Quand il tombe, l'arbre fait deux trous. Celui dans le ciel est le plus grand.
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Ce tome constitue une courte biographie poétique du chanteur Félix Leclerc (1914-1988), auteur-compositeur-interprète, poète, écrivain, animateur de radio et de télévision, scénariste, metteur en scène et acteur québécois. Sa publication date de 2019. Il a été réalisé par Christian Quesnel pour le scénario, les dessins et les couleurs. Il comporte quarante-huit pages de bande dessinée. Il commence avec une courte introduction de Martin Leclerc, son premier fils. Vient ensuite un texte d'avant-propos de deux pages, rédigé par l'auteur. En fin d'ouvrage se trouvent la liste des pièces musicales évoquées, au nombre de vingt-quatre, ainsi qu'une liste des sources d'inspiration.
Dans la préface, Martin Leclerc constate que son père est décédé depuis plus de trois décennies et que son œuvre inspire encore la jeunesse. Dans l'avant-propos, l'auteur évoque l'usage qu'il fait de la parole de Félix Leclerc dans les phylactères et les cartouches bleus, ce qui expose le lecteur à la vie de Félix, mais aussi à certaines de ses œuvres. Puis il indique qu'il a mis à profit les documents laissés des témoins précieux. Il ajoute que ce projet sur Félix Leclerc lui a permis de travailler avec l'Orchestre symphonique de Gatineau, le maestro Yves Léveillé, l'orchestrateur Yves Marchand et l'historien amateur Raymond Ouimer pour créer un concert multimédia autour du récit graphique.
Le 20 mai 1980, au soir de la défaite référendaire, cette sombre journée, c'est comme si toute la vie de Félix l'y avait préparé. Un oiseau s'envole dans le ciel. Il va se poser sur la tête d'un homme assis sur une chaise, le dos courbé comme par un grand poids. Tu ne sais pas voler, tu vas tomber, tu es maladroit, l'air n'est pas pour toi, balourd, n'a-t-on cessé de lui crier. Et l'oiseau eut peur. Il n'a pas osé. Il est resté sur terre tristement. Et il a haï l'azur, et il n'a jamais vu les hauteurs. Son amour et sa soif du pays, Félix les a toujours placés au cœur de son œuvre, laquelle est à l'origine du printemps de la chanson québécoise. La neige qui fond, l'étang dans son petit lit qui boit le soleil, la scie ronde qui chante chez le voisin, la corneille qui est revenue, une hache, un tas de bois à bûcher, la moutonne qui a eu ses petits, la semence qu'on sort des greniers, les premiers pissenlits sur les buttes, l'odeur de l'érable… S'il n'y a pas de ces matins-là au Paradis, ça va jaser du côté des habitants. Les manches de guitare se confondent avec le tronc des érables, le cerf s'éloignant dans le lointain. À l'approche de l'automne, on baisse la voix, au printemps on parle fort. Un homme chaudement vêtu, s'appuie sur la cognée de sa hache, en regardant un oiseau s'envoler au-dessus d'un champ. Félix naît le 2 août 1914, à la Tuque, en Mauricie. Sixième d'une famille de onze enfants, il grandit dans un milieu peuplé de draveurs et de bûcherons, mais aussi bercé par la musique et la tendresse. Suis pas un dur, suis pas un mou, suis un doux. L'amour se passe de cadeaux mais pas de présence. Chaque pomme est une fleur qui a connu l'amour.
L'auteur a donc indiqué que chaque page ou double page ferait dialoguer un élément biographique de la vie du chanteur, avec une brève citation de lui et un tableau ou quelques cases évoquant une chanson ou une image de Félix Leclerc. Effectivement, l'ouvrage comporte douze illustrations en pleine page, et quatre en double page. Au maximum il se trouve quatre cases sur une même page. Pour autant, le lecteur éprouve plus la sensation de lire une bande dessinée qu'un texte illustré. Il y a la progression chronologique de la vie du chanteur, des images qui racontent une histoire, des compositions en double page où l'œil lit les éléments visuels de gauche à droite comme ordonnés sur un fil narratif. La première illustration montre un oiseau, certainement une alouette, en plein vol sur un fond de page blanche. L'oiseau vient se poser sur la tête du poète prostré sur sa chaise, après avoir pris connaissance des résultats du référendum. le motif de l'oiseau, une alouette ou d'autres, revient tout du long du récit. En page neuf, les ailes grandes écartées pour aller plus haut dans le ciel. En page dix sur un branche, avec un mini Félix Leclerc encore enfant, monté sur son dos. En page trente, volant entre les troncs de bouleaux. Faisant la liaison entre les pages trente-deux et trente-trois, comme il fait également pour les pages trente-six et trente-sept mais en sens inverse de droite à gauche. Mort étendu sur le sol en page trente-huit. À plusieurs moments de son vol en page quarante-neuf. Un vol d'outardes en page cinquante-et-un, observé par un garçon.
Tout du long de l'album, l'œil du lecteur est attiré par la faune et la flore du Québec. Un renne en pages huit dans les bois, un autre sur la tour Eiffel en page seize. Encore un en page vingt-neuf dont les bois semblent engendrer un halo fantasmagorique dans leur sillage. En page huit des manches de guitare forment les arbres d'une forêt, avec des gobelets pour en recueillir la sève. Lors des années parisiennes, la chevelure de Félix semble voir se développer comme des branches en hiver, comme s'il lui poussait de nouvelles ramures générées par ses expériences en France. de retour au Québec, la nature reprend son importance primordiale : une forêt de bouleau, l'île d'Orléans dans l'embouchure du fleuve Saint Laurent, avec ses côtes, les petits bateaux de pêche à moteur, les zones marécageuses, le scintillement de la lumière sur le fleuve, une vision onirique des plantes aquatiques sous-marines comme une longue chevelure folle, le bleu de l'eau répondant au bleu du ciel, etc. Dès la première page, le lecteur se rend compte que l'histoire du Québec est également présente en filigrane. L'auteur entame sa biographie par : le 20 mai 1980, au soir de la défaite référendaire… Il appartient au lecteur soit d'être familier avec l'importance de cet événement dans l'histoire du Québec, soit d'aller se renseigner pour comprendre l'importance qu'il revêt pour Leclerc. À savoir le premier référendum relatif au projet de souveraineté du Québec ; il a été organisé à l'initiative du gouvernement du Parti québécois (PQ) de René Lévesque, l'un des événements majeurs de l'histoire du Québec contemporain.
