Les derniers avis (3 avis)

Par Josq
Note: 4/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série L'Ombre des Lumières
L'Ombre des Lumières

Une nouvelle bande dessinée d'Alain Ayroles, c'est toujours la fête pour un bédéphile. C'est donc tout naturellement que je me suis précipité en librairie et je n'ai pas trop été déçu ! Encore une fois, Ayroles accouche à la fois d'un bel objet et d'une histoire puissante. Les jeux de pouvoirs et de domination qu'il met en scène sont savamment mis en place avec l'art qu'on lui connaît. Ses personnages sont intelligemment écrits, et même si on est parfois dans le domaine de la caricature, il sait faire sortir les protagonistes de cette ornière. Ainsi, notre perception des personnages principaux change constamment, au fur et à mesure qu'on découvre leurs vilenies ou leur excessive naïveté. L'univers du XVIIIe siècle français est en cela très bien rendue, avec l'hypocrisie qu'on lui connaît. L'auteur menace toutefois régulièrement de réduire le siècle des Lumières à cette hypocrisie, et c'est à mon sens un peu dommage, car il bénéficie quand même d'une richesse culturelle indéniable. Certes, Ayroles la met bien en scène mais toujours à travers ce prisme de l'hypocrisie d'une élite déconnectée du vrai peuple. D'un côté, on est contents de voir cette description d'une noblesse d'Ancien Régime, qui n'invoque le progrès, la philosophie et la culture que pour mieux se conforter dans un entre-soi détestable, à milles lieues des vertus invoquées au sein même d'une religion affichée qui ne signifie plus rien à leurs yeux, ou d'un athéisme étonnamment plus dogmatique encore que la religion qui le précéda. Heureusement, au fur et à mesure des 3 tomes parus à ce Ce contact avec le Nouveau Monde est d'ailleurs une des grandes surprises du récit pour ma part (mais révélé dès la lecture de la 4e de couverture, puisqu'il suffit de lire le titre des deux tomes à venir pour le comprendre). Je ne m'attendais pas à ce que le récit explore le lien entre l'Ancien Régime et les colonies américaines, cela donne une ampleur inattendue au récit : on s'attendait aux Liaisons dangereuses et on se retrouve avec Le Dernier des Mohicans en plus ! Belle surprise, qui permet à Ayroles de s'amuser avec ce qu'il préfère : le récit d'une colonisation cynique où les innocents sont écrasés par les politiques et les commerçants. Même s'il n'atteint pas ici le ton épique de Les Indes fourbes, il nous offre un récit bien différent, qui étend ses ramifications petit à petit jusqu'à nous plonger dans l'Histoire, la vraie, sans qu'on s'y attende vraiment. Le tome 2 nous plonge déjà dans l'univers dangereux des Grands Lacs avec une réussite indéniable, mais avec le tome 3, c'est la consécration ! Les différents fils narratifs y trouvent une conclusion plus que satisfaisante, y compris un fil narratif essentiel du premier tome dont on n'attendait pas la suite ici. Surtout, le récit nous immisce peu à peu dans les guerres franco-britanniques qui viennent envahir le sol canadien, vues par de multiples points de vue, ceux des colons, des soldats, mais aussi des indiens. Ce qui est fort, c'est que malgré le (très) grand nombre de points de vue, le récit conserve tout le temps sa fluidité ! Au dessin, Richard Guérineau n'a certes pas le génie de Juanjo Guarnido, mais il a néanmoins une jolie patte graphique, qui colle bien avec l'univers d'Ayroles. Manquant peut-être un peu de finesse par rapport au raffinement extrême du XVIIIe siècle français, le dessin se révèle parfaitement efficace quand il s'agit de dépeindre le grand nord canadien. Élégant, mais brutal quand il le faut, le dessin de Guérineau accompagne à point nommé les retournements de situation et autres jeux de manipulation sournoise qui ponctuent le récit. Là aussi, on sent Guérineau très à son aise particulièrement dans un tome 3 où les conflits (plus ou moins) larvés éclatent, et où la guerre s'impose de plus en plus à des autochtones qui n'ont rien demandé. Même si ces guerres restent en toile de fond du récit, elles confèrent au tome 3 un ton plus grandiose que les précédents, peut-être un peu plus sérieux alors que paradoxalement, en même temps, les manigances du chevalier de Saint-Sauveur deviennent des ressorts plus ouvertement comiques (pour un peu, on se croirait dans du Goscinny, par moments !). Peut-être mon seul reproche serait-il de nous avoir vendu une trilogie, avant de découvrir qu'il va y avoir un tome 4. Mais bon, vu le cliffhanger du tome 3, il est difficile de ne pas attendre le tome 4 avec la même impatience que les autres ! Un arc narratif s'est clairement refermé et ces 3 tomes pourront se lire comme une trilogie à peu près complète (sauf qu'on ignore toujours l'identité de Mme de ***, qui sera probablement au cœur des prochains volumes). L'aventure canadienne semble terminée, mais espérons que la suite de la saga soit au même niveau ! En tous cas, Le Démon des Grands Lacs clôt dignement une belle et grande trilogie, tout en ouvrant de belles perspectives pour la suite. Le chevalier de Saint-Sauveur va sûrement voir son passé ressurgir et le moins qu'on puisse dire, c'est qu'on a plus que hâte !

