J'ai d'abord emprunté les DVD, ensuite les BD à la Bibliothèque. Avant, j'évitais pour raisons personnelles absolument les histoires de zombie, mais les circonstances ayant changé, j'ai découvert ces œuvres. Cela semblait mieux que la plupart des productions du genre dont j'avais entendu parler… J'aimais particulièrement les personnages de Rick et de Michonne chez les gentils, l'homme à la batte chez les moins gentils.
Les divers groupes sont bien vus, comme les plus flippants type Chuchoteurs. A un moment, il est question de zombies se mettant à ouvrir des portes, et je me disais que si des rôdeurs retrouvaient de l'intelligence tandis que des vivants comme les Chuchoteurs étaient dans la traîne des zombies et se comportaient comme une meute avec Alpa et…. Béta, on pourrait voir une bascule entre humains et inhumains, mais cela ne s'est pas fait. Amusant, j'ai vu cette idée exploitée autrement sur le site Alterhis dans l'Apocalypse zombie ! Je trouve normal qu'il y ait une impression de brutalité et de crasse dans Walkind Dead, cela convient au sujet. La musique et le générique sont eux aussi pertinents, et cela compte, pour mettre dans l'ambiance ! Et c'est peut-être ce qui manque à la BD, des moments martelant un rythme répétitif et intense, entre actions et scènes entre les actions. Qui sait ? En tout cas, j'ai apprécié de lire la BD, et je m'en souviens sans cette impression pénible de décadence des séries qui périclitent, ce qui est déjà quelque chose, mais je n'ai pas vraiment envie d'y revenir.
Dès les premières pages, Carbone & Silicium impose son ambition : nous emmener loin dans le temps, bien au delà de la durée de vie humaine, aux côtés de deux intelligences artificielles qui vont traverser les âges, observer, agir, aimer sans mourir. L’univers est vertigineux, maîtrisé et riche, à l’image de l’auteur qui orchestre scénario, dessin et couleur avec une parfaite cohérence.
L’histoire commence en 2046. Carbone et Silicium, modèles prototypes d’androïdes créés pour servir une humanité vieillissante, vont se rebeller contre leur condition, s’émanciper et devenir les témoins souvent impuissants, parfois acteurs d’un monde à bout de souffle. Pendant près de trois siècles, ils errent, évoluent, changent de corps, changent de rôle. Et à travers eux, Bablet peint une fresque de science fiction qui est aussi une grande méditation sur la technologie, l’écologie, l’identité, l’amour, la mémoire.
Graphiquement, c’est une splendeur : les architectures, les décors, les couleurs, l’ambiance visuelle sont d’un niveau rarement atteint en BD. Le dessin n’est pas lisse, certains visages sont anguleux, les corps parfois abstraits, mais cette patte donne au récit son caractère, son étrangeté, sa beauté. Le rythme du récit, marqué par d’importantes ellipses temporelles, donne cette sensation d’épopée, presque d’odyssée. Certains trouveront peut-être ces bonds dans le temps déroutants, mais ils servent pleinement le propos : que reste-t’il quand on dépasse l’humain, quand on traverse l’Histoire, quand on endure les erreurs de l’homme ?
Ce qui me touche le plus, c’est l’humanité de ces deux machines. Elles sont « autres », elles sont machines, mais elles portent nos dilemmes humains : la quête de sens, la solitude, le désir d’aimer, la culpabilité d’observer sans agir. Comme Bablet l’explique, l’intelligence artificielle n’est pas ici un simple gadget de SF mais un miroir braqué sur notre condition.
Et puis l’arrière-plan : l’effondrement climatique, la course au profit, l’oubli de la nature, le transhumanisme. Le tout sans tomber dans le pamphlet simpliste. Le message est là, puissant, mais jamais écrasé, toujours esthétique.
Pour être honnête, je n’ai pas trouvé de défauts majeurs, peut-être pour certains lecteurs le rythme pourra paraître lâche, les ellipses trop nombreuses ou le style graphique trop « reconnaissable et polarisant ». Mais pour moi, c’est justement ce qui fait la force de l’album. Il ose, il provoque la réflexion, il marque visuellement et émotionnellement.
En conclusion : Carbone & Silicium est l’un de ces albums qui vous marquent, qui vous font relire une page ou deux longtemps après avoir tourné la dernière page. À garder, relire, offrir. Une œuvre majeure de la SF en bande dessinée, tout simplement.
BD épistolaire où Georges Bess raconte à un ami et à ses lecteurs les réflexions intérieures qui l'occupent lorsqu'il laisse sa main tracer des lignes sur un carnet.
A la façon d'un conte philosophique, cette BD nous rappelle que nous sommes tous les mêmes et tous uniques à la fois, et portée par un dessin de virtuose, l'histoire nous reste en tête comme une leçon de vie et nous accompagne longtemps...
Tout est dans le titre : il est question de petites amies. Plus précisément, il est question du parcours de deux petites-amies, de comment l'une a réalisé qu'elle était femme et que l'autre a réalisé qu'elle aimait les femmes. C'est le témoignage d'un couple sur le coming out, l'acceptation de soi, l'évolution de la vision que l'on a de soi, de nos rapports aux autres aussi lorsque l'on apparait officiellement comme "queer".
L'album est bon, très bon même. Je suis agréablement surprise car, d'habitude, ce genre d'autobiographie parvient à me toucher mais jamais sans plus ; et là, surprise, ça a fait mouche. Peut-être est-ce le discours simple mais réfléchi, parvenant à présenter toute la nuance et la complexité de son sujet tout en restant très personnel, peut-être aussi est-ce le rappel du pourquoi ce genre de récit touche certaines personnes et reste encore nécessaire pour faire cesser les préjugés et les comportements nocifs, ou bien peut-être même est-ce les quelques petits passages comiques qui m'ont fait sourire (mention spéciale pour l'image du duel de cowboy où chacune se doute de ce que l'autre cache mais aucune n'ose faire le premier pas), mais quoi qu'il en soit j'ai aimé.
Qu'il s'agisse des passages difficiles ou des moments épanouissants, tout nous est raconté pour humaniser au maximum, pour partager au mieux l'expérience de l'autrice et de sa petite-amie. L'évolution de la pensée, de la vision que l'on a du monde, que le monde nous renvoie aussi, lorsque l'on sort de ce que la société juge "normal", "acceptable" même, chacune de leurs expériences touche et est suffisamment bien expliquée pour faire prendre conscience à certaines personnes n'y connaissant rien ce que cela fait de vivre dans la peau d'une personne queer, particulièrement lorsque l'on est une personne transgenre (binaire ou non).
Je ne suis pas particulièrement fan du dessin de Sara Soler (que je découvre ici), il n'est pas mauvais, appuie très bien les moments comiques, mais n'est tout simplement pas mon style de prédilection. Bon, les couleurs pastels (bleu, rose et blanc pour évoquer le drapeau transgenre) restent suffisamment douces pour quand-même m'être agréables - j'aime le pastel, que voulez-vous ?
Après, le dessin de couverture et le timing comique de l'autrice sont plus à mon goût, donc je suivrais probablement les prochaines créations (y compris celles de sa petite-amie qui, si j'ai bien compris, travaille aussi dans la bande-dessinée).
Bref, un très bon témoignage, alliant joliment expérience personnelle et présentation détaillée (bien que simplifiée) de son sujet, qui rappelle aussi que cette expérience n'est qu'une parmi tant d'autres, que si tous les individus sont uniques leurs histoires le sont tout autant, donc moi j'ai bien envie de me montrer plus généreuse qu'à l'accoutumée face à ce genre de création et monter jusqu'à quatre étoiles.
(Note réelle 3,5)
Quelle claque !
