J'ai commencé par pester en empruntant cette série. Des tomes de 250 pages qui pèsent un tonne pour des enfants de 8/10 ans je ne trouve pas cela top pour un bon confort de lecture au fond de son lit.
Toutefois ma mauvaise humeur s'est bien vite éteinte avec le contenu de cette très bonne série jeunesse. Le récit et l'ambiance emprunte beaucoup au Seigneur des Anneaux mais Tim Probert a su y mettre son empreinte perso pour proposer un récit entrainant aux multiples rebondissements.
La jeune Béatrice n'est pas une héroïne conventionnelle gratifiée d'une multitude de super dons qui aplanissent toutes les difficultés rencontrées. Au contraire dans sa quête pour sauver son grand-père elle emmène ses angoisses paralysantes et ses pensées pleines d'un pessimisme démoralisant.
C'est une fragilité touchante qu'elle apprend à surmonter au contact de Cad. Cad est le dernier des Galduriens plein de force, d'optimisme et de gentillesse. Leur cheminement est l'occasion de dialogues d'un excellent niveau pour les enfants parfois même avec beaucoup de finesses sur les notions de confiance en soi, de doute et de positionnement face aux difficultés.
C'est très adroitement introduit dans un contexte classique de Bien contre Mal avec une métaphore de la lumière qui laisse place aux ténèbres mortifères si personne ne résiste .On reconnait là les codes de base du genre. Mais Tim Probert conduit sa narration de façon très dynamique sans dispersion à tel point que les 250 pages se lisent d'un trait avec l'envie de de continuer la découverte de la suite sans tarder.
Les phases d'actions parfois violentes ( pour des enfants) alternent avec les passages plus introspectifs pour former un ensemble équilibré et cohérent. Il y a même souvent un belle touche d'humour grâce au personnage de Cad qui est une vraie trouvaille de l'auteur.
Le graphisme est très moderne et soutient parfaitement le dynamisme de la narration. Ici encore il y un bon équilibre entre la narration du texte et celle des images. Une très belle mise en couleur permet de souligner les passages inquiétants ( à base de bleus) et les passages plus lumineux. C'est très réussi.
Une très belle série pour les enfants que j'ai eu beaucoup de plaisir à découvrir.
Un premier tome prometteur.
Un album tous publics qui ravira principalement les adolescents, mais pas seulement, j'en suis la preuve.
Daniel Freedman au scénario (Kali) et Crom au dessin, citent Miyazaki ou encore le jeux vidéo Dark Souls comme sources d’inspirations. Ce Birdking est leur deuxième collaboration après "Raiders".
Les auteurs nous entraînent dans de la dark fantasy sombre et légère à la fois.
Bianca, jeune apprentie forgeronne, est forcée de fuir son pays en guerre et de partir à la recherche d'Atlas, une terre légendaire, elle sera accompagnée par le silencieux et imposant Birdking, l'esprit d'un roi.
Un album qui ne révolutionne pas le genre, mais il prend le temps de s'attarder sur Bianca et ainsi de s'attacher à cette délicieuse jeune fille au tempérament bien trempé.
Un premier tome qui met en place un univers dense, complexe et mystique dont il reste encore beaucoup à découvrir.
Le début d'une saga rondement menée, c'est fluide, palpitant et très agréable à lire.
Le titre prend tout son sens.
Je découvre Crom et je suis sous le charme de son dessin au trait vif, précis et expressif. Un dessin singulier me rappelant celui de Mike Mignola mais avec une touche de manga, notamment dans l'expression excessive de certains visages. Un délicieux mélange.
J'ai aimé le choix des couleurs et la créativité dont Crom a fait preuve pour les personnages, ainsi que pour les rares décors.
Sobre, mais très efficace !
Une très belle découverte et vivement la suite.
Tome 2.
Un second opus qui confirme, beaucoup plus dans l'action, on entre de plein fouet dans cette saga, ce qui permet d'en connaître beaucoup plus sur ces mondes mystérieux. Du déjà vu, mais la réalisation est parfaite et les surprises seront au rendez-vous. Un dosage parfait entre scènes de batailles et moment plus calme pour développer les - nouveaux - personnages.
Visuellement, toujours autant de plaisir.
Vivement le tome 3.
Très agréable ce recueil.
Il compile des courts récits préalablement parus dans Phosphore (le magazine des 14 ans et +), où 14 auteurs vont narrer l’été de leurs 17 ans.
J’ai trouvé le casting hétéroclite et très sympa, en plus d’une belle parité.
Nous aurons ainsi tout un panel d’histoires et d’expériences différentes avec comme point commun l’âge de nos héros. Une période charnière qui commence à nous façonner.
J’ai aimé la pluralité de ses témoignages, nous voguerons ainsi principalement des années 90 aux 2000 et dans des lieux différents.
J’ai aimé la sincérité des auteurs qui se livre parfois sans fard. Selon les histoires, on oscille entre humour, tendresse et profondeur, entre jobs d’été, vacances, galères ou accomplissement.
Non vraiment bien chouette ce tome, l’effet nostalgique a parfaitement fonctionné sur moi. Je pense que vous passerez tous un bon moment et ça m’aurait bien plu de découvrir cet album avant ce fameux âge.
Pour pinailler, je reconnais quelques histoires un peu plus faibles mais le tout est homogène, en plus d’avoir un côté universel.
Un album qui m’a mis de bonne humeur et encore une fois, mention à Alix Garin, qui comme dans Journal Tintin - Spécial 77 ans continue de m’épater.
3.5
Un bon conte philosophique qui aborde plusieurs thèmes intéressants.
J'avoue que cela m'a tout de même prit un peu de temps pour totalement rentré dans l'histoire. On effet, le récit prends tout de même un peu de temps pour ce mettre en place. Les premiers chapitres montrent surtout l'univers particulier où vit le héros. Cette partie n'est pas dénuée d'intérêt, mais le problème s'est que ça parle un peu trop. C'est l'adaptation d'un roman et disons que ça se voit un peu trop.
Heureusement, le scénario devient plus captivant lorsque le personnage principal est choisit pour devenir le nouveau Receveur de Mémoire. Les discussions entre lui et le vieux Receveur sont les meilleurs moments de la BD. Tout est très passionnant et je n'ai pas décroché du reste de l'album même si la fin m'a semblé un peu trop abrupte.
C'est avec beaucoup de plaisir que j'ai dévoré cette agréable série. J'ai immédiatement été saisi par le graphisme hachuré en N&B de Isao Moutte.
La scène d'intro colle parfaitement avec le spleen de l'état d'esprit du personnage central du récit. Le texte est superflu et l'auteur nous guide sur une piste assez intimiste et sociale qui va s'enrichir très vite.
Je n'ai pas lu le roman source et donc je ne pourrais pas critiquer son adaptation comme l'a fait Mac Arthur. Je garde de ma lecture la grande fluidité de la narration, la construction astucieuse de la rencontre de Kaze et du jeune garçon. Cela donne une belle crédibilité au rebondissement qui envoie les deux personnages vers les zones dévastées du Tsunami et de la catastrophe nucléaire.
Ces parcours permettent d'introduire la thématique peu visitée du Japon des déclassés et des marginaux. Autour de ce thème Moutte peint une image sans concession de l'imbrication entre une pègre sans état d'âme, un patronat peu scrupuleux et un monde politique pressé de faire oublier ses responsabilités dans la (non) prévoyance des catastrophes survenues. Une peinture iconoclaste et peu courante dans l'univers de la BD qui a tendance à idéaliser ce qui touche au Japon.
Le final peut décevoir par son côté happy end optimiste qui abandonne l'idée de vengeance (mais aussi de justice) pour celle d'avenir et de reconstruction.
Perso j'ai bien aimé cette fin ouverte optimiste qui privilégie le renouveau positif.