Au fil de la vie de Félix Leclerc, apparaissent d'autres marqueurs temporels et culturels. Sa date de naissance bien sûr, et en fin d'ouvrage la date de sa mort, mais aussi le début de ses études à Ottawa en 1931, ses débuts à Radio-Canada, son premier mariage en 1942, le début du succès dans les années 1950 grâce à l'accueil que lui réserve la France, ce qui sera suivi par sa reconnaissance au Québec, son influence sur la génération suivante de chanteurs compositeurs français et belges Guy Béart (1930-2015), Léo Ferret (1916-1993), Georges Brassens (1921-1981) et Jacques Brel (1929-1978), son second mariage en 1969, la crise d'octobre en 1970 (enlèvement d'un attaché commercial britannique, enlèvement et meurtre du ministre provincial du travail Pierre Laporte au Québec, par le Front de Libération du Québec), la Superfrancofête d'août 1974 sur les plaines d'Abraham à Sainte-Foy à Québec avec la participation de Gilles Vignault (1928-), Félix Leclerc (1914-1988) et Robert Charlebois (1944-) pour le spectacle J'ai vu le loup, le renard, le lion, le 13 août 1974. Dans ses paroles le chanteur rend hommage à sa province, que ce soient ses paysages, ou des métiers spécifiques comme celui de draveur.
Après avoir pris connaissance de l'avant-propos, le lecteur sait que l'auteur va évoquer brièvement quelques dates et faits biographiques de Félix Leclerc, et qu'il va surtout se consacrer à l'évoquer par ses mots et par les images qu'ils engendrent. le lecteur va découvrir Félix Leclerc au travers de la vision et du ressenti qu'en a Christian Quesnel, bédéiste originaire de la région du Outaouais au Québec. Il réalise des illustrations à l'encre et à la peinture, amalgamant parfois des images entre elles, jouant à la frontière de l'impressionnisme, de l'expressionnisme, du collage. Les couleurs expriment le ressenti ou l'état d'esprit du chanteur. Les dessins naviguent entre représentation descriptive pour une voiture, pour un bâtiment, un télésiège dans une station de ski, et des visons oniriques comme une licorne, une guitare avec une chevelure, des mains formant une coupe contenant de l'eau et un petit bateau de pêche à sa surface, l'image récurrente d'une femme en train de danser. L'artiste choisit la technique qui correspond le mieux à ce qu'il souhaite exprimer : formes détourées à l'encre, peinture, écriture manuscrite pour en fond de case avec des bribes de parole de chanson, photographie de famille tracée, dessin au crayon pour une rue de Paris, fond de case en motif de cercles de couleur, trame de fond avec un texte tapé à la machine à écrire, surimpression de deux images décalées, etc. Une grande richesse visuelle avec une vision d'ensemble qui assure une cohérence tout du long.
L'auteur évoque l'héritage de Félix Leclerc. Succinctement par quelques éléments biographiques, quelques événements historiques. Culturellement par des citations succinctes de texte de ses chansons, et la mise en valeur de la province du Québec. Affectivement et émotionnellement par une narration visuelle qui lie texte et image, qui se fait poétique et onirique, donnant à voir la représentation du monde et plus particulièrement du Québec telle que l'œuvre de Félix Leclerc en brosse le portrait partial de la terre qu'il porte dans son cœur.
Que dire qui n'ait déjà été dit ?
Bien sûr, on l'a compris, Inexistences n'est pas une bande dessinée classique. C'est davantage un album conceptuel, qui nous mélange les codes de la peinture, de la bande dessinée et de la narration romanesque. On ne s'attendra donc pas à un scénario à proprement parler, et on fera bien, car de scénario, point. Et pourtant, on ne s'ennuie pas un instant !
Il faut dire que graphiquement, l'auteur-dessinateur a vraiment mis le paquet ! Sur des doubles pages-doubles (donc 4 volets), Bec nous propose des illustrations absolument fascinantes, dans lesquelles on se plonge avec un plaisir certain. J'ai toujours adoré le Bec dessinateur, et même si les dessins qu'il nous offre ici n'ont pas forcément la finesse de l'exceptionnel Sanctuaire avec ses fameux jeux d'ombres, ils n'en restent pas moins grandioses et somptueux. Chaque nouvelle image nous fait ressentir de nouveaux sentiments, de nouvelles émotions, et emmène notre âme toujours plus loin dans cette sombre odyssée en forme de flash-forwards.
C'est le principal intérêt de cette "bande dessinée", qui nous propose par ailleurs une réflexion assez sommaire sur la fin du monde. Rien de très original ici, dans la post-apocalypse mise en scène par Bec. On a une évocation des traditionnelles guerres technologiques, d'une apocalypse classique qui fait passer brutalement l'Humanité de l'ère du high-tech à un quasi-retour au Moyen-Âge. Pour autant, on ne songerait à le reprocher à Bec, car on a bien compris qu'il ne cherche pas ici l'originalité.
Tout ce qu'il souhaite faire, c'est nous émerveiller tout en nous racontant les sinistres événements d'une apocalypse inévitable, que l'on souhaiterait pourtant éviter à tout prix. Et là-dessus, le pari est réussi. Je m'en voudrais peut-être un jour d'avoir écrit cette phrase, mais j'ai pris un plaisir étrange et fascinant à me plonger dans cette post-apocalypse sombre et déshumanisée.
Et finalement, n'est-ce pas là le but de cette grande oeuvre d'anticipation, de cette monumentale somme artistique ? N'est-ce pas là, peut-être, tout le paradoxe de l'Art ? Rendre l'horreur belle sur le papier pour la rendre moins désirable dans la réalité ? Car je me replongerai toujours avec un immense plaisir de cette magnifique oeuvre. Mais pour rien au monde, je ne souhaiterai y vivre un jour.
