Les derniers avis (322 avis)

Couverture de la série L'Odyssée d'Hakim
L'Odyssée d'Hakim

Le sujet est hélas toujours – voire de plus en plus – d’actualité, même s’il ne concerne pas que les Syriens (et même si « l’actualité » a souvent des priorités qui étonnent et scandalisent) : les migrants. Nombreux ont été les séries à traiter ce sujet – j’en ai lues pas mal maintenant – mais peu ont su le faire avec autant de justesse et de simplicité que Fabien Toulmé. S’inspirant d’une histoire vraie (il a juste changé certains noms) et reprenant ce que « Hakim » lui raconte de son périple, Toulmé nous raconte de l’intérieur non seulement « l’odyssée », les dangers surmontés par les migrants (beaucoup perdant la vie dans l’anonymat des naufrages), mais il a eu la très bonne idée de prendre son temps pour nous présenter les causes de ce départ : le très long passage se déroulant en Syrie au moment du Printemps arabe et des premiers massacres perpétrés par El Assad permet de bien montrer qu’on ne quitte pas son pays, ses proches de gaîté de cœur, pour planifier je ne sais quelle invasion fantasmée par quelques politiques ou journalistes complotistes racistes. Mais ce long passage a aussi une autre vertu, celle d’ancrer le récit dans le concret, de nous attacher à Hakim, d’humaniser un sujet qui bien souvent n’apparait que sous forme de chiffre (nombre de migrants, nombres de victimes, etc.). Et Hakim, avec son gamin, est très poignant. Le struggle for life auquel s’apparente son voyage, durant lequel il doit éviter les mauvaises rencontres, les passeurs peu scrupuleux, certains policiers (le passage en Hongrie est édifiant !) est stressant. Il doit aussi trouver à se nourrir, à faire des biberons, trouver des couches, etc. Chaque détail trivial accentue la pression (même si nous savons qu’ils vont s’en sortir, puisque c’est Hakim qui raconte à l’auteur son expérience, en France). On mesure aussi la part de chance (à plusieurs reprises : sur le navire en Méditerranée, en Hongrie, etc), mais aussi les belles rencontres, les exemples de solidarité qui ont permis à Hakim et son fils d’arriver au bout, comme ceux qui ont un temps accompagné notre duo, ou qui ont en partie financé ce voyage (la différence entre policiers hongrois et policiers autrichiens est hallucinante !). On mesure aussi le coût exorbitant du voyage : la rapacité des passeurs n’ayant d’égale que celle de tous les « marchands » vendant aux migrants à des prix prohibitifs tout et n’importe quoi (du gilet de sauvetage à un transport en taxi, en passant par une chambre). Le dessin à la fois simple et agréable de Toulmé (qui m’a fait penser à L'Arabe du futur de Sattouf – mais la dictature syrienne avait aussi poussé à ce rapprochement) est plaisant, et accompagne bien, sans esbroufe, le récit d’Hakim. La narration joue aussi la carte de la simplicité. Alors que l’UE délègue à des dictatures le contrôle extérieur de ses frontières (voir ce qui se passe en Libye en particulier), renforce le refoulement des migrants tout en concourant aux départs (en soutenant des dictatures, mais aussi en pressurant économiquement les pays de départ), alors que certains usent du sujet pour faire diversion et jettent en pâture les migrants, il est bon de rappeler certaines vérités et de donner corps et dignité à ces migrants, comme l’a fait Toulmé. Trois albums épais, mais que j’ai dévorés. C’est à la fois captivant et énervant. Les milliers de migrants qui meurent chaque année en tentant de sauver leur peau, d’échapper à la misère (souvent les deux) n’ont pas eu la chance d’Hakim. Mais son histoire participe du travail de justice qui devrait commencer à leur être rendu. Une belle série, dont la lecture est hautement recommandable.

