Livre 2 : Le Livre des délices et des infortunes :
Doté d’une très belle couverture mettant en scène trois personnages égarés dans une forêt épaisse et mystérieuse, espionnés par trois étranges créatures mi-canidés mi-humaines en premier plan, le récit nous met de manière inattendue dans les pas du personnage secondaire du premier volume, Pontus, en compagnie de Brumel, la fille de Timoléon et Gasgar, tous deux victimes du clan des Guérisseuses, et de Krekl, un « homonte » de la branche néandertalienne, artiste chamane dont la discrétion n’a d’égal que son aura. Les trois compagnons auront pour quête de franchir la muraille pour rejoindre la cité de Turbia. En vertu d’un accord entre Timoléon (dont on ignore ce qu’il est advenu suite au coup d’Etat des Guérisseuses) et son ami le comte Lupullo, ce dernier avait accepté de se fiancer à Brumel pour sceller une alliance entre Elbaar et Valcarna face au Dombrak. Hélas, les choses ne se dérouleront pas tout à fait comme prévu…
Si l’effet de surprise du premier tome est moins flagrant (nous sommes désormais familiarisés avec les us et coutumes des Nors), ce nouveau chapitre va s’orienter vers le genre plus classique de l’épopée médiévale, avec son lot de complots et d’alliances stratégiques, jusqu’à la terrible bataille finale. Depuis la prise de pouvoir par la secte religieuse des Guérisseuses, les interactions entre Nors et Mérogs se sont accrues, et malheureusement pas dans une optique pacificatrice. Ce « Livre des délices et des infortunes » va confirmer la maîtrise totale de Nicolas Puzenat dans sa narration, d’une fluidité exemplaire, que renforce la structure minutieuse du macrocosme qu’il a créé, avec des personnages bien campés. Autant d’ingrédients qui contribuent à faire de cette bande dessinée une vraie réussite.
Au-delà de ces qualités, l’auteur intègre des aspects politique, philosophique et religieux, et d’autres, plus contemporains, d’ordre écologique et sociétal, ce qui confère une certaine valeur ajoutée à l’ouvrage. A travers les personnages féminins du peuple Nors, notamment celui de Brumel, l’auteur continue à nous questionner sur la question du genre, alors même que le lecteur ne prête plus tant attention à la corpulence impressionnante de ces femmes que l’on avait découvert dans le premier volet. De même pour Pontus, qui a appris à assumer son homosexualité en vivant parmi les Nors, pour qui l’amour libre n’a rien de tabou, à la différence des Mérogs, obnubilés par leur « dieu pendu » Kmaresh. A ce titre, on apprécie l’ironie exprimée par Puzenat à l’égard de certains adeptes exaltés, les « Pendus d’amour », qui rappellent étrangement nos fanatiques monothéistes et qui, pour manifester leur foi, se font suspendre à une potence tout en tentant de rester en l’air le plus longtemps possible, jusqu’à ce que leur langue devienne bleue. Hélas, parfois ça passe, parfois ça trépasse…
Si Pontus et Brumel se révèlent des héros attachants, le plus intéressant est sans doute le personnage de Krekl. De petite taille et assez insignifiant en apparence, le portraitiste homonte tient plus du gnome que du héros « sans peur et sans reproche ». Au début, il suscite parfois l’hilarité de ses amis (et du lecteur) avec ses croyances un rien extravagantes (notamment celle sur l’origine des hyènes peuplant son village), mais progressivement, Krekl va semer le doute dans l’esprit de Pontus et Brumel, beaucoup plus terre-à-terre, et gagner en crédibilité au fil de l’histoire. Krekl, c’est un peu l’Indien qui amuse le « civilisé » avec son folklore mythologique mais qui finit par rallier ses compagnons à ses vues par sa sagesse, son humilité et le respect ABSOLU qu’il voue à la nature, à la vie dans son ensemble, sa perception chamanique des choses, sa capacité à percer l’âme des gens et à communiquer avec les « Vakks » (les esprits des êtres vivants). Une approche qui s’inscrit pleinement dans le Zeitgeist.
Ajoutons que Nicolas Puzenat, on lui en sait gré, n’est pas tombé dans l’écueil du manichéisme. Dans leur société quasi idyllique, les Nors ne sont pas tous biens intentionnés (on le voit avec les redoutables Guérisseuses), pas plus que les Mérogs sont tous critiquables. Dans son observation de la chose politique, c’est davantage le système et ses péchés originels qu’il réprouve, tout comme la corruption du pouvoir (décelée de façon saisissante par Krekl lorsqu’il rencontre Gasgar) et la tentation mortifère de l’« œil pour œil, dent pour dent ».
D’un point de vue graphique, on reste charmé par l’inventivité et la richesse de cet univers déployé avec grand naturel. Le trait simple et sobre de Nicolas Puzenat ne cesse de gagner en finesse et de perfectionner son souci du détail, qu’il s’agisse des magnifiques paysages forestiers, ou des architectures imaginaires ou inspirées de l’époque médiévale. Le lecteur prendra beaucoup de plaisir à s’immerger dans ce monde uchronique aussi merveilleux que fascinant.
Grâce à cette fabuleuse épopée qui se déroule avec une force tranquille sous nos yeux éberlués, Puzenat s’impose sans en avoir l’air comme un fabuleux conteur au potentiel « tolkienesque ». Car si on peut y trouver ça et là des références au « Seigneur des anneaux » voire à « Game of thrones » (la muraille), l’auteur ne s’est pas livré à un simple copier-coller, tant s’en faut. Il a créé ici un monde tout à fait original avec sa propre mythologie, lequel réussit à nous dépayser fortement tout en se voulant un miroir à la fois réaliste et bienveillant, empreint d’une subtile pointe d’ironie, sur les travers de notre monde bien réel, avec « ses délices et ses infortunes ». La fin ouverte de ce second volet laisse sans trop de doutes entrevoir une suite. Certaines régions et villes de la carte n’ont pas encore été décrites dans le récit, et la mer de Brumine, que Pontus s’apprête à prendre, semble pleine de promesses…
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Livre 1 :
Cette histoire, qui bénéficie d’un pitch très original, s’avère tout à fait dépaysante. Trop peu académique pour s’apparenter à série des « Jour J », « Megafauna » plaît beaucoup pour son côté à la fois artisanal et ambitieux. Pour réaliser cette uchronie à l’atmosphère médiévale, Nicolas Puzenat s’est nourri des études paléoanthropologiques les plus récentes, selon lesquelles l’homme de Néandertal aurait bien croisé notre ancêtre l’homo-sapiens avant de disparaître, et aurait même déposé quelques gênes dans son cousin, ou plutôt sa cousine si l’on parle d’accouplement… une partie des scientifiques évoquent même l’idée d’un métissage au profit de Cro-Magnon (autre nom de l’homo-sapiens), en plus grand nombre.
