Les derniers avis (236 avis)

Par gruizzli
Note: 4/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Tout est possible mais rien n'est sûr
Tout est possible mais rien n'est sûr

Il est assez rare qu'une lecture parvienne à m'émouvoir. M'amuser, me distraire, m'énerver, me porter, me toucher, oui. M'émouvoir, c'est plus difficile. Parce que je suis un garçon et qu'on m'a appris à ne rien laisser paraitre, surtout. Et pourtant, de temps en temps, une lecture me touche et m'émeut. Lorsque le volume est reposé, j'ai une larme au coin de l’œil et je sens que quelque chose à remué en moi. Un écho à ma propre vie, qui agite mes émotions. Cette lecture fait partie de celles-ci. Je connaissais déjà Lucile Gomez à travers les blogs-bd où elle postait des dessins, et j'avais noté son trait en personnage filiforme, avec un usage de la couleur qui m'avait déjà tapé dans l’œil et une absence de case comme pour être plus libre. J'avais apprécié plusieurs de ses BD et c'est un vrai plaisir de pouvoir lire à nouveau quelque chose de sa main. Mais là, c'est vraiment l'histoire qui m'a pris au tripes. Et c'est parce que, pour une fois, j'ai été porté par le récit qui m'a fait clairement écho à ma propre vie. J'ai déjà reproché à des BD de faire, selon moi, un portait de jeunesse dans lequel je ne me reconnaissais pas du tout et surtout qui me semblait trop superficielles dans leurs traitements (Génération Y ou Ce que font les gens normaux notamment). Là, ça n'a pas du tout été le cas. Sans doute parce que je suis plus proche de ces milieux là, des questionnements présents dans la BD ou simplement parce qu'elle m'a semblé plus pertinente, mais Lucile Gomez fait, à travers son personnage, une synthèse diablement efficace de la jeunesse. C'est des artistes en devenir sans travail, un monde de l'emploi catastrophique pour les nouveaux arrivants, des considérations sur l'écologie et le capitalisme, la question de nos positions dans ce monde (entre volontés et réalités), la portée de nos convictions, les idéaux, le patriarcat ... C'est riche, dense (près de 200 planches tout de même) et surtout riche de réponses. La BD exploite beaucoup de procédés que j'ai trouvé très bon. Déjà les doubles pages, présentes plusieurs fois dans la BD, des idées de mises en scène par le découpage (je pense aux cases à la fenêtre qui enferment le personnage habituellement libre) ou encore l'utilisation du chat. C'était un procédé couramment utilisé dans les blogs-bd pour pouvoir faire une discussion (Frantico, Gally ou Lucile Gomez s'en servaient) mais je le trouve très bien utilisé ici. Cette voix intérieure, mélange de conscience, de reste d'éducation parentale et de nos peurs, qui revient nous hanter et nous parler régulièrement. La narration exploite aussi les bulles, disposées parfois de façon peu conventionnelles, et le dessin, avec cet ami qui semble flou dans son corps et sa voix, décoloré pour montrer son décalage avec le monde autour de lui. Je pourrais parler longuement de ce qui m'a plu ici : les débats et les questionnements, les attaques contre ce monde détesté, les remarques entendus en tant que jeune, les coups durs de la vie pour te rappeler ta place, les moments tendres, drôles, durs. C'est une plongée dans l'enfer de ce que peut être la jeunesse pleine d'espoir qui sort de diplômes et découvre le capitalisme, le libéralisme et le chômage. Bienvenu dans la réalité, prenez un siège ... Et pourtant, Lucile Gomez fait une histoire au final presque heureux, même s'il n'est clairement pas le Happy End qu'on attendrait. Plein d'espoirs, plus que plein de joie, il m'a tiré une larme parce qu'il incarne parfaitement ce qu'on doit garder en tête après toute cette noirceur. Et rien que pour ça, j'ai trouvé la BD extraordinaire. Il y a quelques passages de poésie dans les dialogues qui m'ont particulièrement touchés. C'est une BD que je vais garder précieusement. Parce qu'elle me rappelle des gens, des situations, parce qu'elle est juste dans ce qu'elle montre et ce qu'elle dénonce, mais aussi qu'elle laisse place à l'espoir. Un espoir qui est ce qu'il reste, en fin de compte. L'avenir est encore à nous, même s'il s'annonce sombre. Et j'aime beaucoup la tendresse qui se dégage de cette BD. Je ne m'attendais pas à grand chose, j'ai été époustouflé par ce récit. L'autrice à fait preuve d'une grande maitrise dans la narration pour donner cette synthèse réussie. A mon sens, c'est une excellente BD.

