Premier volet d’une trilogie de science-fiction, cette bande dessinée constitue une bonne surprise. Très en phase avec notre réalité terrestre actuelle, elle a pour thème central l’extinction de la vie terrestre. A l’heure où une poignée de milliardaires à la tête de multinationales sont en train de s’accaparer les ressources et décider du sort de l’humanité, sans concertation et sans égard pour les populations, le sujet du livre, qui évoque cette question, est donc plus que sérieux. Pour concevoir ce récit, Grégory Jarry s’est inspiré notamment d’un projet évoqué à maintes reprises par les plus rêveurs des scientifiques : un ascenseur spatial entre la Terre et la Lune. Un projet fou repris par la NASA mais dont on ne sait vraiment s’il verra le jour ni sous quelle forme. Quant aux circonstances de sa construction dans le récit, elles étaient liées au projet dément de provoquer l’effondrement de la vie terrestre, prix à payer pour implanter un puissant générateur d’énergie propre et infinie sur la surface lunaire.
C’est ainsi que l’on va suivre la jeune Agafia dans sa mission consistant à terminer ce que son père, décédé accidentellement, avait entrepris : rejoindre la Lune à l’aide de l’ascenseur spatial. Seule sur une terre rongée par les pluies acides, elle communique avec sa mère immergée dans un plasma qui la maintient en vie depuis 500 ans, on va la voir se déplacer dans un exotérus, un drôle d’engin insectoïde. C'est dans celui-ci qu'elle a retrouvé la dépouille de son père et qu'elle utilise désormais pour sa mission.
Quelque peu complexe, le scénario est toutefois intrigant, oscillant à coup de flashbacks entre deux temporalités différentes, ce qui ne fera que renforcer le mystère : mais pour quelle raison les instigateurs du projet (à l’exception de la mère d’Agafia) semblent-ils quasiment tous avoir disparu dans des conditions obscures ? Jarry a développé un univers cohérent en extrapolant les technologies actuelles, avec des personnages bien structurés, même si ce tome ne permet pas d’être encore totalement familiarisé avec eux.
Le trait nerveux et minimaliste de Lucie Castel, plaisant par son côté peu académique, est rehaussé par le travail sur la couleur de Robin Cousin. Les choix chromatiques permettent de poser des ambiances variées. Plus sombres, un rien fluo ou désaturées selon les passages, les tonalités suggèrent une atmosphère artificielle voire menaçante dans ce contexte où la biodiversité a totalement disparu de la planète.
Pour se faire une idée définitive, il faudra sans doute attendre de découvrir la suite (le tome 2 doit paraître fin août), mais force est de reconnaître que les auteurs sont parvenus à nous mettre en appétit et à susciter notre curiosité avec ce premier tome.
Le premier témoignage, celui de Caroline reprend un voyage aux Kerguelen sur le Marion Dufresne (qu’elle a effectué en même temps qu’Emmanuel Lepage – qui en a tiré le très bel album « Voyage aux îles de la Désolation »). Elle en a tiré ensuite un livre sur le Marion Dufresne, et son court témoignage peu compléter celui de Lepage.
Viennent ensuite les récits de Julie (qui a convoyé un navire sur les mers du sud), de Marion (expérience de dérive sur la banquise), Sarah (biologiste ayant travaillé sur un navire de recherches), Maud (embarqué sur un navire de sauvetage de migrants en détresse L’Aquarius – voir à ce sujet À bord de l'Aquarius de Rizzo), Marie-Pierre (archéologue ayant travaillé sur un navire de recherches en Méditerranée), Céline (officier sur un navire militaire français brise-glace) et enfin Charlène (mécano pour la marine marchande, ayant travaillé en Terre Adélie). En fin d’album, chacune a droit à une photo et une courte biographie.
La lecture de cet ensemble n’est pas inintéressante. Mais c’est assez fourre-tout, hétéroclite, et parfois le caractère « féminin » de celle qui témoigne n’est pas forcément primordial, le côté « pionnières » qui semble à la base de l’album est parfois artificiel. Autre écueil, chaque témoignage est forcément assez court, et donc on reste parfois sur notre faim concernant le sujet abordé.
Le dessin est plutôt joli, agréable. Mais, là aussi, pointilliste. Ça ressemble plus à des carnets illustrés qu’à de la BD.
Un album qui se laisse lire, à emprunter à l’occasion, mais le « concept » m’a laissé sur ma faim.
L’album se lit rapidement (peu de textes et une intrigue assez légère), mais plutôt agréablement.
L’intrigue traite des violences faites aux femmes (et plus particulièrement agressions sexuelles et viols), mais aussi des difficultés pour les victimes à se faire entendre, voire même leurs difficultés à formuler ce dont elles ont été victimes.
Le sujet est traité de façon relativement originale, puisque Brune, la jeune femme au centre de l’intrigue, va être entraînée dans un engrenage implacable, comme une chute qui ne se termine pas, chaque échappatoire qui se propose à elle la plongeant encore plus dans la mouise, jusqu’à ce que sa voix ne soit plus audible en tant que victime.
Il y a quelque chose de terrible et se rapprochant d’un drame antique, ou d’un polar poisseux à la Boisset dans ce qui arrive à Brune.
