En 2010, Emmanuel Lepage embarquait à bord du Marion Dufresne pour un magnifique voyage vers les Terres Australes. Douze ans plus tard, il remet ça mais cette fois pour un plus long séjour sur place, sur l'île de Kerguelen.
Emmanuel Lepage que l'on connait depuis son remarquable Tchernobyl, est une sorte de cousin-voyageur ou cousin-reporter de Etienne Davodeau.
Chacun signe scénario et dessins de ses albums, et tous deux excellent dans l'art de tracer le portrait des 'gens' qui nourrissent leurs rencontres.
En 2011, Lepage publiait le carnet de bord d'un premier voyage dans les Terres Australes (un album que l'on vient de relire pour l'occasion) et il vient tout juste de sortir un nouvel album à l'occasion d'un second voyage effectué en 2022, tout là-bas au bout du bout du monde.
Après son premier voyage de 2010 (qui n'était qu'un "bref" aller/retour), l'auteur a longtemps hésité avant de reprendre la mer : « Que pouvais-je vraiment dire de plus ou de différent. Revenir au même endroit une seconde fois n'aurait pas la puissance et la magie de la découverte ».
Heureusement pour nous, Lepage a fini par embarquer de nouveau sur le mythique Marion Dufresne, le bateau ravitailleur des TAAF, qui navigue désormais pour le compte de l'IFREMER.
Il accompagne une mission popéleph concernant la population des éléphants de mer avec une équipe chargée d'un reportage tv et compte rester peu de temps sur l'île : un mois seulement, et en été !
Sur le bateau, sur les îles, il retrouve des anciennes connaissances et rencontre de nouvelles personnes : de nombreux scientifiques de toutes sortes, des logisticiens, des ouvriers, des militaires, des marins, ... chacun avec son histoire, son chemin, sa quête.
C'est ce microcosme qui va nourrir son ouvrage et notre lecture : « J'ai envie de raconter les personnes que je rencontre, dans leur complexité ».
Des rencontres, des gens « qui donnent foi en l'humanité » : et en ces temps troublés, ce sont quelques images (et quelques mots) qui font du bien.
Certes la magie de la découverte n'est plus là mais elle a été remplacée par une sorte de familiarité : nous ne sommes jamais allé là-bas, du moins pas 'en vrai', mais le premier album nous avait y avait emmenés déjà, laissé une forte empreinte sur nous et cette fois on y retourne, toujours avec plaisir, on s'y retrouve presque en terrain familier et du coup, moins étonnés, plus attentifs.
Le côté humain, pourtant déjà bien présent dans le premier épisode, prend ici toute son importance, toute sa valeur.
Aujourd'hui l'homme essaye de réduire son empreinte sur ces réserves naturelles et les équipes luttent contre les espèces (végétales ou animales) introduites par le passé, qui sont nombreuses à avoir proliféré et mis en péril le fragile écosystème de l'archipel.
Et que dire des dessins ?! Le premier album était superbe mais celui-ci est encore plus beau et nous permet de "comparer" le trait du dessinateur qui a beaucoup mûri et ses aquarelles qui ont gagné en puissance évocatrice.
La mousse de l'écume de mer est rendue (à la brosse à dents !) avec un mélange de réalisme et de poésie.
Les verts des paysages, terres, landes, mousses, ... les bleus sombres de l'eau ou de la nuit, ...
Il y a encore un peu plus de magie dans le crayon et le pinceau de Lepage, et voilà deux albums dans lesquels se plonger, se perdre, encore et encore.
Quand ses compagnons lui demandent pourquoi il fait des livres, des albums, Emmanuel Lepage ne sait trop quoi répondre. C'est compliqué. On le harcèle, lui repose cette question.
« Je fais des livres pour être un peu moins con », finit-il par lâcher.
Voilà, on sait ce qui nous reste à faire ! Le lire !
Dans la droite lignée de l'album Le Roi des oiseaux, Alexander Utkin nous propose ici de nouveaux une succession de récits adaptés de contes slaves, découpés en épisodes et pouvant être reliés les uns aux autres par des personnages récurrents et les remarques du narrateur.
Ici, contrairement à l'album précédent, les histoire sont moins suivies, plus décousues. Enfin, par là je veux dire que, même si deux grandes histoires se détachent clairement de tout ceci (celle de Vasilia et celle de John), elles ne se filent pas l'une l'autre aussi fluidement que l'on fait les récits du premier album (si ce n'est que le récit de John se passe vraisemblablement avant celui de Vasilia). Bon, si, techniquement elles se suivent toutes deux sur le fait qu'il s'agit à chaque fois d'un récit centré sur un enfant devant braver les dangers pour porter secours à son père, mais je voulais parlé d'un filage intra-diégétique plus explicite.
Pourtant, chose intéressante, c'est bien cet album qui m'a la plus plu. Peut-être est-ce parce que chacun des deux récits a su davantage me parler, peut-être aussi parce que Baba Yaga étant la seule figure du folklore slave que je connaissais un minimum j'ai su m'attacher plus vite, peut-être encore est-ce le fait que j'ai bien plus ici ressenti cet effet de style narratif évoquant les soirées où l'on se partage des histoires au coin du feu, où les histoires se suivent, se lient et prennent vie mais pas nécessairement dans un ordre chronologique mais plutôt thématique. Quoi qu'il en soi l'album m'a plu, énormément. Qu'il s'agisse du récit initiatique de la jeune sorcière Vasilia ou de la quête épique du bon et brave John, les récits et les personnages m'ont plu, parus vivants et leurs aventures et leurs déboires possédaient bien toute la puissance évocatrice que j’attends d'un conte.
On retrouve là aussi l'oiseau Gamaïoun pour la narration, nous partageant de nouveau de petites digressions au gré de ses histoires, des portes d'entrées et de sorties vers d'autres récits (mais pour d'autres moments). Nous retrouvons d'ailleurs au détour de quelques pages la souris, le serpent, le chasseur et son fils, personnages dont l'histoire nous a été racontée dans le précédent album (tout comme nous retrouvions dans leurs histoires l'éponyme Princesse Guerrière, John et Vasilia au détour de quelques épisodes).
Le dessin d'Alexander Utkin est toujours aussi beau, mais là encore je l'ai préféré ici. Le travail des couleurs vives contrastées par la nuit noir lors des passages avec Baba Yaga, les couleurs bleus et orange de ce bon John qui se marient si bien, les yeux brillant de Vasilia et de sa grand-mère, l'esprit du feu, … j'ai trouvé le travail des couleurs bien plus intéressant et plus puissant dans cet album.