Comme je l'ai déjà écrit le graphisme élégant, fin et souple de Moutte m'a bien séduit. J'ai particulièrement aimé les planches de pleine pages illustrant les villes (Tokyo ,Lyon, Matsuyama) debout ou de la région ravagée. C'est très détaillé avec de très beaux panoramas.
Une lecture très agréable, intelligente et dépaysante. Une belle réussite.
Le personnage du vieux monsieur, qui quitte la fête organisée en son honneur en grande pompe, pour suivre une jeune femme quasi irréelle, fait évidemment beaucoup penser à Mitterrand (vague ressemblance, ses habits, son passé politique et une certaine culture presque précieuse), même si ça n’est probablement pas lui (il n’a jamais été ministre des finances comme le personnage).
Mais cette rencontre entre cet homme et cette jeune femme va donner lieu à une « fugue », un vieux gamin réalise en fin de vie (professionnelle et politique en tout cas) un vieux caprice ou fantasme, abandonner convenances et tralala, pour vivre, si ce n’est un rêve, tout du moins en rêve.
Tout ceci au cœur du musée, qui est traversé en long et en large, qui est utilisé comme décor et parfois comme personnage. L’histoire du vieux politicard (qui semble retrouver une seconde et éphémère jeunesse au contact de la jeune femme) permet aussi à Durieux de dresser l’histoire récente du Louvre (en particulier son expansion annexant les ailes anciennement dévolues à des ministères, avant que les travaux qui ont bouleversé le musée sous François Mitterrand – on y retourne ! – ne lui donne l’aspect connu aujourd’hui).
Je trouve que, dans cette collection de commandes, cet album s’en sort très bien. Durieux a réussi à équilibrer le « placement de produit » et la partie plus personnelle, son histoire misant sur un onirisme plaisant, facétieux.
C’est en tout cas une lecture agréable.
Note réelle 3,5/5.
L’enfer, c’est la surproduction des autres.
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Ce tome contient une série de gags, la majorité en une page, indépendant de toute autre série. Sa date de parution initiale date de 2023. Il a été réalisé par James pour le scénario, les dessins et les aplats de couleurs. Il comprend soixante-trois gags, la majorité en une page, à l’exception des strips intitulés Lil’ Will (cinq pages à raison de trois strips par pages), deux gags en deux pages et un gag en trois pages.
William Cabot, scénariste âgé de trente-et-un ans, ouvre la porte palière de son appartement et accueille l’équipe de tournage pour leur proposer d’aller directement dans son bureau. Il effectue le mouvement de leur tourner le dos pour rentrer dans son appartement, marque une pause, tourne la tête et leur demande si ça fait assez naturel cette fois. Le journaliste lui répond qu’ils sont encore en train de tourner et qu’il faut attendre qu’ils aient coupé avant de faire des apartés. Il faut la refaire et il doit tâcher de rester spontané. William se confie à la presse : l’intervieweur constate que le bédéiste ne fait pas de séries d’Heroic Fantasy avec des guerrières dévêtues, des épées, tout ça, et demande pourquoi donc. William répond qu’en réalité il n’a fait que de l’Heroic Fantasy jusqu’à ses trente ans, maintenant il a trente-et-un ans, il a mûri. Réclame : une femme en maillot de bain déclare qu’elle ne pourra jamais tomber amoureuse d’un scénariste tout maigrichon ; le texte explique comment rajouter quatre-vingts à cent kilos rapidement et facilement.
La magie de la rencontre : à une question posée, William répond qu’être scénariste de BD, c’est avant tout une histoire de rencontre, de complémentarité avec ses dessinateurs. Ils savent dessiner, il sait écrire. Off the record : la caméra continue à tourner, et William se demande en quoi sa réplique précédente pourrait être drôle. La note d’intention : William explique le projet de sa prochaine bande dessinée, c’est-à-dire l’histoire d’un gamin des favelas, on découvre qu’il est le dernier hériter de la dynastie des Kennedy. À la suite d’un bug informatique, il est propulsé directeur de la CIA et le voilà alors poursuivi par une horde de parachutistes ninjas qui veulent sa peau. Pour donner une petite couleur politique à l’histoire, le héros couche avec la femme du président des États-Unis. Bref, comme peut le constater le journaliste, on est bien loin de l’Heroic Fantasy. C’est du sérieux ! William révise ses classiques : accoudé à la rambarde sur son minuscule balcon parisien, il déclare Madame Bovary, c’est moi. Le journaliste l’interroge pour savoir si à l’instar de Flaubert, l’auteur du roman, il s’identifie au personnage d’Emma. Il dissipe rapidement le malentendu : Madame Bovary, c’est lui… qui l’adapte en BD. Le quotidien de l’artiste 1 : quatre figures montrant William en train de marcher pipe au bec, s’arrêter avec la pipe à la main, adoptant une posture avantageuse, un pied sur une souche d’arbre, assis dans son fauteuil, jambes croisées, le regard fixant le lointain, avachi dans le même fauteuil en train de piquer un roupillon, la quête de l’inspiration.
Oui, bien sûr, il s’agit d’un ouvrage nombriliste où un bédéiste considère sa profession, réduite à la portion de scénariste, car l’auteur, lui, est un auteur complet. Il a choisi une forme qui peut sembler minimaliste : William porte toujours la même tenue, à savoir un pantalon avec un pli sur le devant, une chemise et une cravate, et un gilet assorti, sans oublier ses lunettes et sa coupe impeccable avec une raie sur le côté. Le journaliste et le caméraman restent hors champ tout du long, avec seulement leurs remarques ou leurs questions dans une cellule de texte. Le nombre de personnages est assez limité : William, les deux journalistes, deux amis d’enfance du scénariste, une femme assise à la table d’à côté à la terrasse d’un café, Caroline Cabot (54 ans) la mère de William le temps de deux gags, Antonin (59 ans, éditeur) le temps de trois gags, une femme demandant un autographe en convention, Vulvania (27 ans, autrice, 1 gag), trois autres dessinateurs (chacun le temps d’un gag), un autre scénariste (le temps d’un gag), Claire (44 ans, libraire). Bon, mine de rien, ça fait quand même une douzaine d’autres personnages.
Bien sûr, William est au centre de tous les gags, il est même le seul personnage à apparaître dans quarante-et-un d’entre eux, sur un total de soixante-trois, c’est-à-dire juste deux tiers. Bon d’accord, mais ces gags se déroulent presque tout le temps dans son salon, sauf pour la porte palière, sa bibliothèque, son petit balcon étroit, l’atelier d’un dessinateur, une terrasse de café, l’appartement de sa mère, le bureau de son éditeur Antonin, la cuisine de William, une galerie d’exposition de planches de bande dessinée, une table à une convention BD, une ville de western, une librairie, sans compter les décors des strips Lil’ Will. D’ailleurs, le lecteur constate rapidement que la monotonie apparente de la forme même des strips (trois bandes de deux cases) est régulièrement rompue par des formes différentes. Ça commence avec un gag en trois cases les unes au-dessus des autres, une rubrique appelée Off the record qui revient à sept reprises dans le tome : le journaliste repose une question pour avoir une réponse plus honnête, moins politiquement correcte. Ça continue avec les pages appelées Le quotidien de l’artiste : uniquement William dans une posture posé, entre une et quatre postures, pour illustrer un thème, comme 1 La quête de l’inspiration, 2 Inspiration nocturne, 3 Le processus de création, 4 Explorer de nouveaux terrains créatifs, 5 Jalouser/admirer le talent d’un concurrent/collègue, 6 Le scénariste de bande dessinée dans un salon du livre, 7 S’accorder une petit pause de temps à autre, 8 Rester connecté au monde extérieur, 9 Boucler un livre. Puis, le lecteur découvre les strips intitulés Lil’ Will : trois bandes de rois cases, chacune constituant un gag, un hommage patent aux Peanuts de Charles M. Schulz (1922-2000), avec parfois une petite touche de Calvin & Hobbes, de Bill Watterson (1958-). Le bédéiste réalise également des parodies de réclame (celle sur le thème de Charles Atlas), deux pages de Trucs & astuces de scénariste, ou encore un western parodique dessinée à la manière des westerns de comics. Le lecteur tombe vite sous le charme de cette diversité, de la capacité de l’auteur à faire siennes des formes classiques.