18/04/2024 (modifier)
Par Ro
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Petit pays
Petit pays

Il y a des BD qui vous informent factuellement sur des évènements bien précis. Il y en a d'autres qui vous les font ressentir. Petit pays fait partie de ces dernières, et elle le fait d'une telle manière qu'elle pousse immanquablement le lecteur à vouloir se renseigner davantage sur un sujet éminemment complexe. Inspiré des souvenirs du rappeur et écrivain franco-rwandais Gaël Faye, le roman Petit Pays, paru en 2016, raconte l'histoire du jeune Gabriel qui vit une enfance heureuse au Burundi malgré une ambiance étrange qui laisse présager le génocide des Tutsis à venir dans le Rwanda voisin. Sa mère étant Tutsi et exilée au Burundi depuis plus de 10 ans, celle-ci ressent de très près les tensions marquantes entre Hutus et Tutsis et la situation politique sur le fil du rasoir dans son pays d'origine. Mais hormis le conflit que cette situation crée entre sa mère et son père, expatrié belge un peu à côté de la plaque, le petit Gabriel est protégé autant que possible de la terrible réalité et vit une enfance joyeuse avec ses amis et voisins. Cependant, tandis que la situation se tend de plus en plus, l'enfant va être témoin de plus en plus de changements dans sa vie jusqu'à ce que la tragédie impacte irrémédiablement le Rwanda et par extension le Burundi aussi, de même que la famille et les proches de Gabriel. C'est un récit réalisé avec brio. Les éléments se mettent en place avec le plus grand naturel. D'une situation nostalgique d'enfance heureuse, on passe doucement mais sûrement à une situation dramatique avec des impacts géopolitiques majeurs et des conséquences familiales tout aussi importantes. Et le tout vu par les yeux d'un enfant intelligent et sensible, avec à la fois les non-dits mais aussi une véritable compréhension instinctive de la bizarrerie et du danger de cette situation. Le pire étant qu'en 1994, à l'époque de ce récit, j'étais au lycée dans la capitale du Kenya voisin, avec des Rwandais dans ma propre classe, et que tout comme les enfants de cette histoire je n'avais qu'une vision tronquée de ce qui se déroulait dans leur pays au même moment. Le dessin de Savoia est parfait pour cet ouvrage. Ses décors du Burundi sont aussi beaux et exotiques que poignants quand on pense à l'horreur qui s'y déroule et qui va défigurer ce paradis pour occidentaux. J'y ai retrouvé en grande partie l'ambiance de ma propre jeunesse africaine. Et tant sa représentation des personnages que son sens de la mise en scène permet une lecture d'une grande fluidité et d'une parfaite efficacité graphique. C'est beau et bien raconté. Alors que ce récit se déroule au Burundi voisin, j'ai appris davantage avec cette BD sur le génocide rwandais que dans toutes mes lectures précédentes. C'est avant tout la question de la haine ethnique et de son absurdité qui est présentée ici, ainsi que les ravages que cela va causer. La manière dont elle va dévaster des familles et des amitiés frappe aussi le lecteur de plein fouet. Très dur et cruel tout en restant toujours dans la retenue et la sobriété, cette représentation de l'horreur sait se rendre lisible et compréhensible par tous. On pourrait lui reprocher son manque d'explications sur les causes, les parties en présence et sur le déroulement précis des faits de génocide, mais c'est justement vers la recherche de davantage d'informations que cet album nous pousse, pour comprendre comment les choses ont pu en arriver là et savoir poser des faits sur ce que l'on vient de ressentir. J'ai refermé cet album la gorge nouée et avec l'impression d'avoir bien mieux compris non pas une énumération de faits mais bien toute l'émotion qui a impacté une région entière de l'Afrique centrale et tous les peuples et individus qui l'habitaient.

10/04/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Mon livre d'heures
Mon livre d'heures

