Les derniers avis (35 avis)

Par Gaston
Note: 4/5
Couverture de la série L'Homme de la situation
L'Homme de la situation

3.5 Ma note est peut-être un peu élevée, mais j'ai vraiment aimé cet album. Il y a certes des défauts. L'autrice a mieux dessiné dans d'autres albums et il y a des facilités dans le scénario dont la fin, mais c'est pas grave parce que j'ai vraiment accroché au récit. L'autrice montre un homme sympathique, mais prisonnier d'un modèle masculin dépassé par le monde moderne. C'est l'homme fort typique, qui ne doit jamais montrer de faiblesses ou pleurer, qui doit toujours sauver les plus faibles et qui ne sait plus quoi faire lorsqu'un poste qui méritait se faire offrir à un collègue féminin moins douée juste parce que c'est une femme. Lorsqu'il rencontre une famille désœuvré dont les nombreux enfants ne vont pas l'école et qu'il veut les aider, je me suis dis que cela finirait dans un drame où notre personnage principal va apprendre qu'il ne peut pas sauver le monde à lui tout seul et soudainement le récit bascule dans le fantastique. Je pense que c'est lorsqu'on se rend compte qu'il y a quelque chose vraiment étrange qui est en train de se passer que j'ai définitivement trouvé le récit captivant. Je voulais absolument voir où l'autrice allez nous emmener et quelles étaient les explications derrières les événements étranges. Je trouve que l'autrice s'est servit du fantastique de manière intelligente et exploite bien les thèmes de l'album. On peut reprocher une fin heureuse facile, mais je l'ai bien aimé.

25/04/2024 (modifier)
Par Hervé
Note: 4/5
Couverture de la série Sexual Housewives
Sexual Housewives

Je rapproche le style d'El Bute de celui de Casotto. En effet, les premières histoires sont en noir et blanc, et les dernières en couleurs, mais dans le même mauvais ton des histoires mises en couleurs non par par Casotto, mais imposées à Giovanna Casotto. Tout cela pour dire que le noir et blanc sied beaucoup mieux aux histoires d'El Bute que la couleur. Mais ceci est un sentiment personnel. Par contre, comme dans les albums de Giovanna Casotto, j'ai beaucoup apprécié l'humour,la chute bien amenée de chaque histoire , presque au second degré. C'est souvent drôle comme dans "la maman et les papas", ou Revanche, choquant dans "le club libertin", voire peut-être autobiographique, avec La Vie d'artiste mais aussi mystérieux avec "une voisine surprenante" . Car comme dans les albums de Casotto, l'auteur n'hésite pas à se mettre aussi en scène . Côté dessin, c'est du porno pur et dur, avec une obsession de l'auteur sur la fellation. Niveau scénario, outre l'humour assez présent, les femmes sont dans la plupart des cas,non pas soumises, mais très -voire trop-faciles à séduire. Les dialogues sont le plus souvent très crus mais collent parfaitement à l'ambiance. Je découvre cet auteur avec cette intégrale et je dois dire que j'ai été séduit par son style. Dans les bandes dessinées pour adultes, cet album mérite toute votre attention.

25/04/2024 (modifier)
Par herve
Note: 4/5
Couverture de la série Les Aventures de Buck Danny (classic)
Les Aventures de Buck Danny (classic)