Mais quand même, ça doit vite tourner en rond ces gags ? Ben, pas du tout. James fait usage de la dérision et de l’autodérision, pour évoquer de nombreuses facettes du créateur solitaire et isolé, soumis à une concurrence protéiforme. Il intègre le fait qu’il y a une part d’immodestie plus ou moins consciente chez l’auteur qui estime qu’il peut vivre de sa plume, que ce qu’il raconte et la manière dont il le fait vont intéresser assez de personnes pour qu’il en vive, qu’il y aura assez d’êtres humains ayant envie de savoir ce qu’il exprime, pour acheter ses œuvres, pour le rémunérer. Dans le même temps, William (forcément l’avatar de papier de l’auteur pour une partie significative) a conscience qu’il n’est qu’un auteur parmi tant d’autres, sans compter les écrivains qui l’ont précédé, aussi bien en bande dessinée, qu’en littérature. L’expérience de la vie lui a permis de constater qu’il ne serait jamais un écrivain dont la postérité retiendra le nom pour les siècles à venir, qu’il n’est pas grand-chose comme scénariste de bande dessinée comparé à des vrais écrivains (ceux qui écrivent des vrais livres), que son métier est dépendant des artistes dans une relation pas toujours très saine (le scénariste exigeant une case avec des centaines de personnages en costume, seulement avec quelques mots, ou une séquence de course-poursuite dont il laisse le soin à l’artiste de la concevoir sur trois pages), qu’il est dépendant d’une inspiration que la banalité de son quotidien à sa table de travail ne nourrit pas. Sans compter sa notoriété quasi inexistante. Son chiffre de vente peu élevé comparé à d’autres. Sa propension à s’en tenir à des récits de genre pour une littérature d’évasion avec des clichés de genre infantiles (comme les femmes en armure riquiqui ou les épées en guise de symbole phallique) le rend pathétique par rapport à de jeunes autrices parlant sans tabou d’une facette de la condition féminine dans la société.
Une série de gags sur le métier de scénariste de BD, réalisée par un bédéiste auteur complet, avec une forme un peu austère d’interview d’un monsieur dont les années fougueuses sont derrière lui, en chemise et cravate, et déjà un peu résigné à une carrière sans éclat. Certes, mais aussi une mise en forme très variée, des dessins de type Ligne claire, un regard pénétrant, honnête sans être méchant ou condescendant. James fait sourire grâce à une solide maîtrise de la bande dessinée, une franchise implacable et gentille, une vraie compassion sans hypocrisie. William 31 ans, scénariste, sait qu’il pratique un métier dans lequel il doit convaincre de potentiels acheteurs de lire ce qu’il écrit, qu’il doit convaincre des dessinateurs de donner à voir le fruit de son imagination, que certains genres restent encore infantiles ou adolescents, que d’autres auteurs sont beaucoup plus doués ou enrichissants, qu’il participe à la surproduction, mais c’est son métier. Un paradoxe insoluble et parfois accablant quand l’inspiration fait défaut et qu’il faut gagner sa croûte.
Guerre & Cyborg
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Ce tome comprend les 7 épisodes de la minisérie parue en 2010. Il s'agit d'une histoire complète et indépendante de toute autre. Le scénario est de Charlie Huston, et les illustrations de Lan Medina. Cette histoire est parue dans le label Marvel Knights (récits à destination d'un lectorat de jeunes adultes).
Dans un futur proche, un grand-père apprend les rudiments de la stratégie à son petit fils, autour d'un immense plateau de jeu. Ils évoquent ensemble la bataille d'Azincourt du 25 octobre 1415, et l'évolution qu'elle incarne en termes d'armements et de tactique. Quelques années plus tard, le petit fils est devenu un soldat professionnel pour le compte de l'entreprise Roxxon. Il s'appelle Luther Manning et il a parmi son peloton le lieutenant Mike Travers. Ce dernier constitue une véritable vitrine pour Roxxon et il apparaît dans tous les spots commerciaux de la marque pour vendre aussi bien des sodas, que des armes à feu, tous de marque Roxxon. Dans ce futur, la guerre est devenu un divertissement de masse retransmis par les chaînes de télévision, les entreprises disposent toutes de leur armé et les conflits économiques se règlent au travers du jeu de guerre télévisé appelé Battlezone. Lors d'un combat très médiatisé dans cette guerre sans fin, Manning et Travers tombent au combat. Leurs dépouilles sont récupérées par la division recherche et développement de Roxxon qui s'en sert pour finaliser le projet Deathlok, un combattant entièrement cybernétique conçu par le docteur Harlan Hellinger, sous la responsabilité de la directrice Theresa Devereaux.
En 1974, Rich Buckler crée le personnage de Deathlok. Ses premières aventures sont regroupées dans Deathlok: L'intégrale 1974-1983 (T01), une série atypique de bien des façons. De temps à autre, Marvel Comics tente de réintégrer ce cyborg à son univers principal avec plus ou moins de bonheur. L'une des itérations ayant connu le plus de succès est celle créée par Dwayne McDuffie : The living nightmare of Michael Collins. Mais l'originalité du personnage fait qu'il s'intègre mal aux superhéros traditionnels. En 2010, Charlie Huston (qui s'est fait connaître avec quelques épisodes de Moon Knight) propose à nouveau une itération supplémentaire de ce personnage. Au lieu de rapatrier de force Deathlok dans l'univers 616 de Marvel, il raconte une nouvelle origine du personnage qui doit beaucoup à la version originelle de Buckler, mais avec des variations significatives.
Le premier épisode de cette série alpague le lecteur pour le plonger brutalement dans ce futur terrifiant. D'un coté la narration est un peu éprouvante parce qu'Huston remplit chaque case d'une grande quantité d'informations, à tel point que le lecteur peut être rebuté par le volume de texte à lire. De l'autre, il installe un futur entièrement aux mains des intérêts privés, du complexe militaro industriel, et sous le joug de l'audience et du divertissement. Sa façon de lier chacune de ces composantes est très convaincante et le résultat fait froid dans le dos, avec ces commentateurs sportifs s'extasiant sur le ratio de morts des combattants vedettes, sur le nombre de tués dans chaque conflit et sur la dextérité et l'audace des combattants les plus jeunes. Il y a là une vision atroce des conflits armés, de la société du spectacle et du capitalisme débridé. Huston entremêle adroitement les pires errements de notre société, avec un récit très brutal, des actions d'éclat, et un questionnement sous-jacent sur notre humanité dans un monde où la recherche du profit et du divertissement prime sur tout, à commencer par les individus. Passé le premier épisode un peu étouffant par sa densité d'exposition, les 6 suivants alternent de manière plus traditionnelle les actions militaires de Deathlok, les manipulations d'Hellstrike et Devereaux, et la lutte intérieure des personnalités de Manning et Travers au sein de l'intelligence artificielle de Deathlok. Au milieu de ces combats sans merci, il réussit également à mettre en évidence la valeur ajoutée de l'humanité dans l'efficacité des tueries (une forme de paradoxe habilement intégré à la narration).