Ils ne le dompteront pas. - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre, présentant la particularité d’être narrée sans texte, ni mot. Sa première édition date de 1919. Il a été réalisé par Frans Masereel, pour le scénario et les dessins, par le procédé de gravure sur bois. Il s’ouvre avec une préface de deux pages, écrite par Jacques Tardi, accompagnée par une illustration pleine page de sa main. Il se termine avec une postface rédigée par Samuel Degardin, intitulée Portrait de l’artiste et son double, un article d’une page de Martin de Halleux (De l’encre de Chine au bois gravé), un autre sur les détails (un œil au centre d’un triangle), un dossier photographique de seize pages sur l’auteur, une biographie chronologique de quatre pages. Il s’agit du deuxième roman graphique, à raison d’une case par page, sans texte, de cet auteur, après 25 images de la passion d’un homme (1918). Le train arrive en gare et l’homme agite le bras par la fenêtre, alors que s’échappe quelques petits nuages de vapeur. Le train est arrivé en gare, les voyageurs descendent, certains se précipitent dans les bras de membres de leur famille pour des retrouvailles. L’homme descend tranquillement, le dernier à sortir de son wagon. En remontant le quai, il prend le temps de s’arrêter pour examiner une des grandes roues de la locomotive à moitié cachée par un jet de vapeur. À la sortie de la gare, il se retrouve au milieu de la foule, des hommes portant tous un chapeau, alors que lui se trouve nue tête, des hommes marchant rapidement, alors que lui se tient immobile en train d’observer. Il traverse la rue et il se retrouve au milieu de la chaussée, alors que les automobiles passent de chaque côté. À nouveau il se tient immobile en observant. Il continue sa déambulation et il se retrouve dans un autre quartier : plus de femmes, toutes portant un couvre-chef, et quelques hommes eux aussi en chapeau. Il continue encore et se retrouve à l’arrière d’un petit groupe en train d’écouter un homme qui fait un discours en pointant du doigt. L’homme continue à marcher et il se retrouve à longer une parcelle dans laquelle s’active les ouvriers sur un gros chantier, avec des grues et des échafaudages, un moteur à vapeur actionnant une machine-outil. Un peu plus loin, le calme est revenu : l’homme longe un long mur de clôture aveugle, derrière lequel se trouve des pavillons, et un peu derrière une grande cheminée d’usine. Cette fois-ci, il s’arrête devant des grandes roues mues par un moteur, avec des courroies les reliant entre elles : il semble s’interroger sur leur fonction. Il décide de parcourir la rue suivante en courant, à nouveau un mur aveugle derrière lequel se trouve une grande halle abritant une usine. Il passe maintenant devant les guichets d’une banque et il touche le bras d’un pickpocket en train de subtiliser le portefeuille d’un homme réalisant un paiement au guichet. S’il a déjà lu 25 images de la passion d’un homme, le lecteur sait à quoi s’attendre, sinon il découvre une œuvre au format original. Le créateur réalise des dessins sur des blocs de bois, par xylographie, et l’ouvrage présente une image par page, sans aucun mot. La lecture s’avère rapide et facile : des dessins assimilables et compréhensibles au premier coup d’œil dans un noir & blanc très contrasté, autant de situations différentes avec un passage du temps fluctuant entre deux cases, soit un bref instant, soit plusieurs jours, semaines ou mois. Les dessins présentent de grosses masses noires, des traits de contours épais, une description simplifiée avec un bon niveau de détails. Le personnage principal est un homme qui n’est jamais nommé et qui est présent dans chacune des images. Cet homme est aisément repérable dans chaque case, soit parce qu’il est tout seul ou seulement avec une autre personne, mais également du fait de sa grande taille, de sa silhouette élancée, ou par de l’absence de port de chapeau, à de rares occasions par la continuité de son activité d’une page à l’autre. Comparé à 25 images de la passion d’un homme, il s’agit à la fois d’une fresque de plus grande ampleur emmenant le personnage dans d’autres pays, à la fois un peu plus réduite puisque le récit commence avec l’arrivée de l’homme dans la grande ville, et pas à partir de sa conception et de sa naissance. La narration présente une forme très particulière : un dessin par page, aucun mot, du noir & blanc. La suite d’images forme bien une histoire, avec une intrigue (cette phase de la vie du personnage principal), une chronologie linéaire, et des liens de cause à effet ou de succession temporelle évidents. La qualité de la reprographie impressionne par sa netteté. Les aplats de noirs et les traits de contour forment des masses épaisses, aux bords parfois irréguliers, parfois bien nets et droits quand il s’agit de structures métalliques. Dans son introduction, Jacques Tardi met en avant les caractéristiques suivantes : Masereel met en scène, en utilisant toutes les ressources et les codes visuels nécessaires à l’évocation expressionniste de la ville bruyante, des quartiers ouvriers, des intérieurs divers, de la foule de la rue, et aussi les tourments intimes du personnage qu’il incarne. Il court, se moque, s’épuise, rit et pleure. Désespoir et colère s’expriment tour à tour. Partir à la