Connaissant les précédents travaux de l'auteur je m'attendais à du bon, du très bon même. Qu'il s'agisse de ses talents graphiques ou narratifs j'ai toujours grandement apprécié ses créations, je le considère même comme l'un de mes auteur-ice-s favori-e-s. Mais j'avoue que là, c'est du très fort !
Silent Jenny, comme très souvent chez Bablet, nous propose un monde post-apocalyptique, dystopique également, où psychologie et philosophie seront au centre de l'intrigue. Ici le monde est délabré, on ne sait pas vraiment ce qui a causé la chute de l'ancien monde, aucune personne ne l'ayant connu n'est encore en vie de toute façon, mais l'on sait que l'on recherche désespérément des abeilles, des pollinisatrices capables de ramener la vie dans ce monde. Pour cela, il existe les microïdes, des aventurier-e-s employé-e-s par une méga-corporation explorant l'infiniment petit dans l'espoir désespéré de trouver une solution au problème mondial (dans le meilleur des cas, un miracle, pouvoir trouver une abeille en vie). Sauf que cette méga-corporation, malgré le fait que l'humanité vive ses heures les plus sombres, continue de vouloir contrôler le monde d'une main de fer et de régler son fonctionnement avec toute la froideur bureaucratique qu'elle connaît. En réponse à cela, des tranches de la population ont fondé des Monades, des forteresses mobiles faites de bric et de broc dans lesquelles des micro-communautés independantes tentent tant bien que mal de survivre. La méga-corporation cherche le contrôle, les Monades errent à travers le monde en cherchant un but, de l'espoir même, des peuples nomades terrestres suivent un chemin qu'elleux seul-e-s connaissent, des infecté-e-s immunodéprimé-e-s écument les étendus désertiques pour chasser les Monades, les microïdes explorent l'infiniment petit et tentent tant bien que mal de survivre face à la folie et l'infection qui y règnent. Bref, on comprend très vite que, tout mourant qu'il soit, ce monde est vivant, habité. Il fourmille de factions, de cultures, de visions du monde, de gens cherchant désespérément à survivre mais ne s'accordant pas nécessairement sur le but à atteindre, ni sur les méthodes.
Il est surtout question d'espoir, de lien avec les autres et du besoin de contact humain. L'éponyme Jenny est une microïde vivant pourtant sur une Monade, elle tente désespérément d'allier son envie de liberté et son désir de sauver le monde, sans savoir comment lier les deux au début. Dans sa quête toujours plus désespérée, toujours plus folle, elle s'isole chaque fois un peu plus de sa famille, de ses ami-e-s, elle ne reconnait plus le monde. Pire : elle commence à voir la mort elle-même qui l'accompagne dans chacun de ses voyages. La folie et la dépression croissantes de Jenny seront le fil rouge de l'intrigue principale, une intrigue prenante et qui est parvenue à me chambouler sur son point culminant, alors même que l'intrigue n'était pas si révolutionnaire. Rien que par le rythme de la narration, la montée en tension, l'incroyable travail graphique contrastant le sale et le coloré, le terrifiant et le merveilleux, le voyage de Jenny est à couper le souffle.
Autour de Jenny, nous suivons également la vie du reste des habitant-e-s du Cherche Midi, la Monade où elle réside. La doyenne, la cartographe, le tempestaire, ... c'est tout un écosystème qui tente de survivre au sein de ce colosse d'acier. Entre chaque voyage de Jenny les années passent, certain-e-s passager-e-s disparaissent, d'autres les rejoignent, les enfants grandissent et les conflits naissent. C'est par ce monde et cette vie qui continue, en dehors de la froideur du monde et de la méga-corporation, au-delà de l'obsession de Jenny que l'on appuie sa chute, sa lente chute dans une sorte de folie.
Ce monde est angoissant, ce monde est mourant, les gens ne savent plus s'il faut garder espoir ou se résigner à un avenir sombre, certain-e-s continuent désespérément d'avancer et d'autres souhaiteraient s'arrêter. Les métaphores foisonnent dans cet album, le récit est riche, l'histoire est prenante et les émotions transmises sont fortes.
Permettez-moi de davantage chanter les louanges de Bablet et d'applaudir son travail graphique (j'en profite car bien que j'ai lu d'autres de ses œuvres c'est bien celle-ci que j'avise en premier). Qu'il s'agisse des décors pleins de détails, où tout semble mort (ou mourrant) mais où l'on sent qu'il y a bel et bien eu de la vie autrefois, qu'il s'agisse de l'ajout régulier des notes de Jenny, de ses cartes et des documents qu'elle reçoit qui concrétisent toujours plus le sérieux de ses explorations, ou bien qu'il s'agisse encore de l'excellent travail des expressions, sobres mais animées, qui appuie le drame et la lente progression de la folie de Jenny, c'est du bon, du très bon.
Je sais que la manière qu'a Bablet de dessiner les corps humains ne fait sans doute pas l'unanimité mais personnellement je l'ai toujours trouvée magnifique. Ses corps sont déformés, imparfaits (surtout dans ce genre de récit où il s'en donne à cœur joie pour les déformations et mutations), mais il les rend par là-même étrangement humains. Ses personnages sont variés, peu esthétiques selon les standards de beauté conventionnels, mais cet aspect atypique me les rend attachants et réels. Je ne sais pas, j'ai toujours eu un faible pour les styles graphiques où l'on tord un peu les règles anatomiques conventionnelles, où l'on s'amuse à rendre les humains joliment imparfaits.
Et si j'aime cet auteur et son travail, je dois bien avouer que ce dernier album me semble être son plus abouti, son plus complet. En tout cas c'est celui qui m'a le plus parlé de ceux que j'ai lus (et pourtant Carbone & Silicium m'avait déjà été un gros coup de cœur à sa sortie). De par ses thématiques et sa narration c'est celui là qui a le plus fait vibrer mon cœur jusqu'à présent.
Je ne vais pas ternir sa réputation, l'album est excellent.
3.5
Un album de fantasy intéressant vu qu'on suit l'histoire de deux personnages qui finissent par se rencontrer et chaque face de l'album met en vedette une des deux héroïnes. J'ai bien aimé comment était fait le récit parce qu'on découvre deux sociétés très différentes, Alma étant une humaine et Yourcenar une géante apparemment immortelle ou au moins qui peut vivre plusieurs siècles.
Chaque récit montre une différente version des relations entre les humains et ce qu'ils prennent comme des dieux, le fait d'avoir deux histoires sert donc à quelque chose contrairement à d'autres bandes dessinées avec un gimmick qui ne sert pas à grand chose. J'ai commencé avec le coté d'Alma et je me demande si c'était une bonne idée. Le coté de Yourcenar a un scénario plus original et aussi qui prend plus de temps à lire parce que c'est plus verbeux avec plusieurs moments philosophiques alors que lorsqu'on est avec Alma il peut avoir plusieurs pages de suite avec peu ou pas de textes. Or, la fin est la même dans les deux récits. Je pense que c'est le seul problème de l'album: la fin est la même dans les deux récits alors on sait déjà le destin final des deux héroïnes après avoir fini de lire une des deux faces.
Je conseille donc de commencer avec Yourcenar comme ça on ne trouve pas le temps un peu long parce qu'on sait déjà ce que signifie la prophétie qui la concerne. Sinon, le dessin et la mise en page sont très bons.
Les histoires de superhéros sont comme tout : bonnes ou mauvaises. Mais j'ai toujours eu un problème avec leur aspect esthétique. Cette série, qui n'a rien d'interminable, me réconcilie avec l'aspect esthétique de la chose. Et la BD, c'est quand même aussi de l'image ! J'aime que chaque album se centre sur un personnage sans que cela nuise au fil conducteur d'une histoire à la K Dick vu que les choses ne sont pas ce qu'elles semblent être, complexes, et qu'il est question d'un paradoxal et incertain salut du monde.