tome 1: Sabre sur la Corée Soixante-sept ans après sa création, Buck Danny revient en force avec cette histoire, publiée par Zéphyr édition. Il ne s'agit pas en effet d'une énième aventure de nos 3 héros (Buck, Sonny et Tumb) publiée par Dupuis (avec un scénario qui s'essouffle d'ailleurs au fil des albums) mais une aventure qui se situe juste après "Ciel de Corée" publié en 1954. C'est d'ailleurs ce qui fait l'intérêt de cet album : on y retrouve l'âge d'or de la série avec les Mig, la guerre froide, de belles scènes de combats aériens et un Sonny Tuckson, certes gaffeur, mais moins clown que dans la série mère. Zumbiehl, à qui l'on doit pourtant "Cobra Noir" (Buck Danny #53), que je n'ai pas acheté à cause d'un dessin approximatif à mon goût, nous livre ici une histoire bien menée avec de l'action, de l'humour sur fond d'espionnage entre les deux superpuissances sous le ciel de Corée. Le dessin, quant à lui, se situe dans la parfaite continuité du style de Victor Hubinon. L'album en outre est soigné : couverture, qualité du papier en font un bel objet éditorial. S'il faut ajouter un bémol, je regrette que cette histoire soit à suivre (et il n'est pas précisé en combien de volumes). Il faut noter que l'album est présenté sous deux couvertures différentes : une sur fond bleu (pour un lectorat plus jeune, sans doute), et une autre sur fond orange, qui fait beaucoup penser aux éditions originales de Buck Danny des années 50 et 60 et qui ravira sans nul doute les nostalgiques de la série, dont je suis. tome 3: "les fantômes du Soleil Levant Il faut tout d'abord saluer le travail des Éditions Zéphyr, en collaboration avec les Editions Dupuis d'avoir proposé aux lecteurs un fourreau comprenant ce "Buck Danny-classic-", accompagné d'un "Tanguy & Laverdure-classic-" ainsi qu'un livret collector inédit "la rencontre" de 16 pages en noir et blanc. J'avais été séduit par le premier diptyque de cette nouvelle collection de Buck Danny. Et le charme opère de nouveau avec ce nouvel album. Le dessin de Jean Michel Arroyo s'inscrit parfaitement dans le style de celui de Victor Hubinon. Le scénario, sans surprise, colle parfaitement à l'esprit des premiers albums de la série.Il faut souligner, cette fois ci, la présence de Marniquet (auteur que j'ai souvent défendu ici et ailleurs) au scénario, avec Zumbiehl. Cet opus est ,sans aucun doute ,à destination des vieux lecteurs comme moi, amateurs de la période faste des Buck Danny qui retrouveront ici les grosses ficelles scénaristiques chères à JM Charlier, mais aussi le côté un peu désuet mais très plaisant des planches d'Arroyo , rappelant celles de Victor Hubinon. Un album classique, sans surprise mais qui, de par son côté nostalgique, devrait ravir tout les amateurs du genre. En outre on croise dans cet opus Miss Lee, ainsi que Susan Holmes qui n'y fait qu'une simple apparition. Bref, J’achèterai le prochain volume sans hésiter. tome 5: Opération rideau de fer Grand amateur de Buck Danny, je me réjouis à chaque sortie d'un album de la série "classic" qui ravive en moi une certaine nostalgie des Buck Danny de la grande époque. Cette aventure se situe immédiatement après "les tigres volants contre pirates". Marniquet et Zumbiehl ont construit un scénario habile, mêlant espionnage et aventures militaires sur fond de guerre froide en Europe.Nos trois célèbres pilotes se retrouvent en effet affectés en RFA, pour défendre l'espace aérien alors qu'une sombre histoire de transfuge de savant soviétique vers les Etats Unis se trame.L'intrigue est bien menée, et l'histoire permet de renouer avec Lady X, qui occupera sans doute un plus grand rôle dans le prochain volume. Le dessin d'Arroyo, avec ce côté rétro, sied parfaitement à cette série. J'ai particulièrement apprécié les scènes se déroulant sous la neige, sans oublier les scènes de combats aériens, très réussies. Une lecture très agréable, que les amateurs des vieux Buck Danny ne peuvent qu'apprécier. Vraiment, la série "Classic" surpasse les albums de la série mère post Bergèse- Charlier. tome 6: Alerte rouge Contrairement à ce qu'annonce la couverture de cet album, l'intrigue s'apparente plus à un récit d'espionnage ,sur fond de guerre froide, qu'à un récit d'aviation.. Il faut en effet attendre le dernier tiers de l'album pour découvrir des scènes aériennes. Sinon, le scénario est classique , voire un peu trop prévisible avec malheureusement une lady X pas aussi présente que ne l'augurait le premier album de ce diptyque. Pendant que Sonny & Tum essaient de passer le mur de Berlin, nous suivons Buck Danny en Union Soviétique à la recherche d'un avion soviétique, à la manière d'un Clint Eastwood dans "Firefox,l'arme absolue". Peut-être que le fait de suivre trois aventures parallèles sur trois pays différents (RDA, URSS et Etats Unis) casse un peu le rythme de lecture et empêche d'avoir une intrigue plus fouillée. Le dessin de Jean Michel Arroyo est en parfaite adéquation avec le côté rétro des aventures de Buck Danny "classic" mais j'ai cru lire que le trio d'auteurs "Arroyo, Marniquet et Zumbiehl" n'étaient pas reconduits pour le prochain album. Dommage, car j'ai pris un grand plaisir à lire les six albums que composent cette série. tome 7: Sea Dart Changement de dessinateur pour ce "Buck Danny Classic", mais André Le Bras n'est pas un parfait inconnu sur la série, en effet, celui-ci avait déjà signé "les oiseaux noirs #2", avec toujours le même défaut, à mon goût (des visages un peu trop lisses). J'ai regretté quelques erreurs dans le scénario malgré la présence de deux auteurs (les scénaristes s’emmêlent dans les grades avec Tuckson qui passe de lieutenant page 10, au grade de capitaine page 14) pour cette histoire qui se déroule après les aventures coréennes. Malgré ceci et quelques fautes d’orthographes, les auteurs ont trouvé un équilibre parfait entre une histoire d'aviation et une intrigue d'espionnage intéressante. La dernière case de l'album laisse augurer une suite prometteuse. Mais la véritable révélation fut pour moi l’aéronef, le Sea Dart, véritable hydravion à réaction dont je ne connaissais pas l’existence à ce jour ! Bon album qui ne dépareille pas avec l’ensemble de la série mère, série que justement je relis en ce moment dans la version intégrale « Tout Buck Danny » Une intrigue accrocheuse, des scènes aériennes nombreuses, bref que demander de plus pour un album de Buck Danny ? Tome 8: le repaire de l'Aigle Cet album conclut un diptyque commencé avec "Sea Dart", paru en octobre 2020. Les auteurs tiennent donc la cadence pour nous offrir une suite dans des délais relativement rapides. Un petit coup de gueule contre les éditions Dupuis pour commencer. J'ai pour habitude d'acheter le coffret avec le second volume des aventures de " Buck Danny classic" mais là, vu le prix prohibitif dudit coffret, j'ai passé mon tour. Sinon, j'ai beaucoup aimé cet album, qui mêle adroitement l'Histoire avec un grand H, avec une histoire d'espionnage. Frédéric Marniquet et Frédéric Zumbiehl s'appuient en effet sur des faits avérés voire supposés pour étayer l'intrigue (la fuite de certains dignitaires nazis, et la préparation d'armes secrètes) Certes les ficelles sont parfois assez grosses mais cela se laisse lire avec plaisir. Les auteurs ont en outre réussi un équilibre entre les scènes d'aviation et les scènes d'aventures. Encore une fois, la collection "Buck Danny classic" arrive aussi bien sur la forme (une couverture digne des années 50) que sur le fond à contenter les nostalgiques de l'âge d'or de cette série. tome 9: le vol du rapier En s'inspirant d'un mystère les plus troublant de l'histoire de l'aviation (la disparition des passagers du vol C-124 Globemaster le 23 mars 1951), les scénaristes Marniquet et Zumbiehl nous offrent une aventure palpitante de Buck Danny. Décidément cette série dérivée finit par dépasser en qualité, la série mère. Le récit oscille sans cesse entre le récit d'espionnage, celui d'aventure , sans oublier des scènes d'aviation. J'ai trouvé le ton de ce volume plus dramatique qu'à l’accoutumée, même si les auteurs n'oublient pas de nous présenter un Sonny gaffeur, qui finit par s'embarquer dans une histoire d'amour qui le mènera assez loin..... Tome 10: Molottok-41 ne répond plus Évidement, le titre de cet album fait écho au fameux "NC 22654 ne répond plus" de. la série mère. Ce volume vient clore l'aventure débutée avec "le vol du rapier", que j'avais aimé. Nous nous retrouvons ici en pleine guerre froide, mais l'intrigue donne trop de place, à mon goût, à de trop nombreuses courses poursuite. Nos héros empruntent tour à tour, avions, d'antiques camions ZIS 5,, canots de sauvetage, camionnette de livraison pour échapper à leurs poursuivants...c'est un peu répétitif niveau scénario. Par contre, le dessin de Le Bras reste impeccable, et il faut souligner l'heureuse idée d'abandonner, pour un temps, LAdy X, au profit d'une Miss Lee qui semble prendre du galon dans cet album. Tome 11: l'ombre rouge Au fil des années, cette série dérivée frôle l'excellence, dépassant même les qualités de la série mère. En s'inscrivant dans la période de la guerre froide, qui a donné tant de romans et de films exceptionnels, les auteurs nous offrent , en tout cas pour le vieux lecteur que je suis, un bol de nostalgie. Etant en outre, grand fan du cinéma américain des années 30 à 50, je suis sous le charme de cette "ombre rouge" où l'on côtoie Ava Garner (dont le nom est à peine dissimulé ici), John Wayne (où j'apprends la tentative assassinat dont il a fait l'objet par les services secrets soviétiques), un ersatz de James Stewart, et un Howard Hugues plus vrai que nature. Car nos trois héros, Buck Danny, Tumbler et Sonny vont se lancer dans une histoire d'espionnage dans le monde du cinéma. Le scénario est assez réussi, même si on peut regretter le manque de scènes aériennes dans cet album. Néanmoins, le dessin d'André Le Bras, est de très grande qualité et son côté vintage sied parfaitement à ce spin-off. Amateurs d'espionnage, cet album vous comblera., en plus ce premier volume de ce diptyque s'achève sur un cliffhanger insoutenable. Scénario prenant, dessins et couleurs très réussis, bref un album à lire!