campagne, faire du patin à glace, aller au théâtre, acheter un chou-fleur sur le marché et le faire cuire dans cuisine, boire, jouer de l’accordéon, danser, grimper au sommet du mât de cocagne, labourer un champ, participer à une réunion syndicale, s’informer s’instruire de la réalité sociale, des luttes ouvrières, ne pas être dupe, partager avec ses semblables… désillusion amoureuse, une autre femme, et la mort au bout de cette nouvelle aventure. Oublier, voyager, rentrer, boire, refuser de porter les armes, refuser la médaille, montrer son cul à un ecclésiastique et mourir au milieu des tournesols, le cœur brisé, la tête dans les étoiles ! Le lecteur n’apprendra rien du passé du personnage qu’il est tenté de prénommer Frans, supposant qu’il exprime la vision du monde que l’auteur peut avoir. Il arrive en ville et se montre curieux de chaque situation qu’il peut observer, rue par rue, quartier par quartier. Il participe à la vie sociale, aussi bien par le travail que par les moments de détente, de divertissement, d’activités en commun. Il finit par éprouver le besoin de prendre du recul, littéralement de prendre le large pour aller voir du pays, d’autres pays, de la page 110 à la page 135. Puis il revient dans cette mégapole qui n’est pas nommée. Il raconte à d’autres habitants les merveilles qu’il a vues, les amitiés qu’il a nouées. Le lecteur retrouve tous les éléments disparates énumérés par Tardi dans son introduction, dans le déroulement linéaire de la vie de Frans. De fait, l’artiste épate le lecteur encore et encore par l’expressivité de ses illustrations, par sa capacité à choisir des moments édifiants et parlants, par son art de faire partager la palette des émotions et des états d’esprit de Frans. Son assurance et sa confiance en tant qu’étranger curieux de tout dans une étrange ville. En tant qu’être humain faisant la démarche de se cultiver : lire le journal, se rendre dans les musées pour admirer les œuvres d’art, se plonger dans des livres. Aider son prochain, soit un homme qui pousse une charrette chargée, soit jouer innocemment avec des enfants. Participer à une fête. Éprouver l’amour. Etc. Son empathie lui fait ressentir la souffrance de la condition ouvrière et il n’hésite pas à lutter avec eux contre un système les exploitant, dans des pages rappelant un passage similaire de 25 images de la passion d’un homme. Le lecteur ne s’attendait pas à ce que de simples images puissent rendre compte avec une telle sensibilité du ressenti intérieur d’un être humain, ou de situations sociales complexes avec une telle clarté. L’intention de l’auteur semble avoir traversé intacte les décennies séparant sa création du lecteur. La forme de la narration visuelle produit d’étranges effets sur le mode de lecture. D’un côté, il s’agit bien évidemment d’une suite d’images, chacune isolée sur une page. Du coup, le lecteur les considère une à une, chacune prise pour elle-même. Il accorde plus d’attention que d’habitude à chaque dessin, que s’il s’agissait d’une bande dessinée classique. Dans la première, il s’amuse du mode de représentation de la vapeur du train : des gros arcs de cercle, délimitant une surface bien blanche, plus importante que les autres surfaces laissées en blanc dans cette image. Il se dit également que le bras de Frans est un peu plus long qu’il ne le devrait, accentuant légèrement une forme de naïveté, le rendant touchant et drôle. En page quarante-neuf, il voit Frans (toujours avec des bras longs) aider une femme avec des béquilles, à traverser une rue pavée. Le rendu de ceux-ci se situe entre une description soignée rendant compte de l’irrégularité du pavage, mais aussi d’abstraction avec leur forme rectangulaire un peu trop géométrique. La silhouette de l’homme et celle de la femme évoquent la gravure sur bois, c’est-à-dire la technique utilisée par l’artiste. Les deux silhouettes en arrière-plan relèvent plus des ombres chinoises, une autre technique de représentation. L’arrière de la cariole s’apparente à un grand rectangle noir, alors que chacun des treize rayons de la roue est silhouetté par une bande laissée blanche, se détachant ainsi clairement. En page cent-treize, Frans, debout sur un rocher, contemple un coucher de soleil : les traits noirs tirent vers une représentation conceptuelle des reflets sur l’océan, des rayons du soleil, Frans n’étant qu’une vague ombre chinoise. Page cent-quarante-six, Frans conduit une automobile à tombeau ouvert dans une représentation naïve. La dernière séquence dans la forêt évoque l’art naïf. Alors que les images en noir & blanc peuvent sembler austères et faire craindre une forme de monotonie, il suffit que le lecteur s’y attarde un instant pour se rendre compte de leur diversité, de leur richesse, de leur conception soignée et réfléchie. Qu’il ait déjà lu un autre ouvrage de Frans Masereel ou non, le lecteur n’a pas idée de la richesse du récit dans lequel il plonge. La narration visuelle s’avère sophistiquée sur le plan graphique, très empathique, et capable de rendre compte de situations complexes et délicates en une unique image, toujours aussi parlante après toutes ces décennies passées. Le parcours de vie du personnage révèle son humanité et son humanise, son refus des compromissions de ses idéaux, sa soif de fraternité et d’entraide. Poignant.

