Mens agitat molem.
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Ce tome contient une histoire complète, de nature biographique. Son édition originale date de 2024. Il a été réalisé par Nicolas Barral pour le scénario, les dessins et les couleurs, avec la participation Marie Baral pour les couleurs. Il comprend cent-trente-et-une pages de bande dessinée. Il s’ouvre avec une introduction de Simño Cerdeira. Il se termine avec une photographie de la malle remplie de manuscrits de l’écrivain, et une page comprenant une bibliographie recensant trois ouvrages sur l’écrivain, et huit ouvrages de l’écrivain, ainsi que la liste des ouvrages de Barral chez le même éditeur et chez d’autres éditeurs.
Lisbonne, en 1935, Fernando Pessoa est en consultation chez son médecin qui lui annonce que son foie est très abimé. Le poète regarde le chantier de la cathédrale Sainte-Marie-Majeure. Il demande au docteur s’il a déjà pris l’ascenseur. Il explique que celui-ci a été créé par un ingénieur français, Raoul Megnier, et appartient à la compagnie des tramways électriques. Il dessert le Largo du Carmo. Le billet pour accéder tout en haut est un cher, mais quel panorama ! Le médecin ne se laisse pas distraire : il indique qu’il est très sérieux et qu’il va falloir qu’il hospitalise Pessoa. Ce dernier lui répond qu’il doit lui faire une confidence : il est immortel. Le médecin ne s’en laisse toujours pas conter et il ajoute qu’en attendant il adresse l’écrivain à un confrère à l’hôpital Saint-Louis des Français, il lui conseille de prendre ses dispositions. Pessoa sort du cabinet, et il salue un homme habillé de tout de noir dans la salle d’attente. En descendant dans l’escalier, il tousse et crache un peu de sang dans son mouchoir. Il sort dans la rue, et il marche sur le motif pavé de vagues de la place du Rossio. Son esprit se met à vagabonder.
Fernando Pessoa se souvient d’un épisode de son enfance, en 1936 sur un navire de ligne au large du cap de Bonne Espérance. Il était dans une cabine avec sa mère et elle lui lit une histoire pour l’endormir : celle du chevalier de Pas qui plonge dans les douves pour échapper aux gardes du château, et qui reste sous l’eau en utilisant un roseau pour respirer. Le jeune garçon s’endort paisiblement en suçant son pouce. La mère va s’assoir sur le lit en face, regarde le portrait d’un homme qu’elle a sorti de ses affaires, et sort un calepin où elle écrit un court poème destiné à cet homme. Puis elle prend son châle, et elle sort prendre l’air. Le bruit de la porte réveille Fernando et il lit le poème d’amour. Il déchire le poème car il comprend qu’il est destiné au nouvel amoureux de sa mère alors qu’elle avait promis de n’aimer qu’un seul, son défunt mari, le père de Fernando. La mère rentre dans la cabine à ce moment et elle est prise de colère. Elle récupère la feuille déchirée, et elle jette le ballon de son fils par le hublot. Geste qu’elle regrette immédiatement et elle demande pardon à son fils. 28 novembre 1935, à Lisbonne au petit matin, dans la salle de rédaction du Diario de Lisboa, le rédacteur-en-chef M. Da Silva comprend qu’il va falloir rédiger une nécrologie. Il la confie à Simão Cerdeira.
Fernando Pessoa (1888-1935), écrivain et poète portugais : pas forcément un auteur connu du lecteur, une référence dans son pays d’origine. En fonction de sa familiarité avec cet auteur, le lecteur comprend immédiatement que le récit commence à quelques jours de son décès, et il constate qu’il revient en arrière de temps à autre. Il apparaît plusieurs personnages au temps présent : Pessoa lui-même, Simão Cerdeira un jeune pigiste et écrivain débutant, qui va à la rencontre de personnes ayant connu le grand homme, Rosa la secrétaire du journal Diario de Lisboa, Henriqueta Nogueira la sœur de Fernando Pessoa, et quelques personnages plus secondaires comme son barbier, M. Da Silva rédacteur-en-chef du quotidien, ou Artur Portela qui a connu Pessoa, le ministre António Ferro (1895-1956), la jeune secrétaire Ofelia Queiroz. Dans le passé, apparaissent rapidement la mère de Fernando, les amis avec lesquels il a fondé la revue Orpheu, le second époux de sa mère. Le lecteur ne prête pas forcément attention au monsieur dans la salle d’attente du médecin. Il est représenté avec la même approche réaliste que les autres personnages : un visage un peu simplifié pour en faciliter la lecture et l’identification, une morphologie tout ce qu’il y a de plus ordinaire. Il est surpris de le retrouver en page cinquante-cinq alors que Pessoa se promène dans un cimetière.
Le récit s’ouvre avec un dessin qui occupe les deux tiers de la page, sous le rappel du titre : une vue du sommet de l’échafaudage qui entoure le sommet d’une des deux tours de la cathédrale en rénovation, et une vue des derniers étages et des toits de ce quartier de Lisbonne. L’artiste prend soin de représenter la ville telle qu’elle était à cette époque, avec une approche descriptive et réaliste : les motifs du pavage de la place du Rossio, différentes rues de Lisbonne avec son tramway, un café, les installations portuaires, un grand parc, les quais, un cimetière, la cathédrale, et plusieurs intérieurs comme l’appartement de Pessoa, le cabinet du docteur, la salle de rédaction du Diario de Lisboa, une chambre d’hôpital, etc. Ces dessins peuvent devenir très détaillés pour insister sur un élément : par exemple, la métallerie de la construction permettant d’accéder à la tour de la cathédrale. Il fait preuve du souci de l’authenticité historique, à la fois dans les éléments urbains, à la fois dans les accessoires de la vie quotidiennes et dans les tenues vestimentaires. Le dessinateur utilise des traits de contour pour délimiter les personnages et les éléments du décor, avec une épaisseur parfois un peu plus appuyée, et un souci de lisibilité, de ne pas surcharger les cases. Il réalise une mise en couleurs naviguant entre le réalisme et une approche plus impressionniste, en particulier pour accompagner Pessoa et ses états d’âme, restreignant alors sa palette majoritairement des tons ocre et marron. Il fait preuve d’une sensibilité particulière pour la direction d’acteurs, en particulier pour le langage corporel du poète qui apparaît comme fragile et précautionneux, posé et mesuré.
Dès le départ, le lecteur apprécie la place laissée à la narration visuelle. Il remarque que la troisième planche est muette, laissant ainsi les dessins porter toute la narration. L’auteur a ainsi réalisé vingt-quatre planches muettes, avec des moments insoupçonnables comme une filature (Simão Cerdeira emboîtant le pas à Pessoa pour savoir où il se rend), et une tuerie à l’arme à feu dans cette structure métallique autour de la cathédrale. Le dessinateur met à profit des dispositifs visuels comme le motif du pavage qui rappelle les vagues à Pessoa, suscitant ainsi la remontée d’un souvenir d’enfance. Ou encore la possibilité d’inclure un personnage fiction, le chevalier Pas se tenant aux côtés de Fernando enfant. La mystérieuse présence de papillons virevoltant dans la chambre de son appartement : entre symbole et métaphore de la manifestation de l’inspiration et de la liberté fragile de création. Des pages où la mise en couleurs se restreint à des teintes bleutées correspondant à des scènes dans le passé. Ou encore la vie d’un personnage de fiction, Bernardo Soares, représenté dans le même registre réaliste que celle de Fernando Pessoa, l’auteur. Soucieux de la compréhension de son lecteur, l’auteur fait expliquer la notion d’hétéronyme par Artur Portela à Simão Cerdeira. Le lecteur se souvient alors de l’homme dans la salle d’attente du médecin.
Dans un premier temps, la démarche de l’auteur apparaît comme étant de relater les derniers jours de l’écrivain, de le mettre en relation au regard des personnes qu’il côtoie. Dans un second temps, le lecteur comprend que la scène en 1936 du voyage en bateau, celle de la rencontre avec Ofelia Queiroz, ou encore d’un repas de famille correspondent à des moments que Nicolas Baral a jugés comme déterminant dans la vie du poète, à la fois dans la construction de sa personnalité, à la fois dans sa vocation d’écrivain et de ce qu’il souhaite exprimer. Dans un troisième temps, il saisit également leur fibre psychanalytique, particulièrement émouvante concernant le ballon jeté par le hublot en page quatorze, un acte qui traumatise le jeune garçon comprenant que sa mère le punit en lui faisant mal. Toutefois en page soixante-six, Pessoa entreprend d’expliquer l’importance de la littérature à son barbier, en lui demandant de décrire un ballon, ce qui apporte une tout autre perspective audit traumatisme. En page trente-deux, Artur Portal explique la notion d’hétéronyme à Simão Cerdeira, une marque de fabrique de l’écrivain. Ainsi le lecteur néophyte peut comprendre ce qui se joue au cimetière, puis dans plusieurs scènes après. L’auteur met ainsi en scène les déclarations mêmes de Pessoa quant à la réalité de ces hétéronymes, ce qui a pour effet de donner à voir au lecteur ce pan de sa vie tel que l’écrivain lui-même le ressent. Avec ces différentes composantes, ce récit biographique amalgame les faits avec la vision d’auteur de Fernando Pessoa, et sa méthode d’écriture.
Les auteurs de bande dessinée biographique naviguent entre la transcription factuelle et académique des faits, parfois alourdie par de copieux cartouches, et une interprétation à l’aune des œuvres de l’artiste. Ici, l’auteur sait combiner ces deux façons d’appréhender une telle biographie, avec une narration visuelle descriptive consistante et légère à la fois, et un tour de main élégant mêlant harmonieusement les faits avec les intentions de Fernando Pessoa, l’impact émotionnel et psychologique de certains événements et le carburant créatif qu’ils constituent. Inspirant.