Quant à l’auteur de cet album, il va jusqu’à imaginer que Néandertal n’a pas regagné le néant, mais aurait continué à vivre dans notre millénaire, au moins jusqu’au Moyen-âge puisque l’histoire se déroule en 1488. Et sa survivance a eu des conséquences sur le cours des choses puisque les Sapiens ont dû apprendre à cohabiter avec ces voisins à la fois semblables et pourtant si différents. Le mélange des deux races n’a pas eu lieu, et Néandertal, peu désireux de faire cause commune avec ses rivaux, a fait ériger une muraille gigantesque sur leurs frontières communes, traversant de part en part le continent européen, ainsi divisé en deux entités distinctes.
Officiellement en guerre, les deux peuples ont toutefois maintenu des relations commerciales. Les Sapiens échangent du bétail et des vivres contre de l’or, des pierres précieuses et des épices dont les « Nors » raffolent. Mais depuis quelques temps, ces derniers ont mystérieusement suspendu toute relation avec leurs voisins du Sud, menacés par la famine. Pour tenter d’en savoir plus, les Sapiens vont envoyer discrètement un émissaire qui sera chargé de rencontrer le « Dimaraal » Vorel, l’un des chefs les plus puissants du camp ennemi. L’émissaire en question, Timoléon de Veyres, jeune étudiant en médecine, va prendre la route en compagnie de son ami, Pontus, qui fera office de garde du corps. L’accueil de la population néandertalienne sera plus que tiède voire hostile, et Timoléon aura fort à faire pour gagner sa confiance. C’est ainsi qu’au fil de l’histoire, on va comprendre peu à peu pourquoi les Nors ont décidé non seulement de couper les relations avec le Sud, mais également de maintenir depuis plusieurs siècles ce « cordon sanitaire » qu’est la grande muraille pour tenir à distance les Sapiens.
Nicolas Puzenat nous offre ici une parabole bien sentie sur notre civilisation « occidentale ». La société médiévale où a grandi « Timo », c’est la nôtre. Les Nors, c’est le peuple exotique et méconnu, qui donne lieu à toutes sortes de préjugés quant à leur primitivité. Mais bien vite, Timo, auquel le lecteur va s’identifier facilement par son approche candide et son ouverture d’esprit, apprendra à revoir son point de vue en vivant parmi eux. Le contraste est d’autant plus saisissant lorsque le jeune homme franchit la frontière. La région au sud de la muraille est quasi désertique, résultat des pratiques agri-économiques inconséquentes des Sapiens, et la violence s’accroit parmi les habitants faméliques. Derrière la muraille en revanche, le paysage est luxuriant et les forêts abondent, riches en faune et en flore. Les Nors, tout en vivant en harmonie avec la nature, semblent avoir atteint un stade de développement technologique aussi avancé que leurs rivaux.
Avec ce récit très bien mené, Nicolas Puzenat parvient à nous sensibiliser sur les dérives de notre monde, de façon assez subtile, ainsi que sur une quantité de thèmes comme les préjugés racistes ou la question des stéréotypes de genre, par le biais de la relation amoureuse entre Timo et la néandertalienne Gargar, très corpulente et d’une tête plus haute que son amant. Le trait certes peu académique trouve son équilibre dans l’univers enchanteur déployé ici. Et la magie opère facilement. On savait que l’auteur, à travers « Espèces invasives » avait du goût pour l’architecture, et une fois encore, il l’exprime ici de fort belle façon. Si les constructions des Sapiens sont conformes à l’époque médiévale, celles des Néandertaliens, désireux de préserver leur environnement, semblent par contraste être inspirées par l’Art nouveau, tout en courbes et en circonvolutions végétales.
« Megafauna » est un alliage parfait entre aventure et réflexion politico-philosophique sur le devenir de notre monde, ainsi qu’une invitation à rencontrer l’« étranger », en faisant abstraction des préjugés, de ses mœurs qui nous paraissent si étranges. L’auteur évite de tomber dans le prêchi-prêcha, et nous sert d’ailleurs une conclusion plutôt sombre. Heureusement, il y a cet humour discret qui irrigue le récit, notamment sur la question du culte religieux. Ici, le « fils de Dieu » n’est pas Jésus mais Kmaresh, et il a été pendu ! Lieux saints et jurons font ainsi référence à la potence ou à la corde, et c’est plutôt bien vu. Encore une publication éminemment sympathique des Editions Sarbacane.
C'est Ian Bertram et le Will Eisner Awards qui m'ont poussé à l'achat.
Un monde futuriste où la religion détient le pouvoir, elle doit faire face à une certaine résistance et celle-ci va placer tous ses espoirs sur Petit Oiseau, une jeune fille.
Une histoire pas vraiment innovante, l'intrigue n'est pas toujours facile à suivre même si dans l'ensemble elle reste compréhensible. Une dystopie où le christianisme n'est pas dans l'amour de son prochain, mais plutôt dans un faux prophète qui va faire couler le sang et les larmes. Darcy Van Poelgeest a su créer un monde cohérent et des personnages pas forcément attachants mais avec une vraie personnalité.
Une narration onirique et mystique pour suivre la quête initiatique de Petit Oiseau entrecoupée par des flash-back pour mieux appréhender le récit, le passé des personnages. Un récit violent qui ne m'a pas totalement touché.
Une lecture tout de même agréable.
Maintenant passons au graphisme et là on touche au sublime, à l'ivresse orgiastique, j'adore tout chez Ian Bertram, son trait singulier, sa mise en page détonante et son soucis du détail.
Il s'en dégage une certaine poésie qui porte à bout de bras ce roman graphique.
Un comics qui vaut indéniablement le détour pour la fantastique composition de Ian Bertram et les superbes couleurs de Matt Hollingsworth.
Note réelle : 3,5.
Ce n'est qu'en terminant le premier tome que j'ai découvert que son héroïne était une personne réelle et que c'était son authentique biographie qui nous était racontée là. Autant le récit impliquait le vrai Marcel Proust, autant la mise en scène très vivante, le côté attachant de l'héroïne et une forme de légèreté et d'humour dans la narration m'avaient fait croire à une histoire romancée impliquant Proust simplement comme un contrepoint pour ancrer dans le réel un récit de fiction.
C'est donc l'histoire vraie de celle qui est devenue un peu par hasard la gouvernante de Marcel Proust, une jeune femme issue de la campagne, au départ timide et naïve avant de montrer son esprit vif et charmant, et devenir une véritable amie pour l'écrivain. Il y a un petit côté Pretty Woman à voir cette gentille servante découvrir le mode de vie luxueux de l'écrivain dont le succès commençait à peine mais qui avait toujours vécu au sein de la grande bourgeoisie. On ne parle pas de romance, Proust étant ouvertement homosexuel, ni de réelle proximité, ce dernier étant aussi asocial et désireux de solitude pour se concentrer sur son travail. Mais c'est justement l'originalité de cette relation, faite d'admiration d'une part et de tendresse d'autre part, qui fait l'intérêt de ce récit.
J'ai trouvé la mise en scène et le graphisme très agréables, rendant immédiatement les personnages sympathiques et pleins de vie. Et de savoir en plus qu'il s'agit d'une histoire vraie ajoute de l'intérêt puisqu'il permet d'avoir un œil intime sur la vie de ce célère auteur français et sur celle de ceux qui travaillaient pour lui à l'époque.