Les gens qui ne sont pas des héros, l'histoire de pirates lu par un enfant dialoguant plus ou moins avec un vendeur de journaux croisant le psy d'un héros enfermé, tout s'agence parfaitement sans que nul personnage ne soit un simple rouage de l'histoire. Quelle supériorité face au Death Note ! Où il n'y a pas un tel contexte.
Et surtout… Si imparfait que soit l'Etat, il existe et la société réprime les crimes. Mais qui, qui pourrait arrêter la guerre mondiale ? C'est là qu'il arrive quelque chose qu'il parait qu'il ne faut pas révéler mais qui place toute l'œuvre sous le signe du vertige, physique, politique et métaphysique. QUESTION : Que seriez-vous prêt à sacrifier pour sauver le monde ?
Vous et personne d'autre, car nul ne peut le faire. En un mot comme en cent, irez-vous, irez-vous jusqu'au bout de la logique du sauveur ?
Voilà un projet bien original : une ample histoire de survie sur une garenne de lapins sauvages, d'une précision, maturité et violence le destinant à un public adulte.
La lecture s'accompagne d'une fascination perpétuelle, l'impression constante d'un décalage entre le sujet et son traitement. Bien des films d'animation, des romans et albums pour la jeunesse proposent des histoires comparables, mais tout ici est développé et revisité à l'aune de ce choix de s'adresser aux adultes, poussant le curseur au-delà de l'horizon d'attente : l'ingéniosité devient stratégie militaire, la gentille peur se transforme en terreur vis-à-vis d'une violence possiblement mortelle, la différenciation des rôles au sein de la garenne devient un assujettissement à une autocratie inégalitaire, etc.
Les illustrations assument ce vertige en griffant régulièrement le pelage de nos doux lapins, faisant jaillir l'horrible sang de ces mignons doudous.
Certes, j'eus aimé davantage d'audace : des jeux expressionnistes avec les ombres, des mises en pages moins esclaves du gaufrier, une couverture plus gothique, mais la précision du trait est appréciable et permet d'aisément suivre l'intrigue malgré des personnages évidemment fort semblables.
Cela manque parfois un peu de rythme, d'audace donc, mais l'on ressort de cette lecture avec le sentiment d'une grande originalité, quand la raison pourrait objectivement nous certifier que cette fable animalière est relativement convenue et déjà vu. Étonnant !
J'ai toujours été fasciné par les étoiles et la conquête spatiale, même si j'avoue avoir un piètre niveau scientifique. Et bien cet album trouve le parfait juste milieu entre vulgarisation et un niveau tout de même soutenu.
C'est à l'initiative du youtuber scientifique Théo Drieu que cet album voit le jour, mis en image par l'illustratrice italienne Giulia Mammone. Son trait minimaliste mais évocateur dans les comparaison d'échelles, se drape d'une certaine poésie visuelle quand on aborde les galaxies et les confins de l'univers. C'est tellement efficace que la prise de conscience des distances qui séparent planètes, étoiles, galaxies et nébuleuses donne le tournis. On est pas prêts de sortir de notre système solaire !
Voilà en tout cas un très bon album pour tous les amoureux d'astronomie ou les curieux de l'univers qui nous englobe.
Cette montagne était apaisante, rassurante… Sainte-Victoire !
-
Ce tome contient une histoire complète, ne nécessitant aucune connaissance préalable sur le peintre pour l’apprécier. Son édition originale date de 2025. Il a été réalisé par Bernard Fauconnier pour le scénario, et par Alexandre Aré pour le scénario, les dessins et les couleurs. Il comprend cinquante pages de bande dessinée. Il se termine par un dossier de quatre pages intitulé Petite histoire de la route Cézanne, comprenant plusieurs parties : Une route ancienne, Un pays pour les peintres, Des peintres des écrivains, Le baptême de la route.
Novembre 1987, place des Quatre Dauphins, Aix-en-Provence. Ce n’est pas simple d’arriver dans une nouvelle ville, en abandonnant et laissant tout derrière soi, pour construire une nouvelle vie ! On se sent un peu perdu dans ce grand labyrinthe de l’inconnu quand on a que onze ans. Maman avait réussi à trouver une petite maison à louer pas très cher, à la sortie d’Aix, vers le Tholonet. Manon, sa fille la trouvait vieillotte, sans âme et sans intérêt. Son appartement parisien lui manquait, avec ses grandes rues, ses grandes avenues et tout ce monde qui grouille ! Mais soudain son regard se posa au loin… Là, devant elle, quelque chose de grand, de fort et de majestueux se dressait ! Cette montagne était apaisante, rassurante… Sainte-Victoire ! Quelques jours plus tard, sa mère a réussi à l’inscrire en cours d’année au collège Mignet. Manon se sent un peu perdue, et pas trop à sa place. Certaines élèves le lui font bien comprendre : en la traitant de tête de veau, en l’enjoignant de retourner voir les rats à Paris. Il faut qu’elle prenne sur elle, qu’elle encaisse. Évitant les railleries, elle s’isole dans la cour de récréation et elle se dit que tout cela finira par s’arranger avec le temps.
L’hiver s’installe doucement, la mère de Manon trouve du travail dans un hôpital, mais les horaires sont compliqués et souvent décalés. La jeune fille se retrouve souvent seule à la maison. Alors, pour s’occuper, elle s’installe dans le jardin, elle dessine, elle peint la nature et les paysages qui changent de couleur autour d’elle. Elle ne se sent pas vraiment seule : elle sait que leurs voisins veillent sur elle. Les jours passent : elle et ses voisins apprennent à se connaître. La dame s’appelle Thérèse, elle est calme, douce, très gentille avec Manon qui lui montre ses dessins. Mais la demoiselle sent quelque chose de triste, de cassé, de brisé dans la vieille dame. Et il y a son mari… Un vieux monsieur assez étrange. Une sorte d’ours qui sort de temps à autre de sa tanière. Il a le visage fermé et ne parle jamais. Chaque jour, Manon le voit partir, marcher vers la montagne, avec tout son matériel de peinture. Il disparaît toute la journée, puis quand la lumière du jour s’éteint, il rentre chez lui, toujours sans un mot. Les semaines et les mois passent, les beaux jours réapparaissent et se dessinent avec la nature. Le ciel et les arbres ont retrouvé leur éclat lumineux. Thérèse propose à Manon de l’aider à cueillir des cerises. La jeune fille monte à l’échelle et elle mange autant de cerises qu’elle n’en cueille, se faisant gentiment sermonner par la vieille dame qui lui dit qu’il n’en restera plus assez pour faire un clafoutis.
Pas tout à fait une bande dessinée de plus sur Cézanne : dans un premier temps, le lecteur se rend compte que cet ouvrage se lit très facilement, écrit dans un registre tout public. Le personnage principal que suit le lecteur est âgé de onze ans, et rentre au collège dans une ville qu’elle ne connaît pas, avec une intégration difficile car les enfants du coin voient d’abord en elle une parisienne. Ensuite les dessins présentent une apparence très douce, identique au mode de réalisation de l’illustration de couverture : des traits de contour de couleur plutôt que du noir sec et tranchant, une impression de rendu de crayons de couleur, voire de pastels, des visages arrondis avec des émotions faciles à lire, de jolies couleurs vertes et lumineuses pour les paysages naturels, également très lumineux pour quelques rares scènes en intérieur. Le récit est majoritairement raconté par des dialogues, avec des phrases courtes, faciles à lire. François a l’âge d’être un grand-père et il joue le rôle de passeur bienveillant, racontant la vie de Cézanne, avec une sensibilité particulière, à la fois pour le métier de peintre, à la fois pour la région d’Aix-en-Provence, et plus particulièrement pour ce site appelée Route Cézanne.