Le thème est introduit par quelques extraits de l’émission « Faites entrer l’accusé » (ici renommée « Faites entrer le coupable ») autour de plusieurs cas de violeurs en séries, cela revenant sur la fin comme un clin d’œil ironique autour de Brune. Le décor est ainsi rapidement planté. Mais au final je ne sais pas si cet artifice est si intéressant. Car du coup il n’y a plus du tout de surprise sur ce qui va advenir. Ne reste au lecteur qu’à découvrir les circonstances, à défaut des faits eux-mêmes. L’intrigue est aussi un peu trop légère, manque de densité – et sans doute aussi de surprise donc.
Cette légèreté rend l’histoire limpide, mais l’empêche aussi de devenir plus qu’un simple fait divers. Ça n’est donc pas assez fort pour incarner une dénonciation des violences faites aux femmes. Et ce d’autant plus que le comportement de Brune reste ambigu sur la fin, lorsqu’elle passe de victime à accusée. Le côté féministe s’efface au final derrière le côté polar.
Le dessin est simple, sans fioriture, comme l’intrigue il va à l’essentiel, en restant sombre en permanence.
J'avais déjà découvert un pan de la vie d'Isadora Duncan en lisant Il était une fois dans l'Est des mêmes auteurs. Mais alors que ce dernier se concentrait surtout sur sa relation amoureuse avec le poète Essenine, Isadora propose une biographie plus classique et plus complète, que j'ai préférée car elle m'a permis de mieux appréhender la vie et la carrière de cette danseuse étonnante.
La mise en scène choisit de représenter Isadora comme une éternelle jeune femme, les yeux grands ouverts sur le monde. Dévouée à son art, mais aussi à une vision libre et un peu idéalisée de la vie, elle semble en permanence émerveillée, à la fois très attentive et un peu ailleurs. La BD ne permet pas vraiment de comprendre à quoi ressemblait sa danse puisqu'il y manque le mouvement, et je reste incapable de me faire une idée de son talent réel, mais les auteurs parviennent à faire sentir en quoi, par sa démarche comme par sa forme, elle rompait avec les canons classiques de l’époque, en apportant un souffle de liberté, de grâce et de nouveauté. Malgré son allure un peu perchée, le personnage devient attachant et intéressant pendant une bonne moitié de l’album.
Et puis Essenine entre en scène, et là j’ai décroché. Il est dépeint de manière si antipathique, avec son amour fait de reproches, d’humiliations, de sarcasmes et d’ivresses errantes, qu’il devient rapidement insupportable. Et rien dans le récit ne permet de comprendre ce qu’Isadora peut bien lui trouver. Par ricochet, elle perd elle aussi de son charme et devient une figure un peu pathétique, fantasque, collée aux basques d’un amant abusif. Le rythme, par ailleurs, est assez rapide, survolant ce qui a fait le succès de sa danse et la spécificité de son art, laissant au lecteur le soin de se documenter ailleurs s’il veut en savoir plus.
Bref, c’est une biographie plutôt agréable sur la forme et la narration, mais j’ai eu du mal à m’attacher aux personnages, surtout dans la seconde moitié.
Furioso est la transposition dans un cadre d'heroic-fantasy du poème épique de l'italien L'Arioste, Orlando furioso. Celui-ci prend pour cadre la guerre entre Charlemagne et les Sarrasins et imagine un chevalier Roland rendu furieux par la fuite de la femme dont il s'est épris et qui exerce sa vengeance sur les Maures et tous ceux qui ne s'allient pas à lui. En parallèle se déroule le récit du chevalier Roger, au service des Maures, mais amoureux de la guerrière chrétienne Bradamante qui est dans l'autre camp.
Philippe Paelez n'en fait pas une adaptation rigoureuse mais il met en place un récit de fantasy qui en reprend les éléments principaux. Les Maures sont ici remplacés par l'armée des Morts. Et le chevalier Roger, ici renommé Garalt, a lui-même été ressuscité alors qu'il avait été tué par Roland et il revient non pas vraiment pour se venger mais plutôt pour revoir son amour perdu.
L'histoire mêle plusieurs mythologies, un peu de grecque par-ci, un peu de celtique par-là, et on retrouve également sous l'aspect de la fameuse île des Morts du peintre Böcklin une version de l'île d'Avallon avec Morgane et Merlin/Myrddin. Ajouté à cela cette transposition du Royaume de Charlemagne et de la Chanson de Roland et on obtient une univers épique complexe dans lequel le lecteur est directement plongé sans explication et dont il doit démêler les fils en cours de lecture. C'est un peu compliqué et la première lecture est assez laborieuse. Mais c'est bien plus clair en seconde lecture.
Le dessin est de très belle facture, avec une vraie personnalité et une beauté certaine, mais lui aussi est souvent assez confus. Son abondance de traits, aussi souples et maîtrisés soient-ils, manque de contraste et même en relecture, il y a certaines scènes que je ne comprends que par les dialogues car l'image elle-même est difficilement lisible. C'est le cas par exemple d'une portion de la scène d'introduction du premier tome. Ceci étant dit, le graphisme a un véritable charme et je trouve que c'est une belle BD.
Du fait de la complexité de l'intrigue et de ses nombreux personnages, ce n'est pas un ouvrage facile à appréhender, mais il séduit par la force évocatrice de son dessin et par la poésie épique qui se dégage de son intrigue en forme de tragédie mythique.