C'est l'histoire d'une bonne entente entre un réfugié syrien et une famille française qui l'accueille chez elle et découvre sa gentillesse et son talent pour la cuisine. C'est aussi et surtout l'histoire des angoisses de cet homme déraciné qui aimerait trouver un lieu où enfin se sentir chez lui, et en même temps ne veut pas oublier l'idée de rentrer dans son pays un jour ou l'autre. Angoisse que partagent de centaines de milliers de réfugiés.
Dès la couverture et les premières pages, cet album transpire les bons sentiments.
Le graphisme d'Adrián Huelva est doté d'une agréable personnalité. Son trait est clair, expressif et appréciable. Le visage émacié d'Amir apparait toutefois convenu, avec ses yeux de chien battu et son sourire doucereux, représentation graphique qui crie au lecteur que c'est un gentil garçon et qu'il faut l'aimer.
Cette injonction envers le lecteur, on la ressent également dans la mise en place du récit, où il apparait tout de suite comme une évidence que la situation des réfugiés est terrible et qu'il faut tout faire pour les aider, quitte à accueillir dans son cocon familial une personne qu'on ne connait quasiment pas. Et que forcément cette personne est bonne et pleine de grandes qualités. Et qu'il n'y a que les racistes comme le père de l'héroïne pour s'enferrer dans une méprisable méfiance. Le message est ici pavé de bonnes intentions, mais je ne peux m'empêcher de lui trouver un manque de subtilité.
Cela étant dit, la lecture est plaisante, les personnages sympathiques et j'ai aimé découvrir ces recettes syriennes, à la fois proches et différentes de la cuisine libanaise que je connais mieux. Elles comportent cependant quelques ingrédients aux noms inconnus dont j'ignore même s'il s'agit d'épices, de légumes ou autres et du coup je ne sais pas si je saurais reproduire la moindre d'entre elles.
En parallèle, la mise en image du sentiment d'insécurité des réfugiés est bien menée, montrant bien l'angoisse qu'ils ressentent à ne pas pouvoir se poser pour de bon où que ce soit, et même s'ils le pouvaient, à ne pas savoir s'ils voudront faire de ces lieux leur vrai pays d'adoption ou plutôt rentrer chez eux dès que la situation le permettra.
Agréable lecture donc malgré une fin pas totalement satisfaisante puisqu'elle se présente en partie comme un happy end alors que finalement la situation reste aussi compliquée qu'une dizaine de pages plus tôt.
Tout comme Paco, j'ai découvert l'auteur à Angoulême. Et je dois dire, comme lui, que les dédicaces qu'il réalisait m'ont impressionné. Je me suis donc lancé dans cette lecture avec un intérêt certain.
Graphiquement très convaincante, cette BD nous emporte jusqu’au fin fond des grandes forêts de Sibérie pour un western mâtiné de légendes. On y est. On sent le vent glacial et la neige recouvrir progressivement les traces de nos personnages qui, immanquablement (s'en)foncent vers leur destin. Tout cela donne lieu à de très belles pages où deux mondes s’affrontent par l’entremise d’une petite bonne-femme cul-de-jatte régnant sur une bande de trappeurs d'une part, et d’un américain prétentieux venu faire fortune dans le commerce de fourrure de zibeline d'autre part. A travers eux, on assiste à la lutte de la tradition et de la magie contre l’économie, en gros.
C’est pas mal fait, même si ça manque un peu de souffle épique, et ça se lit un peu rapidement à mon goût. A part ça, les personnages sont bien taillés, et l'ensemble reste tout à fait crédible. Un bon titre qui se laisse lire.
Mardon n’est ici qu’au dessin, mais on aurait tout aussi bien pu le voir officier au scénario, tant celui-ci est proche de ceux qu’il produit pour lui-même ailleurs. Pas forcément sur la thématique principale, mais sur le ton, sur la présentation d’une vie quotidienne, ancrée dans une « normalité », avec des personnages crédibles et ordinaires.
Son dessin est en tout cas agréable et lisible. Simple mais efficace.
Nous suivons Jean, qui passe tout son temps libre et une bonne partie de ses nuits devant son ordinateur, sur le net, à surfer sur les réseaux sociaux, à zieuter les théories complotistes, et à mater de plus en plus de porno.
La « vraie vie » lui échappe ainsi, comme le lui fait remarquer un collègue, mais aussi un moment Carine, la jeune femme qui entre dans sa vie et ne comprend pas cette addiction et ses dérives (Jean noue des liens avec un interlocuteur, sur un forum de jeu vidéo – un « ami » sensé être Américain mais s’exprimant en Français. Jean s’enfonce de plus en plus dans ce monde virtuel, au point de paraitre asocial et de risquer de perdre Carine.
La thématique – très actuelle ! – est intéressante, et assez bien traitée.
Dans le dernier tiers de l’album Jean apprend qu’il est atteint d’un cancer. Cela dramatise l’intrigue et pousse Jean à se poser des questions sur le sens de la vie, ses relations avec son mystérieux interlocuteur des réseaux sociaux ou avec Carine. Mais j’ai trouvé cette partie de trop, une excroissance malheureuse de l’histoire, qui aurait pu et dû se développer sans cette dramatisation.
Mais bon, c’est un album qui se laisse lire agréablement, une intrigue très « actuelle ».
Avis posté après lecture du premier cycle de cinq albums.
J’ai toujours une appréhension lorsque je découvre ce genre de série concept – dont Istin et Soleil sont coutumiers. La peur d’un empilement de déjà vu enrobé dans du clinquant et une surenchère de fantastique, et la peur aussi d’un délayage à coup d’une infinité de tomes.
Pour ma deuxième crainte, je ne risque plus rien, car je vais m’arrêter à ces 5 albums.
Pour la première, je ne suis qu’en partie convaincu par ma lecture.
Je ne suis généralement pas fan des changements de dessinateurs au cours d’une série. Disons qu’ici ça passe, malgré les variations, tous font le job, sans non plus être trop originaux.
Concernant l’histoire, ou plutôt les intrigues, le principe est un peu répétitif et roublard. A chaque fois c’est un vieillard qui raconte une histoire à un jeune homme, admiratif et conquis (très jeune dans le premier tome, au point que ça m’est apparu incongru qu’on raconte viols, massacres et autres joyeusetés à un gamin !) : le cinquième tome boucle la boucle, puisque le vieillard meurt et passe la main à son auditeur devenu adulte. Auditeur prénommé Homère, cela m’a un temps gêné, car cela semble se passer au Vème siècle avant J.C., alors que si Homère a existé et vécu, ce serait trois siècles auparavant : il s’agirait donc d’un autre Homère, et non pas du célèbre aède.
Répétitif, mais aussi malin, car, sous couvert de suivre quelques personnages et aventures, c’est une façon pour les auteurs de nous faire visiter la Grèce, et sa mythologie. Ça se laisse lire, mais j’en suis sorti visiblement moins enthousiaste que certains, je pense que le fait qu’il n’y ait pas de personnages récurrents, comme pour une vraie série, est plutôt dommage (c’est le revers des choix scénaristiques et de la série/collection).