08/02/2014 (MAJ le 25/04/2024) (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Je ne t'ai jamais aimé
Je ne t'ai jamais aimé

Le sentiment amoureux n'est pas un droit. - Il s'agit d'une histoire autobiographique, complète en un tome. Chester Brown évoque le développement de son sentiment amoureux sur une période 8 ans, depuis l'âge de 9 ans, jusqu'à 17 ans. Alors que l'histoire commence, Chester vit dans un pavillon avec des espaces verts autour et il accompagne Connie, sa voisine, à l'école. Dès la troisième page, le lecteur découvre que Chester a un rapport difficile avec les gros mots du fait d'une mère très à cheval sur leur utilisation. Dans son quartier, il entretient des relations amicales quotidiennes avec 2 autres jeunes filles et un ou deux autres garçons. Au fur et à mesure qu'il grandit, Chester Brown insère des scènes courtes sur les relations affectives qui le lient à sa amère, sur des échanges brefs avec les jeunes filles qu'il croise ou qui gravitent dans sa sphère privée. Il y a en particulier Carrie qui est une voisine légèrement moins âgée que lui et qui a le béguin pour lui, Sky une camarade de classe que la nature a généreusement pourvue, et quelques autres. Il finit par dire à Sky qu'il l'aime. le livre se termine alors qu'il fait comprendre par son attitude à Sky qu'il n'y a rien entre eux. J'ai eu beau me creuser la tête, impossible d'imaginer un résumé qui puisse donner envie de lire cette histoire. Brown dépeint des scènes très courtes avec une économie de dialogue, presqu'aucune case de texte (autre que les phylactères), des actions prosaïques et factuelles, tout ça avec un style graphique simple, voire simpliste. Il n'y a pas d'action, pas de violence et pas de sexe. L'avantage, c'est que cette bande dessinée se lit très vite (moins d'une heure). L'inattendu, c'est qu'elle reste longtemps dans la tête, non pas de manière intrusive, plutôt comme un souvenir attachant et légèrement dérangeant. Chester Brown fait partie d'un trio d'auteurs indépendants (et underground à leur début) avec Joe Matt (Le pauvre type) et Seth (George Sprott : 1894-1975). le moins que l'on puisse dire, c'est que chacun d'entre eux s'est construit un point de vue très personnel sur la vie. Avec cette histoire, Chester Brown ne souhaite pas parler d'amourette platonique, mais de développement du sentiment amoureux comme quelque chose qui ne va pas de soi. Il parle de son vécu pour dire et montrer son expérience sur des phases de développement relationnel que chaque individu traverse avec sa propre sensibilité. Ce qui est captivant, c'est de contempler comment l'individu Chester Brown relate la construction de sa sensibilité. Brown compose avec cet ouvrage une œuvre littéraire. Il ne se limite pas à enfiler de courtes scènes qui lui semblent significatives dans le développement de son mode relationnel affectif avec la gente féminine. Il s'agit plutôt de l'aboutissement de sa réflexion personnelle sur les caractéristiques de ces relations, les fruits de son introspection livrés et formalisés de manière la plus simple possible. Comme souvent dans ce type d'ouvrage, cela signifie que le lecteur appréciera d'autant plus le propos de l'auteur qu'il a lui-même parcouru une partie de ce cheminement introspectif pour son cas particulier. J'avais eu l'occasion de lire quelques scènes de cette histoire il y a plus de 20 ans et je n'en avais retenu que leur fadeur et leur manque de substance. Prise une à une, chaque scène décrit de manière simpliste un bref échange de propos dans un quotidien banal. Ce n'est que la construction et la composition du récit qui donne un sens à chaque partie. À condition de percevoir cette structure et ce mode narratif sophistiqués, "I never liked you" prend une toute autre dimension. Tout d'un coup, Chester Brown évoque à la fois des particularités de sa vie qui ont modelé son sentiment amoureux et des expériences de vie que tous les hommes ont traversées, chacun à leur manière. Par exemple, Brown constate qu'il est attiré sexuellement par les formes généreuses de Sky. Il rattache cette préférence innée à sa lecture d'un numéro de Playboy (le poster central en l'occurrence). Pour mieux comprendre le sens de ce symbolisme, la lecture de le Playboy éclaire le lecteur sur l'importance de ce magazine dans la vie de Brown. Il relate également les propos anodins de sa mère sur la taille de sa poitrine. En reliant les points entre eux, le lecteur comprend que Brown évoque l'impact de la figure maternelle sur la formation des goûts sentimentaux et sexuels des enfants. Le vrai tour de force de Chester Brown réside dans la forme. Il ne parle jamais de théories psychologiques ou psychiatriques (sur lesquelles il a un avis ambigu). Il n'a jamais recours à des théories complexes ou des développements romantiques. En fait, sa retenue dans la manière de raconter permet au lecteur de placer ses propres expériences, l'oblige même à porter un jugement de valeur sur le comportement de Chester, par rapport à ses propres expériences, ses valeurs et son vécu sentimental. Chester Brown met donc en scène son développement affectif au travers de scènes simplifiées à l'extrême pour mieux impliquer le lecteur dans ce qu'il lit. Il faut également dire un mot sur l'aspect graphique de ce récit qui est lui aussi unique en son genre. Chester Brown dessine chaque case séparément sur de petites feuilles de papier et il colle ensuite chaque case sur la page finale pour véritablement composer l'agencement de chaque dessin par rapport aux autres. Il donne une grande importance aux marges blanches entre les cases et autour des cases. Chaque dessin est très dépouillé et le trait est imperceptiblement tremblé. Il a parfois recours à des codes graphiques issus des caricatures (les grands yeux ronds de Carrie), mais de manière très restreinte. Il n'intègre pas de nuances de gris, que des traits à l'encre, avec une épaisseur variable. Il ne cherche pas une forme d'esthétisme confortable, mais il cherche une lisibilité maximale. le résultat peu paraître parfois enfantin (faible densité d'information) ou amateur (l'aspect tremblé de certaines lignes). Je n'ai pas trouvé ce choix graphique dérangeant et il est en pleine cohérence avec le mode narratif terre à terre et simple, sans être minimaliste. Cette histoire simple du développement des relations de Chester avec la gente féminine de 9 à 17 ans recèle une analyse subtile et délicate de ce comportement qui comprend autant d'inné que d'acquis. Chester Brown est un auteur attentionné qui laisse toute la place nécessaire pour que le lecteur puisse s'exprimer et se placer par rapport à ce qu'il lit. Les œuvres de jeunesse de Chester Brown sont regroupées en 2 volumes Ed, the happy clown (des fictions dérangeantes, sanguinolentes, scatologiques, éprouvantes) et le petit homme (des histoires oscillants entre le surréalisme et l'autobiographie). Après ces 2 romans autobiographiques ("Je ne t'ai jamais aimé" et Le Playboy), Brown a réalisé une biographique d'un leader politique canadien Louis Riel. Et en 2011, il a publié 23 prostituées relatant ses expériences de client de prostituées.

