La Constitution prime sur la loi.
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Ce tome constitue une présentation des différentes facettes du Conseil constitutionnel créé en 1958. Son édition originale date de 2024. Il a été réalisé par Marie Bardiaux-Vaïente pour le scénario, par Gally pour les dessins, et par cette dernière et Grinette pour les couleurs. Il comprend cent-neuf pages de bande dessinée.
Deux rue Montpensier dans le premier arrondissement de Paris, Marie & Gally passent les contrôles d’accès : scan des sacs et détection de métaux, pour entrer dans le bâtiment du Conseil constitutionnel. La première a des étoiles plein les yeux, la seconde se demande encore pourquoi elle a accepté, en reconnaissant toutefois le caractère exceptionnel de l’architecture du bâtiment. Elle demande à la scénariste à quoi sert le Conseil. Marie commence son exposé : Quand on se réfère au Conseil constitutionnel, on pense immédiatement à l’élection présidentielle. Tout le monde sait qu’il a un rôle à jouer dans la bonne tenue de cet événement majeur de la vie publique française. Mais dès son origine, cette institution créée en même temps que la Ve République avait d’autres motivations. Le 1er juin 1958, la IVe République se décompose littéralement. René Coty fait appel au général De Gaule pour former un gouvernement et réformer les institutions. Le général sollicite alors l’investiture de l’Assemblée nationale. […] Investi des pleins pouvoirs le 3 juin, il obtient des parlementaires de mettre en place une nouvelle constitution dans les six mois qui suivent.
Lors de son discours devant l’Assemblée nationale, le général De Gaulle déclare que le gouvernement qu’il va former moyennant la confiance des députés, saisira l’Assemblée sans délai d’un projet de réforme de la Constitution, de telle sorte que l’Assemblée nationale donne mandat au gouvernement d’élaborer, puis de proposer au pays par la voie du référendum, les changements indispensables. Le suffrage universel est la source de tout pouvoir. Le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif doivent être effectivement séparés de façon que le gouvernement et le parlement assument, chacun pour sa part et sous sa responsabilité, la plénitude de ses attributions. Le dernier garde des Sceaux de la IVe République est chargé d’établir un projet de constitution. Cet homme, c’est Michel Debré. Il établit qu’Un comité constitutionnel dégagé de toute attache, aura qualité pour apprécier si les lois votées sont conformes à la Constitution et si les élections diverses ont lieu régulièrement. De Gaulle lui précise que toute loi devra dorénavant respecter la norme suprême : la Constitution. Le projet de nouvelle constitution est soumis à référendum le 28 septembre. En outre-mer, la question posée comporte une double signification : les électeurs et électrices expriment aussi leur volonté de demeurer liés à la France sous une forme à déterminer. C’est un succès. 85,07% des votants approuvent la nouvelle constitution.
Le Conseil constitutionnel en bande dessinée ? Au moins, les autrices font preuve d’ambition pour rendre intelligible cette institution française au plus grand nombre. Pour cette œuvre pédagogique de vulgarisation, elles adoptent un dispositif narratif classique et éprouvé pour ce genre d’ouvrage : se mettre en scène sous forme d’avatar simplifié aux réactions parfois exagérées ce qui introduit une saveur humoristique, sans pour autant dénaturer le propos. Marie joue le rôle de bonne élève désireuse d’apprendre, disposant déjà des notions de base sur le sujet, respectueuse et même admiratrice de cette institution. Galy joue le rôle de mauvais élève : pas intéressée a priori, présentant quelques troubles de déficit de l’attention, facilement distraite par ce qui se passe autour d’elle, par les actions des uns et des autres. La narration visuelle happe de suite le lecteur, montrant beaucoup et de manière diversifiée. Réaliser un exposé en bande dessiné représente un défi narratif : il faut parvenir à dépasser la suite d’illustrations accolées à un texte copieux et didactique. Dans les premières pages, le lecteur suit les deux autrices : il passe le contrôle à l’entrée avec elles, il monte l’escalier et admire l’architecture, il assite au discours du général De Gaulle comme s’il visionnait un document d’archive, il se trouve dans le salon où se réunissent les onze membres originels pour la première fois, il se promène au milieu des colonnes de Buren, il assiste au discours de Camille Desmoulins, il voit les schémas plaçant les différentes ordres civil, pénal et administratif et leur organes, ou encore la pyramide des normes, dite de Kelsen.
L’utilisation de dispositifs visuels variés peut dans un premier temps apparaître comme un effort d’apporter de la diversité dans les cases. Le lecteur commence par l’envisager, et progressivement il prend conscience qu’ils apportent d’autres choses à la narration. Cela apparaît une évidence que les deux avatars se promènent dans les locaux du Conseil constitutionnel, permettant ainsi au lecteur de la visiter. Il peut trouver plaisant ou rigolo de bénéficier d’une vue imprenable sur l’installation Les deux plateaux (1986) de Daniel Buren (1938-), ou les Hommes de Bessines (réalisés en 1991) de l’artiste Fabrice Hyber crachant de l’eau par tous les orifices, de constater le moelleux des fauteuils, de faire le touriste avec les ruches sur le toit, treize cartouches de cuivre émaillées cloutées sur parquet de bois, la réparation du cadran d’une grande horloge murale par le secrétaire général lui-même, ou encore l’installation d’une boule à facettes géante pour la décoration hall en vue de fêter l’entrée dans la nouvelle année, etc. Les autrices font également un usage raisonné du décalage, que ce soit les regards enamourés de Marie pour l’institution, ses cœurs dans les yeux quand elles reçoivent des cadeaux (des produits marqués du sigle du Conseil), ou une irrésistible disposition de page singeant l’émission de jeux télévisuelle de l’Académie des neuf. Il se rend compte que ces éléments et ces détails rendent l’institution tangible et concrète dans sa matérialité bâtimentaire et fonctionnelle, administrative et humaine, son incarnation pragmatique.
En progressant dans l’ouvrage, le lecteur se prend à sourire des facéties de Marie et de Gally, chacune avec un trait de caractère appuyé, l’admiration sans borne pour l’une, le dilettantisme du cancre pour l’autre. Là encore, la direction d’actrices montre leurs réactions, parfois un peu appuyées, aux différentes étapes de leur visite, en particulier la chance de pouvoir ainsi explorer les locaux du 2 rue Montpensier, et les rencontres avec des hommes politiques de premier plan dans un contexte privilégié. Le lecteur peut éventuellement regretter une forme de consensualité dans la façon de les présenter, ou il peut l’envisager comme une forme de respect poli correspondant à la démarche de vulgarisation. Quoi qu’il en soit, ces moments participent également à montrer qu’il s’agit d’êtres humains comme les autres, une manière supplémentaire de faire s’incarner l’institution, des professionnels faisant leur travail, que ce soit l’apiculteur, le secrétaire général, et même les députés s’opposant à la loi sur l’I.V.G.
La scénariste a conçu une structure d’exposé qui mêle l’ordre chronologique et les questions thématiques. Elle commence par aborder l’historique de la création du Conseil constitutionnel à l’occasion de la création de la Ve République, puis sa composition, son rôle dans l’élection présidentielle, l’articulation entre Constitution française et Constitution européenne. Puis elle présente le développement du rôle du Conseil, en évoquant sa décision contre le ministère de l’Intérieur concernant la création d’une association de soutien à l’organisation La gauche prolétarienne en 1971, puis l’élargissement de la saisine du Conseil, initialement réservée aux présidents de la République, Premier ministre, ou président de l'une ou l'autre assemblée, qui est élargie avec la loi constitutionnelle du 29 octobre 1974, à soixante députés ou soixante sénateurs. Viennent ensuite le processus de la Question Prioritaire Constitutionnelle (QPC), l’intégration de la charte de l’Environnement à la Constitution, la conformité à la Constitution du régime de garde à vue, etc. Ces évolutions de fonctionnement sont présentées par le biais de cas concrets, comme la saisine par Cédric Herrou (agriculteur habitant dans la vallée de La Roya) qui a déposé une QPC devant la Cour de cassation qui l’a transmise au Conseil constitutionnel le neuf mai 2018, la décision de ce dernier donnant une portée juridique au principe de Fraternité, en l’occurrence la liberté d’aider autrui dans un but humanitaire sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national.
Parmi les autres missions réalisées par le Conseil constitutionnel, les autrices consacrent six pages à la décision I.V.G. : il répond sur le droit et non sur le sujet de l’I.V.G. Par ailleurs il s’appuie sur la notion de liberté, et plus précisément la liberté des femmes à disposer de leur corps. La dernière partie explique à quoi sert le Conseil pour l’élection présidentielle : il veille à la régularité de cette élection. Les deux autrices suivent le processus de détermination des candidats à l’issue de la période dite des parrainages, puis elles accompagnent, chacune de leur côté, un délégué du Conseil de constitutionnel pour les opérations de contrôle des bureaux de votes. Tout observer avant de se présenter aux assesseurs : le nombre de bulletins et tous les noms des candidates et candidats présents, l’affichage de la loi au mur, la présence des procès-verbaux à disposition du public, l’ordre des opérations de vote (c’est-à-dire qu’il faut mettre son bulletin dans l’urne, puis signer), la transparence de l’urne et ses cadenas qui confirment qu’elle bien fermée, l’accessibilité aux isoloirs, et la détention de chacun une clé par assesseur. Ce chapitre comprend une dizaine de cas d’entorse ayant donné lieu à l’annulation des votes du bureau concerné.