Numéro Invalide est, à l’origine, un webtoon lancé en 2014 par l’autrice, qui y racontait ses déboires médicaux après une opération ayant mal tourné lorsqu’elle était adolescente. À 15 ans, on lui diagnostique une absence d’utérus et une malformation du vagin. Elle ne pourra pas avoir d’enfant, mais il lui est possible de corriger le second point pour avoir une sexualité normale. La solution proposée consiste en une opération encore expérimentale : remplacer l’intérieur du vagin par une portion du gros intestin. Effrayée, résignée mais surtout mal informée, la jeune fille accepte. Après quelques jours qui semblent normaux, l’opération échoue, apparemment à cause d’une erreur médicale. Ce sera le début d’un calvaire : interventions à répétition, douleurs chroniques, complications multiples, le tout aggravé par des comportements abusifs du corps médical, qui refuse d’assumer toute responsabilité.
Après des années de publication en ligne, le webtoon a été adapté en manga cette année. Il a été entièrement redessiné, et tant mieux : le webtoon avait un charme visuel certain, mais restait très amateur. Le manga, plus propre et un peu plus pro dans l’encrage, reste encore hésitant techniquement, mais l’effort est notable. Le format n'est pas la même et les images sont agencées différemment pour tenir sur des pages en papier. Au-delà de quelques pages inédites d'introduction, ce sont peu ou prou les mêmes scènes et le même découpage que le webtoon, avec quelques corrections amenées par un peu plus de recul sur l'œuvre avec les années. On perd la couleur, mais ce n’est pas un mal, et la mise en page s’en sort bien, avec quelques tentatives de mise en scène réussies.
Quant à l’histoire, elle est à la fois bouleversante et difficile à juger.
Bouleversante, parce que ce qui arrive à cette adolescente est atroce. Sa vie est fracassée par les conséquences d’une opération qu’elle aurait préféré éviter et aurait sans doute refusé si elle avait été mieux informée. Erreur médicale, douleurs ignorées, négligences dans son suivi, comportement injuste voire maltraitant des soignants, jusqu’à l’abandonner handicapée en rejetant la faute sur elle ainsi que sur sa relation trop fusionnelle avec sa mère. Si tout est vrai, c’est accablant. Difficile de ne pas imaginer un procès finissant par lui donner raison et condamner les responsables.
Mais le problème, c’est dans la mise en scène qui est tellement à charge qu'elle instille instinctivement le doute sur son impartialité.
Après prise d'un peu de renseignements sur Internet, il y a bien eu procès et son jugement accrédite une partie des accusations de l'autrice (faute de l'hôpital sur l’obtention de son consentement libre et éclairé), mais il ne semble rien dire des maltraitances et des conséquences qu'elle raconte ensuite, ou du moins le manga ne me permet pas d'en juger. Du coup, on n'a que la vision de l'autrice et c'est difficile de se faire sa propre opinion. Les premières pages, pourtant cruciales évacuent très vite la présentation préalable des solutions médicales alors que la clé du problème réside là, le fait qu'on n'ait pas ou mal expliqué les tenants et aboutissants de ce qui était proposé. Et de fait en deux pages à peine, l’héroïne rejette catégoriquement une autre solution, certes pénible mais bien moins risquée, ce qui donne déjà une impression de victimisation. Et ensuite, c’est un enchaînement de figures hostiles : médecins, infirmières, administratifs, anciennes amies, beau-père (dépeint comme un salaud), tous sont montrés comme des ordures. Tous, sauf la mère (et encore, son rôle est flou), quelques ambulanciers et un kiné brièvement rencontrés qui vont dans le sens de l’héroïne. C’est le souci : on n’a que son point de vue, celui de la victime, et jamais la version des autres. Les dialogues laissent entendre qu’ils mentent ou se dédouanent, mais on n’a aucune contradiction impartiale. Et la mise en scène n’aide pas : la mère, censée être fusionnelle, paraît souvent absente, ne facilite pas la communication avec les médecins, se contente de râler en marge et semble tolérer le comportement inacceptable du beau-père. Et l'héroïne elle-même s'enfonce régulièrement dans le dégoût d'elle-même et la peur d'exprimer à l'oral ce qu'elle pense vraiment, ce qui est certes crédible mais rend l’ensemble encore plus confus.
Bref, ce genre de témoignage, très orienté, me met mal à l’aise. Surtout que dans un tel ouvrage autobiographique, on a toujours peur qu'une critique de l'ouvrage soit considérée comme une critique de l'auteur en tant que personne. Je ne remets absolument pas en question le traumatisme vécu ni ses conséquences durables, mais la façon dont tout cela est raconté, avec une telle lourdeur accusatrice, fait douter instinctivement de l’impartialité du propos ce qui est terrible au vu de ce qu'elle a subi. Je le précise à nouveau, je parle là de la manière dont les choses sont racontées et mises en scène, je ne conteste pas la véracité des faits. Je pense que pour un meilleur impact, l'ouvrage aurait bénéficié d'un avis tiers qui aurait permis de mieux situer la réalité des faits. En l’état, c’est difficile à encaisser, et ça ne donne franchement pas envie de se faire opérer en Belgique.
Album autobiographique de Tronchet assez touchant, mais quelque peu décousu.
L'auteur y évoque sa famille et notamment sa maman, sans amertume malgré un passif quelque peu chargé en maladresses, avec surtout le regret de n'avoir pu comprendre et connaître véritablement ceux qui auraient dû être des proches. Cette évocation du contexte familial est l'occasion de revenir sur la bibliographie de l'auteur, de constater combien cette thématique de la famille a influencé et profondément nourri son œuvre, aussi bien les titres humoristiques des débuts, que les romans graphiques plus intimistes d'aujourd'hui.
