 ou 2 chapitres, et c'est à nous ensuite d'approfondir si on le souhaite avec d'autres lectures, ou tout simplement, une visite au musée ! Cela peut être frustrant, mais on évite aussi un trop-plein d'informations qui pourrait nous sortir de la lecture plaisir, et cette manière de faire rend le manga plus accessible aux petits lecteurs. (je me tâte d'ailleurs à le proposer pour un prix des lecteurs lycéens)
Les personnages ont des personnalités bien marquées (fantasque, blasé, sauvage, et tous passionnés par l'art), et les touches d'humour allègent le ton. En espérant que l'autrice n'en abusera pas à l'avenir, pour garder l'histoire centrée sur les œuvres plus que sur la vie des personnages.
Un début de série qui donne envie d'en lire plus !
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Downlands
Gros coup de cœur pour cet album, et merci aux précédents posteurs pour avoir attiré mon attention vers celui-ci. Downlands est un comics à grosse pagination et pourvu d’une certaine densité narrative… que je n’ai pas su lâcher avant d’en avoir tourné la dernière page. L’histoire est en effet prenante en diable, qui traite de nos peurs les plus primaires (la mort, l'inconnu, et surtout l'énigme de l'après-mort) au travers du prisme du folklore et des légendes (anglais dans le cas présent). Il y a le fantôme de cette auto-stoppeuse qui apparait au milieu de la route, ce chien que des personnes voient la veille de leur mort, il y a cette mystérieuse voisine un peu sorcière qui intrigue et effraie les enfants. Il y a cette introduction durant laquelle le lecteur peut s'amuser à recouper différents articles de journaux... Il y a cette famille mystérieusement disparue sans laisser de traces. J’ai adoré l’atmosphère que l’auteur parvient à créer en entremêlant diverses histoires fantastiques, les liant toutes à une petite ville, un quartier, une rue. Porté par un très charismatique personnage central, le récit prend la forme d’une enquête policière dans laquelle le fantastique s’insinue de manière naturelle, ouvrant les portes vers d’autres réalités auxquelles le lecteur que je suis se plait à croire. Force est d’admettre que les légendes qui servent d’ossature au récit ont quelque chose d’universel qui nous les rend intimes, comme si nous avions toujours vécu avec celles-ci, comme s’il était naturel d’y croire. Au-delà de ce déjà très séduisant univers, j’ai également été ému par la description de cette famille touchée par le deuil, murée dans une pudeur silencieuse face à la douleur de la perte. Les lettres que James Reynolds écrit à sa défunte sœur sont une belle démonstration de cette souffrance pudique, camouflée derrière un bon mot ou une anecdote amusante. Et pour parachever l’œuvre, ajoutez un dessin que j’ai beaucoup aimé. Le trait de Norm Konyu m’a fait penser à celui d’Alexandre Clérisse mais le traitement des couleurs (qui opte pour des teintes douces, très pastels) arrondi ce style anguleux tout en lui apportant de la profondeur. J’accrocherais volontiers certaines des planches de ce livre sur le mur de mon salon. Pourtant ce dessin est toujours au service de l’histoire. Il ne la domine pas, il la magnifie, lui apportant poésie, mystère et douceur. Enfin, le récit tient la route jusqu’à sa conclusion. Une conclusion certes classique et sans doute attendue mais qui cadre tellement bien avec l’esprit de ce livre. J’ai achevé cette lecture en dévorant la postface qui revient sur l’origine des différents récits folkloriques qui rythment cette histoire, désireux de conserver le plus longtemps possible cette émotion, ce sourire tendre, triste et joyeux à la fois que Downlands avait réussi à faire naître en moi. Gros coup de cœur !
Sade - L'Aigle, Mademoiselle...