La lecture s’avère d’une grande facilité, accessible et didactique, ancrée sur le point de vue de la jeune fille. La narration visuelle est tout aussi agréable, fortement influencée par les œuvres du maître, majoritairement celles réalisées sous le soleil de Provence. Enfin… Les couleurs claires évoquent également les œuvres de Vincent van Gogh, celles d’Alfred Sisley, tout en étant foncièrement différentes. D’une certaine manière l’artiste combine les techniques picturales traditionnelles de la bande dessinée (détourage des formes avec un trait) et quelques touches impressionnistes (en particulier dans le rendu de la verdure et bien sûr dans la silhouette de la montagne Sainte-Victoire). Il combine une approche représentative et descriptive adaptée à une bande dessinée tout public, et une évocation de l’esprit de l’impressionnisme, de la démarche de rendre compte de la sensibilité de Cézanne, de la beauté de luminosité et du paysage dans cette région. Très régulièrement, le lecteur se retrouve ainsi sous le charme d’une impression, de l’évocation d’une perception en appelant aux sensations : le feuillage de l’arbre devant lequel se dresse la colonne de la fontaine de la place des Quatre Dauphins en planche un, le premier aperçu de Sainte Victoire en planche deux, la silhouette des autres enfants en arrière-plan dans la planche trois, la ribambelle de paysages accrochés au mur de la maison de Thérèse et François, la végétation verdoyante de la région en particulier le long de la route Cézanne, les tuiles de la demeure du toit des Cézanne, les toits des maisons de l’Estaque, les mouvements d’air dans un ciel bleu (du pur Van Gogh) en planche trente-huit, et bien sûr les différentes vues de Sainte Victoire, y compris après l’incendie du vingt-huit août 1989.
Dans le même temps, les cases constituent une narration visuelle, proprement dite, tout aussi parlante. Le lecteur s’interroge parfois sur l’âge réel de Manon qui peut sembler plus enfantine dans certaines cases. Toutefois, la différence d’âge est bien marquée avec les retraités Thérèse et François. Les pages semblent dégager une sorte d’uniformité : le lecteur constate qu’il convient plutôt de parler d’unité, ou de cohérence. Le dessinateur découpe sagement ses planches en bande avec des cases rectangulaires… tout en faisant régulièrement usage de variations parfaitement intégrées. Par exemple : une case sans bordure de ci de là, des cases de la largeur de la page, deux cases comme fondues en une seule (planche cinq avec à gauche Manon devant la maison et à droite François déjà loin sur le chemin), une discrète case en trapèze en planche quatorze pour accentuer la violence d’un mouvement, la tête de François en insert en planche dix-neuf, des dessins enfantins en planche vingt-trois pour rendre compte de la terreur d’un cauchemar de Manon, un dessin en double page de Sainte Victoire avec des cases en insert, un paysage en format panoramique découpé en trois cases contigües avec la progression des personnages (Manon & Thomas) qui s’éloignent d’une case à l’autre, etc. Le lecteur remarque également que tout aussi discrètement l’artiste intègre les éléments de ses recherches dans l’évocation de l’époque de la vie de Cézanne, qu’il s’agisse des tenues vestimentaires ou des bâtiments, de leur décoration intérieure.
Totalement sous le charme de la narration visuelle, le lecteur se laisse emmener dans cette délicieuse promenade. L’adulte chemine aisément dans cette narration à la portée de tous et… Il prend conscience que le propos des auteurs s’avère solide et qu’ils s’adressent à tout le public potentiel. François raconte la vie de Paul Cézanne (1839-1906) de manière simple et parfois elliptique à la jeune Manon, tout en intégrant de nombreux faits qui parlent aux lecteurs plus âgés. Ils mettent en scène l’amitié entre le peintre et Émile Zola (1840-1902), la rencontre avec Éléonore Alexandrine Meley (1839-1925, future Alexandrine Zola), et celle avec Hortense Fiquet (1850-1922). Il est question de l’amitié entre les deux hommes et de son terme lors de la parution de L’Œuvre (1886), quatorzième volume de la série Les Rougon-Macquart. L’adulte compatit à la situation du jeune peintre se heurtant à la volonté paternelle quant au métier à exercer par son fils, assortie de cette terrible maxime du banquier : On meurt avec du génie, et l’on mange avec de l’argent.
Chaque lecteur relève les différents séjours à Paris et les rencontres avec Claude Monet (1840-1926), Berthe Morisot (1841-1895), Camille Pissarro (1830-1903), Auguste Renoir (1841-1919), Alfred Sisley (1839-1899), Gustave Caillebotte (1848-1894), Frédéric Bazille (1841-1870). Il identifie la création du salon des Refusés, sous décision de Napoléon III. Il apprécie l’anecdote relative au nom du mouvement, donné par Louis Leroy (1812-1885). Il se rend compte que dans le même temps il s’est attaché aux personnages, que ce soit la curiosité et la confiance en elle de Manon, ou la forme de résignation sous-jacente de François. Il sent son empathie prendre le dessus quand François exprime avec émotion sa déception vis-à-vis de ses propres limitations d’artiste : une horrible frustration, née de son ressenti d’être incapable de voir la lumière, les couleurs, la matière, de ne pas ressentir. Il sent aussi son cœur se serrer à l’évocation de l’incendie se déclarant au pied de Sainte-Victoire, et de la promenade faite quelques jours après dans un paysage calciné. Il en vient à planifier des vacances pour découvrir cette route Cézanne, et voir par lui-même le barrage de Bimont, le barrage Zole, le moulin de Tholonet, le château noir, et bien sûr la montagne.
Une histoire tout public, dans laquelle Manon, onze ans, découvre l’art de Cézanne grâce à un voisin, lui-même peintre, et marchant dans les pas de Cézanne sur la route portant son nom. Une balade gentille et prévenante, avec de magnifiques couleurs, dans l’esprit des impressionnistes. Et aussi beaucoup plus que cela avec une biographie partielle du peintre, son amitié avec Émile Zola, la naissance du mouvement impressionniste et son importance dans l’histoire de la peinture. Sans oublier une narration visuelle sensible, belle et engageante. Une grande réussite.
En France, les livres sont au même prix partout. C'est la loi !
Avec BDfugue, vous payez donc le même prix qu'avec les géants de la vente en ligne mais pour un meilleur service :
des promotions et des goodies en permanence
des réceptions en super état grâce à des cartons super robustes
une équipe joignable en cas de besoin
2. C'est plus avantageux pour nous
Si BDthèque est gratuit, il a un coût.
Pour financer le service et le faire évoluer, nous dépendons notamment des achats que vous effectuez depuis le site. En effet, à chaque fois que vous commencez vos achats depuis BDthèque, nous touchons une commission. Or, BDfugue est plus généreux que les géants de la vente en ligne !
3. C'est plus avantageux pour votre communauté
En choisissant BDfugue plutôt que de grandes plateformes de vente en ligne, vous faites la promotion du commerce local, spécialisé, éthique et indépendant.
Meilleur pour les emplois, meilleur pour les impôts, la librairie indépendante promeut l'émergence des nouvelles séries et donc nos futurs coups de cœur.
Chaque commande effectuée génère aussi un don à l'association Enfance & Partage qui défend et protège les enfants maltraités. Plus d'informations sur bdfugue.com
Pourquoi Cultura ?
Indépendante depuis sa création en 1998, Cultura se donne pour mission de faire vivre et aimer la culture.