16/05/2025 (modifier)
Par gruizzli
Note: 5/5
Couverture de la série Champs de Bataille - L'histoire enfouie du remembrement
Champs de Bataille - L'histoire enfouie du remembrement

Mon dieu, quelle horreur... J'ai mis des mois à réussir à lire cette BD que j'ai dû reposer au moins trois ou quatre fois, en ne voulant plus y toucher le temps de me calmer. J'ai rarement été autant énervé par une BD. Réellement énervé, au point de ne pas avoir l'envie de lire la suite et que je me sentais obligé d'aller faire autre chose et ne plus y penser. Balayons directement la question de la forme : vous avez aimé Algues vertes - L'Histoire interdite ? Foncez, c'est tout aussi bon et clair, didactique et étayé. Le dessin est efficace, la narration pas trop lourde et quelques fulgurances traversent la BD comme cette envolée des paysans qui disparaissent, montant au ciel les bras en croix. Symbole et métaphore, tout est clair. Pour le reste, par contre... Quelle claque, quelle horreur. A écrire ces mots après une lecture finie récemment, je suis encore plus en colère. Cette BD, ce n'est pas le genre d'informations qui m'a fait comprendre quelque chose qui m'effraye, lié au changement climatique, à la dégradation des sols et l'épuisement des ressources. Elle est allée au-delà, elle m'a mis en fureur. Celle qui m'a fait tourner en rond chez moi en ressassant des pensées pendant des heures. Le sous-titre de catastrophe écologique et sociale est amplement méritée. Au vu des informations que j'avais déjà et au sortir de cette lecture, j'ose affirmer que ce dont elle parle est probablement la plus grande catastrophe du XXè siècle. Au-delà des génocides, des dictateurs, des bombes nucléaires, ce qui s'est joué là a brisé quelque chose de fondamental dans l'humanité, quelque chose qui s'est construit pendant des milliers d'années et qui a définitivement disparu : la transmission de l'agriculture et des terres, des pratiques, de tout ce qui a été fait. Voir ces paysages dévastés, ces gens méprisés, exploités et désormais devenus esclaves d'une chaine de production, relégués au statut d'ouvrier d'usine mais croulant sous les dettes, toujours moins nombreux sur toujours plus de terre, avec toujours plus de matériel. Sincèrement, j'ai rarement été énervé à ce point par une BD qui met en lumière ce qu'est réellement ce remembrement, premier acte d'une transformation radicale de l'agriculture. Je pense que personne ne peut mesurer l'ampleur de son action, la dévastation des campagnes, de nos eaux et de nos airs. La façon dont cette transformation de l'agriculture a impacté si fort notre mode de consommation, nos vies, nos systèmes sociaux, notre conception du monde... Il y a des témoignages qui donnent envie de pleurer et d'autres qui donnent envie de sortir le fusil pour aller tuer certaines têtes précises. Mais surtout, la BD oblige presque le lecteur à se battre contre cela, à s'investir pour sauver ce qui peut encore l'être. Nous sommes passés à moins de 400.000 agriculteurs en France, il faudrait au moins 1 million de plus... Qui va y aller ? Parce qu'il devient crucial de le faire...

06/05/2025 (modifier)
Par Ro
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Watership Down
Watership Down