Soi dit en passant, c'est cet album-là que j'ai lu en premier, et non Le Roi des oiseaux, peut-être cela a-t-il davantage appuyé ma préférence pour l'album ici présent.
Voilà un coup de cœur très inattendu !
Si j’ai toujours été attirée par cette série, j’ai trouvé la lecture du premier tome fastidieuse. J’ai eu beaucoup de mal à rentrer dans l’univers, la faute en partie au graphisme. Les souris sont certes adorables, mais il y a un petit quelque chose qui me dérange au niveau de la colorisation. Par ailleurs, j’ai eu du mal à différencier les souris au départ, et certaines scènes d’action manquent de lisibilité.
C’est donc avec un sentiment plus que mitigé que je suis arrivée au bout de ce premier tome ; et là, sans que je m’y attende, la scène de conclusion a réveillé mon intérêt. Je ne saurais expliquer comment, mais j’ai commencé à ressentir un je-ne-sais-quoi… comme si l’histoire qu’on venait de me raconter n’était pas une pure fiction, mais une légende basée sur un monde ayant réellement existé. C’est comme si ce monde, ces personnages, prenaient soudainement vie sous mes yeux, et que je ressentais le souffle de l’aventure qui m’appelait…
C’est donc avec enthousiasme que j’ai entamé la lecture du deuxième tome, et cette fois-ci j’ai été embarquée immédiatement. J’ai aimé les décors, parfois grandioses, dans lesquels évoluent courageusement ces souris minuscules. J’ai aimé l’univers, avec tous ces petits détails, ces cités différentes. J’ai aimé les personnages, leurs relations, leurs nuances. J’ai aimé le sentiment d’aventure et les confrontations épiques.
J’ai dévoré la suite, et j’ai même relu le premier tome que j’ai finalement beaucoup apprécié à ma seconde lecture.
J’ai lu les albums il y a quelques mois après les avoir empruntés à la bibliothèque, et rien que d’écrire cette critique, je sens un petit pincement au cœur qui me donne envie de me procurer la série pour repartir à l’aventure avec Kenzie, Saxon et Lieam.
J'ai beaucoup apprécié cette fiction historique retraçant la fin de la guerre d'Indochine du côté Viet-Minh quelque peu dépolitisée.
Minh est un jeune artiste libre d'esprit qui se retrouve enrôlé par les Rouges alors que sa famille et son éducation sont Bleues. Cela donne un récit documenté qui travaille sur deux axes. Le premier axe principal est militaire. Truong nous décrit d'une façon très crédible la montée du jeune soldat artiste vers la bataille décisive de Dien Ben Fu. L'auteur reprend toutes les situations qui ont fait la légende de la bravoure des paysans et paysannes Viet-Minh pour réussir à vaincre les troupes d'élites françaises qui se sont vaillamment battues. L'auteur utilise un road trip qui part du camp d'entrainement chinois jusqu'à l'enfer de Dien Bien Fu pour nous montrer la ténacité d'une armée en sandales, se déplaçant à pied de nuit sur des terrains difficiles aidée par des JF porteuses de lourdes caisses de munitions sur des axes continuellement bombardés et mitraillés. Le récit ne peut que conduire à l'admiration de ces combattant(e)s qui n'ont jamais faibli malgré des pertes colossales. L'auteur rappelle ainsi que le sort de la bataille a longtemps été incertain.
Le second axe narratif concerne le côté politique qui imprégnait le discours idéologique des commissaires accompagnant la troupe. Les talents graphiques de Minh font de lui un élément de choix pour les unités de propagande (40 hommes ou femmes défendus par douze soldats) essentielles pour illustrer les exploits des uns et la cruauté des autres à une troupe et ses auxiliaires illettrés. Cette partie rend le personnage de Minh moins crédible. En effet il est douteux qu'une telle indépendance d'esprit considérée comme de l'insolence vis à vis de la doctrine communiste ait pu rester sans châtiment très sévère. Toutefois cela permet à l'auteur d'épingler la cécité de quelques intellectuels de l'époque qui participaient au culte de Staline et de rappeler le jdanovisme artistique qui sévissait dans les pays du bloc communiste. L'une des scènes est très symbolique du regard de l'auteur sur la liberté des artistes à cette époque. En effet la caricature que fait Minh de Staline superposé à Mao m'a immédiatement fait penser à la célèbre affaire du portrait de Picasso. Picasso est d'ailleurs honoré quelques pages plus loin comme artiste de la paix avec sa colombe.
J'ai donc trouvé ce récit très riche tout au long des presque 300 pages qui se lisent sans effort.
Le graphisme propose un N&B précis avec quelques nuances de couleurs. Les extérieurs sont bien travaillés ce qui plonge le/la lecteur-trice immédiatement dans l'ambiance du pays. Ma seule petite réserve graphique est qu'il est parfois difficile de distinguer certains personnages.
Une lecture qui m'a parlé par sa justesse de ton et l'originalité de son point de vue. Un bon 4
Avec Soli Deo Gloria, nous avons à mon sens l'album de l'année, avec une qualité d'écriture rarement vue et un dessin prodigieux.
Oui, l'histoire est classique, elle commence dans une forêt sombre et inquiétante avec un noir et blanc magistral qui convoque d'emblée nos peurs enfantines, mais débutée comme un conte des frères Grimm illustré à la façon des graveurs du XIXème siècle, elle prend ensuite des accents tragiques qui rappellent l'intensité dramatique d'une oeuvre à la Milos Forman (et son remarquable personnage de Salieri notamment).
La symphonie entre l'écriture ciselée de Deveney et le dessin impressionnant d'E. Cour est parfaite ici. Deveney tisse son histoire avec une grande précision à la manière des entrelacs colorés du dessinateur qui rendent les notes musicales audibles et vibrantes.
Ce récit fluide aux personnages réellement incarnés, aux paysages variés et somptueux, propose une réflexion très intéressante sur le génie créateur : l'artiste doit-il rendre des comptes ou revendiquer sa force créatrice pour lui seul au risque d'être écrasé, consumé par son propre talent ? S'il doit rendre des comptes, est-ce seulement à Dieu ? Des êtres humains n'ont-ils pas poli ce talent brut ? La recherche du geste créateur pur, parfait, peut-elle s'accompagner d'une quête de sagesse et d'humilité ou doit-elle s'accommoder des éclats, de l'orgueil de l'artiste génial ?