07/04/2024 (modifier)
Couverture de la série La Route
La Route

A l’annonce de l’adaptation du chef d’œuvre de Cormac McCarthy « The Road » par Manu Larcenet, j’étais dubitatif. Ayant lu le roman, pas évident de trouver la bonne formule pour dessiner un texte si contemplatif et si avare en parole. Pas que je doutais des capacités de cet auteur, mais je me demandais comment son style graphique allait pouvoir épouser de manière réaliste la profonde noirceur du roman et allait soutenir ces images de désolation dans la répétitivité et sans lasser. Les premières images disponibles sur internet m’avait pleinement rassuré mais ne m’avait pas préparé à un tel choc en tenant l’objet physiquement (les objets en fait i.e. La version noir et blanc et la version couleur !) entre mes mains et en ouvrant et parcourant les pages. MAGISTRAL ! D'ailleurs, si vous hésitez entre la version noir et blanc et la version couleur, un conseil, achetez les deux ! Chaque planche et je dis bien chaque planche est un régal pour les yeux. Le Rapport de Brodeck avait fait très fort à l'époque mais l’auteur pousse le curseur beaucoup beaucoup plus loin dans la perfection de son trait. La mise en couleur est incroyable de nuances et embelli le tout. Ne vous y trompez pas toutefois, même si des étincelles de joie apparaissent ici ou là, tout n’est que cendres, âpreté et désespérance. Manu Larcenet a su rester fidèle à l'oeuvre originel qui n'est point dénaturée mais sublimée en y apportant sa touche personnelle. Emouvante, terrifiante, brillantissime, insurpassable, etc... Je vais m’arrêter là avec les superlatifs car je pourrais les enfiler un à un comme des perles. Manu Larcenet a totalement réussi son pari, il m’a même donné l’envie de relire le livre. C'est dire ! Chef d’œuvre absolu, si j'avais pu mettre six étoiles, je l'aurais fait !

29/03/2024 (modifier)
Par Titanick
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Vertige - 10 ans d'enquêtes sur la crise écologique et climatique
Vertige - 10 ans d'enquêtes sur la crise écologique et climatique

L’excellente Revue Dessinée édite régulièrement des albums d’enquêtes approfondies. Dans le cas présent, il s’agit d’un album compilation d’articles parus dans la revue pour l’anniversaire des dix ans. Dix ans donc d’investigations sur des sujets variés qui touchent les limites de notre planète et ce que nous en faisons. Pour qui connaît la ligne éditoriale de cette revue, on ne s’étonnera pas du sérieux de ces enquêtes dessinées. Les chapitres sur les scandales des algues vertes, du chlordécone, ou des pétroliers comme Total sont abondamment documentés, tous les faits rapportés sont datés et vérifiables, un journalisme d’investigation rempart et contre pouvoir des lobbys et politiques du profit, à défendre fermement par les temps qui courent. D’autres, tout aussi nécessaires et éclairants, sont plus des constats scientifiques (‘Suivez le guide’ sur la fonte des glaciers, ou celle du pergélisol ‘Un dégel glaçant’), et un état des lieux de dysfonctionnements de politiques, greenwashing en tête, je pense aux expertises sur les conservations de la biodiversité (‘Le choix du Koala’) et à l’analyse des mesures de compensation carbone (‘Nature à tout prix’) par exemple… et bien d’autres, aussi glaçants. Bref, de l’utile, du nécessaire, de l’indispensable, qui apporte une pierre de plus dans l’information du citoyen. Une information saine et essentielle dont ma seule crainte est qu’elle ne touche que les convaincus. À lire, et, pour me faire mentir, surtout à faire lire, à partager, le plus possible, y compris avec les moins motivés... J’ai oublié de parler de la partie graphique. Chaque sujet est bien illustré et donne envie de lire. Bon, il est vrai que pour un ouvrage collectif, sans doute que chacun trouvera des dessins plus à son goût que d’autres. Car même si ce n’est pas le plus important, ça aide aussi à faire passer le message.

24/03/2024 (modifier)
Par gruizzli
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Les Indociles
Les Indociles