Belle ambiguïté que Christophe Bec saisit à merveille pour nous révéler page après page, ce qu'il est ici plus que jamais.
Un Artiste.
Avec un très grand A.
Bien belle surprise que voici !
Une intrigue plaisante à souhait, aux enjeux ludiques indéniables : une quête du père, à travers un récit autour de la conquête spatiale, entremêlé de voyages dans le temps, parcouru par une romance impossible.
Cette BD vient pour moi en résonance avec Le Serpent et le Coyote lu très récemment : du très classique côté intrigue, rondement mené, habilement ficelé, autrement dit un exercice de style intégrant les ingrédients propres au genre pour rendre le jeu avec celui-ci divertissant et ludique.
La réussite est même ici supérieure grâce au certes attendu jeu avec la chronologie mis en place, en lien avec l'intrigue du voyage dans le temps, et à des illustrations davantage appréciées personnellement. La gageure était par ailleurs plus grande puisque ce récit invite une multitude de personnages, de temporalités, de motivations, etc. qu'il n'était pas aisé d'imbriquer si habilement, afin de rendre l'ensemble aisément compréhensible, ludique, et même enthousiasmant.
Du bien habile ouvrage donc, dont je ne pensais pas Pelaez capable, celui-ci m'ayant jusqu'alors peu intrigué.
Une bande-dessinée matrimoniale.
Je ne peux que remercier Trina Robbins d'avoir ressuscité ces autrices des années folles. Et un grand bravo à Bliss Comics pour la qualité du bouquin au format franco-belge, mais un prix qui pourra en freiner plus d'un.
Trina Robbins, après un gros travail de recherche, nous propose de découvrir des autrices de talent du début du XXe siècle. Des autrices qui ont croqué une révolution avec l'apparition des Flappers, un mot qui désigne des jeunes femmes indépendantes au début des années 1920, les garçonnes. Un changement vestimentaire puisqu'elles vont quitter leurs corsets, les robes se raccourcissent jusqu'à atteindre les genoux et les cheveux longs font place à des coupes juste en dessous des oreilles. Une révolution !
Un bouleversement que l'on doit à la première guerre mondiale, les femmes ont quitté leur foyer pour contribuer à l'effort de guerre. Elles travaillent dans les usines, dans le médical ou même sur le front en tant qu'infirmières, elles ont goûté à l'indépendance et elles ne veulent pas faire machine arrière.
Une période qui verra la même année, 1919, la ratification de deux amendements, celui de la prohibition et celui du droit de vote aux femmes.
C'est ces aventures de garçonnes que racontent les autrices, des strips qui étaient publiés dans les journaux.
Une préface et une présentation de chaque autrice de Trina Robbins.
On va d'abord faire la connaissance de Nell Brinkley pour ouvrir le bal, la tête de proue du mouvement des Flappers. C'est sous crayon que l'on voit pour la première fois une jolie jeune femme dessinée par une femme. Sur plus de cinquante pages, on va découvrir plusieurs de ses Brinkley Girls sur des pleines pages en couleurs dans un style art nouveau. Un dessin qui m'a surpris par la qualité du trait tout en finesse, par le soin apporté aux détails et par la sensualité des personnages féminins. Des planches où les images sont agencées entre elles. Aucun phylactère, juste du texte, numéroté pour le sens de la lecture, qui décrit l'action et les états d'âme des protagonistes. Des histoires simples avec des garçonnes de moins en moins prudes au fil des pages. Des strips publiés de 1925 à 1930.
Place à Eleanor Schorer (5 pages) et les aventures de Judy, sur un ton humoristique. Des strips en noir et blanc au trait fin, élégant et légèrement caricatural. Une belle surprise.
Ensuite c'est Édith Stevens qui, sur 10 planches, nous régal de son dessin en noir et blanc, tantôt réaliste, tantôt caricatural, on a droit à un véritable défilé de mode, les chapeaux sont mis en avant. Un univers uniquement féminin, les situations cocasses sonnent juste et le ton est souvent drôle. Pas mal.
Et voilà Ethel Hays, avec de superbes planches (21) en couleurs agencées façon Nell Brinkley. Hays revendique avoir été influencée par cette dernière, mais son style tient plus de l'art déco, son trait est plus anguleux et sa colorisation moins exubérante. Superbe !
Des strips qui mettent en avant la mode et le quotidien de ces garçonnes. Des planches datant de 1928 à 1932.
Puis sur 11 pages, des strips toujours aussi mordants en noir et blanc publiés entre 1926 et 1928.
Maintenant, c'est Fay King qui croque ces garçonnes sur 6 pages dans un style où la caricature et le réalisme se répondent. Un noir et blanc très plaisant à regarder. Un humour qui fait mouche.
Virginia Huget se démarque de ses consœurs par des histoires plus insolentes. Graphiquement, Huguet est difficilement classable puisque certaines planches empruntent à Nell Brinkley, tandis que d'autres à Ethel Hays dans le style, la mise en scène et les couleurs, mais avec des personnages aux postures singulières. Enfin, on aura droit aussi à des saynètes avec un découpage en gaufrier et même à des phylactères où Huguet se moque de la publicité. Jubilatoire.
Vingt planches de 1927 à 1936.
Enfin, c'est Dorothy Urfer qui ferme le bal sur quatre pages. Des strips humoristique sur les relations amoureuses. Un noir et blanc avec beaucoup de charme, au trait fin, précis et expressif. Vraiment bien.
Maintenant il faut fermer la salle de bal et c'est Nell Brinkley qui va s'en charger. Les temps ont changé, c'est la mort des garçonnes. Six pages publiées en 1937.
En conclusion, je dois reconnaître que je ne connaissais aucune de ces dames avant cette lecture, un comics qui m'a fait remonter le temps, j'ai pris grand plaisir à côtoyer ces jeunes femmes à la coupe au carré, aux longues jambes et aux lèvres rouges incendiaires qui boivent et qui fument. Une lecture qui m'a donné envie de danser le charleston, moi qui suis un piètre danseur.