Watership Down, roman de l'auteur britannique Richard Adams paru en 1972, m'avait marqué lors de ma jeunesse. Avec pour protagonistes une communauté de lapins de garenne, il parvient à conjuguer aventure, poésie et rudesse dans un récit d'une étonnante densité. Il a également été adapté en 1978 en un film d'animation réputé pour avoir traumatisé toute une génération de jeunes spectateurs, tant certaines scènes y sont violentes, reflet fidèle, en vérité, de la nature épique et impitoyable de l'histoire d'origine. Car la société des lapins que l'on y découvre est tout sauf paisible. Tout commence dans une garenne bien établie, le jour où le petit frère du héros Hazel a une vision apocalyptique. Devant l'incrédulité du chef de la communauté, Hazel et quelques compagnons décident de fuir en secret, entamant un périple semé d'embûches. Leur chemin sera jalonné de dangers multiples, parfois liés à la nature, parfois à l'homme, mais souvent aux autres lapins eux-mêmes, dont certains se révèlent des plus cruels. Parvenus à fonder une nouvelle petite garenne sur la colline de Watership Down, les survivants devront affronter une autre communauté totalitaire afin de permettre à leur groupe de se pérenniser. L'enjeu : trouver des femelles pour assurer la survie de leur colonie. L'éditeur Monsieur Toussaint Louverture publie cette BD déjà récompensée par l'Eisner Award 2024 de la meilleure adaptation et il le fait avec la manière. Au format bouquin avec un dos rond et une couverture épaisse et élégante, rehaussée d'un vernis sélectif cuivré, c'est un superbe ouvrage au papier épais et solide. Il justifie largement son prix un peu élevé par sa pagination généreuse de plus de 350 pages, sa qualité de fabrication et la richesse de son contenu. C'est un objet qu'on affiche avec plaisir dans sa bibliothèque, aux côtés d'autres beaux albums comme Château l'Attente par exemple qui avait bénéficié du même soin éditorial. Mais au-delà du contenant, c'est bien le contenu qui impressionne. Le récit original de Richard Adams brillait déjà par sa capacité à insuffler un souffle épique à une fable animalière, tout en explorant la dureté du monde sauvage, la solidarité, le courage et la transmission des mythes. L'univers des lapins est doté d'un langage propre, de légendes fondatrices et d'une cohérence interne fascinante. Cette édition s'enrichit d'ailleurs d'une carte détachée des lieux traversés ainsi que d'un glossaire reprenant les termes spécifiques à leur culture. Le scénario de James Sturm réussit l'exploit de restituer fidèlement cette richesse sans alourdir le récit. Le rythme est maîtrisé, les dialogues limpides, et la narration fluide. Quant au dessin de Joe Sutphin, légèrement naturaliste, il colle parfaitement à l'ambiance du récit. Il parvient à exprimer toute la vitalité des lapins, à restituer les paysages de la campagne anglaise avec simplicité et beauté, et à insuffler une vraie tension dans les scènes d'action. Il trouve quelques petites idées graphiques pour permettre de reconnaitre les personnages même s'il faut admettre que c'est probablement là la seule faiblesse de l'ensemble, la quantité de lapins étant telle qu'il est parfois ardu de différencier les uns des autres. Si les dialogues permettent sans problème de ne pas s'y perdre la majorité du temps, j'ai ressenti cette difficulté dans une scène de combat vers la fin de l'album où l'on passe d'un combattant à un autre sans que je l'ai compris en première lecture, ce qui m'a forcé à revenir en arrière pour bien assimiler ce qu'il s'était déroulé. Cela reste toutefois un bémol mineur face à la qualité générale de la mise en scène et du dessin. Violence, danger, fraternité, paysages bucoliques, moments de grâce et d'angoisse : tout y est. Cette adaptation graphique de Watership Down est une franche réussite, à la fois respectueuse de l'œuvre originale et pleinement convaincante dans sa forme. Un album dense, émouvant, intelligent et magnifiquement réalisé. Une vraie réussite sur tous les plans !