La promesse de visiter les couloirs d’une telle institution peut intimider a priori le lecteur. Il bénéficie de l’accompagnement de deux autrices bienveillantes, pédagogues et pleines d’entrain avec un humour bien dosé. Il se rend compte qu’avec de telles guides l’histoire et le rôle du Conseil constitutionnel se découvrent et s’apprennent aisément, deviennent passionnants et l’emmènent dans des situations inattendues aussi bien historiques (la loi sur l’I.V.G.), qu’artistiques (les colonnes de Buren), sociales (venir en aide à des personnes en situation irrégulière) et même anecdotiques (le miel du Conseil). Édifiant et indispensable.
Je suis un simple lecteur, une simple personne qui n'y connaît peut-être pas grand-chose dans l'expertise d'une BD, mais qui passe un de ses meilleurs moments en la lisant. Une BD c'est fait pour s'évader et se divertir, ce que "The Prism" fait très bien ( à mon humble avis). Le simple fait d'être un fan de musique vous fait aimer ce genre de scénario, certes saugrenu mais tellement évasif, drôle et sans prise de tête. J'aime beaucoup "The Prism" chacun en donnera son avis pourvu qu'il le lisent. Le miens est ici, et je suis plus qu'heureux de découvrir la suite.
Ayant apprécié Les aventures de Philip et Francis, je me suis naturellement dirigé vers l'autre grande série de ce duo d'auteurs. Et bien m'en a pris, car voilà une grande réussite, peut-être plus encore que Philip et Francis ! On retrouve vraiment la même identité dans l'humour loufoque et la parodie maîtrisée, c'est un plaisir. Les deux premiers tomes nous proposent de véritables enquêtes à la Sherlock Holmes où Veys réussit le tour de force de nous proposer des scénarios qui auraient pu sortir de la plume de Sir Arthur Conan Doyle lui-même (plus ou moins, bien sûr), mais avec un humour absolument craquant, qui ne détruit jamais la qualité des scénarios. C'est tellement drôle que je me suis même surpris à éclater de rire à voix haute !
J'attendais donc avec beaucoup d'impatience le diptyque qui allait emmener Sherlock Holmes, Watson, Lestrade et Mrs Hudson en Inde. Paradoxalement, c'est justement ces deux tomes les plus prometteurs (à mon sens) qui sont les moins réussis. Ce qui ne signifie en rien qu'ils soient mauvais, mais l'aspect aventures rompt peut-être un peu trop avec la dimension policière inhérente au personnage de Holmes (même si Conan Doyle lui-même glissait une grosse part de pure aventure dans ses romans), et nous entraîne finalement plus sur une sorte de parodie de Jules Verne. C'est plaisant, mais l'humour hilarant est un peu dilué dans des péripéties qui ont pour mission première de faire avancer le récit, et le mélange fonctionne un peu moins bien. Cela n'en reste pas moins très agréable à lire, et l'ensemble fourmille d'idées très drôles malgré tout (simplement, elles sont moins exploitées que dans les autres récits de la saga).
Enfin, le dernier tome de la saga nous ramène aux fondamentaux et renoue avec l'aspect policier de Holmes, y compris dans les quelques histoires de deux pages qui concluent la série.
Au bilan, malgré une très légère baisse de régime en milieu de saga, Baker Street est un pilier très solide de la bande dessinée d'humour et surtout de la bande dessinée parodique, un genre où il est très difficile de trouver l'équilibre. La réussite de Veys et Barral est certainement d'avoir trouvé cet équilibre et d'avoir ainsi su rester dans les limites du bon goût du début à la fin, tout en sachant nous emmener sur leur terrain absurde et loufoque. Bref, une bande dessinée que je relirai facilement, et qui sera un bon antidote à la moindre baisse de morale qui s'annoncerait à l'horizon !
Je ne m'attendais pas à être autant ému et émerveillé en lisant cette BD.
"De pierre et d'os" est une fidèle adaptation du roman du même nom de Bérengère Cournut, elle retrace le parcours de vie d'une jeune inuite, Uqsuralik. Et ce parcours ne sera pas des plus facile. La glace qui craque et qui la sépare de sa famille, elle va devoir vivre ou plutôt survivre avec quelques chiens et un minimum d'outils. Un parcours fait de rencontres, pas toujours bienveillante (le Vieux), qui la feront grandir et devenir mère. Un voyage initiatique, écologique et spirituel (avec les différents esprits locaux) qui m'a embarqué dès les premières planches. J'ai particulièrement aimé les passages où le chamanisme est présent. L'évolution d'Uqsuralik, entre tristesse et joie, au fil des années permet de découvrir le mode vie des inuits.
Une narration dominée par la voix off d'Uqsuralik qui donne ce ton envoûtant empreint de poésie et d'onirisme qui prend aux tripes. Une lecture que je n'ai pu lâcher avant sa conclusion avec ce doux parfum de résilience.
Un dessin puissant et immersif aux lignes expressives rehaussé par de superbes couleurs à l'aquarelle. Des visages taillés à la serpe, des panoramas qui en mettent plein les yeux. Certaines planches sont de véritables tableaux montrant toute l'immensité et la rudesse des lieux. Que dire aussi de cette pleine page sur le visage du Vieux après son acte ignoble : juste glaçant.
Magnifique.
Une adaptation réussie. Bravo à Krassinsky.
Coup de cœur.
" Electric Miles ", c'est de la balle !
Un découpage canon qui offre presque une expérience sensorielle avec des séquences de haute volée (les auteurs donnent l'impression de faire du Christopher Nolan en BD !), Brüno au sommet de son art, quelques touches d'humour bien senties, un introduction prenante, bourrée de références, un Wilbur insaisissable (gourou charismatique ou être fantasque au sérieux délicieusement ridicule).
Nury semble aussi bien s'amuser dans cet album en s'affichant en démiurge tout puissant qui expose de façon volontairement caricaturale les liens pernicieux entre l'artiste qui a soif de création et les esprits mercantiles grossiers dont il dépend.
Et les femmes de Brüno, ah ses femmes !
Bref, ça donne envie de lire la suite !
Le sujet m'intéresse. J'ai le sentiment que la place du sexe dans nos vies est en train de changer : Grâce à #metoo, la performance sexuelle masculine et hétéro n'est plus l'objectif commun d'accomplissement. Le capitalisme tardif, avec ses publicités sexualisées, continue son matraquage mais en perdant de la légitimité dans les milieux dominants. Dans le même temps, j'ai entendu sur radio Nova que plus des trois quarts des français déclarent ne pas avoir eu de relation sexuelle dans les 12 derniers mois. C'était un aveux impossible socialement, il y a seulement 10 ans.
Cet album décomplexe, informe, et remet à jour les pendules : non le sexe n'est pas une obligation pour avoir une vie accomplie. (Beaucoup de douleurs psychiques viennent de ce décalage entre le discours ambiant et la réalité de la vie des gens, en particulier à l'adolescence ; Je regrette que Marie de Brauer ne soit pas allée plus loin en rajoutant : le sexe a été utilisé par le capitalisme comme outil de commercialisation, comme dérivatif à tout engagement, et en particulier politique.) Les moments d'une relations sexuelle sont mis en scène, découpés, analysés, objectivés, : c'est pédagogique et probablement très utile pour les débutants puisque ça montre que nous sommes tous.tes différents et qu'apprendre à parler est un atout important pour la réussite de l'entreprise !
Je vois souvent MDB sur les réseaux sociaux et elle produit sur moi un sentiment de joie immédiat : elle fait du rentre dedans en choisissant des mots grossiers, tout en cherchant à créer du lien par l'évocation de situations familières très bien croquées, où elle ne se présente pas forcément à son avantage : L'autodérision est son outil principal pour créer un sentiment de sororité. Son ambiguïté (trash versus entretien du commun) est savamment entretenue, dans ses chroniques comme dans la BD. Sa croisade grossophile, bien légitime, a tendance à effacer les arguments politiques, qui restent sous-jacents.
Le dessin est un peu en contrepoint du fond, et c'est bien comme ça : tout rose, tout en rondeur suave, traits fins, légers, couleurs bonbons... Ça me rappelle mon premier livre de cuisine ! On voit qu'à l'époque l'idée était de donner envie aux petites filles de faire la cuisine comme maman ! j'espère qu'ici ce rose ambiant ne repoussera pas les hommes et que beaucoup d’adolescents liront ce petit précis de décomplexation sexuelle ! Faisons du sexe un sport comme un autre s'il est consenti et protégé, bien-sûr !