Comment est-il possible que le citoyen Allemand moyen ait pu tolérer, accepter, voire encourager les horreurs nazies commises autour d’eux au quotidien ? C’est une question judicieuse dont les historiens et sociologues débattent beaucoup depuis des décennies.
« Irmina » apporte sa pierre à l’édifice de cette réflexion, un début d’explication, une fenêtre sur la vie d’une jeune femme qui a vraiment existé, et dont le destin interpelle. On observe sa lente transformation, son assimilation « malgré elle » au système de pensée nazi. L’autrice réussit à rendre sa vie crédible, sa passivité logique, inévitable… la fin est effectivement juste et touchante, alors que Irmina se retrouve forcée de faire un bilan finalement assez douloureux et rempli de regrets.
La mise en image est magnifique, j’ai pris beaucoup de plaisir à visiter Londres, Oxford, Berlin, et enfin Bridgetown.
Un excellent moment de lecture.
Adaptation quasiment mot pour mot du Podcast éponyme, on y suit le parcours d'Anne Bonny la célèbre pirate qui raconte son histoire au soir de sa vie.
Entre récit fantasmé et envie de décrire le plus fidèlement possible l'aventure d'une femme (dans toute sa complexité).
Le dessin est dynamique et trés agréable dans l'ensemble, même s'il manque un peu d'iconisation des personnage. Mais c'est aussi dû a une certaine faiblesse du scénario. En effet on ne connait pas le destin d'Anne Bonny après son procès (mort, évasion, survie ?), et finalement sa période de piraterie a été de courte durée. Et c'est la force est la faiblesse du livre : force pour son ancrage historique et faiblesse pour son manque d'épique.
Mais l'ensemble a marché sur moi, même pour l'intervention des historiens que j'ai trouvé intéressante (bien qu'il manque une conclusion à celle ci), permettant de prendre du recul sur le récit et de le remettre ne perspective.
Il aurait utilisé quelque chose de plus ingénieux, de plus complexe…
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Ce tome est le premier d’un diptyque de la reprise d’une série Bruce J. Hawker créée par William Vance en 1976, comprenant sept tomes parus de 1979 à 1987. Son édition originale date de 2024. Il a été réalisé par Christophe Bec pour le scénario, et par Carlos Puerta pour le dessin et les couleurs. Il comprend soixante-deux pages de bande dessinée.
Dans la forêt de Chizé, Haut-Poitou, dans la nuit du douze octobre 1307 : un groupe de templiers a établi son campement pour la nuit, certains sont encore sur leur monture. Aymeric, un cavalier, s’adresse à un autre pour lui indiquer qu’ils doivent prendre la mer avant le lever du jour, et lui demandant s’il est certain que frère Hughes va bien les rejoindre. L’autre lui enjoint de garder la foi, ils ont encore du temps, le crépuscule vient à peine de tomber, et il est certain que le frère a lui aussi pris la fuite. Il continue : Le Seigneur ne les abandonnera pas, Il guide les pas de Hughes de Chalons jusqu’à eux. En effet, un soldat vient leur annoncer que frère Hughes approche avec trois charrettes recouvertes de paille. Chaque cavalier revêt un lourd manteau informe pour cacher leur blason. Il ne faut pas qu’ils risquent d’être découverts une fois hors de cette forêt. Ils continuent d’échanger des consignes et des informations. Ils doivent gagner le port de la Rochelle, là où leurs nefs les attendent. Ils se demandent si frère Jean saura garder le secret, tout en étant sûrs qu’il sera supplicié. C’est le sort réservé par Guillaume de Nogaret à beaucoup de leurs frères. Le roi les accuse d’idolâtrie et de sodomie. Philippe le Bel ne veut pas seulement l’anéantissement de leur ordre, il veut aussi leur mort. Alors qu’ils arrivent au port, deux dockers identifient le maître précepteur, et il en déduit que les charrettes sont chargées du trésor du visiteur général. Les templiers sont prêts à prendre la mer les coffres remplis d’argent, avec les archives et les artefacts ramenés de Terre sainte placés dans la cale, et les cartes vikings.
Vendredi treize octobre 1307, sur l'île aux Juifs, à Paris, tous les templiers de France sont arrêtés sur ordre du roi Philippe IV. Dix-huit mars 1314, Jacques de Molay est exécuté, sur un bûcher dressé et il prononce sa malédiction. Le vingt-huit août 1803, dans la baie de Gibraltar, mister Dunn explique l’origine mythologique de cette formation à Bruce J. Hawker : Merlqart est l’équivalent d’Hercule pour les phéniciens, dans les légendes il aurait brisé les chaînes de l’isthme et percé une brèche divine dans la masse montagneuse mariant ainsi les eaux de l’océan et celles de la Méditerranée. Hawker le remercie et se félicite d’avoir à son bord en qualité de second quelqu’un d’aussi érudit. Il regrette de ne pas en dire autant de ce jeune loup des Royal Marines, le lieutenant Lowe. Il n’a jamais trop apprécié les soldats d’infanterie blanchis à la terre à pipe, car ils ne voient guère plus loin que la pointe de leur baïonnette. Dunn ironise que le lieutenant sait bien pourquoi ils ont des marines à bord : car les chèvres sortiraient trop facilement du lot. Hawker monte dans le canot qui doit l’amener à bord du Victory où il est attendu par l’amiral Nelson.
Un exercice délicat : la reprise d’une série qui a laissé une empreinte dans la mémoire collective, majoritairement du fait de l’implication de son créateur et auteur, de sa personnalité. En entamant ce tome, l’horizon d’attente du lecteur comprend une aventure maritime, un personnage principal droit dans ses bottes, sans beaucoup de personnalités, et bien sûr des références aux aventures originales. Les auteurs répondent à ces attentes. Bruce J. Hawker est égal à lui-même : un beau jeune homme, bien fait de sa personne, à la silhouette un peu guindée, avec une chevelure fournie blond platine. Au détour d’une discussion, un marin du Lark mentionne l’âge du lieutenant : vingt-trois ans, ce qui correspond à la création de William Vance. Il est fait mention des aventures des deux premiers albums : la mission du Lark sous les ordres de Hawker, et même l’anecdote selon laquelle il aurait sauvé la vie de l’amiral Nelson. Celle-ci est évoquée par l’amiral directement avec Hawker, avec une certaine froideur. Au cœur des aventures originales se trouvaient la nationalité du héros et sa qualité de militaire. Le lecteur retrouve ces caractéristiques au début du récit elles revêtent moins d’importance dans la deuxième moitié de ce tome. Enfin, il retrouve la responsabilité de commander un navire britannique, soumis aux conséquences de croiser un bâtiment ennemi. Indéniablement les auteurs ont lu les récits de William et veillent à en respecter l’esprit.
En fonction de sa sensibilité, le lecteur attend peut-être une forme d’intrigue plutôt qu’une autre. Le scénariste a choisi de faire partir le héros depuis Gibraltar, et de l’envoyer vers le nouveau monde. En cela, il s’écarte du schéma des sept tomes précédents, tout en conservant le principe que Bruce J. Hawker que la responsabilité militaire d’un navire le place dans des situations périlleuses et il assume pleinement les responsabilités de sa charge, recourant à la violence comme à la discussion. La dynamique de l’intrigue repose sur la recherche d’un trésor. L’auteur se sert du mythe du trésor des templiers, et des différentes hypothèses historiques. Il évoque en trois cases autant de faits historiques : le départ de la flotte des templiers, l’arrestation des templiers, l’exécution de Jacques de Molay (1244/49-1314) vingt-troisième et dernier maître de l’ordre du Temple, sans mention explicative, en tenant ces faits comme connus du lecteur. En fonction des événements historiques, il les mentionne comme connus de tout le monde, ou il les complète d’une brève mention. Le lecteur voit ainsi Horatio Nelson (1758-1805) le temps d’une scène, Jacques de Molay le temps d’une case, et Félicité de Lannion (1745–1830), comtesse de la Rochefoucauld joue un rôle important dans le récit (reprenant ainsi l’habitude d’avoir un personnage féminin fort). Enfin, le scénariste reprend l’hypothèse des voyages de Le chevalier Henri Sinclair (1355-1404).
Le lecteur peut être familier de la personnalité graphique de l’artiste avec ses précédentes séries, comme Baron Rouge (trois tomes, 2012-2013-2015) avec Pierre Veys, Maudit sois-tu (trois tomes, 2019-2021-2022) avec Philippe Pelaez, Jules Verne et l’astrolabe d’Uranie (deux tomes, 2016-2017) avec Gil Esther. La première planche s’avère très caractéristique de son approche : une mise en couleurs très sophistiquée, apportant une sensation de rendu photographique pour certains éléments, ou relevant d’une impression donnée par un camaïeu. Dans la première catégorie, le rendu s’avère saisissant quand il reproduit à la perfection la texture de la roche pour Gibraltar, les vaguelettes de la mer, ou encore les brins d’herbe dans une vaste étendue verdoyante. Dans la deuxième catégorie, il réussit à donner l’impression d’un ciel de tempête avec un camaïeu de gris et de fines zébrures, des habits dégoutant d’eau dans la tempête par un jeu de bleus, une terre à l’horizon par des formes vertes indistinctes, ou encore une feuillage vert tel que le lecteur peut s’imaginer en avoir la perception dans le lointain. L’artiste joue de la même manière avec la façon de représenter les visages, en rendu quasi photographique, ou une approche plus classique avec trait de contour, hachure et mise en couleur. Il est possible que le lecteur ait besoin de disposer d’un temps d’adaptation pour accepter ces fluctuations au sein d’une même page. Pour autant, la maîtrise graphique a tôt fait de l’enthousiasmer en mariant ainsi des descriptions d’un rare réalisme avec des ambiances relevant plus des sensations.