Gros coup de cœur.
J'ai eu du mal à quitter cette série tellement je me suis attaché au destin de Hakim et de son fils Hadi. J'avais déjà été séduit par ma précédente lecture de Fabien Toulmé avec son récit autobiographique de la naissance de sa seconde fille. L'auteur reste dans une narration biographique qu'il maîtrise à merveille. En effet le récit du voyage d'Hakim et de son fils de un an est passionnant en lui-même mais la qualité de la narration de Toulmé donne une dimension supplémentaire à cette dramatique aventure. Fabien Toulmé se range incontestablement parmi les meilleurs conteurs d'histoires de la BD de langue française actuelle. L'auteur ne s'éparpille pas et reste du début à la fin dans les limites de son sujet. Il veut nous faire découvrir l'histoire d'un réfugié migrant tout en sachant qu'il en existe mille autres plus "simples" ( comme la famille de son épouse) ou plus dramatiques comme ces pauvres personnes violées, asservies en esclavage ou tuées sur leur route de l'espoir. Hakim lui est présenté par une amie journaliste. En frappant à sa porte il ne connait rien de lui comme nous quand nous ouvrons le T1. Simplement Toulmé se met à l'écoute d'un récit pour nous le transmettre tel quel, sans tricherie ni biais autre que celui de la langue. Jamais Toulmé ne verse dans le sensationnalisme ou le pathos facile. Il n'en a pas besoin tellement le déroulé du voyage du gentil Syrien porte sa propre tension dramatique. Hakim et son fils vont de l'avant montrant une résolution à vaincre l'adversité qui laisse le lecteur sans voix. Toulmé réussit la prouesse de synthétiser ces dizaines d'heures d'écoutes en un récit d'une fluidité cristalline.
Le ton est toujours juste sans jugement de valeur, la bêtise, la cruauté et l'injustice s'étalant d'elles-mêmes sans que l'auteur aie besoin d'en rajouter. Les trois tomes sont d'un égal niveau même si personnellement j'ai trouvé la T2 au summum d'un récit dramatique.
Graphiquement cette traversée d'un petit bout de la mer Egée restera longtemps gravée dans ma mémoire. La scène est très statique puisque personne ne peut bouger dans le Zodiac.
Pourtant, grâce au sublime des expressions des passagers( et surtout celles du petit Hadi) Toulmé parvient à nous faire sentir cette houle menaçante et cette eau glaciale qui envahit petit à petit la frêle embarcation. Ce passage rend le récit de Toulmé universel puisqu'il présente les deux fins possibles d'une telle situation; la noyade ou le sauvetage. Car dès le début de cet insensé départ avec un petit de un an il n'y a pas d'autres alternatives: la noyade en mer, dans un camps ou sur le bord d'une route à la suite d'une mauvaise rencontre ou le sauvetage de toute une famille à Aix ou à Dortmund.
Toulmé hisse sa série au niveau des plus grands récits. Elle s'inscrit dans un environnement précis mais peut être lu comme l'universelle tragédie des déracinés de tous les siècles passés ou à venir.
Une lecture passionnante tout en justesse et en sensibilité. Un must.
Le futur s'annonce apocalyptique.
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Ce tome reprend l'histoire Hulk - The end, avec un scénario de Peter David, des dessins de Dale Keown, un encrage de Joe Weems, initialement parue en 2002. Ce récit comprend 47 pages.
Sur une terre détruite par une guerre globale de trop, il ne reste plus qu'un seul survivant : Hulk et son alter ego Bruce Banner. D'une manière inattendue, il reste malgré tout des prédateurs capables de nuire au géant vert. Et puis les intentions de Banner sont irréconciliables avec celles de Hulk. Quel est l'avenir de ce dernier survivant de l'humanité ?
Début des années 2000, l'éditeur Marvel développe un nouveau concept : raconter les dernières histoires de ses superhéros dans une gamme baptisée d'un titre générique The end (La fin). Il y aura, entre autres, une série The end pour les X-Men par Chris Claremont et Sean Chen, pour les Fantastic Four par Alan Davis, et même pour l'Univers Marvel par Jim Starlin. Le cas de cette histoire de Hulk diffère légèrement puisqu'il s'agit au départ d'une nouvelle écrite par Peter David (parue sous le titre de The ultimate Hulk) qu'il a retravaillée pour aboutir à ce récit. Là où Futur imparfait (de Peter David et George Perez) implique plusieurs personnages et un ennemi identifié pour une nouvelle bataille dans la lutte du bien contre le mal, Le dernier des titans (La fin) développe le thème du dernier survivant sur terre. David utilise plusieurs dispositifs narratifs pour varier la forme du monologue de Banner et de celui de Hulk (tel qu'un dispositif enregistreur). Il joue à fond sur la dichotomie qui existe la psyché de Banner et celle de Hulk. Et il propose une relecture adaptée et pertinente du mythe de Promothée.
En artisan chevronné, David a pris soin également d'inclure des phases d'action et de laisser son dessinateur se déchaîner. Dale Keown a connu ses premiers succès sur la série Incredible Hulk (avec des scénarios de Peter David), puis en créant son propre personnage The Pitt et en participant à la série de The Darkness chez Top Cow (il en reste d'ailleurs un crossover The Darkness / Pitt). Il utilise un encrage qui évoque celui de Mike Deodato dans Dark Avengers. Son Hulk exprime une sauvagerie primale peu commune. Il sait dessiner Banner en sorte que ce dernier paraisse vraiment son âge. Pour les décors, il dessine surtout des endroits désolés et rocailleux (pas trop compliqué) comme le demande le scénario. Mais il ne rechigne pas à rajouter des détails quand l'histoire le demande. Au final, Keown rend visuellement intéressant les pérégrinations de Banner et Hulk dans les endroits vides de vie et de bâtiments, et il transforme chaque scène d'action en une libération d'énergie irrésistible.
Alors que le résumé fait craindre une quête introspective bas de gamme, David et Keown concoctent un récit plein d'énergie et de questions intéressantes.