25/04/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Le Petit Homme - Histoires courtes 1980-1995
Le Petit Homme - Histoires courtes 1980-1995

Un véritable auteur - Ce tome compile 27 histoires de jeunesse écrites et illustrées par Chester Brown. La longueur de ces histoires varie de 1 à 34 pages. Il se termine par 20 pages de notes de l'auteur contextualisant chaque histoire. Le sujet des récits couvre un spectre assez large. L'histoire d'ouverture (4 pages) imagine que les rouleaux de papier toilette se sont révoltés contre l'humanité qu'ils ont décidé d'exterminer. le récit de clôture (6 pages) démonte l'approche psychiatrique de la schizophrénie pour développer un point de vue antipsychiatrique. Entretemps le lecteur aura pu découvrir les déboires d'un restaurant qui n'est plus approvisionné en viande de phoque, d'un individu hypnotisé par son poste de télévision. Il aura également assisté à une invasion d'extraterrestres mangeurs de nez. Puis il se trouve face à une adaptation d'un récit gnostique sur le frère jumeau de Jésus. Arrivé à la page 47, les récits autobiographiques font leur apparition avec la relation entre Chester Brown et Helder, un autre locataire d'une maison d'hôtes. Pour la couverture, Chester Brown explique en fin de volume que réaliser une illustration pleine page ne l'intéressait et qu'il lui a préféré un format bande dessinée (avec l'accord de son éditeur). Sur la couverture il explique comment lui est venue l'idée de réaliser la première histoire sur le papier hygiénique, pourquoi elle ne fait que 4 pages. le lecteur peut même découvrir comment Brown travaille, c'est-à-dire avec une planche à dessin sur les genoux. Avec les notes en fin de volume, le premier tiers de l'ouvrage permet de se familiariser avec le style graphique de Chester Brown : simple, éloigné du photoréalisme, expressif, légèrement éthéré, très artisanal. En effet les bordures des cases ne sont jamais tracées à la règle, mais légèrement tremblée. le lettrage présente des irrégularités qui donnent un aspect amateur à l'ensemble. La réalité est que Chester Brown a démarré en dessinant des mini-comics (format réduit) vendus dans quelques magasins à Toronto, plus underground, ce n'est pas possible. Il s'est lié d'amitié avec 2 autres auteurs de comics Seth (par exemple George Sprott, 1894-1975) et Joe Matt (par exemple le pauvre type). À la toute fin des années 1980, il publie "Yummy Fur", un comics contenant ses histoires courtes et ses histoires au long cours (telles que Ed the happy clown, ou une adaptation de l'évangile selon Saint Marc). Marqué à jamais par la lecture de quelques numéros de Yummy Fur, j'ai souhaité redécouvrir cet auteur hors norme. Les premières histoires de ce volume oscillent entre la provocation surréaliste sans limite (ces fonctionnaires au pénis d'un mètre) et les expérimentations insondables (5 cases juxtaposées les unes à coté des autres, sans aucun lien discernable). La lecture de ces récits oscille entre le divertissement sans concession, et l'incompréhensible (pas désagréable, mais impossible de discerner l'intention de l'auteur). Les notes en fin de volume s'avèrent passionnantes car elle donne du sens à chaque histoire et elles mettent en évidence le cheminement mental de Brown alors qu'il découvre petit à petit ce qu'il souhaite vraiment raconter, qu'il apprend à se connaître. Arrivé à la première histoire autobiographique, le lecteur découvre une histoire sans conséquence, racontée avec tact, presqu'avec distance. Chester Brown présente les faits. Il se garde bien d'y donner une interprétation sur l'intention des uns et des autres. Par contre il met admirablement en évidence les hésitations, la complexité des contacts entre chaque individu et les mouvements de domination. du fait de sa volonté de proscrire tout sensationnalisme, l'histoire est à ranger dans les anecdotes de la vie quotidienne peu palpitantes. le seul intérêt du récit réside dans la manière dont il est raconté par Chester Brown. L'histoire d'après est également autobiographique : Brown raconte comment a évolué l'histoire précédente au fur et à mesure qu'il la montrait à son amie, ou à Seth, puis à Mark Askwith. le lecteur contemple comment Brown a construit ses souvenirs pour les transformer en histoire. Ce passage est fascinant car il explicite le travail d'auteur de Brown : il décortique comment il choisit chaque moment, comment il travaille les dialogues pour transcrire les émotions, comment les mots prononcés par un individu sont interprétés d'une manière différente par celui qui les écoute. Ce passage montre également comment Brown travaille : il dessine chaque case séparément, puis les colle sur une feuille de papier pour composer sa mise en page. La dernière histoire est tout aussi personnelle, même si elle est à classer dans un autre genre. Les notes de fin de volume indiquent que la mère de Brown souffrait de schizophrénie. À l'évidence, Brown a souhaité se faire sa propre opinion sur cette maladie afin de mieux comprendre l'impact que la condition de sa mère a pu avoir sur sa vie. Brown expose les théories de différents chercheurs et médecins sur le sujet pour exposer comment il s'est forgé sa propre conviction. Il explique que cette bande dessinée lui a valu une certaine notoriété puisqu'elle a été reprise par une association de patients atteints de maladie mentale. Au-delà des convictions de Brown sur le sujet (auxquelles le lecteur peut adhérer ou non), il est fascinant de voir comme lesdites convictions ont influencé sa façon de raconter ses tranches de vie, comment il a fait le choix de bannir toute interprétation psychanalytique de son œuvre. Alors que je ne m'attendais qu'à trouver des histoires faciles et superficielles d'un auteur en devenir, ce tome est l'occasion pour le lecteur de découvrir la construction d'un auteur à part entière. Ce cheminement est passionnant à découvrir, et le plaisir de lecture est encore augmenté par la personnalité de Chester Brown qui présente son point de vue personnel, sans jamais l'asséner ou le matraquer, en fournissant la distance nécessaire pour que le lecteur puisse éprouver ses sentiments et confronter ses propres convictions à la pensée de l'auteur. Les histoires qui relèvent plus de la fiction et du divertissement contiennent également de telles idiosyncrasies débarrassées de toute hypocrisie qu'elles offrent un dépaysement unique, à mille lieux de tout divertissement formaté.