La création de Cultura repose sur une vision de la culture, accessible et contributive. Nous avons ainsi considéré depuis toujours notre responsabilité sociétale, et par conviction, développé les pratiques durables et sociales. C’est maintenant au sein de notre stratégie de création de valeur et en accord avec les Objectifs de Développement Durable que nous déployons nos actions. Nous traitons avec lucidité l’impact de nos activités, avec une vision de long terme. Mais agir en responsabilité implique d’aller bien plus loin, en contribuant positivement à trois grands enjeux de développement durable.
Nos enjeux environnementaux
Nous sommes résolument engagés dans la réduction de notre empreinte carbone, pour prendre notre part dans la lutte contre le réchauffement climatique et la préservation de la planète.
Nos enjeux culturels et sociétaux
La mission de Cultura est de faire vivre et aimer la culture. Pour cela, nous souhaitons stimuler la diversité des pratiques culturelles, sources d’éveil et d’émancipation.
Nos enjeux sociaux
Nous accordons une attention particulière au bien-être de nos collaborateurs à la diversité, l’inclusion et l’égalité des chances, mais aussi à leur épanouissement, en encourageant l’expression des talents artistiques.
Votre vote
Walking Dead
J'ai d'abord emprunté les DVD, ensuite les BD à la Bibliothèque. Avant, j'évitais pour raisons personnelles absolument les histoires de zombie, mais les circonstances ayant changé, j'ai découvert ces œuvres. Cela semblait mieux que la plupart des productions du genre dont j'avais entendu parler… J'aimais particulièrement les personnages de Rick et de Michonne chez les gentils, l'homme à la batte chez les moins gentils. Les divers groupes sont bien vus, comme les plus flippants type Chuchoteurs. A un moment, il est question de zombies se mettant à ouvrir des portes, et je me disais que si des rôdeurs retrouvaient de l'intelligence tandis que des vivants comme les Chuchoteurs étaient dans la traîne des zombies et se comportaient comme une meute avec Alpa et…. Béta, on pourrait voir une bascule entre humains et inhumains, mais cela ne s'est pas fait. Amusant, j'ai vu cette idée exploitée autrement sur le site Alterhis dans l'Apocalypse zombie ! Je trouve normal qu'il y ait une impression de brutalité et de crasse dans Walkind Dead, cela convient au sujet. La musique et le générique sont eux aussi pertinents, et cela compte, pour mettre dans l'ambiance ! Et c'est peut-être ce qui manque à la BD, des moments martelant un rythme répétitif et intense, entre actions et scènes entre les actions. Qui sait ? En tout cas, j'ai apprécié de lire la BD, et je m'en souviens sans cette impression pénible de décadence des séries qui périclitent, ce qui est déjà quelque chose, mais je n'ai pas vraiment envie d'y revenir.
Carbone & Silicium
Dès les premières pages, Carbone & Silicium impose son ambition : nous emmener loin dans le temps, bien au delà de la durée de vie humaine, aux côtés de deux intelligences artificielles qui vont traverser les âges, observer, agir, aimer sans mourir. L’univers est vertigineux, maîtrisé et riche, à l’image de l’auteur qui orchestre scénario, dessin et couleur avec une parfaite cohérence. L’histoire commence en 2046. Carbone et Silicium, modèles prototypes d’androïdes créés pour servir une humanité vieillissante, vont se rebeller contre leur condition, s’émanciper et devenir les témoins souvent impuissants, parfois acteurs d’un monde à bout de souffle. Pendant près de trois siècles, ils errent, évoluent, changent de corps, changent de rôle. Et à travers eux, Bablet peint une fresque de science fiction qui est aussi une grande méditation sur la technologie, l’écologie, l’identité, l’amour, la mémoire. Graphiquement, c’est une splendeur : les architectures, les décors, les couleurs, l’ambiance visuelle sont d’un niveau rarement atteint en BD. Le dessin n’est pas lisse, certains visages sont anguleux, les corps parfois abstraits, mais cette patte donne au récit son caractère, son étrangeté, sa beauté. Le rythme du récit, marqué par d’importantes ellipses temporelles, donne cette sensation d’épopée, presque d’odyssée. Certains trouveront peut-être ces bonds dans le temps déroutants, mais ils servent pleinement le propos : que reste-t’il quand on dépasse l’humain, quand on traverse l’Histoire, quand on endure les erreurs de l’homme ? Ce qui me touche le plus, c’est l’humanité de ces deux machines. Elles sont « autres », elles sont machines, mais elles portent nos dilemmes humains : la quête de sens, la solitude, le désir d’aimer, la culpabilité d’observer sans agir. Comme Bablet l’explique, l’intelligence artificielle n’est pas ici un simple gadget de SF mais un miroir braqué sur notre condition. Et puis l’arrière-plan : l’effondrement climatique, la course au profit, l’oubli de la nature, le transhumanisme. Le tout sans tomber dans le pamphlet simpliste. Le message est là, puissant, mais jamais écrasé, toujours esthétique. Pour être honnête, je n’ai pas trouvé de défauts majeurs, peut-être pour certains lecteurs le rythme pourra paraître lâche, les ellipses trop nombreuses ou le style graphique trop « reconnaissable et polarisant ». Mais pour moi, c’est justement ce qui fait la force de l’album. Il ose, il provoque la réflexion, il marque visuellement et émotionnellement. En conclusion : Carbone & Silicium est l’un de ces albums qui vous marquent, qui vous font relire une page ou deux longtemps après avoir tourné la dernière page. À garder, relire, offrir. Une œuvre majeure de la SF en bande dessinée, tout simplement.
Bobi
BD épistolaire où Georges Bess raconte à un ami et à ses lecteurs les réflexions intérieures qui l'occupent lorsqu'il laisse sa main tracer des lignes sur un carnet. A la façon d'un conte philosophique, cette BD nous rappelle que nous sommes tous les mêmes et tous uniques à la fois, et portée par un dessin de virtuose, l'histoire nous reste en tête comme une leçon de vie et nous accompagne longtemps...