Replacé dans le contexte, dans une époque rigoriste où chacun est tenu de respecter son rang et de rester à sa place, ce questionnement spirituel qu'illustre la trajectoire d'Hans et Helma est très beau je trouve.
Alors, oui, pour moi, " Soli Deo Gloria " a la beauté et l'éclat d'un grand classique et ce n'est absolument pas péjoratif.
Ouh, la belle claque que cette BD ! J'avais depuis très longtemps la série dans le viseur et j'ai enfin pu profiter de ma bibliothèque locale pour tout lire d'un coup. Et quelle lecture, c'est prenant et instructif, tout en posant de sérieuses questions sur l'humanité.
Comme tout le monde, semblait-il, je ne connaissais pas cette figure contrastée de l'Histoire de France et de la Seconde Guerre Mondiale, mais je trouve que Fabien Nury a réussi un tour de force dans l'adaptation de la réalité à la BD. J'ai pu vérifier ensuite quelques détails qui me paraissaient presque trop gros pour être vrais, mais ils sont souvent ceux qui sont malheureusement très réaliste. Et quelle histoire ...
Si je devais garder une idée de cette BD, c'est qu'il est facile de juger mais que personne ne nait saint ou salaud. Il n'y a qu'une infinité d'humains dans un monde qui n'est jamais tout noir ou tout gris. Que penser de Joanovici, après toute cette vie ? Quelle leçon en tirer, qu'en conclure ? Il est très très difficile de juger, et tant mieux. Le jugement, c'est dans un tribunal (et par sur Twitter), mais pour soi-même il est souvent bon de se l'interdire.
En fait, au-delà de la figure sulfureuse du type, son parcours illustre bien les tensions qui habitèrent cette première moitié du vingtième siècle et les problématiques sociales, culturelles mais aussi économique de ce monde. Un milliardaire qui s'acoquine avec le pire de l'humain, mangeant aux deux râteliers et tentant sans cesse de sauver sa peau, jouant sur tout les tableaux pour toujours gagner ... Sa vie est sans doute moins "noble" et gentille que dans cette BD, mais elle montre ce que furent ces années-là, où tout devient progressivement permis.
Le dessin de la BD va à merveille au récit, avec le trait de Sylvain Vallée qui se fait plaisir. Il croque des trognes, des gueules, des figures tout en ajoutant l'aspect historique bien travaillé dans les décors, les costumes mais aussi les types ayant réellement existé. Le tout fait rapidement immerger dans l'histoire et j'ai dévoré les six tomes en une soirée, happé par le récit et ne parvenant pas à m'en détacher.
Sans fioritures, sans défaut, je trouve cette BD excellente. Le genre qui met une claque morale, celle où on se dit après que le monde n'est pas si simple à comprendre et que décidément, dans le pire des temps tout ce qui peut exister de l'humain ressort. Je ne peux que recommander cette lecture !
Silent Jenny de Mathieu Bablet est une bande dessinée fascinante qui réussit à combiner science-fiction, tension et réflexion humaine. L’histoire suit Jenny dans un monde post-apocalyptique où les abeilles ont disparu et où la survie de l’humanité repose sur des cités mobiles et des technologies complexes. L’univers évoque immédiatement des ambiances connues : le désert et la lutte pour la survie rappellent Mad Max, la poésie et la contemplation de la nature font penser à Nausicaa, tandis que les séquences de voyage solitaire et de reconstruction du monde évoquent Death Stranding.
Les dialogues sont bien choisis, donnant du rythme et révélant les relations entre les personnages sans jamais alourdir l’histoire. Ils viennent ponctuer des moments plus contemplatifs, où le silence et les images seules suffisent à transmettre l’émotion. Chaque plan est pensé avec précision : les décors sont grandioses et détaillés, et les couleurs contribuent à rendre l’univers à la fois désolé et poétique. J’ai particulièrement aimé la référence à Akira sur la planche page 32.
Jenny est un personnage attachant et complexe, dont les doutes et les espoirs se reflètent dans ses actions. Son parcours nous fait ressentir à la fois la fragilité et la résilience humaines, dans un monde où la nature et l’humanité semblent sur le point de se perdre. Les « monades », ces vaisseaux-villages motorisés, font quant à elles penser au Château ambulant, ajoutant une dimension presque féérique à ce monde mécanique et désolé. Malgré la gravité de la situation, Bablet réussit à laisser une lueur d’espoir et à montrer que même dans la destruction, des possibilités de renaissance existent.
En résumé, Silent Jenny est une lecture immersive et émotive, où la beauté des images rencontre la profondeur des thèmes. Les références cinématographiques et culturelles enrichissent l’expérience, et chaque plan est un véritable plaisir pour les yeux. C’est une BD marquante, qui fait réfléchir à notre impact écologique sur la biodiversité et qui reste longtemps en mémoire après avoir tourné la dernière page.
Quand j'ai vu la couverture de cette BD dans la liste des ouvrages à paraitre, mon sang n'a fait qu'un tour. J'ai immédiatement reconnu le style inimitable d'Edith dont le dessin me charme au plus haut point. Bon, certes, il s'agissait d'une adaptation de Simenon, or je ne suis pas du tout amateur de polar, mais pour le seul plaisir des yeux, j'ai couru chez le libraire pour pécho le livre.
Et je ne l'ai pas regretté, d'abord parce que l'histoire est vraiment bien. Ce n'est pas une histoire policière, plutôt un roman noir, un roman "dur" selon les propres termes de l'auteur pour qualifier ses romans dans lesquels le personnage du commissaire Maigret n'apparait pas. Ben oui, suis-je bête, c'est la collection "Simenon, les romans durs". Bon sang de bois, en voilà une qui porte bien son nom...
Oui, cette histoire est sombre et morne. On sent les personnages empêtrés dans leur solitude. On ressent leur détresse profonde chevillée au corps. Dès les premières pages, il devient évident que tout cela va très mal finir. Une menace sourde plane sur leur tête. La question qui trotte dans la tête du lecteur est comment va débouler l'accident ? Quel personnage va perdre la tête ? Qui va mourir ? Comment... Tout cela est très tendu, donc très réussi.