C'est avec la réédition chez Delcourt de cette album (il en aura fait des maisons d'éditions dites-donc !) que je découvre cet album tranchant par bien des aspects.
Déjà au vu des commentaires précédents, on se rend bien compte qu'il ne laisse pas indifférent (vous me direz, chez Clowes, c'est un peu une marque de fabrique), ensuite de part ce regard caustique que portent nos deux jeunes protagonistes Enid et Becky sur leur environnement. La petite bourgade typique des USA est passé au crible de ces deux ados en mal de tout. Que ce soit les boutiques (tant les restos que les sex-shop) ou les gens qui y évoluent, rien ne leur échappe et devient la cible de leur sarcasmes.
Alors oui, il ne se passe pas grand chose ; on est plus sur la création d'une ambiance singulière où nos ados en pleine transition vers le monde des adultes se lâchent et dégobillent sur ce monde qui ne leur apporte et ne leur rend rien. C'est cynique, la critique de ces banlieues américaines caricaturales est acerbe et montre bien cette cruauté gratuite dont est capable l'animal "ado".
Le trait de Daniel Clowes toujours aussi marqué et ses personnages bruts de décoffrage (ne cherchez pas de pin-ups peroxydées ou botoxées) mettent plus l'accent sur la laideur où le commun et renforcent cette ambiance si particulière qui se dégage de ses productions.
J'ai lu par ailleurs que cette série était inspirée par "Le Labyrinthe de Pan". Comme je ne connais pas ce fim je ne peux rien dire à ce propos.
Par contre je trouve ce diptyque très intéressant car j'estime que D.P Filippi brouille les pistes en y introduisant beaucoup de trompe-l'oeil, notamment dans le tome 1. J'ai lu plusieurs séries de Filippi et j'ai retrouvé beaucoup de ses univers de prédilection.
Un château isolé à l'ambiance mystérieuse et maléfique (Le Livre de Jack, Songes), une bande d'enfants perdus (Gargouilles, Le Livre de Jack, Téo) plus un graphisme de Gaspard Yvan qui me rappelle celui de Camboni, font que Filippi m'a donné l'impression d'installer son lecteur dans une ambiance assez connue et confortable.
C'est une illusion. En effet, dès les deux premières planches Yvan nous sert de la bouillie de viscères bien plus à sa place chez Tardi que chez Mickey. La suite du tome 1 est une succession de points d'interrogations. D'où vient cet équipage hétéroclite de militaires et de civils ? Qui est ce Svoga (capitaine, lieutenant, soldat) qui semble maître du jeu ? Quelle ligne choisir entre un récit d'aventure militaire classique ou une orientation pamphlétaire plus révolutionnaire ? Pourquoi ce saupoudrage de fantastique qui à ce moment du récit me semble assez incongru.
J'ai refermé le tome 1 séduit par la construction et le rythme mais en me demandant où Filippi voulait nous conduire. C'est l'une des beautés de cette série, les auteurs répondent à (presque) toutes les questions d'une façon assez inattendue avec un retour à une rationalité brutale. L'illusion du fantastique s'évanouit pour laisser la place aux horreurs de la réalité même si elles sont travesties sous formes de contes.
Nettoyeurs de tranchées, rats de tunnels, meurtres de camarades, viols, prostitution juvénile, les auteurs nous renvoient dans l'ombre la plus sombre d'une réalité guerrière souvent éloignée des récits officiels.
Les auteurs préfèrent travailler sur le descriptif réaliste dans les épisodes entre soldats mais nous plongent dans un univers de conte pour les civils. Ces deux registres se rejoignent dans la tragédie vécue par tous ces innocents.
Filippi conclut son récit par une dernière "grande illusion" qui ne peut résister à la réalité historique.
Le graphisme de Gaspard Yvan s'inscrit dans la continuité des excellents graphismes produits avec Camboni dans d'autres séries avec Filippi. Son trait rond et gracieux tranche avec la dureté des scènes exposées. Ce décalage renforce cette thématique de l'illusion que je pense centrale dans le récit.
C'est donc une œuvre très travaillée au niveau du récit et du graphisme et qui fournit une lecture riche avec une forte intensité émotionnelle.
Une très bonne lecture.
Qu'est-ce que j'ai rigolé ! Ha que c'est bon de rire ! Ça faisait d'ailleurs bien longtemps que je ne m'étais pas froissé une côte à la lecture d'une BD.
Le style graphique d'Aroha Travé est tout à fait remarquable, tout en finesse, alors que par ailleurs, elle dépeint des situations trash à souhait. Parce que c'est trash, et par conséquent pas "que" drôle. Il y a forcément une dimension sociale puisque les personnages évoluent dans des cadres populaires. Dans cette banlieue de Barcelone, on a affaire à une mère dépassée, à des drogués, des zonards, issus de classes défavorisées... Mais tout cela est raconté sans patos, et avec une crudité éloquente. Et les visages sont très expressifs
Globalement, on suit les enfants (un peu turbulents) d'une mère divorcée, un peu dépassée par les événements. Tout est donc raconté à hauteur d'enfant, mais avec un langage extrêmement fleuri. Les dialogues sont à ce titre vraiment savoureux, et écorcheront d'ailleurs les oreilles sensibles. Je me suis laissé dire que notre autrice s'appuyait sur des souvenirs d'enfance. Bref ! On n'a pas affaire à des modèles de vertu !
Il y a aussi quelques beaux passages, certes extrêmement brefs, comme ce dialogue de la petite Yanira avec le fantôme d'un enfant... (attention spoil) victime d'un curé pédophile ! Ben ouais ! C'est poétique, mais brièvement ! Faut savoir apprécier quand ça se présente parce que c'est aussi bref qu'une lueur d'intelligence dans les yeux de Darmaninin. Exemple mal choisi puisqu'il n'y a aucune lueur d'intelligence dans les yeux du sinistre de l'inférieur... Bref ! Ceci m'amène à évoquer le titre. J'y vois personnellement une allusion au fait que toute cette jeunesse sauvage, livrée à elle-même du fait de la dissolution de l'ensemble des liens sociaux, est la première victime de cette société de merde où l'inhumanité est le cadet des soucis de nos dirigeants néolibéraux pour qui seule compte la bonne marche de la sacrosainte économie.
Mais que l'on ne s'y trompe pas : il n'y a pas de discours politique dans Chair à canon. Pas plus que de prétention sociologique. Juste une bonne tranche de fun, du fait des situations vraiment cocasses, un témoignage tragicomique qui n'a d'autre but que de déclencher l'hilarité (ou pas). Mais témoigner n'est-ce pas déjà ouvrir une porte sur la conscience ?...
Pour conclure, je regrette juste qu'Aroha Travé n'ait pas trouvé une fin plus conclusive, c'est à dire une vraie chute à laquelle, je l'avoue, je m'attendais. Mais en y regardant de plus près, c'est pas si pire. On termine comme on a commencé : sur des jeux d'enfants. Es la vida que sigue, después de todo !
