Les derniers avis (15 avis)

Par Ro
Note: 4/5
Couverture de la série Cent mille journées de prières
Cent mille journées de prières

J'ai lu cette série sans même savoir son sujet. Je l'ai prise tout d'abord pour ce qu'elle me présentait seulement : le récit d'un enfant dans les années 80 qui vit seul avec sa mère, lui étant eurasien et elle purement française, et s'interrogeant sur son père absent. J'ai trouvé cette longue introduction touchante car elle reflétait bien pour moi l'ambiance de ces années 80 quand j'étais moi-même enfant, tout en présentant avec justesse les questions qu'on peut se poser à cet âge là et les réactions faites de tristesse et de colère qu'on peut ressentir face à un sentiment d'injustice touchant à son être intime. En cela, j'ai trouvé intéressant cette relation de haine et de rapprochement avec l'enfant plus âgé qui harcèle un peu le héros avant de révéler qu'ils sont bien plus proches qu'ils ne le pensaient. Puis quand j'ai constaté que la mère du héros parlait khmer au téléphone (merci Google Lens), j'ai compris que la clé du mystère de l'absence du père se trouvait dans le génocide cambodgien mais aussi que cela allait être pour le héros et le lecteur une nouvelle quête de vérité pour savoir si ce père était un héros, un traitre ou un simple homme du commun, et comprendre pourquoi sa mère repousse tant le moment où elle acceptera enfin de parler de lui à son fils. Autant le premier tome reste purement dans un décor français et le flou complet sur ce qu'il a pu se passer, autant le second rentre plus clairement dans le dévoilement du génocide perpétré par les Khmers rouges au Cambodge et ses répercussions jusqu’en France. A travers les non-dits et le racisme ordinaire auquel il est confronté. Loo Hui Phang aborde ce thème à hauteur humaine, mêlant la grande Histoire et l’intime, et parsème son récit de métaphores visuelles fortes, comme l’oiseau messager des morts ou le trou dans le sol qui symbolisent ce qui ronge le personnage. La narration, à la fois initiatique, historique et introspective, progresse patiemment, alternant poésie et réalisme. Le second tome, plus ancré dans la tragédie cambodgienne, gagne en intensité émotionnelle et en clarté narrative, avec des moments d’une grande puissance, parfois bouleversants. L’écriture est sensible et nuancée, et le ton évite autant la froideur documentaire que l’austérité militante. Graphiquement, les trouvailles visuelles marquent, mais je note quelques limites : un trait parfois trop simple, des personnages manquant d’expressivité dans le premier tome ou, au contraire, se ressemblant trop dans le second, ce qui peut nuire à la lisibilité. Certaines planches m’ont semblé moins abouties, comme si elles avaient été finalisées dans l’urgence. Malgré ces réserves, c’est un diptyque fort et touchant, qui mêle mémoire, quête identitaire et drame historique avec intelligence. Une œuvre que je relirai volontiers, une fois le temps passé, pour replonger dans cette histoire à la fois personnelle et universelle.

15/08/2025 (modifier)
Par grogro
Note: 4/5
Couverture de la série L'Épouvanteur
L'Épouvanteur

Ce n'est pas moi qui vais dissoner sur ce coup-là : L'épouvanteur est assurément une bonne BD jeunesse que j'ai pris plaisir à lire. Le dessin m'a beaucoup plu. Il assume sa différence avec sa texture grasse et son trait épais. Le trait de Benjamin Bachelier ne manque clairement pas de personnalité, ni d’expressivité. Il est parfaitement accordé sur cette histoire de sorcières et sait également être effrayant au moment opportun. Car oui, les trognes des « méchants » font réellement peur, et le dessin engoncé dans la matière renforce ce sentiment. Les dialogues fonctionnent bien, les situations sont bien posées, tout avance de concert, sans superflu, même si le scénario n’est pas d’une originalité folle. Je n’ai jamais lu le roman de Delanay et ne suis pas en mesure de les comparer. Mais bon, il n’y a pas forcément lieu de le faire, même si cela bien entendu peu jouer sur l’avis. Cette BD tient bien toute seule et ça me va bien.