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Félix Leclerc - L'Alouette en liberté
Quand il tombe, l'arbre fait deux trous. Celui dans le ciel est le plus grand. - Ce tome constitue une courte biographie poétique du chanteur Félix Leclerc (1914-1988), auteur-compositeur-interprète, poète, écrivain, animateur de radio et de télévision, scénariste, metteur en scène et acteur québécois. Sa publication date de 2019. Il a été réalisé par Christian Quesnel pour le scénario, les dessins et les couleurs. Il comporte quarante-huit pages de bande dessinée. Il commence avec une courte introduction de Martin Leclerc, son premier fils. Vient ensuite un texte d'avant-propos de deux pages, rédigé par l'auteur. En fin d'ouvrage se trouvent la liste des pièces musicales évoquées, au nombre de vingt-quatre, ainsi qu'une liste des sources d'inspiration. Dans la préface, Martin Leclerc constate que son père est décédé depuis plus de trois décennies et que son œuvre inspire encore la jeunesse. Dans l'avant-propos, l'auteur évoque l'usage qu'il fait de la parole de Félix Leclerc dans les phylactères et les cartouches bleus, ce qui expose le lecteur à la vie de Félix, mais aussi à certaines de ses œuvres. Puis il indique qu'il a mis à profit les documents laissés des témoins précieux. Il ajoute que ce projet sur Félix Leclerc lui a permis de travailler avec l'Orchestre symphonique de Gatineau, le maestro Yves Léveillé, l'orchestrateur Yves Marchand et l'historien amateur Raymond Ouimer pour créer un concert multimédia autour du récit graphique. Le 20 mai 1980, au soir de la défaite référendaire, cette sombre journée, c'est comme si toute la vie de Félix l'y avait préparé. Un oiseau s'envole dans le ciel. Il va se poser sur la tête d'un homme assis sur une chaise, le dos courbé comme par un grand poids. Tu ne sais pas voler, tu vas tomber, tu es maladroit, l'air n'est pas pour toi, balourd, n'a-t-on cessé de lui crier. Et l'oiseau eut peur. Il n'a pas osé. Il est resté sur terre tristement. Et il a haï l'azur, et il n'a jamais vu les hauteurs. Son amour et sa soif du pays, Félix les a toujours placés au cœur de son œuvre, laquelle est à l'origine du printemps de la chanson québécoise. La neige qui fond, l'étang dans son petit lit qui boit le soleil, la scie ronde qui chante chez le voisin, la corneille qui est revenue, une hache, un tas de bois à bûcher, la moutonne qui a eu ses petits, la semence qu'on sort des greniers, les premiers pissenlits sur les buttes, l'odeur de l'érable… S'il n'y a pas de ces matins-là au Paradis, ça va jaser du côté des habitants. Les manches de guitare se confondent avec le tronc des érables, le cerf s'éloignant dans le lointain. À l'approche de l'automne, on baisse la voix, au printemps on parle fort. Un homme chaudement vêtu, s'appuie sur la cognée de sa hache, en regardant un oiseau s'envoler au-dessus d'un champ. Félix naît le 2 août 1914, à la Tuque, en Mauricie. Sixième d'une famille de onze enfants, il grandit dans un milieu peuplé de draveurs et de bûcherons, mais aussi bercé par la musique et la tendresse. Suis pas un dur, suis pas un mou, suis un doux. L'amour se passe de cadeaux mais pas de présence. Chaque pomme est une fleur qui a connu l'amour. L'auteur a donc indiqué que chaque page ou double page ferait dialoguer un élément biographique de la vie du chanteur, avec une brève citation de lui et un tableau ou quelques cases évoquant une chanson ou une image de Félix Leclerc. Effectivement, l'ouvrage comporte douze illustrations en pleine page, et quatre en double page. Au maximum il se trouve quatre cases sur une même page. Pour autant, le lecteur éprouve plus la sensation de lire une bande dessinée qu'un texte illustré. Il y a la progression chronologique de la vie du chanteur, des images qui racontent une histoire, des compositions en double page où l'œil lit les éléments visuels de gauche à droite comme ordonnés sur un fil narratif. La première illustration montre un oiseau, certainement une alouette, en plein vol sur un fond de page blanche. L'oiseau vient se poser sur la tête du poète prostré sur sa chaise, après avoir pris connaissance des résultats du référendum. le motif de l'oiseau, une alouette ou d'autres, revient tout du long du récit. En page neuf, les ailes grandes écartées pour aller plus haut dans le ciel. En page dix sur un branche, avec un mini Félix Leclerc encore enfant, monté sur son dos. En page trente, volant entre les troncs de bouleaux. Faisant la liaison entre les pages trente-deux et trente-trois, comme il fait également pour les pages trente-six et trente-sept mais en sens inverse de droite à gauche. Mort étendu sur le sol en page trente-huit. À plusieurs moments de son vol en page quarante-neuf. Un vol d'outardes en page cinquante-et-un, observé par un garçon. Tout du long de l'album, l'œil du lecteur est attiré par la faune et la flore du Québec. Un renne en pages huit dans les bois, un autre sur la tour Eiffel en page seize. Encore un en page vingt-neuf dont les bois semblent engendrer un halo fantasmagorique dans leur sillage. En page huit des manches de guitare forment les arbres d'une forêt, avec des gobelets pour en recueillir la sève. Lors des années parisiennes, la chevelure de Félix semble voir se développer comme des branches en hiver, comme s'il lui poussait de nouvelles ramures générées par ses expériences en France. de retour au Québec, la nature reprend son importance primordiale : une forêt de bouleau, l'île d'Orléans dans l'embouchure du fleuve Saint Laurent, avec ses côtes, les petits bateaux de pêche à moteur, les zones marécageuses, le scintillement de la lumière sur le fleuve, une vision onirique des plantes aquatiques sous-marines comme une longue chevelure folle, le bleu de l'eau répondant au bleu du ciel, etc. Dès la première page, le lecteur se rend compte que l'histoire du Québec est également présente en filigrane. L'auteur entame sa biographie par : le 20 mai 1980, au soir de la défaite référendaire… Il appartient au lecteur soit d'être familier avec l'importance de cet événement dans l'histoire du