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Couverture de la série The Summer Hikaru Died
The Summer Hikaru Died

J'ai entendu du bien de cette série pendant très longtemps et, même si je ne serai pas aussi dithyrambique que les échos glanés auraient pu me le faire croire, j'avoue que l’œuvre mérite des louanges. Le titre est explicite, ça va parler de mort, de la mort de l'éponyme Hikaru pour être exacte. Enfin, pas si explicite que ça parce que l'on ne se doute pas forcément dans quoi on s'embarque avec ce simple postulat. Quelqu'un est mort, quelqu'un qui avait des proches, des proches qu'il a aimés, qui l'ont aimé aussi, il sera question de deuil et de la force de la mémoire, bref le sujet central est la mort. Dans un petit village de campagne japonaise, un beau jour d'été, Hikaru a disparu dans la montagne. Ces ami-e-s n'ont jamais su pourquoi, d'autant qu'Hikaru est apparemment rentré une semaine après disparition, mais il va très clairement paraître évident à Yoshiki, son meilleur ami, que quelque chose cloche. Cela ressemble à Hikaru, cela a la voix d'Hikaru, cela a les souvenirs d'Hikaru, mais cela n'est pas Hikaru. Hikaru est mort dans la montagne et quelque chose a pris possession de son cadavre, enfilant sa peau comme on enfilerait un costume, et essaye de s'immiscer parmi les humains pour exaucer le dernier souhait du véritable Hikaru : faire en sorte que ses ami-e-s ne se retrouvent pas seul-e-s, ne souffrent pas de son absence. L'œuvre est tout d'abord un subtil mélange entre tranche de vie campagnarde dans un petit village abandonné et un récit horrifique et réflexif sur la nature des liens humains. Je me doutais à la réputation de cette série qu'elle flirterait avec les mystères angoissants (sans être non plus absolument terrifiant), mais j'avoue avoir été surprise de la direction prise. Tout le mystère de ce qui est arrivé à Hikaru, de ce qu'est le nouvel Hikaru, de ce qu'il s'est passé il y a bien longtemps dans la région est prenant, alternant horreurs et attaques "au delà de la compréhension humaine" dans notre présent narratif et flashbacks et légendes nous en apprenant chaque fois un peu plus sur la sordide histoire de la région. L'héritage historique, culturel et spirituel du Japon est utilisé à plein escient, on nous parle d'anciens rites animistes, de cultes, d'arrivée de la chrétienté, de légendes locales, de l'évolution et de la déformation des mythes aussi. La dimension horrifique de l'œuvre est sympathique, le graphisme la rend particulièrement prenante - j'applaudis notamment la forme réelle (ou irréelle en l’occurrence) d'Hikaru, sorte de peinture noire flottante et dégoulinante, simple mais efficace pour illustrer à la fois le côté parasitique de cet être et sa nature d'être à la frontière entre deux plans d'existence. Le mystère et l'horreur sont prenants, certes, mais si l'œuvre est joliment travaillée c'est aussi grâce à son travail sur ses personnages et leurs liens. Qu'il s'agisse du drame de Yoshiki, tout d'abord forcé de continuer d'agir comme si de rien n'était, incapable de pleinement faire son deuil, car quelque chose qu'il peine à comprendre s'est déguisé en son ami décédé, ou bien du nouvel Hikaru qui peine à comprendre le simple fait d'exister, lui qui jusque là n'avait jamais été qu'une idée, une chose d'un autre plan, tous les personnages se révèlent rapidement assez complexes - je n'ai parlé que de ces deux là car ils sont les personnages centraux de ce récit, mais tous les autres sont aussi assez complexes et attachants. La relation Hikaru/Yoshiki est centrale, le cœur du récit, même. Oui, il est question de deuil (ou d'incapacité à vraiment pouvoir faire son deuil), mais il est aussi question d'amour et d'attachement. D'amour dans toutes ses formes d'ailleurs, Yoshiki étant vraisemblablement homosexuel et ayant aimé en secret Hikaru depuis longtemps. Cet état de fait n'est jamais directement confirmé mais rapidement évident, plus que sous-entendu par les dialogues internes de Yoshiki et par la mise en scène (notamment des flashbacks). Yoshiki aimait Hikaru, n'a jamais pu le lui dire, n'a jamais pu passer outre les stigmates sociaux que cela engendrerait, et peut-être que cela le hante d'autant plus maintenant qu'Hikaru tel qu'il l'a connu n'est plus. L'amour romantique n'est pas le seul lien traité ici, la