15/08/2025 (modifier)
Par Brodeck
Note: 4/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série L'Âge d'eau
L'Âge d'eau

Je viens de relire le premier tome de L'âge d'eau. On est enveloppé par l'humanité qui se dégage de ce récit, on sent aussi l'inquiétude de son auteur, préoccupé par l'état du monde actuel et celui à venir, mais le poète continue de nous émerveiller avec ces planches superbes, cette façon tendre et chaleureuse de croquer ses personnages au détour de quelques mots ou de brefs regards échangés. L'histoire se situe dans les Pays de la Loire, les terres sont en grande partie submergées, mais ici ou là, quelques individus s'obstinent à vivre au fil de l'eau et tentent d'échapper aux fonctionnaires zélés du gouvernement qui voit d'un mauvais œil ces brebis égarées. Au chaos du monde et à une sécurité relative (face à la montée des eaux, la plupart préfèrent se regrouper derrière des digues de plus en plus hautes et suivre sans broncher les directives d'un gouvernement de plus en plus autoritaire), Flao oppose l'espoir, la volonté farouche de liberté de ses personnages et la poésie. De l'aveu même de son auteur, l'écriture du tome 2 ne fut pas facile, Flao a cherché longtemps le bon angle avant de poursuivre son histoire, mais j'ai hâte de retrouver Hans, l'intrépide activiste, son frère, Gorza, un gentil géant taiseux et leur compagnon, un intrigant chien bleu, semblant venir de temps immémoriaux, magnétique narrateur de ce récit qui observe avec sagacité et magnanimité les personnages qu'il est amené à croiser et qui nous donne à voir la beauté vibrante du monde. Et ça tombe bien, le tome 2 sort bientôt !

14/08/2025 (modifier)
Par grogro
Note: 4/5
Couverture de la série Caballero Bueno - Une enquête de l'inspecteur Valverde
Caballero Bueno - Une enquête de l'inspecteur Valverde

Après La voix des bêtes, le sang des hommes, j'avais résolu de suivre Thomas Gilbert. Et je suis bien content de m'être tenu à cette idée car Caballero Bueno est à nouveau une très belle réussite. Je retrouve son trait agréable et précis, ici un chouïa plus gras, et rehaussé de couleurs plus franches, ce qui sied parfaitement à l'ambiance oppressante de ce huis-clos de polar. Huis-clos ou presque puisque se déroulant entièrement sur le petit caillou inhospitalié de l'Ile de Pâques. Ça pleut presque en permanence, ce qui ajoute encore à l'atmosphère pesante. Et c'est dans ce cadre qu'évoluent des personnages aussi bien taillés que les statues qui ornent les pentes de l'île. L'inspecteur Valverde est bien entendu celui qui focalise l’attention, avec son bon gros quintal, son cigare et ses yeux oranges vifs, jouant habilement avec les clichés, mais la place est faite aux autres protagonistes dont les caractères émergent progressivement, ainsi que leur raison d’être et tout ce qui les anime. Je ne suis habituellement pas très fan du genre polar, mais l’ambiance graphique forte a fait le reste. En outre, le scénar, basé sur l’expérience du grand-père de Thomas Lavachery, est bien troussé et la tension ne fait que s’accroitre. Du tout bueno ! Le sous-titre « une enquête de l’inspecteur Valverde » laisse en effet auguré d’une suite possible. Affaire à suivre…

14/08/2025 (modifier)
Couverture de la série On a mangé la mer - Une enquête au coeur de la crise de la pêche en France
On a mangé la mer - Une enquête au coeur de la crise de la pêche en France