Le lecteur se sent vite emmené aux côtés de Bruce J. Hawker dans une vraie aventure, plausible, avec des moments attendus (bataille maritime, emprisonnement à fond de cale, recherche d’un trésor, tempête en plein océan), avec un enjeu de taille dans un contexte historique nourri et développé. Il fait l’expérience de deux créateurs en phase, au point de ne faire qu’un, avec des moments mémorables : la première apparition du navire avec ses voiles blanches ornées de croix rouges, le médecin préparant ses instruments dans le pont inférieur, les canons crachant le feu, le navire bringuebalé par les vagues immenses, le feu de Saint Elme, un navire vu du ciel à la verticale, la végétation luxuriante, la découverte de la forme artificielle d’un marais, le ciel nocturne embrasé par les fusées volantes, etc. Il se rend compte que la narration présente une densité élevée : à la fois par le volume d’informations contenues dans les dialogues, et au cours d’une ou deux explications plus longues, à la fois par les éléments visuels. Parfois, il lui semble que le scénariste tient à rentrer dans le détail, afin de rester concret et plausible, qualité qui se propage aux éléments fictionnels. Le dessinateur en fait de même de son côté. Cela peut avoir pour effet d’amoindrir la dimension spectaculaire de certaines moments (par exemple la découverte des restes de la charpente d’un navire enterré, qui n’est que le résultat de jours et de semaine du dur labeur de pelletage). À d’autres moments, cela rehausse un événement, comme la découverte de la fuite nocturne des prisonniers anglais.
La promesse de découvrir un héros emblématique d’une série, ou de le retrouver, dans une interprétation différente par de nouveaux créateurs : un pari à double tranchant, entre la certitude de ne pas faire aussi bien que l’équipe originelle, et l’obligation de reprendre les éléments caractérisant la série. Bec & Puerta remplissent cette seconde condition : la beauté et la froideur de Bruce J. Hawker, des scènes de mer, une dynamique conflictuelle entre Anglais et leurs ennemis de l’époque, un ancrage dans une époque historique. L’artiste se montre aussi ambitieux que William Vance, tout en conservant ses propres caractéristiques visuelles, peut-être en deçà pour rendre l’océan vivant, peut-être plus convaincantes pour le réalisme. Le scénariste intègre et cite des éléments des précédentes aventures, tout en emmenant le personnage plus loin qu’il n’a jamais navigué. Une histoire solide pour elle-même, respectant les conventions de l’hommage, tout en prenant des libertés. Un beau voyage exploratoire.
Pouah pouah pouah mais quel BD. Un vrai coup de cœur !!
J’en ai lu des chouettes trucs de 2024 mais pour l’instant cet album sort clairement du lot. Il semble être malheureusement passé un peu inaperçu mais si je n’avais qu’un mot à dire, c’est : Foncez !
C’est une œuvre qui vous surprendra et vous charmera. Une petite pépite venue d’Égypte.
C’est rempli de spontanéité, de fraîcheur, d’émotions, d’intelligence, de trouvailles, de surprises … une lecture tout simplement excellente et magnifique. Je l’ai lu en 3 soirées et en espérant que ça ne s’arrête jamais.
Je vous renvoie au bien bel avis de Spooky pour en connaître davantage (que je remercie pour la découverte). Je passe juste pour vous encourager à tomber dessus le plus rapidement possible (pourquoi pas pour le prix bdtheque ? ;) ça serait mérité.
J’en suis sorti franchement bluffé, une autrice à suivre et de grands talents. Bravo à elle !!
J’ai adoré son univers et le soin apporté : c’est ponctué d’articles, chiffres dans la veine de doggybags ; il y a une belle variété dans le trait et couleurs (ne vous arrêtez pas à la galerie ou couverture) ; le message transmis est superbe, l’usage du conte judicieux, les personnages magnifiques …
Bon vous l’aurez compris je suis plus qu’enthousiaste, il s’en dégage une magie indéniable, je n’ai rien à redire. Plus qu’une bouffée d’air frais, une véritable bouteille d’oxygène.
Merci Mme Mohamed.
Oh, le joli coup de foudre que voilà !
J'ai ouvert cette série par hasard, attirée initialement par la jolie petite bouille de la protagoniste sur les couvertures. Bonne pioche, j'ai envie de dire.
La série parle de Violette, jeune circassienne, fille d'une femme canon aux formes aussi rondes que son sourire et d'un éminent entomologiste reconverti en dompteur d'insectes, qui se questionne et s'émerveille sur sa vie. Sur la vie, et sur le beau aussi.
La série parle beaucoup du beau, en faisant intervenir de nombreux artistes (physiquement ou par citation), mais surtout en faisant de la beauté de ce qui nous entoure le sujet principal de l'œuvre. On nous parle de la beauté de la vie, dans sa simplicité, ses petits détails, et surtout dans ses gens. Celleux qui nous entourent, celleux que l'on croise un instant, celleux qui restent et celleux qui nous quittent. Le troisième album, tournant autour de la mort imminente de Papi Tenzin, figure paternelle du cirque, m'a faite pleurer. Tout cette succession d'anecdotes de moments clés de la vie de ce cirque, du rôle sympathique et pourtant si banal qu'a joué ce grand-père dans la vie de son entourage m'a fait pleurer, mais pleurer. A chaudes larmes.
La beauté de cette série ne tient pas qu'à son récit ou a ses personnages aux designs simples mais adorables, elle tient aussi et surtout aux textes, ou plus précisément à la narration de Violette, poète dans l'âme sans le savoir. Ses petites réflexions sur sa vie, sur les évènements qu'elle vit, et les mots qu'elle choisit pour leur donner sens dans son esprit sont beaux. J'ai peur de paraître hyperbolique quand je le dis, mais j'ai ressenti cette beauté simple et évidente que je n'arrive à ressentir que chez certain-e-s poète-sse-s précis-es. Les textes de cette série m'ont sincèrement touchée au cœur.
Bien joué madame Radice, vos mots m'ont sincèrement atteinte.
Superbe bd qui change de l'approche classique post apo. J'attends la suite de la série, mais elle sera en bonne place dans la bibliothèque ... A coté des conserves, provisions et rations de survie ;).
Très bon album !
On nous parle de magie, de rêves et d'amour. D'amour de liberté, d'amour romantique, d'amour toxique mais aussi (et surtout, j'ai envie de dire) d'amour propre. Le récit joue parfois à la frontière du réel et de l'imaginaire, glissant quelques fois des concepts anachroniques (jouant sur les flous de temporalité), jouant même avec la mise en scène propre au medium de la bande-dessinée. J'y ai ressenti une grande inspiration du Château ambulant - voire même du Château de Hurle dont il est adapté - avec cette relation amoureuse toxique et ce love interest mystérieux et immature (bien qu'ici cela se termine de manière beaucoup moins positive pour le couple, la maturation se payant à un prix plus élevé).
Les dessins sont beaux, j'ai particulièrement aimé le travail des visages, avec les grands yeux souvent écarquillés des personnages, cela jouait beaucoup sur les émotions de certaines scènes (la joie comme le malaise). Les couleurs bonbons et pétantes aident beaucoup à créer l'impression de "doux rêve" que vit Cléa, contrastant très bien avec l'apparition d'éléments plus horrifiques.
Je me rend compte qu'il y aurait tellement de choses à dire, je n'ose pas parler de beaucoup d'éléments intéressants que j'ai découvert à ma lecture. Je pense sincèrement que l'album fait parti de ces histoires qui gagnent a être lues sans connaissances au préalable.
Une très bonne surprise pour ma part.
Mais qui peut vraiment se résigner à la perte d’un être cher ?
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Ce tome fait suite à Automne en baie de Somme (2022) qu’il vaut mieux avoir lu avant. Son édition originale date de 2024. Il a été réalisé par Philippe Pelaez pour le scénario, et par Alexis Chabert pour les dessins et la couleur directe. Il comprend soixante-dix pages de bande dessinée.
Une jeune ballerine danse gracieusement sur un ponton, sous la neige tombante. Sur cette scène de fortune, elle virevoltait comme virevoltait la neige, accompagnant de ses mains la chute de flocons au rythme indolent de l’adage. Les planches recrues et crevassées ne semblaient pas souffrir de ses arabesques et de ses jetés, de ses chats et de ses entrechats, mais au contraire gémissaient de plaisir sous la scansion des menées. La neige elle-même, presque affectée de troubler un ballet sur lequel elle jetait son voile lilial, disparaissait instantanément au contact de cette peau de sylphide. Devant la foule des invisibles, la danseuse chutait pour se relever sans cesse, se relevait pour chuter encore, trahie par un corps qu’elle avait trop longtemps malmené. Qu’elle avait malmené quand elle virevoltait comme virevoltait la neige, accompagnant de ses mains la chute des flocons au rythme indolent de l’adage.