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Livre 2 : Le Livre des délices et des infortunes : Doté d’une très belle couverture mettant en scène trois personnages égarés dans une forêt épaisse et mystérieuse, espionnés par trois étranges créatures mi-canidés mi-humaines en premier plan, le récit nous met de manière inattendue dans les pas du personnage secondaire du premier volume, Pontus, en compagnie de Brumel, la fille de Timoléon et Gasgar, tous deux victimes du clan des Guérisseuses, et de Krekl, un « homonte » de la branche néandertalienne, artiste chamane dont la discrétion n’a d’égal que son aura. Les trois compagnons auront pour quête de franchir la muraille pour rejoindre la cité de Turbia. En vertu d’un accord entre Timoléon (dont on ignore ce qu’il est advenu suite au coup d’Etat des Guérisseuses) et son ami le comte Lupullo, ce dernier avait accepté de se fiancer à Brumel pour sceller une alliance entre Elbaar et Valcarna face au Dombrak. Hélas, les choses ne se dérouleront pas tout à fait comme prévu… Si l’effet de surprise du premier tome est moins flagrant (nous sommes désormais familiarisés avec les us et coutumes des Nors), ce nouveau chapitre va s’orienter vers le genre plus classique de l’épopée médiévale, avec son lot de complots et d’alliances stratégiques, jusqu’à la terrible bataille finale. Depuis la prise de pouvoir par la secte religieuse des Guérisseuses, les interactions entre Nors et Mérogs se sont accrues, et malheureusement pas dans une optique pacificatrice. Ce « Livre des délices et des infortunes » va confirmer la maîtrise totale de Nicolas Puzenat dans sa narration, d’une fluidité exemplaire, que renforce la structure minutieuse du macrocosme qu’il a créé, avec des personnages bien campés. Autant d’ingrédients qui contribuent à faire de cette bande dessinée une vraie réussite. Au-delà de ces qualités, l’auteur intègre des aspects politique, philosophique et religieux, et d’autres, plus contemporains, d’ordre écologique et sociétal, ce qui confère une certaine valeur ajoutée à l’ouvrage. A travers les personnages féminins du peuple Nors, notamment celui de Brumel, l’auteur continue à nous questionner sur la question du genre, alors même que le lecteur ne prête plus tant attention à la corpulence impressionnante de ces femmes que l’on avait découvert dans le premier volet. De même pour Pontus, qui a appris à assumer son homosexualité en vivant parmi les Nors, pour qui l’amour libre n’a rien de tabou, à la différence des Mérogs, obnubilés par leur « dieu pendu » Kmaresh. A ce titre, on apprécie l’ironie exprimée par Puzenat à l’égard de certains adeptes exaltés, les « Pendus d’amour », qui rappellent étrangement nos fanatiques monothéistes et qui, pour manifester leur foi, se font suspendre à une potence tout en tentant de rester en l’air le plus longtemps possible, jusqu’à ce que leur langue devienne bleue. Hélas, parfois ça passe, parfois ça trépasse… Si Pontus et Brumel se révèlent des héros attachants, le plus intéressant est sans doute le personnage de Krekl. De petite taille et assez insignifiant en apparence, le portraitiste homonte tient plus du gnome que du héros « sans peur et sans reproche ». Au début, il suscite parfois l’hilarité de ses amis (et du lecteur) avec ses croyances un rien extravagantes (notamment celle sur l’origine des hyènes peuplant son village), mais progressivement, Krekl va semer le doute dans l’esprit de Pontus et Brumel, beaucoup plus terre-à-terre, et gagner en crédibilité au fil de l’histoire. Krekl, c’est un peu l’Indien qui amuse le « civilisé » avec son folklore mythologique mais qui finit par rallier ses compagnons à ses vues par sa sagesse, son humilité et le respect ABSOLU qu’il voue à la nature, à la vie dans son ensemble, sa perception chamanique des choses, sa capacité à percer l’âme des gens et à communiquer avec les « Vakks » (les esprits des êtres vivants). Une approche qui s’inscrit pleinement dans le Zeitgeist. Ajoutons que Nicolas Puzenat, on lui en sait gré, n’est pas tombé dans l’écueil du manichéisme. Dans leur société quasi idyllique, les Nors ne sont pas tous biens intentionnés (on le voit avec les redoutables Guérisseuses), pas plus que les Mérogs sont tous critiquables. Dans son observation de la chose politique, c’est davantage le système et ses péchés originels qu’il réprouve, tout comme la corruption du pouvoir (décelée de façon saisissante par Krekl lorsqu’il rencontre Gasgar) et la tentation mortifère de l’« œil pour œil, dent pour dent ». D’un point de vue graphique, on reste charmé par l’inventivité et la richesse de cet univers déployé avec grand naturel. Le trait simple et sobre de Nicolas Puzenat ne cesse de gagner en finesse et de perfectionner son souci du détail, qu’il s’agisse des magnifiques paysages forestiers, ou des architectures imaginaires ou inspirées de l’époque médiévale. Le lecteur prendra beaucoup de plaisir à s’immerger dans ce monde uchronique aussi merveilleux que fascinant. Grâce à cette fabuleuse épopée qui se déroule avec une force tranquille sous nos yeux éberlués, Puzenat s’impose sans en avoir l’air comme un fabuleux conteur au potentiel « tolkienesque ». Car si on peut y trouver ça et là des références au « Seigneur des anneaux » voire à « Game of thrones » (la muraille), l’auteur ne s’est pas livré à un simple copier-coller, tant s’en faut. Il a créé ici un monde tout à fait original avec sa propre mythologie, lequel réussit à nous dépayser fortement tout en se voulant un miroir à la fois réaliste et bienveillant, empreint d’une subtile pointe d’ironie, sur les travers de notre monde bien réel, avec « ses délices et ses infortunes ». La fin ouverte de ce second volet laisse sans trop de doutes entrevoir une suite. Certaines régions et villes de la carte n’ont pas encore été décrites dans le récit, et la mer de Brumine, que Pontus s’apprête à prendre, semble pleine de promesses… -*-*-*-*-*-*-*-*-*- Livre 1 : Cette histoire, qui bénéficie d’un pitch très original, s’avère tout à fait dépaysante. Trop peu académique pour s’apparenter à série des « Jour J », « Megafauna » plaît beaucoup pour son côté à la fois artisanal et ambitieux. Pour réaliser cette uchronie à l’atmosphère médiévale, Nicolas Puzenat s’est nourri des études paléoanthropologiques les plus récentes, selon lesquelles l’homme de Néandertal aurait bien croisé notre ancêtre l’homo-sapiens avant de disparaître, et aurait même déposé quelques gênes dans son cousin, ou plutôt sa cousine si l’on parle d’accouplement… une partie des scientifiques évoquent même l’idée d’un métissage au profit de Cro-Magnon (autre nom de l’homo-sapiens), en plus grand nombre. Quant à l’auteur de cet album, il va jusqu’à imaginer que Néandertal n’a pas regagné le néant, mais aurait continué à vivre dans notre millénaire, au moins jusqu’au Moyen-âge puisque l’histoire se déroule en 1488. Et sa survivance a eu des conséquences sur le cours des choses puisque les Sapiens ont dû apprendre à cohabiter avec ces