Maxime de Lisle a publié l'an dernier un album traitant en grande partie du même sujet, Pillages. Mais c'était plutôt un docu-fiction. Il revient ici sur le sujet dans un documentaire pur et bien plus complet. Le hasard a voulu que je lise juste avant "Histoire de la mer", qui vient de sortir, un très bon documentaire au nom explicite, qui se terminait par un chapitre sur les menaces auxquelles la Grande Bleue est confrontée. Eh bien ce "On a mangé la mer" est dans le prolongement, et en constitue un parfait complément - tout aussi intéressant et réussi. En effet, sont passés en revue tous les problèmes posés par la surpêche, en présentant très bien les faits - chiffrés et mis en perspective - ainsi que causes et conséquences, et ce de façon quasi exhaustive. D'autres problèmes connexes sont aussi évoqués (la construction de barrages sur les fleuves ; La prolifération de certaines algues, etc.). Et tout ça est très documenté et surtout très fluide. Et donc plus qu'énervant ! Mais quelques pistes sont proposées vers la fin, rien n'est irrémédiable, comme pour le changement climatique. Mais un changement sociétal révolutionnaire est nécessaire, ainsi que des débats éclairés pour les citoyens, là aussi comme pour le changement climatique. La recherche du profit immédiat vide les océans.

13/08/2025 (modifier)
Par Alix
Note: 4/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série De pierre et d'os
De pierre et d'os

Il s’agit effectivement d’une excellente BD. L’histoire est touchante et sa protagoniste forte et attachante, j’ai vibré avec elle, ri avec elle, pleuré avec elle. J’ai beaucoup aimé découvrir le chamanisme et les croyances et modes de vie inuites, même si je suis resté un peu hermétique aux double-pages « le chant de… ». La fin est belle et juste, mais un peu abrupte, je trouve. La mise en image est réussie. Le trait est maitrisé - j’adore la représentation des personnages, et puis surtout la mise en couleur aquarelle est sublime. J’ai pris beaucoup de plaisir à admirer les paysages du Grand Nord. Une lecture humaine, prenante et marquante… un coup de cœur !

13/08/2025 (modifier)
Par gruizzli
Note: 4/5
Couverture de la série La Vie secrète des jeunes
La Vie secrète des jeunes

Je suis assez étonné par cette BD. Il faut dire que je n'avais jamais creusé ces pages que Riad Sattouf produisait à l'époque pour Charlie Hebdo, mais quelle idée géniale que de simplement décrire page après page l'étrangeté des comportements humains étalés devant lui. Disons-le tout net, cette BD n'est pas à mettre dans toute les mains et elle n'a pas spécialement vocation à faire rire. En fait, elle fait plutôt salement pleurer ... Riad Sattouf nous montre une partie de la population sous un jour nouveau. Bien qu'appelé "La vie secrète des jeunes", c'est autant les vieux, les adultes et tout le reste qui est montré ici. Sans analyse sociologique, sans regard critique, sans explication, voila ce qu'on voit dans la rue, dans les parcs, dans les trains. Voici nos contemporains. L'idée est assez géniale et le traitement très froid, presque clinique du regard de Sattouf rajoute à l'ambiance glauque de tout ça. Pas d'explications, de détail superflus, juste la banalité quotidienne des gens étranges. Et c'est assez glaçant de se rendre compte que nous vivons souvent dans une bulle sans se rendre compte que le monde autour de nous comporte des gens qui nous sont radicalement différents. La violence des propos, des gestes, envers les enfants notamment, mais aussi les femmes, ou encore les tics de langages sont surprenants. Mais c'est surtout la bêtise crasse et l'ignorance qui semblent prédominer. Riad Sattouf conserve un trait souple et pourtant radicalement précis, croquant en peu de traits une tronche, une gueule, une attitude qu'on identifie clairement. Son dessin est encore en recherche sur certains détails, mais il a déjà toute la force de ce qui sera son style, reconnu à sa juste valeur des années plus tard. Une BD qui n'est pas pour tout le monde, mais que personnellement j'ai apprécié. Elle a un côté glaçant mais qui rappelle que le monde est bien différent de ce qu'on imagine, confortablement installé dans nos vies.