Québec, soit d'aller se renseigner pour comprendre l'importance qu'il revêt pour Leclerc. À savoir le premier référendum relatif au projet de souveraineté du Québec ; il a été organisé à l'initiative du gouvernement du Parti québécois (PQ) de René Lévesque, l'un des événements majeurs de l'histoire du Québec contemporain. Au fil de la vie de Félix Leclerc, apparaissent d'autres marqueurs temporels et culturels. Sa date de naissance bien sûr, et en fin d'ouvrage la date de sa mort, mais aussi le début de ses études à Ottawa en 1931, ses débuts à Radio-Canada, son premier mariage en 1942, le début du succès dans les années 1950 grâce à l'accueil que lui réserve la France, ce qui sera suivi par sa reconnaissance au Québec, son influence sur la génération suivante de chanteurs compositeurs français et belges Guy Béart (1930-2015), Léo Ferret (1916-1993), Georges Brassens (1921-1981) et Jacques Brel (1929-1978), son second mariage en 1969, la crise d'octobre en 1970 (enlèvement d'un attaché commercial britannique, enlèvement et meurtre du ministre provincial du travail Pierre Laporte au Québec, par le Front de Libération du Québec), la Superfrancofête d'août 1974 sur les plaines d'Abraham à Sainte-Foy à Québec avec la participation de Gilles Vignault (1928-), Félix Leclerc (1914-1988) et Robert Charlebois (1944-) pour le spectacle J'ai vu le loup, le renard, le lion, le 13 août 1974. Dans ses paroles le chanteur rend hommage à sa province, que ce soient ses paysages, ou des métiers spécifiques comme celui de draveur. Après avoir pris connaissance de l'avant-propos, le lecteur sait que l'auteur va évoquer brièvement quelques dates et faits biographiques de Félix Leclerc, et qu'il va surtout se consacrer à l'évoquer par ses mots et par les images qu'ils engendrent. le lecteur va découvrir Félix Leclerc au travers de la vision et du ressenti qu'en a Christian Quesnel, bédéiste originaire de la région du Outaouais au Québec. Il réalise des illustrations à l'encre et à la peinture, amalgamant parfois des images entre elles, jouant à la frontière de l'impressionnisme, de l'expressionnisme, du collage. Les couleurs expriment le ressenti ou l'état d'esprit du chanteur. Les dessins naviguent entre représentation descriptive pour une voiture, pour un bâtiment, un télésiège dans une station de ski, et des visons oniriques comme une licorne, une guitare avec une chevelure, des mains formant une coupe contenant de l'eau et un petit bateau de pêche à sa surface, l'image récurrente d'une femme en train de danser. L'artiste choisit la technique qui correspond le mieux à ce qu'il souhaite exprimer : formes détourées à l'encre, peinture, écriture manuscrite pour en fond de case avec des bribes de parole de chanson, photographie de famille tracée, dessin au crayon pour une rue de Paris, fond de case en motif de cercles de couleur, trame de fond avec un texte tapé à la machine à écrire, surimpression de deux images décalées, etc. Une grande richesse visuelle avec une vision d'ensemble qui assure une cohérence tout du long. L'auteur évoque l'héritage de Félix Leclerc. Succinctement par quelques éléments biographiques, quelques événements historiques. Culturellement par des citations succinctes de texte de ses chansons, et la mise en valeur de la province du Québec. Affectivement et émotionnellement par une narration visuelle qui lie texte et image, qui se fait poétique et onirique, donnant à voir la représentation du monde et plus particulièrement du Québec telle que l'œuvre de Félix Leclerc en brosse le portrait partial de la terre qu'il porte dans son cœur.
Inexistences
Que dire qui n'ait déjà été dit ? Bien sûr, on l'a compris, Inexistences n'est pas une bande dessinée classique. C'est davantage un album conceptuel, qui nous mélange les codes de la peinture, de la bande dessinée et de la narration romanesque. On ne s'attendra donc pas à un scénario à proprement parler, et on fera bien, car de scénario, point. Et pourtant, on ne s'ennuie pas un instant ! Il faut dire que graphiquement, l'auteur-dessinateur a vraiment mis le paquet ! Sur des doubles pages-doubles (donc 4 volets), Bec nous propose des illustrations absolument fascinantes, dans lesquelles on se plonge avec un plaisir certain. J'ai toujours adoré le Bec dessinateur, et même si les dessins qu'il nous offre ici n'ont pas forcément la finesse de l'exceptionnel Sanctuaire avec ses fameux jeux d'ombres, ils n'en restent pas moins grandioses et somptueux. Chaque nouvelle image nous fait ressentir de nouveaux sentiments, de nouvelles émotions, et emmène notre âme toujours plus loin dans cette sombre odyssée en forme de flash-forwards. C'est le principal intérêt de cette "bande dessinée", qui nous propose par ailleurs une réflexion assez sommaire sur la fin du monde. Rien de très original ici, dans la post-apocalypse mise en scène par Bec. On a une évocation des traditionnelles guerres technologiques, d'une apocalypse classique qui fait passer brutalement l'Humanité de l'ère du high-tech à un quasi-retour au Moyen-Âge. Pour autant, on ne songerait à le reprocher à Bec, car on a bien compris qu'il ne cherche pas ici l'originalité. Tout ce qu'il souhaite faire, c'est nous émerveiller tout en nous racontant les sinistres événements d'une apocalypse inévitable, que l'on souhaiterait pourtant éviter à tout prix. Et là-dessus, le pari est réussi. Je m'en voudrais peut-être un jour d'avoir écrit cette phrase, mais j'ai pris un plaisir étrange et fascinant à me plonger dans cette post-apocalypse sombre et déshumanisée. Et finalement, n'est-ce pas là le but de cette grande oeuvre d'anticipation, de cette monumentale somme artistique ? N'est-ce pas là, peut-être, tout le paradoxe de l'Art ? Rendre l'horreur belle sur le papier pour la rendre moins désirable dans la réalité ? Car je me replongerai toujours avec un immense plaisir de cette magnifique oeuvre. Mais pour rien au monde, je ne souhaiterai y vivre un jour. Belle ambiguïté que Christophe Bec saisit à merveille pour nous révéler page après page, ce qu'il est ici plus que jamais. Un Artiste. Avec un très grand A.