25/04/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Ed the happy clown
Ed the happy clown

Sans tabou - Ce tome regroupe les épisodes consacrés au personnage d'Ed le Clown, parus dans la revue périodique "Yummy fur". Chester Brown (scénario et illustrations) a choisi de collecter les histoires parues dans Yummy Fur 1 à 12, de laisser de coté les autres (estimant qu'ils prolongeaient inutilement l'histoire) et de créer une nouvelle fin spécialement pour l'édition de 1992 qui est devenue la version définitive. Elle comprend également une introduction de Brown expliquant la genèse de cette édition, ainsi que 27 pages de notes en fin de volume. Une grande cité américaine est envahie par des rats toujours plus nombreux et féroces. le maire de la ville choisit de parachuter des pygmées mangeurs de rats sur la ville pour résoudre le problème. Quelque part dans la ville, une association de savants baptisée "Adventures in science" conduit des observations sur les pratiques masturbatoires des pieuvres géantes. Dans un appartement, une femme oblige son époux à vendre la vache pour obtenir de quoi s'acheter à manger. Ed le clown est arrêté par la police, accusé d'avoir sectionné la main gauche de Chester Doodley, homme de ménage dans un hôpital. Ailleurs un homme n'arrive pas à s'arrêter de déféquer. Un concours de circonstances peu ordinaires fait qu'il finit incarcéré dans la cellule voisine de celle d'Ed. Chester Doodley fait un cauchemar dans lequel il se souvient de l'histoire de Saint Justin que lui lisait sa mère, de la mort prématuré de sa sœur. Quelque temps après, il assassine Josie sa maîtresse. La tête de Ronald Reagan (président des États-Unis d'une autre dimension) se manifeste sur une partie inattendue de l'anatomie d'Ed. En début des commentaires, Chester Brown explique que l'écriture de la série "Ed the happy clown" était une forme de défi pour lui, qu'il souhaitait se prouver à lui-même qu'il était capable d'écrire et de dessiner un comics régulièrement. En termes de méthode, le déclic lui est venu à la lecture d'un ouvrage sur le surréalisme abordant l'importance de la spontanéité, et de l'écriture automatique comme outil permettant d'accéder à l'inconscient. Il prend bien soin de préciser qu'il a depuis rejeté toutes les théories freudiennes. "Ed the happy clown" a donc été écrit en partie sur la base de ce principe de libre association d'idées, d'idées attrapées au vol dans le flux de la rêverie, sans planification à long terme de la narration. Ce mode d'écriture au fil de l'inspiration explique pour partie l'aspect apparemment décousu de l'histoire. Toutefois la lecture permet de constater que chaque séquence s'imbrique parfaitement avec sa voisine pour former un récit au long cours, sous forme feuilletonesque, avec une progression logique, l'évolution des personnages et de leur situation, sans solution de continuité. La spontanéité de Chester Brown se révèle plus dans le choix des thèmes abordés, dans les situations délirantes dans lesquelles se retrouvent les personnages, dans l'absence totale de censure dans les éléments dessinés. Comme l'indique le résumé, Chester Brown n'hésite pas un instant à dessiner la matière fécale, le sang qui coule, les blessures à l'arme blanche, ou le sperme. Il y a plusieurs scènes de nudité frontale masculine comme féminine, et même une scène explicite de masturbation masculine. Cette approche sans limite réserve cet ouvrage à des lecteurs au cœur bien accroché (à tel point que l'imprimeur habituel de la série a fini par refuser de l'imprimer). D'un autre coté l'esthétique retenue par Brown fait qu'il est difficile de parler de voyeurisme. Tous les individus ont des morphologies normales (aucune musculature hypertrophiée, aucune anatomie féminine siliconée). Les dessins ressemblent plus à des illustrations d'amateur qu'à des planches bien propres sur elles. Il s'agit effectivement d'un comics publié par un éditeur indépendant (Vortex au départ, un indépendant canadien), en noir & blanc, avec une vision un peu naïve des décors. D'un autre coté, ces dessins montrent sans ambiguïté chaque action (aussi transgressive soit elle) et la mise en page est claire et facile à lire, ce qui est d'autant plus étonnant quand on sait que Brown dessiner chaque case séparément sur un petit carré de papier avant de la coller sur une plus grande feuilles, les unes à coté des autres. Le lecteur aventureux suit donc les péripéties d'Ed dans ce monde de plus en plus étrange et déroutant, dans lequel Ed subit avanie sur avanie, avec une résignation courageuse. D'un rebondissement improbable à l'autre, le lecteur peut effectivement voir émerger des éléments très personnels, très spécifiques à Chester Brown. Ce dernier estime en particulier que la santé mentale fragile de sa mère a fortement pesé sur son développement personnel. Il est facile de reconnaître sa mère dans celle lisant la vie de Saint Justin à ses enfants. Les éléments religieux intégrés à la narration (foi catholique) correspondent à son ressenti de l'époque, sa fascination pour cette foi, de même que son rejet. le thème de la matière fécale ne se ressent pas comme une régression infantile, mais plutôt comme un besoin de dépasser le tabou qui veut qu'on ne parle pas de ce genre de sujet dans un livre ou une BD. Dans les notes en fin de volume, Brown indique qu'il n'est pas très fier des relents de colonialisme engendrés par cette troupe de pygmées, et que son évocation de la gestion des égouts pointe du doigt sa méconnaissance du partage de responsabilité en matière de traitement des eaux usées, entre une municipalité et un département. Pour peu d'accepter de plonger dans un récit aussi personnel que dépourvu de tabou, le lecteur suit un individu qui subit maltraitances sur coups du sort, au fil de rebondissements extraordinaires (dans le sens où ils sortent de l'ordinaire) pour une confrontation avec des scènes absurdes, des tabous sociétaux, des expériences déformées par le subconscient, des horreurs impossibles, des personnages aussi excentriques que touchants, etc. Avec cette troisième relecture, je suis toujours aussi fasciné par ce monde délirant, devant beaucoup à l'inconscient de son auteur, capable d'aborder des sujets censurés par les bonnes mœurs, sans aucune volonté de culpabilisation, ou au contraire d'incitation à la débauche. Chester Brown nous invite à le suive dans son voyage intérieur à la fois onirique et horrifique (avec quelques touches d'humour noir), pour éprouver des sensations inédites ou interdites. Dans ces pages tout est possible, jusqu'à rencontrer 2 jumeaux nommés Quincy Harker (un hommage direct à Tomb of Dracula, une série Marvel).