13/08/2025 (modifier)
Par gruizzli
Note: 4/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Son odeur après la pluie
Son odeur après la pluie

Bon, pour mon petit retour sur BDthèque il fallait bien attaquer avec un avis trop long, trop enthousiaste et pas du tout objectif, non ? Alors que dire sur cette BD... Déjà que c'est une des récentes lectures qui m'a collé la larme à l’œil que j'apprécie d'avoir, surtout parce que j'ai été touché. Mais aussi que je ne peux que conseiller la lecture à tous ceux qui ont déjà eu un animal (félin, canin, autre). Parce que c'est une très belle lecture sur l'amitié avec les animaux, l'amour qu'on leur porte et ce que ça devient dans nos vies. Si le fait d'avoir un animal vous indiffère, si vous trouvez les gens qui parlent à leur chien gâteux, si vous pensez que les gens qui se soucient de leur chats sont émotionnellement instables, etc... Passez votre chemin. Cette BD est non seulement pas pour vous mais risque même de vous déplaire. Parce que l'auteur n'est pas tendre avec ces gens-là. Mais si vous avez eu (ou avez encore) un animal, que vous l'aimez vraiment, que vous comprenez ce que ça fait de l'avoir dans votre vie, alors cette BD est faite pour vous. Adapté d'un roman qui fut un gros succès surprise de librairie (et dont je n'ai pas du tout entendu parler, à ma grande surprise), la BD a été mise en image par Munuera qui a fait un superbe travail. Je ne suis pas un grand connaisseur de son œuvre que j'ai très vaguement survolée mais là je reconnais son dessin et la respiration qu'il a donnée à ses planches. Pour une histoire de chien, de balade, de grand air, d'espace, c'est tout à fait indiqué et les planches sont très belles, éclatantes même. Quant à l'histoire, c'est simple, banal, même. Ordinaire. Un homme et un chien, leur petite vie, comment tout évolue. Un professeur de sport, un bouvier bernois, une rencontre. Enfin, deux rencontres, ou même trois ou quatre. Des petits riens de la vie, des détails insignifiants, beaucoup trop d'amour entre l'homme et l'animal et un récit qui fait du bien au cœur même si la larme est là à la fin. Mais pas que à la fin, puisque personnellement j'ai eu mon premier coup au cœur à l'enterrement qui arrive avant et cette magnifique phrase du veuf devant la tombe. Je ne la divulgacherai pas, mais je la trouve sublime et parfaitement bien amenée dans une planche muette qui laisse éclater ces simples mots. L'auteur originel semble aimer les mots et goûte à cet art de l'écriture parfois lyrique, presque poétique, cette touche d'originalité qui invite à s'amuser avec la langue plus qu'à raconter. La mise en BD a gardé certaines phrases, clairement, et les ajoute à son dynamisme, sa colorisation et surtout sa patte graphique qui rajoute une sorte de collection d'instants, comme des photos commentées dans un album. Une lecture plaisante pour un récit qui m'a beaucoup touché. Personnellement j'ai eu la chance de vivre avec le chien de ma colocataire pendant trois ans et je dois dire que ce récit m'a fait remonter souvenirs, émotions et larmes. Et maintenant que je me suis épanché si longtemps dessus, dois-je vraiment ajouter que je recommande la lecture ?