30/04/2025 (modifier)
Couverture de la série De pierre et d'os
De pierre et d'os

Les superbes aquarelles de Krassinsky nous invitent à un beau voyage initiatique en pleine nuit arctique. Un régal pour les yeux et les esprits des vents et des glaces. Jean-Paul Krassinsky (né en 1972) est un auteur de BD connu pour quelques belles aquarelles. Ce dessinateur réputé adapte ici un roman (sorti en 2020) de Bérengère Cournut : De pierre et d'os, une fable initiatique qui suit le parcours d'une jeune inuite au pays des glaces. Uqsuralik est encore une jeune fille et l'album s'ouvre avec l'apparition de ses premières règles. Elle va se faire surprendre par la banquise qui se brise et l'éloigne de l'igloo familial. Elle se retrouve seule, séparée des siens, en pleine nuit arctique. Elle n'a pour compagnons que quelques chiens et il va lui falloir "chasser avec eux, apprendre d'eux, ou bien mourir par eux, il n'y a pas d'autre choix possible". Après plusieurs jours de marche et de survie difficile, elle rencontre un autre groupe d'humains, plusieurs familles à géométrie variable comme le veut la coutume, mais avec des "femmes mal tatouées et des chasseurs maladroits". Ils l'accueillent car "quiconque peuple la banquise par une telle nuit est le bienvenu" et ils vont l'appeler Arnaautuq ce qui veut dire garçon manqué. Elle n'est pas forcément la bienvenue, c'est une bouche de plus à nourrir et l'un des hommes va même la "couper en deux". L'album est précédé de la réputation du roman bien sûr (prix du roman Fnac 2019), mais ce sont surtout les superbes aquarelles de Krassinsky qui vont appâter l'amateur de BD. De véritables peintures qui se déploient sur de grandes pages (au format presque carré) avec des tableaux tantôt grandioses, tantôt intimes. On passe des étoiles sur la banquise glacée aux fleurs sur la toundra verdoyante au printemps. Ces magnifiques dessins comptent pour beaucoup dans le charme envoûtant de cette aventure écrite au féminin. Au cours de ce grand voyage initiatique, la jeune fille deviendra femme, mère, chasseuse et même chamane. La survie de ces nomades est réglée sur les saisons, la chasse et la pêche. Et là-bas on est obligé de compter les bouches à nourrir avant l'hiver aussi précisément que les réserves de gibier. L'album est généreux (200 pages) et le lecteur verra défiler les saisons puis les années, les générations. À travers Uqsuralik et ses multiples rencontres, le texte, adapté du livre de Bérengère Cournut, va nous permettre de découvrir les coutumes, les traditions, les chants et les superstitions du peuple de l'arctique. C'est un très beau voyage, éprouvant, émouvant.

25/04/2025 (modifier)
Couverture de la série Seuls sont les indomptés
Seuls sont les indomptés

Bon, j'arrive après la bataille. Les cinq avis précédents oscillent entre 3/5 et 4/5. Je les ai lus, et j'ai compris ce que tous ont "aimé" et "pas aimé" dans cette BD. Alors oui le film avec Kirk Douglas, oui le livre d'Edward Abbey, oui tout ça. On a vu le film (un grand souvenir d'enfance pour moi), lu le livre (pas mon préféré d'Abbey, mais quand même), et, forcément, quand on a vu la couverture de la BD chez son libraire préféré, ben on s'est dit "banco". Résultat : je le dis en toute franchise, et c'est une première pour moi : voilà l'un des rarissime cas où la BD est supérieure au livre. Rien de moins. Et pourtant, j'adore Abbey, ses clefs à mollette, ses déserts perdus, ses héros fatigués du monde… Mais là, Max de Radiguès et Hugo Piette livrent non pas une adaptation, mais une réécriture de la trame du roman. Une version surexposée (merci les couleurs), aiguisée jusqu'au fil, une réduction au sens culinaire du mot : on chauffe, on chauffe, on élimine la flotte et le superflu pour garder le suc, l'ampleur de l'histoire, l'odeur du sable et des cailloux, le rat-rat-rat des pales d'hélico, le refus de la jument Whisky face à chaque obstacle. Bon sang, c'est virtuose… Alors oui, c'est pas Usual Suspect et la fin ne cueille pas le spectateur. Mais faudrait pas oublier que c'est le second roman d'Abbey, écrit à 29 ans. Oui, encore, il ne s'était pas foulé pour le titre. Se contentant d'un "The brave cowboy" qui ne risquait pas d'attiser la curiosité des lecteurs un peu exigeants. Mais cette version là, cette BD solaire et crépusculaire à la fois, moi je la veux sur mon étagère. Et je l'offre aux amis à qui je suis sûr de faire plaisir.