voisins à la fois semblables et pourtant si différents. Le mélange des deux races n’a pas eu lieu, et Néandertal, peu désireux de faire cause commune avec ses rivaux, a fait ériger une muraille gigantesque sur leurs frontières communes, traversant de part en part le continent européen, ainsi divisé en deux entités distinctes. Officiellement en guerre, les deux peuples ont toutefois maintenu des relations commerciales. Les Sapiens échangent du bétail et des vivres contre de l’or, des pierres précieuses et des épices dont les « Nors » raffolent. Mais depuis quelques temps, ces derniers ont mystérieusement suspendu toute relation avec leurs voisins du Sud, menacés par la famine. Pour tenter d’en savoir plus, les Sapiens vont envoyer discrètement un émissaire qui sera chargé de rencontrer le « Dimaraal » Vorel, l’un des chefs les plus puissants du camp ennemi. L’émissaire en question, Timoléon de Veyres, jeune étudiant en médecine, va prendre la route en compagnie de son ami, Pontus, qui fera office de garde du corps. L’accueil de la population néandertalienne sera plus que tiède voire hostile, et Timoléon aura fort à faire pour gagner sa confiance. C’est ainsi qu’au fil de l’histoire, on va comprendre peu à peu pourquoi les Nors ont décidé non seulement de couper les relations avec le Sud, mais également de maintenir depuis plusieurs siècles ce « cordon sanitaire » qu’est la grande muraille pour tenir à distance les Sapiens. Nicolas Puzenat nous offre ici une parabole bien sentie sur notre civilisation « occidentale ». La société médiévale où a grandi « Timo », c’est la nôtre. Les Nors, c’est le peuple exotique et méconnu, qui donne lieu à toutes sortes de préjugés quant à leur primitivité. Mais bien vite, Timo, auquel le lecteur va s’identifier facilement par son approche candide et son ouverture d’esprit, apprendra à revoir son point de vue en vivant parmi eux. Le contraste est d’autant plus saisissant lorsque le jeune homme franchit la frontière. La région au sud de la muraille est quasi désertique, résultat des pratiques agri-économiques inconséquentes des Sapiens, et la violence s’accroit parmi les habitants faméliques. Derrière la muraille en revanche, le paysage est luxuriant et les forêts abondent, riches en faune et en flore. Les Nors, tout en vivant en harmonie avec la nature, semblent avoir atteint un stade de développement technologique aussi avancé que leurs rivaux. Avec ce récit très bien mené, Nicolas Puzenat parvient à nous sensibiliser sur les dérives de notre monde, de façon assez subtile, ainsi que sur une quantité de thèmes comme les préjugés racistes ou la question des stéréotypes de genre, par le biais de la relation amoureuse entre Timo et la néandertalienne Gargar, très corpulente et d’une tête plus haute que son amant. Le trait certes peu académique trouve son équilibre dans l’univers enchanteur déployé ici. Et la magie opère facilement. On savait que l’auteur, à travers « Espèces invasives » avait du goût pour l’architecture, et une fois encore, il l’exprime ici de fort belle façon. Si les constructions des Sapiens sont conformes à l’époque médiévale, celles des Néandertaliens, désireux de préserver leur environnement, semblent par contraste être inspirées par l’Art nouveau, tout en courbes et en circonvolutions végétales. « Megafauna » est un alliage parfait entre aventure et réflexion politico-philosophique sur le devenir de notre monde, ainsi qu’une invitation à rencontrer l’« étranger », en faisant abstraction des préjugés, de ses mœurs qui nous paraissent si étranges. L’auteur évite de tomber dans le prêchi-prêcha, et nous sert d’ailleurs une conclusion plutôt sombre. Heureusement, il y a cet humour discret qui irrigue le récit, notamment sur la question du culte religieux. Ici, le « fils de Dieu » n’est pas Jésus mais Kmaresh, et il a été pendu ! Lieux saints et jurons font ainsi référence à la potence ou à la corde, et c’est plutôt bien vu. Encore une publication éminemment sympathique des Editions Sarbacane.
Little Bird
C'est Ian Bertram et le Will Eisner Awards qui m'ont poussé à l'achat. Un monde futuriste où la religion détient le pouvoir, elle doit faire face à une certaine résistance et celle-ci va placer tous ses espoirs sur Petit Oiseau, une jeune fille. Une histoire pas vraiment innovante, l'intrigue n'est pas toujours facile à suivre même si dans l'ensemble elle reste compréhensible. Une dystopie où le christianisme n'est pas dans l'amour de son prochain, mais plutôt dans un faux prophète qui va faire couler le sang et les larmes. Darcy Van Poelgeest a su créer un monde cohérent et des personnages pas forcément attachants mais avec une vraie personnalité. Une narration onirique et mystique pour suivre la quête initiatique de Petit Oiseau entrecoupée par des flash-back pour mieux appréhender le récit, le passé des personnages. Un récit violent qui ne m'a pas totalement touché. Une lecture tout de même agréable. Maintenant passons au graphisme et là on touche au sublime, à l'ivresse orgiastique, j'adore tout chez Ian Bertram, son trait singulier, sa mise en page détonante et son soucis du détail. Il s'en dégage une certaine poésie qui porte à bout de bras ce roman graphique. Un comics qui vaut indéniablement le détour pour la fantastique composition de Ian Bertram et les superbes couleurs de Matt Hollingsworth. Note réelle : 3,5.
Celeste
Ce n'est qu'en terminant le premier tome que j'ai découvert que son héroïne était une personne réelle et que c'était son authentique biographie qui nous était racontée là. Autant le récit impliquait le vrai Marcel Proust, autant la mise en scène très vivante, le côté attachant de l'héroïne et une forme de légèreté et d'humour dans la narration m'avaient fait croire à une histoire romancée impliquant Proust simplement comme un contrepoint pour ancrer dans le réel un récit de fiction. C'est donc l'histoire vraie de celle qui est devenue un peu par hasard la gouvernante de Marcel Proust, une jeune femme issue de la campagne, au départ timide et naïve avant de montrer son esprit vif et charmant, et devenir une véritable amie pour l'écrivain. Il y a un petit côté Pretty Woman à voir cette gentille servante découvrir le mode de vie luxueux de l'écrivain dont le succès commençait à peine mais qui avait toujours vécu au sein de la grande bourgeoisie. On ne parle pas de romance, Proust étant ouvertement homosexuel, ni de réelle proximité, ce dernier étant aussi asocial et désireux de solitude pour se concentrer sur son travail. Mais c'est justement l'originalité de cette relation, faite d'admiration d'une part et de tendresse d'autre part, qui fait l'intérêt de ce récit. J'ai trouvé la mise en scène et le graphisme très agréables, rendant immédiatement les personnages sympathiques et pleins de vie. Et de savoir en plus qu'il s'agit d'une histoire vraie ajoute de l'intérêt puisqu'il permet d'avoir un œil intime sur la vie de ce célère auteur français et sur celle de ceux qui travaillaient pour lui à l'époque.