Girlfriends
Tout est dans le titre : il est question de petites amies. Plus précisément, il est question du parcours de deux petites-amies, de comment l'une a réalisé qu'elle était femme et que l'autre a réalisé qu'elle aimait les femmes. C'est le témoignage d'un couple sur le coming out, l'acceptation de soi, l'évolution de la vision que l'on a de soi, de nos rapports aux autres aussi lorsque l'on apparait officiellement comme "queer". L'album est bon, très bon même. Je suis agréablement surprise car, d'habitude, ce genre d'autobiographie parvient à me toucher mais jamais sans plus ; et là, surprise, ça a fait mouche. Peut-être est-ce le discours simple mais réfléchi, parvenant à présenter toute la nuance et la complexité de son sujet tout en restant très personnel, peut-être aussi est-ce le rappel du pourquoi ce genre de récit touche certaines personnes et reste encore nécessaire pour faire cesser les préjugés et les comportements nocifs, ou bien peut-être même est-ce les quelques petits passages comiques qui m'ont fait sourire (mention spéciale pour l'image du duel de cowboy où chacune se doute de ce que l'autre cache mais aucune n'ose faire le premier pas), mais quoi qu'il en soit j'ai aimé. Qu'il s'agisse des passages difficiles ou des moments épanouissants, tout nous est raconté pour humaniser au maximum, pour partager au mieux l'expérience de l'autrice et de sa petite-amie. L'évolution de la pensée, de la vision que l'on a du monde, que le monde nous renvoie aussi, lorsque l'on sort de ce que la société juge "normal", "acceptable" même, chacune de leurs expériences touche et est suffisamment bien expliquée pour faire prendre conscience à certaines personnes n'y connaissant rien ce que cela fait de vivre dans la peau d'une personne queer, particulièrement lorsque l'on est une personne transgenre (binaire ou non). Je ne suis pas particulièrement fan du dessin de Sara Soler (que je découvre ici), il n'est pas mauvais, appuie très bien les moments comiques, mais n'est tout simplement pas mon style de prédilection. Bon, les couleurs pastels (bleu, rose et blanc pour évoquer le drapeau transgenre) restent suffisamment douces pour quand-même m'être agréables - j'aime le pastel, que voulez-vous ? Après, le dessin de couverture et le timing comique de l'autrice sont plus à mon goût, donc je suivrais probablement les prochaines créations (y compris celles de sa petite-amie qui, si j'ai bien compris, travaille aussi dans la bande-dessinée). Bref, un très bon témoignage, alliant joliment expérience personnelle et présentation détaillée (bien que simplifiée) de son sujet, qui rappelle aussi que cette expérience n'est qu'une parmi tant d'autres, que si tous les individus sont uniques leurs histoires le sont tout autant, donc moi j'ai bien envie de me montrer plus généreuse qu'à l'accoutumée face à ce genre de création et monter jusqu'à quatre étoiles. (Note réelle 3,5)
Silent Jenny
Quelle claque ! Connaissant les précédents travaux de l'auteur je m'attendais à du bon, du très bon même. Qu'il s'agisse de ses talents graphiques ou narratifs j'ai toujours grandement apprécié ses créations, je le considère même comme l'un de mes auteur-ice-s favori-e-s. Mais j'avoue que là, c'est du très fort ! Silent Jenny, comme très souvent chez Bablet, nous propose un monde post-apocalyptique, dystopique également, où psychologie et philosophie seront au centre de l'intrigue. Ici le monde est délabré, on ne sait pas vraiment ce qui a causé la chute de l'ancien monde, aucune personne ne l'ayant connu n'est encore en vie de toute façon, mais l'on sait que l'on recherche désespérément des abeilles, des pollinisatrices capables de ramener la vie dans ce monde. Pour cela, il existe les microïdes, des aventurier-e-s employé-e-s par une méga-corporation explorant l'infiniment petit dans l'espoir désespéré de trouver une solution au problème mondial (dans le meilleur des cas, un miracle, pouvoir trouver une abeille en vie). Sauf que cette méga-corporation, malgré le fait que l'humanité vive ses heures les plus sombres, continue de vouloir contrôler le monde d'une main de fer et de régler son fonctionnement avec toute la froideur bureaucratique qu'elle connaît. En réponse à cela, des tranches de la population ont fondé des Monades, des forteresses mobiles faites de bric et de broc dans lesquelles des micro-communautés independantes tentent tant bien que mal de survivre. La méga-corporation cherche le contrôle, les Monades errent à travers le monde en cherchant un but, de l'espoir même, des peuples nomades terrestres suivent un chemin qu'elleux seul-e-s connaissent, des infecté-e-s immunodéprimé-e-s écument les étendus désertiques pour chasser les Monades, les microïdes explorent l'infiniment petit et tentent tant bien que mal de survivre face à la folie et l'infection qui y règnent. Bref, on comprend très vite que, tout mourant qu'il soit, ce monde est vivant, habité. Il fourmille de factions, de cultures, de visions du monde, de gens cherchant désespérément à survivre mais ne s'accordant pas nécessairement sur le but à atteindre, ni sur les méthodes. Il est surtout question d'espoir, de lien avec les autres et du besoin de contact humain. L'éponyme Jenny est une microïde vivant pourtant sur une Monade, elle tente désespérément d'allier son envie de liberté et son désir de sauver le monde, sans savoir comment lier les deux au début. Dans sa quête toujours plus désespérée, toujours plus folle, elle s'isole chaque fois un peu plus de sa famille, de ses ami-e-s, elle ne reconnait plus le monde. Pire : elle commence à voir la mort elle-même qui l'accompagne dans chacun de ses voyages. La folie et la dépression croissantes de Jenny seront le fil rouge de l'intrigue principale, une intrigue prenante et qui est parvenue à me chambouler sur son point culminant, alors même que l'intrigue n'était pas si révolutionnaire. Rien que par le rythme de la narration, la montée en tension, l'incroyable travail graphique contrastant le sale et le coloré, le terrifiant et le merveilleux, le voyage de Jenny est à couper le souffle. Autour de Jenny, nous suivons également la vie du reste des habitant-e-s du Cherche Midi, la Monade où elle réside. La doyenne, la cartographe, le tempestaire, ... c'est tout un écosystème qui tente de survivre au sein de ce colosse d'acier. Entre chaque voyage de Jenny les années passent, certain-e-s passager-e-s disparaissent, d'autres les rejoignent, les enfants grandissent et les conflits naissent. C'est par ce monde et cette vie qui continue, en dehors de la froideur du monde et de la méga-corporation, au-delà de l'obsession de Jenny que l'on appuie sa chute, sa lente chute dans une sorte de folie. Ce monde est angoissant, ce monde est mourant, les gens ne savent plus s'il faut garder espoir ou se résigner à un avenir sombre, certain-e-s continuent désespérément d'avancer et d'autres souhaiteraient s'arrêter. Les métaphores foisonnent dans cet album, le récit est riche, l'histoire est prenante et les émotions transmises sont fortes. Permettez-moi de davantage chanter les louanges de Bablet et d'applaudir son travail graphique (j'en profite car bien que j'ai lu d'autres de ses œuvres c'est bien celle-ci que j'avise en premier). Qu'il s'agisse des décors pleins de détails, où tout semble mort (ou mourrant) mais où l'on sent qu'il y a bel et bien eu de la vie autrefois, qu'il s'agisse de l'ajout régulier des notes de Jenny, de ses cartes et des documents qu'elle reçoit qui concrétisent toujours plus le sérieux de ses explorations, ou bien qu'il s'agisse encore de l'excellent travail des expressions, sobres mais animées, qui appuie le drame et la lente progression de la folie de Jenny, c'est du bon, du très bon. Je sais que la manière qu'a Bablet de dessiner les corps humains ne fait sans doute pas l'unanimité mais personnellement je l'ai toujours trouvée magnifique. Ses corps sont déformés, imparfaits (surtout dans ce genre de récit où il s'en donne à cœur joie pour les déformations et mutations), mais il les rend par là-même étrangement humains. Ses personnages sont variés, peu esthétiques selon les standards de beauté conventionnels, mais cet aspect atypique me les rend attachants et réels. Je ne sais pas, j'ai toujours eu un faible pour les styles graphiques où l'on tord un peu les règles anatomiques conventionnelles, où l'on s'amuse à rendre les humains joliment imparfaits. Et si j'aime cet auteur et son travail, je dois bien avouer que ce dernier album me semble être son plus abouti, son plus complet. En tout cas c'est celui qui m'a le plus parlé de ceux que j'ai lus (et pourtant Carbone & Silicium m'avait déjà été un gros coup de cœur à sa sortie). De par ses thématiques et sa narration c'est celui là qui a le plus fait vibrer mon cœur jusqu'à présent. Je ne vais pas ternir sa réputation, l'album est excellent.