Les illustrations de Medina sont complétées par les couleurs de June Chung (avec Brian Hamberlin pour l'épisode 1, et Morry Hollowell pour l'épisode 3). Les couleurs servent autant à apporter l'information sur la teinte, qu'à transcrire la texture de chaque surface (la peau, comme les parties métalliques) et les différences d'éclairage. Medina imagine des uniformes de combat fortement renforcés, un croisement logique entre la tenue d'un footballeur américain et la tenue anti-émeute des forces de l'ordre. Le scénario d'Huston relève plus de l'anticipation dans un futur proche que d'une science-fiction débridée. Medina s'en sort bien en donnant un air légèrement futuriste à la technologie tout en s'appuyant sur des dispositifs existant. Lors de la scène principale dans une ville normale, il augmente surtout la densité de panneaux à caractère mi-informatif, mi-publicitaire, tout en conservant une architecture urbaine classique. De ce coté la génération de ce lendemain alternatif n'a rien d'ébouriffante, mais rien non plus d'impossible. La représentation de Deathlok est fidèle à l'originale, tout en apportant plus de précision et un niveau technologique plus high-tech. Medina apporte un soin inattendu à l'évocation des armures de l'époque médiévale.
En termes de mise en page, Medina effectue un travail très lisible à base de cases rectangulaires traditionnelles. Chaque personnage dispose d'une apparence graphique unique et distinctive. Le style de Medina trouve ses limites dans la mise en scène des combats qui se déroulent bien souvent sur un fond vide, uniquement occupé par des tourbillons de poussière ocre. Sa volonté de ne recourir qu'à des traits fin pour délimiter les contours de chaque surface fait perdre de la force aux combats dont la violence ne ressort plus que par les postures des soldats et les effets spéciaux de couleurs.
Cette nouvelle incarnation de Luther Manning en Deathlok est assez fidèle à l'originale et en respecte totalement l'esprit. Charlie Huston imagine une convergence glaçante de l'industrie du divertissement et des intérêts militaires et économiques, pour une société toujours plus éloignée des valeurs humanistes. Lan Medina donne corps à ces combats et ces avancées technologiques de manière agréable et adulte. Toutefois ce récit trouve ses limites dans la résolution trop littérale du conflit interne de Deathlok, et dans des visuels manquant parfois de punch. Pour son projet suivant chez Marvel, Charlie Huston a jeté son dévolu sur Wolverine pour l'un des récits les plus violents de ce personnage, sans rien perdre en intelligence : Contagion & Quarantaine brisée (récit complet en 12 épisodes). Par la suite Marvel a réutilisé Deathlok dans une série de Wolverine de Jason Aaron et dans la série d'Uncanny X-Force de Rick Remender (à partir de Deathlok nation).
Un récit hommage aux pulps, bien maîtrisé
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Ce tome contient une histoire complète et indépendante de toute autre. Il comprend les 3 épisodes de la minisérie, initialement parus en 2000, coécrits par Mike Mignola & Richard Pace, dessinés par Troy Nixey, encrés par Dennis Janke, avec une mise en couleurs de Dave Stewart. Cette histoire se déroule dans une réalité alternative, déconnectée et sans incidence sur la Terre principale de l'univers partagé DC (l'équivalent d'un Elseworld).
En 1928, une expédition maritime menée par Bruce Wayne aborde le continent antarctique à la recherche des survivants de la précédente expédition menée par Oswald Cobblepot. Bruce Wayne aperçoit un individu nu dans le lointain. Il le poursuit et arrive dans une caverne où il se fait attaquer par des pingouins, contenant un énorme bloc de glace au fond avec un tentacule pas frais qui en dépasse. Ils finissent par repartir en ramenant le corps d'un marin à bord.
Une fois arrivé à Gotham, Bruce Wayne est accueilli par Alfred Pennyworth qui le ramène à son manoir. Bruce se souvient de ses parents et de leur mort soudaine. À peine arrivé chez lui, il découvre un cadavre dans son fauteuil, un dénommé Langstrom. Une boule de feu sort de la cheminée et un démon à la peau jaune apparaît effectuant une prophétie en 3 parties. À la suite de quoi, Bruce Wayne décide de rendre visite à son vieil ami Oliver Queen.
Il n'y a pas beaucoup de doute sur le fait que cette histoire a bénéficié d'une réédition surtout parce que les éditeurs peuvent mettre le nom de Mike Mignola en avant, le créateur d'Hellboy, du BPRP, et le dessinateur d'une histoire consacrée à un Batman alternatif parue en 1989 (Batman : Gotham au XIXe siècldeux). Dès la première séquence, le lecteur identifie sa patte et ses thèmes de prédilection, avec une aventure au début du vingtième siècle, la découverte d'une créature avec des tentacules. Le surnaturel est bien présent, et les références à Howard Philips Lovecraft continuent avec un grimoire contenant des secrets indicibles (même s'il n'est pas l'œuvre d'Abdul al-Hazred). Par la suite, il y a une prolifération de grenouilles qui évoque les pires heures du BPRD.
Le lecteur découvre que les coscénaristes développent l'aspect surnaturel en intégrant une apparition d'Etrigan le Démon, un personnage créé par Jack Kirby en 1972. Il est vraisemblable que Mike Mignola ait fourni la trame globale du récit, et que Richard Pace ait assuré les dialogues et les raccords avec la mythologie de l'univers de Batman. Ce dernier point est particulièrement bien traité. Ainsi cette version d'Etrigan n'est pas un simple décalque de sa version canonique (pas de récitation de vers par Jason Blood). En outre pour un lecteur ne connaissant pas ce personnage, il lui semblera qu'il a été imaginé spécifiquement pour ce récit, que c'est une création originale. C'est donc à la fois une référence habile, et un élément naturel dans l'intrigue.
Il en va ainsi de tous les personnages existant préalablement dans les séries Batman : des références familières, mais aussi des créations originales découlant de cet environnement particulier. Oliver Queen est bien un archer d'exception et un riche entrepreneur, mais il est aussi tout autre chose au regard de l'intrigue. Dick Grayson est bien présent, sous la responsabilité de Bruce Wayne, mais pas avec les mêmes fonctions que d'habitude. Mignola et Pace ont su à trouver le délicat point d'équilibre entre nourrir le récit d'éléments traditionnels, et les réinventer dans ce contexte différent. C'est une réussite impressionnante en termes de réinterprétation d'un personnage déjà existant et des personnages associés.
Les coscénaristes emmènent le lecteur au sein d'un mystère épais. Certes, il y a donc cette créature avec des tentacules dont on se doute bien que les criminels vont tenter de lui ouvrir la porte vers notre réalité. Mais l'intrigue ne dévoile que progressivement qui mène la danse, ce qui leur manque pour pouvoir aboutir, et qui est impliqué. Le lecteur ne découvre donc que petit à petit ce qui se trame, comment tout ce beau monde en est arrivé là, et qui va se servir de qui comme des pions pour avancer vers le but fixé. Les pièces s'imbriquent avec malice, les auteurs ayant réservé des fonctions peu enviables à des personnages que le lecteur n'attendait pas là. À nouveau ils savent utiliser avec adresse ce que le lecteur sait déjà de certains personnages (le Démon par exemple) pour pouvoir se passer de scènes d'explication, mais aussi le prendre au dépourvu quand ils dépassent les stéréotypes associés à ces mêmes personnages (pas de rimes pour changer de forme pour Jason Blood).
À l'origine, ce devait être Richard Pace qui mettrait l'histoire en images, mais cela n'a pas pu se faire. La présente édition présente 5 pages de crayonnés de Pace avant qu'il ne soit remplacé. Dès la première planche, le lecteur se rend compte que Troy Nixey dessine souvent à la manière de Mike Mignola, soit de son propre chef, soit parce que les responsables éditoriaux le lui ont demandé. De temps à autre, les ombres mangent les dessins au point d'en devenir abstraites (mais pas de manière aussi systématique ou conceptuelle que Mignola). Régulièrement, l'angle de vue choisi ainsi que la mise en scène évoque des cases de Mike Mignola, ou tout du moins les lignes directrices visuelles de la série BPRD, en matière esthétique. Ce parti ris renforce la cohérence entre le scénario et les dessins, comme si l'esprit de Mike Mignola présidait aux deux.