Opéra Garnier, à Paris en février 1897. Les spectateurs continuent de s’installer. En arrivant dans la grande salle, l’une d’entre eux demande si c’est la loge du président Félix Faure, au milieu. Un homme lui répond que non, que sa loge à lui est maçonnique. Son mari leur indique de regarder la place numéro treize, c’est là qu’une femme est morte l’année dernière en mai quand un contrepoids du lustre a crevé le plafond et lui a écrasé la tête. Son épouse pousse un petit cri : c’est horrible. L’autre homme lui suggère de songer que l’opéra Garnier est le treizième opéra de Paris. L’époux ajoute que ce soir ils jouent La damnation de Faust. Dans un autre rang, ils repèrent un homme, et l’époux l’identifie : c’est Pierre Séverin, un des membres actifs de l’ancienne ligue des patriotes, de Paul Deroulède. Elle le détrompe, pas lui, l’autre. Il le reconnaît également : c’est l’inspecteur Broyan, il a été révoqué il y a quelques mois pour avoir violemment agressé Nicolas Boursaut-Choiseul, l’héritier du banquier. Il ajoute que Broyan enquêtait sur la mort d’Alexandre de Breucq, mais cela n’a rien donné du tout. Ils décident de regagner leurs places. Séverin et Broyan se demandent pour quelle raison le colonel Tréveaux ne se montre pas. Le directeur de l’opéra se pose la même question, et il demande à son assistant d’aller vérifier si le colonel ne se trouve pas au foyer de la danse. Dans la fosse, le chef d’orchestre donne le signal en levant sa baguette et les musiciens entament leur partition. Dans les cintres, le colonel Tréveaux, vêtu d’un simple pagne noué autour de sa taille, est attaché dans une position de croix. Il demande à son maître s’il va être purifié. Dans l’ombre, son interlocuteur répond qu’il va l’être au-delà de ses espérances. Un coup de poignard tranche la gorge du colonel et toujours attaché son corps va balancer au-dessus des spectateurs dans leur fauteuil.
Après l’automne vient l’hiver, littéralement même puisque cette histoire s’ouvre sous les flocons de neige, en février 1897. Le malheureux inspecteur Amaury Broyan est de retour pour une nouvelle enquête qui s’annonce difficile puisqu’il a été radié de la police. D’ailleurs, le lecteur tique un peu en observant la liberté de mouvement dont jouit l’ex-inspecteur : il retourne dans les bureaux de la police pour témoigner devant l’inspecteur Jules, il a accès à des informations confidentielles, ses anciens collègues continuent de le respecter, il ne semble pas avoir de soucis de fin de mois… D’un autre côté, il est plausible que ses anciens collègues le soutiennent parce qu’ils estiment que ses actions étaient justifiées. Il n’en reste pas moins qu’il se promène avec facilité dans des lieux où il n’a rien à faire… et le scénariste apportera une explication à cette forme de liberté. D’une manière générale, les auteurs positionnent leur récit dans un registre plausible et réaliste, usant d’effets romantiques pour faire transparaître l’exaltation des personnages. Ainsi le lecteur accompagne Amaury Broyan dans ses déplacements et ses discussions, suivant ses intuitions et ses déductions. Il voit comment la police progresse de son côté, en fonction des informations qu’elle parvient à obtenir. Comme dans tout bon polar, les personnages sont amenés à côtoyer des individus de toutes les couches sociales, et cela met en lumière des aspects peu reluisants de la société de l’époque, à cet endroit du globe.
Comme pour le premier tome, les auteurs ont choisi de situer très explicitement l’action : à Paris, en février 1897. Ce genre de parti pris induit que l’artiste doit se prêter au jeu de la reconstitution historique, doit investir le temps et l’énergie nécessaire pour les recherches et les représentations. Le lecteur est à la fête dès la deuxième page : une vision de l’opéra Garnier à la nuit tombante, les ors de la salle, les toilettes variées de ces dames, les costumes plus stricts de ces messieurs, les fauteuils plus ou moins confortables, les couloirs permettant d’accéder à la salle, les cintres, etc. L’artiste sait doser ce qu’il détoure avec un trait noir, ce qu’il représente en couleur directe, le niveau de détail de chaque élément entre une précision technique et une impression. En fonction de sa sensibilité et de son mode de lecture, le lecteur peut se focaliser aussi bien sur les textures (par exemple le marbre des colonnes), que sur éléments de décors, ou bien sur l’ambiance lumineuse chaude diffusée par l’éclairage. En page onze, la criminelle s’enfuit avec une légère carriole dans une case de la largeur de la page en élévation, avec une belle représentation d’un immeuble haussmannien en premier plan. En page treize, Broyan descend sur les quais bas au pied de la cathédrale Notre-Dame de Paris : il éprouve la sensation de s’y trouver, et d’avoir le privilège de pouvoir pénétrer dans un caveau accessible depuis ledit quai. Le dessinateur apporte le même soin pour les intérieurs, par exemple le bureau de l’inspecteur Jules : le feu de cheminée, le modèle de chaise, les casiers, le bureau et sa corbeille, le portemanteau, l’accessoire pour déposer les parapluies mouillés, les meubles de rangement. Le lecteur se rend compte qu’Alexis Chabert choisit ses cadrages et élabore ses structures de pages pour montrer ces lieux, c’est flagrant avec l’appartement spectaculaire de Gabriel Delanne, en pages 28 & 29.
Dans le même temps, le récit met en scène des sentiments intenses, ce qui offre également la latitude à l’artiste d’emmener sa narration visuelle dans des pages plus échevelées, se teintant d’expressionnisme. Cela commence avec la première planche : Lisianne effectuant des entrechats allant librement d’une position à l’autre sans avoir à franchir des bordures de case (il n’y en a pas). La mise à mort du colonel Tréveaux bénéficie d’une mise en scène spectaculaire et morbide à souhait : le cadavre attaché se balançant à plusieurs mètres au-dessus des spectateurs, la blessure à la gorge laissant s’échapper du sang qui leur pleut dessus. Les hallucinations de Lisianne dans la caverne sous l’opéra Garnier donnent lieu à des cases aux contours irréguliers comme voletant en insert sur un dessin en pleine page. Son emprise hypnotique sur le banquier Larrey se traduit par un vol de chauve-souris qui se transforme en pantins de papier, traduisant les associations d’idées qui se produisent dans son esprit, au gré de l’emprise de la jeune femme. En page cinquante-deux, le lecteur découvre une magnifique illustration en pleine page, sans un mot : une haute silhouette drapée de rouge, maniant une gaffe pour diriger sa barque sur une eau dégageant des fumerolles, telle Charon faisant traverser deux défunts. Ensorcelant.
À l’instar du premier tome, les auteurs indiquent explicitement leurs sources d’inspiration, un hommage honnête. La première citation est extraite du roman Le fantôme de l’Opéra (1910), de Gaston Leroux (1868-1927), l’intrigue s’en inspirant directement. La seconde reprend des vers de Victor Hugo (1802-1885) extraits de Le livre des tables (1853-1855), sur le spiritisme. Le scénariste fait baigner son récit dans la fascination de l’époque pour l’hypnotisme, le magnétisme et le spiritisme, évoquant les travaux du docteur Jean-Martin Charcot (1825-1893, médecin clinicien et neurologue), Franz-Anton Mesmer (1734-1815, fondateur de la théorie du magnétisme animal), Gabriel Delanne (1857-1926, spirite). Le scénariste intègre également la dimension politique de l’époque, en évoquant explicitement Paul Deroulède (1846-1914, fondateur de la Ligue des Patriotes en 1882) et président Félix Faure (1841-1899, septième président de la République française). La reconstitution historique du contexte politique et sociale s’avère aussi riche que celle visuelle. Le cœur de l’intrigue repose sur la même famille de crimes que dans le premier tome, et la soif de vengeance qu’ils engendrent, faute d’une justice adéquate dans une société qui tolère ces abus.
Un second tome très réussi : la narration visuelle a gagné en densité et en élégance, en émotion et en rigueur. L’intrigue policière reste dans un registre plausible, tout en faisant ressortir les affres insupportables dans lesquelles les victimes sont plongées, les conduisant à des actes terribles. Un récit enfiévré et poignant.
Si j’étais membre du jury à Angouleme, Christophe Bec et Stefano Raffaele recevraient une distinction méritée pour leur énormissime contribution à la BD. Vous l’avez compris je suis un fan absolu de ce duo incroyable. Je me procure leurs albums les yeux fermés. Et jamais je n’ai été déçu. Avec la terre vagabonde encore une fois nous sommes sur une véritable pépite alliant la plume brillante de Christophe Bec et les talents visuels de Stefano Raffaele. Les compères ont réussi une nouvelle fois à créer une œuvre captivante qui ne peut que vous transporter dans un univers riche et intrigant.
Christophe Bec est connu pour son habileté à tisser des histoires complexes et immersives. Il ne déçoit pas avec ce scénario inspiré de l’œuvre de Liu Cixin publiée en 2000. Il mélange habilement science-fiction et aventure, tout en explorant des thèmes profonds comme la survie, l'humanité et l'inconnu. L'intrigue est fascinante dès les premières pages. Christophe réussit à maintenir une tension narrative qui va vous garder en haleine jusqu'à la fin. Les personnages sont bien développés et nuancés, offrant une profondeur émotionnelle qui résonne longtemps après la dernière page tournée. Une lecture d’une traite s’imposera naturellement à vous.
En parallèle les dessins de Stefano Raffaele sont tout simplement spectaculaires. Chaque planche est un chef-d'œuvre en soi, débordant de détails et d'expressions qui donnent vie à l'histoire. Stefano maîtrise parfaitement les scènes d'action dynamiques autant que les moments de calme introspectifs. Son style visuel unique complète parfaitement le récit de Christophe Bec, créant une harmonie entre le texte et les images qui est rare dans le genre. C’est magnifique avec en bonus des posters visuels incroyables.
Cerise sur le gâteau avec cet album vous pouvez intellectualiser l’histoire en vous posant des questions philosophiques … tout en divertissant bien évidemment. Le duo va vous pousser à réfléchir sur notre place dans l'univers et les implications de nos actions collectives. Ce n’est pas génial ça ?
Je ne peux que recommander cette BD remarquable qui mérite une place dans votre bibliothèque. Je vous invite à courir chez votre libraire adoré pour vous la procurer.