Et il faut dire qu'Edith habille l'ensemble de la meilleure manière possible. Son dessin imprime une marque très forte avec ses personnages aux visages souvent inquiets et inquiétants, ses paysages désespérément clos où la pluie dispute au brouillard la charge de barrer l'horizon... Elle s'appuie en outre sur une gamme chromatique parfaitement choisie. C'est un travail admirable, splendide s'il est permis de parler de splendeur au sujet d'une histoire aussi tragique. Un vrai travail de dessinateur où il ne s'agit pas seulement d'illustrer, de mettre en image un récit. Certes, ça ne donne pas nécessairement envie de visiter la Belgique (je plaisante parce que les belges sont sympas, même s'ils ne sont pas tous routiers), en revanche, on a grave envie de se plonger dans l'œuvre dure de Simenon.
A chaque fois que j'ouvre une BD d'Edith, je trouve son trait encore plus fin et précis. Rares sont les dessinateurs-trices à susciter ce genre d'impression chez moi.
Bref ! C'est un excellent récit, très ramassé qui offre toute la place au dessin et à la psychologie. Mais j'ai presque envie de dire que je le savais avant de le lire. Tellement chouette de voire ses attentes pleinement comblées. Ce n'est pas si fréquent.
Probablement à ce jour, la meilleure bd que j'ai lue de toute ma courte vie.
En réalité, le livre Cornélius n'est pas une bd, et il n'a rien à faire sur ce site.
Prendre Cornélius comme une bande dessinée est une erreur, il faut prendre comme un mythe, un mythe ayant traversé les âges, ayant traversé les époques, et ayant traversé les visions (fausses, car il n'y en a en réalité qu'un) d'auteurs différents.
C'est pas facile de décrire ce livre, cela semble être un enchaîné de planches, de bd ou d'illustration, avec plus ou moins de liens entre elles, semblant toutes venir d'époques, et d'auteurs différents, toujours tournant autour du chien Cornelius.
La préface nous le dit clairement : "Ce livre est le premier d'une série de quarante volumes [...] dans le but de rassembler une partie de la production autour du personnage, né il y a 300 ans dans la République de Maïame"
Les notes de fin de pages (que certains ont sauté) le font aussi comprendre, Cornélius a une importance incroyable dans ce monde, cest l'équivalent de Picsou !
l'auteur nous révèle aussi sa grande connaissance de l'histoire de la bande dessinée et de ses codes à travers le temps. chaque page semble fourmiller de détails propres à l'époque où elle serait soi-disante sortie. certaines pages rappellent les bd de Mafalda, d'autres les publicités des magazines anciens, ou encore d'autres, semblant toutes droites sorties d'un fanzine étudiant.
C'est une sensation qui ne m'était jamais arrivé, Cornélius est une bd, donnant envie de lire.
Cornélius est une bd donnant envie de s'instruire, c'est une bd donnant envie d'apprendre l'histoire, c'est une bd qui m'a donné envie d'en lire d'autres.
Certaines personnes se sont plaint de l'histoire de Cornélius, la trouvant peu intéressante, c'est là ce que je trouve génial.
Il faut avoir de l'imagination avec Cornélius. dans un monde parallèle, il existe des millions d'histoires de ce chien, ce faisant, je demande alors "quelle importance ?" Parmis toutes les œuvres de Cornélius, il y en a forcément des mieux, mais cette bd de 300 pages n'est qu'un episode parmis tant d'autre, il ne faut pas le prendre au sérieux.
Mon avis est vraiment trèss nul, comparé au truc génial qu'est Cornélius, je ne peux donc que vous conseiller fe vous jeter dedans, sans prêter attention aux avis extérieurs, comme je l'ai fait.
Je n'ai jusqu'alors pas eu la chance de lire La Falaise, premier roman graphique a priori fort réussi mais déstabilisant, de Manon Debaye.
Cette seconde œuvre retint néanmoins fortement mon attention : le style visuel m'attirait assez (un trait fin, précis et pourtant peu assuré, associé à de délicates couleurs crayonnées), la thématique musicale me réjouissait évidemment (des ados fans d'un musicien rock, composant elles-mêmes de la musique), le sujet féministe (le regard des hommes sur les corps féminins, ici adolescents), brûlant en cette rentrée littéraire, réclamait idéologiquement et professionnellement mon attention. Ce fut un choc ! De ces BD qui, une fois refermées, vous laissent coi quelques instants, les yeux possiblement humides de colère, l'esprit et les idées s'agitant frénétiquement, pour recréer du lien avec les thématiques sociétales contemporaines et les combats à mener, avec des souvenirs de lectures, films ou chansons ravivés.
Manon Debaye est parvenue en quelques situations, à dresser un portrait assez juste de trois amies dissemblables et longtemps inséparables. Ce qu'elles se confient, ce qu'elles cachent, les personnalités des unes et des autres via les ascendances, décisions et prises de parole. Mais ici, contrairement à la merveille de Vanyda Celle que..., la cruauté affleure de toute part installant un malaise jusque dans des situations espérées rêvées (comme celle de la rencontre avec leur idole). Le véritable sujet s'impose alors : comment le regard des hommes sur les femmes façonne le monde, les corps, les attitudes... influençant sournoisement jusqu'au regard des mères ou celui des meilleures amies, atteignant naturellement l'estime de soi.
La BD choisit d'aller vers le terrible drame, sans spectaculaire, ni panache, en demeurant dans un effroi glacial et contenu.
La seconde partie évoquera l'après, la culpabilité, la reconstruction, la résilience, l'impossible oubli. Mini faiblesse du récit et des illustrations, ces destins brisés ne nous apparaitront pas avec clarté, les nouveaux visages entraperçus (ou vieillis ou appartenant à de nouveaux personnages), pas toujours aisément identifiables, créeront un doute et une distance, pas inintéressants d'ailleurs car renforçant l'impact du retournement de situation final. Et permettant furieusement d'insister sur les déterminismes sociaux engendrant honte et silence plutôt que colère et combat, sur l'affreuse réalité de ces situations tristement communes, peu perceptibles pour un œil extérieur même bienveillant.
BD féministe importante, qui s'inscrit dans une urgence (au même titre que Notre affaire, Les Yeux d'Alex, Rouge signal, "Une obsession", "Ces lignes qui tracent mon corps"...), une dynamique sociétale contemporaine chamboulant enfin le petit monde de la BD, longtemps demeuré en retrait sur ces sujets.