Le style graphique de la BD est steampunk très appréciable. Je ne suis pas un adepte du style mais là c'est bien fait.
L'histoire est très intéressante et pousse à réfléchir. Le récit se raconte sous forme de chapitres comme une mini série.
C'est bourré de bonnes idées.
J'écris cet avis car il faut soutenir des BD aussi qualitatives !
Les forêts sont devenues trop petites pour la liberté.
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Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Son édition originale date de 2022. Il a été réalisé par Jean-Marc Rochette pour le scénario, les dessins et les couleurs. Il comprend deux-cent-trente-quatre pages de bande dessinée. Il s’inscrit dans une trilogie thématique après Ailefroide - Altitude 3954 (2018) avec Olivier Bocquet pour le scénario, puis Le Loup (2019) avec Isabelle Merlet pour les couleurs.
Grenoble, prison Saint-Joseph, quatre heures du matin : trois gardiens accompagnent un responsable jusqu’à la cellule d’Édouard Roux. À l’extérieur dans la cour, la guillotine attend, prête. Un garde fait jouer la serrure de la cellule, l’officiel en costume entre et annonce au prisonnier que sa demande de grâce a été rejetée. En 1898 dans les montagnes enneigées du Vercors, un villageois avance laborieusement et annonce : Ils ont tué l’ours ! Alors qu’il approche d’autres villageois, il complète : C’est le berger Tolozan qui l’a tué ! Et il précise : À la grande cabane. Bientôt arrive un groupe de quatre hommes : le premier tenant la longe du cheval qui tire le traîneau de fortune sur lequel se trouve le cadavre d’un ours, avec trois chasseurs autour. Le petit groupe redescend vers le village. Il passe devant quatre enfants. L’un d’eux, roux, estime que c’est une belle horreur que de tuer une telle bête. Un autre, un peu plus grand, le raille, répliquant qu’il est bien comme sa mère, toujours dans les forêts et les montagnes à manger de l’herbe. Il se fait plus méchant en disant qu’elle couche avec les loups et avec les ours, et que d’ailleurs si Édouard est roux et qu’il n’a pas de père, c’est sûr et certain qu’il est le fils de l’ours. Les trois enfants reprennent en chœur cette moquerie : Fils de l’ours, en pointant Édouard du doigt. Celui-ci ne se laisse pas faire et prend un bâton pour frapper le plus grand.
Un gendarme intervient, intimant à Édouard de s’arrêter, et en lui administrant une baffe bien sentie. Il ajoute que le garçon va séjourner au cachot en attendant que sa mère vienne le chercher. Marie Roux vient récupérer son fils, et le gendarme lui prédit que son fils, un vaurien, finira au bagne ou à l’échafaud. La mère et le fils regagnent silencieusement leur maison à l’écart du village. Marie conseille à son fils de faire attention, car les gens sont méchants. Méchants et cruels. Bien plus que les bêtes de la forêt. Il faut s’en méfier comme de la peste et les fuir ; ils ont le diable en eux. Sur la place du village, les enfants jettent des boules de neige sur le cadavre de l’ours. Cent mille ans avant Jésus Christ, dans la même région du Vercors : un aigle plane haut dans le ciel. Deux oursons observent leur mère : elle est en train de pêcher dans le cours d’eau, et elle parvient à attraper un poisson. Suivie par ses deux petits, elle regagne la prairie pentue. En pleine nuit, le hurlement des loups se fait entendre : une meute comptant une dizaine d’individus. L’ourse gronde contre eux, ses deux oursons se demandant ce qui va se passer. Les loups passent à l’attaque.
C’est un énorme plaisir que de retrouver cet artiste dans un récit naturaliste : la dernière ourse du Vercors. C’est une surprise totale que de découvrir la nature du récit : celui-ci s’avère beaucoup plus fourni qu’une simple ode à un animal sauvage. Oui, l’ours est mis en valeur : en particulier par la mise en perspective de sa présence dans cette région du Vercors. Pour commencer la mort du dernier ours, du dernier roi en 1898. Puis un retour dans des temps reculés cent mille ans avant Jésus Christ pour la réalité sans pitié du règne animal avec une ourse et ses oursons contre une meute de loups. Puis trente mille ans avant Jésus Christ, toujours dans la même région, avec une expérience mystique et un chaman qui énonce que : Le soir où mourra la dernière reine, alors ce sera le début du temps des ténèbres. L’an mil : la traque à l’ours et la sorcière. L’an 1338 et la condamnation d’un animal pour ses crimes, avec comme peine d’être pendue puis brûlée, pratique authentique quand les animaux étaient tenus pour responsables de leurs actes, et jugés comme les êtres humains. La narration visuelle fait des miracles pour donner vie aux animaux en général, et à l’ours en particulier, sans anthropomorphisme ou personnification, en restituant leur caractère sauvage. Le lecteur se retrouve à la fois sous le charme, à la fois habité par un respect teinté de peur devant ces êtres vivants proches d’incarner des forces de la nature, avec des couleurs sombres soulignant un environnement naturel et indifférent.
Le début du récit annonce clairement sa résolution, et le sort du personnage principal, enfin du rôle principal pour un être humain. Le lecteur suit donc Édouard Roux de 1898, alors qu’il a dix ans (il énonce être né le premier février 1888), jusqu’à son destin final. Au cours de son existence, il commence par être un enfant élevé par sa mère dans un environnement naturel, à l’écart du village, puis une gueule cassée à l’issue de la première guerre mondiale, et puis le compagnon d’une artiste sculptrice. Le récit s’avère indissociable de cet homme, avec un degré d’intrication que seul une narration organique peut atteindre. À l’évidence s’il a lu Ailfroide, le lecteur peut déceler des éléments autobiographiques : le visage abimé (certes moins gravement pour Rochette), la vie dans les montagnes, la profession d’artiste, l’admiration pour le peintre Chaïm Soutine (1894-1943) et son tableau Le bœuf écorché (1925), et une forme de misanthropie assumée. Toutefois la narration va bien au-delà d’une simple projection de son auteur. Le lecteur ressent à chaque page la cohérence et le caractère intime de la narration. Il découvre chaque page sans plus s’attacher aux caractéristiques des dessins ou aux plans de prise de vue, se retrouvant habité par le tout. Il fait l’expérience d’une expression totale, d’une sincérité et d’une honnêteté extraordinaires. L’auteur vit ce qu’il raconte au plus profond de lui, l’exprime avec une clarté rayonnante, transformant chaque case, chaque séquence, chaque réplique, chaque geste en une évidence.
Cette qualité narrative irradie de chaque planche. Le lecteur peut aussi très bien prendre du recul, avec un point de vue plus analytique. Il retrouve toutes les qualités de l’art de Jean-Marc Rochette. Il utilise des traits encrés ou peints assez épais, des petits traits pour apporter des textures, des ombres portées : s’il lui prend l’envie de s’attarder sur une case et la manière dont les individus et les décors sont représentés, le lecteur peut y voir des dessins un peu grossiers, manquant de finitions précises. Dès que son regard passe à la case suivante, la magie opère à nouveau : les sensations sont là, l’impression est d’une justesse incroyable, tant pour la situation en elle-même, que pour les émotions qu’elle dégage, des impressions d’une justesse pénétrante. Oui, des ombres qui s’avancent jusqu’à la cellule où attend le condamné, cela constitue une scène déjà vue de nombreuses fois, mais pas avec cette saveur particulière d’une nuit tranquille et silencieuse, d’individus jouant leur rôle respectif avec acceptation, même s’il leur répugne, ils accomplissent leur devoir en adultes. Oui, une meute de loups qui s’en prend à une ourse et ses petits, c’est une scène animalière classique et les dessins tirent profit d’une nuit sans lune, d’une obscurité masquant les détails, d’une neige uniforme, et pourtant le lecteur se retrouve partagé entre une scène de la cruauté implacable de la vie entre prédateurs et une envie irrépressible d’y projeter des sentiments humains. Chaque scène peut se regarder avec détachement : on y retrouve les outils narratifs classiques, jusqu’aux têtes qui parlent en alternance de champ et contrechamp, et pourtant à chaque fois la magie opère et la narration visuelle emporte le lecteur.
