Les derniers avis (8709 avis)

Par Josq
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Sortilèges
Sortilèges

J'ai emprunté cette saga en bibliothèque à l'aveugle, uniquement en feuilletant vite fait. A l'aveugle, c'est le cas de le dire puisque ce n'est qu'en revenant chez moi que j'ai découvert que c'était Jean Dufaux qui scénarisait ! Excellente surprise, et j'ai eu à ce moment la garantie d'avoir un scénario construit et intéressant. De fait, j'aime énormément la reprise que fait Dufaux de la grammaire habituelle des contes de fée mais pour en faire quelque chose d'assez original. On n'a pas l'impression d'avoir déjà lu 50 fois cette histoire ailleurs, et l'auteur sait nous emmener sur des chemins relativement inattendus. Comme, en plus, il crée une mythologie tout à fait fascinante avec ce royaume d'Entremonde qui côtoie un "monde du bas" assez impressionnant (l'enfer, en gros), j'ai été complètement envoûté. Seul point de détail qui me chagrine : pourquoi avoir appelé ce royaume "entremonde" ? C'est un monde entre le monde d'en bas et quoi ? Du coup, ça fait bizarre quand surgissent les morts-vivants dont on nous dit qu'il se situe entre Entremonde et le monde d'en bas... Mais bon, c'est du détail. Aidé par le dessin de Munuera, vraiment élégant et gracieux, Dufaux réussit à insuffler dans les pages de ces quatre albums un souffle épique et romanesque très puissant. En tous cas, dans les trois premiers albums, c'est certain. Quant au quatrième, il est réussi, mais il a une matière narrative si faible par rapport aux trois précédents que cela le distingue un peu des autres. Sans parler du fait que le troisième tome s'achevait déjà sur un happy end quasiment sans cliffhanger qu'un lecteur n'aimant pas les fins sombres pourrait s'y arrêter sans mal. Pour ma part, j'ai apprécié le fait que la fin ne soit finalement pas si heureuse, même si on a un peu l'impression qu'il a été ajouté juste pour briser la règle du happy end. Son existence peut donc paraître assez artificielle, mais il permet d'opérer quelques retournements intéressants dans la trajectoire de certains personnages. En tous cas, au bilan, c'est une vraiment une belle saga que nous a concocté Dufaux. J'aime beaucoup l'univers créé, et les images de Munuera me font vraiment rêver. Le premier cycle est un vrai sans-fautes, et le deuxième cycle ne manque pas d'intérêt, malgré quelques légères scories (un humour qui brise un peu trop l'atmosphère, par exemple). Pour ceux qui aiment les ambiances de contes et qui ne disent pas non à un peu de noirceur, c'est une saga parfaite !

11/07/2024 (modifier)
Par gruizzli
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Malgré tout
Malgré tout

Non mais là c'est fait exprès pour que j'adore, il n'y a pas d'autres possibilités ! Évidemment qu'une belle histoire d'amour, lente et qui remonte dans le temps allait me plaire ! Bien sur que les deux personnages tout mignon qui se rencontrent sur un coup de foudre et passent leur vie à se tourner autour allaient m'émouvoir ! Rah, c'est presque trop évident ! Je savais que j'allais aimer lorsque le premier chapitre m'a ému, avec ses petits détails qui font mouche, le lien entre ces deux personnes qui fait si vrai et la suite qui enchaine, remontant les années, les minutes, les secondes jusqu'au point d'origine. C'est dans les détails qu'on reconnait une belle histoire d'amour et là, oui, c'en est une. Parce que ces petits riens de la vie qui se croisent et se mélangent, c'est le sel de la vie. Jordi Lafebre a réussi son histoire d'une manière parfaite, je trouve. Comment ces deux personnes ont pu se tourner autour pendant si longtemps sans jamais vivre leur amour ? Parce qu'il y avait toujours une bonne excuse, comme à chaque fois. Mais surtout, je trouve que l'auteur a su jouer des personnages d'une très belle manière, apportant ce qu'il fallait à chacun d'entre eux pour qu'on sente ce qui les unit. Je ne saurais dire comment il a fait, mais il y a là une véritable alchimie qui se joue et qui traverse les pages. Je reste incroyablement surpris de la facilité avec laquelle les deux protagonistes me sont devenus familiers, m'ont touchés et m'ont conquis. Une très belle histoire d'amour, sans fioritures, juste assez sucrée pour que je l'adore sans avoir l'impression de sirupeux. C'est une BD pour les romantiques et pour les cœurs d'artichaut, mais c'est une BD sacrément réussie.

11/07/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série La Ligue des capitalistes extraordinaires
La Ligue des capitalistes extraordinaires