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Danser avec le vent
En 2010, Emmanuel Lepage embarquait à bord du Marion Dufresne pour un magnifique voyage vers les Terres Australes. Douze ans plus tard, il remet ça mais cette fois pour un plus long séjour sur place, sur l'île de Kerguelen. Emmanuel Lepage que l'on connait depuis son remarquable Tchernobyl, est une sorte de cousin-voyageur ou cousin-reporter de Etienne Davodeau. Chacun signe scénario et dessins de ses albums, et tous deux excellent dans l'art de tracer le portrait des 'gens' qui nourrissent leurs rencontres. En 2011, Lepage publiait le carnet de bord d'un premier voyage dans les Terres Australes (un album que l'on vient de relire pour l'occasion) et il vient tout juste de sortir un nouvel album à l'occasion d'un second voyage effectué en 2022, tout là-bas au bout du bout du monde. Après son premier voyage de 2010 (qui n'était qu'un "bref" aller/retour), l'auteur a longtemps hésité avant de reprendre la mer : « Que pouvais-je vraiment dire de plus ou de différent. Revenir au même endroit une seconde fois n'aurait pas la puissance et la magie de la découverte ». Heureusement pour nous, Lepage a fini par embarquer de nouveau sur le mythique Marion Dufresne, le bateau ravitailleur des TAAF, qui navigue désormais pour le compte de l'IFREMER. Il accompagne une mission popéleph concernant la population des éléphants de mer avec une équipe chargée d'un reportage tv et compte rester peu de temps sur l'île : un mois seulement, et en été ! Sur le bateau, sur les îles, il retrouve des anciennes connaissances et rencontre de nouvelles personnes : de nombreux scientifiques de toutes sortes, des logisticiens, des ouvriers, des militaires, des marins, ... chacun avec son histoire, son chemin, sa quête. C'est ce microcosme qui va nourrir son ouvrage et notre lecture : « J'ai envie de raconter les personnes que je rencontre, dans leur complexité ». Des rencontres, des gens « qui donnent foi en l'humanité » : et en ces temps troublés, ce sont quelques images (et quelques mots) qui font du bien. Certes la magie de la découverte n'est plus là mais elle a été remplacée par une sorte de familiarité : nous ne sommes jamais allé là-bas, du moins pas 'en vrai', mais le premier album nous avait y avait emmenés déjà, laissé une forte empreinte sur nous et cette fois on y retourne, toujours avec plaisir, on s'y retrouve presque en terrain familier et du coup, moins étonnés, plus attentifs. Le côté humain, pourtant déjà bien présent dans le premier épisode, prend ici toute son importance, toute sa valeur. Aujourd'hui l'homme essaye de réduire son empreinte sur ces réserves naturelles et les équipes luttent contre les espèces (végétales ou animales) introduites par le passé, qui sont nombreuses à avoir proliféré et mis en péril le fragile écosystème de l'archipel. Et que dire des dessins ?! Le premier album était superbe mais celui-ci est encore plus beau et nous permet de "comparer" le trait du dessinateur qui a beaucoup mûri et ses aquarelles qui ont gagné en puissance évocatrice. La mousse de l'écume de mer est rendue (à la brosse à dents !) avec un mélange de réalisme et de poésie. Les verts des paysages, terres, landes, mousses, ... les bleus sombres de l'eau ou de la nuit, ... Il y a encore un peu plus de magie dans le crayon et le pinceau de Lepage, et voilà deux albums dans lesquels se plonger, se perdre, encore et encore. Quand ses compagnons lui demandent pourquoi il fait des livres, des albums, Emmanuel Lepage ne sait trop quoi répondre. C'est compliqué. On le harcèle, lui repose cette question. « Je fais des livres pour être un peu moins con », finit-il par lâcher. Voilà, on sait ce qui nous reste à faire ! Le lire !
La Princesse guerrière
Dans la droite lignée de l'album Le Roi des oiseaux, Alexander Utkin nous propose ici de nouveaux une succession de récits adaptés de contes slaves, découpés en épisodes et pouvant être reliés les uns aux autres par des personnages récurrents et les remarques du narrateur. Ici, contrairement à l'album précédent, les histoire sont moins suivies, plus décousues. Enfin, par là je veux dire que, même si deux grandes histoires se détachent clairement de tout ceci (celle de Vasilia et celle de John), elles ne se filent pas l'une l'autre aussi fluidement que l'on fait les récits du premier album (si ce n'est que le récit de John se passe vraisemblablement avant celui de Vasilia). Bon, si, techniquement elles se suivent toutes deux sur le fait qu'il s'agit à chaque fois d'un récit centré sur un enfant devant braver les dangers pour porter secours à son père, mais je voulais parlé d'un filage intra-diégétique plus explicite. Pourtant, chose intéressante, c'est bien cet album qui m'a la plus plu. Peut-être est-ce parce que chacun des deux récits a su davantage me parler, peut-être aussi parce que Baba Yaga étant la seule figure du folklore slave que je connaissais un minimum j'ai su m'attacher plus vite, peut-être encore est-ce le fait que j'ai bien plus ici ressenti cet effet de style narratif évoquant les soirées où l'on se partage des histoires au coin du feu, où les histoires se suivent, se lient et prennent vie mais pas nécessairement dans un ordre chronologique mais plutôt thématique. Quoi qu'il en soi l'album m'a plu, énormément. Qu'il s'agisse du récit initiatique de la jeune sorcière Vasilia ou de la quête épique du bon et brave John, les récits et les personnages m'ont plu, parus vivants et leurs aventures et leurs déboires possédaient bien toute la puissance évocatrice que j’attends d'un conte. On retrouve là aussi l'oiseau Gamaïoun pour la narration, nous partageant de nouveau de petites digressions au gré de ses histoires, des portes d'entrées et de sorties vers d'autres récits (mais pour d'autres moments). Nous retrouvons d'ailleurs au détour de quelques pages la souris, le serpent, le chasseur et son fils, personnages dont l'histoire nous a été racontée dans le précédent album (tout comme nous retrouvions dans leurs histoires l'éponyme Princesse Guerrière, John et Vasilia au détour de quelques épisodes). Le dessin d'Alexander Utkin est toujours aussi beau, mais là encore je l'ai préféré ici. Le travail des couleurs vives contrastées par la nuit noir lors des passages avec Baba Yaga, les couleurs bleus et orange de ce bon John qui se marient si bien, les yeux brillant de Vasilia et de sa grand-mère, l'esprit du feu, … j'ai trouvé le travail des couleurs bien plus intéressant et plus puissant dans cet album. Soi dit en passant, c'est cet album-là que j'ai lu en premier, et non Le Roi des oiseaux, peut-être cela a-t-il davantage appuyé ma préférence pour l'album ici présent.