Au travers de la situation d’Édouard Roux et du sort de la dernière reine, l’auteur aborde de nombreux thèmes nourrissant cette œuvre d’une grande richesse. Il met en perspective la présence des ours au sein du Vercors, dans un temps long, en partant de cent mille ans dans le passé, jusqu’au début du vingtième siècle, ce qui relativise drastiquement l’action de l’être humain, ainsi que sa relation avec le règne animal et naturel. Ainsi initié ce thème revient régulièrement et se développe de manière organique au gré des séjours du personnage dans le Vercors, parfois accompagné de Jeanne Sauvage. Ainsi, il établit le constat que les forêts sont devenues trop petites pour la liberté, que certaines sont transformées en zone de sylviculture en particulier pour les sapins destinés à être de futures planches, ce qui ne constitue pas une vraie forêt. La fragilité des zones naturelles cède sous le comportement de dévoration, d’ogre de l’être humain. Les hommes tuent la magie.
Le parcours de vie du soldat Roux met en scène l’horreur des tranchées, la responsabilité des chefs de guerre (il est dit de Clémenceau que son rôle est de faire couler le sang des autres), le stress post traumatique d’être défiguré au front sur le champ de bataille. Sa vie s’en trouve irrémédiablement gâchée, puisqu’il est condamné à vivre littéralement avec sac sur la tête pour cacher son visage ravagé au reste de ses semblables. Sa pension apparaît dérisoire au regard d’un tel traumatisme qui constitue une condamnation à vie pour avoir défendu sa patrie comme il lui était ordonné. La cruauté inouïe de ce sort ressort à chaque instant de manière flagrante en compagnie des hommes et des femmes mal à l’aide en sa présence dans un réflexe automatique irrépressible, sans même parler de la souffrance physique continue.
La sollicitude et la compassion de Jeanne Sauvage n’en rayonnent que d’autant plus. Édouard entre en contact avec elle sur la recommandation d’une autre gueule cassée, car elle confectionne des masques ressemblant à de la chair pour redonner apparence humaine à ces visages massacrés. L’auteur s’est inspiré de Jane Poupelet (1874–1932), artiste réalisant des sculptures animalières et des nus féminins, engagée auprès de la Croix-Rouge américaine, et modelant des masques (moulés à la cire sur les visages, remodelés, tirés en cuivre et ornés d'émail peint) à partir de photographies. Elle fréquente un milieu artistique parisien, à Montmartre, plus précisément au Lapin Agile, propriété de Aristide Bruant (1851-1925, chansonnier, écrivain). C’est en l’accompagnant que Roux finit par faire la connaissance de Soutine en lui livrant la carcasse qui servira de modèle pour le Bœuf écorché. Ces artistes évoquent également Et le soleil s’endormit sur l’Adriatique (1910) de Roland Dorgelès (1885-1973, un tableau peint par la queue d’un âne), la Fontaine (1917) de Marcel Duchamp (1887-1968, peintre, plasticien). Cette évolution de l’art fait dire à un des artistes présents que : Dans cinquante ans tout deviendra de l’art, de la pissotière à la canule, avec comme seul arbitre des élégances, le pognon, les banquiers feront marcher les artistes à la baguette, comme les ours de foire. Le lecteur ressent ce jugement de valeur comme étant celui de l’auteur. Cette appréciation se trouve renforcée en découvrant l’escroquerie que le galeriste Orloff commet aux dépens de Jeanne Sauvage, à la fois un individu sans moral grugeant une artiste, à la fois abusant du pouvoir que lui donne sa position sur une personne plus faible. Le lecteur découvre également la profession de foi de l’auteur en tant qu’artiste : L’art n’est rien s’il ne force le réel.
Ce dernier tome de cette trilogie thématique pulvérise en richesse et en qualité les deux précédents, déjà extraordinaires. Le lecteur ressent l’expression pleine et entière, directe et puissante de son créateur, tant au travers de la narration graphique que du récit et des thèmes abordés. Le lecteur prend le parti d’Édouard Roux sans aucune réserve, et il se trouver percuté de plein fouet par le sort que lui réserve la société, les bonnes gens. Éprouvant et salutaire.
J'avais beaucoup apprécié Merel, qui racontait la ruralité d'aujourd'hui dans une fiction très bien construite, où la psychologie des personnages était très fouillée et touchante. Avec Moheeb, l'autrice persévère dans son génie de l'observation psycho-sociale.
Dit comme ça, j'ai conscience que ce n'est pas très excitant. Pourtant on lit rarement des BD qui vous ouvrent des portes sur un monde que vous cotoyez et que pour autant vous n'avez jamais compris.
C'est très émouvant d'accéder à son prochain, finalement.
Un parking dans une petite ville, des jeunes qui glandouillent en jouant vaguement avec un ballon dégonflé... On a tous vu ça. Mais on ne l'a pas observé, et tous les signes qui étaient pourtant sous nos yeux n'ont pas révélé les diverses trames de scénario en train de se jouer.
C'est ce tissage de liens et d'indifférence mêlés qui est parfaitement rendu et exploré.
Le dessin est légèrement moins élégant que dans Merel, tirant parfois vers le comics underground à la Backderf ( Mon ami Dahmer et Trashed) mais cela apporte quelque chose que j'ai du mal à définir. A d'autres moments les couleurs et les lumières reprennent leur capacité d'évocation sensuelle.
Toutes les générations trouvent leur place dans ce scénario centré sur Moheeb et sur toutes ses sensations ( l'odeur d'un mouchoir, les piqûres d'ortie où on frotte du plantain, la sensation de la limace sur les doigts, les bourdonnements des voitures, des insectes, la pluie sur le goudron éventré...) mais il s'ouvre sur chacun de nous traversant ce parking et finissant par jouer son rôle dans la partition.
Je ressors de ma lecture pleine d'émotion et d'admiration pour Clara Lodewick.
Comme ma note l'indique j'ai franchement adoré cette lecture. Dès les premières planches je suis rentré dans le récit. En premier lieu j'ai immédiatement adopté le personnage de Marcia, journaliste Afro-Américaine du modeste Palm Beach Sun qui a fidélisé son lectorat dans les nouvelles de proximité. Par un revers de fortune de son compagnon, c'est elle qui a la fonction gratifiante dans le foyer. Elle parle d'égal à égal avec la police, son chef la respecte et elle peut prendre des initiatives qui lui permettent ( à ses risques familiaux et financiers) de poursuivre son enquête avec des alliées ( blanches) de circonstance. Carlos Portela installe donc son récit dans une Amérique moderne sur de nombreux points ( place de la femme, mixité dans le travail) jusqu'au personnage de Clay , Capitaine malheureux qui revient d'une mission à double tranchant en Irak: faire la transparence sur les exactions de ses frères d'armes dans la prison d'Abou Ghraib. Portela n'est pas naïf pour autant puisqu'il installe son récit en pleine crise des subprimes (2008) dont il fait de nombreuses allusions déguisées dans son récit. Au contraire d'une Amérique déboussolée, Marcia incarne une nation mixte, gardant le goût du risque , de la recherche de la vérité et qui réussit à surmonter ses difficultés (ici familiales, financières et professionnelles). C'est d'ailleurs à mon avis l'un des deux grands axes du scénario très riche de Portela. Comme le signale Clay au révérend en page 138 la finalité de tout cela est "d'être capable de surmonter les épreuves".
Le deuxième axe est évidemment celui des mauvaises actions et des mauvaises personnes. C'est la thématique du "Diable au corps" qui s'exprime soit par opportunité soit par autorité abusive. L'auteur ne se contente pas d'une psychologie de comptoir. Il fouille son personnage de Clay afin de lui proposer plusieurs réponses comme une palette des réactions que nous pourrions avoir. C'est d'autant plus subtil que l'auteur abat d'un coup les défenses humanistes de son lectorat en centrant son récit sur la pédophilie de Christian.
Pas d'actes monstrueux en visuel, pas de complaisance au voyeurisme malsain, mais une approche bien plus fine avec ce chat numérique que nombre de parents ne peuvent maitriser aujourd'hui. Portela revient alors sur la thématique de la vérité des mots et des images entre une population naïve et vulnérable et une autre qui triche à tous les étages.
Pour moi ce scénario et un régal de construction et de justesse. La construction avec des aller-retour aurait pu nuire à la fluidité du récit. C'est tout le contraire à mes yeux car l'auteur nous invite à "changer de point de vue". Il y a donc de la cohérence à changer de narrateur en passant de Marcia à Clay car on peut les lire comme les deux versants du même personnage.
Pour compléter ce superbe scénario le graphisme de Keko nous installe dans une ambiance N&B comme un négatif du beau soleil de Floride. C'est sûrement la couleur des pensées de Clay hanté par l'horreur de sa situation et celles de Marcia coincée entre "une routine aliénante" p41 et puis ses soucis familiaux et financiers. Tout est recherche de la lumière vérité dans cet accumulation d'ombres. Le trait est fort portant une formidable expressivité des personnages. Cela fortifie la narration qui s'adapte parfaitement à la puissance du récit.
Une très belle lecture où les auteurs touchent à des thématiques fondamentales sur le Mal qui fait de nous de potentiels bourreaux.
C'est traité sans complaisance, ni facilité. Du très beau travail.