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L'Intranquille monsieur Pessoa
Mens agitat molem. - Ce tome contient une histoire complète, de nature biographique. Son édition originale date de 2024. Il a été réalisé par Nicolas Barral pour le scénario, les dessins et les couleurs, avec la participation Marie Baral pour les couleurs. Il comprend cent-trente-et-une pages de bande dessinée. Il s’ouvre avec une introduction de Simño Cerdeira. Il se termine avec une photographie de la malle remplie de manuscrits de l’écrivain, et une page comprenant une bibliographie recensant trois ouvrages sur l’écrivain, et huit ouvrages de l’écrivain, ainsi que la liste des ouvrages de Barral chez le même éditeur et chez d’autres éditeurs. Lisbonne, en 1935, Fernando Pessoa est en consultation chez son médecin qui lui annonce que son foie est très abimé. Le poète regarde le chantier de la cathédrale Sainte-Marie-Majeure. Il demande au docteur s’il a déjà pris l’ascenseur. Il explique que celui-ci a été créé par un ingénieur français, Raoul Megnier, et appartient à la compagnie des tramways électriques. Il dessert le Largo du Carmo. Le billet pour accéder tout en haut est un cher, mais quel panorama ! Le médecin ne se laisse pas distraire : il indique qu’il est très sérieux et qu’il va falloir qu’il hospitalise Pessoa. Ce dernier lui répond qu’il doit lui faire une confidence : il est immortel. Le médecin ne s’en laisse toujours pas conter et il ajoute qu’en attendant il adresse l’écrivain à un confrère à l’hôpital Saint-Louis des Français, il lui conseille de prendre ses dispositions. Pessoa sort du cabinet, et il salue un homme habillé de tout de noir dans la salle d’attente. En descendant dans l’escalier, il tousse et crache un peu de sang dans son mouchoir. Il sort dans la rue, et il marche sur le motif pavé de vagues de la place du Rossio. Son esprit se met à vagabonder. Fernando Pessoa se souvient d’un épisode de son enfance, en 1936 sur un navire de ligne au large du cap de Bonne Espérance. Il était dans une cabine avec sa mère et elle lui lit une histoire pour l’endormir : celle du chevalier de Pas qui plonge dans les douves pour échapper aux gardes du château, et qui reste sous l’eau en utilisant un roseau pour respirer. Le jeune garçon s’endort paisiblement en suçant son pouce. La mère va s’assoir sur le lit en face, regarde le portrait d’un homme qu’elle a sorti de ses affaires, et sort un calepin où elle écrit un court poème destiné à cet homme. Puis elle prend son châle, et elle sort prendre l’air. Le bruit de la porte réveille Fernando et il lit le poème d’amour. Il déchire le poème car il comprend qu’il est destiné au nouvel amoureux de sa mère alors qu’elle avait promis de n’aimer qu’un seul, son défunt mari, le père de Fernando. La mère rentre dans la cabine à ce moment et elle est prise de colère. Elle récupère la feuille déchirée, et elle jette le ballon de son fils par le hublot. Geste qu’elle regrette immédiatement et elle demande pardon à son fils. 28 novembre 1935, à Lisbonne au petit matin, dans la salle de rédaction du Diario de Lisboa, le rédacteur-en-chef M. Da Silva comprend qu’il va falloir rédiger une nécrologie. Il la confie à Simão Cerdeira. Fernando Pessoa (1888-1935), écrivain et poète portugais : pas forcément un auteur connu du lecteur, une référence dans son pays d’origine. En fonction de sa familiarité avec cet auteur, le lecteur comprend immédiatement que le récit commence à quelques jours de son décès, et il constate qu’il revient en arrière de temps à autre. Il apparaît plusieurs personnages au temps présent : Pessoa lui-même, Simão Cerdeira un jeune pigiste et écrivain débutant, qui va à la rencontre de personnes ayant connu le grand homme, Rosa la secrétaire du journal Diario de Lisboa, Henriqueta Nogueira la sœur de Fernando Pessoa, et quelques personnages plus secondaires comme son barbier, M. Da Silva rédacteur-en-chef du quotidien, ou Artur Portela qui a connu Pessoa, le ministre António Ferro (1895-1956), la jeune secrétaire Ofelia Queiroz. Dans le passé, apparaissent rapidement la mère de Fernando, les amis avec lesquels il a fondé la revue Orpheu, le second époux de sa mère. Le lecteur ne prête pas forcément attention au monsieur dans la salle d’attente du médecin. Il est représenté avec la même approche réaliste que les autres personnages : un visage un peu simplifié pour en faciliter la lecture et l’identification, une morphologie tout ce qu’il y a de plus ordinaire. Il est surpris de le retrouver en page cinquante-cinq alors que Pessoa se promène dans un cimetière. Le récit s’ouvre avec un dessin qui occupe les deux tiers de la page, sous le rappel du titre : une vue du sommet de l’échafaudage qui entoure le sommet d’une des deux tours de la cathédrale en rénovation, et une vue des derniers étages et des toits de ce quartier de Lisbonne. L’artiste prend soin de représenter la ville telle qu’elle était à cette époque, avec une approche descriptive et réaliste : les motifs du pavage de la place du Rossio, différentes rues de Lisbonne avec son tramway, un café, les installations portuaires, un grand parc, les quais, un cimetière, la cathédrale, et plusieurs intérieurs comme l’appartement de Pessoa, le cabinet du docteur, la salle de rédaction du Diario de Lisboa, une chambre d’hôpital, etc. Ces dessins peuvent devenir très détaillés pour insister sur un élément : par exemple, la métallerie de la construction permettant d’accéder à la tour de la cathédrale. Il fait preuve du souci de l’authenticité historique, à la fois dans les éléments urbains, à la fois dans les accessoires de la vie quotidiennes et dans les tenues vestimentaires. Le dessinateur utilise des traits de contour pour délimiter les personnages et les éléments du décor, avec une épaisseur parfois un peu plus appuyée, et un souci de lisibilité, de ne pas surcharger les cases. Il réalise une mise en couleurs naviguant entre le réalisme et une approche plus impressionniste, en particulier pour accompagner Pessoa et ses états d’âme, restreignant alors sa palette majoritairement des tons ocre et marron. Il fait preuve d’une sensibilité particulière pour la direction d’acteurs, en particulier pour le langage corporel du poète qui apparaît comme fragile et précautionneux, posé et mesuré. Dès le départ, le lecteur apprécie la place laissée à la narration visuelle. Il remarque que la troisième planche est muette, laissant ainsi les dessins porter toute la narration. L’auteur a ainsi réalisé vingt-quatre planches muettes, avec des moments insoupçonnables comme une filature (Simão Cerdeira emboîtant le pas à Pessoa pour savoir où il se rend), et une tuerie à l’arme à feu dans cette structure métallique autour de la cathédrale. Le dessinateur met à profit des dispositifs visuels comme le motif du pavage qui rappelle les vagues à Pessoa, suscitant ainsi la remontée d’un souvenir d’enfance. Ou encore la possibilité d’inclure un personnage fiction, le chevalier Pas se tenant aux côtés de Fernando enfant. La mystérieuse présence de papillons virevoltant dans la chambre de son appartement : entre symbole et métaphore de la manifestation de l’inspiration et de la liberté fragile de création. Des pages où la mise en couleurs se restreint à des teintes bleutées correspondant à des scènes dans le passé. Ou encore la vie d’un personnage de fiction, Bernardo Soares, représenté dans le même registre réaliste que celle de Fernando Pessoa, l’auteur. Soucieux de la compréhension de son lecteur, l’auteur fait expliquer la notion d’hétéronyme par Artur Portela à Simão Cerdeira. Le lecteur se souvient alors de l’homme dans la salle d’attente du médecin. Dans un premier temps, la démarche de l’auteur apparaît comme étant de relater les derniers jours de l’écrivain, de le mettre en relation au regard des personnes qu’il côtoie. Dans un second temps, le lecteur comprend que la scène en 1936 du voyage en bateau, celle de la rencontre avec Ofelia Queiroz, ou encore d’un repas de famille correspondent à des moments que Nicolas Baral a jugés comme déterminant dans la vie du poète, à la fois dans la construction de sa personnalité, à la fois dans sa vocation d’écrivain et de ce qu’il souhaite exprimer. Dans un troisième temps, il saisit également leur fibre psychanalytique, particulièrement émouvante concernant le ballon jeté par le hublot en page quatorze, un acte qui traumatise le jeune garçon comprenant que sa mère le punit en lui faisant mal. Toutefois en page soixante-six, Pessoa entreprend d’expliquer l’importance de la littérature à son barbier, en lui demandant de décrire un ballon, ce qui apporte une tout autre perspective audit traumatisme. En page trente-deux, Artur Portal explique la notion d’hétéronyme à Simão Cerdeira, une marque de fabrique de l’écrivain. Ainsi le lecteur néophyte peut comprendre ce qui se joue au cimetière, puis dans plusieurs scènes après. L’auteur met ainsi en scène les déclarations mêmes de Pessoa quant à la réalité de ces hétéronymes, ce qui a pour effet de donner à voir au lecteur ce pan de sa vie tel que l’écrivain lui-même le ressent. Avec ces différentes composantes, ce récit biographique amalgame les faits avec la vision d’auteur de Fernando Pessoa, et sa méthode d’écriture. Les auteurs de bande dessinée biographique naviguent entre la transcription factuelle et académique des faits, parfois alourdie par de copieux cartouches, et une interprétation à l’aune des œuvres de l’artiste. Ici, l’auteur sait combiner ces deux façons d’appréhender une telle biographie, avec une narration visuelle descriptive consistante et légère à la fois, et un tour de main élégant mêlant harmonieusement les faits avec les intentions de Fernando Pessoa, l’impact émotionnel et psychologique de certains événements et le carburant créatif qu’ils constituent. Inspirant.