Un one shot méconnu écrit et mis en images par deux grands artistes de la bande dessinée sur les derniers jours du marquis de Sade. Je m'attendais à un traitement plus second degré/léger de ce personnage par Dufaux, c'eût été en effet très facile de céder à certaines complaisances vu la légende du marquis et l'attrait de Dufaux pour l'érotisme. Mais en fait il y a une réelle volonté de rendre hommage au marquis et à son talent d'écriture. Dufaux a complètement intégré le personnage de Sade à son univers, c'est impressionnant. Au bout de 3 pages maximum, on peut déjà nommer le scénariste. Un peu comme chez Jodorowsky. Je trouve que c'est la marque des grands auteurs. Le récit est maîtrisé jusqu'à la fin. C'est difficile d'en parler sans spolier, disons qu'il n'est pas dénué de surprise. Griffo est au diapason, il instille une superbe ambiance avec son style si caractéristique. Une pépite !
La Dernière Nuit d'Anne Bonny
Un alizé chaud gonflant des palmiers embaumés de rhum, de vanille, d'épices et de poudre à canon ! C'est l'environnement dans laquelle nous baignons dans ces baies turquoises, parfois rouge sang, de "La dernière nuit d'Anne Bonny". De plages scintillantes en tavernes sombres, de l'émeraude d'Irlande à l'azur des Caraïbes, nous embarquons avec délectation sur le navire de cette légende vivante. L'histoire épique d'Anne Bonny et de Jack Calico est non seulement magnifiquement contée mais a l'intelligence de mettre de temps à autre en confrontation deux historiens sur la biographie de la reine des pirates, une approche historiographique des plus réussie. Les dialogues sont vivants, émouvants et l'angle narratif que je laisse découvrir aux lecteurs est quant à lui judicieusement surprenant. Quant au dessin si singulier il est très expressif, empli de vie et fait immédiatement penser à l'œuvre vidéoludique "The Legend of Zelda The Wind Waker" de par son trait si animé, ses couleurs chatoyantes et sa capacité à nous embarquer sur les côtes marines où dangers et trésors vont de pair. Si c'est toujours un risque de dépeindre une figure régulièrement exploitée par le 9e art, pour avoir lu toutes les BD relatives à Anne Bonny c'est la seule qui offre un horizon avec un souffle de l'aventure à ce point enchanteur.
L'Odyssée d'Hakim
Le sujet est hélas toujours – voire de plus en plus – d’actualité, même s’il ne concerne pas que les Syriens (et même si « l’actualité » a souvent des priorités qui étonnent et scandalisent) : les migrants. Nombreux ont été les séries à traiter ce sujet – j’en ai lues pas mal maintenant – mais peu ont su le faire avec autant de justesse et de simplicité que Fabien Toulmé. S’inspirant d’une histoire vraie (il a juste changé certains noms) et reprenant ce que « Hakim » lui raconte de son périple, Toulmé nous raconte de l’intérieur non seulement « l’odyssée », les dangers surmontés par les migrants (beaucoup perdant la vie dans l’anonymat des naufrages), mais il a eu la très bonne idée de prendre son temps pour nous présenter les causes de ce départ : le très long passage se déroulant en Syrie au moment du Printemps arabe et des premiers massacres perpétrés par El Assad permet de bien montrer qu’on ne quitte pas son pays, ses proches de gaîté de cœur, pour planifier je ne sais quelle invasion fantasmée par quelques politiques ou journalistes complotistes racistes. Mais ce long passage a aussi une autre vertu, celle d’ancrer le récit dans le concret, de nous attacher à Hakim, d’humaniser un sujet qui bien souvent n’apparait que sous forme de chiffre (nombre de migrants, nombres de victimes, etc.). Et Hakim, avec son gamin, est très poignant. Le struggle for life auquel s’apparente son voyage, durant lequel il doit éviter les mauvaises rencontres, les passeurs peu scrupuleux, certains policiers (le passage en Hongrie est édifiant !) est stressant. Il doit aussi trouver à se nourrir, à faire des biberons, trouver des couches, etc. Chaque détail trivial accentue la pression (même si nous savons qu’ils vont s’en sortir, puisque c’est Hakim qui raconte à l’auteur son expérience, en France). On mesure aussi la part de chance (à plusieurs reprises : sur le navire en Méditerranée, en Hongrie, etc), mais aussi les belles rencontres, les exemples de solidarité qui ont permis à Hakim et son fils d’arriver au bout, comme ceux qui ont un temps accompagné notre duo, ou qui ont en partie financé ce voyage (la différence entre policiers hongrois et policiers