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Dans les couloirs du Conseil constitutionnel
La Constitution prime sur la loi. - Ce tome constitue une présentation des différentes facettes du Conseil constitutionnel créé en 1958. Son édition originale date de 2024. Il a été réalisé par Marie Bardiaux-Vaïente pour le scénario, par Gally pour les dessins, et par cette dernière et Grinette pour les couleurs. Il comprend cent-neuf pages de bande dessinée. Deux rue Montpensier dans le premier arrondissement de Paris, Marie & Gally passent les contrôles d’accès : scan des sacs et détection de métaux, pour entrer dans le bâtiment du Conseil constitutionnel. La première a des étoiles plein les yeux, la seconde se demande encore pourquoi elle a accepté, en reconnaissant toutefois le caractère exceptionnel de l’architecture du bâtiment. Elle demande à la scénariste à quoi sert le Conseil. Marie commence son exposé : Quand on se réfère au Conseil constitutionnel, on pense immédiatement à l’élection présidentielle. Tout le monde sait qu’il a un rôle à jouer dans la bonne tenue de cet événement majeur de la vie publique française. Mais dès son origine, cette institution créée en même temps que la Ve République avait d’autres motivations. Le 1er juin 1958, la IVe République se décompose littéralement. René Coty fait appel au général De Gaule pour former un gouvernement et réformer les institutions. Le général sollicite alors l’investiture de l’Assemblée nationale. […] Investi des pleins pouvoirs le 3 juin, il obtient des parlementaires de mettre en place une nouvelle constitution dans les six mois qui suivent. Lors de son discours devant l’Assemblée nationale, le général De Gaulle déclare que le gouvernement qu’il va former moyennant la confiance des députés, saisira l’Assemblée sans délai d’un projet de réforme de la Constitution, de telle sorte que l’Assemblée nationale donne mandat au gouvernement d’élaborer, puis de proposer au pays par la voie du référendum, les changements indispensables. Le suffrage universel est la source de tout pouvoir. Le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif doivent être effectivement séparés de façon que le gouvernement et le parlement assument, chacun pour sa part et sous sa responsabilité, la plénitude de ses attributions. Le dernier garde des Sceaux de la IVe République est chargé d’établir un projet de constitution. Cet homme, c’est Michel Debré. Il établit qu’Un comité constitutionnel dégagé de toute attache, aura qualité pour apprécier si les lois votées sont conformes à la Constitution et si les élections diverses ont lieu régulièrement. De Gaulle lui précise que toute loi devra dorénavant respecter la norme suprême : la Constitution. Le projet de nouvelle constitution est soumis à référendum le 28 septembre. En outre-mer, la question posée comporte une double signification : les électeurs et électrices expriment aussi leur volonté de demeurer liés à la France sous une forme à déterminer. C’est un succès. 85,07% des votants approuvent la nouvelle constitution. Le Conseil constitutionnel en bande dessinée ? Au moins, les autrices font preuve d’ambition pour rendre intelligible cette institution française au plus grand nombre. Pour cette œuvre pédagogique de vulgarisation, elles adoptent un dispositif narratif classique et éprouvé pour ce genre d’ouvrage : se mettre en scène sous forme d’avatar simplifié aux réactions parfois exagérées ce qui introduit une saveur humoristique, sans pour autant dénaturer le propos. Marie joue le rôle de bonne élève désireuse d’apprendre, disposant déjà des notions de base sur le sujet, respectueuse et même admiratrice de cette institution. Galy joue le rôle de mauvais élève : pas intéressée a priori, présentant quelques troubles de déficit de l’attention, facilement distraite par ce qui se passe autour d’elle, par les actions des uns et des autres. La narration visuelle happe de suite le lecteur, montrant beaucoup et de manière diversifiée. Réaliser un exposé en bande dessiné représente un défi narratif : il faut parvenir à dépasser la suite d’illustrations accolées à un texte copieux et didactique. Dans les premières pages, le lecteur suit les deux autrices : il passe le contrôle à l’entrée avec elles, il monte l’escalier et admire l’architecture, il assite au discours du général De Gaulle comme s’il visionnait un document d’archive, il se trouve dans le salon où se réunissent les onze membres originels pour la première fois, il se promène au milieu des colonnes de Buren, il assiste au discours de Camille Desmoulins, il voit les schémas plaçant les différentes ordres civil, pénal et administratif et leur organes, ou encore la pyramide des normes, dite de Kelsen. L’utilisation de dispositifs visuels variés peut dans un premier temps apparaître comme un effort d’apporter de la diversité dans les cases. Le lecteur commence par l’envisager, et progressivement il prend conscience qu’ils apportent d’autres choses à la narration. Cela apparaît une évidence que les deux avatars se promènent dans les locaux du Conseil constitutionnel, permettant ainsi au lecteur de la visiter. Il peut trouver plaisant ou rigolo de bénéficier d’une vue imprenable sur l’installation Les deux plateaux (1986) de Daniel Buren (1938-), ou les Hommes de Bessines (réalisés en 1991) de l’artiste Fabrice Hyber crachant de l’eau par tous les orifices, de constater le moelleux des fauteuils, de faire le touriste avec les ruches sur le toit, treize cartouches de cuivre émaillées cloutées sur parquet de bois, la réparation du cadran d’une grande horloge murale par le secrétaire général lui-même, ou encore l’installation d’une boule à facettes géante pour la décoration hall en vue de fêter l’entrée dans la nouvelle année, etc. Les autrices font également un usage raisonné du décalage, que ce soit les regards enamourés de Marie pour l’institution, ses cœurs dans les yeux quand elles reçoivent des cadeaux (des produits marqués du sigle du Conseil), ou une irrésistible disposition de page singeant l’émission de jeux télévisuelle de l’Académie des neuf. Il se rend compte que ces éléments et ces détails rendent l’institution tangible et concrète dans sa matérialité bâtimentaire et fonctionnelle, administrative et humaine, son incarnation pragmatique. En progressant dans l’ouvrage, le lecteur se prend à sourire des facéties de Marie et de Gally, chacune avec un trait de caractère appuyé, l’admiration sans borne pour l’une, le dilettantisme du cancre pour l’autre. Là encore, la direction d’actrices montre leurs réactions, parfois un peu appuyées, aux différentes étapes de leur visite, en particulier la chance de pouvoir ainsi explorer les locaux du 2 rue Montpensier, et les rencontres avec des hommes politiques de premier plan dans un contexte privilégié. Le lecteur peut éventuellement regretter une forme de consensualité dans la façon de les présenter, ou il peut l’envisager comme une forme de respect poli correspondant à la démarche de vulgarisation. Quoi qu’il en soit, ces moments participent également à montrer qu’il s’agit d’êtres humains comme les autres, une manière supplémentaire de faire s’incarner l’institution, des professionnels faisant leur travail, que ce soit l’apiculteur, le secrétaire général, et même les députés s’opposant à la loi sur l’I.V.G. La scénariste a conçu une structure d’exposé qui mêle l’ordre chronologique et les questions thématiques. Elle commence par aborder l’historique de la création du Conseil constitutionnel à l’occasion de la création de la Ve République, puis sa composition, son rôle dans l’élection présidentielle, l’articulation entre Constitution française et Constitution européenne. Puis elle présente le développement du rôle du Conseil, en évoquant sa décision contre le ministère de l’Intérieur concernant la création d’une association de soutien à l’organisation La gauche prolétarienne en 1971, puis l’élargissement de la saisine du Conseil, initialement réservée aux présidents de la République, Premier ministre, ou président de l'une ou l'autre assemblée, qui est élargie avec la loi constitutionnelle du 29 octobre 1974, à soixante députés ou soixante sénateurs. Viennent ensuite le processus de la Question Prioritaire Constitutionnelle (QPC), l’intégration de la charte de l’Environnement à la Constitution, la conformité à la Constitution du régime de garde à vue, etc. Ces évolutions de fonctionnement sont présentées par le biais de cas concrets, comme la saisine par Cédric Herrou (agriculteur habitant dans la vallée de La Roya) qui a déposé une QPC devant la Cour de cassation qui l’a transmise au Conseil constitutionnel le neuf mai 2018, la décision de ce dernier donnant une portée juridique au principe de Fraternité, en l’occurrence la liberté d’aider autrui dans un but humanitaire sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national. Parmi les autres missions réalisées par le Conseil constitutionnel, les autrices consacrent six pages à la décision I.V.G. : il répond sur le droit et non sur le sujet de l’I.V.G. Par ailleurs il s’appuie sur la notion de liberté, et plus précisément la liberté des femmes à disposer de leur corps. La dernière partie explique à quoi sert le Conseil pour l’élection présidentielle : il veille à la régularité de cette élection. Les deux autrices suivent le processus de détermination des candidats à l’issue de la période dite des parrainages, puis elles accompagnent, chacune de leur côté, un délégué du Conseil de constitutionnel pour les opérations de contrôle des bureaux de votes. Tout observer avant de se présenter aux assesseurs : le nombre de bulletins et tous les noms des candidates et candidats présents, l’affichage de la loi au mur, la présence des procès-verbaux à disposition du public, l’ordre des opérations de vote (c’est-à-dire qu’il faut mettre son bulletin dans l’urne, puis signer), la transparence de l’urne et ses cadenas qui confirment qu’elle bien fermée, l’accessibilité aux isoloirs, et la détention de chacun une clé par assesseur. Ce chapitre comprend une dizaine de cas d’entorse ayant donné lieu à l’annulation des votes du bureau concerné. La promesse de visiter les couloirs d’une telle institution peut intimider a priori le lecteur. Il bénéficie de l’accompagnement de deux autrices bienveillantes, pédagogues et pleines d’entrain avec un humour bien dosé. Il se rend compte qu’avec de telles guides l’histoire et le rôle du Conseil constitutionnel se découvrent et s’apprennent aisément, deviennent passionnants et l’emmènent dans des situations inattendues aussi bien historiques (la loi sur l’I.V.G.), qu’artistiques (les colonnes de Buren), sociales (venir en aide à des personnes en situation irrégulière) et même anecdotiques (le miel du Conseil). Édifiant et indispensable.