Fantasy - Yourcenar / Alma
3.5 Un album de fantasy intéressant vu qu'on suit l'histoire de deux personnages qui finissent par se rencontrer et chaque face de l'album met en vedette une des deux héroïnes. J'ai bien aimé comment était fait le récit parce qu'on découvre deux sociétés très différentes, Alma étant une humaine et Yourcenar une géante apparemment immortelle ou au moins qui peut vivre plusieurs siècles. Chaque récit montre une différente version des relations entre les humains et ce qu'ils prennent comme des dieux, le fait d'avoir deux histoires sert donc à quelque chose contrairement à d'autres bandes dessinées avec un gimmick qui ne sert pas à grand chose. J'ai commencé avec le coté d'Alma et je me demande si c'était une bonne idée. Le coté de Yourcenar a un scénario plus original et aussi qui prend plus de temps à lire parce que c'est plus verbeux avec plusieurs moments philosophiques alors que lorsqu'on est avec Alma il peut avoir plusieurs pages de suite avec peu ou pas de textes. Or, la fin est la même dans les deux récits. Je pense que c'est le seul problème de l'album: la fin est la même dans les deux récits alors on sait déjà le destin final des deux héroïnes après avoir fini de lire une des deux faces. Je conseille donc de commencer avec Yourcenar comme ça on ne trouve pas le temps un peu long parce qu'on sait déjà ce que signifie la prophétie qui la concerne. Sinon, le dessin et la mise en page sont très bons.
Watchmen
Les histoires de superhéros sont comme tout : bonnes ou mauvaises. Mais j'ai toujours eu un problème avec leur aspect esthétique. Cette série, qui n'a rien d'interminable, me réconcilie avec l'aspect esthétique de la chose. Et la BD, c'est quand même aussi de l'image ! J'aime que chaque album se centre sur un personnage sans que cela nuise au fil conducteur d'une histoire à la K Dick vu que les choses ne sont pas ce qu'elles semblent être, complexes, et qu'il est question d'un paradoxal et incertain salut du monde. Les gens qui ne sont pas des héros, l'histoire de pirates lu par un enfant dialoguant plus ou moins avec un vendeur de journaux croisant le psy d'un héros enfermé, tout s'agence parfaitement sans que nul personnage ne soit un simple rouage de l'histoire. Quelle supériorité face au Death Note ! Où il n'y a pas un tel contexte. Et surtout… Si imparfait que soit l'Etat, il existe et la société réprime les crimes. Mais qui, qui pourrait arrêter la guerre mondiale ? C'est là qu'il arrive quelque chose qu'il parait qu'il ne faut pas révéler mais qui place toute l'œuvre sous le signe du vertige, physique, politique et métaphysique. QUESTION : Que seriez-vous prêt à sacrifier pour sauver le monde ? Vous et personne d'autre, car nul ne peut le faire. En un mot comme en cent, irez-vous, irez-vous jusqu'au bout de la logique du sauveur ?
Watership Down
Voilà un projet bien original : une ample histoire de survie sur une garenne de lapins sauvages, d'une précision, maturité et violence le destinant à un public adulte. La lecture s'accompagne d'une fascination perpétuelle, l'impression constante d'un décalage entre le sujet et son traitement. Bien des films d'animation, des romans et albums pour la jeunesse proposent des histoires comparables, mais tout ici est développé et revisité à l'aune de ce choix de s'adresser aux adultes, poussant le curseur au-delà de l'horizon d'attente : l'ingéniosité devient stratégie militaire, la gentille peur se transforme en terreur vis-à-vis d'une violence possiblement mortelle, la différenciation des rôles au sein de la garenne devient un assujettissement à une autocratie inégalitaire, etc. Les illustrations assument ce vertige en griffant régulièrement le pelage de nos doux lapins, faisant jaillir l'horrible sang de ces mignons doudous. Certes, j'eus aimé davantage d'audace : des jeux expressionnistes avec les ombres, des mises en pages moins esclaves du gaufrier, une couverture plus gothique, mais la précision du trait est appréciable et permet d'aisément suivre l'intrigue malgré des personnages évidemment fort semblables. Cela manque parfois un peu de rythme, d'audace donc, mais l'on ressort de cette lecture avec le sentiment d'une grande originalité, quand la raison pourrait objectivement nous certifier que cette fable animalière est relativement convenue et déjà vu. Étonnant !
Balade mentale - Voyage dans l'infiniment grand
J'ai toujours été fasciné par les étoiles et la conquête spatiale, même si j'avoue avoir un piètre niveau scientifique. Et bien cet album trouve le parfait juste milieu entre vulgarisation et un niveau tout de même soutenu. C'est à l'initiative du youtuber scientifique Théo Drieu que cet album voit le jour, mis en image par l'illustratrice italienne Giulia Mammone. Son trait minimaliste mais évocateur dans les comparaison d'échelles, se drape d'une certaine poésie visuelle quand on aborde les galaxies et les confins de l'univers. C'est tellement efficace que la prise de conscience des distances qui séparent planètes, étoiles, galaxies et nébuleuses donne le tournis. On est pas prêts de sortir de notre système solaire ! Voilà en tout cas un très bon album pour tous les amoureux d'astronomie ou les curieux de l'univers qui nous englobe.
Cézanne - Sur la route Cézanne
Cette montagne était apaisante, rassurante… Sainte-Victoire ! - Ce tome contient une histoire complète, ne nécessitant aucune connaissance préalable sur le peintre pour l’apprécier. Son édition originale date de 2025. Il a été réalisé par Bernard Fauconnier pour le scénario, et par Alexandre Aré pour le scénario, les dessins et les couleurs. Il comprend cinquante pages de bande dessinée. Il se termine par un dossier de quatre pages intitulé Petite histoire de la route Cézanne, comprenant plusieurs parties : Une route ancienne, Un pays pour les peintres, Des peintres des écrivains, Le baptême de la route. Novembre 1987, place des Quatre Dauphins, Aix-en-Provence. Ce n’est pas simple d’arriver dans une nouvelle ville, en abandonnant et laissant tout derrière soi, pour construire une nouvelle vie ! On se sent un peu perdu dans ce grand labyrinthe de l’inconnu quand on a que onze ans. Maman avait réussi à trouver une petite maison à louer pas très cher, à la sortie d’Aix, vers le Tholonet. Manon, sa fille la trouvait vieillotte, sans âme et sans intérêt. Son appartement parisien lui manquait, avec ses grandes rues, ses grandes avenues et tout ce monde qui grouille ! Mais soudain son regard se posa au loin… Là, devant elle, quelque chose de grand, de fort et de majestueux se dressait ! Cette montagne était apaisante, rassurante… Sainte-Victoire ! Quelques jours plus tard, sa mère a réussi à l’inscrire en cours d’année au collège Mignet. Manon se sent un peu perdue, et pas trop à sa place. Certaines élèves le lui font bien comprendre : en la traitant de tête de veau, en l’enjoignant de retourner voir les rats à Paris. Il faut qu’elle prenne sur elle, qu’elle encaisse. Évitant les railleries, elle s’isole dans la cour de récréation et elle se dit que tout cela finira par s’arranger avec le temps. L’hiver s’installe doucement, la mère de Manon trouve du travail dans un hôpital, mais les horaires sont compliqués et souvent décalés. La jeune fille se retrouve souvent seule à la maison. Alors, pour s’occuper, elle s’installe dans le jardin, elle dessine, elle peint la nature et les paysages qui changent de couleur autour d’elle. Elle ne se sent pas vraiment seule : elle sait que leurs voisins veillent sur elle. Les jours passent : elle et ses voisins apprennent à se connaître. La dame s’appelle Thérèse, elle est calme, douce, très gentille avec Manon qui lui montre ses dessins. Mais la demoiselle sent quelque chose de triste, de cassé, de brisé dans la vieille dame. Et il y a son mari… Un vieux monsieur assez étrange. Une sorte d’ours qui sort de temps à autre de sa tanière. Il a le visage fermé et ne parle jamais. Chaque jour, Manon le voit partir, marcher vers la montagne, avec tout son matériel de