Irmina
Comment est-il possible que le citoyen Allemand moyen ait pu tolérer, accepter, voire encourager les horreurs nazies commises autour d’eux au quotidien ? C’est une question judicieuse dont les historiens et sociologues débattent beaucoup depuis des décennies. « Irmina » apporte sa pierre à l’édifice de cette réflexion, un début d’explication, une fenêtre sur la vie d’une jeune femme qui a vraiment existé, et dont le destin interpelle. On observe sa lente transformation, son assimilation « malgré elle » au système de pensée nazi. L’autrice réussit à rendre sa vie crédible, sa passivité logique, inévitable… la fin est effectivement juste et touchante, alors que Irmina se retrouve forcée de faire un bilan finalement assez douloureux et rempli de regrets. La mise en image est magnifique, j’ai pris beaucoup de plaisir à visiter Londres, Oxford, Berlin, et enfin Bridgetown. Un excellent moment de lecture.
La Dernière Nuit d'Anne Bonny
Adaptation quasiment mot pour mot du Podcast éponyme, on y suit le parcours d'Anne Bonny la célèbre pirate qui raconte son histoire au soir de sa vie. Entre récit fantasmé et envie de décrire le plus fidèlement possible l'aventure d'une femme (dans toute sa complexité). Le dessin est dynamique et trés agréable dans l'ensemble, même s'il manque un peu d'iconisation des personnage. Mais c'est aussi dû a une certaine faiblesse du scénario. En effet on ne connait pas le destin d'Anne Bonny après son procès (mort, évasion, survie ?), et finalement sa période de piraterie a été de courte durée. Et c'est la force est la faiblesse du livre : force pour son ancrage historique et faiblesse pour son manque d'épique. Mais l'ensemble a marché sur moi, même pour l'intervention des historiens que j'ai trouvé intéressante (bien qu'il manque une conclusion à celle ci), permettant de prendre du recul sur le récit et de le remettre ne perspective.
Les Nouvelles Aventures de Bruce J. Hawker
Il aurait utilisé quelque chose de plus ingénieux, de plus complexe… - Ce tome est le premier d’un diptyque de la reprise d’une série Bruce J. Hawker créée par William Vance en 1976, comprenant sept tomes parus de 1979 à 1987. Son édition originale date de 2024. Il a été réalisé par Christophe Bec pour le scénario, et par Carlos Puerta pour le dessin et les couleurs. Il comprend soixante-deux pages de bande dessinée. Dans la forêt de Chizé, Haut-Poitou, dans la nuit du douze octobre 1307 : un groupe de templiers a établi son campement pour la nuit, certains sont encore sur leur monture. Aymeric, un cavalier, s’adresse à un autre pour lui indiquer qu’ils doivent prendre la mer avant le lever du jour, et lui demandant s’il est certain que frère Hughes va bien les rejoindre. L’autre lui enjoint de garder la foi, ils ont encore du temps, le crépuscule vient à peine de tomber, et il est certain que le frère a lui aussi pris la fuite. Il continue : Le Seigneur ne les abandonnera pas, Il guide les pas de Hughes de Chalons jusqu’à eux. En effet, un soldat vient leur annoncer que frère Hughes approche avec trois charrettes recouvertes de paille. Chaque cavalier revêt un lourd manteau informe pour cacher leur blason. Il ne faut pas qu’ils risquent d’être découverts une fois hors de cette forêt. Ils continuent d’échanger des consignes et des informations. Ils doivent gagner le port de la Rochelle, là où leurs nefs les attendent. Ils se demandent si frère Jean saura garder le secret, tout en étant sûrs qu’il sera supplicié. C’est le sort réservé par Guillaume de Nogaret à beaucoup de leurs frères. Le roi les accuse d’idolâtrie et de sodomie. Philippe le Bel ne veut pas seulement l’anéantissement de leur ordre, il veut aussi leur mort. Alors qu’ils arrivent au port, deux dockers identifient le maître précepteur, et il en déduit que les charrettes sont chargées du trésor du visiteur général. Les templiers sont prêts à prendre la mer les coffres remplis d’argent, avec les archives et les artefacts ramenés de Terre sainte placés dans la cale, et les cartes vikings. Vendredi treize octobre 1307, sur l'île aux Juifs, à Paris, tous les templiers de France sont arrêtés sur ordre du roi Philippe IV. Dix-huit mars 1314, Jacques de Molay est exécuté, sur un bûcher dressé et il prononce sa malédiction. Le vingt-huit août 1803, dans la baie de Gibraltar, mister Dunn explique l’origine mythologique de cette formation à Bruce J. Hawker : Merlqart est l’équivalent d’Hercule pour les phéniciens, dans les légendes il aurait brisé les chaînes de l’isthme et percé une brèche divine dans la masse montagneuse mariant ainsi les eaux de l’océan et celles de la Méditerranée. Hawker le remercie et se félicite d’avoir à son bord en qualité de second quelqu’un d’aussi érudit. Il regrette de ne pas en dire autant de ce jeune loup des Royal Marines, le lieutenant Lowe. Il n’a jamais trop apprécié les soldats d’infanterie blanchis à la terre à pipe, car ils ne voient guère plus loin que la pointe de leur baïonnette. Dunn ironise que le lieutenant sait bien pourquoi ils ont des marines à bord : car les chèvres sortiraient trop facilement du lot. Hawker monte dans le canot qui doit l’amener à bord du Victory où il est attendu par l’amiral Nelson. Un exercice délicat : la reprise d’une série qui a laissé une empreinte dans la mémoire collective, majoritairement du fait de l’implication de son créateur et auteur, de sa personnalité. En entamant ce tome, l’horizon d’attente du lecteur comprend une aventure maritime, un personnage principal droit dans ses bottes, sans beaucoup de personnalités, et bien sûr des références aux aventures originales. Les auteurs répondent à ces attentes. Bruce J. Hawker est égal à lui-même : un beau jeune homme, bien fait de sa personne, à la silhouette un peu guindée, avec une chevelure fournie blond platine. Au détour d’une discussion, un marin du Lark mentionne l’âge du lieutenant : vingt-trois ans, ce qui correspond à la création de William Vance. Il est fait mention des aventures des deux premiers albums : la mission du Lark sous les ordres de Hawker, et même l’anecdote selon laquelle il aurait sauvé la vie de l’amiral Nelson. Celle-ci est évoquée par l’amiral directement avec Hawker, avec une certaine froideur. Au cœur des aventures originales se trouvaient la nationalité du héros et sa qualité de militaire. Le lecteur retrouve ces caractéristiques au début du récit elles revêtent moins d’importance dans la deuxième moitié de ce tome. Enfin, il retrouve la responsabilité de commander un navire britannique, soumis aux conséquences de croiser un bâtiment ennemi. Indéniablement les auteurs ont lu les récits de William et veillent à en respecter l’esprit. En fonction de sa sensibilité, le lecteur attend peut-être une forme d’intrigue plutôt qu’une autre. Le scénariste a choisi de faire partir le héros depuis Gibraltar, et de l’envoyer vers le nouveau monde. En cela, il s’écarte du schéma des sept tomes précédents, tout en conservant le principe que Bruce J. Hawker que la responsabilité militaire d’un navire le place dans des situations périlleuses et il assume pleinement les responsabilités de sa charge, recourant à la violence comme à la discussion. La dynamique de l’intrigue repose sur la recherche d’un trésor. L’auteur se sert du mythe du trésor des templiers, et des différentes hypothèses historiques. Il évoque en trois cases autant de faits historiques : le départ de la flotte des templiers, l’arrestation des templiers, l’exécution de Jacques de Molay (1244/49-1314) vingt-troisième et dernier maître de l’ordre du Temple, sans mention explicative, en tenant ces faits comme connus du lecteur. En fonction des événements historiques, il les mentionne comme connus de tout le monde, ou il les complète d’une brève mention. Le lecteur voit ainsi Horatio Nelson (1758-1805) le temps d’une scène, Jacques de Molay le temps d’une case, et Félicité de Lannion (1745–1830), comtesse de la Rochefoucauld joue un rôle important dans le récit (reprenant ainsi l’habitude d’avoir un personnage féminin fort). Enfin, le scénariste reprend l’hypothèse des voyages de Le chevalier Henri Sinclair (1355-1404). Le lecteur peut être familier de la personnalité graphique de l’artiste avec ses précédentes séries, comme Baron Rouge (trois tomes, 2012-2013-2015) avec Pierre Veys, Maudit sois-tu (trois tomes, 2019-2021-2022) avec Philippe Pelaez, Jules Verne et l’astrolabe d’Uranie (deux tomes, 2016-2017) avec Gil Esther. La première planche s’avère très caractéristique de son approche : une mise en couleurs très sophistiquée, apportant une sensation de rendu photographique pour certains éléments, ou relevant d’une impression donnée par un camaïeu. Dans la première catégorie, le rendu s’avère saisissant quand il reproduit à la perfection la texture de la roche pour Gibraltar, les vaguelettes de la mer, ou encore les brins d’herbe dans une vaste étendue verdoyante. Dans la deuxième catégorie, il réussit à donner l’impression d’un ciel de tempête avec un camaïeu de gris et de fines zébrures, des habits dégoutant d’eau dans la tempête par un jeu de bleus, une terre à l’horizon par des formes vertes indistinctes, ou encore une feuillage vert tel que le lecteur peut s’imaginer en avoir la perception dans le lointain. L’artiste joue de la même manière avec la façon de représenter les visages, en rendu quasi photographique, ou une approche plus classique avec trait de contour, hachure et mise en couleur. Il est possible que le lecteur ait besoin de disposer d’un temps d’adaptation pour accepter ces fluctuations au sein d’une même page. Pour autant, la maîtrise graphique a tôt fait de l’enthousiasmer en mariant ainsi des descriptions d’un rare réalisme avec des ambiances relevant plus des sensations. Le lecteur se sent vite emmené aux côtés de Bruce J. Hawker dans une vraie aventure, plausible, avec des moments attendus (bataille maritime, emprisonnement à fond de cale, recherche d’un trésor, tempête en plein océan), avec un enjeu de taille dans un contexte historique nourri et développé. Il fait l’expérience de deux créateurs en phase, au point de ne faire qu’un, avec des moments mémorables : la première apparition du navire avec ses voiles blanches ornées de croix rouges, le médecin préparant ses instruments dans le pont inférieur, les canons crachant le feu, le navire bringuebalé par les vagues immenses, le feu de Saint Elme, un navire vu du ciel à la verticale, la végétation luxuriante, la découverte de la forme artificielle d’un marais, le ciel nocturne embrasé par les fusées volantes, etc. Il se rend compte que la narration présente une densité élevée : à la fois par le volume d’informations contenues dans les dialogues, et au cours d’une ou deux explications plus longues, à la fois par les éléments visuels. Parfois, il lui semble que le scénariste tient à rentrer dans le détail, afin de rester concret et plausible, qualité qui se propage aux éléments fictionnels. Le dessinateur en fait de même de son côté. Cela peut avoir pour effet d’amoindrir la dimension spectaculaire de certaines moments (par exemple la découverte des restes de la charpente d’un navire enterré, qui n’est que le résultat de jours et de semaine du dur labeur de pelletage). À d’autres moments, cela rehausse un événement, comme la découverte de la fuite nocturne des prisonniers anglais. La promesse de découvrir un héros emblématique d’une série, ou de le retrouver, dans une interprétation différente par de nouveaux créateurs : un pari à double tranchant, entre la certitude de ne pas faire aussi bien que l’équipe originelle, et l’obligation de reprendre les éléments caractérisant la série. Bec & Puerta remplissent cette seconde condition : la beauté et la froideur de Bruce J. Hawker, des scènes de mer, une dynamique conflictuelle entre Anglais et leurs ennemis de l’époque, un ancrage dans une époque historique. L’artiste se montre aussi ambitieux que William Vance, tout en conservant ses propres caractéristiques visuelles, peut-être en deçà pour rendre l’océan vivant, peut-être plus convaincantes pour le réalisme. Le scénariste intègre et cite des éléments des précédentes aventures, tout en emmenant le personnage plus loin qu’il n’a jamais navigué. Une histoire solide pour elle-même, respectant les conventions de l’hommage, tout en prenant des libertés. Un beau voyage exploratoire.