The Prism
Je suis un simple lecteur, une simple personne qui n'y connaît peut-être pas grand-chose dans l'expertise d'une BD, mais qui passe un de ses meilleurs moments en la lisant. Une BD c'est fait pour s'évader et se divertir, ce que "The Prism" fait très bien ( à mon humble avis). Le simple fait d'être un fan de musique vous fait aimer ce genre de scénario, certes saugrenu mais tellement évasif, drôle et sans prise de tête. J'aime beaucoup "The Prism" chacun en donnera son avis pourvu qu'il le lisent. Le miens est ici, et je suis plus qu'heureux de découvrir la suite.
Baker Street
Ayant apprécié Les aventures de Philip et Francis, je me suis naturellement dirigé vers l'autre grande série de ce duo d'auteurs. Et bien m'en a pris, car voilà une grande réussite, peut-être plus encore que Philip et Francis ! On retrouve vraiment la même identité dans l'humour loufoque et la parodie maîtrisée, c'est un plaisir. Les deux premiers tomes nous proposent de véritables enquêtes à la Sherlock Holmes où Veys réussit le tour de force de nous proposer des scénarios qui auraient pu sortir de la plume de Sir Arthur Conan Doyle lui-même (plus ou moins, bien sûr), mais avec un humour absolument craquant, qui ne détruit jamais la qualité des scénarios. C'est tellement drôle que je me suis même surpris à éclater de rire à voix haute ! J'attendais donc avec beaucoup d'impatience le diptyque qui allait emmener Sherlock Holmes, Watson, Lestrade et Mrs Hudson en Inde. Paradoxalement, c'est justement ces deux tomes les plus prometteurs (à mon sens) qui sont les moins réussis. Ce qui ne signifie en rien qu'ils soient mauvais, mais l'aspect aventures rompt peut-être un peu trop avec la dimension policière inhérente au personnage de Holmes (même si Conan Doyle lui-même glissait une grosse part de pure aventure dans ses romans), et nous entraîne finalement plus sur une sorte de parodie de Jules Verne. C'est plaisant, mais l'humour hilarant est un peu dilué dans des péripéties qui ont pour mission première de faire avancer le récit, et le mélange fonctionne un peu moins bien. Cela n'en reste pas moins très agréable à lire, et l'ensemble fourmille d'idées très drôles malgré tout (simplement, elles sont moins exploitées que dans les autres récits de la saga). Enfin, le dernier tome de la saga nous ramène aux fondamentaux et renoue avec l'aspect policier de Holmes, y compris dans les quelques histoires de deux pages qui concluent la série. Au bilan, malgré une très légère baisse de régime en milieu de saga, Baker Street est un pilier très solide de la bande dessinée d'humour et surtout de la bande dessinée parodique, un genre où il est très difficile de trouver l'équilibre. La réussite de Veys et Barral est certainement d'avoir trouvé cet équilibre et d'avoir ainsi su rester dans les limites du bon goût du début à la fin, tout en sachant nous emmener sur leur terrain absurde et loufoque. Bref, une bande dessinée que je relirai facilement, et qui sera un bon antidote à la moindre baisse de morale qui s'annoncerait à l'horizon !
De pierre et d'os
Je ne m'attendais pas à être autant ému et émerveillé en lisant cette BD. "De pierre et d'os" est une fidèle adaptation du roman du même nom de Bérengère Cournut, elle retrace le parcours de vie d'une jeune inuite, Uqsuralik. Et ce parcours ne sera pas des plus facile. La glace qui craque et qui la sépare de sa famille, elle va devoir vivre ou plutôt survivre avec quelques chiens et un minimum d'outils. Un parcours fait de rencontres, pas toujours bienveillante (le Vieux), qui la feront grandir et devenir mère. Un voyage initiatique, écologique et spirituel (avec les différents esprits locaux) qui m'a embarqué dès les premières planches. J'ai particulièrement aimé les passages où le chamanisme est présent. L'évolution d'Uqsuralik, entre tristesse et joie, au fil des années permet de découvrir le mode vie des inuits. Une narration dominée par la voix off d'Uqsuralik qui donne ce ton envoûtant empreint de poésie et d'onirisme qui prend aux tripes. Une lecture que je n'ai pu lâcher avant sa conclusion avec ce doux parfum de résilience. Un dessin puissant et immersif aux lignes expressives rehaussé par de superbes couleurs à l'aquarelle. Des visages taillés à la serpe, des panoramas qui en mettent plein les yeux. Certaines planches sont de véritables tableaux montrant toute l'immensité et la rudesse des lieux. Que dire aussi de cette pleine page sur le visage du Vieux après son acte ignoble : juste glaçant. Magnifique. Une adaptation réussie. Bravo à Krassinsky. Coup de cœur.
Electric Miles
" Electric Miles ", c'est de la balle ! Un découpage canon qui offre presque une expérience sensorielle avec des séquences de haute volée (les auteurs donnent l'impression de faire du Christopher Nolan en BD !), Brüno au sommet de son art, quelques touches d'humour bien senties, un introduction prenante, bourrée de références, un Wilbur insaisissable (gourou charismatique ou être fantasque au sérieux délicieusement ridicule). Nury semble aussi bien s'amuser dans cet album en s'affichant en démiurge tout puissant qui expose de façon volontairement caricaturale les liens pernicieux entre l'artiste qui a soif de création et les esprits mercantiles grossiers dont il dépend. Et les femmes de Brüno, ah ses femmes ! Bref, ça donne envie de lire la suite !
Une BD qui parle de cul
Le sujet m'intéresse. J'ai le sentiment que la place du sexe dans nos vies est en train de changer : Grâce à #metoo, la performance sexuelle masculine et hétéro n'est plus l'objectif commun d'accomplissement. Le capitalisme tardif, avec ses publicités sexualisées, continue son matraquage mais en perdant de la légitimité dans les milieux dominants. Dans le même temps, j'ai entendu sur radio Nova que plus des trois quarts des français déclarent ne pas avoir eu de relation sexuelle dans les 12 derniers mois. C'était un aveux impossible socialement, il y a seulement 10 ans. Cet album décomplexe, informe, et remet à jour les pendules : non le sexe n'est pas une obligation pour avoir une vie accomplie. (Beaucoup de douleurs psychiques viennent de ce décalage entre le discours ambiant et la réalité de la vie des gens, en particulier à l'adolescence ; Je regrette que Marie de Brauer ne soit pas allée plus loin en rajoutant : le sexe a été utilisé par le capitalisme comme outil de commercialisation, comme dérivatif à tout engagement, et en particulier politique.) Les moments d'une relations sexuelle sont mis en scène, découpés, analysés, objectivés, : c'est pédagogique et probablement très utile pour les débutants puisque ça montre que nous sommes tous.tes différents et qu'apprendre à parler est un atout important pour la réussite de l'entreprise ! Je vois souvent MDB sur les réseaux sociaux et elle produit sur moi un sentiment de joie immédiat : elle fait du rentre dedans en choisissant des mots grossiers, tout en cherchant à créer du lien par l'évocation de situations familières très bien croquées, où elle ne se présente pas forcément à son avantage : L'autodérision est son outil principal pour créer un sentiment de sororité. Son ambiguïté (trash versus entretien du commun) est savamment entretenue, dans ses chroniques comme dans la BD. Sa croisade grossophile, bien légitime, a tendance à effacer les arguments politiques, qui restent sous-jacents. Le dessin est un peu en contrepoint du fond, et c'est bien comme ça : tout rose, tout en rondeur suave, traits fins, légers, couleurs bonbons... Ça me rappelle mon premier livre de cuisine ! On voit qu'à l'époque l'idée était de donner envie aux petites filles de faire la cuisine comme maman ! j'espère qu'ici ce rose ambiant ne repoussera pas les hommes et que beaucoup d’adolescents liront ce petit précis de décomplexation sexuelle ! Faisons du sexe un sport comme un autre s'il est consenti et protégé, bien-sûr !