Neuf
Bien belle surprise que voici ! Une intrigue plaisante à souhait, aux enjeux ludiques indéniables : une quête du père, à travers un récit autour de la conquête spatiale, entremêlé de voyages dans le temps, parcouru par une romance impossible. Cette BD vient pour moi en résonance avec Le Serpent et le Coyote lu très récemment : du très classique côté intrigue, rondement mené, habilement ficelé, autrement dit un exercice de style intégrant les ingrédients propres au genre pour rendre le jeu avec celui-ci divertissant et ludique. La réussite est même ici supérieure grâce au certes attendu jeu avec la chronologie mis en place, en lien avec l'intrigue du voyage dans le temps, et à des illustrations davantage appréciées personnellement. La gageure était par ailleurs plus grande puisque ce récit invite une multitude de personnages, de temporalités, de motivations, etc. qu'il n'était pas aisé d'imbriquer si habilement, afin de rendre l'ensemble aisément compréhensible, ludique, et même enthousiasmant. Du bien habile ouvrage donc, dont je ne pensais pas Pelaez capable, celui-ci m'ayant jusqu'alors peu intrigué.
Garçonnes - Les autrices oubliées des années folles
Une bande-dessinée matrimoniale. Je ne peux que remercier Trina Robbins d'avoir ressuscité ces autrices des années folles. Et un grand bravo à Bliss Comics pour la qualité du bouquin au format franco-belge, mais un prix qui pourra en freiner plus d'un. Trina Robbins, après un gros travail de recherche, nous propose de découvrir des autrices de talent du début du XXe siècle. Des autrices qui ont croqué une révolution avec l'apparition des Flappers, un mot qui désigne des jeunes femmes indépendantes au début des années 1920, les garçonnes. Un changement vestimentaire puisqu'elles vont quitter leurs corsets, les robes se raccourcissent jusqu'à atteindre les genoux et les cheveux longs font place à des coupes juste en dessous des oreilles. Une révolution ! Un bouleversement que l'on doit à la première guerre mondiale, les femmes ont quitté leur foyer pour contribuer à l'effort de guerre. Elles travaillent dans les usines, dans le médical ou même sur le front en tant qu'infirmières, elles ont goûté à l'indépendance et elles ne veulent pas faire machine arrière. Une période qui verra la même année, 1919, la ratification de deux amendements, celui de la prohibition et celui du droit de vote aux femmes. C'est ces aventures de garçonnes que racontent les autrices, des strips qui étaient publiés dans les journaux. Une préface et une présentation de chaque autrice de Trina Robbins. On va d'abord faire la connaissance de Nell Brinkley pour ouvrir le bal, la tête de proue du mouvement des Flappers. C'est sous crayon que l'on voit pour la première fois une jolie jeune femme dessinée par une femme. Sur plus de cinquante pages, on va découvrir plusieurs de ses Brinkley Girls sur des pleines pages en couleurs dans un style art nouveau. Un dessin qui m'a surpris par la qualité du trait tout en finesse, par le soin apporté aux détails et par la sensualité des personnages féminins. Des planches où les images sont agencées entre elles. Aucun phylactère, juste du texte, numéroté pour le sens de la lecture, qui décrit l'action et les états d'âme des protagonistes. Des histoires simples avec des garçonnes de moins en moins prudes au fil des pages. Des strips publiés de 1925 à 1930. Place à Eleanor Schorer (5 pages) et les aventures de Judy, sur un ton humoristique. Des strips en noir et blanc au trait fin, élégant et légèrement caricatural. Une belle surprise. Ensuite c'est Édith Stevens qui, sur 10 planches, nous régal de son dessin en noir et blanc, tantôt réaliste, tantôt caricatural, on a droit à un véritable défilé de mode, les chapeaux sont mis en avant. Un univers uniquement féminin, les situations cocasses sonnent juste et le ton est souvent drôle. Pas mal. Et voilà Ethel Hays, avec de superbes planches (21) en couleurs agencées façon Nell Brinkley. Hays revendique avoir été influencée par cette dernière, mais son style tient plus de l'art déco, son trait est plus anguleux et sa colorisation moins exubérante. Superbe ! Des strips qui mettent en avant la mode et le quotidien de ces garçonnes. Des planches datant de 1928 à 1932. Puis sur 11 pages, des strips toujours aussi mordants en noir et blanc publiés entre 1926 et 1928. Maintenant, c'est Fay King qui croque ces garçonnes sur 6 pages dans un style où la caricature et le réalisme se répondent. Un noir et blanc très plaisant à regarder. Un humour qui fait mouche. Virginia Huget se démarque de ses consœurs par des histoires plus insolentes. Graphiquement, Huguet est difficilement classable puisque certaines planches empruntent à Nell Brinkley, tandis que d'autres à Ethel Hays dans le style, la mise en scène et les couleurs, mais avec des personnages aux postures singulières. Enfin, on aura droit aussi à des saynètes avec un découpage en gaufrier et même à des phylactères où Huguet se moque de la publicité. Jubilatoire. Vingt planches de 1927 à 1936. Enfin, c'est Dorothy Urfer qui ferme le bal sur quatre pages. Des strips humoristique sur les relations amoureuses. Un noir et blanc avec beaucoup de charme, au trait fin, précis et expressif. Vraiment bien. Maintenant il faut fermer la salle de bal et c'est Nell Brinkley qui va s'en charger. Les temps ont changé, c'est la mort des garçonnes. Six pages publiées en 1937. En conclusion, je dois reconnaître que je ne connaissais aucune de ces dames avant cette lecture, un comics qui m'a fait remonter le temps, j'ai pris grand plaisir à côtoyer ces jeunes femmes à la coupe au carré, aux longues jambes et aux lèvres rouges incendiaires qui boivent et qui fument. Une lecture qui m'a donné envie de danser le charleston, moi qui suis un piètre danseur. Gros coup de cœur.