BD indéniablement agréable à lire (les chaleureuses illustrations y sont pour beaucoup), mais trop ambitieuse et en même temps superficielle, pour ne pas laisser un goût d'inachevé. Tronchet a la sympathique modestie de l'admettre en mettant en scène un personnage fictif d'éditeur apeuré par ce projet faiblement structuré, mais se contenter de douter à propos du sens global et de la direction à donner au récit, tout comme simplement évoquer ses anciennes œuvres, ne permet pas de mettre véritablement en perspective l'ensemble ou de tenir un propos pertinent.
Pas la BD de Tronchet à lire prioritairement, mais un projet inabouti sympathique et fort honorable malgré d'évidentes réserves.
Un documentaire qui montre l'évolution de la nation française depuis la troisième République et particulièrement tout ce qui touche l'immigration.
On va donc voir que le beau rêve d'une France pure est un mythe, vu qu'il y a toujours eu des vagues d'immigration et comment les immigrants d'hier sont devenus les Français de demain avec des vagues d'immigration venant de différents pays au fil des périodes historiques. C'est pas trop mal, mais la narration manque vraiment de dynamisme. Il y a aussi le fait qu'on a surtout droit à un résumé d'histoire de la France depuis 1870 et plusieurs éléments qui auraient mérité d'être un peu plus approfondis. Lorsqu'on connait l'histoire de France, on ne va pas apprendre grand chose de nouveau. Je pense que les seules grosses surprises que j'ai eues dans l'album ont été d'apprendre que les Auvergnats étaient aussi pointés du doigt à une époque, que les Bretons et que la grosse vague d'immigration portugaise étaient plus récentes que je le pensais.
Il y a un coté politique orienté et je pense que cet album va surtout parler aux convertis. Dans notre époque de plus en plus divisée, j'ai pas l'impression que plus grand monde veut changer d'idées après avoir lu une BD. Il y a quelques détails qui m'ont fait un peu sourciller (pourquoi tout le monde trouve ça normal que les immigrants de première génération ont des emplois de merde ?!), mais pas trop. Les meilleurs moments sont les mini-témoignages qui montrent la diversité des habitants de la France et à quel point il y a des personnages qui ont marqué la France qui étaient immigrants on enfants d'immigrants.
Un triptyque sympathique.
J’ai un temps cru que le côté ésotérique – autour d’un manuscrit prouvant que le christ a survécu à la croix et qu’il s’est ensuite rendu au Tibet – allait prendre le pas sur l’intrigue, dans quelque chose de déjà pas mal vu, et que je n’aime généralement pas trop.
Heureusement cet aspect reste en sourdine, certes présent jusqu’à la fin, avec l’intervention des autorités catholiques, mais, après un premier tome qui en avait fait son enjeu central, c’est en retrait, justifiant juste quelques montées en tension.
On est donc là sur du polar, plutôt bien fichu. Si le conflit sino-tibétain occupait le premier tome, c’est par la suite aux États-Unis que ça se passe, à Los Angeles, avec une bonne utilisation du Maccarthysme.
L’inévitable privé, qui navigue entre deux eaux, ajoute à quelques clichés (c’est aussi le personnage le plus intéressant).
La narration est fluide, et l’histoire se lit agréablement. Je regrette juste quelques longueurs, et une certaine mollesse parfois, ainsi qu’une fin un peu facile.
Mais ce qui garantit d’un bon moment de lecture, c’est aussi le dessin de Grella, vraiment intéressant – et beau.
L'histoire se déroule dans l'Empire russe du début du XXe siècle, à une époque où de jeunes officiers pouvaient encore partir chercher l'aventure et la gloire aux confins d’un territoire immense, comme le faisaient leurs homologues des armées coloniales occidentales, à ceci près que leurs campagnes se jouaient dans les steppes et les montagnes de l’Asie centrale. Le lieutenant Vassili, mû par le besoin de s'accomplir et de prouver sa valeur, a lui-même demandé à servir dans ces zones reculées. Et c'est lui, toujours, qui réclame les missions les plus risquées. Stratège habile, peu enclin à fuir le danger, il s’illustre rapidement… mais se durcit tout autant, gagnant en autorité ce qu’il perd peut-être en humanité.
Ce récit, à la fois dépaysant et parfois envoûtant, avance à bon rythme, usant de plusieurs ellipses conséquentes pour accompagner l’évolution de son protagoniste sans s’enliser. Le dessin, d’une sobriété maîtrisée, restitue avec efficacité les paysages rudes et dépouillés de ces régions, tout comme les dynamiques entre les hommes, rendues avec justesse et retenue. L’ensemble fonctionne, tient l’attention, et accompagne le lecteur jusqu’à une fin d’une brutalité inattendue, presque déroutante, tant elle donne l’impression qu’il manque un épilogue, voire un deuxième tome. Cette coupure soudaine laisse un goût d’inachevé, une frustration qui contraste avec la richesse du parcours proposé jusque-là.
Malgré cette sortie de route un peu sèche, le voyage reste marquant, porté par une atmosphère singulière et un personnage principal dont l’ascension a quelque chose d’à la fois admirable et inquiétant.