Néanmoins il serait injuste de réduire le travail de Troy Nixey (un dessinateur canadien) à un simple ersatz de celui de Mike Mignola. L'utilisation moins extensive des aplats de noir le conduit à dessiner plus de détails. Ainsi le lecteur peut admirer le gréement du navire de l'expédition, les toits de Gotham, le manteau de cheminée dans le salon du manoir des Wayne, les masques dans le bureau de travail du professeur Manfurd, les bas-reliefs dans une crypte antique, ou encore les poutres d'une charpente en bois.
Troy Nixey montre au lecteur des environnements aux caractéristiques légèrement décalées par rapport à la vérité historique, mais qui forment un tout cohérent. Le scénario repose sur les conventions des aventures de type pulp (avec héros masqué, crimes atroces, créatures surnaturelles, femme fatale, galerie souterraine sous la ville, technologie d'anticipation) que l'artiste amalgame en un tout harmonieux. Certes pour le héros masqué, c'est l'argument de vente puisque le lecteur est venu pour lire une histoire de Batman. Pour ce personnage, Nixey se cale sur la version conçue par Mike Mignola, apparaissant en couverture, moins superhéros, et plus pulp. Pour les crimes atroces, l'artiste se focalise sur l'impression repoussante du cadavre, sans s'attarder sur les éventuelles blessures. Il ne s'agit pas d'une description photographique, mais d'évoquer des chairs déformées, des infections fouillant la chair, s'y immisçant, s'y greffant dans un mélange contre nature.
Pour ce qui est des créatures surnaturelles, Nixey reprend les codes graphiques développés par Mike Mignola, en étant moins radical dans la simplification, tout en gardant une efficacité suffisante (par exemple les marques sur les tentacules, ou la texture étrange de la peau des grenouilles). Il y a essentiellement 3 personnages féminins dans ce récit, et l'artiste ne joue pas énormément sur leur séduction physique. Elles n'en ressortent que plus comme des personnes à part entière, chacune avec sa personnalité et ses capacités. De page en page, le lecteur peut ressentir une forme de déstabilisation concernant le niveau technologique. La première page indique clairement que le récit se déroule en 1928, pourtant le modèle de pistolet semble plus récent, et quelques appareillages donnent une impression plus moderne. Il faut alors se rappeler que la technologie futuriste fait partie de l'univers de Batman et qu'il est légitime qu'elle figure donc dans ce récit.
Troy Nixey conçoit ses images sous forte influence de Mike Mignola, tout en incluant plus de détails, ce qui leur donne une identité graphique propre, et ce qui aboutit à des environnements substantiels. En outre, ce dessinateur réussit des moments saisissants, comme celui du navire pris dans la glace dans le port de Gotham, de Batman s'introduisant par une fenêtre, de la transformation d'un individu colonisé par une plante, d'une jeune femme serrant la main du nouveau maire, etc. Tout au long du récit, le lecteur est pris par surprise par l'intensité d'une image, ou par son étrangeté.
Alors que le lecteur peut craindre une histoire alternative de Batman vite faite, sans grand investissement de la part des auteurs, il découvre un hommage bien ficelé aux pulps et à l'univers de Batman réalisé par des auteurs qui maîtrisent leur sujet, et qui savent amalgamer les deux pour un résultat homogène (par opposition à deux univers raboutés artificiellement qui n'arrivent pas à se mélanger). À l'évidence, Troy Nixey avait comme objectif de se rapprocher des caractéristiques graphiques de Mike Mignola, ce qu'il fait tout en conservant une personnalité graphique qui aboutit à un environnement très particulier, en cohérence avec la narration. Entre un récit hommage qui tire profit des conventions des genres pulp et superhéros, et une histoire de Batman très bien ficelée.
Dur et mignon
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Il s'agit d'une histoire complète en 1 tome comprenant les 6 numéros de la minisérie du même nom (les 3 premiers sont parus en 2002, les 3 derniers en 2006).
Une amie a appelé Felicia Hardy (Black Cat) pour lui indiquer qu'une de leurs amies communes (Tricia) a disparu depuis plusieurs jours sans donner signe de vie. Felicia accepte de se rendre à New York pour voir si elle peut la retrouver ou dénicher une information sur sa situation ; elle emporte son costume de Black Cat dans sa valise. Arrivée à New York, elle s'installe dans un palace. Peter Parker (Spider-Man) enquête sur la mort d'un des étudiants de son université : Donald Philips est mort d'une overdose d'héroïne. Les deux disparus avaient partie liée avec Hunter Todd, une star montante du petit et du grand écran. Spider-Man se met en planque devant la fenêtre de cet acteur pour en apprendre plus. Juste au moment où Todd est en train de réaliser une transaction d'achat d'héroïne, Black Cat tombe sur Spider-Man et le projette à travers la baie vitrée de l'appartement. L'enquête pour retrouver le dealer et démêler ce qui s'est vraiment passé s'annonce ardue.
Cette histoire n'a pas été très bien perçue par les fans à sa parution parce que Kevin Smith a mis quatre ans pour en écrire la seconde moitié. À la lecture, ce hiatus ne se ressent pas. Avec cette histoire, Marvel Comics mariait 2 forces créatrices impressionnantes : Kevin Smith (réalisateur de films tels que Dogma ) et Terry Dodson (encré par Rachel Dodson, sa femme) connu pour son style rond et ses personnages féminins séduisants. À l'arrivée le résultat ne souffre pas de schizophrénie, même si l'un et l'autre jouent chacun sur un registre différent.
Kevin Smith aborde ce scénario en l'écrivant pour des adultes ayant atteint la trentaine. Les préoccupations de Felicia et de Peter sont celles de trentenaires, et non de grands adolescents ou de jeunes adultes. Ce point de vue se ressent dès les premières pages dans lesquelles Felicia se dit qu'elle a passé l'âge de se balader dans un costume en cuir moulant, Peter analyse ses motifs pour sortir des vannes pendant les combats et le dealer connaît un franc succès parce qu'il propose à ses clients un moyen d'injection qui ne laisse pas de trace de piqûre. Kevin Smith décrit ses héros comme des individus ayant déjà une expérience de la vie et ayant conscience de leurs habitudes et de la bizarrerie de leurs comportements (sauter de toit en toit dans un costume moulant). Dès le début, le thème de la défonce est abordé sous un angle de dépendance plutôt que moyen pour faire la fête. Au fil des pages, il apparaît que Kevin Smith propose au lecteur d'avoir le beurre et l'argent du beurre, c'est-à-dire des thèmes adultes et une histoire de superhéros qui s'inscrit dans la continuité. Ce deuxième aspect est inattendu, mais Smith a bien révisé avant d'écrire et les références évidentes (le pont duquel le Green Goblin a jeté le corps de Gwen Stacy) et pointues (Matt Murdock ayant feint d'être mort et se faisant passer pour son frère dans l'épisode 25 de 1967, ou dans le deuxième épisode un jeune photographe roux accompagnée d'une délicieuse journaliste ressemblant à Jimmy Olsen et Lois Lane) s'insèrent naturellement dans le récit. Smith utilise sans honte et sans vergogne les richesses de l'univers partagé Marvel (apparition de Matt Murdock, d'un membre des X-Men, etc.). Il met en scène les acrobaties du Black Cat et les superpouvoirs de Spider-Man avec intelligence (ce dernier en train de surfer sur l'asphalte les pieds sur une plaque d'égout). Il bâtit une intrigue policière qui tient la route (comment s'envoyer une dose sans se piquer ?). Et il fait exister les personnages avec des dialogues ciselés (même si certaines pages sont un peu envahies par les phylactères). Peter et Felicia flirtent gentiment mais fermement, tout en appuyant là où ça fait mal, à savoir ce qui s'est mal passé pendant leurs premières rencontres quelques années auparavant. Les méchants de l'histoire commettent des crimes immondes (ce n'est pas une histoire pour les enfants), mais ils ont également leur propre histoire et leurs propres traumatismes.