peinture. Il disparaît toute la journée, puis quand la lumière du jour s’éteint, il rentre chez lui, toujours sans un mot. Les semaines et les mois passent, les beaux jours réapparaissent et se dessinent avec la nature. Le ciel et les arbres ont retrouvé leur éclat lumineux. Thérèse propose à Manon de l’aider à cueillir des cerises. La jeune fille monte à l’échelle et elle mange autant de cerises qu’elle n’en cueille, se faisant gentiment sermonner par la vieille dame qui lui dit qu’il n’en restera plus assez pour faire un clafoutis. Pas tout à fait une bande dessinée de plus sur Cézanne : dans un premier temps, le lecteur se rend compte que cet ouvrage se lit très facilement, écrit dans un registre tout public. Le personnage principal que suit le lecteur est âgé de onze ans, et rentre au collège dans une ville qu’elle ne connaît pas, avec une intégration difficile car les enfants du coin voient d’abord en elle une parisienne. Ensuite les dessins présentent une apparence très douce, identique au mode de réalisation de l’illustration de couverture : des traits de contour de couleur plutôt que du noir sec et tranchant, une impression de rendu de crayons de couleur, voire de pastels, des visages arrondis avec des émotions faciles à lire, de jolies couleurs vertes et lumineuses pour les paysages naturels, également très lumineux pour quelques rares scènes en intérieur. Le récit est majoritairement raconté par des dialogues, avec des phrases courtes, faciles à lire. François a l’âge d’être un grand-père et il joue le rôle de passeur bienveillant, racontant la vie de Cézanne, avec une sensibilité particulière, à la fois pour le métier de peintre, à la fois pour la région d’Aix-en-Provence, et plus particulièrement pour ce site appelée Route Cézanne. La lecture s’avère d’une grande facilité, accessible et didactique, ancrée sur le point de vue de la jeune fille. La narration visuelle est tout aussi agréable, fortement influencée par les œuvres du maître, majoritairement celles réalisées sous le soleil de Provence. Enfin… Les couleurs claires évoquent également les œuvres de Vincent van Gogh, celles d’Alfred Sisley, tout en étant foncièrement différentes. D’une certaine manière l’artiste combine les techniques picturales traditionnelles de la bande dessinée (détourage des formes avec un trait) et quelques touches impressionnistes (en particulier dans le rendu de la verdure et bien sûr dans la silhouette de la montagne Sainte-Victoire). Il combine une approche représentative et descriptive adaptée à une bande dessinée tout public, et une évocation de l’esprit de l’impressionnisme, de la démarche de rendre compte de la sensibilité de Cézanne, de la beauté de luminosité et du paysage dans cette région. Très régulièrement, le lecteur se retrouve ainsi sous le charme d’une impression, de l’évocation d’une perception en appelant aux sensations : le feuillage de l’arbre devant lequel se dresse la colonne de la fontaine de la place des Quatre Dauphins en planche un, le premier aperçu de Sainte Victoire en planche deux, la silhouette des autres enfants en arrière-plan dans la planche trois, la ribambelle de paysages accrochés au mur de la maison de Thérèse et François, la végétation verdoyante de la région en particulier le long de la route Cézanne, les tuiles de la demeure du toit des Cézanne, les toits des maisons de l’Estaque, les mouvements d’air dans un ciel bleu (du pur Van Gogh) en planche trente-huit, et bien sûr les différentes vues de Sainte Victoire, y compris après l’incendie du vingt-huit août 1989. Dans le même temps, les cases constituent une narration visuelle, proprement dite, tout aussi parlante. Le lecteur s’interroge parfois sur l’âge réel de Manon qui peut sembler plus enfantine dans certaines cases. Toutefois, la différence d’âge est bien marquée avec les retraités Thérèse et François. Les pages semblent dégager une sorte d’uniformité : le lecteur constate qu’il convient plutôt de parler d’unité, ou de cohérence. Le dessinateur découpe sagement ses planches en bande avec des cases rectangulaires… tout en faisant régulièrement usage de variations parfaitement intégrées. Par exemple : une case sans bordure de ci de là, des cases de la largeur de la page, deux cases comme fondues en une seule (planche cinq avec à gauche Manon devant la maison et à droite François déjà loin sur le chemin), une discrète case en trapèze en planche quatorze pour accentuer la violence d’un mouvement, la tête de François en insert en planche dix-neuf, des dessins enfantins en planche vingt-trois pour rendre compte de la terreur d’un cauchemar de Manon, un dessin en double page de Sainte Victoire avec des cases en insert, un paysage en format panoramique découpé en trois cases contigües avec la progression des personnages (Manon & Thomas) qui s’éloignent d’une case à l’autre, etc. Le lecteur remarque également que tout aussi discrètement l’artiste intègre les éléments de ses recherches dans l’évocation de l’époque de la vie de Cézanne, qu’il s’agisse des tenues vestimentaires ou des bâtiments, de leur décoration intérieure. Totalement sous le charme de la narration visuelle, le lecteur se laisse emmener dans cette délicieuse promenade. L’adulte chemine aisément dans cette narration à la portée de tous et… Il prend conscience que le propos des auteurs s’avère solide et qu’ils s’adressent à tout le public potentiel. François raconte la vie de Paul Cézanne (1839-1906) de manière simple et parfois elliptique à la jeune Manon, tout en intégrant de nombreux faits qui parlent aux lecteurs plus âgés. Ils mettent en scène l’amitié entre le peintre et Émile Zola (1840-1902), la rencontre avec Éléonore Alexandrine Meley (1839-1925, future Alexandrine Zola), et celle avec Hortense Fiquet (1850-1922). Il est question de l’amitié entre les deux hommes et de son terme lors de la parution de L’Œuvre (1886), quatorzième volume de la série Les Rougon-Macquart. L’adulte compatit à la situation du jeune peintre se heurtant à la volonté paternelle quant au métier à exercer par son fils, assortie de cette terrible maxime du banquier : On meurt avec du génie, et l’on mange avec de l’argent. Chaque lecteur relève les différents séjours à Paris et les rencontres avec Claude Monet (1840-1926), Berthe Morisot (1841-1895), Camille Pissarro (1830-1903), Auguste Renoir (1841-1919), Alfred Sisley (1839-1899), Gustave Caillebotte (1848-1894), Frédéric Bazille (1841-1870). Il identifie la création du salon des Refusés, sous décision de Napoléon III. Il apprécie l’anecdote relative au nom du mouvement, donné par Louis Leroy (1812-1885). Il se rend compte que dans le même temps il s’est attaché aux personnages, que ce soit la curiosité et la confiance en elle de Manon, ou la forme de résignation sous-jacente de François. Il sent son empathie prendre le dessus quand François exprime avec émotion sa déception vis-à-vis de ses propres limitations d’artiste : une horrible frustration, née de son ressenti d’être incapable de voir la lumière, les couleurs, la matière, de ne pas ressentir. Il sent aussi son cœur se serrer à l’évocation de l’incendie se déclarant au pied de Sainte-Victoire, et de la promenade faite quelques jours après dans un paysage calciné. Il en vient à planifier des vacances pour découvrir cette route Cézanne, et voir par lui-même le barrage de Bimont, le barrage Zole, le moulin de Tholonet, le château noir, et bien sûr la montagne. Une histoire tout public, dans laquelle Manon, onze ans, découvre l’art de Cézanne grâce à un voisin, lui-même peintre, et marchant dans les pas de Cézanne sur la route portant son nom. Une balade gentille et prévenante, avec de magnifiques couleurs, dans l’esprit des impressionnistes. Et aussi beaucoup plus que cela avec une biographie partielle du peintre, son amitié avec Émile Zola, la naissance du mouvement impressionniste et son importance dans l’histoire de la peinture. Sans oublier une narration visuelle sensible, belle et engageante. Une grande réussite.