Légendes de la Garde
Voilà un coup de cœur très inattendu ! Si j’ai toujours été attirée par cette série, j’ai trouvé la lecture du premier tome fastidieuse. J’ai eu beaucoup de mal à rentrer dans l’univers, la faute en partie au graphisme. Les souris sont certes adorables, mais il y a un petit quelque chose qui me dérange au niveau de la colorisation. Par ailleurs, j’ai eu du mal à différencier les souris au départ, et certaines scènes d’action manquent de lisibilité. C’est donc avec un sentiment plus que mitigé que je suis arrivée au bout de ce premier tome ; et là, sans que je m’y attende, la scène de conclusion a réveillé mon intérêt. Je ne saurais expliquer comment, mais j’ai commencé à ressentir un je-ne-sais-quoi… comme si l’histoire qu’on venait de me raconter n’était pas une pure fiction, mais une légende basée sur un monde ayant réellement existé. C’est comme si ce monde, ces personnages, prenaient soudainement vie sous mes yeux, et que je ressentais le souffle de l’aventure qui m’appelait… C’est donc avec enthousiasme que j’ai entamé la lecture du deuxième tome, et cette fois-ci j’ai été embarquée immédiatement. J’ai aimé les décors, parfois grandioses, dans lesquels évoluent courageusement ces souris minuscules. J’ai aimé l’univers, avec tous ces petits détails, ces cités différentes. J’ai aimé les personnages, leurs relations, leurs nuances. J’ai aimé le sentiment d’aventure et les confrontations épiques. J’ai dévoré la suite, et j’ai même relu le premier tome que j’ai finalement beaucoup apprécié à ma seconde lecture. J’ai lu les albums il y a quelques mois après les avoir empruntés à la bibliothèque, et rien que d’écrire cette critique, je sens un petit pincement au cœur qui me donne envie de me procurer la série pour repartir à l’aventure avec Kenzie, Saxon et Lieam.
40 hommes et 12 fusils - Indochine 1954
J'ai beaucoup apprécié cette fiction historique retraçant la fin de la guerre d'Indochine du côté Viet-Minh quelque peu dépolitisée. Minh est un jeune artiste libre d'esprit qui se retrouve enrôlé par les Rouges alors que sa famille et son éducation sont Bleues. Cela donne un récit documenté qui travaille sur deux axes. Le premier axe principal est militaire. Truong nous décrit d'une façon très crédible la montée du jeune soldat artiste vers la bataille décisive de Dien Ben Fu. L'auteur reprend toutes les situations qui ont fait la légende de la bravoure des paysans et paysannes Viet-Minh pour réussir à vaincre les troupes d'élites françaises qui se sont vaillamment battues. L'auteur utilise un road trip qui part du camp d'entrainement chinois jusqu'à l'enfer de Dien Bien Fu pour nous montrer la ténacité d'une armée en sandales, se déplaçant à pied de nuit sur des terrains difficiles aidée par des JF porteuses de lourdes caisses de munitions sur des axes continuellement bombardés et mitraillés. Le récit ne peut que conduire à l'admiration de ces combattant(e)s qui n'ont jamais faibli malgré des pertes colossales. L'auteur rappelle ainsi que le sort de la bataille a longtemps été incertain. Le second axe narratif concerne le côté politique qui imprégnait le discours idéologique des commissaires accompagnant la troupe. Les talents graphiques de Minh font de lui un élément de choix pour les unités de propagande (40 hommes ou femmes défendus par douze soldats) essentielles pour illustrer les exploits des uns et la cruauté des autres à une troupe et ses auxiliaires illettrés. Cette partie rend le personnage de Minh moins crédible. En effet il est douteux qu'une telle indépendance d'esprit considérée comme de l'insolence vis à vis de la doctrine communiste ait pu rester sans châtiment très sévère. Toutefois cela permet à l'auteur d'épingler la cécité de quelques intellectuels de l'époque qui participaient au culte de Staline et de rappeler le jdanovisme artistique qui sévissait dans les pays du bloc communiste. L'une des scènes est très symbolique du regard de l'auteur sur la liberté des artistes à cette époque. En effet la caricature que fait Minh de Staline superposé à Mao m'a immédiatement fait penser à la célèbre affaire du portrait de Picasso. Picasso est d'ailleurs honoré quelques pages plus loin comme artiste de la paix avec sa colombe. J'ai donc trouvé ce récit très riche tout au long des presque 300 pages qui se lisent sans effort. Le graphisme propose un N&B précis avec quelques nuances de couleurs. Les extérieurs sont bien travaillés ce qui plonge le/la lecteur-trice immédiatement dans l'ambiance du pays. Ma seule petite réserve graphique est qu'il est parfois difficile de distinguer certains personnages. Une lecture qui m'a parlé par sa justesse de ton et l'originalité de son point de vue. Un bon 4
Soli Deo Gloria
Avec Soli Deo Gloria, nous avons à mon sens l'album de l'année, avec une qualité d'écriture rarement vue et un dessin prodigieux. Oui, l'histoire est classique, elle commence dans une forêt sombre et inquiétante avec un noir et blanc magistral qui convoque d'emblée nos peurs enfantines, mais débutée comme un conte des frères Grimm illustré à la façon des graveurs du XIXème siècle, elle prend ensuite des accents tragiques qui rappellent l'intensité dramatique d'une oeuvre à la Milos Forman (et son remarquable personnage de Salieri notamment). La symphonie entre l'écriture ciselée de Deveney et le dessin impressionnant d'E. Cour est parfaite ici. Deveney tisse son histoire avec une grande précision à la manière des entrelacs colorés du dessinateur qui rendent les notes musicales audibles et vibrantes. Ce récit fluide aux personnages réellement incarnés, aux paysages variés et somptueux, propose une réflexion très intéressante sur le génie créateur : l'artiste doit-il rendre des comptes ou revendiquer sa force créatrice pour lui seul au risque d'être écrasé, consumé par son propre talent ? S'il doit rendre des comptes, est-ce seulement à Dieu ? Des êtres humains n'ont-ils pas poli ce talent brut ? La recherche du geste créateur pur, parfait, peut-elle s'accompagner d'une quête de sagesse et d'humilité ou doit-elle s'accommoder des éclats, de l'orgueil de l'artiste génial ? Replacé dans le contexte, dans une époque rigoriste où chacun est tenu de respecter son rang et de rester à sa place, ce questionnement spirituel qu'illustre la trajectoire d'Hans et Helma est très beau je trouve. Alors, oui, pour moi, " Soli Deo Gloria " a la beauté et l'éclat d'un grand classique et ce n'est absolument pas péjoratif.