18/04/2025 (modifier)
Couverture de la série Les Nuits de Saturne
Les Nuits de Saturne

J'ai dévoré avec avidité cette adaptation d'un roman noir de Marcus Malte. Je ne connais pas l'œuvre d'origine mais Gomont lui fait honneur de brillante façon. J'ai été happé dès les premières planches par cette ambiance glauque que le graphisme de l'auteur retranscrit à merveille. Il y a beaucoup d'inventivité dans la poursuite de ces deux récits en parallèle des couples Clovis/ Nathalie et Clovis/Cesaria. Les sauts temporels soulignés par une très légère différence de couleurs sont introduits de manière si ingénieuse que la fluidité du récit reste parfaite. Gomont s'arrange à créer un équilibre qui fait monter l'intensité dramatique de façon similaire dans chacune des deux histoires. J'ai donc autant été passionné par l'histoire Brigade Rouge que par le road trip avec Césaria. Si Clovis est un personnage classique et attachant même dans ses actions troubles, j'ai beaucoup aimé l'opposition des personnages Nathalie/Césaria. Ces deux personnages s'inscrivent parfaitement dans les époques décrites, les années de plomb puis les années SIDA. Au milieu de ces ambiances mortifères il y a ces deux histoires d'amours improbables et inabouties car secondaires pour un Clovis aveugle. Le graphisme de Gomont est entièrement synchrone avec l'esprit du roman. Les expressions sont très bien travaillées avec un Clovis taiseux, une Nathalie fofolle et une Césaria profonde. Le final m'a bouleversé pour conclure une lecture qui m'a séduit de bout en bout. Un top pour ce genre.

12/04/2025 (modifier)
Par Andecavii
Note: 4/5
Couverture de la série Fauve - L'Exorciste du Louvre
Fauve - L'Exorciste du Louvre

Fauve Navarre est exorciste pour le musée du Louvre. Elle utilise sa capacité à communiquer avec les œuvres d'art pour aider ces dernières a maîtriser leurs émotions, causées par leur auteur ou les visiteurs. Chapitre après chapitre, elle règle les problèmes qui se présentent à elle, et nous (re)fait découvrir l'histoire derrière une création. Sous couvert de fantastique, Paula Andrade nous donne un petit cours d'histoire de l'art et nous permet de mieux connaître les œuvres "classiques", en nous racontant pourquoi ou comment elles ont été créées. L'exorciste calme les tableaux ou sculptures, et avec des anecdotes nous explique pourquoi ils génèrent de si grandes émotions. Chaque "problème" à traiter est court, réglé en 1 ou 2 chapitres, et c'est à nous ensuite d'approfondir si on le souhaite avec d'autres lectures, ou tout simplement, une visite au musée ! Cela peut être frustrant, mais on évite aussi un trop-plein d'informations qui pourrait nous sortir de la lecture plaisir, et cette manière de faire rend le manga plus accessible aux petits lecteurs. (je me tâte d'ailleurs à le proposer pour un prix des lecteurs lycéens) Les personnages ont des personnalités bien marquées (fantasque, blasé, sauvage, et tous passionnés par l'art), et les touches d'humour allègent le ton. En espérant que l'autrice n'en abusera pas à l'avenir, pour garder l'histoire centrée sur les œuvres plus que sur la vie des personnages. Un début de série qui donne envie d'en lire plus !