autrichiens est hallucinante !). On mesure aussi le coût exorbitant du voyage : la rapacité des passeurs n’ayant d’égale que celle de tous les « marchands » vendant aux migrants à des prix prohibitifs tout et n’importe quoi (du gilet de sauvetage à un transport en taxi, en passant par une chambre). Le dessin à la fois simple et agréable de Toulmé (qui m’a fait penser à L'Arabe du futur de Sattouf – mais la dictature syrienne avait aussi poussé à ce rapprochement) est plaisant, et accompagne bien, sans esbroufe, le récit d’Hakim. La narration joue aussi la carte de la simplicité. Alors que l’UE délègue à des dictatures le contrôle extérieur de ses frontières (voir ce qui se passe en Libye en particulier), renforce le refoulement des migrants tout en concourant aux départs (en soutenant des dictatures, mais aussi en pressurant économiquement les pays de départ), alors que certains usent du sujet pour faire diversion et jettent en pâture les migrants, il est bon de rappeler certaines vérités et de donner corps et dignité à ces migrants, comme l’a fait Toulmé. Trois albums épais, mais que j’ai dévorés. C’est à la fois captivant et énervant. Les milliers de migrants qui meurent chaque année en tentant de sauver leur peau, d’échapper à la misère (souvent les deux) n’ont pas eu la chance d’Hakim. Mais son histoire participe du travail de justice qui devrait commencer à leur être rendu. Une belle série, dont la lecture est hautement recommandable.
Champs de Bataille - L'histoire enfouie du remembrement
Mon dieu, quelle horreur... J'ai mis des mois à réussir à lire cette BD que j'ai dû reposer au moins trois ou quatre fois, en ne voulant plus y toucher le temps de me calmer. J'ai rarement été autant énervé par une BD. Réellement énervé, au point de ne pas avoir l'envie de lire la suite et que je me sentais obligé d'aller faire autre chose et ne plus y penser. Balayons directement la question de la forme : vous avez aimé Algues vertes - L'Histoire interdite ? Foncez, c'est tout aussi bon et clair, didactique et étayé. Le dessin est efficace, la narration pas trop lourde et quelques fulgurances traversent la BD comme cette envolée des paysans qui disparaissent, montant au ciel les bras en croix. Symbole et métaphore, tout est clair. Pour le reste, par contre... Quelle claque, quelle horreur. A écrire ces mots après une lecture finie récemment, je suis encore plus en colère. Cette BD, ce n'est pas le genre d'informations qui m'a fait comprendre quelque chose qui m'effraye, lié au changement climatique, à la dégradation des sols et l'épuisement des ressources. Elle est allée au-delà, elle m'a mis en fureur. Celle qui m'a fait tourner en rond chez moi en ressassant des pensées pendant des heures. Le sous-titre de catastrophe écologique et sociale est amplement méritée. Au vu des informations que j'avais déjà et au sortir de cette lecture, j'ose affirmer que ce dont elle parle est probablement la plus grande catastrophe du XXè siècle. Au-delà des génocides, des dictateurs, des bombes nucléaires, ce qui s'est joué là a brisé quelque chose de fondamental dans l'humanité, quelque chose qui s'est construit pendant des milliers d'années et qui a définitivement disparu : la transmission de l'agriculture et des terres, des pratiques, de tout ce qui a été fait. Voir ces paysages dévastés, ces gens méprisés, exploités et désormais devenus esclaves d'une chaine de production, relégués au statut d'ouvrier d'usine mais croulant sous les dettes, toujours moins nombreux sur toujours plus de terre, avec toujours plus de matériel. Sincèrement, j'ai rarement été énervé à ce point par une BD qui met en lumière ce qu'est réellement ce remembrement, premier acte d'une transformation radicale de l'agriculture. Je pense que personne ne peut mesurer l'ampleur de son action, la dévastation des campagnes, de nos eaux et de nos airs. La façon dont cette transformation de l'agriculture a impacté si fort notre mode de consommation, nos vies, nos systèmes sociaux, notre conception du monde... Il y a des témoignages qui donnent envie de pleurer et d'autres qui donnent envie de sortir le fusil pour aller tuer certaines têtes précises. Mais surtout, la BD oblige presque le lecteur à se battre contre cela, à s'investir pour sauver ce qui peut encore l'être. Nous sommes passés à moins de 400.000 agriculteurs en France, il faudrait au moins 1 million de plus... Qui va y aller ? Parce qu'il devient crucial de le faire...