nature de l'attachement du second Hikaru pour Yoshiki est d'ailleurs encore floue, même pour lui (il faut dire que pour quelqu'un qui peine encore à pleinement comprendre le concept de mort car le concept même de vie lui était inconnu cela ne doit pas être facile d'appréhender une chose aussi complexe que la nature des émotions), en tout cas ils s'aiment tous les deux - on ressort même une de mes métaphores préférées pour traiter la romance de manière complexe et horrifique, à savoir l'envie de dévorer ou d'assimiler l'autre à son propre être (yay). J'apprécie aussi que, puisqu'il est question d'amour et d'attachement entre deux êtres, on aborde la situation émotionnelle complexe du fait de s'attacher à quelque chose qui ressemble en tout point à ce que l'on a aimé autrefois tout en reconnaissant que ce quelque chose est bel et bien différent, mérite d'être individualisé. L'œuvre est elle parfaite ? Bien sûr que non, je regrette par exemple certaines facilités scénaristiques comme le fait que les protagonistes et adjuvants ont une sacrée chance et tombent toujours sur l'individu capable de les sauver et/ou de leur raconter l'histoire exacte qu'il leur fallait pour avancer dans leur enquête. Cependant, même si pas parfaite, l'œuvre est très bonne, joliment mise en scène et dessinée, l'histoire racontée est touchante et angoissante, le mélange tranche de vie dans un village de campagne loin de tout et récit horrifique marche très bien, la fin du tome 6 me donne vraiment envie de savoir la suite (d'autant qu'on sait enfin à quoi ressemble ces fichus trous), ... Bref, la série est très bonne et mérite la lecture.

27/12/2025 (modifier)
Par Lodi
Note: 5/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Maus
Maus

Le dessin ? Génialissime. Il parvient à rendre visible d'un coup qui est qui - Juif souris, Allemand chat. Et pourtant, tous les protagonistes semblent "humains trop humains" jusqu'au cœur du pire. Les hachures rendent compte du drame, le noir et blanc plus épuré du dialogue du créateur et de son père donne une respiration de lumière à l'œuvre. D'ailleurs, on se rattache à ce dernier comme protagoniste principal et seul espoir puisque lui va survivre. L'œuvre n'élude rien mais rend tout supportable, ce que je trouve incroyable. Le père n'est pas sorti brisé, on le voit à son sale caractère, et il n'est pas idéalisé car raciste. On le dit souvent mais là c'est vrai : un classique et une œuvre profondément humaine.

27/12/2025 (modifier)
Par Présence
Note: 4/5
Couverture de la série Green Witch Village
Green Witch Village

Voilà. Il vivra trahi au lieu de mourir dans la confiance. - Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Son édition originale date de 2025. Il a été réalisé par Franck Biancarelli pour les dessins, Lewis Trondheim pour le scénario et Jérôme Maffre pour les couleurs. Il comprend quatre-vingt-quatorze pages de bande dessinée. Il se termine avec un court paragraphe des auteurs expliquant en quoi leur ouvrage a été conçu comme un hommage aux comics des années 50, suivi par une page comprenant neuf recherches de couverture, trois pages de recherches graphiques sur le personnage, plus une page de présentation des auteurs. Dans un appartement en colocation à Greenwich Village, un quartier de Manhattan, une jeune femme reprend connaissance. Ses deux colocatrices, Érika Grönberg & Gwen Ford, sont penchées sur elle, inquiètes de son malaise, l’appelant Tabatha. Cette dernière ouvre les yeux, totalement hébétée. Elle leur demande qui elles sont, où elle se trouve, qu’est-ce que c’est que cette tenue qu’elle porte et où se trouve son portable. Les trois amies s’assoient sur le canapé, et ses copines expliquent à la troisième qu’elle s’appelle Tabatha Sands, qu’elle est libraire et que la date est octobre 1959. Elle leur répond qu’elle est sûre d’avoir trente ans et d’être en 2025. Érika dit qu’il est temps pour Tabatha d’aller travailler, car elles ont besoin de ses rentrées d’argent pour le loyer. Comme Tabatha ne sait pas où aller, Érika l’accompagne, car elle a un casting pas loin. Une fois à l’extérieur, la trentenaire indique que pour l’instant elle tient le coup, mais qu’elle ne sait pas ce qui se passera si elle croise un des Beatles. En marchant dans la rue, la libraire constate que c’est bizarre, il y a aussi des vieilles voitures des