Shubeik Lubeik
Pouah pouah pouah mais quel BD. Un vrai coup de cœur !! J’en ai lu des chouettes trucs de 2024 mais pour l’instant cet album sort clairement du lot. Il semble être malheureusement passé un peu inaperçu mais si je n’avais qu’un mot à dire, c’est : Foncez ! C’est une œuvre qui vous surprendra et vous charmera. Une petite pépite venue d’Égypte. C’est rempli de spontanéité, de fraîcheur, d’émotions, d’intelligence, de trouvailles, de surprises … une lecture tout simplement excellente et magnifique. Je l’ai lu en 3 soirées et en espérant que ça ne s’arrête jamais. Je vous renvoie au bien bel avis de Spooky pour en connaître davantage (que je remercie pour la découverte). Je passe juste pour vous encourager à tomber dessus le plus rapidement possible (pourquoi pas pour le prix bdtheque ? ;) ça serait mérité. J’en suis sorti franchement bluffé, une autrice à suivre et de grands talents. Bravo à elle !! J’ai adoré son univers et le soin apporté : c’est ponctué d’articles, chiffres dans la veine de doggybags ; il y a une belle variété dans le trait et couleurs (ne vous arrêtez pas à la galerie ou couverture) ; le message transmis est superbe, l’usage du conte judicieux, les personnages magnifiques … Bon vous l’aurez compris je suis plus qu’enthousiaste, il s’en dégage une magie indéniable, je n’ai rien à redire. Plus qu’une bouffée d’air frais, une véritable bouteille d’oxygène. Merci Mme Mohamed.
Violette autour du Monde
Oh, le joli coup de foudre que voilà ! J'ai ouvert cette série par hasard, attirée initialement par la jolie petite bouille de la protagoniste sur les couvertures. Bonne pioche, j'ai envie de dire. La série parle de Violette, jeune circassienne, fille d'une femme canon aux formes aussi rondes que son sourire et d'un éminent entomologiste reconverti en dompteur d'insectes, qui se questionne et s'émerveille sur sa vie. Sur la vie, et sur le beau aussi. La série parle beaucoup du beau, en faisant intervenir de nombreux artistes (physiquement ou par citation), mais surtout en faisant de la beauté de ce qui nous entoure le sujet principal de l'œuvre. On nous parle de la beauté de la vie, dans sa simplicité, ses petits détails, et surtout dans ses gens. Celleux qui nous entourent, celleux que l'on croise un instant, celleux qui restent et celleux qui nous quittent. Le troisième album, tournant autour de la mort imminente de Papi Tenzin, figure paternelle du cirque, m'a faite pleurer. Tout cette succession d'anecdotes de moments clés de la vie de ce cirque, du rôle sympathique et pourtant si banal qu'a joué ce grand-père dans la vie de son entourage m'a fait pleurer, mais pleurer. A chaudes larmes. La beauté de cette série ne tient pas qu'à son récit ou a ses personnages aux designs simples mais adorables, elle tient aussi et surtout aux textes, ou plus précisément à la narration de Violette, poète dans l'âme sans le savoir. Ses petites réflexions sur sa vie, sur les évènements qu'elle vit, et les mots qu'elle choisit pour leur donner sens dans son esprit sont beaux. J'ai peur de paraître hyperbolique quand je le dis, mais j'ai ressenti cette beauté simple et évidente que je n'arrive à ressentir que chez certain-e-s poète-sse-s précis-es. Les textes de cette série m'ont sincèrement touchée au cœur. Bien joué madame Radice, vos mots m'ont sincèrement atteinte.
Happy End
Superbe bd qui change de l'approche classique post apo. J'attends la suite de la série, mais elle sera en bonne place dans la bibliothèque ... A coté des conserves, provisions et rations de survie ;).
Mon ami Pierrot
Très bon album ! On nous parle de magie, de rêves et d'amour. D'amour de liberté, d'amour romantique, d'amour toxique mais aussi (et surtout, j'ai envie de dire) d'amour propre. Le récit joue parfois à la frontière du réel et de l'imaginaire, glissant quelques fois des concepts anachroniques (jouant sur les flous de temporalité), jouant même avec la mise en scène propre au medium de la bande-dessinée. J'y ai ressenti une grande inspiration du Château ambulant - voire même du Château de Hurle dont il est adapté - avec cette relation amoureuse toxique et ce love interest mystérieux et immature (bien qu'ici cela se termine de manière beaucoup moins positive pour le couple, la maturation se payant à un prix plus élevé). Les dessins sont beaux, j'ai particulièrement aimé le travail des visages, avec les grands yeux souvent écarquillés des personnages, cela jouait beaucoup sur les émotions de certaines scènes (la joie comme le malaise). Les couleurs bonbons et pétantes aident beaucoup à créer l'impression de "doux rêve" que vit Cléa, contrastant très bien avec l'apparition d'éléments plus horrifiques. Je me rend compte qu'il y aurait tellement de choses à dire, je n'ose pas parler de beaucoup d'éléments intéressants que j'ai découvert à ma lecture. Je pense sincèrement que l'album fait parti de ces histoires qui gagnent a être lues sans connaissances au préalable. Une très bonne surprise pour ma part.