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Premier volet d’une trilogie de science-fiction, cette bande dessinée constitue une bonne surprise. Très en phase avec notre réalité terrestre actuelle, elle a pour thème central l’extinction de la vie terrestre. A l’heure où une poignée de milliardaires à la tête de multinationales sont en train de s’accaparer les ressources et décider du sort de l’humanité, sans concertation et sans égard pour les populations, le sujet du livre, qui évoque cette question, est donc plus que sérieux. Pour concevoir ce récit, Grégory Jarry s’est inspiré notamment d’un projet évoqué à maintes reprises par les plus rêveurs des scientifiques : un ascenseur spatial entre la Terre et la Lune. Un projet fou repris par la NASA mais dont on ne sait vraiment s’il verra le jour ni sous quelle forme. Quant aux circonstances de sa construction dans le récit, elles étaient liées au projet dément de provoquer l’effondrement de la vie terrestre, prix à payer pour implanter un puissant générateur d’énergie propre et infinie sur la surface lunaire. C’est ainsi que l’on va suivre la jeune Agafia dans sa mission consistant à terminer ce que son père, décédé accidentellement, avait entrepris : rejoindre la Lune à l’aide de l’ascenseur spatial. Seule sur une terre rongée par les pluies acides, elle communique avec sa mère immergée dans un plasma qui la maintient en vie depuis 500 ans, on va la voir se déplacer dans un exotérus, un drôle d’engin insectoïde. C'est dans celui-ci qu'elle a retrouvé la dépouille de son père et qu'elle utilise désormais pour sa mission. Quelque peu complexe, le scénario est toutefois intrigant, oscillant à coup de flashbacks entre deux temporalités différentes, ce qui ne fera que renforcer le mystère : mais pour quelle raison les instigateurs du projet (à l’exception de la mère d’Agafia) semblent-ils quasiment tous avoir disparu dans des conditions obscures ? Jarry a développé un univers cohérent en extrapolant les technologies actuelles, avec des personnages bien structurés, même si ce tome ne permet pas d’être encore totalement familiarisé avec eux. Le trait nerveux et minimaliste de Lucie Castel, plaisant par son côté peu académique, est rehaussé par le travail sur la couleur de Robin Cousin. Les choix chromatiques permettent de poser des ambiances variées. Plus sombres, un rien fluo ou désaturées selon les passages, les tonalités suggèrent une atmosphère artificielle voire menaçante dans ce contexte où la biodiversité a totalement disparu de la planète. Pour se faire une idée définitive, il faudra sans doute attendre de découvrir la suite (le tome 2 doit paraître fin août), mais force est de reconnaître que les auteurs sont parvenus à nous mettre en appétit et à susciter notre curiosité avec ce premier tome.
Aventurières de la mer
Le premier témoignage, celui de Caroline reprend un voyage aux Kerguelen sur le Marion Dufresne (qu’elle a effectué en même temps qu’Emmanuel Lepage – qui en a tiré le très bel album « Voyage aux îles de la Désolation »). Elle en a tiré ensuite un livre sur le Marion Dufresne, et son court témoignage peu compléter celui de Lepage. Viennent ensuite les récits de Julie (qui a convoyé un navire sur les mers du sud), de Marion (expérience de dérive sur la banquise), Sarah (biologiste ayant travaillé sur un navire de recherches), Maud (embarqué sur un navire de sauvetage de migrants en détresse L’Aquarius – voir à ce sujet À bord de l'Aquarius de Rizzo), Marie-Pierre (archéologue ayant travaillé sur un navire de recherches en Méditerranée), Céline (officier sur un navire militaire français brise-glace) et enfin Charlène (mécano pour la marine marchande, ayant travaillé en Terre Adélie). En fin d’album, chacune a droit à une photo et une courte biographie. La lecture de cet ensemble n’est pas inintéressante. Mais c’est assez fourre-tout, hétéroclite, et parfois le caractère « féminin » de celle qui témoigne n’est pas forcément primordial, le côté « pionnières » qui semble à la base de l’album est parfois artificiel. Autre écueil, chaque témoignage est forcément assez court, et donc on reste parfois sur notre faim concernant le sujet abordé. Le dessin est plutôt joli, agréable. Mais, là aussi, pointilliste. Ça ressemble plus à des carnets illustrés qu’à de la BD. Un album qui se laisse lire, à emprunter à l’occasion, mais le « concept » m’a laissé sur ma faim.
Une nuit avec toi
L’album se lit rapidement (peu de textes et une intrigue assez légère), mais plutôt agréablement. L’intrigue traite des violences faites aux femmes (et plus particulièrement agressions sexuelles et viols), mais aussi des difficultés pour les victimes à se faire entendre, voire même leurs difficultés à formuler ce dont elles ont été victimes. Le sujet est traité de façon relativement originale, puisque Brune, la jeune femme au centre de l’intrigue, va être entraînée dans un engrenage implacable, comme une chute qui ne se termine pas, chaque échappatoire qui se propose à elle la plongeant encore plus dans la mouise, jusqu’à ce que sa voix ne soit plus audible en tant que victime. Il y a quelque chose de terrible et se rapprochant d’un drame antique, ou d’un polar poisseux à la Boisset dans ce qui arrive à Brune. Le thème est introduit par quelques extraits de l’émission « Faites entrer l’accusé » (ici renommée « Faites entrer le coupable ») autour de plusieurs cas de violeurs en séries, cela revenant sur la fin comme un clin d’œil ironique autour de Brune. Le décor est ainsi rapidement planté. Mais au final je ne sais pas si cet artifice est si intéressant. Car du coup il n’y a plus du tout de surprise sur ce qui va advenir. Ne reste au lecteur qu’à découvrir les circonstances, à défaut des faits eux-mêmes. L’intrigue est aussi un peu trop légère, manque de densité – et sans doute aussi de surprise donc. Cette légèreté rend l’histoire limpide, mais l’empêche aussi de devenir plus qu’un simple fait divers. Ça n’est donc pas assez fort pour incarner une dénonciation des violences faites aux femmes. Et ce d’autant plus que le comportement de Brune reste ambigu sur la fin, lorsqu’elle passe de victime à accusée. Le côté féministe s’efface au final derrière le côté polar. Le dessin est simple, sans fioriture, comme l’intrigue il va à l’essentiel, en restant sombre en permanence.