Je crois qu'il n'y a pas de meilleure manière de commencer cette critique que par un énorme Merci à Grogro, dont les discussions dans la voiture à Angoulême m'ont convaincu d'acheter cette BD dès que je suis rentré. Et je ne redirais jamais à quel point ce genre de conseils peut-être précieux dans les lectures, parce qu'une pépite de ce genre ça vaut son prix. Le pavé est peu engageant de prime abord : 50 € pour un pavé si lourd et dense, empli de textes et de petites cases, annonçant une longue et fastidieuse lecture, qui en voudrait ? Et pourtant, merci grogro, on peut se laisser à l'acheter, le feuilleter, commencer à la lire. Et dans mon cas, le poser (après avoir du difficilement l'abandonner deux fois pour des raisons futiles, comme le travail) près d'une journée et demi après, pour rester habité par ce que je venais de lire. Quelle force ! Je dois le souligner directement, tant c'est ce qui m'a le plus surpris, mais cette BD est d'une force incroyable : elle happe et entraine, alors que l'histoire racontée n'est ni follement originale ni incroyable, aux rebondissements et retournements incessants. C'est proprement stupéfiant à quel point le récit m'a pris dans son intrigue en quelques pages, en quelques moments. Très vite Lulu, Jo et Chiara sont introduits, globalement cernés et leur monde peut se déployer. Le monde des années 60, dans toute leur horreur (dirait Gébé). Un monde de pensionnat catholique, de patriarcat décomplexé, de puritanisme moral et bien sur, de contre-culture émergente. Une contre-culture hippie, communiste, libertaire qui se dessine progressivement dans le Jura Suisse. La BD va balayer des dizaines d'années pour déboucher dans les nôtres, balayant les espoirs et les rêves, rappelant la dure et lourde réalité qui s'est abattue sur le mouvement de contestation des années 60. La BD semble dire que ce ne fut pas que la faute du vilain système contre les gentils contestataires, qui restent aussi des humains dans toutes leurs contradictions. Parfois cons, parfois touchants, souvent naïf et amusants, les trois protagonistes sont terriblement humains. Leur histoire sonne juste, les dialogues sonnent juste, tout fait vrai. C'est le genre de BD qui laisse songeur pendant longtemps après sa lecture par ce qu'elle raconte. C'est Les Vieux Fourneaux version Suisse, en somme. Ces vieux qui ont lutés, y ont crus, ont échoués. Leur combat d'hier sont contre un monde qui n'existe plus aujourd'hui mais semble vouloir revenir sans cesse. Christophe Blocher ou Trump, Marine LePen ou Giorgia Meloni, cet ancien monde que l'on espérait ne plus jamais revoir semble revenir d'entre les morts. Et "Les Indociles", c'est le manifeste de ceux qui étaient déjà là contre eux avant. Plutôt qu'un parcours à suivre, leur vie sonne comme un rappel de ce qui a été fait. On peut l'avoir oublié, on peut se dire que c'était mal fait et ridicule, voir contre-productif. Mais peut-être que ce genre de BD nous permets de redonner espoir quand on se demande pourquoi lutter. Et pour la jeune génération, c'est important de retrouver non pas des modèles mais des inspirations. Finalement, cette BD nous parle de la lutte collective comme émancipation, d'amour comme échappatoire au poids de la vie, à l'obstination parfois bête comme mode de vie. C'est pas une glorification, mais une histoire émouvante. Et je ne peux qu'avoir une immense sympathie pour ces gens qui restent bien loin d'un idéal que j'aurais envie d’imiter, mais je suis aussi impressionné par ce qu'ils ont fait là où ils étaient. Voir le monde des années 60 de leur point de vue fait prendre conscience qu'il nous est facile de les critiquer. Mais on parle d'un monde sans radio libre, aux informations plus lacunaires, aux discours catho sur les ondes et dans l'école. Tout refuser en bloc n'était sans doute pas la solution, mais il fallait essayer pour le savoir. J'ai adoré ma lecture -merci grogro- et je n'ai qu'une envie : la recommander à tout le monde. C'est un morceau d'histoire, une Histoire sans grand personnage ni grands moments, juste des vies quotidiennes qui se nouent ensemble. On parle d'homosexualité, de politique, de parentalité, de transformation du monde, d'émancipation des femmes, de machos et de beaufs, de drogue et de musique. Les auteurs montrent le passage de flambeau d'une génération à une autre ... Et putain, ça fait du bien au moral, quoi ! Ça requinque, ça donne envie de s'y mettre ! Franchement, le reste on s'en fout : le dessin, la pagination, les couleurs, tout ça, c'est super. Je vous l'ai dit, c'est super lisible ! Alors j'arrête de déblatérer, si je vous ai pas convaincu, je pourrais pas le faire et je sais pas ce qu'il vous faut. Ouais, c'est le genre de BD qui donne envie d'en parler pendant deux heures avant de se dire "Non, mais en fait on s'en fout : lis-la". Le conseil est passé, à bon entendeur, salut ! Et merci grogro du conseil.

12/03/2024 (modifier)
Couverture de la série Bourdieu - Une enquête algérienne
Bourdieu - Une enquête algérienne

J’ai connu – et immédiatement apprécié – l’œuvre de Bourdieu au début des années 1990, et « La misère du monde », ouvrage qu’il a coordonné, est l’un de ceux dont la lecture m’a le plus bouleversé. Mais je ne connaissais pas trop les détails de la genèse de la vie et de l’œuvre de cet immense sociologue, sans doute le dernier grand intellectuel français (au sens non galvaudé !). Eh bien je dois dire que cet ouvrage comble non seulement ce « manque », mais comble aussi le lecteur que je suis. J’ai vraiment tout aimé dans cet ouvrage, le fond et la forme (j’étais déjà conquis par le sujet !). Autant le dire tout de suite, l’album est exigeant, très dense, ça n’est pas une « biographie » légère. Mais les amateurs de Bourdieu y retrouveront le sérieux, la construction méthodique et étayée du savoir qui innervent toute son œuvre. Les auteurs ont mené – en plusieurs étapes, et avec les difficultés inhérentes à la circulation en Algérie – une enquête à la fois historique, biographique et sociologique, pour comprendre le jeune Bourdieu, pour éclairer ce qui a pu aiguiller sa trajectoire intellectuelle et professionnelle – voire passionnelle en Algérie, à partir du moment où il découvre ce pays lors de son service militaire au milieu des années 1950. L’enquête permet ainsi de mieux saisir les « débuts » de Bourdieu. Mais aussi, en parallèle, éclaire énormément l’histoire de l’Algérie (surtout durant la guerre d’Algérie, et dans l’immédiat après indépendance), les débats politiques et intellectuels de l’époque. Les auteurs font aussi de longs – et très instructifs – rappels théoriques, ce qui permet de mieux comprendre le développement de la sociologie comme science – et l’apport de Bourdieu dans ce champ intellectuel. Un album très riche donc, mais jamais obscur ou rébarbatif. Et le dessin de Thomas, classique et réaliste, est très fluide et agréable. Une lecture exigeante, mais instructive et plaisante. Que demander de plus ?