Un Battement d'aile de papillon
Le style graphique de la BD est steampunk très appréciable. Je ne suis pas un adepte du style mais là c'est bien fait. L'histoire est très intéressante et pousse à réfléchir. Le récit se raconte sous forme de chapitres comme une mini série. C'est bourré de bonnes idées. J'écris cet avis car il faut soutenir des BD aussi qualitatives !
La Dernière Reine (Rochette)
Les forêts sont devenues trop petites pour la liberté. - Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Son édition originale date de 2022. Il a été réalisé par Jean-Marc Rochette pour le scénario, les dessins et les couleurs. Il comprend deux-cent-trente-quatre pages de bande dessinée. Il s’inscrit dans une trilogie thématique après Ailefroide - Altitude 3954 (2018) avec Olivier Bocquet pour le scénario, puis Le Loup (2019) avec Isabelle Merlet pour les couleurs. Grenoble, prison Saint-Joseph, quatre heures du matin : trois gardiens accompagnent un responsable jusqu’à la cellule d’Édouard Roux. À l’extérieur dans la cour, la guillotine attend, prête. Un garde fait jouer la serrure de la cellule, l’officiel en costume entre et annonce au prisonnier que sa demande de grâce a été rejetée. En 1898 dans les montagnes enneigées du Vercors, un villageois avance laborieusement et annonce : Ils ont tué l’ours ! Alors qu’il approche d’autres villageois, il complète : C’est le berger Tolozan qui l’a tué ! Et il précise : À la grande cabane. Bientôt arrive un groupe de quatre hommes : le premier tenant la longe du cheval qui tire le traîneau de fortune sur lequel se trouve le cadavre d’un ours, avec trois chasseurs autour. Le petit groupe redescend vers le village. Il passe devant quatre enfants. L’un d’eux, roux, estime que c’est une belle horreur que de tuer une telle bête. Un autre, un peu plus grand, le raille, répliquant qu’il est bien comme sa mère, toujours dans les forêts et les montagnes à manger de l’herbe. Il se fait plus méchant en disant qu’elle couche avec les loups et avec les ours, et que d’ailleurs si Édouard est roux et qu’il n’a pas de père, c’est sûr et certain qu’il est le fils de l’ours. Les trois enfants reprennent en chœur cette moquerie : Fils de l’ours, en pointant Édouard du doigt. Celui-ci ne se laisse pas faire et prend un bâton pour frapper le plus grand. Un gendarme intervient, intimant à Édouard de s’arrêter, et en lui administrant une baffe bien sentie. Il ajoute que le garçon va séjourner au cachot en attendant que sa mère vienne le chercher. Marie Roux vient récupérer son fils, et le gendarme lui prédit que son fils, un vaurien, finira au bagne ou à l’échafaud. La mère et le fils regagnent silencieusement leur maison à l’écart du village. Marie conseille à son fils de faire attention, car les gens sont méchants. Méchants et cruels. Bien plus que les bêtes de la forêt. Il faut s’en méfier comme de la peste et les fuir ; ils ont le diable en eux. Sur la place du village, les enfants jettent des boules de neige sur le cadavre de l’ours. Cent mille ans avant Jésus Christ, dans la même région du Vercors : un aigle plane haut dans le ciel. Deux oursons observent leur mère : elle est en train de pêcher dans le cours d’eau, et elle parvient à attraper un poisson. Suivie par ses deux petits, elle regagne la prairie pentue. En pleine nuit, le hurlement des loups se fait entendre : une meute comptant une dizaine d’individus. L’ourse gronde contre eux, ses deux oursons se demandant ce qui va se passer. Les loups passent à l’attaque. C’est un énorme plaisir que de retrouver cet artiste dans un récit naturaliste : la dernière ourse du Vercors. C’est une surprise totale que de découvrir la nature du récit : celui-ci s’avère beaucoup plus fourni qu’une simple ode à un animal sauvage. Oui, l’ours est mis en valeur : en particulier par la mise en perspective de sa présence dans cette région du Vercors. Pour commencer la mort du dernier ours, du dernier roi en 1898. Puis un retour dans des temps reculés cent mille ans avant Jésus Christ pour la réalité sans pitié du règne animal avec une ourse et ses oursons contre une meute de loups. Puis trente mille ans avant Jésus Christ, toujours dans la même région, avec une expérience mystique et un chaman qui énonce que : Le soir où mourra la dernière reine, alors ce sera le début du temps des ténèbres. L’an mil : la traque à l’ours et la sorcière. L’an 1338 et la condamnation d’un animal pour ses crimes, avec comme peine d’être pendue puis brûlée, pratique authentique quand les animaux étaient tenus pour responsables de leurs actes, et jugés comme les êtres humains. La narration visuelle fait des miracles pour donner vie aux animaux en général, et à l’ours en particulier, sans anthropomorphisme ou personnification, en restituant leur caractère sauvage. Le lecteur se retrouve à la fois sous le charme, à la fois habité par un respect teinté de peur devant ces êtres vivants proches d’incarner des forces de la nature, avec des couleurs sombres soulignant un environnement naturel et indifférent. Le début du récit annonce clairement sa résolution, et le sort du personnage principal, enfin du rôle principal pour un être humain. Le lecteur suit donc Édouard Roux de 1898, alors qu’il a dix ans (il énonce être né le premier février 1888), jusqu’à son destin final. Au cours de son existence, il commence par être un enfant élevé par sa mère dans un environnement naturel, à l’écart du village, puis une gueule cassée à l’issue de la première guerre mondiale, et puis le compagnon d’une artiste sculptrice. Le récit s’avère indissociable de cet homme, avec un degré d’intrication que seul une narration organique peut atteindre. À l’évidence s’il a lu Ailfroide, le lecteur peut déceler des éléments autobiographiques : le visage abimé (certes moins gravement pour Rochette), la vie dans les montagnes, la profession d’artiste, l’admiration pour le peintre Chaïm Soutine (1894-1943) et son tableau Le bœuf écorché (1925), et une forme de misanthropie assumée. Toutefois la narration va bien au-delà d’une simple projection de son auteur. Le lecteur ressent à chaque page la cohérence et le caractère intime de la narration. Il découvre chaque page sans plus s’attacher aux caractéristiques des dessins ou aux plans de prise de vue, se retrouvant habité par le tout. Il fait l’expérience d’une expression totale, d’une sincérité et d’une honnêteté extraordinaires. L’auteur vit ce qu’il raconte au plus profond de lui, l’exprime avec une clarté rayonnante, transformant chaque case, chaque séquence, chaque réplique, chaque geste en une évidence. Cette qualité narrative irradie de chaque planche. Le lecteur peut aussi très bien prendre du recul, avec un point de vue plus analytique. Il retrouve toutes les qualités de l’art de Jean-Marc Rochette. Il utilise des traits encrés ou peints assez épais, des petits traits pour apporter des textures, des ombres portées : s’il lui prend l’envie de s’attarder sur une case et la manière dont les individus et les décors sont représentés, le lecteur peut y voir des dessins un peu grossiers, manquant de finitions précises. Dès que son regard passe à la case suivante, la magie opère à nouveau : les sensations sont là, l’impression est d’une justesse incroyable, tant pour la situation en elle-même, que pour les émotions qu’elle dégage, des impressions d’une justesse pénétrante. Oui, des ombres qui s’avancent jusqu’à la cellule où attend le condamné, cela constitue une scène déjà vue de nombreuses fois, mais pas avec cette saveur particulière d’une nuit tranquille et silencieuse, d’individus jouant leur rôle respectif avec acceptation, même s’il leur répugne, ils accomplissent leur devoir en adultes. Oui, une meute de loups qui s’en prend à une ourse et ses petits, c’est une scène animalière classique et les dessins tirent profit d’une nuit sans lune, d’une obscurité masquant les détails, d’une neige uniforme, et pourtant le lecteur se retrouve partagé entre une scène de la cruauté implacable de la vie entre prédateurs et une envie irrépressible d’y projeter des sentiments humains. Chaque scène peut se regarder avec détachement : on y retrouve les outils narratifs classiques, jusqu’aux têtes qui parlent en alternance de champ et contrechamp, et pourtant à chaque fois la magie opère et la narration visuelle emporte le lecteur. Au travers de la situation d’Édouard Roux et du sort de la dernière reine, l’auteur aborde de nombreux thèmes nourrissant cette œuvre d’une grande richesse. Il met en perspective la présence des ours au sein du Vercors, dans un temps long, en partant de cent mille ans dans le passé, jusqu’au début du vingtième siècle, ce qui relativise drastiquement l’action de l’être humain, ainsi que sa relation avec le règne animal et naturel. Ainsi initié ce thème revient régulièrement et se développe de manière organique au gré des séjours du