Ce gestionnaire approximatif a imposé la communication de marque comme un vecteur de croissance. - Cet ouvrage paru en 2015 apparaît classé dans les bandes dessinées : en fait il s'agit de textes, chacun consacrés à un capitaliste différent, accompagnés d'un ou deux gags en bande dessinée, avec une répartition d'environ 80% texte, 20?. Il a été réalisé par Benoist Simmat, journaliste économique et essayiste, et par Vincent Caut bédéiste. Ils passent en revue trente-neuf capitalistes remarquables, répartis en trois grands chapitres : la première révolution industrielle (XIXe siècle avec onze capitalistes), la deuxième (XXe siècle, avec quatorze capitalistes), la troisième (XXIe siècle, avec quatorze capitalistes). Chaque chapitre s'ouvre avec une introduction : le temps des pépères fondateurs pour le XIXe siècle, les contremaîtres du monde pour le XXe, les winners de l'e-économie pour le XXIe. L'ouvrage débute avec une introduction de quatre pages : les grands capitalistes naquirent ici… Il se termine avec une conclusion de deux pages, un glossaire de six pages, un index de deux pages, et une page de remerciements. Les grands capitalistes naquirent ici… dans les années 1770, il existait à Birmingham, grande cité fourmillante du centre du Royaume Uni de Grande Bretagne, un club de gentlemen pour le moins extraordinaires. Cette organisation réunissait parmi les plus brillants intellectuels de l'époque et se faisait appeler Lunar Society, le club de la Lune. Une dénomination choisie par ses membres parce qu'ils avaient l'habitude de se rencontrer les nuits de pleine lune afin de retrouver plus facilement leur chemin de retour dans l'obscurité. Parmi eux : James Watt, Erasmus Darwin, Adam Smith, Benjamin Franklin, Joseph Black, John Wilkinson, John Roebuck, etc. Et d'autres : les pionniers du capitalisme moderne. Richard Arkwright (1732-1792) – Cet artisan touche-à-tout a imposé au forceps la première usine automatisée au monde. 100% bio : barbier de profession, on ne saura jamais si Arkwright inventa réellement l'usine, ou s'il déroba le concept à un concurrent. Mais il organisa une première production de masse basée sur la division du travail, chère au philosophe Adam Smith. Obsédé par l'expansion de son invention, il couvrit l'Angleterre et jusqu'à l'Écosse de ses satanés manufactures automatiques où 30.000 employés trimaient pour la gloire du roi. Un lettré voyageur trouva que sir Richard Arkwright, fait chevalier par Buckingham, avait quelque peu gâché le paysage de l'Angleterre. Et sa propre santé, indubitablement : comme le raconta l'un de ses amis d'enfance ecclésiastique, Arkwright devint une caricature de patron surmené obsédé par la cadence de ses affaires et de ses comptes. le diable d'homme avait aussi inventé le dirigeant surbooké ! Cet industriel anglais est considéré comme le père de l'usine moderne. Il est resté dans les livres d'histoire (essentiellement anglo-saxons) pour avoir été le premier à organiser en un lieu donné la supériorité de la machine sur l'artisan. Il s'agit du deuxième ouvrage de ces deux auteurs, après La ligue des économistes extraordinaires. Smith, Marx, Keynes et tous les autres en BD (2014). le titre évoque la Ligue des Gentlemen Extraordinaires, d'Alan Moore & Kevin O'Neill, juste pour l'allure, et pour ce club de la Lune. Chaque entrée est structurée de la même manière : le nom du capitaliste extraordinaire avec ses dates de naissance et de mort, un court sous-titre pour le qualifier (Par exemple : le patron de mystificateurs pour PT Barnum), deux lignes pour mettre en exergue son innovation (par exemple pour Mark Zuckerberg : Son internationale des brèves de comptoir digitales a étonnamment créé un nouveau secteur d'activité), un article en trois parties (100% bio, L'empire du pire, Son héritage narcissique, merci !). S'y trouvent également une date clé en fin d'article (par exemple pour Rupert Murdoch : 2007, rachète pour 5 milliards de dollars le Wall Street Journal), éventuellement un encadré en grisé sur une anecdote révélatrice ou surprenante, et en fonction des capitalistes, une ou plusieurs bandes dessinées, d'une page, une partie de page, ou juste un strip. Comme les exemples ci-dessus l'indiquent, la tonalité de la rédaction comporte une fibre moqueuse ou insolente. Les bandes dessinées s'inscrivent également dans un registre comique, faisant la part belle à la dérision, à partir d'une anecdote ou d'un trait de caractère réel ou supposé, ces capitalistes pouvant se montrer mesquins, capricieux, infantiles, colériques, ou bien sûr mégalomanes. Ces gags font office de respiration illustrée plaisante, sans avoir la prétention d'être révélatrices ou pénétrantes. La première partie expose la genèse et la nature de la première révolution industrielle avec la première usine à grande échelle, le déploiement de la machine à vapeur dans différents secteurs de production, la fabrication à grande échelle de la poudre à canon, la création de la première banque d'affaires, l'essor des chemins de fer, la création des voyages organisés, la naissance de l'industrie de l'armement, les premiers grands magasins avec des prix fixes et non plus à la tête des clients, l'utilisation de l'acier et l'apparition du métier d'affairiste à une ampleur jusqu'alors inconnue. le lecteur relève une entrée qui sort de l'ordinaire, celle consacrée à Phineas Taylor Barnum (1810-1895) : ce forain surdoué fit de son nom la première marque de l'entertainment américain. Au cours de cette première partie, au travers de sa sélection, l'ouvrage fait apparaître les grandes inventions qui ont modelé l'évolution de l'organisation professionnelle, ainsi que les méthodes utilisées. Fatalement, le lecteur finit par se demander pourquoi eux. Il commence par se dire que pour tous les capitalistes que les auteurs lui présentent et qui ont réussi, il y a dû y en avoir dix fois plus qui ont échoué, voire, cent ou mille fois plus. Puis il remarque que certains étaient issus de familles aisés, et qu'ils ont su faire fructifier la fortune héritée, ce qui n'est déjà pas donné à tout le monde. Mais il reste un point commun à tous : à l'ère de l'industrialisation et du commerce généralisé, les riches s'enrichissent par le travail de la main d’œuvre abondante, rémunérée au plus bas, et sans couverture sociale, sans oublier le travail des enfants. Le lecteur passe alors à la deuxième révolution industrielle avec les aciéries, la fabrication d'automobiles, les puits de pétrole, l'électrification, la métallurgie, les chaînes d'assemblage, l'aviation… et d'autres secteurs d'activité émergents comme les produits de beauté, la mode, les meubles à monter, le luxe et le divertissement. À nouveau, ces capitalistes ne décrochent pas de prix de morale ou de reconnaissance pour leurs employés. Un petit exemple très élégant : Gabrielle Chanel surnommée Coco. Elle tente de se réapproprier la marque de parfum N° 5, en profitant de l'exil contraint de ses anciens associés juifs, les Wertheimer, à l'aube de la seconde guerre mondiale. Arguant leur fuite aux États-Unis, elle réclame aux autorités allemandes la propriété du précieux label. Très chic ! Elle ignore que la famille Wertheimer avait anticipé les lois d'aryanisation et transmis ses parts majoritaires à un homme de paille, qui leur restituera à la propriété de l'entreprise à la Libération. Mais, bon, les affaires sont les affaires : les Wertheimer réembauchent Coco dans les années 1950 pour raviver la marque, en dictant leurs conditions quand même. Les autres chapitres valent également tous la lecture, d'Henry Ford et ses chaînes de montage à Bernard Arnault et la rentabilité insolente du luxe, en passant par le marchand de rêves Walt Disney. L'ouvrage passe au XXIe siècle avec l'avènement de l'informatique et des produits haute technologie (IBM, Sony, Samsung), la création des jeux informatiques, la course au système d'exploitation entre Apple et Microsoft, et la toile mondiale avec Google, Facebook, Paypal, Alibaba, sans oublier la téléphonie mobile. D'anciens empires réussissent leur reconversion : d'autres semblent surgir de nulle part. des fortunes personnelles de plusieurs dizaines de milliards de dollars se bâtissent en vingt, quinze voire dix ans. Les personnalités de ces capitalistes conservent tout leur potentiel polémique. Les employés sont incités à baisser les yeux en présence du grand patron Lee Kun-hee, responsable du conglomérat géant Samsung. L'entreprise Apple parvient à faire revenir Steve Jobs après l'avoir éjecté, en achetant quatre cents millions de dollars la société NeXT et son logiciel développé par Jobs, logiciel qui ne sera jamais utilisé. le lecteur sourit devant la tournure des présentations saupoudrées de dérision et de moqueries envers ces capitalistes, mais sans jamais diminuer leur réussite, en mettant en lumière leurs innovations et en quoi le capitalisme a évolué avec leur façon de faire. Ce n'est donc pas une bande dessinée, mais le portrait amusé de trente-neuf entrepreneurs hors du commun, en provenance des trois derniers siècles. Ces individus ont exploré de nouveaux territoires industriels et bâtit des empires financiers. Quelles que soient les convictions politiques du lecteur, les réalisations de ces capitalistes extraordinaires forcent son admiration. Les petites piques en coin bien dosées évitent le systématisme, et s'avèrent d'autant plus efficaces pour que le lecteur garde à l'esprit qu'il s'agissait d'êtres humains imparfaits, et que la réussite capitaliste ne peut prendre une dimension gigantesque que par le travail de milliers d'employés anonymes dont la rémunération n'est jamais à la hauteur des bénéfices de leur employeur. Les gags sont en phase avec ce ton dédramatisé, mais pas aveugle aux réalités économiques.

11/07/2024 (modifier)
Par Gaston
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Juger Pétain
Juger Pétain

Un documentaire historique intéressant sur le procès de ce qui est sans nul doute la personnalité française la plus controversée du 20ème siècle, à savoir Pétain, qui est passé de héros à traitre le temps d'une guerre....en fait c'est bête pour lui, il était déjà assez vieux dans les années 30 pour mourir de vieillesse et ainsi garder une bonne image face à l'histoire. Mourrons tous jeunes comme Jean Moulin ! J'ai eu un peu peur au début parce que la narration est aride et j'avais peur de tomber sur un documentaire BD où au final l'image sert à rien et puis j'ai commencé à embarquer totalement dans l'album et j'ai vu que le dessin et la mise en page changent par moment (des strips humoristiques avec Churchill, le journal intime de Pétain, etc.) ce qui selon moi aide à aérer le récit et ne pas en faire une bête retranscription en BD du documentaire original. Le propos est passionnant car on voit les pour et les contres sur ce qu'a fait Pétain durant la guerre, alors que je pensais que c'était une question à laquelle il était plus facile à répondre. J'ai appris que Pétain avait peut-être de bonnes raisons de préférer un armistice, mais on voit aussi le moment où tout bascule et que Pétain aurait pu s'enfuir en Afrique du Nord, mais il a préféré s'accrocher au pouvoir, ce qui au final lui donne l'image d'un petit vieux égocentrique complètement déconnecté de la réalité qui va finir comme marionnette pathétique des Allemands et de Laval. Le déroulement de ce procès m'a captivé avec notamment tout le côté politique de l'affaire, avec notamment tous ces politiciens de la troisième République qui veulent se donner le beau rôle. On n'est clairement pas là pour faire un procès conforme sur la collaboration. C'est donc un bon album, mais qui s'adresse en premier lieu aux passionnés d'histoire et de politique, les autres risquent de s'ennuyer ferme.

10/07/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Batman - White Knight
Batman - White Knight