Isadora
J'avais déjà découvert un pan de la vie d'Isadora Duncan en lisant Il était une fois dans l'Est des mêmes auteurs. Mais alors que ce dernier se concentrait surtout sur sa relation amoureuse avec le poète Essenine, Isadora propose une biographie plus classique et plus complète, que j'ai préférée car elle m'a permis de mieux appréhender la vie et la carrière de cette danseuse étonnante. La mise en scène choisit de représenter Isadora comme une éternelle jeune femme, les yeux grands ouverts sur le monde. Dévouée à son art, mais aussi à une vision libre et un peu idéalisée de la vie, elle semble en permanence émerveillée, à la fois très attentive et un peu ailleurs. La BD ne permet pas vraiment de comprendre à quoi ressemblait sa danse puisqu'il y manque le mouvement, et je reste incapable de me faire une idée de son talent réel, mais les auteurs parviennent à faire sentir en quoi, par sa démarche comme par sa forme, elle rompait avec les canons classiques de l’époque, en apportant un souffle de liberté, de grâce et de nouveauté. Malgré son allure un peu perchée, le personnage devient attachant et intéressant pendant une bonne moitié de l’album. Et puis Essenine entre en scène, et là j’ai décroché. Il est dépeint de manière si antipathique, avec son amour fait de reproches, d’humiliations, de sarcasmes et d’ivresses errantes, qu’il devient rapidement insupportable. Et rien dans le récit ne permet de comprendre ce qu’Isadora peut bien lui trouver. Par ricochet, elle perd elle aussi de son charme et devient une figure un peu pathétique, fantasque, collée aux basques d’un amant abusif. Le rythme, par ailleurs, est assez rapide, survolant ce qui a fait le succès de sa danse et la spécificité de son art, laissant au lecteur le soin de se documenter ailleurs s’il veut en savoir plus. Bref, c’est une biographie plutôt agréable sur la forme et la narration, mais j’ai eu du mal à m’attacher aux personnages, surtout dans la seconde moitié.
Furioso (Drakoo)
Furioso est la transposition dans un cadre d'heroic-fantasy du poème épique de l'italien L'Arioste, Orlando furioso. Celui-ci prend pour cadre la guerre entre Charlemagne et les Sarrasins et imagine un chevalier Roland rendu furieux par la fuite de la femme dont il s'est épris et qui exerce sa vengeance sur les Maures et tous ceux qui ne s'allient pas à lui. En parallèle se déroule le récit du chevalier Roger, au service des Maures, mais amoureux de la guerrière chrétienne Bradamante qui est dans l'autre camp. Philippe Paelez n'en fait pas une adaptation rigoureuse mais il met en place un récit de fantasy qui en reprend les éléments principaux. Les Maures sont ici remplacés par l'armée des Morts. Et le chevalier Roger, ici renommé Garalt, a lui-même été ressuscité alors qu'il avait été tué par Roland et il revient non pas vraiment pour se venger mais plutôt pour revoir son amour perdu. L'histoire mêle plusieurs mythologies, un peu de grecque par-ci, un peu de celtique par-là, et on retrouve également sous l'aspect de la fameuse île des Morts du peintre Böcklin une version de l'île d'Avallon avec Morgane et Merlin/Myrddin. Ajouté à cela cette transposition du Royaume de Charlemagne et de la Chanson de Roland et on obtient une univers épique complexe dans lequel le lecteur est directement plongé sans explication et dont il doit démêler les fils en cours de lecture. C'est un peu compliqué et la première lecture est assez laborieuse. Mais c'est bien plus clair en seconde lecture. Le dessin est de très belle facture, avec une vraie personnalité et une beauté certaine, mais lui aussi est souvent assez confus. Son abondance de traits, aussi souples et maîtrisés soient-ils, manque de contraste et même en relecture, il y a certaines scènes que je ne comprends que par les dialogues car l'image elle-même est difficilement lisible. C'est le cas par exemple d'une portion de la scène d'introduction du premier tome. Ceci étant dit, le graphisme a un véritable charme et je trouve que c'est une belle BD. Du fait de la complexité de l'intrigue et de ses nombreux personnages, ce n'est pas un ouvrage facile à appréhender, mais il séduit par la force évocatrice de son dessin et par la poésie épique qui se dégage de son intrigue en forme de tragédie mythique.