À l'opposé de ce mode narratif conscient de lui-même et assez noir, les illustrations des époux Dodson donnent à 100?ns le registre superhéros avec des beaux à-plats de noir arrondis, des mises en valeurs systématiques des courbes du Black Cat, etc. Du début à la fin elle se balade avec la fermeture de sa combinaison descendue en dessous du niveau de sa poitrine pour un décolleté généreux. La scène d'ouverture la montre en train de prendre sa douche. Mais au bout de quelques pages il apparaît sur son visage des émotions plus complexes que celles du jeu de la séduction. Son visage exprime le doute, l'amertume, la résignation qui vient avec le temps, etc. De la même manière quand Spider-Man enlève son masque, son visage exprime des émotions complexes qui n'ont rien de juvéniles. Les Dodson se servent de cet aspect lisse au premier degré pour donner des visages andins aux deux frères Klum (les dealers), mais au fil des pages leurs traits évoluent pour prendre en compte leur cruauté et leur souffrance. Le scénario inclut plusieurs scènes de souffrances et d'actes cruels entre adultes non consentants que les Dodson parviennent en image sans tomber dans le voyeurisme, mais sans affadir ces séquences pour autant. Ils s'avèrent des illustrateurs plus subtils que la mise en avant de la poitrine de Felicia aura pu laisser croire. Même la mise en avant de ses atouts mammaires a une justification dans l'histoire. Et leur style graphique parfois un peu simple permet d'accentuer l'efficacité et la rapidité des scènes d'action.
Alors que la première scène peut laisser croire à une histoire racoleuse et bas du front, ce récit s'adresse à des adultes ayant grandi avec les superhéros pour aborder une forme de crime ordinaire abject (autre que le trafic d'héroïne) avec des illustrations très plaisantes, mais qui savent se faire plus subtiles quand le scénario l'exige.
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Lightfall
J'ai commencé par pester en empruntant cette série. Des tomes de 250 pages qui pèsent un tonne pour des enfants de 8/10 ans je ne trouve pas cela top pour un bon confort de lecture au fond de son lit. Toutefois ma mauvaise humeur s'est bien vite éteinte avec le contenu de cette très bonne série jeunesse. Le récit et l'ambiance emprunte beaucoup au Seigneur des Anneaux mais Tim Probert a su y mettre son empreinte perso pour proposer un récit entrainant aux multiples rebondissements. La jeune Béatrice n'est pas une héroïne conventionnelle gratifiée d'une multitude de super dons qui aplanissent toutes les difficultés rencontrées. Au contraire dans sa quête pour sauver son grand-père elle emmène ses angoisses paralysantes et ses pensées pleines d'un pessimisme démoralisant. C'est une fragilité touchante qu'elle apprend à surmonter au contact de Cad. Cad est le dernier des Galduriens plein de force, d'optimisme et de gentillesse. Leur cheminement est l'occasion de dialogues d'un excellent niveau pour les enfants parfois même avec beaucoup de finesses sur les notions de confiance en soi, de doute et de positionnement face aux difficultés. C'est très adroitement introduit dans un contexte classique de Bien contre Mal avec une métaphore de la lumière qui laisse place aux ténèbres mortifères si personne ne résiste .On reconnait là les codes de base du genre. Mais Tim Probert conduit sa narration de façon très dynamique sans dispersion à tel point que les 250 pages se lisent d'un trait avec l'envie de de continuer la découverte de la suite sans tarder. Les phases d'actions parfois violentes ( pour des enfants) alternent avec les passages plus introspectifs pour former un ensemble équilibré et cohérent. Il y a même souvent un belle touche d'humour grâce au personnage de Cad qui est une vraie trouvaille de l'auteur. Le graphisme est très moderne et soutient parfaitement le dynamisme de la narration. Ici encore il y un bon équilibre entre la narration du texte et celle des images. Une très belle mise en couleur permet de souligner les passages inquiétants ( à base de bleus) et les passages plus lumineux. C'est très réussi. Une très belle série pour les enfants que j'ai eu beaucoup de plaisir à découvrir.
Birdking
Un premier tome prometteur. Un album tous publics qui ravira principalement les adolescents, mais pas seulement, j'en suis la preuve. Daniel Freedman au scénario (Kali) et Crom au dessin, citent Miyazaki ou encore le jeux vidéo Dark Souls comme sources d’inspirations. Ce Birdking est leur deuxième collaboration après "Raiders". Les auteurs nous entraînent dans de la dark fantasy sombre et légère à la fois. Bianca, jeune apprentie forgeronne, est forcée de fuir son pays en guerre et de partir à la recherche d'Atlas, une terre légendaire, elle sera accompagnée par le silencieux et imposant Birdking, l'esprit d'un roi. Un album qui ne révolutionne pas le genre, mais il prend le temps de s'attarder sur Bianca et ainsi de s'attacher à cette délicieuse jeune fille au tempérament bien trempé. Un premier tome qui met en place un univers dense, complexe et mystique dont il reste encore beaucoup à découvrir. Le début d'une saga rondement menée, c'est fluide, palpitant et très agréable à lire. Le titre prend tout son sens. Je découvre Crom et je suis sous le charme de son dessin au trait vif, précis et expressif. Un dessin singulier me rappelant celui de Mike Mignola mais avec une touche de manga, notamment dans l'expression excessive de certains visages. Un délicieux mélange. J'ai aimé le choix des couleurs et la créativité dont Crom a fait preuve pour les personnages, ainsi que pour les rares décors. Sobre, mais très efficace ! Une très belle découverte et vivement la suite. Tome 2. Un second opus qui confirme, beaucoup plus dans l'action, on entre de plein fouet dans cette saga, ce qui permet d'en connaître beaucoup plus sur ces mondes mystérieux. Du déjà vu, mais la réalisation est parfaite et les surprises seront au rendez-vous. Un dosage parfait entre scènes de batailles et moment plus calme pour développer les - nouveaux - personnages. Visuellement, toujours autant de plaisir. Vivement le tome 3.
L'Été de mes 17 ans
Très agréable ce recueil. Il compile des courts récits préalablement parus dans Phosphore (le magazine des 14 ans et +), où 14 auteurs vont narrer l’été de leurs 17 ans. J’ai trouvé le casting hétéroclite et très sympa, en plus d’une belle parité. Nous aurons ainsi tout un panel d’histoires et d’expériences différentes avec comme point commun l’âge de nos héros. Une période charnière qui commence à nous façonner. J’ai aimé la pluralité de ses témoignages, nous voguerons ainsi principalement des années 90 aux 2000 et dans des lieux différents. J’ai aimé la sincérité des auteurs qui se livre parfois sans fard. Selon les histoires, on oscille entre humour, tendresse et profondeur, entre jobs d’été, vacances, galères ou accomplissement. Non vraiment bien chouette ce tome, l’effet nostalgique a parfaitement fonctionné sur moi. Je pense que vous passerez tous un bon moment et ça m’aurait bien plu de découvrir cet album avant ce fameux âge. Pour pinailler, je reconnais quelques histoires un peu plus faibles mais le tout est homogène, en plus d’avoir un côté universel. Un album qui m’a mis de bonne humeur et encore une fois, mention à Alix Garin, qui comme dans Journal Tintin - Spécial 77 ans continue de m’épater.
Le Passeur (Lowry)
3.5 Un bon conte philosophique qui aborde plusieurs thèmes intéressants. J'avoue que cela m'a tout de même prit un peu de temps pour totalement rentré dans l'histoire. On effet, le récit prends tout de même un peu de temps pour ce mettre en place. Les premiers chapitres montrent surtout l'univers particulier où vit le héros. Cette partie n'est pas dénuée d'intérêt, mais le problème s'est que ça parle un peu trop. C'est l'adaptation d'un roman et disons que ça se voit un peu trop. Heureusement, le scénario devient plus captivant lorsque le personnage principal est choisit pour devenir le nouveau Receveur de Mémoire. Les discussions entre lui et le vieux Receveur sont les meilleurs moments de la BD. Tout est très passionnant et je n'ai pas décroché du reste de l'album même si la fin m'a semblé un peu trop abrupte.