personnage dans le Vercors, parfois accompagné de Jeanne Sauvage. Ainsi, il établit le constat que les forêts sont devenues trop petites pour la liberté, que certaines sont transformées en zone de sylviculture en particulier pour les sapins destinés à être de futures planches, ce qui ne constitue pas une vraie forêt. La fragilité des zones naturelles cède sous le comportement de dévoration, d’ogre de l’être humain. Les hommes tuent la magie. Le parcours de vie du soldat Roux met en scène l’horreur des tranchées, la responsabilité des chefs de guerre (il est dit de Clémenceau que son rôle est de faire couler le sang des autres), le stress post traumatique d’être défiguré au front sur le champ de bataille. Sa vie s’en trouve irrémédiablement gâchée, puisqu’il est condamné à vivre littéralement avec sac sur la tête pour cacher son visage ravagé au reste de ses semblables. Sa pension apparaît dérisoire au regard d’un tel traumatisme qui constitue une condamnation à vie pour avoir défendu sa patrie comme il lui était ordonné. La cruauté inouïe de ce sort ressort à chaque instant de manière flagrante en compagnie des hommes et des femmes mal à l’aide en sa présence dans un réflexe automatique irrépressible, sans même parler de la souffrance physique continue. La sollicitude et la compassion de Jeanne Sauvage n’en rayonnent que d’autant plus. Édouard entre en contact avec elle sur la recommandation d’une autre gueule cassée, car elle confectionne des masques ressemblant à de la chair pour redonner apparence humaine à ces visages massacrés. L’auteur s’est inspiré de Jane Poupelet (1874–1932), artiste réalisant des sculptures animalières et des nus féminins, engagée auprès de la Croix-Rouge américaine, et modelant des masques (moulés à la cire sur les visages, remodelés, tirés en cuivre et ornés d'émail peint) à partir de photographies. Elle fréquente un milieu artistique parisien, à Montmartre, plus précisément au Lapin Agile, propriété de Aristide Bruant (1851-1925, chansonnier, écrivain). C’est en l’accompagnant que Roux finit par faire la connaissance de Soutine en lui livrant la carcasse qui servira de modèle pour le Bœuf écorché. Ces artistes évoquent également Et le soleil s’endormit sur l’Adriatique (1910) de Roland Dorgelès (1885-1973, un tableau peint par la queue d’un âne), la Fontaine (1917) de Marcel Duchamp (1887-1968, peintre, plasticien). Cette évolution de l’art fait dire à un des artistes présents que : Dans cinquante ans tout deviendra de l’art, de la pissotière à la canule, avec comme seul arbitre des élégances, le pognon, les banquiers feront marcher les artistes à la baguette, comme les ours de foire. Le lecteur ressent ce jugement de valeur comme étant celui de l’auteur. Cette appréciation se trouve renforcée en découvrant l’escroquerie que le galeriste Orloff commet aux dépens de Jeanne Sauvage, à la fois un individu sans moral grugeant une artiste, à la fois abusant du pouvoir que lui donne sa position sur une personne plus faible. Le lecteur découvre également la profession de foi de l’auteur en tant qu’artiste : L’art n’est rien s’il ne force le réel. Ce dernier tome de cette trilogie thématique pulvérise en richesse et en qualité les deux précédents, déjà extraordinaires. Le lecteur ressent l’expression pleine et entière, directe et puissante de son créateur, tant au travers de la narration graphique que du récit et des thèmes abordés. Le lecteur prend le parti d’Édouard Roux sans aucune réserve, et il se trouver percuté de plein fouet par le sort que lui réserve la société, les bonnes gens. Éprouvant et salutaire.
Moheeb sur le parking
J'avais beaucoup apprécié Merel, qui racontait la ruralité d'aujourd'hui dans une fiction très bien construite, où la psychologie des personnages était très fouillée et touchante. Avec Moheeb, l'autrice persévère dans son génie de l'observation psycho-sociale. Dit comme ça, j'ai conscience que ce n'est pas très excitant. Pourtant on lit rarement des BD qui vous ouvrent des portes sur un monde que vous cotoyez et que pour autant vous n'avez jamais compris. C'est très émouvant d'accéder à son prochain, finalement. Un parking dans une petite ville, des jeunes qui glandouillent en jouant vaguement avec un ballon dégonflé... On a tous vu ça. Mais on ne l'a pas observé, et tous les signes qui étaient pourtant sous nos yeux n'ont pas révélé les diverses trames de scénario en train de se jouer. C'est ce tissage de liens et d'indifférence mêlés qui est parfaitement rendu et exploré. Le dessin est légèrement moins élégant que dans Merel, tirant parfois vers le comics underground à la Backderf ( Mon ami Dahmer et Trashed) mais cela apporte quelque chose que j'ai du mal à définir. A d'autres moments les couleurs et les lumières reprennent leur capacité d'évocation sensuelle. Toutes les générations trouvent leur place dans ce scénario centré sur Moheeb et sur toutes ses sensations ( l'odeur d'un mouchoir, les piqûres d'ortie où on frotte du plantain, la sensation de la limace sur les doigts, les bourdonnements des voitures, des insectes, la pluie sur le goudron éventré...) mais il s'ouvre sur chacun de nous traversant ce parking et finissant par jouer son rôle dans la partition. Je ressors de ma lecture pleine d'émotion et d'admiration pour Clara Lodewick.
Contrition
Comme ma note l'indique j'ai franchement adoré cette lecture. Dès les premières planches je suis rentré dans le récit. En premier lieu j'ai immédiatement adopté le personnage de Marcia, journaliste Afro-Américaine du modeste Palm Beach Sun qui a fidélisé son lectorat dans les nouvelles de proximité. Par un revers de fortune de son compagnon, c'est elle qui a la fonction gratifiante dans le foyer. Elle parle d'égal à égal avec la police, son chef la respecte et elle peut prendre des initiatives qui lui permettent ( à ses risques familiaux et financiers) de poursuivre son enquête avec des alliées ( blanches) de circonstance. Carlos Portela installe donc son récit dans une Amérique moderne sur de nombreux points ( place de la femme, mixité dans le travail) jusqu'au personnage de Clay , Capitaine malheureux qui revient d'une mission à double tranchant en Irak: faire la transparence sur les exactions de ses frères d'armes dans la prison d'Abou Ghraib. Portela n'est pas naïf pour autant puisqu'il installe son récit en pleine crise des subprimes (2008) dont il fait de nombreuses allusions déguisées dans son récit. Au contraire d'une Amérique déboussolée, Marcia incarne une nation mixte, gardant le goût du risque , de la recherche de la vérité et qui réussit à surmonter ses difficultés (ici familiales, financières et professionnelles). C'est d'ailleurs à mon avis l'un des deux grands axes du scénario très riche de Portela. Comme le signale Clay au révérend en page 138 la finalité de tout cela est "d'être capable de surmonter les épreuves". Le deuxième axe est évidemment celui des mauvaises actions et des mauvaises personnes. C'est la thématique du "Diable au corps" qui s'exprime soit par opportunité soit par autorité abusive. L'auteur ne se contente pas d'une psychologie de comptoir. Il fouille son personnage de Clay afin de lui proposer plusieurs réponses comme une palette des réactions que nous pourrions avoir. C'est d'autant plus subtil que l'auteur abat d'un coup les défenses humanistes de son lectorat en centrant son récit sur la pédophilie de Christian. Pas d'actes monstrueux en visuel, pas de complaisance au voyeurisme malsain, mais une approche bien plus fine avec ce chat numérique que nombre de parents ne peuvent maitriser aujourd'hui. Portela revient alors sur la thématique de la vérité des mots et des images entre une population naïve et vulnérable et une autre qui triche à tous les étages. Pour moi ce scénario et un régal de construction et de justesse. La construction avec des aller-retour aurait pu nuire à la fluidité du récit. C'est tout le contraire à mes yeux car l'auteur nous invite à "changer de point de vue". Il y a donc de la cohérence à changer de narrateur en passant de Marcia à Clay car on peut les lire comme les deux versants du même personnage. Pour compléter ce superbe scénario le graphisme de Keko nous installe dans une ambiance N&B comme un négatif du beau soleil de Floride. C'est sûrement la couleur des pensées de Clay hanté par l'horreur de sa situation et celles de Marcia coincée entre "une routine aliénante" p41 et puis ses soucis familiaux et financiers. Tout est recherche de la lumière vérité dans cet accumulation d'ombres. Le trait est fort portant une formidable expressivité des personnages. Cela fortifie la narration qui s'adapte parfaitement à la puissance du récit. Une très belle lecture où les auteurs touchent à des thématiques fondamentales sur le Mal qui fait de nous de potentiels bourreaux. C'est traité sans complaisance, ni facilité. Du très beau travail.