25/04/2024 (modifier)
Couverture de la série Les Guerres de Lucas
Les Guerres de Lucas

Deuxième pépite que je lis chez cet éditeur. J’ai adoré !! Je vais me ranger au concert de louanges, c’est vachement bien et vraiment super bien foutu. Je n’en reviens toujours pas d’une telle maîtrise. Évidemment je suis un grand amateur de la franchise, on apprend bien sûr mille et une anecdotes sur le scénario, la production, le tournage … qui sont toutes passionnantes et savoureuses. Mais l’album va bien plus loin et dépeint vraiment bien l’époque, l’industrie cinématographique et également cette nouvelle vague de réalisateurs, en s’attachant bien sûr au personnage de Lucas (mention également à Coppola qui m’a agréablement surpris), avec comme prouesse de nous le rendre très humain et attachant. Chaque planches apportent son lot d’infos sans que ça ne soit jamais rébarbatif. C’est d’une fluidité exemplaire et parfaitement mis en images, j’étais dégoûté d’arriver à la fin, tant j’aurais voulu que mon plaisir de lecture dure. J’avais bien aimé Un tournage en enfer - Apocalypse Now, mais le présent album rentre dans d’autres sphères, franchement un must dans le genre. Absorbant, captivant et fascinant dans sa mise en œuvre, j’ai ressenti des moments d’émotions, une franche réussite.

25/04/2024 (modifier)
Couverture de la série Le Jardin - Paris
Le Jardin - Paris

Alors que le sujet n’avait pas grand chose pour m’attirer, je dois dire que j’ai rapidement été charmé par ce tome. Je n’ai pas eu les freins de mes camarades, qu’importe si l’histoire peut paraître improbable (d’autant pour l’époque), ou l’âge de notre héros qui peut faire tiquer. Je me suis laissé bercer par ce récit plein de grâce, d’élégance et de finesse dans les émotions. Le fond et la forme sont au diapason, j’en suis sorti assez bluffé. Une narration impeccable alliée à un graphisme délicat et des couleurs harmonieuses. Je ne connaissais pas l’auteure mais j’ai beaucoup aimé. Son style convient parfaitement aux années folles. Niveau récit, c’est encore mieux, non pas que j’ai trouvé l’histoire indispensable, mais j’ai été ébahi par la justesse, le doute, la pudeur, la subtilité, la retenu … des relations entre personnages, c’est le tour de force de l’album. Je n’arrive pas à mette le doigt sur le terme exact, c’est tout simplement très beau, l’antithèse de la vulgarité. Une chouette lecture pour un album que j’ai trouvé lumineux.

25/04/2024 (modifier)
Couverture de la série L'Odyssée de l'espace - Une histoire de la conquête spatiale
L'Odyssée de l'espace - Une histoire de la conquête spatiale