Watership Down
Watership Down, roman de l'auteur britannique Richard Adams paru en 1972, m'avait marqué lors de ma jeunesse. Avec pour protagonistes une communauté de lapins de garenne, il parvient à conjuguer aventure, poésie et rudesse dans un récit d'une étonnante densité. Il a également été adapté en 1978 en un film d'animation réputé pour avoir traumatisé toute une génération de jeunes spectateurs, tant certaines scènes y sont violentes, reflet fidèle, en vérité, de la nature épique et impitoyable de l'histoire d'origine. Car la société des lapins que l'on y découvre est tout sauf paisible. Tout commence dans une garenne bien établie, le jour où le petit frère du héros Hazel a une vision apocalyptique. Devant l'incrédulité du chef de la communauté, Hazel et quelques compagnons décident de fuir en secret, entamant un périple semé d'embûches. Leur chemin sera jalonné de dangers multiples, parfois liés à la nature, parfois à l'homme, mais souvent aux autres lapins eux-mêmes, dont certains se révèlent des plus cruels. Parvenus à fonder une nouvelle petite garenne sur la colline de Watership Down, les survivants devront affronter une autre communauté totalitaire afin de permettre à leur groupe de se pérenniser. L'enjeu : trouver des femelles pour assurer la survie de leur colonie. L'éditeur Monsieur Toussaint Louverture publie cette BD déjà récompensée par l'Eisner Award 2024 de la meilleure adaptation et il le fait avec la manière. Au format bouquin avec un dos rond et une couverture épaisse et élégante, rehaussée d'un vernis sélectif cuivré, c'est un superbe ouvrage au papier épais et solide. Il justifie largement son prix un peu élevé par sa pagination généreuse de plus de 350 pages, sa qualité de fabrication et la richesse de son contenu. C'est un objet qu'on affiche avec plaisir dans sa bibliothèque, aux côtés d'autres beaux albums comme Château l'Attente par exemple qui avait bénéficié du même soin éditorial. Mais au-delà du contenant, c'est bien le contenu qui impressionne. Le récit original de Richard Adams brillait déjà par sa capacité à insuffler un souffle épique à une fable animalière, tout en explorant la dureté du monde sauvage, la solidarité, le courage et la transmission des mythes. L'univers des lapins est doté d'un langage propre, de légendes fondatrices et d'une cohérence interne fascinante. Cette édition s'enrichit d'ailleurs d'une carte détachée des lieux traversés ainsi que d'un glossaire reprenant les termes spécifiques à leur culture. Le scénario de James Sturm réussit l'exploit de restituer fidèlement cette richesse sans alourdir le récit. Le rythme est maîtrisé, les dialogues limpides, et la narration fluide. Quant au dessin de Joe Sutphin, légèrement naturaliste, il colle parfaitement à l'ambiance du récit. Il parvient à exprimer toute la vitalité des lapins, à restituer les paysages de la campagne anglaise avec simplicité et beauté, et à insuffler une vraie tension dans les scènes d'action. Il trouve quelques petites idées graphiques pour permettre de reconnaitre les personnages même s'il faut admettre que c'est probablement là la seule faiblesse de l'ensemble, la quantité de lapins étant telle qu'il est parfois ardu de différencier les uns des autres. Si les dialogues permettent sans problème de ne pas s'y perdre la majorité du temps, j'ai ressenti cette difficulté dans une scène de combat vers la fin de l'album où l'on passe d'un combattant à un autre sans que je l'ai compris en première lecture, ce qui m'a forcé à revenir en arrière pour bien assimiler ce qu'il s'était déroulé. Cela reste toutefois un bémol mineur face à la qualité générale de la mise en scène et du dessin. Violence, danger, fraternité, paysages bucoliques, moments de grâce et d'angoisse : tout y est. Cette adaptation graphique de Watership Down est une franche réussite, à la fois respectueuse de l'œuvre originale et pleinement convaincante dans sa forme. Un album dense, émouvant, intelligent et magnifiquement réalisé. Une vraie réussite sur tous les plans !