années trente ou quarante. Pour elle, dans les films sur les années cinquante, on ne voit que des voitures des années cinquante. Elle se fait la même remarque sur les vêtements et les boutiques, certaines très vieillottes. Son ami lui demande si en 2025 il y a bien des voitures volantes. Finalement, Tabatha décide de ne pas aller travailler et plutôt d’accompagner son amie Érika pour son casting. En sortant du métro, elles retrouvent Winfield Wayne l’agent de l’actrice, puis ensemble, ils pénètrent dans le bâtiment où se tiennent les auditions. Immédiatement, Ralph Damara repère Tabatha et énonce qu’elle est parfaite et que c’est elle qu’il veut pour incarner la sorcière verte, et elle se retrouve dans une position où elle ne peut qu’accepter de prendre Wayne comme agent pour négocier le contrat séance tenante. Plus tard, alors que la nuit est tombée, sur les quais, un groupe d’individus prend en charge une bombe livrée par d’autres, qu’ils abattent pour les faire taire, une fois l’acquisition complétée. Tabatha est rentrée dans sa colocation, et ses amies se tournent en dérision certains des termes qu’elle emploie, comme playlist, numérique, internet, wifi. Le lendemain, Tabatha se promène dans la rue et elle avise l’échoppe d’une diseuse de bonne aventure. Elle décide d’y entrer pour savoir ce qu’elle fabrique en 1959. Elle est accueillie dans une pièce plongée dans la pénombre, où une jeune femme de son âge débite quelques phrases génériques. Tabatha comprend immédiatement et lui demande si c’est la première fois qu’elle fait médium. Dès le début, cette bande dessinée présente une saveur particulière, le lecteur éprouvant des difficultés à la définir précisément. Cela commence avec le genre dans lequel s’inscrit le récit : anticipation ou fantastique, avec cette histoire d’âme revenue dans le passé pour habiter le corps d’une autre femme. Ou peut-être même spiritualité avec cette séance chez la diseuse de bonne aventure, quand la mère de Gabriella arrive, chasse Tabatha de son parloir, puis accepte de la revoir à l’extérieur et évoque une présence, un esprit invisible à ses côtés. D’ailleurs celui-ci apparaît à l’héroïne et lui parle, lui donnant des informations accessibles en 2025. Mais voilà qu’en page quinze, le récit semble encore changer de registre, avec l‘introduction de Spiridon Ivanov, pour lequel tout porte à croire qu’il s’agit d’un espion russe, plutôt que d’un simple journaliste pour le quotidien Izvestia. À moins que l’histoire ne bifurque vers une forme de romance, avec la relation naissante entre le Russe et la déplacée temporelle. En fonction de chaque séquence, le cœur du lecteur balance entre l’un ou l’autre de ces genres, ne sachant plus trop auquel il doit accorder sa priorité, entre l’histoire d’un attentat à la bombe atomique à New York, ou l’identité réelle de Tabatha. Il faut peut-être un peu de temps au lecteur pour ressentir la structure très particulière de cette bande dessinée, un rythme un peu saccadé, une sensation un peu hachée. En fin de tome, il découvre un texte explicitant les intentions des auteurs : ils ont souhaité réaliser un hommage aux comics des années 1950. Pour ce faire, ils se sont imposé quatre règles. Un : La première case sera toujours une grande image. Deux : La dernière case sera toujours une chute. Trois : Chaque planche doit pouvoir être lue de façon autonome, une ellipse la séparant de la précédente. Quatre : Les pages sont découpées de façon à pouvoir être montées en quatre ou trois strips. Ce cadre structurant leur a permis de jouer avec la narration et le rythme, fidèles à l’esprit de ces pages dominicales d’outre-mer qui les ont tant inspirés. En fonction de son degré d’attention, le lecteur a la confirmation de la démarche intentionnelle qu’il avait bien vue, ou bien il en fait la découverte. En effet, cette forme de composition de la narration donne une sensation très particulière à la lecture, chaque page formant une unité narrative presque autonome. Cette caractéristique renforce la sensation d’une intrigue un peu éparpillée, éclatée entre plusieurs genres d’une page à l’autre. Dans le même temps, les pages présentent une apparence très classique et sage : des cases rectangulaires avec une bordure bien nette, disposée en bandes. Des dessins dans un registre descriptif et réaliste, avec un discret degré