Les amateurs de l’histoire de la conquête spatiale ne découvriront aucun scoop dans cet album, pas d’informations nouvelles. Mais par contre on a là une somme à la fois intéressante et complète de ce que fut cette épopée. Les premières pages rappellent, l’attrait qu’ont exercé les astres et les cieux sur les Hommes, depuis la « nuit des temps ». Ce rappel historique est clair et bien fait, et il conditionne, avec l’évolution des connaissances et des appétences, le grand bond en avant – ou plutôt en hauteur – de la seconde moitié du XXème siècle. A partir des essais de von Braun durant la seconde guerre mondiale (et sa récupération par les Américains – petit point éthique qui aurait peut-être mérité une remarque, même si ça n’est pas le cœur du sujet), tout s’accélère, surtout durant la guerre froide, où les deux « grands » se lancent dans une course aux étoiles, pour des besoins militaires, mais aussi de prestige. Le gros de l’album se concentre donc sur cette période, mais aussi sur l’après guerre froide, jusqu’à aujourd’hui. Et je dois dire que la narration d'Arnaud Delalande est claire et fluide, n’ennuie jamais, même lorsque moult connaissances sont présentées au lecteur. Les aspects techniques, humains, sont exposés de façon à ce que tous les lecteurs s’y retrouvent, quelque soient leurs connaissances dans le domaine, et même si certains détails sont pointus et quasi exhaustif (l’ouvrage est publié en collaboration avec l’Agence spatiale européenne et la Société astronomique de France). J’ai vraiment bien aimé ma lecture, alors même que je ne suis a priori pas attiré par les sciences. Cette lecture est d’autant plus agréable que le dessin d’Eric Lambert est lui aussi clair et fluide. Un style classique réaliste très agréable, qui use bien d’un Noir et Blanc au trait fin (jouant aussi sur des nuances de gris), avec une mise en page aérée et dynamique. Une chouette lecture en tout cas, qui ravira les passionnés du sujet, mais qui intéressera sans aucun doute un lectorat plus large.

25/04/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 4/5
Couverture de la série Le Labyrinthe inachevé
Le Labyrinthe inachevé