Mettre en œuvre des réformes - Ce tome contient une histoire complète qui ne nécessite pas de connaissance préalable de Batman. Il comprend les 8 épisodes de la minisérie, initialement parus en 2018, écrits, dessinés et encrés par Sean Murphy, avec une mise en couleurs réalisée par Matt Hollingsworth. Murphy a réalisé une deuxième saison Batman: Curse of the White Knight. La Batmobile arrive devant la grille de l'asile d'Arkham et va se garer devant la porte d'entrée. Jack Napier en sort et se rend à la cellule de Batman, accompagné par les gardes. Napier indique à Batman enchaîné, qu'il a besoin de son aide. Il y a un an, Joker est en train de fuir comme un malade, sur un hoverboard, en pleine voie, talonné par Batman dans sa Batmobile, avec Batgirl (Barbara Gordon) sur le siège passager. Joker se joue des obstacles alors que Batman donne l'impression de foncer dans le tas : sur le toit d'un immeuble, au milieu d'un chantier sans faire attention aux ouvriers. La course-poursuite se termine dans un entrepôt où Joker se retrouve acculé par Batman, essayant de se défendre avec une hache. Batman commence à frapper Joker pour le maîtriser, pendant que Joker développe un argumentaire dans lequel il prouve que les méthodes de Batman n'ont jamais rien résolu, qu'elles ne servent qu'à assouvir son besoin de contrôler les choses, et que lui, Joker, comprend mieux Gotham que lui. Excédé, Batman finit par faire avaler à Joker les comprimés contenus dans le flacon qu'il lui agite sous le nez, sous les yeux de James Gordon, Renee Montoya, Harvey Bullock, Batgirl, Nightwing et plusieurs autres témoins dont un filme la scène avec son téléphone. Les informations à la télé sont partagées sur la séquence, entre la preuve d'un individu en maltraitant un autre sous le regard de la police qui regarde sans rien faire, et ce que l'on sait des exactions de Joker (mais qui n'a jamais été prouvé). Gordon, Montoya et Bullock regardent Joker allongé dans son lit dans l'unité de soins intensifs. Bullock est satisfait qu'enfin le public se rende compte que Batman est un vigilant qui abuse de la violence, et qui s'il avait été un policier aurait été renvoyé depuis longtemps pour faute grave. Barbara Gordon et Dick Grayson vont rendre visite à Bruce Wayne qui accepte de leur confier ce qui le mine : Alfred Pennyworth se meurt et est dans le coma. Jack Napier confie à son psychothérapeute ce qui le mine : sa fascination pour Batman qui confine à une forme d'adoration, Gordon se trouve dans le bureau du maire Hamilton Hill quand la docteure Leslie Thompson lui apporte le rapport sur Jack Napier : il est guéri et sain d'esprit et il a décidé de porter plainte contre la police de Gotham (GCPD, Gotham City Police Department), contre Batman et contre la ville de Gotham. En 2019, l'éditeur DC Comics met officiellement un terme à sa branche Vertigo destinée à des récits pour des adultes, et se réorganise un peu avant en 3 branches de publication dont le Label Noir (Black Label) pour accueillir des récits plus sombres, adultes. C'est dans cette branche qu'est publié le présent récit. Sean Murphy a déjà réalisé plusieurs bandes dessinées avant celle-ci : entre autres Joe L aventure intérieure (2010/2011, avec Grant Morrison), Punk Rock Jesus (2012), The Wake (2013/2014, avec Scott Snyder), Tokyo Ghost (2015/2016, avec Rick Remender). En entamant le récit, le lecteur se demande comment il se situe par rapport à la continuité. Il comprend vite qu'il s'agit d'un récit hors continuité : le coma d'Alfred, la rémission de Joker, le sort de Jason Todd. L'auteur a donc les coudées franches pour raconter une histoire de Batman comme il l'entend, en réinterprétant les personnages récurrents comme il le souhaite. du coup, le lecteur se retrouve régulièrement en train de se demander si Sean Murphy s'écarte volontairement du statu quo pour mieux y revenir, ou s'il s'agit d'une prise de liberté durable, rendant ainsi le scénario beaucoup moins prévisible. Il est possible aussi que le lecteur soit avant tout venu pour les dessins de Sean Murphy. Il retrouve ces éléments détourés avec des traits fins, voire très fins, et secs, parfois rectilignes y compris pour des contours anatomiques, et des aplats de noir copieux aux formes irrégulières mangeant de nombreuses cases. Il retrouve également l'influence des mangas, en particulier dans les traits de puissance ou de vitesse servant également à intensifier les perspectives, et dans les visages plus jeunes (en particulier celui de Barbara) avec des expressions traduisant une émotion non filtrée, souvent un enthousiasme communicatif. Par contre, l'artiste a mis la pédale douce sur les nez pointus : ces appendices ont retrouvé une forme plus conventionnelle. Dès la première page, le lecteur plonge avec délice dans une atmosphère gothique et noire : l'asile d'Arkham dans le noir de la nuit, avec sa grille en fer forgé, et ses chauves-souris. Par la suite, Sean Murphy excelle à capturer et à faire ressentir la noirceur de Gotham et de certains personnages : Batman comme une bête en cage dans sa cellule, la collection obsessionnelle de produits dérivés de Batman dans la chambre de Joker, la pose romantique de Victor Fries devant sa femme Nora cryogénisée, l'effondrement d'un pont de Gotham, l'immense canon rétro-futuriste dont va se servir Neo Joker. Très vite, le lecteur se retrouve plongé dans Gotham à côté des protagonistes, éprouvant la sensation que son état d'esprit est influencé par les grands bâtiments effilés, par les longues perspectives, par les quartiers plus resserrés, par le riche mobilier du manoir des Wayne, par la décoration insensée de l'appartement de la première Harley Quinn, par la pénombre de la Batcave, par l'espace ouvert sur la place où Jack Napier fait un discours, par l'aménagement purement fonctionnel des bureaux de la police et du parking au sous-sol. Il côtoie, plutôt qu'il n'observe, des individus à la forte personnalité graphique : le maintien droit et strict de Jack Napier et son sourire, le maintien droit et rigide de Batman attestant de sa psychorigidité, les postures plus souples de Batgirl, le comportement très formel de James Gordon pétri de la responsabilité de sa fonction. Sans ostentation, Sean Murphy se montre un chef décorateur de talent, un costumier attentif aux détails, et un directeur d'acteurs avec une vraie vision, dramatisant un petit peu leur jeu pour rendre compte de l'ampleur des enjeux, du degré d'implication des différentes personnes. le lecteur reste également bouche bée devant de nombreuses séquences échevelées : l'improbable course-poursuite entre la Batmobile et Joker en hoverboard, la violence du combat à main nue entre Batman et Joker, les clins d'œil à Batman Mad Love de Paul Dini & Bruce Timm et à Batman the animated series, l'apparition horrifique de Clayface (Matthew Hagen) chez Mad Hatter (Jervis Tetch), la soirée en amoureux entre Jack Napier et Harley Quinzel, une autre course-poursuite cette fois-ci entre 2 modèles différents de Batmobile, etc. Déstabilisé par la possibilité pour le scénariste de modifier les éléments canoniques comme bon lui semble, le lecteur se montre plus attentif à l'intrigue pour ne pas laisser échapper un détail, ou pour ne pas se tromper sur le sens d'une scène qu'il peut avoir l'impression d'avoir déjà vue. Sean Murphy développe la relation entre Batman et Joker, essentiellement du point de vue de Joker, sur une dynamique d'amour & haine. Suite au traitement administré de force par Batman, Joker voit sa personnalité revenir à son état antérieur, quand il était un individu très ordinaire appelé Jack Napier. Or ce dernier a conservé toute l'expérience qu'il a acquise en tant que Joker, en particulier sa familiarité avec Batman. Il décide à la fois de se réformer, et de prouver que les méthodes de Batman sont plus néfastes à Gotham que bénéfiques. Ce n'est pas la première fois qu'un auteur développe ce thème, mais là Sean Murphy le prouve par l'exemple : Jack Napier se lance en campagne, tout en initiant des actions pour résoudre les problèmes de fond de la ville, plutôt que de s'en tenir à faire disparaître temporairement les symptômes que sont les supercriminels. La longueur du récit et son déroulement en dehors de la continuité font que Sean Murphy se montre assez convaincant pour que le lecteur y croit. Il montre d'un côté Batman qui ne fait confiance à personne, ce qui sous-entend un ego surdimensionné, un individu persuadé d'avoir raison mieux que tout le monde. de l'autre côté, Jack Napier n'agit pas par altruisme ou par bonté de cœur : il a quelque chose à prouver, une forme de vengeance contre Batman en montrant que d'autres méthodes peuvent réussir durablement, et ainsi gagner sa rédemption. Emporté par la narration visuelle, le lecteur se laisse progressivement convaincre de la nocivité de Batman pour l'organisme qu'est la ville de Gotham, et par le bienfondé des méthodes démocratiques de Jack Napier. La narration de Sean Murphy n'a pas la force de conviction de celle de Frank Miller pour Dark Knight Returns : c'est la somme de réflexions diverses qui finissent par saper les a priori du lecteur et par retourner ses convictions. C'est une façon de procéder parfois un peu fragile quand un argument reste superficiel, presque spécieux, et ne vaut que parce qu'il s'intègre bien dans la tapisserie dessinée par les autres. Cette sensation de fragilité est renforcée par les éléments incidents de l'intrigue : la maladie d'Alfred et sa lettre, la scène d'explication à la fin sur le rôle d'un des personnages, comme si l'auteur avait estimé qu'il fallait consolider l'intrigue principale avec des éléments périphériques. Avec cette histoire, Sean Murphy réussit le pari de réaliser une histoire personnelle et originale de Batman, ce qui est déjà une grande réussite en soi. Il met en œuvre une narration visuelle acérée et consistante : Gotham s'incarne avec une personnalité inquiétante, les personnages existent et il y a de nombreuses scènes visuellement mémorables. L'auteur parvient à écrire un récit qui utilise les conventions du genre superhéros (costumes et masques, superpouvoirs des ennemis de Batman, confrontations physiques, et une touche de technologie d'anticipation pour les Batmobiles), tout en racontant une histoire adulte, où un individu met Batman à mal en utilisant les outils de la démocratie.

