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Par Blue boy
Note: 4/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Un père
Un père

Après « Le Petit Frère », où il évoquait l’accident tragique qui avait emporté son jeune frère dans les années 70, Jean-Louis Tripp s’attaque à un autre (gros) morceau de son passé familial. Cette fois-ci, c’est son « papa », Francis, qui est au cœur de ce très beau roman graphique. Et vu la taille du livre (350 pages), on se dit qu’il y avait un besoin impérieux de la part du « fiston » de raconter l’histoire de ce personnage haut en couleurs, avec ses failles et ses contradictions. C’est ainsi que l’auteur va partir de sa propre enfance pour dresser le portrait de son père. Le livre commence par un rêve perturbant où il s’imagine en train de l’ensevelir sous la terre après l’avoir étranglé… une scène qui pose la tonalité du récit, résumant les sentiments ambivalents qui pouvaient parfois l’assaillir lorsque le paternel s’opposait à ses choix, comme par exemple lorsque le vélo de course dont il rêvait à Noël avait été remplacé par le modèle le plus ringard… Grâce à un dessin très détaillé, ce portrait ambitieux nous emmène dans ces années 60-70 où tous les ressorts d’une nostalgie sans trace de mièvrerie sont activés, et cela ne manque pas de charme. Tripp nous détaille notamment plusieurs anecdotes assez croustillantes où l’on découvre un Francis très énergique, par exemple lors des vacances à la mer où, suite à une panne ayant immobilisé la Dauphine toute neuve, ce roi du système D réussit à ressusciter une vieille 4CV de substitution (une vraie ruine !), pour le plus grand bonheur des enfants. Celui-ci, par ailleurs communiste revendiqué (à une époque où le PC avait encore le vent en poupe), montre un visage émerveillé durant une escapade en RDA, à la limite du déni malgré les lourdeurs administratives aux frontières ou les queues devant les magasins sous-approvisionnés. Ce fils d’enseignants qui fut aussi l’élève de son père en 6ème, ne cherche pas à enjoliver le personnage lorsqu’il le montre en proie à de terribles sautes d’humeur, ou qu’il relate ces engueulades magistrales avec son épouse, qui ne manquait pas de lui tenir tête. Mais Jean-Louis ne fait ici qu’évoquer le plus objectivement et le plus sincèrement possible l’image qu’il a conservé de son géniteur, et même s’il avait des choses à lui reprocher, cette bio ne comporte aucune acrimonie. La tendresse qu’il laisse émerger envers cette « statue du commandeur », avec toutes ses fissures, révèle que ce livre n’est en fin de compte qu’un exutoire menant au pardon et à la reconnaissance vis-à-vis d’un homme qui malgré ses maladresses ne voulait que le bien de ses enfants. D’ailleurs, lui-même ne cherche pas non plus à se mettre en valeur et ne nie pas sa part de responsabilité dans l’éloignement qui s’était accentué au fil des années (« Depuis toujours, je suis celui qui part », p.322), mais se pose plutôt des questions à l’égard de celui qu’il confessait ne plus reconnaître vers la fin de ses jours, notamment à cause de la maladie. Ce père, à qui il avait pu faire quelques aveux quelques années avant sa mort et qui s’était dit prêt à consulter un psy, même s’il ne le ferait jamais, ce père, à l’image de cette génération d’hommes « qui gardaient pour eux leurs blessures profondes et leurs espoirs perdus ». Grâce à un dessin d’un réalisme étourdissant, très fouillé, à la tonalité très chaleureuse — l’auteur de « Magasin général » n’a plus grand-chose à prouver quant à son talent —, « Un père » est non seulement un très bel hommage mais aussi un étonnant témoignage historique (oui !), très immersif et captivant à la fois, où les personnages y sont dépeints de façon très expressive. La mise en page demeure quant à elle toujours maîtrisée. Tripp a opté globalement pour le noir et blanc, ne recourant à la couleur que pour certains éléments d’une case ou certains passages, d’une portée toujours signifiante. « Un père », C’est une tranche de vie ordinaire devenue un portrait passionnant, authentique et très vivant, sous l’œil d’un fils réconcilié non seulement avec son paternel mais aussi avec lui-même. Une histoire à la fois joyeuse et tragique, pleine de tendresse, où l’humour n’est pas en reste. La fin de l’album se conclut sur cette photo qui résume plutôt bien le personnage. Et, si l’on n’oublie pas de déplier le rabat de quatrième de couverture, on pourrait bien tomber en extase devant la photo du magnifique slip de bain très vintage de Francis, celui-là même qu’il portait lors de l’édifiante séquence suisse (mais je n’en dirai pas plus !).

12/07/2025 (modifier)