04/04/2025 (modifier)
Par karibou79
Note: 4/5
Couverture de la série La Trilogie Nikopol
La Trilogie Nikopol

Je viens de relire cette série m'ayant marqué il y a plus de 25 ans, comme tout lecteur je pense (en bien ou en mal). Un dessin unique, un univers immersif (je ne connaissais pas encore la bande de Métal Hurlant), tant de codes de BD brisés... Wow! Et pourtant, plus j'avançais dans les albums et moins j'y comprenais. En effet, j'avais lu les 3 albums d'une traite, une oeuvre s'étalant sur 10 ans et reflétant l'évolution de l'auteur qui passe de dessinateur BD pur à celui d'artiste complet, à la manière de Giraud devenu Moebius. Du tome 1 purement SF et dystopique, on passe à un tome 2 plus romancé et un tome 3 onirique. Point de vue graphique, un découpage en gaufrier fait place à des cases de plus en plus grandes, les planches devenant des tableaux, les coups de fusain se faisant de plus en plus voyants. Même en lisant les albums l'un après l'autre, l'oeuvre demande une acceptation à suivre Bilal qui tantôt nous tient par la main et tantôt nous abandonne dans sa forêt mentale, remplie de névroses de toutes sortes. C'est fou de voir que ces 3 albums laissent voir ce que Bilal avait fait avant (par exemple Mémoires d'outre-espace) ou fera ensuite (Bug me vient de suite à l'esprit), un artiste toujours en doute de lui et de notre monde. L'oeuvre est dépressive mais offre de beaux moments de répits comiques ou d'action. Comment prendre au sérieux ces Dieux égyptiens en quête de carburant pour leur pyramide ? Pourtant gare à Horus narguant ses pairs comme nous autres simples mortels insignifiants (pourtant, à bien y regarder, qui souhaiterait vivre dans leur Olympe dépeuplé, condamné à des séances de sauna éternelles ?). Vraiment une oeuvre marquante que j'aurai noté différemment suivant la date de lecture ou la découverte tome par tome. Dans tous les cas, une série qui mérite une belle place dans l'histoire de la BD.

26/03/2025 (modifier)
Couverture de la série Dans un rayon de soleil
Dans un rayon de soleil

J'avais beaucoup aimé Sur la route de West de la même autrice et j'ai donc décidé de m'essayer à ses autres créations, en commençant par cet album. Bon, je vais rentrer dans le vif du sujet : j'ai adoré ! Tellement de choses à dire, si peu de mots pour les décrire. Je rejoins ce que dit Gruizzli : comment bien résumer cette histoire sans perdre les personnes ne connaissant pas ou n'ayant jamais lu de récit de ce genre ? Bon, on va essayer quand-même ! C'est un space opera, mêlant ici science fiction et fantaisie. C'est de la science fiction délirante : on joue à des sports qui nous paraissent étranges, la population humanoïde semble être peuplée uniquement par des personnes AFAB, les recoins de l'univers ont des noms cocasses, les vaisseaux ont des formes de cétacés, les planètes sont étranges et magnifiques, ... L'histoire est une quête personnelle, la quête presque insensée d'une personne entrainant et déclenchant une remise en question et une évolution dans la vie de tous-tes les autres membres de son équipage. L'histoire parle de sentiments, d'amour, de regrets, de conséquences, d'aller de l'avant. Toute cette esthétique spatiale est parfaite pour appuyer le sentiment de perdition des personnages. Iels sont perdu-e-s, errent, fuient en avant, mais se cherchent aussi et cherchent à changer leur vie, à être heureux-ses. L'histoire est sincèrement touchante. Le récit est construit sur plusieurs temporalités, on revient souvent sur des évènements passés dans des sortes de flashbacks afin de mieux comprendre comment tel-le ou tel-le personne est arrivé-e là où iel est. La mise en scène joue habilement avec ces moments, ne nous révélant bien évidemment certaines informations passées qu'au moment le plus efficace, le plus marquant, et jouant même à quelques petits moments sur des superpositions temporelles. C'est prenant, rythmé et fluide de bout en bout. Je ne peux que vous conseiller la lecture (ne vous laissez pas décourager par la taille de l'album). Personnellement, j'ai eu un énorme coup de cœur, et je m'en veux sincèrement de ne pas oser vous en raconter davantage, mais je pense que l'album gagne à être découvert à l'aveugle. Une histoire touchante, un dessin et un jeu des couleurs magnifiques, quelques larmes versées, la recette pour un bon coup de cœur. Seul bémol à mes yeux : l'œuvre contient un personnage non-binaire (personnage très sympathique d'ailleurs), mais la traduction française n'arrête pas d'employer le pronom "iel" entre guillemets. Alors, quand il s'agit d'appuyer ou de citer ce mot je peux comprendre, mais à chaque utilisation j'ai vraiment trouvé ça bizarre. En fait, pour une (excellente) scène où un personnage tient un très beau discours sur le respect d'autrui et la nécessité de respecter ce qui est important à autrui et non pas qu'à nous-même, c'est quand-même con que le personnage emploi plusieurs fois le mot "iel" entre guillemets, ostracisant par là-même Ellie qu'elle essayait pourtant de défendre. Un pronom c'est juste fait pour remplacer un nom, donc là ça reviendrait à ne prononcer le nom que d'une seule personne entre guillemets, ce qui à l'oral se traduirait par un insistance sur ledit nom. Avouez que ça donnerait l'impression d'ostraciser voire de ridiculiser le nom de la personne, non ? Bon, c'est toujours mieux que les nombreuses VF sur lesquelles je suis tombée et où les pronoms neutres et les personnages non-binaires étaient tout bonnement effacés du scénario. On progresse petit à petit, je suppose... L'album m'a tellement touché que je passe outre le défaut de la VF pour ma note. Cinq étoiles, je n'ai pas honte de les lui donner, il les vaut.