10/07/2024 (modifier)
Par gruizzli
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Hoka Hey !
Hoka Hey !

Honnêtement, c'est sans doute le meilleur Western que j'ai jamais lu. Et Neyef a sans doute fait une oeuvre qui mérite autant lecture, relecture que contemplation. Je ne connaissais de l'auteur que Mutafukaz - Puta Madre que j'ai beaucoup apprécié, et malgré un coup de crayon qui reste assez spécifique mais aisément reconnaissable (nez petit et pointu, décors chargés) je trouve qu'il a fait un travail colossale ici. C'est beau, dans les décors et les environnements, c'est riche, immersif ! On se croirait traverser soi-même les vallées américaines, les grandes plaines et les collines. Je ne pensais pas que ce serait aussi immersif, mais qu'est-ce que j'étais dedans ! A entendre les cris d'oiseaux et à sentir l'odeur des bois qu'on traverse. Mais ce dessin que je loue n'est pas le seul atout, et l'histoire convient tout à fait. Déjà parce que l'auteur a décidé, pour une œuvre aussi longue, de ne pas innover : le canevas est tout ce qu'il y a de plus classique, mais efficace. On est sur du déjà vu dans les grandes lignes, mais c'est typiquement la BD qui nous rappelle que ce n'est pas la nouveauté qui importe, puisque toutes les histoires existent déjà. C'est la façon de la raconter et ce que l'histoire nous dit réellement qui compte. Ici une question d'héritage, de vengeance, de violence aveugle, dans une ambiance de fin des temps pour l'amérindien. Une vraie histoire sordide, dont les ressorts scénaristiques m'ont parfois surpris et qui se finit sur une grande tristesse, du genre qu'on ne peut consoler juste en pleurant. La fin donne des airs de tragédie et j'accepte volontiers le coup du hasard qui fait recroiser les personnages. Nous sommes dans les rouages d'une tragédie antique, où le hasard n'est que la forme prise par la fatalité pour jouer le dernier tour de la pièce. Fortune, nous sommes tous des jouets entre tes mains ! Une telle BD, c'est presque un petit miracle. Une histoire simple pour traiter de divers sujets tous aussi pertinents les uns que les autres, un dessin qui sublime la nature et les paysages pour nous entrainer dans cette longue balade vengeresse, une tragédie que n'aurais pas renié les grecs pour motif final et l'ensemble dans un ouvrage où l'édition a choisi la qualité. Sans rire, je crois bien qu'on est sur un sans-faute ou presque ! Pour ma part, je suis sous le charme comme je l'ai peu été pour des westerns. C'est l'un des genres que je lis le moins en BD, mais quelle découverte ! Incontournable des sorties 2022, à mon sens. Pour dire à quel point cette BD m'a parlé, j'ai depuis très longtemps l'idée de faire un jour une traversée des États-Unis à cheval pour profiter au mieux, pleinement, de ces grands paysages qui me font de l’œil. Cette BD m'a donnée l'impression de pouvoir vivre un peu ce rêve, mais surtout me l'a remis en mémoire alors que je n'y ai plus pensé depuis des années. Je ne peux que vous conseiller de la lire !

10/07/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Les Yeux dans le mur
Les Yeux dans le mur

C'est toujours un autoportrait qu'on fait. - Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre, réalisée en collaboration par Céline Wagner & Edmond Baudoin. La première édition date de 2003. Il a été réédité avec deux autres récits, le chant des baleines (2005) et Les essuie-glaces (2006), dans le recueil Trois pas vers la couleur. Il s'agit de la première bande dessinée réalisée en couleurs par Edmond Baudoin, et elle compte cinquante planches. Elle s'ouvre avec une page d'introduction. le premier tiers est de la main de Baudoin : il explique que Céline Wagner était venue assister à une dédicace, lui a acheté une bande dessinée, lui a expliquée qu'elle était en dernière année d'une école d'art et qu'il lui a fait un dessin sous lequel il a écrit son adresse. Plus tard, il a reçu une lettre dans laquelle elle lui demandait de venir chez lui pour son stage de fin d'études. Elle est venue. Il ne sait plus aujourd'hui lequel des deux a été stagiaire. Dans sa partie, Wagner évoque ses difficultés à parler de la banlieue, l'environnement où elle a grandi. Dans l'atelier d'Edmond Baudoin à Nice, Céline Wagner est en train de poser alors qu'il est en train de la peindre. Elle lui demande d'arrêter de poser des questions sur la banlieue. Sa banlieue, il lui en a fait un costume, et ce n'est pas celui qu'elle aurait choisi. Les pas nonchalants, la zone, les mots vomis à l'envers, c'est du cinéma. Il sait qu'elle aime les mots à l'endroit. Elle continue : bien sûr, il en reste des traces dans ses gestes, dans ses mots et ses regards, des automatismes, rien à elle. Et c'est ces traces qui le fascinent. de sa banlieue, il ne reste aujourd'hui que des sacs en plastique dans les branches des arbres. Aujourd'hui, elle veut des choses qui n'existent pas. L'esprit de Céline vagabonde un peu : elle pense à une promenade en bordure de mer, se remémorant quelques mots d'une coupure de presse sur le décès de quelqu'un, le succès d'un orchestre engagé en janvier 1999, dans une mise en scène monumentale. Elle est devenue silencieuse et elle revient à l'instant présent. Elle se demande si Edmond cherche vraiment quelque chose. Il la gomme, il gomme petit à petit la réalité pour coller sa gueule à elle sur son tableau. Elle, elle ne veut pas être un tableau. Elle veut devenir elle. Elle lui dit qu'il a les yeux d'un fou, le visage d'un fou. Il lui demande si elle peut enlever sa chemise. Elle répond positivement, mais d'abord elle veut prendre une douche. Elle entre dans la salle de bain. Il enlève du chevalet, le dessin qu'il vient de réaliser, et il accroche une nouvelle feuille blanche. Dans la baignoire, elle se fait la réflexion que si elle se dessinait, elle ne ferait aucun poil, aucun bouton. Juste de la peau lisse, du beau. Et un peu de laid pour qu'on puisse l'aimer. Il demande s'il peut venir ; elle accepte. Il la regarde et répond à sa question : son père à lui était beau, vraiment beau. Quand il est mort, Edmond l'a regardé longtemps. Il n'a rien retrouvé de sa beauté, plus rien. Sa vie était partie et avec elle sa beauté. Il ajoute qu'elle est si belle. Céline répond qu'il lui fout l'angoisse. S'il n'a jamais lu de bande dessinée de d'Edmond Baudoin, le lecteur se demande ce qu'il va trouver, s'il va parvenir à apprécier les partis pris graphiques très personnels, et une histoire qui semble se limiter à quelques instants de discussion entre l'auteur lui-même et une jeune femme venue comme stagiaire. S'il est familier de cet auteur, le lecteur sait qu'il va retrouver des thèmes déjà abordés, que la linéarité présumée du récit n'est simpliste qu'en apparence. Il s'interroge quand même sur le fait que le