L'Odyssée d'Hakim
J'ai eu du mal à quitter cette série tellement je me suis attaché au destin de Hakim et de son fils Hadi. J'avais déjà été séduit par ma précédente lecture de Fabien Toulmé avec son récit autobiographique de la naissance de sa seconde fille. L'auteur reste dans une narration biographique qu'il maîtrise à merveille. En effet le récit du voyage d'Hakim et de son fils de un an est passionnant en lui-même mais la qualité de la narration de Toulmé donne une dimension supplémentaire à cette dramatique aventure. Fabien Toulmé se range incontestablement parmi les meilleurs conteurs d'histoires de la BD de langue française actuelle. L'auteur ne s'éparpille pas et reste du début à la fin dans les limites de son sujet. Il veut nous faire découvrir l'histoire d'un réfugié migrant tout en sachant qu'il en existe mille autres plus "simples" ( comme la famille de son épouse) ou plus dramatiques comme ces pauvres personnes violées, asservies en esclavage ou tuées sur leur route de l'espoir. Hakim lui est présenté par une amie journaliste. En frappant à sa porte il ne connait rien de lui comme nous quand nous ouvrons le T1. Simplement Toulmé se met à l'écoute d'un récit pour nous le transmettre tel quel, sans tricherie ni biais autre que celui de la langue. Jamais Toulmé ne verse dans le sensationnalisme ou le pathos facile. Il n'en a pas besoin tellement le déroulé du voyage du gentil Syrien porte sa propre tension dramatique. Hakim et son fils vont de l'avant montrant une résolution à vaincre l'adversité qui laisse le lecteur sans voix. Toulmé réussit la prouesse de synthétiser ces dizaines d'heures d'écoutes en un récit d'une fluidité cristalline. Le ton est toujours juste sans jugement de valeur, la bêtise, la cruauté et l'injustice s'étalant d'elles-mêmes sans que l'auteur aie besoin d'en rajouter. Les trois tomes sont d'un égal niveau même si personnellement j'ai trouvé la T2 au summum d'un récit dramatique. Graphiquement cette traversée d'un petit bout de la mer Egée restera longtemps gravée dans ma mémoire. La scène est très statique puisque personne ne peut bouger dans le Zodiac. Pourtant, grâce au sublime des expressions des passagers( et surtout celles du petit Hadi) Toulmé parvient à nous faire sentir cette houle menaçante et cette eau glaciale qui envahit petit à petit la frêle embarcation. Ce passage rend le récit de Toulmé universel puisqu'il présente les deux fins possibles d'une telle situation; la noyade ou le sauvetage. Car dès le début de cet insensé départ avec un petit de un an il n'y a pas d'autres alternatives: la noyade en mer, dans un camps ou sur le bord d'une route à la suite d'une mauvaise rencontre ou le sauvetage de toute une famille à Aix ou à Dortmund. Toulmé hisse sa série au niveau des plus grands récits. Elle s'inscrit dans un environnement précis mais peut être lu comme l'universelle tragédie des déracinés de tous les siècles passés ou à venir. Une lecture passionnante tout en justesse et en sensibilité. Un must.
Hulk - Le dernier des titans
Le futur s'annonce apocalyptique. - Ce tome reprend l'histoire Hulk - The end, avec un scénario de Peter David, des dessins de Dale Keown, un encrage de Joe Weems, initialement parue en 2002. Ce récit comprend 47 pages. Sur une terre détruite par une guerre globale de trop, il ne reste plus qu'un seul survivant : Hulk et son alter ego Bruce Banner. D'une manière inattendue, il reste malgré tout des prédateurs capables de nuire au géant vert. Et puis les intentions de Banner sont irréconciliables avec celles de Hulk. Quel est l'avenir de ce dernier survivant de l'humanité ? Début des années 2000, l'éditeur Marvel développe un nouveau concept : raconter les dernières histoires de ses superhéros dans une gamme baptisée d'un titre générique The end (La fin). Il y aura, entre autres, une série The end pour les X-Men par Chris Claremont et Sean Chen, pour les Fantastic Four par Alan Davis, et même pour l'Univers Marvel par Jim Starlin. Le cas de cette histoire de Hulk diffère légèrement puisqu'il s'agit au départ d'une nouvelle écrite par Peter David (parue sous le titre de The ultimate Hulk) qu'il a retravaillée pour aboutir à ce récit. Là où Futur imparfait (de Peter David et George Perez) implique plusieurs personnages et un ennemi identifié pour une nouvelle bataille dans la lutte du bien contre le mal, Le dernier des titans (La fin) développe le thème du dernier survivant sur terre. David utilise plusieurs dispositifs narratifs pour varier la forme du monologue de Banner et de celui de Hulk (tel qu'un dispositif enregistreur). Il joue à fond sur la dichotomie qui existe la psyché de Banner et celle de Hulk. Et il propose une relecture adaptée et pertinente du mythe de Promothée. En artisan chevronné, David a pris soin également d'inclure des phases d'action et de laisser son dessinateur se déchaîner. Dale Keown a connu ses premiers succès sur la série Incredible Hulk (avec des scénarios de Peter David), puis en créant son propre personnage The Pitt et en participant à la série de The Darkness chez Top Cow (il en reste d'ailleurs un crossover The Darkness / Pitt). Il utilise un encrage qui évoque celui de Mike Deodato dans Dark Avengers. Son Hulk exprime une sauvagerie primale peu commune. Il sait dessiner Banner en sorte que ce dernier paraisse vraiment son âge. Pour les décors, il dessine surtout des endroits désolés et rocailleux (pas trop compliqué) comme le demande le scénario. Mais il ne rechigne pas à rajouter des détails quand l'histoire le demande. Au final, Keown rend visuellement intéressant les pérégrinations de Banner et Hulk dans les endroits vides de vie et de bâtiments, et il transforme chaque scène d'action en une libération d'énergie irrésistible. Alors que le résumé fait craindre une quête introspective bas de gamme, David et Keown concoctent un récit plein d'énergie et de questions intéressantes.