de simplification pour les personnages et les visages, et de solides décors. La plupart des personnages bénéficient d’une discrète élégance, une silhouette svelte sans être athlétique, des tenues vestimentaires normales et diversifiées, ils sont bien habillés sans luxe ostentatoire. Avec une exception pour l’agent Winfield Wayne avec un manteau tape-à-l’œil peu raffiné. Les quatre femmes, personnages principaux, sont traitées avec respect par les auteurs, sans situation dégradante, sans voyeurisme de quelque sorte. Les principaux personnages masculins apparaissent un peu plus convenus et moins développés : l’agent grossier, machiste et usant de méthodes de voyou, l’agent du KGB élégant, respectueux et très bien élevé, Terrence Taylor agent de la C.I.A. plus rustaud habitué à être obéi et à rudoyer ceux qui lui résistent. En fin de tome apparaît le temps d’une séquence, Frank un touriste venu de Hongrie tout aussi élégant et parfaitement antipathique non sans raison. Outre l’attention apportée aux tenues vestimentaires, le plaisir de représenter Manhattan saute aux yeux du lecteur. Les auteurs ont choisi cette localisation avec la ferme intention de lui rendre hommage. Au travers de ces dessins soignés et précis, le lecteur peut apprécier la promenade dont il bénéficie en filigrane : les immeubles typiques du quartier de Greenwich Village, le Washington Square Arch (arc de triomphe en marbre à Washington Square Park, en commémoration du centenaire de l'inauguration de la présidence de George Washington en 1789), Central Park, ses ponts et ses allées, Coney Island sa plage et son parc d’attractions, le Seagram Building réalisé par l'architecte allemand Ludwig Mies van der Rohe (1886-1969). C’est une très belle balade, grâce certainement à des recherches rigoureuses, rayonnant du plaisir des auteurs lors de la réalisation des planches. Totalement sous le charme de la narration visuelle, le lecteur se laisse donc porter par les nombreux événements et rebondissements. Le spectre du neveu de 2025, les rapports de force entre les hommes comme Winfield Wayne ou Terrence Taylor et les trois femmes, la présence impalpable du KGB et des Nazis, l’attentat visant à faire exploser une bombe nucléaire à New York, un enlèvement pour exécuter la victime sur les quais, l’élimination de cadavres, des paris de courses hippiques en connaissant le gagnant, un antiquaire receleur et trafiquant, un Hongrois nazi, un assassinat en pleine voie publique, etc. Il relève en passant quelques références historiques et culturelles comme celle à Arthur Q. Bryan (1899-1959, acteur, voix de Elmer Fudd), ou l’utilisation de la perte d’une bombe atomique dans un accident par l’armée américaine (authentique, une bombe Tybee, délestée pendant un exercice militaire où un bombardier B-47B est entré en collision avec un avion de chasse F-86). Il s’amuse des anachronismes occasionnés par la connaissance du futur qu’à Tabatha Sands et son neveu : les Beatles, les comportements phallocrates et le patriarcat, l’absence de réseaux sociaux et de téléphones portables, l’usage d’un Smiley, l’absence de ceinture de sécurité dans les voitures, les jolies blondes faisant les carreaux à la station-service, une location de coffre bancaire pendant soixante-dix ans, et l’énoncé de drôles de noms pour choisir celui d’une agence d’actrices (Drôles de dames, Catseyes, Me Too, Pikachu, Daft Punk, Google Instagram, Microsoft, Amazon, Paypal, Tik Tok). Il est presque surpris de découvrir que les auteurs résolvent leur intrigue en bonne et due forme, y compris l’identité véritable de Tabatha Sands. Une bande dessinée des plus classiques en apparence : des dessins soignés et descriptifs, une aventure fantastique d’une jeune femme se retrouvant en 1959 dans le corps d’une autre femme, et des enjeux divers allant de comprendre ce qui est arrivé à l’héroïne à la menace d’un acte terroriste visant à faire exploser une bombe atomique en plein Manhattan. Le lecteur tombe vite sous le charme de ce récit à l’intrigue protéiforme, sans trop savoir quel est l’enjeu dominant. La reconstitution de Manhattan est formidable, le récit est plein de rebondissement, la forme constitue un hommage sophistiqué aux Sunday pages des années 1950. L’aventure rocambolesque est finement dosée. Un divertissement sophistiqué et élégant.

27/12/2025 (modifier)