14/09/2023 (MAJ le 25/11/2025) (modifier)
Couverture de la série 40 days dans le désert B
40 days dans le désert B

Avis subjectif, pour un album pas très courant, et qui je pense plaira surtout aux amateurs de l’auteur. Mais aussi aux lecteurs curieux, férus de poésie – surréaliste essentiellement. Et comme je fais partie de ces deux catégories, voilà un album que j’ai grandement apprécié ! L’album est vite lu, car totalement muet. Même s’il y a un récit sous-jacent, c’est surtout une suite d’images, de rêveries, l’exploration de l’imaginaire de Moebius. J’ai parlé d’une lecture rapide. Certes. Mais elle en appelle presque à l’infini d’autres, pour observer les détails. Car Moebius allie ici la minutie et l’épure, dans un dessin excellent, souvent hypnotique et onirique. Giraud/Moebius a toujours aimé les déserts, les a souvent représentés, dans les Blueberry de façon réaliste, et dans pas mal d’œuvres moebiusiennes de façon plus épurée, comme c’est le cas ici. Ses visites aux États-Unis, au Mexique – et probablement l’usage de substances « exotiques » – l’ont fortement inspiré, pour donner ici quelque chose de superbe visuellement, et d’intrigant intellectuellement. Une lecture envoûtante.

25/11/2025 (modifier)
Par Ro
Note: 4/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Knight club
Knight club

Les 7 mercenaires au temps des Croisades ! À la fin du XIIe siècle, une jeune forgeronne se rend à Jérusalem pour recruter des chevaliers capables de défendre son village contre des croisés sans scrupules. Sa seule monnaie d'échange : des armures d'une qualité exceptionnelle qu'elle est la seule à savoir forger. En chemin, elle réunit une équipe hétéroclite de combattants venus d'horizons très divers, qui acceptent de la suivre et de se battre à ses côtés. Voilà une publication des plus réjouissantes. Certes, le schéma des 7 mercenaires a été exploité maintes fois, mais le transposer dans le royaume de Jérusalem, véritable carrefour où se côtoyaient Européens, Africains, Nizârites, Mongols ou Tatars, offre un terrain culturel riche et propice à un récit haut en couleurs. Et confié à Arthur de Pins, le concept fonctionne d'autant mieux. Son graphisme fait toujours mouche. Il s'éloigne ici un peu de l'esthétique très numérique de Zombillénium : pas de dégradés, et la 3D n'apparaît que dans certains décors, tandis que les personnages et l'essentiel des planches adoptent un rendu en aplats, plus sobre visuellement mais tout aussi efficace. L'auteur s'autorise en prime plusieurs compositions d'une grande élégance, proches d'illustrations d'artistes conceptuels. La narration, elle aussi, apporte une vraie fraîcheur. Malgré un cadre historique soigné et quasiment dépourvu d'anachronismes, les dialogues adoptent une vivacité très contemporaine, presque cinématographique. Le rythme est excellent, soutenu par une galerie de personnages réussie, par la personnalité forte de la forgeronne qui les rassemble et par un zeste d'humour bienvenu dans la mise en scène. L'intrigue principale reste simple et rappelle les exactions commises par certains croisés en Terre sainte, mais elle s'enrichit de sous-intrigues bien dosées qui maintiennent l'intérêt et donnent envie d'avancer. C'est une BD très aboutie et particulièrement plaisante.

25/11/2025 (modifier)