18/03/2025 (modifier)
Par grogro
Note: 4/5
Couverture de la série Le Chanteur perdu
Le Chanteur perdu

Décidément, Didier Tronchet ne cesse de m'étonner. Le virage plus personnel entrepris avec sa BD Là-bas est tout à fait singulier. Adolescent, je n'ai jamais trop accroché avec son univers. Sans doute étais-je trop jeune, et son humour trop mature pour moi alors. C'est grace aux chroniqueurs précédents que je me suis lancé dans cette lecture, occasion de redire combien BDthèque est quand même très très bien... Le chanteur perdu m'a séduit pour plusieurs raison. D'abord parce qu'elle ravive la mémoire d'un jeune prodige oublié de la chanson qui m'était totalement inconnu. Longtemps, j'ai boudé la chanson française qui pour moi représentait le monde d'avant, le monde de mes parents. Depuis, j'ai eu l'occasion de réparer mon erreur, notamment en découvrant le répertoire d'un certain Pierre Perret, auteur de grand talent dont les chansons splendides parviennent à me tirer les larmes (écouter sa chanson Ma femme pour s'en convaincre). Et c'est là une autre raison de mon enthousiasme pour Le chanteur perdu : on apprend que c'est le même Pierre Perret qui a produit à l'époque le seul et unique disque du fameux chanteur qui s'appelle en réalité Jean-Claude Rémy. Bien entendu, il y a d'autres motifs de satisfaction. Cette histoire vraie est très touchante, également très bien racontée. Tronchet y maintient tout le long un certain suspens non sans se départir d'une certaine autodérision. Ce récit personnel prend la forme d'une enquête haletante à l'échelle de l'intime, et plus arrive la fin, plus on doute avec l'auteur. On sent une réelle montée en tension. C'est superbe. Je terminerai en conseillant à tout le monde d'aller regarder sur Youtube la vidéo de Didier Tronchet et Jean-Claude Rémy chantant ensemble sur la petite île du bout du monde évoquée dans la BD. J'en suis encore tout retourné !

15/03/2025 (modifier)