Hiver à l'opéra
Mais qui peut vraiment se résigner à la perte d’un être cher ? - Ce tome fait suite à Automne en baie de Somme (2022) qu’il vaut mieux avoir lu avant. Son édition originale date de 2024. Il a été réalisé par Philippe Pelaez pour le scénario, et par Alexis Chabert pour les dessins et la couleur directe. Il comprend soixante-dix pages de bande dessinée. Une jeune ballerine danse gracieusement sur un ponton, sous la neige tombante. Sur cette scène de fortune, elle virevoltait comme virevoltait la neige, accompagnant de ses mains la chute de flocons au rythme indolent de l’adage. Les planches recrues et crevassées ne semblaient pas souffrir de ses arabesques et de ses jetés, de ses chats et de ses entrechats, mais au contraire gémissaient de plaisir sous la scansion des menées. La neige elle-même, presque affectée de troubler un ballet sur lequel elle jetait son voile lilial, disparaissait instantanément au contact de cette peau de sylphide. Devant la foule des invisibles, la danseuse chutait pour se relever sans cesse, se relevait pour chuter encore, trahie par un corps qu’elle avait trop longtemps malmené. Qu’elle avait malmené quand elle virevoltait comme virevoltait la neige, accompagnant de ses mains la chute des flocons au rythme indolent de l’adage. Opéra Garnier, à Paris en février 1897. Les spectateurs continuent de s’installer. En arrivant dans la grande salle, l’une d’entre eux demande si c’est la loge du président Félix Faure, au milieu. Un homme lui répond que non, que sa loge à lui est maçonnique. Son mari leur indique de regarder la place numéro treize, c’est là qu’une femme est morte l’année dernière en mai quand un contrepoids du lustre a crevé le plafond et lui a écrasé la tête. Son épouse pousse un petit cri : c’est horrible. L’autre homme lui suggère de songer que l’opéra Garnier est le treizième opéra de Paris. L’époux ajoute que ce soir ils jouent La damnation de Faust. Dans un autre rang, ils repèrent un homme, et l’époux l’identifie : c’est Pierre Séverin, un des membres actifs de l’ancienne ligue des patriotes, de Paul Deroulède. Elle le détrompe, pas lui, l’autre. Il le reconnaît également : c’est l’inspecteur Broyan, il a été révoqué il y a quelques mois pour avoir violemment agressé Nicolas Boursaut-Choiseul, l’héritier du banquier. Il ajoute que Broyan enquêtait sur la mort d’Alexandre de Breucq, mais cela n’a rien donné du tout. Ils décident de regagner leurs places. Séverin et Broyan se demandent pour quelle raison le colonel Tréveaux ne se montre pas. Le directeur de l’opéra se pose la même question, et il demande à son assistant d’aller vérifier si le colonel ne se trouve pas au foyer de la danse. Dans la fosse, le chef d’orchestre donne le signal en levant sa baguette et les musiciens entament leur partition. Dans les cintres, le colonel Tréveaux, vêtu d’un simple pagne noué autour de sa taille, est attaché dans une position de croix. Il demande à son maître s’il va être purifié. Dans l’ombre, son interlocuteur répond qu’il va l’être au-delà de ses espérances. Un coup de poignard tranche la gorge du colonel et toujours attaché son corps va balancer au-dessus des spectateurs dans leur fauteuil. Après l’automne vient l’hiver, littéralement même puisque cette histoire s’ouvre sous les flocons de neige, en février 1897. Le malheureux inspecteur Amaury Broyan est de retour pour une nouvelle enquête qui s’annonce difficile puisqu’il a été radié de la police. D’ailleurs, le lecteur tique un peu en observant la liberté de mouvement dont jouit l’ex-inspecteur : il retourne dans les bureaux de la police pour témoigner devant l’inspecteur Jules, il a accès à des informations confidentielles, ses anciens collègues continuent de le respecter, il ne semble pas avoir de soucis de fin de mois… D’un autre côté, il est plausible que ses anciens collègues le soutiennent parce qu’ils estiment que ses actions étaient justifiées. Il n’en reste pas moins qu’il se promène avec facilité dans des lieux où il n’a rien à faire… et le scénariste apportera une explication à cette forme de liberté. D’une manière générale, les auteurs positionnent leur récit dans un registre plausible et réaliste, usant d’effets romantiques pour faire transparaître l’exaltation des personnages. Ainsi le lecteur accompagne Amaury Broyan dans ses déplacements et ses discussions, suivant ses intuitions et ses déductions. Il voit comment la police progresse de son côté, en fonction des informations qu’elle parvient à obtenir. Comme dans tout bon polar, les personnages sont amenés à côtoyer des individus de toutes les couches sociales, et cela met en lumière des aspects peu reluisants de la société de l’époque, à cet endroit du globe. Comme pour le premier tome, les auteurs ont choisi de situer très explicitement l’action : à Paris, en février 1897. Ce genre de parti pris induit que l’artiste doit se prêter au jeu de la reconstitution historique, doit investir le temps et l’énergie nécessaire pour les recherches et les représentations. Le lecteur est à la fête dès la deuxième page : une vision de l’opéra Garnier à la nuit tombante, les ors de la salle, les toilettes variées de ces dames, les costumes plus stricts de ces messieurs, les fauteuils plus ou moins confortables, les couloirs permettant d’accéder à la salle, les cintres, etc. L’artiste sait doser ce qu’il détoure avec un trait noir, ce qu’il représente en couleur directe, le niveau de détail de chaque élément entre une précision technique et une impression. En fonction de sa sensibilité et de son mode de lecture, le lecteur peut se focaliser aussi bien sur les textures (par exemple le marbre des colonnes), que sur éléments de décors, ou bien sur l’ambiance lumineuse chaude diffusée par l’éclairage. En page onze, la criminelle s’enfuit avec une légère carriole dans une case de la largeur de la page en élévation, avec une belle représentation d’un immeuble haussmannien en premier plan. En page treize, Broyan descend sur les quais bas au pied de la cathédrale Notre-Dame de Paris : il éprouve la sensation de s’y trouver, et d’avoir le privilège de pouvoir pénétrer dans un caveau accessible depuis ledit quai. Le dessinateur apporte le même soin pour les intérieurs, par exemple le bureau de l’inspecteur Jules : le feu de cheminée, le modèle de chaise, les casiers, le bureau et sa corbeille, le portemanteau, l’accessoire pour déposer les parapluies mouillés, les meubles de rangement. Le lecteur se rend compte qu’Alexis Chabert choisit ses cadrages et élabore ses structures de pages pour montrer ces lieux, c’est flagrant avec l’appartement spectaculaire de Gabriel Delanne, en pages 28 & 29. Dans le même temps, le récit met en scène des sentiments intenses, ce qui offre également la latitude à l’artiste d’emmener sa narration visuelle dans des pages plus échevelées, se teintant d’expressionnisme. Cela commence avec la première planche : Lisianne effectuant des entrechats allant librement d’une position à l’autre sans avoir à franchir des bordures de case (il n’y en a pas). La mise à mort du colonel Tréveaux bénéficie d’une mise en scène spectaculaire et morbide à souhait : le cadavre attaché se balançant à plusieurs mètres au-dessus des spectateurs, la blessure à la gorge laissant s’échapper du sang qui leur pleut dessus. Les hallucinations de Lisianne dans la caverne sous l’opéra Garnier donnent lieu à des cases aux contours irréguliers comme voletant en insert sur un dessin en pleine page. Son emprise hypnotique sur le banquier Larrey se traduit par un vol de chauve-souris qui se transforme en pantins de papier, traduisant les associations d’idées qui se produisent dans son esprit, au gré de l’emprise de la jeune femme. En page cinquante-deux, le lecteur découvre une magnifique illustration en pleine page, sans un mot : une haute silhouette drapée de rouge, maniant une gaffe pour diriger sa barque sur une eau dégageant des fumerolles, telle Charon faisant traverser deux défunts. Ensorcelant. À l’instar du premier tome, les auteurs indiquent explicitement leurs sources d’inspiration, un hommage honnête. La première citation est extraite du roman Le fantôme de l’Opéra (1910), de Gaston Leroux (1868-1927), l’intrigue s’en inspirant directement. La seconde reprend des vers de Victor Hugo (1802-1885) extraits de Le livre des tables (1853-1855), sur le spiritisme. Le scénariste fait baigner son récit dans la fascination de l’époque pour l’hypnotisme, le magnétisme et le spiritisme, évoquant les travaux du docteur Jean-Martin Charcot (1825-1893, médecin clinicien et neurologue), Franz-Anton Mesmer (1734-1815, fondateur de la théorie du magnétisme animal), Gabriel Delanne (1857-1926, spirite). Le scénariste intègre également la dimension politique de l’époque, en évoquant explicitement Paul Deroulède (1846-1914, fondateur de la Ligue des Patriotes en 1882) et président Félix Faure (1841-1899, septième président de la République française). La reconstitution historique du contexte politique et sociale s’avère aussi riche que celle visuelle. Le cœur de l’intrigue repose sur la même famille de crimes que dans le premier tome, et la soif de vengeance qu’ils engendrent, faute d’une justice adéquate dans une société qui tolère ces abus. Un second tome très réussi : la narration visuelle a gagné en densité et en élégance, en émotion et en rigueur. L’intrigue policière reste dans un registre plausible, tout en faisant ressortir les affres insupportables dans lesquelles les victimes sont plongées, les conduisant à des actes terribles. Un récit enfiévré et poignant.
La Terre Vagabonde
Si j’étais membre du jury à Angouleme, Christophe Bec et Stefano Raffaele recevraient une distinction méritée pour leur énormissime contribution à la BD. Vous l’avez compris je suis un fan absolu de ce duo incroyable. Je me procure leurs albums les yeux fermés. Et jamais je n’ai été déçu. Avec la terre vagabonde encore une fois nous sommes sur une véritable pépite alliant la plume brillante de Christophe Bec et les talents visuels de Stefano Raffaele. Les compères ont réussi une nouvelle fois à créer une œuvre captivante qui ne peut que vous transporter dans un univers riche et intrigant. Christophe Bec est connu pour son habileté à tisser des histoires complexes et immersives. Il ne déçoit pas avec ce scénario inspiré de l’œuvre de Liu Cixin publiée en 2000. Il mélange habilement science-fiction et aventure, tout en explorant des thèmes profonds comme la survie, l'humanité et l'inconnu. L'intrigue est fascinante dès les premières pages. Christophe réussit à maintenir une tension narrative qui va vous garder en haleine jusqu'à la fin. Les personnages sont bien développés et nuancés, offrant une profondeur émotionnelle qui résonne longtemps après la dernière page tournée. Une lecture d’une traite s’imposera naturellement à vous. En parallèle les dessins de Stefano Raffaele sont tout simplement spectaculaires. Chaque planche est un chef-d'œuvre en soi, débordant de détails et d'expressions qui donnent vie à l'histoire. Stefano maîtrise parfaitement les scènes d'action dynamiques autant que les moments de calme introspectifs. Son style visuel unique complète parfaitement le récit de Christophe Bec, créant une harmonie entre le texte et les images qui est rare dans le genre. C’est magnifique avec en bonus des posters visuels incroyables. Cerise sur le gâteau avec cet album vous pouvez intellectualiser l’histoire en vous posant des questions philosophiques … tout en divertissant bien évidemment. Le duo va vous pousser à réfléchir sur notre place dans l'univers et les implications de nos actions collectives. Ce n’est pas génial ça ? Je ne peux que recommander cette BD remarquable qui mérite une place dans votre bibliothèque. Je vous invite à courir chez votre libraire adoré pour vous la procurer.