13/08/2025 (modifier)
Par Présence
Note: 4/5
Couverture de la série La Nuit est belle
La Nuit est belle

Le mélodrame sauve l'innocence. - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Son édition originale date de 2025. Il a été réalisé par David Graham pour le scénario, et par Aurélie Guarino pour les dessins et les couleurs. Il compte quatre-vingt quatorze pages de bande dessinée. Les personnages n’ayant ni prénom, ni nom, ils seront appelés comme sur la couverture : Loser, Danseuse, Pharmacienne, et Oscar Wilde (Ha, oui, lui il est nommé). Dans les couloirs de l’aéroport de Roissy, Loser pousse tout le monde dans un escalator, puis court comme un dératé dans les longs couloirs, pour enfin arriver devant l’hôtesse d’enregistrement. Elle lui annonce que c’est trop tard, car l’enregistrement est terminé, l’avion va décoller. Une autre jeune femme arrive en courant pour s’enregistrer, et elle reçoit la même réponse. L’hôtesse ajoute : Le prochain vol pour Miami est dans trois heures, c’est le dernier avant demain midi. Il est complet, mais il y aura peut-être une place ou deux, il y a toujours des retardataires qui perdent leur place. Danseuse va s’assoir sur un siège pour attendre, Loser vient s’installer à côté d’elle et essaye d’entamer la conversation. Il pose quelques questions gentiment, elle répond du bout des lèvres, sans donner beaucoup d’informations. Finalement l’heure de l’embarquement arrive, et ils se dirigent vers l’hôtesse. Elle les informe qu’il reste quatre places, une famille. Si elle n’est pas là dans cinq minutes, ils pourront embarquer tous les deux. Les minutes s’égrènent et soudain la famille surgit en courant. Lui et elle sont consternés. Ils se rendent au guichet de la compagnie aérienne pour changer leur billet. Elle s’éloigne pour aller trouver un hôtel dans l’aéroport, pour dormir. Il lui propose de plutôt en profiter pour aller à Paris. Il ajoute qu’il a sa voiture et qu’il est insomniaque, il ne la drague pas. Loser conduit sa voiture et demande à Danseuse où elle souhaite aller. Elle lui répond : le vingtième arrondissement. Arrivés devant le portail du cimetière du Père Lachaise, elle lui demande de l’aider à l’escalader pour s’y introduire. Ce qu’il fait, et les voilà dans l’enceinte, à déambuler dans les allées à la recherche d’une tombe bien précise. Il en profite pour consulter son portable et il lit à haute voix : L’intrusion dans un cimetière est passible d’une amende de cinquième classe pouvant aller jusqu’à mille cinq cents euros. Pour la profanation d’une tombe, la peine encourue est d’un an d’emprisonnement et de quinze mille euros d’amende. Compte-t-elle profaner une tombe ? Elle lui raconte que quand elle avait dix-sept ans, elle venait souvent ici avec sa copine Esther : Oscar Wilde était son héros. C’était à cause d’une lettre envoyée à son amant, Lord Alfred Douglas, qu’Oscar Wilde a été condamné à la prison. Esther voulait venger Oscar, mais aussi faire de ces baisers un symbole de liberté. Elles embrassaient donc la statue Flying Demon Angel en laissant une trace de rouge à lèvres. Elles revenaient souvent embrasser Oscar. Un jour, elles se sont aperçues qu’elles avaient inspiré des gens. Oscar recevait des baisers et des messages. Sa tombe était devenue un repère où l’on venait fêter la liberté d’aimer. Quatre personnages aussi communs qu’improbables. Tout commence par un retard à l’embarquement, et l’insistance gentille d’un monsieur pour lier connaissance avec celle qui est arrivée en retard comme lui. Voilà deux personnes qui ne se connaissent pas en train de faire une virée dans un Paris nocturne. Arriver en retard à l’enregistrement, espérer qu’il y ait un désistement dans le vol suivant : plausible, voire banal pour certains. Accepter d’aller se promener à Paris de nuit avec un inconnu, plutôt que de dormir (mal) dans un hôtel : inattendu. S’introduire de nuit