De pierre et d'os
Les superbes aquarelles de Krassinsky nous invitent à un beau voyage initiatique en pleine nuit arctique. Un régal pour les yeux et les esprits des vents et des glaces. Jean-Paul Krassinsky (né en 1972) est un auteur de BD connu pour quelques belles aquarelles. Ce dessinateur réputé adapte ici un roman (sorti en 2020) de Bérengère Cournut : De pierre et d'os, une fable initiatique qui suit le parcours d'une jeune inuite au pays des glaces. Uqsuralik est encore une jeune fille et l'album s'ouvre avec l'apparition de ses premières règles. Elle va se faire surprendre par la banquise qui se brise et l'éloigne de l'igloo familial. Elle se retrouve seule, séparée des siens, en pleine nuit arctique. Elle n'a pour compagnons que quelques chiens et il va lui falloir "chasser avec eux, apprendre d'eux, ou bien mourir par eux, il n'y a pas d'autre choix possible". Après plusieurs jours de marche et de survie difficile, elle rencontre un autre groupe d'humains, plusieurs familles à géométrie variable comme le veut la coutume, mais avec des "femmes mal tatouées et des chasseurs maladroits". Ils l'accueillent car "quiconque peuple la banquise par une telle nuit est le bienvenu" et ils vont l'appeler Arnaautuq ce qui veut dire garçon manqué. Elle n'est pas forcément la bienvenue, c'est une bouche de plus à nourrir et l'un des hommes va même la "couper en deux". L'album est précédé de la réputation du roman bien sûr (prix du roman Fnac 2019), mais ce sont surtout les superbes aquarelles de Krassinsky qui vont appâter l'amateur de BD. De véritables peintures qui se déploient sur de grandes pages (au format presque carré) avec des tableaux tantôt grandioses, tantôt intimes. On passe des étoiles sur la banquise glacée aux fleurs sur la toundra verdoyante au printemps. Ces magnifiques dessins comptent pour beaucoup dans le charme envoûtant de cette aventure écrite au féminin. Au cours de ce grand voyage initiatique, la jeune fille deviendra femme, mère, chasseuse et même chamane. La survie de ces nomades est réglée sur les saisons, la chasse et la pêche. Et là-bas on est obligé de compter les bouches à nourrir avant l'hiver aussi précisément que les réserves de gibier. L'album est généreux (200 pages) et le lecteur verra défiler les saisons puis les années, les générations. À travers Uqsuralik et ses multiples rencontres, le texte, adapté du livre de Bérengère Cournut, va nous permettre de découvrir les coutumes, les traditions, les chants et les superstitions du peuple de l'arctique. C'est un très beau voyage, éprouvant, émouvant.