06/03/2024 (modifier)
Couverture de la série La Neige était sale
La Neige était sale

En ce début d’année, après quelques très très bonnes lectures dont celles partagées sur ce site (Le Fauve de Corleone, À mourir entre les bras de ma nourrice), je m’extasie enfin devant la première pépite de 2024. Pas réellement une découverte puisqu’elle provient de deux auteurs chevronnés à la bibliographie passé déjà remarquable. Je ne connais pas le bouquin original de Simenon dont est issue cette oeuvre, Mais à la lecture, je n’ai à aucun moment pensé que cette BD ne se suffisait pas à elle-même. Sentiment que l’on peut ressentir quand on a l’impression que le parti pris de l’adaptation a laissé sur le trottoir une partie du texte. Cette BD est donc un petit bijou, ou le moindre détail du trio texte/dialogue/dessin est finement ciselé. Tout comme dans Contrition (une des perles de l’année dernière), cette histoire sonde les tréfonds de l’âme humaine, ici à travers le destin de Frank. Jeune Adulte d’une rare noirceur, privé de sentiment, celui-ci va se complaire à se détruire pour enfin atteindre une forme de rédemption et d’épanouissement. Malgré la froideur du personnage et la répulsion attendue générée par un personnage aussi détestable dans ses pensées et ses actes, une attirance malsaine est à l’œuvre tant nous sommes fasciné par ce démon au visage d’ange. Le dessin d’Yslaire est juste magique. A l’image de notre héros (avant de se faire salement amocher), chaque planche se révèle d’une beauté gracieuse, mais là ou on ne ressent que froideur en lui, le dessin réhaussé par un choix de couleurs subtils et délicats dégage à l’opposé une chaleur soyeuse et ce malgré un temps hivernal et une neige omniprésente qui sert de fil rouge à l'intrigue jusqu'à se retrouver dans le titre. Sublime.

29/02/2024 (modifier)
Par Spooky
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Bobigny 1972
Bobigny 1972

En 1972 a eu lieu un procès dont le sujet, les débats et la conclusion ont eu un impact énorme sur la société française depuis cinq décennies. Ce procès n'était pas seulement celui de Marie-Claire Chevalier, qui a avorté à la suite d'un viol, et de sa mère, pénalement responsable pour elle, mais aussi celui d'une loi inique, celle de 1920 condamnant toute femme ayant recours à l'avortement à une peine de prison. En 1971, lorsque Marie-Claire et sa mère sont arrêtées, 343 femmes, célèbres et anonymes, sont sortie du bois, pour affirmer qu'elles aussi ont dû avorter (plusieurs fois pour certaines), comme des milliers, des centaines de milliers de femmes (on parlait alors de 500 000 à UN MILLION d'avortements par an dans le pays). Sous l'impulsion de l'association Choisir (qui existe toujours) ces femmes et des milliers d'autres qui manifestent dans la rue refusent que cette situation perdure, que les hommes dictent leur volonté, prennent le contrôle de leur corps. Le procès de Marie-Claire et sa mère Michèle n'est pas le premier du genre, mais l'avocate Gisèle Halimi, co-fondatrice de Choisir, est déterminée à faire de ce procès, tellement exemplaire, celui qui fera basculer l'opinion publique et le législateur dans une nouvelle phase de leur histoire. Marie Bardiaux-Vaïente, historienne et scénariste passionnée par toutes les questions liées à la liberté individuelle et elle-même personnellement concernée par le sujet, a donc décidé, cinquante ans après les faits, de raconter ce moment crucial de notre Histoire. Elle a consulté pour cela de nombreux documents et témoignages, et tenté de retranscrire au mieux les différentes phases de cette affaire. Ainsi, même si Marie-Claire, sa mère et Me Halimi sont au centre de l'histoire, de nombreuses autres personnalités, comme Delphine Seyrig, à l'aura incroyable, Simone Veil, qui a porté au Parlement la loi légalisant l'IVG en tant que Ministre de la Santé, ou encore Françoise Giroud, journaliste qui fait fi des demandes de confidentialité du président du tribunal, sont-elles présentes. On pourra citer également Michel Rocard, qui a porté le projet de loi, ou le prix Nobel de médecine, parmi les personnages masculins. Le récit fait bien sûr la part belle aux interrogatoires et plaidoiries qui ont émaillé le procès, mais n'est pas avare de scènes intimistes, de scènes de mobilisations dans la rue, afin de retranscrire non seulement l'ambiance de l'époque, mais aussi de saisir à quel point les femmes -pauvres, de surcroît, une injustice supplémentaire soulevée par Gisèle Halimi durant le procès- ont pu souffrir physiquement, moralement, socialement, économiquement de tout ça. Le résultat est tétanisant. Certains passages, parmi les intimistes, m'ont serré le cœur. Parce qu'ils synthétisent parfaitement tout ça. Cette souffrance, cette injustice. Pendant le procès, ce sont quatre femmes (en plus de la mère et de la fille, sur le banc des accusées se trouvent également celle qui a pratiqué l'avortement et l'amie qui les a mises en relation) face à quatre hommes. Si le procureur fait preuve de veulerie, d'obscurantisme et de machisme, le juge principal a quant à lui, comme il se doit bien sûr, pris ses responsabilités et fait preuve de discernement et laissé l'avocate dérouler ses arguments, interrogé les accusées et les témoins, les experts. Bien sûr nous n'avons pas l'intégralité des débats, qui peuvent facilement se retrouver si on souhaite approfondir. Le travail graphique de Carole Maurel est remarquable. Chaque case est ciselée, travaillée pour avoir un impact maximal sur le lectorat. Il y a des moments de silence, qui se passent de paroles, tant l'intensité des regards, des attitudes, est forte. Lors de scènes traumatisantes, les ambiances se font plus glaçantes, souvent en noir et blanc, avec quelques effets graphiques mais sans en faire trop. Indispensable.