cœur du récit soit la relation entre l'artiste et son modèle, comme de ses œuvres, par exemple le portrait ou L'Arleri. D'un autre côté, cette création est réalisée à deux, avec la participation du modèle. Effectivement, le récit se compose d'une suite d'échanges entre l'artiste Baudoin et son modèle Wagner : des discussions à bâtons rompues pendant une séance de pose, dans la salle de bain, lors d'une promenade sur les quais, d'un bain de mer depuis une jetée, avec une seule exception, le temps d'une page lorsque Céline se promène seule dans la rue pour aller appeler son père. C'est du pur Edmond Baudoin, avec des traits charbonneux au pinceau, un rapport de séduction, des pages contemplatives en particulier huit dépourvues de tout texte, de tout mot. Pour faire la différence, Edmond utilise la couleur. Les traits de contours sont encrés, le plus souvent au pinceau, parfois à la plume, peut-être des silhouettes tracées par Céline Wagner. Les couleurs semblent apposées au pinceau, avec une approche de type naturaliste, c'est-à-dire des couleurs correspondant à ce que voit l’œil. le lecteur observe toutefois que dans certaines cases, parfois même le temps d'une page, l'usage de la couleur s'éloigne de la réalité pour un effet expressionniste, voire abstrait. Par exemple le corps laissé en blanc de Céline allongée sur des coussins jaune pâle qui forment un motif géométrique abstrait. Des fonds de case entièrement rouge totalement artificiels avec à nouveau le corps dénudé de Céline laissé totalement vierge de couleur, comme une absence d'émotion ressortant contre l'intensité agressive du rouge. Puis, il est possible que la mise en couleurs ne soit pas uniquement le fait de Baudoin. le lecteur relève également quelques particularités visuelles dont Baudoin n'est pas coutumier. Cela commence dans la troisième planche : un petit morceau de journal collé sur le bord d'une case, comme la rémanence fugace et incomplète d'un souvenir qui a échappé à Céline parce que repris par un journaliste, mais qu'elle ne peut pas se sortir de l'esprit. Dans la même case, se trouvent des parallélépipèdes rectangles blancs très géométriques, des formes que Baudoin n'utilise pas. Il s'agit de blocs de béton entassés pour former une digue artificielle. Edmond Baudoin relate cette expérience avec une jeune femme stagiaire en fin d'études d'école d'art : elle est sa modèle et il doit exister une différence d'âge. Elle pose bien volontiers. Comme il l'expliquait dans le portrait, il essaye de dessiner la vie, son rêve impossible, de saisir et transcrire sa beauté. Cela donne un échange particulièrement dérangeant alors qu'il lui parle de la beauté de son père, de sa disparition avec sa mort, de sa beauté à elle, ce qui mène Céline à penser à sa propre mort. Il sort se promener sur le port et contemple les reflets d'un bateau à la surface, en se disant qu'il ne dispose que de ça pour essayer d'aller en dessous, derrière ce miroir, pour saisir l'unicité de la vie de son modèle, dans une métaphore très parlante sous la surface de l'eau / sous la surface de la peau. Mais, par comparaison avec le portrait et L'Arleri, le modèle fait entendre sa propre voix, ses réactions, ses émotions, puisqu'elle est également autrice de cette oeuvre. le lecteur regarde des esquisses comme réalisées au fur et à mesure par Baudoin sur deux planches, 12 & 13, en vis-à-vis, comme si le lecteur était présent alors que l'artiste cherche à saisir cette vie chez son modèle. Puis, il lui indique qu'il a besoin de sortir pour marcher vers le port un moment. Après son départ, Céline se rhabille et part à sa suite. Elle pense qu'il est parti pour essayer de comprendre, qu'il semble que pour comprendre il faille toujours partir. Une fois qu'elle l'a rejoint, elle exprime la manière dont elle perçoit sa façon de faire : il tient à l'habiller d'une légende alors qu'il la peint nue. Par la suite, elle va se baigner, et il la regarde. Elle indique que sous la surface, au fond, c'est vraiment beau, mais on ne peut pas y rester sans mourir. À ce moment, le lecteur prend conscience que l'objectif de rendre compte de la personnalité profonde d'un individu sous la peau rejoint cette volonté de nager sous l'eau, d'aller au fond qui constitue alors une métaphore, une expression différente du même but pour Céline que pour Edmond. En prenant un café en terrasse planche 23, Edmond fait un aveu à Céline : il en a marre ne pas y arriver, on ne peut pas y arriver, l'autre reste toujours l'autre. C'est toujours un autoportrait qu'on fait. En planche 40, dans l'atelier, elle lui fait observer qu'il entretient une obsession : se voir dans tout, alors qu'elle lui montre le portrait d'elle qu'il a fait et dont le visage présente des ressemblances avec le sien à lui. Encore une fois, Baudoin a su parler de son art avec un point de vue différent de ses autres œuvres ayant le même thème. Puis le lecteur se dit qu'il manque d'honnêteté intellectuelle : cette bande dessinée raconte également l'histoire personnelle de Céline par ellipse. Des mots dans ses phrases, les fragments de coupure de journaux avec leurs phrases incomplètes. L'autrice évoque également sa vie, la vie tragique de son amoureux, le lien avec son père, les traces que la banlieue a laissées en elle. Tout cela n'est pas exprimé de manière explicite, plus par remarques indirectes, mais s'il entretient un doute, il suffit au lecteur de relire l'introduction pour que le fil directeur de ces remarques devienne évident. La force de la personnalité de Baudoin semble dominer chaque page, et pourtant la personnalité de Wagner est bien présente en filigrane, parfois de manière apparente et au premier plan. le lecteur se souvient alors de la courte introduction de Baudoin se terminant sur le constat qu'il ne sait plus aujourd'hui lequel des deux a été le stagiaire. En effet, Céline Wagner est parvenue à faire passer sa personnalité dans ses pages malgré la personnalité artistique si singulière de son maître de stage. Elle est parvenue à faire apparaître son être profond dans les portraits en cours d'élaboration réalisés par Baudoin tout du long, à inscrire son fond à elle dans ces exercices où il se heurte à la sensation de toujours faire un autoportrait. Une bande dessinée de plus d'Edmond Baudoin avec son flux de pensée qui n'appartient qu'à lui et ses mêmes thèmes présents tout au long de sa carrière, ici en particulier son rapport aux femmes comme modèles, comme muse. Toutes les qualités de cet artiste sont présentes de ses dessins si vivants exsudant une chaleur humaine irrésistible. Mais c'est aussi plus que ça, une vraie collaboration au sein de laquelle la jeune artiste peut exister car il lui en laisse la place, et sait exister car elle trouve sa propre voix pour s'exprimer.