Numéro Invalide
Numéro Invalide est, à l’origine, un webtoon lancé en 2014 par l’autrice, qui y racontait ses déboires médicaux après une opération ayant mal tourné lorsqu’elle était adolescente. À 15 ans, on lui diagnostique une absence d’utérus et une malformation du vagin. Elle ne pourra pas avoir d’enfant, mais il lui est possible de corriger le second point pour avoir une sexualité normale. La solution proposée consiste en une opération encore expérimentale : remplacer l’intérieur du vagin par une portion du gros intestin. Effrayée, résignée mais surtout mal informée, la jeune fille accepte. Après quelques jours qui semblent normaux, l’opération échoue, apparemment à cause d’une erreur médicale. Ce sera le début d’un calvaire : interventions à répétition, douleurs chroniques, complications multiples, le tout aggravé par des comportements abusifs du corps médical, qui refuse d’assumer toute responsabilité. Après des années de publication en ligne, le webtoon a été adapté en manga cette année. Il a été entièrement redessiné, et tant mieux : le webtoon avait un charme visuel certain, mais restait très amateur. Le manga, plus propre et un peu plus pro dans l’encrage, reste encore hésitant techniquement, mais l’effort est notable. Le format n'est pas la même et les images sont agencées différemment pour tenir sur des pages en papier. Au-delà de quelques pages inédites d'introduction, ce sont peu ou prou les mêmes scènes et le même découpage que le webtoon, avec quelques corrections amenées par un peu plus de recul sur l'œuvre avec les années. On perd la couleur, mais ce n’est pas un mal, et la mise en page s’en sort bien, avec quelques tentatives de mise en scène réussies. Quant à l’histoire, elle est à la fois bouleversante et difficile à juger. Bouleversante, parce que ce qui arrive à cette adolescente est atroce. Sa vie est fracassée par les conséquences d’une opération qu’elle aurait préféré éviter et aurait sans doute refusé si elle avait été mieux informée. Erreur médicale, douleurs ignorées, négligences dans son suivi, comportement injuste voire maltraitant des soignants, jusqu’à l’abandonner handicapée en rejetant la faute sur elle ainsi que sur sa relation trop fusionnelle avec sa mère. Si tout est vrai, c’est accablant. Difficile de ne pas imaginer un procès finissant par lui donner raison et condamner les responsables. Mais le problème, c’est dans la mise en scène qui est tellement à charge qu'elle instille instinctivement le doute sur son impartialité. Après prise d'un peu de renseignements sur Internet, il y a bien eu procès et son jugement accrédite une partie des accusations de l'autrice (faute de l'hôpital sur l’obtention de son consentement libre et éclairé), mais il ne semble rien dire des maltraitances et des conséquences qu'elle raconte ensuite, ou du moins le manga ne me permet pas d'en juger. Du coup, on n'a que la vision de l'autrice et c'est difficile de se faire sa propre opinion. Les premières pages, pourtant cruciales évacuent très vite la présentation préalable des solutions médicales alors que la clé du problème réside là, le fait qu'on n'ait pas ou mal expliqué les tenants et aboutissants de ce qui était proposé. Et de fait en deux pages à peine, l’héroïne rejette catégoriquement une autre solution, certes pénible mais bien moins risquée, ce qui donne déjà une impression de victimisation. Et ensuite, c’est un enchaînement de figures hostiles : médecins, infirmières, administratifs, anciennes amies, beau-père (dépeint comme un salaud), tous sont montrés comme des ordures. Tous, sauf la mère (et encore, son rôle est flou), quelques ambulanciers et un kiné brièvement rencontrés qui vont dans le sens de l’héroïne. C’est le souci : on n’a que son point de vue, celui de la victime, et jamais la version des autres. Les dialogues laissent entendre qu’ils mentent ou se dédouanent, mais on n’a aucune contradiction impartiale. Et la mise en scène n’aide pas : la mère, censée être fusionnelle, paraît souvent absente, ne facilite pas la communication avec les médecins, se contente de râler en marge et semble tolérer le comportement inacceptable du beau-père. Et l'héroïne elle-même s'enfonce régulièrement dans le dégoût d'elle-même et la peur d'exprimer à l'oral ce qu'elle pense vraiment, ce qui est certes crédible mais rend l’ensemble encore plus confus. Bref, ce genre de témoignage, très orienté, me met mal à l’aise. Surtout que dans un tel ouvrage autobiographique, on a toujours peur qu'une critique de l'ouvrage soit considérée comme une critique de l'auteur en tant que personne. Je ne remets absolument pas en question le traumatisme vécu ni ses conséquences durables, mais la façon dont tout cela est raconté, avec une telle lourdeur accusatrice, fait douter instinctivement de l’impartialité du propos ce qui est terrible au vu de ce qu'elle a subi. Je le précise à nouveau, je parle là de la manière dont les choses sont racontées et mises en scène, je ne conteste pas la véracité des faits. Je pense que pour un meilleur impact, l'ouvrage aurait bénéficié d'un avis tiers qui aurait permis de mieux situer la réalité des faits. En l’état, c’est difficile à encaisser, et ça ne donne franchement pas envie de se faire opérer en Belgique.