Il était une fois en France
Ouh, la belle claque que cette BD ! J'avais depuis très longtemps la série dans le viseur et j'ai enfin pu profiter de ma bibliothèque locale pour tout lire d'un coup. Et quelle lecture, c'est prenant et instructif, tout en posant de sérieuses questions sur l'humanité. Comme tout le monde, semblait-il, je ne connaissais pas cette figure contrastée de l'Histoire de France et de la Seconde Guerre Mondiale, mais je trouve que Fabien Nury a réussi un tour de force dans l'adaptation de la réalité à la BD. J'ai pu vérifier ensuite quelques détails qui me paraissaient presque trop gros pour être vrais, mais ils sont souvent ceux qui sont malheureusement très réaliste. Et quelle histoire ... Si je devais garder une idée de cette BD, c'est qu'il est facile de juger mais que personne ne nait saint ou salaud. Il n'y a qu'une infinité d'humains dans un monde qui n'est jamais tout noir ou tout gris. Que penser de Joanovici, après toute cette vie ? Quelle leçon en tirer, qu'en conclure ? Il est très très difficile de juger, et tant mieux. Le jugement, c'est dans un tribunal (et par sur Twitter), mais pour soi-même il est souvent bon de se l'interdire. En fait, au-delà de la figure sulfureuse du type, son parcours illustre bien les tensions qui habitèrent cette première moitié du vingtième siècle et les problématiques sociales, culturelles mais aussi économique de ce monde. Un milliardaire qui s'acoquine avec le pire de l'humain, mangeant aux deux râteliers et tentant sans cesse de sauver sa peau, jouant sur tout les tableaux pour toujours gagner ... Sa vie est sans doute moins "noble" et gentille que dans cette BD, mais elle montre ce que furent ces années-là, où tout devient progressivement permis. Le dessin de la BD va à merveille au récit, avec le trait de Sylvain Vallée qui se fait plaisir. Il croque des trognes, des gueules, des figures tout en ajoutant l'aspect historique bien travaillé dans les décors, les costumes mais aussi les types ayant réellement existé. Le tout fait rapidement immerger dans l'histoire et j'ai dévoré les six tomes en une soirée, happé par le récit et ne parvenant pas à m'en détacher. Sans fioritures, sans défaut, je trouve cette BD excellente. Le genre qui met une claque morale, celle où on se dit après que le monde n'est pas si simple à comprendre et que décidément, dans le pire des temps tout ce qui peut exister de l'humain ressort. Je ne peux que recommander cette lecture !
Silent Jenny
Silent Jenny de Mathieu Bablet est une bande dessinée fascinante qui réussit à combiner science-fiction, tension et réflexion humaine. L’histoire suit Jenny dans un monde post-apocalyptique où les abeilles ont disparu et où la survie de l’humanité repose sur des cités mobiles et des technologies complexes. L’univers évoque immédiatement des ambiances connues : le désert et la lutte pour la survie rappellent Mad Max, la poésie et la contemplation de la nature font penser à Nausicaa, tandis que les séquences de voyage solitaire et de reconstruction du monde évoquent Death Stranding. Les dialogues sont bien choisis, donnant du rythme et révélant les relations entre les personnages sans jamais alourdir l’histoire. Ils viennent ponctuer des moments plus contemplatifs, où le silence et les images seules suffisent à transmettre l’émotion. Chaque plan est pensé avec précision : les décors sont grandioses et détaillés, et les couleurs contribuent à rendre l’univers à la fois désolé et poétique. J’ai particulièrement aimé la référence à Akira sur la planche page 32. Jenny est un personnage attachant et complexe, dont les doutes et les espoirs se reflètent dans ses actions. Son parcours nous fait ressentir à la fois la fragilité et la résilience humaines, dans un monde où la nature et l’humanité semblent sur le point de se perdre. Les « monades », ces vaisseaux-villages motorisés, font quant à elles penser au Château ambulant, ajoutant une dimension presque féérique à ce monde mécanique et désolé. Malgré la gravité de la situation, Bablet réussit à laisser une lueur d’espoir et à montrer que même dans la destruction, des possibilités de renaissance existent. En résumé, Silent Jenny est une lecture immersive et émotive, où la beauté des images rencontre la profondeur des thèmes. Les références cinématographiques et culturelles enrichissent l’expérience, et chaque plan est un véritable plaisir pour les yeux. C’est une BD marquante, qui fait réfléchir à notre impact écologique sur la biodiversité et qui reste longtemps en mémoire après avoir tourné la dernière page.
La Maison du canal
Quand j'ai vu la couverture de cette BD dans la liste des ouvrages à paraitre, mon sang n'a fait qu'un tour. J'ai immédiatement reconnu le style inimitable d'Edith dont le dessin me charme au plus haut point. Bon, certes, il s'agissait d'une adaptation de Simenon, or je ne suis pas du tout amateur de polar, mais pour le seul plaisir des yeux, j'ai couru chez le libraire pour pécho le livre. Et je ne l'ai pas regretté, d'abord parce que l'histoire est vraiment bien. Ce n'est pas une histoire policière, plutôt un roman noir, un roman "dur" selon les propres termes de l'auteur pour qualifier ses romans dans lesquels le personnage du commissaire Maigret n'apparait pas. Ben oui, suis-je bête, c'est la collection "Simenon, les romans durs". Bon sang de bois, en voilà une qui porte bien son nom... Oui, cette histoire est sombre et morne. On sent les personnages empêtrés dans leur solitude. On ressent leur détresse profonde chevillée au corps. Dès les premières pages, il devient évident que tout cela va très mal finir. Une menace sourde plane sur leur tête. La question qui trotte dans la tête du lecteur est comment va débouler l'accident ? Quel personnage va perdre la tête ? Qui va mourir ? Comment... Tout cela est très tendu, donc très réussi. Et il faut dire qu'Edith habille l'ensemble de la meilleure manière possible. Son dessin imprime une marque très forte avec ses personnages aux visages souvent inquiets et inquiétants, ses paysages désespérément clos où la pluie dispute au brouillard la charge de barrer l'horizon... Elle s'appuie en outre sur une gamme chromatique parfaitement choisie. C'est un travail admirable, splendide s'il est permis de parler de splendeur au sujet d'une histoire aussi tragique. Un vrai travail de dessinateur où il ne s'agit pas seulement d'illustrer, de mettre en image un récit. Certes, ça ne donne pas nécessairement envie de visiter la Belgique (je plaisante parce que les belges sont sympas, même s'ils ne sont pas tous routiers), en revanche, on a grave envie de se plonger dans l'œuvre dure de Simenon. A chaque fois que j'ouvre une BD d'Edith, je trouve son trait encore plus fin et précis. Rares sont les dessinateurs-trices à susciter ce genre d'impression chez moi. Bref ! C'est un excellent récit, très ramassé qui offre toute la place au dessin et à la psychologie. Mais j'ai presque envie de dire que je le savais avant de le lire. Tellement chouette de voire ses attentes pleinement comblées. Ce n'est pas si fréquent.