Les Évaporés
C'est avec beaucoup de plaisir que j'ai dévoré cette agréable série. J'ai immédiatement été saisi par le graphisme hachuré en N&B de Isao Moutte. La scène d'intro colle parfaitement avec le spleen de l'état d'esprit du personnage central du récit. Le texte est superflu et l'auteur nous guide sur une piste assez intimiste et sociale qui va s'enrichir très vite. Je n'ai pas lu le roman source et donc je ne pourrais pas critiquer son adaptation comme l'a fait Mac Arthur. Je garde de ma lecture la grande fluidité de la narration, la construction astucieuse de la rencontre de Kaze et du jeune garçon. Cela donne une belle crédibilité au rebondissement qui envoie les deux personnages vers les zones dévastées du Tsunami et de la catastrophe nucléaire. Ces parcours permettent d'introduire la thématique peu visitée du Japon des déclassés et des marginaux. Autour de ce thème Moutte peint une image sans concession de l'imbrication entre une pègre sans état d'âme, un patronat peu scrupuleux et un monde politique pressé de faire oublier ses responsabilités dans la (non) prévoyance des catastrophes survenues. Une peinture iconoclaste et peu courante dans l'univers de la BD qui a tendance à idéaliser ce qui touche au Japon. Le final peut décevoir par son côté happy end optimiste qui abandonne l'idée de vengeance (mais aussi de justice) pour celle d'avenir et de reconstruction. Perso j'ai bien aimé cette fin ouverte optimiste qui privilégie le renouveau positif. Comme je l'ai déjà écrit le graphisme élégant, fin et souple de Moutte m'a bien séduit. J'ai particulièrement aimé les planches de pleine pages illustrant les villes (Tokyo ,Lyon, Matsuyama) debout ou de la région ravagée. C'est très détaillé avec de très beaux panoramas. Une lecture très agréable, intelligente et dépaysante. Une belle réussite.
Un Enchantement
Le personnage du vieux monsieur, qui quitte la fête organisée en son honneur en grande pompe, pour suivre une jeune femme quasi irréelle, fait évidemment beaucoup penser à Mitterrand (vague ressemblance, ses habits, son passé politique et une certaine culture presque précieuse), même si ça n’est probablement pas lui (il n’a jamais été ministre des finances comme le personnage). Mais cette rencontre entre cet homme et cette jeune femme va donner lieu à une « fugue », un vieux gamin réalise en fin de vie (professionnelle et politique en tout cas) un vieux caprice ou fantasme, abandonner convenances et tralala, pour vivre, si ce n’est un rêve, tout du moins en rêve. Tout ceci au cœur du musée, qui est traversé en long et en large, qui est utilisé comme décor et parfois comme personnage. L’histoire du vieux politicard (qui semble retrouver une seconde et éphémère jeunesse au contact de la jeune femme) permet aussi à Durieux de dresser l’histoire récente du Louvre (en particulier son expansion annexant les ailes anciennement dévolues à des ministères, avant que les travaux qui ont bouleversé le musée sous François Mitterrand – on y retourne ! – ne lui donne l’aspect connu aujourd’hui). Je trouve que, dans cette collection de commandes, cet album s’en sort très bien. Durieux a réussi à équilibrer le « placement de produit » et la partie plus personnelle, son histoire misant sur un onirisme plaisant, facétieux. C’est en tout cas une lecture agréable. Note réelle 3,5/5.
William, 31 ans, scénariste
L’enfer, c’est la surproduction des autres. - Ce tome contient une série de gags, la majorité en une page, indépendant de toute autre série. Sa date de parution initiale date de 2023. Il a été réalisé par James pour le scénario, les dessins et les aplats de couleurs. Il comprend soixante-trois gags, la majorité en une page, à l’exception des strips intitulés Lil’ Will (cinq pages à raison de trois strips par pages), deux gags en deux pages et un gag en trois pages. William Cabot, scénariste âgé de trente-et-un ans, ouvre la porte palière de son appartement et accueille l’équipe de tournage pour leur proposer d’aller directement dans son bureau. Il effectue le mouvement de leur tourner le dos pour rentrer dans son appartement, marque une pause, tourne la tête et leur demande si ça fait assez naturel cette fois. Le journaliste lui répond qu’ils sont encore en train de tourner et qu’il faut attendre qu’ils aient coupé avant de faire des apartés. Il faut la refaire et il doit tâcher de rester spontané. William se confie à la presse : l’intervieweur constate que le bédéiste ne fait pas de séries d’Heroic Fantasy avec des guerrières dévêtues, des épées, tout ça, et demande pourquoi donc. William répond qu’en réalité il n’a fait que de l’Heroic Fantasy jusqu’à ses trente ans, maintenant il a trente-et-un ans, il a mûri. Réclame : une femme en maillot de bain déclare qu’elle ne pourra jamais tomber amoureuse d’un scénariste tout maigrichon ; le texte explique comment rajouter quatre-vingts à cent kilos rapidement et facilement. La magie de la rencontre : à une question posée, William répond qu’être scénariste de BD, c’est avant tout une histoire de rencontre, de complémentarité avec ses dessinateurs. Ils savent dessiner, il sait écrire. Off the record : la caméra continue à tourner, et William se demande en quoi sa réplique précédente pourrait être drôle. La note d’intention : William explique le projet de sa prochaine bande dessinée, c’est-à-dire l’histoire d’un gamin des favelas, on découvre qu’il est le dernier hériter de la dynastie des Kennedy. À la suite d’un bug informatique, il est propulsé directeur de la CIA et le voilà alors poursuivi par une horde de parachutistes ninjas qui veulent sa peau. Pour donner une petite couleur politique à l’histoire, le héros couche avec la femme du président des États-Unis. Bref, comme peut le constater le journaliste, on est bien loin de l’Heroic Fantasy. C’est du sérieux ! William révise ses classiques : accoudé à la rambarde sur son minuscule balcon parisien, il déclare Madame Bovary, c’est moi. Le journaliste l’interroge pour savoir si à l’instar de Flaubert, l’auteur du roman, il s’identifie au personnage d’Emma. Il dissipe rapidement le malentendu : Madame Bovary, c’est lui… qui l’adapte en BD. Le quotidien de l’artiste 1 : quatre figures montrant William en train de marcher pipe au bec, s’arrêter avec la pipe à la main, adoptant une posture avantageuse, un pied sur une souche d’arbre, assis dans son fauteuil, jambes croisées, le regard fixant le lointain, avachi dans le même fauteuil en train de piquer un roupillon, la quête de l’inspiration. Oui, bien sûr, il s’agit d’un ouvrage nombriliste où un bédéiste considère sa profession, réduite à la portion de scénariste, car l’auteur, lui, est un auteur complet. Il a choisi une forme qui peut sembler minimaliste : William porte toujours la même tenue, à savoir un pantalon avec un pli sur le devant, une chemise et une cravate, et un gilet assorti, sans oublier ses lunettes et sa coupe impeccable avec une raie sur le côté. Le journaliste et le caméraman restent hors champ tout du long, avec seulement leurs remarques ou leurs questions dans une cellule de texte. Le nombre de personnages est assez limité : William, les deux journalistes, deux amis d’enfance du scénariste, une femme assise à la table d’à côté à la terrasse d’un café, Caroline Cabot (54 ans) la mère de William le temps de deux gags, Antonin (59 ans, éditeur) le temps de trois gags, une femme demandant un autographe en convention, Vulvania (27 ans, autrice, 1 gag), trois autres dessinateurs (chacun le temps d’un gag), un autre scénariste (le temps d’un gag), Claire (44 ans, libraire). Bon, mine de rien, ça fait quand même une douzaine d’autres personnages. Bien