Perdre le fil - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Il regroupe les cinq épisodes, tous doubles, de la minisérie, initialement parus en 2021/2022, écrits, dessinés et encrés par Jeff Lemire, avec un lettrage réalisé par Steve Wands. Il contient les couvertures originales de Lemire, ainsi que les couvertures variantes réalisées par Andrea Sorrentino, Dustin Nguyen, Gabriel Hernández Walta, Werther Dell’Edera, Dean Ormston, Matt Kindt. Il s’achève avec une postface de six pages dans laquelle l’auteur évoque la période de gestation de l’œuvre, l’influence de l’écriture de Haruki Murakami dont il avait lu plusieurs livres, sa volonté de faire quelque chose de différent de la précédente série qu’il avait écrite et dessinée, l’extraordinaire ROYAL CITY, une visite et une discussion déterminante avec son ami Matt Kindt, la décision de choisir un environnement urbain de grande ville à partir de quartiers réels de Toronto, la difficulté pour lui de créer les couvertures, trouvant finalement l’inspiration auprès des illustrations de Greg Ruth et de Michael Cho. William Warren se souvient de sa fille Wendy, décédé avant d’avoir atteint l’âge adulte. Il se rappelle qu’il avait un vieux pull rouge avec des motifs, et qu’elle le portait chaque fois qu’elle en avait l’occasion. Son épouse Elena ne l’aimait pas, et il sentait la naphtaline. Elena essayait de le jeter mais Wendy le retrouvait dans la poubelle et le récupérait. Will ne sait pas pour quelle raison elle l’aimait autant, mais maintenant quand il se souvient d’elle, c’est toujours dans ce pull rouge, avec ses mailles qui se défaisaient, et quelques bouts de laine qui s’enroulaient en tirebouchon. Au temps présent, Will est dans le métro, en train de se rendre au boulot : il exerce le métier d’inspecteur de la construction. Il ne comprend pas pourquoi il se souvient si bien de ce pull, alors qu’il a oublié les traits du visage de sa fille. C’est comme si chaque jour qui passe, et chaque pas effectué l’éloignent un peu plus d’elle. Mais il ne peut pas remonter le temps. William arrive à son bureau. Ses collègues le saluent l’un d’eux lui propose son aide pour le gros dossier qui vient de lui tomber dessus. Il s’installe à son bureau et commence à tracer un trait rouge sur un plan : ça fait dix ans et il a oublié autre chose. Un collègue s’approche de lui pour lui proposer d’aller boire un pot pour l’anniversaire de Chuck. Will décline l’offre, il préfère se rendre sur son premier chantier. Il quitte son cubicule et se met en route. Sur le site de construction d’un immeuble, il fait observer au contremaître que les barres d’armature sont trop espacées et qu’il va falloir casser et refaire. Son interlocuteur lui demande son indulgence : ça va lui demander une semaine supplémentaire. Will maintient poliment sa position, et indique qu’il repassera vendredi. Il s’éloigne tout en pensant à la pièce qu’il a à l’intérieur de lui, celle où se trouvent ses souvenirs de sa fille. Il s’y rend mentalement et en ouvre la porte. Elle est là allongée par terre, dans son pull rouge, sans traits de visage, en train de résoudre un labyrinthe dans un recueil de labyrinthes. Il la serre dans ses bras. La carrière d’auteur de comics de Jeff Lemire a débuté dans la seconde moitié des années 2000, avec des récits indépendants, à savoir la trilogie ESSEX COUNTY. Par la suite, il a continué à créer des comics indépendants, avec un passage de scénariste pour DC (Animal Man, Frankenstein agent of S.H.A.D.E., Green Arrow avec Andrea Sorrentino pour ce dernier) et pour Marvel (Extraordinary X-Men, Old Man Logan, Moon Knight). Il a également écrit pour Valiant Comics avec la série Bloodshot. Il a développé ses propres séries, y compris un univers partagé de superhéros : Black Hammer. De temps à autre, il réalise un récit plus personnel dont il assure également les dessins, comme l’émouvant Royal City, le rude Roughneck (Winter Road), ou bien le présent récit. Dès la première page, le lecteur comprend qu’il s’agit d’une histoire de perte d’un être cher : Wendy est décédée à l’âge de onze ans, et son père n’a pas achevé son deuil. Voilà qu’un signe se manifeste laissant planer le doute : il est peut-être possible de la joindre, et son père se raccroche de toute sa force à cette éventualité. S’il s’est résigné au décès de sa fille, il ne l’a pas accepté. Le lecteur fait connaissance avec William Warren, surnommé Will, inspecteur de la construction, un fonctionnaire de la ville de Toronto, même si elle n’est pas nommée dans le récit, Lemire le précise dans le dossier en fin de tome. Sa vie est devenue mécanique, une routine répétée chaque jour, pour ne plus ressentir, parce qu’il n’a plus de raison de vivre, mais aussi parce qu’il ne veut pas aller de l’avant et reconnaître que sa fille est partie définitivement. Son épouse a divorcé, elle s’est remariée avec un dénommé Daniel, et ils ont eu un fils Jack : elle a refait sa vie. Ses collègues essayent de le tirer de sa solitude choisie, en l’invitant à prendre un verre, ce qu’il refuse systématiquement. Sa voisine Lisa lui adresse régulièrement la parole, essayant d’établir un contact amical. Pour autant, Will a fait le choix très conscient de rester isolé, de conserver ses souvenirs de sa fille dont il ne parvient déjà plus à se souvenir des traits du visage. Une nuit, il est persuadé d’avoir reçu un appel téléphonique de quelques secondes, cela ne peut être qu’elle. Cela suffit pour qu’il se mette en tête de la retrouver, en se raccrochant à ce qu’il lui apparaît comme un bout de laine rouge, et en se plongeant dans ces labyrinthes qui étaient sa passion. Un fil rouge, un labyrinthe : l’inspiration est transparente, elle provient du mythe de Thésée, avec le labyrinthe, le fil d’Ariane, et peut-être un Minotaure tapi quelque part. De manière implicite, l’esprit du lecteur lui souffle qu’il n’y a aucun suspense dans cette histoire, pas vraiment une intrigue. Le monde dans lequel Will évolue est très prosaïque et l’irruption de la féerie ou du surnaturel s’avère fort improbable. Même s’il ne met pas en marche son esprit critique, il ne voit pas comment le décès de Wendy pourrait être remis en question. L’enjeu réside dans un récit intimiste, l’équilibre instable de l’état d’esprit de Will. Va-t-il se réfugier dans un monde de fantaisie, en choisissant de se comporter comme s’il restait une possibilité que sa fille soit en vie quelque part ? Va-t-il sombrer en reconnaissant la réalité brutale de son décès ? La manière de dessiner de l’artiste convent parfaitement à ce récit intimiste et à la personnalité de William Warren : des traits lâches irréguliers, avec un rendu en apparence négligé comme celui de Will. Des apparences âpres, sans souci d’embellissement, sans volonté de paraître agréable, à l’image de l’état d’esprit de Will. Les traits de contour sont irréguliers, souvent fins et presque malhabiles, en particulier pour les visages, les coiffures, les vêtements. Les décors sont représentés sommairement. Pour autant cette manière de transcrire la réalité conserve toute l’immédiateté des personnages, toute leur expressivité. Dans un premier temps, la narration visuelle peut donner une sensation parfois un peu pauvre. Il est vrai que l’auteur a choisi de faire usage de la décompression pour que le lecteur prenne le temps de s’imprégner de l’état d’esprit de Will, de subodorer ses états d’âme. Ainsi dans le premier épisode, il réalise un dessin en double page, avec uniquement un fil rouge qui part de la gauche et finit à droite séparant le tiers en bas de page du reste, avec un effet de nuage ou d’eau à l’aquarelle pour tout fond, et un cartouche qui ne contient que deux mots : onze ans. Deux pages plus loin, une autre double page avec la silhouette de Will et le même fil rouge, cette fois-ci décrivant des arabesques de part et d’autre de son corps, et remplissant ce dernier comme avec un gribouillis. La moitié du chapitre quatre est composé de Will et du chien Vern qui déambulent dans les rues vides. Dans le même épisode, Lemire réalise quatre pages avec quatre cases de la largeur de la page, et juste la tête de Will qui progresse lentement dans les ténèbres. Mais ça correspond également à une forme d’anesthésie de Will par rapport à la manière dont il vit son quotidien. Par ce mode narratif, la détresse de Will est poignante : son intensité ne se manifeste pas des accès de dépression ou par de la colère, mais elle est très profonde et elle étouffe son élan vital. Sans recours à des termes psychologiques ou psychanalytiques, Jeff Lemire fait partager la détresse de cet homme, un non-dit sur la culpabilité qu’il éprouve, sentiment qu’il refuse de s’avouer, sa manière très efficace de détourner toute chaleur humaine, à la fois parce qu’il estime qu’il ne mérite pas ce genre de relation positive, à la fois parce qu’il ne veut pas que de nouveaux sentiments positifs viennent accélérer l’effacement de ceux liés à sa fille. Le lecteur voit bien la manière dont la situation et le comportement de Will répondent au mythe de Thésée, comment le labyrinthe devient la métaphore de son cheminent intérieur. Il est perdu dans un labyrinthe émotionnel, celui du deuil, et il erre à l’intérieur sans volonté d’en sortir, sans méthode pour chercher la sortie… ou le centre du labyrinthe. Au fil des pages, l’évidence de cette métaphore devient telle que le lecteur peut se dire que c’est trop facile, trop téléphoné. Dans le même temps, cette image illustre avec une justesse parfaite le dilemme de Will, ainsi que le processus mental et émotionnel à l’œuvre, la manière dont sa volonté de conserver à tout prix le souvenir même de sa fille, l’être humain qu’elle a été, le conduit à se montrer actif, un paradoxe puisque l’action induit de nouvelles expériences et donc le début de changement qu’il redoute tant, qu’il a tout fait pour éviter, ce changement qui induit l‘éloignement des souvenirs, une autre forme d’abandon de sa fille qu’il est impuissant à combattre. Jeff Lemire a montré à plusieurs reprises dans ses récits les plus personnels qu’en tant qu’auteur, il a des thèmes de prédilection, comme les relations au sein d’une famille et le deuil. Il a également fait preuve à plusieurs reprises d’une sensibilité d’une grande justesse et d’un grand talent pour faire ressentir les émotions associées à ces thèmes. Ce récit se situe dans cette veine, les idiosyncrasies de sa narration visuelle faisant sens au regard de ce qu’il raconte, l’apparence fruste de ses dessins exprimant l’état d’esprit du personnage. Le lecteur ne peut pas rester de marbre devant une telle honnêteté émotionnelle, une empathie si bien exprimée. En fonction de sa propre sensibilité, il peut éventuellement ressentir que Jeff Lemire l’avait plus touché dans Royal City ou dans Rough Neck, ou au contraire que Mazebook est plus poignant.

25/04/2024 (modifier)