Les Pays d'Amir
C'est l'histoire d'une bonne entente entre un réfugié syrien et une famille française qui l'accueille chez elle et découvre sa gentillesse et son talent pour la cuisine. C'est aussi et surtout l'histoire des angoisses de cet homme déraciné qui aimerait trouver un lieu où enfin se sentir chez lui, et en même temps ne veut pas oublier l'idée de rentrer dans son pays un jour ou l'autre. Angoisse que partagent de centaines de milliers de réfugiés. Dès la couverture et les premières pages, cet album transpire les bons sentiments. Le graphisme d'Adrián Huelva est doté d'une agréable personnalité. Son trait est clair, expressif et appréciable. Le visage émacié d'Amir apparait toutefois convenu, avec ses yeux de chien battu et son sourire doucereux, représentation graphique qui crie au lecteur que c'est un gentil garçon et qu'il faut l'aimer. Cette injonction envers le lecteur, on la ressent également dans la mise en place du récit, où il apparait tout de suite comme une évidence que la situation des réfugiés est terrible et qu'il faut tout faire pour les aider, quitte à accueillir dans son cocon familial une personne qu'on ne connait quasiment pas. Et que forcément cette personne est bonne et pleine de grandes qualités. Et qu'il n'y a que les racistes comme le père de l'héroïne pour s'enferrer dans une méprisable méfiance. Le message est ici pavé de bonnes intentions, mais je ne peux m'empêcher de lui trouver un manque de subtilité. Cela étant dit, la lecture est plaisante, les personnages sympathiques et j'ai aimé découvrir ces recettes syriennes, à la fois proches et différentes de la cuisine libanaise que je connais mieux. Elles comportent cependant quelques ingrédients aux noms inconnus dont j'ignore même s'il s'agit d'épices, de légumes ou autres et du coup je ne sais pas si je saurais reproduire la moindre d'entre elles. En parallèle, la mise en image du sentiment d'insécurité des réfugiés est bien menée, montrant bien l'angoisse qu'ils ressentent à ne pas pouvoir se poser pour de bon où que ce soit, et même s'ils le pouvaient, à ne pas savoir s'ils voudront faire de ces lieux leur vrai pays d'adoption ou plutôt rentrer chez eux dès que la situation le permettra. Agréable lecture donc malgré une fin pas totalement satisfaisante puisqu'elle se présente en partie comme un happy end alors que finalement la situation reste aussi compliquée qu'une dizaine de pages plus tôt.
La Demi-double Femme
Tout comme Paco, j'ai découvert l'auteur à Angoulême. Et je dois dire, comme lui, que les dédicaces qu'il réalisait m'ont impressionné. Je me suis donc lancé dans cette lecture avec un intérêt certain. Graphiquement très convaincante, cette BD nous emporte jusqu’au fin fond des grandes forêts de Sibérie pour un western mâtiné de légendes. On y est. On sent le vent glacial et la neige recouvrir progressivement les traces de nos personnages qui, immanquablement (s'en)foncent vers leur destin. Tout cela donne lieu à de très belles pages où deux mondes s’affrontent par l’entremise d’une petite bonne-femme cul-de-jatte régnant sur une bande de trappeurs d'une part, et d’un américain prétentieux venu faire fortune dans le commerce de fourrure de zibeline d'autre part. A travers eux, on assiste à la lutte de la tradition et de la magie contre l’économie, en gros. C’est pas mal fait, même si ça manque un peu de souffle épique, et ça se lit un peu rapidement à mon goût. A part ça, les personnages sont bien taillés, et l'ensemble reste tout à fait crédible. Un bon titre qui se laisse lire.
La Vraie Vie
Mardon n’est ici qu’au dessin, mais on aurait tout aussi bien pu le voir officier au scénario, tant celui-ci est proche de ceux qu’il produit pour lui-même ailleurs. Pas forcément sur la thématique principale, mais sur le ton, sur la présentation d’une vie quotidienne, ancrée dans une « normalité », avec des personnages crédibles et ordinaires. Son dessin est en tout cas agréable et lisible. Simple mais efficace. Nous suivons Jean, qui passe tout son temps libre et une bonne partie de ses nuits devant son ordinateur, sur le net, à surfer sur les réseaux sociaux, à zieuter les théories complotistes, et à mater de plus en plus de porno. La « vraie vie » lui échappe ainsi, comme le lui fait remarquer un collègue, mais aussi un moment Carine, la jeune femme qui entre dans sa vie et ne comprend pas cette addiction et ses dérives (Jean noue des liens avec un interlocuteur, sur un forum de jeu vidéo – un « ami » sensé être Américain mais s’exprimant en Français. Jean s’enfonce de plus en plus dans ce monde virtuel, au point de paraitre asocial et de risquer de perdre Carine. La thématique – très actuelle ! – est intéressante, et assez bien traitée. Dans le dernier tiers de l’album Jean apprend qu’il est atteint d’un cancer. Cela dramatise l’intrigue et pousse Jean à se poser des questions sur le sens de la vie, ses relations avec son mystérieux interlocuteur des réseaux sociaux ou avec Carine. Mais j’ai trouvé cette partie de trop, une excroissance malheureuse de l’histoire, qui aurait pu et dû se développer sans cette dramatisation. Mais bon, c’est un album qui se laisse lire agréablement, une intrigue très « actuelle ».
Oracle
Avis posté après lecture du premier cycle de cinq albums. J’ai toujours une appréhension lorsque je découvre ce genre de série concept – dont Istin et Soleil sont coutumiers. La peur d’un empilement de déjà vu enrobé dans du clinquant et une surenchère de fantastique, et la peur aussi d’un délayage à coup d’une infinité de tomes. Pour ma deuxième crainte, je ne risque plus rien, car je vais m’arrêter à ces 5 albums. Pour la première, je ne suis qu’en partie convaincu par ma lecture. Je ne suis généralement pas fan des changements de dessinateurs au cours d’une série. Disons qu’ici ça passe, malgré les variations, tous font le job, sans non plus être trop originaux. Concernant l’histoire, ou plutôt les intrigues, le principe est un peu répétitif et roublard. A chaque fois c’est un vieillard qui raconte une histoire à un jeune homme, admiratif et conquis (très jeune dans le premier tome, au point que ça m’est apparu incongru qu’on raconte viols, massacres et autres joyeusetés à un gamin !) : le cinquième tome boucle la boucle, puisque le vieillard meurt et passe la main à son auditeur devenu adulte. Auditeur prénommé Homère, cela m’a un temps gêné, car cela semble se passer au Vème siècle avant J.C., alors que si Homère a existé et vécu, ce serait trois siècles auparavant : il s’agirait donc d’un autre Homère, et non pas du célèbre aède. Répétitif, mais aussi malin, car, sous couvert de suivre quelques personnages et aventures, c’est une façon pour les auteurs de nous faire visiter la Grèce, et sa mythologie. Ça se laisse lire, mais j’en suis sorti visiblement moins enthousiaste que certains, je pense que le fait qu’il n’y ait pas de personnages récurrents, comme pour une vraie série, est plutôt dommage (c’est le revers des choix scénaristiques et de la série/collection).