Seuls sont les indomptés
Bon, j'arrive après la bataille. Les cinq avis précédents oscillent entre 3/5 et 4/5. Je les ai lus, et j'ai compris ce que tous ont "aimé" et "pas aimé" dans cette BD. Alors oui le film avec Kirk Douglas, oui le livre d'Edward Abbey, oui tout ça. On a vu le film (un grand souvenir d'enfance pour moi), lu le livre (pas mon préféré d'Abbey, mais quand même), et, forcément, quand on a vu la couverture de la BD chez son libraire préféré, ben on s'est dit "banco". Résultat : je le dis en toute franchise, et c'est une première pour moi : voilà l'un des rarissime cas où la BD est supérieure au livre. Rien de moins. Et pourtant, j'adore Abbey, ses clefs à mollette, ses déserts perdus, ses héros fatigués du monde… Mais là, Max de Radiguès et Hugo Piette livrent non pas une adaptation, mais une réécriture de la trame du roman. Une version surexposée (merci les couleurs), aiguisée jusqu'au fil, une réduction au sens culinaire du mot : on chauffe, on chauffe, on élimine la flotte et le superflu pour garder le suc, l'ampleur de l'histoire, l'odeur du sable et des cailloux, le rat-rat-rat des pales d'hélico, le refus de la jument Whisky face à chaque obstacle. Bon sang, c'est virtuose… Alors oui, c'est pas Usual Suspect et la fin ne cueille pas le spectateur. Mais faudrait pas oublier que c'est le second roman d'Abbey, écrit à 29 ans. Oui, encore, il ne s'était pas foulé pour le titre. Se contentant d'un "The brave cowboy" qui ne risquait pas d'attiser la curiosité des lecteurs un peu exigeants. Mais cette version là, cette BD solaire et crépusculaire à la fois, moi je la veux sur mon étagère. Et je l'offre aux amis à qui je suis sûr de faire plaisir.
Les Nuits de Saturne
J'ai dévoré avec avidité cette adaptation d'un roman noir de Marcus Malte. Je ne connais pas l'œuvre d'origine mais Gomont lui fait honneur de brillante façon. J'ai été happé dès les premières planches par cette ambiance glauque que le graphisme de l'auteur retranscrit à merveille. Il y a beaucoup d'inventivité dans la poursuite de ces deux récits en parallèle des couples Clovis/ Nathalie et Clovis/Cesaria. Les sauts temporels soulignés par une très légère différence de couleurs sont introduits de manière si ingénieuse que la fluidité du récit reste parfaite. Gomont s'arrange à créer un équilibre qui fait monter l'intensité dramatique de façon similaire dans chacune des deux histoires. J'ai donc autant été passionné par l'histoire Brigade Rouge que par le road trip avec Césaria. Si Clovis est un personnage classique et attachant même dans ses actions troubles, j'ai beaucoup aimé l'opposition des personnages Nathalie/Césaria. Ces deux personnages s'inscrivent parfaitement dans les époques décrites, les années de plomb puis les années SIDA. Au milieu de ces ambiances mortifères il y a ces deux histoires d'amours improbables et inabouties car secondaires pour un Clovis aveugle. Le graphisme de Gomont est entièrement synchrone avec l'esprit du roman. Les expressions sont très bien travaillées avec un Clovis taiseux, une Nathalie fofolle et une Césaria profonde. Le final m'a bouleversé pour conclure une lecture qui m'a séduit de bout en bout. Un top pour ce genre.
Fauve - L'Exorciste du Louvre
Fauve Navarre est exorciste pour le musée du Louvre. Elle utilise sa capacité à communiquer avec les œuvres d'art pour aider ces dernières a maîtriser leurs émotions, causées par leur auteur ou les visiteurs. Chapitre après chapitre, elle règle les problèmes qui se présentent à elle, et nous (re)fait découvrir l'histoire derrière une création. Sous couvert de fantastique, Paula Andrade nous donne un petit cours d'histoire de l'art et nous permet de mieux connaître les œuvres "classiques", en nous racontant pourquoi ou comment elles ont été créées. L'exorciste calme les tableaux ou sculptures, et avec des anecdotes nous explique pourquoi ils génèrent de si grandes émotions. Chaque "problème" à traiter est court, réglé en 1 ou 2 chapitres, et c'est à nous ensuite d'approfondir si on le souhaite avec d'autres lectures, ou tout simplement, une visite au musée ! Cela peut être frustrant, mais on évite aussi un trop-plein d'informations qui pourrait nous sortir de la lecture plaisir, et cette manière de faire rend le manga plus accessible aux petits lecteurs. (je me tâte d'ailleurs à le proposer pour un prix des lecteurs lycéens) Les personnages ont des personnalités bien marquées (fantasque, blasé, sauvage, et tous passionnés par l'art), et les touches d'humour allègent le ton. En espérant que l'autrice n'en abusera pas à l'avenir, pour garder l'histoire centrée sur les œuvres plus que sur la vie des personnages. Un début de série qui donne envie d'en lire plus !