10/07/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Batman - Damned
Batman - Damned

Du superhéros servi bien noir - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de la continuité de Batman. Une connaissance superficielle de Batman suffit pour l'apprécier. Il comprend les 3 épisodes de la minisérie, initialement parus en 2019, écrits par Brian Azzarello, magnifiquement illustrés par Lee Bermejo, pour les dessins et la mise en couleurs. le lettrage a été réalisé par Jared K. Fleicher. Après un trait plat, le cardiogramme reprend un tracé normal. Une voix intérieure pense à la ligne qui sépare le blanc et le noir, ou la vie et la mort, puis à la chute d'une blague sur la santé mentale et un rayon de lumière. Batman reprend connaissance sur une civière dans une ambulance, avec 2 personnels soignants et un policier à ses côtés. L'infirmier prend des ciseaux pour découper le masque. Batman réagit violemment en le repoussant contre la paroi de l'habitacle, écarte le médecin et se jette sur le policier. Sous le choc, la porte arrière de l'ambulance s'ouvre et les deux hommes se retrouvent sur la chaussée. Ce n'est pas la chute qui fait mal, c'est l'atterrissage. Batman se relève et fonce dans le tas de quatre personnes regroupées pour regarder ce qui se passe. Il court se mettre à l'abri dans une ruelle, personne n'ayant envie de le suivre. Il se souvient de sa chute dans la rivière depuis un pont métallique de Gotham. En reprenant une bouffée d'air, il avait aperçu la silhouette de ses parents sur la rive, avant de reglisser sous la surface de l'eau. Batman reprend un instant conscience dans la ruelle : devant lui se tient John Constantine, menteur professionnel. Ayant reperdu connaissance, Bruce Wayne se souvient d'un moment de son enfance, quand il était sur un jeu d'enfant, un plateau circulaire en train de tourner. Il avait appelé ses parents pour attirer leur attention. Son esprit d'enfant avait remarqué le regard que son père jetait à une autre femme, sans en saisir le sens. Il avait également remarqué une femme aux cheveux filasse sales, habillée gothique, se tenant derrière un arbre, dans le dos de sa mère. L'Enchanteresse lui avait parlé dans son esprit, lui indiquant qu'elle est à la fois le désir et la peur du désir, lui demandant s'il serait à elle. le jeune Bruce avait chuté du manège. Batman se réveille sur un lit dans un petit appartement. John Constantine est dans la pièce d'à côté en train de regarder les nouvelles à la télé : les informations rapportent la mort de Joker dont le corps a été retrouvé sur la berge de la rivière de Gotham. Invisible aux yeux de Batman, se tient Deadman (un spectre) juste aux cotés de John Constantine. Batman file à l'anglaise, Constantine ne s'en rendant compte qu'après avoir fini sa phrase. Batman se jette entre les buildings, et il se laisse tomber en chute libre le long d'une façade, tout en se souvenant d'un moment avec son père et une femme en robe verte, sur un pont métallique de Gotham. Difficile de résister à une promesse aussi alléchante : le scénariste de 100 Bullets (avec Eduardo Risso) et l'artiste de Suiciders. En fonction de ses goûts, le lecteur a plus ou moins apprécié leur précédente collaboration à Gotham : Joker (2008). Il garde par contre un excellent souvenir de Batman: Noel (2011) réalisé par Bermejo tout seul. Il s'agit du premier projet original publié par la branche Black Label de DC Comics, un label spécialisé dans des histoires plus adultes des superhéros de l'éditeur. La présentation est soignée avec une jaquette de type papier calque, et un format carré sortant de l'ordinaire. le lecteur ouvre le tome au hasard et est immédiatement impressionné par la qualité des dessins : hyper-réalistes, quasi photographiques, avec une mise en couleurs extraordinaire, combinant une approche naturaliste avec une approche impressionniste. le lecteur sait que, quel que soient ses a priori, il a déjà succombé à la séduction de ces planches. Il peut effectivement éprouver un moment de recul en voyant une voix désincarnée se lancer dans un soliloque peu clair et emphatique. Il peut s'inquiéter de voir intervenir John Constantine, signalant que le récit baigne dans le surnaturel. Il peut se crisper en voyant Enchanteresse traitée comme une gothique, et Deadman comme un spectre, c'est-à-dire que les auteurs effectuent une forme de transposition de ces personnages costumés de l'univers partagé DC pour les rendre plus réalistes, plus plausibles dans un univers réel. D'ailleurs c'est exactement ce que Bermejo et Azzarello font subir à deux autres personnages dans un club de magie. Par contre, ils n'essayent même pas avec la dernière créature horrifique à intervenir dans le récit. Dans le même temps, cette hypothèse d'une velléité de tout ramener au réel vole en éclat dès la première scène. Batman est couché sur une civière et son corps dégage une telle présence que le récit s'inscrit d'office dans le registre superhéros, ce qui ne se produisait pas pour le récit Joker. Lee Bermejo réalise des planches d'une minutie hallucinante. Il a repris le postulat du récit Noël : Bruce Wayne a réalisé son costume de Batman à partir d'éléments du commerce. le lecteur peut les identifier en regardant le personnage. Il voit les coutures renforcées, les bottes de combat, la ceinture à sacoche, la protection ventrale en kevlar, les gants bien rembourrés, les protections aux épaules. du début jusqu'à la fin, l'artiste soigne ses planches avec le même niveau d'investissement, attestant qu'il a disposé du temps nécessaire pour fignoler chaque page. Tout du long, le lecteur obsessionnel peut contempler à loisir les décors, les tenues vestimentaires jusqu'aux boutons des habits, les façades des bâtiments, la texture de la peau des êtres humains comme des animaux, la texture de la pierre dans la grotte ou des pierres taillées de l'église, les sculptures sur les bancs de l'église, les gargouilles, le cuir des banquettes du bar, etc. C'est une qualité tactile qui en devient sensuelle. Tout du long également, le lecteur baigne dans une ambiance unique, réaliste avec un soupçon d'onirisme grâce à une mise en couleurs sophistiquée et palpable. Il suffit de regarder Batman perché sur un câble d'un pont à hauban pour être bouche bée devant la manière dont chaque détail ressort, alors que tout baigne dans une lumière bleu acier / gris. Il est possible de distinguer les buildings en arrière-plan, tous les câbles partant du hauban, le courant du fleuve, la rive au pied des buildings, la file de circulation en contrebas avec les voitures de police, les 4 policiers, le commissaire Gordon, un témoin en train d'être interrogé, les draps sur les corps, et Batman des petits éperons sur ses gants, jusqu'aux boucles sur ses bottes. Chaque case de chaque page bénéficie de ce degré finition, de cette clarté à la lecture, de cette mise en couleurs. du coup, le lecteur se retrouve au départ pris entre 2 niveaux un peu contradictoire. D'un côté, la narration visuelle l'incite à se placer dans un mode réaliste, où tout ce qui est montré est à prendre au premier degré, comme une description authentique. À partir de ce point de vue, il recommence à se crisper un peu à la vue des personnages habituels de l'univers Batman traités comme de simples individus plus ou moins détraqués, ce qui les appauvrit. En outre ce point de vue réaliste ne fait pas toujours sens. de ce point de vue, l'apparition d'Enchanteresse donne l'impression d'un film de série de Z, John Constantine est une collection de clichés ambulante, et Deadman reste un personnage de comics de superhéros, sans aucun espoir de ne jamais pouvoir lui donner un sens dans un environnement réel. Tous les éléments surnaturels deviennent kitchs et ridicules. Du coup, le lecteur se dit qu'il ne doit pas être dans le bon mode de lecture. Il revient à son impression première : aussi réalistes que soient les dessins, ils ne parviennent pas à faire croire à l'existence de Batman comme personne réelle. Il reste un fantasme urbain, un alpha-mâle à la résistance impossible, aux capacités trop viriles, à l'apparence trop kitch. du coup, il repasse en mode superhéros dans sa lecture, avec e degré de suspension consentie d'incrédulité qui va avec. L'histoire passe beaucoup mieux ainsi, même si les dessins deviennent presque trop précieux pour un simple récit de superhéros. Comme à son habitude, Brian Azzarrelo ne se gêne pas pour employer un langage fleuri, pour inclure une scène de sexe entre Batman et une ennemie, ni pour augmenter la dose superhéros au-delà de Deadman. Comme à son habitude il joue avec les clichés du polar et ses conventions, les utilisant au premier degré. Comme le récit se déroule en dehors de la continuité, il en ajoute aussi une couche avec les coucheries de papa Wayne. Mais en cours de route, ces éléments hétéroclites finissent par s'agréger dans une narration cohérente, en phase également avec les choix graphiques. Cette plongée de Batman dans un monde plus sombre que d'habitude, très tangible, avec John Constantine sur les talons, en croisant des gugusses aux pouvoirs impossible devient une quête, une expression métaphorique d'autre chose. Ce monde de cauchemar à la logique étrange est tellement incarné que le héros ne peut pas s'en échapper, qu'il doit toujours avancer et se confronter à ses souvenirs et à des vérités, dans une quête spirituelle. En poussant Batman dans ses derniers retranchements réalistes, Brian Azzarello et Lee Bermejo confrontent le personnage à l'absurdité d'un type qui s'habille en chauve-souris pour lutter contre le crime de rue. Ils contentent le lecteur de superhéros en incluant des personnages aux pouvoirs tellement impossibles que le récit rebascule dans le registre superhéros. Dans le même temps, l'enquête de Batman prend une dimension de métaphore, rappelant que quand il est bien maîtrisé le genre superhéros peut s'avérer aussi riche que n'importe quel autre genre littéraire, et servir de support à n'importe quel type de récit. L'éditeur DC Comics est spécialisé dans le genre superhéros. Quand il publie ce récit, le lecteur part avec le présupposé que l'objectif est de proposer un récit de Batman le plus réaliste possible, surtout avec un scénariste maître du polar urbain, et un dessinateur maître de la représentation hyperréaliste, un peu inquiet d'une perte de saveur de personnages plus grands que nature. Le début donne l'impression que cette volonté de réalisme est incompatible avec le concept d'un individu qui s'habille en chauve-souris. Petit à petit, l'évidence se fait : Azzarello & Bermejo ne renient rien des conventions de superhéros, et au contraire les utilisent avec leur touche personnelle, pour un récit qui est avant tout un récit de superhéros, mais aussi un polar urbain agissant comme le révélateur de la psyché du héros. Remarque : pour cette édition complète, les responsables éditoriaux ont pris le parti de faire disparaître dans les ombres, le sexe de Bruce Wayne, nu après être sorti de la Batmobile dans la Batcave.

09/07/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Léon le Grand
Léon le Grand