dans le cimetière du Père Lachaise : cela commence à sortir un peu du réalisme. Rencontre un quasi-fantôme, celui d’un écrivain à la réputation internationale. La danseuse le résume le mieux : Alors on va sur une tombe, une sur soixante-dix mille… Et on choisit la seule qui est hantée ? C’est quand même pas de chance. Par ailleurs ce quasi-fantôme ressemble peu à l’original. Il s’en suit une course-poursuite en voiture dans Paris au cours de laquelle les fuyards réussissent à semer la Police : peu probable. Le lecteur fait le rapprochement avec la mention à répétition (jusqu’à en devenir un gag récurrent) du livre Le fantôme de Canterville (1887). Pas de doute, ce récit s’apparente à un conte, les auteurs font usage de licence poétique. En particulier, la dessinatrice s’amuse bien avec les preuves de l’immortalité de Wilde. La première scène se déroule par un beau soleil de printemps, peut-être de début d’été, avec des couleurs claires et des couleurs gaies. La mise en couleurs vient discrètement apporter des éléments d’information. Par exemple, l’évolution du camaïeu derrière les vitres de la zone d’attente qui passe du jaune orangé à un violet sombre pour marquer les heures qui passent, de l’après-midi à la nuit tombée. En page huit, elle réalise une mosaïque de rectangles colorés pour évoquer l’impression subliminale des éclairages artificiels et des enseignes. En page neuf, le lecteur admire un magnifique ciel étoilé dans une illustration en pleine page, en se faisant la remarque intérieure qu’il s’agit également pour partie d’une licence poétique dans cette banlieue. En page treize, la couleur prend le pas sur les contours encrés pour un effet de silhouettes ou d’ombres chinoises dans le cimetière. L’artiste met ainsi en œuvre différentes techniques : en page vingt-et-un un entrecroisement de traits au crayon gras pour un effet de plafond rocheux dans les ténèbres, en page vingt-cinq des traces lumineuses de phares de voiture pour rendre compte de la vitesse, en page quarante-neuf un passage par le noir & blanc avec des nuances de gris pour un vieux film, en page soixante-dix une case avec un fond rouge pour rendre compte de la violence, etc. Ainsi discrètement, la narration visuelle devient d’autant plus variée et animée. Les personnages apparaissent tous sympathiques, même ceux en colère, ou les figurants. Les visages sont représentés avec un degré de simplification. La dessinatrice joue avec leur expressivité en l’augmentant, sans systématisme, plus pour faciliter l’empathie du lecteur. Le lecteur peut porter un jugement de valeur sur le comportement de chacun des quatre personnages, ce qui ne diminue en rien l’empathie qu’il éprouve pour eux. L’artiste sait les rendre sympathiques et uniques : la sollicitude bienveillante de Danseuse, le détachement de Wilde du fait de son grand âge, le caractère un peu fataliste de Loser, la détermination teintée de sarcasme de Pharmacienne. Toujours sur le même plan, Le lecteur éprouve la sensation de suivre une aventure assez posée le temps d’une nuit. En y repensant, il se rend compte des différents lieux visités : un aéroport dans tout ce qu’il a de lieu de passage, le cimetière du Père Lachaise dont le tombeau de Wilde, un café parisien, un pont au-dessus de la Seine, une pharmacie, un grand café avec un grand espace karaoké, le parvis du palais Garnier place de l’Opéra, une grande librairie spacieuse, etc. Le lecteur apprécie le sens du détail de l’artiste, par exemple : les silhouettes de mannequin et leurs robes dans une boutique de l’aéroport, la guirlande de petits fanions dans le bar, le magnifique dallage de la pharmacie, la superbe porte en chêne d’un immeuble haussmannien, le jeu de lumières du karaoké, les graffitis sur les vitres de protection de la tombe de Wilde, etc. Le lecteur se sent tout acquis à la situation problématique des personnages. Il en découvre