Le Cahier à spirale
Album autobiographique de Tronchet assez touchant, mais quelque peu décousu. L'auteur y évoque sa famille et notamment sa maman, sans amertume malgré un passif quelque peu chargé en maladresses, avec surtout le regret de n'avoir pu comprendre et connaître véritablement ceux qui auraient dû être des proches. Cette évocation du contexte familial est l'occasion de revenir sur la bibliographie de l'auteur, de constater combien cette thématique de la famille a influencé et profondément nourri son œuvre, aussi bien les titres humoristiques des débuts, que les romans graphiques plus intimistes d'aujourd'hui. BD indéniablement agréable à lire (les chaleureuses illustrations y sont pour beaucoup), mais trop ambitieuse et en même temps superficielle, pour ne pas laisser un goût d'inachevé. Tronchet a la sympathique modestie de l'admettre en mettant en scène un personnage fictif d'éditeur apeuré par ce projet faiblement structuré, mais se contenter de douter à propos du sens global et de la direction à donner au récit, tout comme simplement évoquer ses anciennes œuvres, ne permet pas de mettre véritablement en perspective l'ensemble ou de tenir un propos pertinent. Pas la BD de Tronchet à lire prioritairement, mais un projet inabouti sympathique et fort honorable malgré d'évidentes réserves.
La Fabrique des Français - Histoire d’un peuple et d’une nation de 1870 à nos jours
Un documentaire qui montre l'évolution de la nation française depuis la troisième République et particulièrement tout ce qui touche l'immigration. On va donc voir que le beau rêve d'une France pure est un mythe, vu qu'il y a toujours eu des vagues d'immigration et comment les immigrants d'hier sont devenus les Français de demain avec des vagues d'immigration venant de différents pays au fil des périodes historiques. C'est pas trop mal, mais la narration manque vraiment de dynamisme. Il y a aussi le fait qu'on a surtout droit à un résumé d'histoire de la France depuis 1870 et plusieurs éléments qui auraient mérité d'être un peu plus approfondis. Lorsqu'on connait l'histoire de France, on ne va pas apprendre grand chose de nouveau. Je pense que les seules grosses surprises que j'ai eues dans l'album ont été d'apprendre que les Auvergnats étaient aussi pointés du doigt à une époque, que les Bretons et que la grosse vague d'immigration portugaise étaient plus récentes que je le pensais. Il y a un coté politique orienté et je pense que cet album va surtout parler aux convertis. Dans notre époque de plus en plus divisée, j'ai pas l'impression que plus grand monde veut changer d'idées après avoir lu une BD. Il y a quelques détails qui m'ont fait un peu sourciller (pourquoi tout le monde trouve ça normal que les immigrants de première génération ont des emplois de merde ?!), mais pas trop. Les meilleurs moments sont les mini-témoignages qui montrent la diversité des habitants de la France et à quel point il y a des personnages qui ont marqué la France qui étaient immigrants on enfants d'immigrants.
Le Manuscrit Interdit
Un triptyque sympathique. J’ai un temps cru que le côté ésotérique – autour d’un manuscrit prouvant que le christ a survécu à la croix et qu’il s’est ensuite rendu au Tibet – allait prendre le pas sur l’intrigue, dans quelque chose de déjà pas mal vu, et que je n’aime généralement pas trop. Heureusement cet aspect reste en sourdine, certes présent jusqu’à la fin, avec l’intervention des autorités catholiques, mais, après un premier tome qui en avait fait son enjeu central, c’est en retrait, justifiant juste quelques montées en tension. On est donc là sur du polar, plutôt bien fichu. Si le conflit sino-tibétain occupait le premier tome, c’est par la suite aux États-Unis que ça se passe, à Los Angeles, avec une bonne utilisation du Maccarthysme. L’inévitable privé, qui navigue entre deux eaux, ajoute à quelques clichés (c’est aussi le personnage le plus intéressant). La narration est fluide, et l’histoire se lit agréablement. Je regrette juste quelques longueurs, et une certaine mollesse parfois, ainsi qu’une fin un peu facile. Mais ce qui garantit d’un bon moment de lecture, c’est aussi le dessin de Grella, vraiment intéressant – et beau.
Kizilkum
L'histoire se déroule dans l'Empire russe du début du XXe siècle, à une époque où de jeunes officiers pouvaient encore partir chercher l'aventure et la gloire aux confins d’un territoire immense, comme le faisaient leurs homologues des armées coloniales occidentales, à ceci près que leurs campagnes se jouaient dans les steppes et les montagnes de l’Asie centrale. Le lieutenant Vassili, mû par le besoin de s'accomplir et de prouver sa valeur, a lui-même demandé à servir dans ces zones reculées. Et c'est lui, toujours, qui réclame les missions les plus risquées. Stratège habile, peu enclin à fuir le danger, il s’illustre rapidement… mais se durcit tout autant, gagnant en autorité ce qu’il perd peut-être en humanité. Ce récit, à la fois dépaysant et parfois envoûtant, avance à bon rythme, usant de plusieurs ellipses conséquentes pour accompagner l’évolution de son protagoniste sans s’enliser. Le dessin, d’une sobriété maîtrisée, restitue avec efficacité les paysages rudes et dépouillés de ces régions, tout comme les dynamiques entre les hommes, rendues avec justesse et retenue. L’ensemble fonctionne, tient l’attention, et accompagne le lecteur jusqu’à une fin d’une brutalité inattendue, presque déroutante, tant elle donne l’impression qu’il manque un épilogue, voire un deuxième tome. Cette coupure soudaine laisse un goût d’inachevé, une frustration qui contraste avec la richesse du parcours proposé jusque-là. Malgré cette sortie de route un peu sèche, le voyage reste marquant, porté par une atmosphère singulière et un personnage principal dont l’ascension a quelque chose d’à la fois admirable et inquiétant.