Vous êtes étranges, vous les chrétiens. Vous adorez des perdants qui ont été mis à mort. - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Il s'agit d'une reconstitution de la vie de Léon Ier le grand de l'an 452 à l'an 455. Sa première édition date de 2019. Il a été réalisé par France Richemond, médiéviste, pour le scénario, Stefano Carloni pour les dessins, et Luca Merli pour la couleur. Il comporte quarante-six planches de bande dessinée. En fin d'ouvrage, se trouve un dossier écrit par Bernard Lecomte, développant le contexte historique dans lequel a vécu le quarante-cinquième pape : le déclin de l'Empire romain, Un pouvoir impérial en déconfiture, La primauté de Rome, Que sait-on de Léon ?, Léon triomphe à Chalcédoine, La lutte contre les hérésies, le face-à-face avec Attila, Après Attila, Genséric, Ce qui reste de Léon. À Milan, des barbares à cheval, poursuivent des citoyens et les exterminent avec leur épée : c'est un massacre ! Quelques temps auparavant, à Ravenne, dans le palais de l'empereur d'Occident, Valentinien III reçoit le vénérable Léon, évêque de Rome. Avant que l'hôte ne soit autorisé à entrer, la discussion s'engage entre l'empereur, son épouse Licinia Eudoxia et Honoria la soeur de Valentinien. Son épouse lui reproche de ne pas s'intéresser à la religion, de ne pas avoir l'envergure de son cher père, l'empereur d'Orient qui a tant lutté pour la Foi, que son manque d'ambition a pour conséquence que l'empire restera éternellement divisé entre l'Orient et l'Occident. Il rétorque qu'il n'a peut-être pas d'envergure, mais qu'il est vivant, alors que son père Théodose vient de se tuer bêtement, d'une chute de cheval. Elle réagit : il aurait pu en profiter pour réclamer l'empire d'Orient puisqu'elle est la seule héritière, au lieu de laisser sa tante Pulchérie se saisir de la pourpre avec Marcien, son époux fantoche. Il décide de faire entrer le pape Léon premier. Le pape l'informe que c'est un jour heureux : le concile de Chalcédoine que la défunte impératrice Galla Placidia souhaitait tant a rétabli la pureté de la Foi. Licinia en rajoute : la mère de l'empereur savait, elle, que le destin de l'empire est lié à celui de l'Église. Léon premier synthétise les faits : une grave hérésie est venue du moine Eutychès, supérieur d'un puissant monastère de Constantinople. Sa réputation de sainteté et d'ascèse rayonnait dans tout l'Orient, pourtant il s'acharnait dans l'erreur monophysite. Eutychès refusait de croire que le Seigneur Jésus ait une âme humaine. Il la jugeait incompatible avec sa divinité. Honoria rappelle que l'empereur Théodose avait tout fait pour protéger ce moine. Jusqu'à convoquer un concile dans le seul but de faire lever l'excommunication lancée contre lui. Concile où l'on refusa la parole aux légats du vénérable pape Léon, et où Flavien, le patriarche de Constantinople, fut arrêté violemment en pleine séance. Les rappels théologiques continuent ainsi jusqu'à l'irruption d'un soldat qui les informe qu'Attila et ses Huns sont en train de massacrer les romains dans la cité de Milan. Un défi ambitieux : une reconstitution historique, devant en plus évoquer la Foi catholique puisqu'il s'agit d'un pape. le lecteur habitué des bandes dessinées à caractère historique s'est déjà forgé son horizon d'attente : des dessins descriptifs, avec beaucoup de dialogues ou d'exposition à rendre vivants, quelques exagérations romanesques dans les prises de vue, une nécessité contraignante pour la scénariste d'exposer de nombreux éléments historiques dans une pagination restreinte, également par le biais de cartouches. La première séquence comporte deux pages consacrées au massacre des habitants de Milan par les Huns. La prise de vue est dynamique, avec des angles et des cadrages accentuant l'impression de mouvement par des plongées et des contreplongées, de la violence. Il n'y a que quatre phylactères très courts pour laisser la place à l'action visuelle. La seconde séquence se déroule sur six pages, des discussions en deux parties, d'abord entre l'empereur, sa sœur et son épouse, puis avec l'interlocuteur supplémentaire qu'est le pape Léon. L'artiste met en œuvre un réel savoir-faire, avec une forte implication pour que la prise de vue ne se limite pas à une simple alternance de champ et contrechamp. Il ne lésine ni sur la représentation des arrière-plans, ni sur les angles de vue travaillés, avec par exemple une vue de dessus de la salle du trône pour établir la configuration de la pièce. La scénariste entremêle les informations avec l'état d'esprit des personnages, faisant ainsi passer leurs émotions. La narration s'avère vivante, retenant l'attention du lecteur. Au vu du titre et du sujet, cette bande dessinée attire le lecteur qui y vient en toute connaissance de cause : un récit historique sur un moment précis de la vie du quarante-cinquième pape, dans un contexte bien défini. Pour autant, les auteurs doivent s'adresser aussi bien au néophyte qu'à celui qui dispose déjà de quelques notions. Pour être crédible, le dessinateur doit être en mesure de proposer des visuels plausibles, et de nature descriptive, ce qui induit un bon niveau de recherches de références historiques, ainsi qu'un degré de détails suffisant, sans devenir trop pesant. S'il a déjà lu d'autres bandes dessinées historiques, le lecteur se retrouve très favorablement impressionné par l'investissement de Stefano Carloni pour donner à voir cette époque. le lecteur prend le temps de savourer les différents lieux et leurs aménagements : la salle du trône de Valentinien III avec son dallage, ses colonnes, son plafond, le camp des Huns et leurs tentes, celle d'Attila où il reçoit le pape, les meubles, les tapis, les plats et les mets servis, l'extérieur du palais impérial à Rome, sa piscine pour les bains, le port de Rome alors qu'arrivent les navires de la flotte de Genséric, roi des Vandales et des Alains, la grande place de Rome, l'étude dans laquelle Léon dicte ses missives et rédige ses sermons, etc. le dessinateur ne se contente pas de représenter le décor dans la première case de chaque séquence, puis de laisser les fonds vides au bon soin du coloriste : il les représente dans presque toutes les cases, ce qui permet au lecteur de se projeter dans chaque lieu, d'avoir à l'esprit où se déroule chaque scène, de découvrir d'autres aspects du lieu dans les cases suivantes en fonction des mouvements de caméra. D'une manière tout aussi solide et documentée, la scénariste dose habilement les informations historiques et leur exposé, avec des moments faisant ressortir la personnalité ou l'émotion des personnages. le lecteur n'éprouve jamais la sensation de se perdre en route, ou de passer à côté des enjeux. La scène d'ouverture établit visuellement qu'il s'agit d'éviter que Rome et ses habitants ne subissent le même sort que Milan et les milanais. Les personnages historiques bénéficient d'une présentation savamment dosée pour être définis, sans jamais avoir l'impression de lire une fiche dans une encyclopédie. le lecteur fait ainsi connaissance avec Valentinien, son épouse Licinia Eudoxia, sa soeur Honoria, le pape Léon, Flavius Aetius, Attila, le sénateur Flavius Bassus Hercolanus, Dame Lucina et son époux, etc. Dans le même temps, il prend note de ceux qui sont évoqués lors de conversation : Priscillien (340-385), Marcien (392-457), Pélage (v. 350 - v. 420), etc. Leur mention se fait avec ce qu'il faut d'informations pour qu'il ne s'agisse pas d'une liste désincarnée, sans devenir trop pesant. Lorsque se produit le face-à-face promis par le titre, le lecteur situe aussi bien Attila en tant que chef de la horde des Huns, et les enjeux pour lui, que le pape Léon, d'où il vient et sa foi. L'entretien s'avère passionnant, sans que les auteurs n'aient besoin de recourir à une dramatisation artificielle ou appuyée. L'évocation d'un moment de la vie d'un pape ne s'arrête pas à une reconstitution historique de nature politique : le lecteur attend également que soit évoqué l'Église et la Foi. La scénariste n'occulte pas cette dimension, sans faire ni œuvre de prosélytisme, ni se montrer moqueuse. Elle établit l'Église comme une force politique indissoluble de l'unité de l'empire. Elle ne se limite pas à ça : elle intègre le fait que le pape est le chef de l'Église et le montre à l’œuvre. Il ne s'agit pas de le montrer accomplissant les rituels catholiques : elle met en scène son apport décisif à l'unité de l'Église en luttant contre les hérésies. À nouveau, pas besoin d'être versé dans l'histoire du dogme catholique pour comprendre les enjeux. La narration comporte les éléments nécessaires à la compréhension d'hérésies comme le monophysisme, le pélagianisme ou le manichéisme. Libre au lecteur de continuer en allant chercher de plus amples informations dans une encyclopédie. Après avoir parcouru le dossier en fin d'ouvrage, il prend mieux la mesure de la qualité d'écriture et de narration de la bande dessinée : ce texte vient étoffer ce qui est exposé dans la bande dessinée, attestant qu'elle contient bien tous les éléments essentiels. Parfois, un lecteur doute que les auteurs parviennent à tenir leurs promesses, tellement le projet est ambitieux. Ici, il vient pour découvrir qui fut le pape Léon premier, pourquoi il a laissé une trace dans l'Histoire, et dans quelles circonstances il s'est retrouvé face à Attila, sans forcément nourrir un goût prononcé pour la religion. Il reconnait bien les spécificités propres à la majeure partie des bandes dessinées historiques : dessins descriptifs pour donner de la consistance à la reconstitution, et volume d'informations important. Il se rend vite compte que dessinateur et scénariste se montrent très compétents et investis pour réaliser des planches sans dramatisation artificielle ou arrière-plans sporadiques, avec un dosage de l'information remarquable. Les personnages historiques sont animés par des motivations et des émotions réelles, tout en restant cohérents avec la vérité historique. le rôle de l'Église est au cœur du récit, ainsi que l'importance du pape, sans prosélytisme, tout en établissant les enjeux tant politiques que théologiques de l'institution. Remarquable.