19/02/2024 (modifier)
Par Ro
Note: 4/5
Couverture de la série Le Combat d'Henry Fleming
Le Combat d'Henry Fleming

Stephen Crane est un écrivain, poète et journaliste américain de la fin du 19e siècle rendu célèbre par son roman publié en 1895, The Red Badge of Courage, traduit en français sous le titre La Conquête du courage. Considérée comme une œuvre fondatrice de la littérature américaine moderne, elle se déroule durant la Guerre de Sécession et raconte le parcours d'une jeune recrue lors de sa première grande bataille. Loin d'être une fresque épique de guerre avec cartes et descriptions des mouvements de troupe et de qui sont les vainqueurs et les perdants, c'est avant tout une plongée dans les affres de l'esprit d'un soldat et de la peur qu'il ressent face au combat. Le jeune Henry Fleming s'est en effet engagé volontairement et, n'ayant jamais connu de vraie bataille, il s'interroge sur comment il va l'appréhender et se demande s'il va être tenté de déserter comme d'autres l'ont fait auparavant. Ayant rejoint un régiment de bleusailles, aucune autre recrue de ses amis ne sait répondre à ses interrogations. Et c'est tous ensemble qu'ils vont constater comment ils vont réagir une fois véritablement confrontés à l'horreur de la guerre. Steve Cuzor met ce récit en image de superbe manière. Il avait déjà fait la preuve de son talent pour représenter des scènes historiques américaines dans Cinq branches de coton noir. Il renouvelle ici la prouesse dans un style toujours aussi réaliste mais un peu plus sombre, jouant davantage sur les contrastes et les ombres comme pour accentuer le sentiment d'angoisse des soldats avant la bataille. En même temps, il nous propose un festival de costumes d'époque, de décors de nature et de scènes de bataille vues par les yeux des combattants eux-mêmes. C'est visuellement superbe tout au long des 150 pages de l'album. L'histoire est prenante dès les premières pages. L'ambiance est vite posée, celle de simples recrues ignorantes des plans de leurs officiers, attendant la bataille avec un étrange mélange d'envie et de crainte. Envie de pouvoir enfin en découdre puisque c'est pour cela qu'ils se sont engagés, mais crainte aussi d'être confrontés à la terreur une fois mis face aux canons et aux charges d'ennemis sensés être plus expérimentés qu'eux. Peur aussi de finalement succomber au désir de fuir et de déserter le moment venu, et de subir l'humiliation morale et psychologique que cela implique. Le lecteur qui pourrait s'attendre à un récit épique et aventureux risque toutefois d'en être pour ses frais. Car il y aura bien des batailles, de l'action, des retournements de situation et même de l'héroïsme (ou de la folie, c'est selon), mais tout cela sera vu par les yeux d'un héros perdu en pleine guerre, aussi aveuglé par son ignorance de ce qu'il se passe réellement que par la fumée des canons, et malmené par ses propres pensées contradictoires. Thématique sans âge de l'âme humaine confrontée au danger, ce récit se révèle fort en terme de psychologie et du rendu réaliste de ce que peut être la guerre pour les simples soldats. C'est une très belle BD, un superbe objet au contenu intense sur la Guerre de Sécession et toutes les guerres en général.

12/02/2024 (modifier)