Ghost World
C'est avec la réédition chez Delcourt de cette album (il en aura fait des maisons d'éditions dites-donc !) que je découvre cet album tranchant par bien des aspects. Déjà au vu des commentaires précédents, on se rend bien compte qu'il ne laisse pas indifférent (vous me direz, chez Clowes, c'est un peu une marque de fabrique), ensuite de part ce regard caustique que portent nos deux jeunes protagonistes Enid et Becky sur leur environnement. La petite bourgade typique des USA est passé au crible de ces deux ados en mal de tout. Que ce soit les boutiques (tant les restos que les sex-shop) ou les gens qui y évoluent, rien ne leur échappe et devient la cible de leur sarcasmes. Alors oui, il ne se passe pas grand chose ; on est plus sur la création d'une ambiance singulière où nos ados en pleine transition vers le monde des adultes se lâchent et dégobillent sur ce monde qui ne leur apporte et ne leur rend rien. C'est cynique, la critique de ces banlieues américaines caricaturales est acerbe et montre bien cette cruauté gratuite dont est capable l'animal "ado". Le trait de Daniel Clowes toujours aussi marqué et ses personnages bruts de décoffrage (ne cherchez pas de pin-ups peroxydées ou botoxées) mettent plus l'accent sur la laideur où le commun et renforcent cette ambiance si particulière qui se dégage de ses productions.
La Dernière Ombre
J'ai lu par ailleurs que cette série était inspirée par "Le Labyrinthe de Pan". Comme je ne connais pas ce fim je ne peux rien dire à ce propos. Par contre je trouve ce diptyque très intéressant car j'estime que D.P Filippi brouille les pistes en y introduisant beaucoup de trompe-l'oeil, notamment dans le tome 1. J'ai lu plusieurs séries de Filippi et j'ai retrouvé beaucoup de ses univers de prédilection. Un château isolé à l'ambiance mystérieuse et maléfique (Le Livre de Jack, Songes), une bande d'enfants perdus (Gargouilles, Le Livre de Jack, Téo) plus un graphisme de Gaspard Yvan qui me rappelle celui de Camboni, font que Filippi m'a donné l'impression d'installer son lecteur dans une ambiance assez connue et confortable. C'est une illusion. En effet, dès les deux premières planches Yvan nous sert de la bouillie de viscères bien plus à sa place chez Tardi que chez Mickey. La suite du tome 1 est une succession de points d'interrogations. D'où vient cet équipage hétéroclite de militaires et de civils ? Qui est ce Svoga (capitaine, lieutenant, soldat) qui semble maître du jeu ? Quelle ligne choisir entre un récit d'aventure militaire classique ou une orientation pamphlétaire plus révolutionnaire ? Pourquoi ce saupoudrage de fantastique qui à ce moment du récit me semble assez incongru. J'ai refermé le tome 1 séduit par la construction et le rythme mais en me demandant où Filippi voulait nous conduire. C'est l'une des beautés de cette série, les auteurs répondent à (presque) toutes les questions d'une façon assez inattendue avec un retour à une rationalité brutale. L'illusion du fantastique s'évanouit pour laisser la place aux horreurs de la réalité même si elles sont travesties sous formes de contes. Nettoyeurs de tranchées, rats de tunnels, meurtres de camarades, viols, prostitution juvénile, les auteurs nous renvoient dans l'ombre la plus sombre d'une réalité guerrière souvent éloignée des récits officiels. Les auteurs préfèrent travailler sur le descriptif réaliste dans les épisodes entre soldats mais nous plongent dans un univers de conte pour les civils. Ces deux registres se rejoignent dans la tragédie vécue par tous ces innocents. Filippi conclut son récit par une dernière "grande illusion" qui ne peut résister à la réalité historique. Le graphisme de Gaspard Yvan s'inscrit dans la continuité des excellents graphismes produits avec Camboni dans d'autres séries avec Filippi. Son trait rond et gracieux tranche avec la dureté des scènes exposées. Ce décalage renforce cette thématique de l'illusion que je pense centrale dans le récit. C'est donc une œuvre très travaillée au niveau du récit et du graphisme et qui fournit une lecture riche avec une forte intensité émotionnelle. Une très bonne lecture.
Chair à canon
Qu'est-ce que j'ai rigolé ! Ha que c'est bon de rire ! Ça faisait d'ailleurs bien longtemps que je ne m'étais pas froissé une côte à la lecture d'une BD. Le style graphique d'Aroha Travé est tout à fait remarquable, tout en finesse, alors que par ailleurs, elle dépeint des situations trash à souhait. Parce que c'est trash, et par conséquent pas "que" drôle. Il y a forcément une dimension sociale puisque les personnages évoluent dans des cadres populaires. Dans cette banlieue de Barcelone, on a affaire à une mère dépassée, à des drogués, des zonards, issus de classes défavorisées... Mais tout cela est raconté sans patos, et avec une crudité éloquente. Et les visages sont très expressifs Globalement, on suit les enfants (un peu turbulents) d'une mère divorcée, un peu dépassée par les événements. Tout est donc raconté à hauteur d'enfant, mais avec un langage extrêmement fleuri. Les dialogues sont à ce titre vraiment savoureux, et écorcheront d'ailleurs les oreilles sensibles. Je me suis laissé dire que notre autrice s'appuyait sur des souvenirs d'enfance. Bref ! On n'a pas affaire à des modèles de vertu ! Il y a aussi quelques beaux passages, certes extrêmement brefs, comme ce dialogue de la petite Yanira avec le fantôme d'un enfant... (attention spoil) victime d'un curé pédophile ! Ben ouais ! C'est poétique, mais brièvement ! Faut savoir apprécier quand ça se présente parce que c'est aussi bref qu'une lueur d'intelligence dans les yeux de Darmaninin. Exemple mal choisi puisqu'il n'y a aucune lueur d'intelligence dans les yeux du sinistre de l'inférieur... Bref ! Ceci m'amène à évoquer le titre. J'y vois personnellement une allusion au fait que toute cette jeunesse sauvage, livrée à elle-même du fait de la dissolution de l'ensemble des liens sociaux, est la première victime de cette société de merde où l'inhumanité est le cadet des soucis de nos dirigeants néolibéraux pour qui seule compte la bonne marche de la sacrosainte économie. Mais que l'on ne s'y trompe pas : il n'y a pas de discours politique dans Chair à canon. Pas plus que de prétention sociologique. Juste une bonne tranche de fun, du fait des situations vraiment cocasses, un témoignage tragicomique qui n'a d'autre but que de déclencher l'hilarité (ou pas). Mais témoigner n'est-ce pas déjà ouvrir une porte sur la conscience ?... Pour conclure, je regrette juste qu'Aroha Travé n'ait pas trouvé une fin plus conclusive, c'est à dire une vraie chute à laquelle, je l'avoue, je m'attendais. Mais en y regardant de plus près, c'est pas si pire. On termine comme on a commencé : sur des jeux d'enfants. Es la vida que sigue, después de todo !