rapidement un peu plus sur Danseuse : son attachement au tombeau de l’écrivain. Il faut attendre plus longtemps pour en savoir plus sur Loser. Le ressort de l’intrigue est explicité à la fin du premier tiers de l’ouvrage. Ce qui déclenche les actions des personnages pour y remédier de plus ou moins bonne grâce. Le lecteur se rend compte qu’il apprécie de simplement passer du temps avec eux, sans trop se préoccuper d’une trame générale, sans même s’inquiéter de savoir s’ils seront à temps à l’aéroport le lendemain pour leur avion. Cela tient pour partie à la sympathie générée par les personnages, et pour partie à la forme de conte. Pour échapper à la police, Loser doit abandonner sa voiture, qui fera certainement l’objet d’une contravention, au minimum, cela ne préoccupe aucun personnage. Ils dont dû y abandonner leurs valises avec leurs effets personnels, aucune arrière-pensée non plus. Dans le cimetière, Loser se fait une méchante blessure : une branche ou une racine acérée qui se plante dans son mollet droit. Un simple bandage et une désinfection plus tard, et tout est oublié. Pour autant, la lecture comporte plusieurs autres centres d’intérêt, autre que l’intrigue proprement dite. Le lecteur ne peut pas s’empêcher de se demander, voire de de souhaiter qu’il se développe une relation affective entre Danseuse et Loser. Il sourit en voyant la forme de rébellion de Pharmacienne contre sa condition, car les auteurs n’hésitent pas à l’armer de cocktails Molotov faits maison, et même d’une grenade ! Il y a également le cas de ce quasi-fantôme. Le lecteur comprend que la mention répétée du Fantôme de Canterville agit à la fois comme un hommage, et comme une indication sur l’influence de cette histoire. Cela amène Oscar à évoquer l’exercice de son art d’écrivain, et à rappeler qu’il a écrit d’autres choses, par exemple Le portrait de Dorian Gray (1890). Plus loin, le libraire complète sa bibliographie : Wilde a écrit des pièces de théâtre, des contes, de la poésie, des lettres. Beaucoup de lettres… Il a beaucoup aimé Salomé. C’est une pièce formidable. Mais Son livre préféré de Wilde, c’est De profundis. Une longue lettre adressée à son amant, lord Alfred Douglas. Le lecteur peut ressentir que c’est un écrivain qui a compté aussi pour les présents auteurs. Au fur et à mesure émerge une autre thématique, celle de l’insatisfaction, de la répétition des schémas, de la vie qui semble comme bloquée dans une phase inextricable. La bande dessinée établit ce constat pour les différents personnages, sans proposer de solution miracle ou d’action magique (bien qu’il s’agisse d’un conte), mettant en lumière les effets de cette simple prise de conscience, à la fois de prise de recul sur sa vie, à la fois d’analyse de ce qui est en jeu. Une petite virée nocturne dans Paris, à quatre, avec un quasi-fantôme (et pas n’importe lequel), une super danseuse, une pharmacienne phénomène, un vrai faux loser ? Une narration visuelle douce et vive, discrètement variée et riche, un vrai plaisir de lecture. Des personnages sympathiques avec leurs défauts, et une narration s’apparentant par certains aspects à un conte. Une prise de conscience nécessaire sur une forme de décalage entre ce que l’on vit et ce que l’on souhaite. Attentionné.

13/08/2025 (modifier)
Couverture de la série Maleficarum
Maleficarum

Ouch. Cet album profite pleinement de sa contrainte de durée pour mettre une belle petite claque. Tout s'enchaîne très vite, on passe rapidement des belles illustrations poétique à l'acte abject, la fin est brutale et fait mal, l'absence totale de dialogue est glaçante. C'est beau. Le trait de Claire Bouilhac est magnifique, l'utilisation de la figure de la sorcière pertinente, la lecture parvient à faire mouche en seulement 16 pages alors que le sujet à déjà été abordé de nombreuses fois, … Chapeau (de sorcière) ! (Note réelle 3,5)

12/08/2025 (modifier)