09/07/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Tamara de Lempicka
Tamara de Lempicka

Une artiste doit tout expérimenter, mais ne doit jamais tout révéler. - Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. La première édition date de 2017. Cette bande dessinée a été réalisée par Virginie Greiner pour le scénario, et Daphné Collignon pour les dessins et les couleurs. Elle comprend quarante-six pages. L'ouvrage se termine avec un dossier de sept pages, écrit par Dimitri Joannidès, une biographie de l'artiste Tamara de Lempicka, en six parties : Une jeunesse cosmopolite, À la conquête de Paris, le style garçonne, La vanité du paraître, La belle Rafaëla, La fin d'un monde, Une reconnaissance posthume. Chaque page est illustrée, par une photographie dans la première page, et par un tableau pour les six pages suivantes : Vierge bleue (1934), La chemise rose ou Jeune femme les seins dénudés vêtue d'une combinaison de dentelle transparente (1933), Roses dans un vase (1950), La belle Rafaëla (1927), Chambre d'hôtel (1951), Adam et Ève (1932). En 1923, dans un café huppé, Tamara de Lempicka est assise à une table avec une autre femme et deux hommes, tous en habits. Elle prend une cigarette dans l'étui d'un des deux gentlemen. Celui-ci fait observer que les femmes bien élevées ne se servent pas par elles-mêmes. Elle lui rétorque qu'elle prend ça comme un compliment. Son amie lui demande si elle a repéré le mâle idéal parmi les autres clients. Elle répond qu'il n'y a rien d'intéressant pour le moment. Un homme s'approche de leur table pour inviter Tamara à danser. Elle le toise lentement et répond par un simple non, sans façon. Les autres observent qu'en voilà un qui ne reviendra pas de sitôt, et souhaitent savoir pour quelle raison elle l'a congédié car il était pourtant très séduisant. Elle répond qu'il n'était pas assez italien à son goût, les Italiens sont les seuls hommes qui baisent plus longtemps que n'importe quels autres. À l'invitation d'un des deux hommes, elle se lève pour aller danser avec l'autre invitée. Bientôt un petit groupe se forme pour les regarder, en particulier les ondulations de Tamara. Une fois la danse terminée, le prince Yusuov, travestie en femme, vient les saluer. Il explique que sa belle robe noire est du dernier chic parmi les gens qui comptent ici et en nomme plusieurs assis à une table : la duchesse de la Salle, Natalie Barney, Jean Cocteau, Gide et Colette. Il continue : Natalie Barney tient le meilleur salon saphique de la capitale, et il espère vivement qu'elle y viendra. Puis il s'avance vers la table et leur présente Tamara de Lempicka : une talentueuse peintre de ses amies, ses toiles accèderont bientôt à une gloire méritée. La conversation s'engage évoquant la Révolution russe, à laquelle Tamara a survécu, le champagne à la cour du tsar, Tadeusz Lempicka, le mari de Tamara. En réponse à une question, elle explique qu'elle essaye d'aller au-delà de l'image. Elle peint les gens comme ils sont, mais surtout ce qu'ils ont dedans. Elle utilise son intuition pour capturer leur vraie personnalité. Elle accepte de faire le portrait de la duchesse de la Salle, et elle accepte l'invitation de Natalie Barney de se rendre à son prochain vendredi. Même si la date de la première séquence n'est pas explicite, le lecteur découvre la peintre dans son atelier à Paris, et le récit semble se dérouler sur quelques jours, s'achevant avec la présentation de la toile La belle Rafaëla qui date de 1927. Les autrices ont donc choisi de concentrer leur récit sur cette courte période, plutôt que de réaliser une biographie complète. le lecteur accompagne Tamara de Lempicka dans sa vie quotidienne, et elle est présente sur toutes les planches de l'album. Il observe une femme menant une vie de bohème quelque peu dissolue, mais sans souci matériel grâce à son succès. C'est d'ailleurs d'elle que provient la source de revenu de la famille. Elle vit une vie aussi libre que celle d'un homme, une vie d'artiste, une femme libérée (quasi) ouvertement bisexuelle, qui parle parfois d'elle à la troisième personne du singulier, par exemple quand elle s'adresse à sa fille Marie-Christine (1916-1980, surnommé Kizette) alors âgée d'environ dix ans. Les autrices n'insistent pas trop sur le poids des interdits de la société, ni sur le coût de les braver, le contrecoup étant d'une autre nature. Dans un premier temps, le lecteur remarque surtout le caractère feutré de la mise en couleurs, propices aux conversations dans les cafés en soirée, et dans les alcôves. La coloriste a choisi une palette volontairement réduite. Dans la première scène, les personnages et le décor sont rendus avec des bruns de type alezan, acajou, auburn, bronze, café au lait, cannelle, chaudron, lavallière, tabac, terre de Sienne, etc. Un personnage peut parfois ressortir par contraste dans une teinte plus orangée. Il ne s'agit pas d'une mise en couleur naturaliste, mais axée sur l'ambiance lumineuse, pour transcrire un état d'esprit, et s'approcher également de certaines couleurs des tableaux de l'artiste. Il en va ainsi tout le long de l'album, avec des glissements dans des tons plus gris, ou plus vert, en fonction de la nature de la séquence. Cela a pour effet d'établir une continuité forte, comme s'il s'agissait de l'état d'esprit de Tamara de Lempicka tout du long. Par voie de conséquence, cette approche accentue également ce qui est représenté dans chaque case, ce qui fait rapidement prendre conscience au lecteur que beaucoup sont consacrées à des visages ou des bustes des personnages en train de parler. Tout en ayant bien conscience de cet effet limité de têtes en train de parler, le lecteur se rend compte qu'il ne produit pas un effet répétitif ou appauvrissant, car il confère plus de présence aux personnages. Le parti pris de la colorisation étant très affirmé, il imprègne les traits encrés au point d'en devenir indissociable. En se concentrant sur ces derniers, le lecteur perçoit des traits de contour assez arrondis ce qui rend les dessins plus agréables à l’œil, ainsi que des simplifications dans la représentation des personnages et des décors. Par exemple, les pupilles et les iris se retrouvent réduits à un simple point noir dans certaines cases. Les très gros plans sur les visages ou sur les corps peuvent affranchir l'artiste de représenter quelque arrière-plan que ce soit, ou même le laisser juste en blanc, vierge de tout trait. Dans le même temps, ces choix graphiques apportent une sorte de légèreté et de grâce à la narration visuelle. Pour autant, Daphné Collignon représente des personnages aisément reconnaissables. Elle prend de toujours planter le décor dans plusieurs cases, ne laissant jamais le lecteur dans l'incertitude du lieu où se déroule la scène, évitant de réduire les personnages à des acteurs interprétant leur rôle sur une scène vide et interchangeable. L'apparence visuelle de Tamara de Lempicka rend bien compte de son caractère affirmé, de sa sensualité sans tomber dans l'exagération ou la vulgarité. Les autres personnages se comportent comme de vrais adultes que ce soit dans leurs postures, leur langage corporel ou l'expression de leur visage. Loin de se réduire à une succession monotone de têtes en train de parler, la narration visuelle emmène le lecteur vers des moments mémorables : Tamara de Lempicka dansant avec une femme dans un boîte très consciente du regard des hommes, la peintre prenant du recul sur le tableau qu'elle est en train de réaliser, les tentatives de son mari pour prendre le dessus de la conversation avec elle, sa concentration en observant les toiles de maître au Louvre, l'intimité artistique qui s'installe entre elle et André Gide (1869-1951), Tamara expliquant à sa fille en quoi sa vie d'artiste est différente de celle des autres femmes, la peintre abordant sa future muse Rafaëla, la réaction des invités lors du dévoilement du tableau La belle Rafaëla. Au fur et à mesure, le lecteur succombe au magnétisme que dégage Tamara de Lempicka, telle que mise en scène par la dessinatrice. Dans un premier temps, le lecteur peut s'interroger sur le choix réducteur de s'intéresser à une très courte période de la vie de la peintre, sans évoquer ses années de formation, les aspects concrets de son succès, l'impact de son œuvre sur les artistes de l'époque, ou simplement la pertinence de son expression artistique comme incarnation de l'esprit du moment, et ce qu'elle comportait également d'universel. Mais en fait si, tous ces éléments s'y trouve bien, sous une forme elliptique, le temps d'un dialogue ou d'une case, sans pour autant prendre la forme d'un exposé exhaustif, plus d'évocations allusives. Au fur et à mesure, il apparaît que cette focalisation sur cette courte période permet de cristalliser comment sa peinture constitue à la fois l'expression de la personnalité de l'artiste, ainsi que sa recherche d'un idéal de beauté et de la façon d'en rendre compte par sa peinture, de se montrer à la hauteur de ce qu'elle souhaite exprimer. L'exercice de la biographie peut parfois paraître vain du fait que personne ne peut réellement savoir ce que pensait un autre individu au cours de sa vie. En effectuant un choix clair dans la reconstitution de la vie de Tamara de Lempicka, les autrices indiquent explicitement qu'il ne s'agit pas d'une œuvre exhaustive, tout en concentrant leur vision de ce qu'incarne cette artiste pour elles. Grâce à une narration visuelle douce qui parvient à être sensuelle, elles parviennent à donner vie à cette femme, à la faire s'incarner, le lecteur tombant sous son charme et quelque peu sous sa domination, sans en avoir forcément bien conscience.

08/07/2024 (modifier)