La Vie pleine de joie du triste chien Cornelius
Probablement à ce jour, la meilleure bd que j'ai lue de toute ma courte vie. En réalité, le livre Cornélius n'est pas une bd, et il n'a rien à faire sur ce site. Prendre Cornélius comme une bande dessinée est une erreur, il faut prendre comme un mythe, un mythe ayant traversé les âges, ayant traversé les époques, et ayant traversé les visions (fausses, car il n'y en a en réalité qu'un) d'auteurs différents. C'est pas facile de décrire ce livre, cela semble être un enchaîné de planches, de bd ou d'illustration, avec plus ou moins de liens entre elles, semblant toutes venir d'époques, et d'auteurs différents, toujours tournant autour du chien Cornelius. La préface nous le dit clairement : "Ce livre est le premier d'une série de quarante volumes [...] dans le but de rassembler une partie de la production autour du personnage, né il y a 300 ans dans la République de Maïame" Les notes de fin de pages (que certains ont sauté) le font aussi comprendre, Cornélius a une importance incroyable dans ce monde, cest l'équivalent de Picsou ! l'auteur nous révèle aussi sa grande connaissance de l'histoire de la bande dessinée et de ses codes à travers le temps. chaque page semble fourmiller de détails propres à l'époque où elle serait soi-disante sortie. certaines pages rappellent les bd de Mafalda, d'autres les publicités des magazines anciens, ou encore d'autres, semblant toutes droites sorties d'un fanzine étudiant. C'est une sensation qui ne m'était jamais arrivé, Cornélius est une bd, donnant envie de lire. Cornélius est une bd donnant envie de s'instruire, c'est une bd donnant envie d'apprendre l'histoire, c'est une bd qui m'a donné envie d'en lire d'autres. Certaines personnes se sont plaint de l'histoire de Cornélius, la trouvant peu intéressante, c'est là ce que je trouve génial. Il faut avoir de l'imagination avec Cornélius. dans un monde parallèle, il existe des millions d'histoires de ce chien, ce faisant, je demande alors "quelle importance ?" Parmis toutes les œuvres de Cornélius, il y en a forcément des mieux, mais cette bd de 300 pages n'est qu'un episode parmis tant d'autre, il ne faut pas le prendre au sérieux. Mon avis est vraiment trèss nul, comparé au truc génial qu'est Cornélius, je ne peux donc que vous conseiller fe vous jeter dedans, sans prêter attention aux avis extérieurs, comme je l'ai fait.
Des filles normales
Je n'ai jusqu'alors pas eu la chance de lire La Falaise, premier roman graphique a priori fort réussi mais déstabilisant, de Manon Debaye. Cette seconde œuvre retint néanmoins fortement mon attention : le style visuel m'attirait assez (un trait fin, précis et pourtant peu assuré, associé à de délicates couleurs crayonnées), la thématique musicale me réjouissait évidemment (des ados fans d'un musicien rock, composant elles-mêmes de la musique), le sujet féministe (le regard des hommes sur les corps féminins, ici adolescents), brûlant en cette rentrée littéraire, réclamait idéologiquement et professionnellement mon attention. Ce fut un choc ! De ces BD qui, une fois refermées, vous laissent coi quelques instants, les yeux possiblement humides de colère, l'esprit et les idées s'agitant frénétiquement, pour recréer du lien avec les thématiques sociétales contemporaines et les combats à mener, avec des souvenirs de lectures, films ou chansons ravivés. Manon Debaye est parvenue en quelques situations, à dresser un portrait assez juste de trois amies dissemblables et longtemps inséparables. Ce qu'elles se confient, ce qu'elles cachent, les personnalités des unes et des autres via les ascendances, décisions et prises de parole. Mais ici, contrairement à la merveille de Vanyda Celle que..., la cruauté affleure de toute part installant un malaise jusque dans des situations espérées rêvées (comme celle de la rencontre avec leur idole). Le véritable sujet s'impose alors : comment le regard des hommes sur les femmes façonne le monde, les corps, les attitudes... influençant sournoisement jusqu'au regard des mères ou celui des meilleures amies, atteignant naturellement l'estime de soi. La BD choisit d'aller vers le terrible drame, sans spectaculaire, ni panache, en demeurant dans un effroi glacial et contenu. La seconde partie évoquera l'après, la culpabilité, la reconstruction, la résilience, l'impossible oubli. Mini faiblesse du récit et des illustrations, ces destins brisés ne nous apparaitront pas avec clarté, les nouveaux visages entraperçus (ou vieillis ou appartenant à de nouveaux personnages), pas toujours aisément identifiables, créeront un doute et une distance, pas inintéressants d'ailleurs car renforçant l'impact du retournement de situation final. Et permettant furieusement d'insister sur les déterminismes sociaux engendrant honte et silence plutôt que colère et combat, sur l'affreuse réalité de ces situations tristement communes, peu perceptibles pour un œil extérieur même bienveillant. BD féministe importante, qui s'inscrit dans une urgence (au même titre que Notre affaire, Les Yeux d'Alex, Rouge signal, "Une obsession", "Ces lignes qui tracent mon corps"...), une dynamique sociétale contemporaine chamboulant enfin le petit monde de la BD, longtemps demeuré en retrait sur ces sujets.