sûr, William est au centre de tous les gags, il est même le seul personnage à apparaître dans quarante-et-un d’entre eux, sur un total de soixante-trois, c’est-à-dire juste deux tiers. Bon d’accord, mais ces gags se déroulent presque tout le temps dans son salon, sauf pour la porte palière, sa bibliothèque, son petit balcon étroit, l’atelier d’un dessinateur, une terrasse de café, l’appartement de sa mère, le bureau de son éditeur Antonin, la cuisine de William, une galerie d’exposition de planches de bande dessinée, une table à une convention BD, une ville de western, une librairie, sans compter les décors des strips Lil’ Will. D’ailleurs, le lecteur constate rapidement que la monotonie apparente de la forme même des strips (trois bandes de deux cases) est régulièrement rompue par des formes différentes. Ça commence avec un gag en trois cases les unes au-dessus des autres, une rubrique appelée Off the record qui revient à sept reprises dans le tome : le journaliste repose une question pour avoir une réponse plus honnête, moins politiquement correcte. Ça continue avec les pages appelées Le quotidien de l’artiste : uniquement William dans une posture posé, entre une et quatre postures, pour illustrer un thème, comme 1 La quête de l’inspiration, 2 Inspiration nocturne, 3 Le processus de création, 4 Explorer de nouveaux terrains créatifs, 5 Jalouser/admirer le talent d’un concurrent/collègue, 6 Le scénariste de bande dessinée dans un salon du livre, 7 S’accorder une petit pause de temps à autre, 8 Rester connecté au monde extérieur, 9 Boucler un livre. Puis, le lecteur découvre les strips intitulés Lil’ Will : trois bandes de rois cases, chacune constituant un gag, un hommage patent aux Peanuts de Charles M. Schulz (1922-2000), avec parfois une petite touche de Calvin & Hobbes, de Bill Watterson (1958-). Le bédéiste réalise également des parodies de réclame (celle sur le thème de Charles Atlas), deux pages de Trucs & astuces de scénariste, ou encore un western parodique dessinée à la manière des westerns de comics. Le lecteur tombe vite sous le charme de cette diversité, de la capacité de l’auteur à faire siennes des formes classiques. Mais quand même, ça doit vite tourner en rond ces gags ? Ben, pas du tout. James fait usage de la dérision et de l’autodérision, pour évoquer de nombreuses facettes du créateur solitaire et isolé, soumis à une concurrence protéiforme. Il intègre le fait qu’il y a une part d’immodestie plus ou moins consciente chez l’auteur qui estime qu’il peut vivre de sa plume, que ce qu’il raconte et la manière dont il le fait vont intéresser assez de personnes pour qu’il en vive, qu’il y aura assez d’êtres humains ayant envie de savoir ce qu’il exprime, pour acheter ses œuvres, pour le rémunérer. Dans le même temps, William (forcément l’avatar de papier de l’auteur pour une partie significative) a conscience qu’il n’est qu’un auteur parmi tant d’autres, sans compter les écrivains qui l’ont précédé, aussi bien en bande dessinée, qu’en littérature. L’expérience de la vie lui a permis de constater qu’il ne serait jamais un écrivain dont la postérité retiendra le nom pour les siècles à venir, qu’il n’est pas grand-chose comme scénariste de bande dessinée comparé à des vrais écrivains (ceux qui écrivent des vrais livres), que son métier est dépendant des artistes dans une relation pas toujours très saine (le scénariste exigeant une case avec des centaines de personnages en costume, seulement avec quelques mots, ou une séquence de course-poursuite dont il laisse le soin à l’artiste de la concevoir sur trois pages), qu’il est dépendant d’une inspiration que la banalité de son quotidien à sa table de travail ne nourrit pas. Sans compter sa notoriété quasi inexistante. Son chiffre de vente peu élevé comparé à d’autres. Sa propension à s’en tenir à des récits de genre pour une littérature d’évasion avec des clichés de genre infantiles (comme les femmes en armure riquiqui ou les épées en guise de symbole phallique) le rend pathétique par rapport à de jeunes autrices parlant sans tabou d’une facette de la condition féminine dans la société. Une série de gags sur le métier de scénariste de BD, réalisée par un bédéiste auteur complet, avec une forme un peu austère d’interview d’un monsieur dont les années fougueuses sont derrière lui, en chemise et cravate, et déjà un peu résigné à une carrière sans éclat. Certes, mais aussi une mise en forme très variée, des dessins de type Ligne claire, un regard pénétrant, honnête sans être méchant ou condescendant. James fait sourire grâce à une solide maîtrise de la bande dessinée, une franchise implacable et gentille, une vraie compassion sans hypocrisie. William 31 ans, scénariste, sait qu’il pratique un métier dans lequel il doit convaincre de potentiels acheteurs de lire ce qu’il écrit, qu’il doit convaincre des dessinateurs de donner à voir le fruit de son imagination, que certains genres restent encore infantiles ou adolescents, que d’autres auteurs sont beaucoup plus doués ou enrichissants, qu’il participe à la surproduction, mais c’est son métier. Un paradoxe insoluble et parfois accablant quand l’inspiration fait défaut et qu’il faut gagner sa croûte.
Deathlok - Fait pour la guerre
Guerre & Cyborg - Ce tome comprend les 7 épisodes de la minisérie parue en 2010. Il s'agit d'une histoire complète et indépendante de toute autre. Le scénario est de Charlie Huston, et les illustrations de Lan Medina. Cette histoire est parue dans le label Marvel Knights (récits à destination d'un lectorat de jeunes adultes). Dans un futur proche, un grand-père apprend les rudiments de la stratégie à son petit fils, autour d'un immense plateau de jeu. Ils évoquent ensemble la bataille d'Azincourt du 25 octobre 1415, et l'évolution qu'elle incarne en termes d'armements et de tactique. Quelques années plus tard, le petit fils est devenu un soldat professionnel pour le compte de l'entreprise Roxxon. Il s'appelle Luther Manning et il a parmi son peloton le lieutenant Mike Travers. Ce dernier constitue une véritable vitrine pour Roxxon et il apparaît dans tous les spots commerciaux de la marque pour vendre aussi bien des sodas, que des armes à feu, tous de marque Roxxon. Dans ce futur, la guerre est devenu un divertissement de masse retransmis par les chaînes de télévision, les entreprises disposent toutes de leur armé et les conflits économiques se règlent au travers du jeu de guerre télévisé appelé Battlezone. Lors d'un combat très médiatisé dans cette guerre sans fin, Manning et Travers tombent au combat. Leurs dépouilles sont récupérées par la division recherche et développement de Roxxon qui s'en sert pour finaliser le projet Deathlok, un combattant entièrement cybernétique conçu par le docteur Harlan Hellinger, sous la responsabilité de la directrice Theresa Devereaux. En 1974, Rich Buckler crée le personnage de Deathlok. Ses premières aventures sont regroupées dans Deathlok: L'intégrale 1974-1983 (T01), une série atypique de bien des façons. De temps à autre, Marvel Comics tente de réintégrer ce cyborg à son univers principal avec plus ou moins de bonheur. L'une des itérations ayant connu le plus de succès est celle créée par Dwayne McDuffie : The living nightmare of Michael Collins. Mais l'originalité du personnage fait qu'il s'intègre mal aux superhéros traditionnels. En 2010, Charlie Huston (qui s'est fait connaître avec quelques épisodes de Moon Knight) propose à nouveau une itération supplémentaire de ce personnage. Au lieu de rapatrier de force Deathlok dans l'univers 616 de Marvel, il raconte une nouvelle origine du personnage qui doit beaucoup à la version originelle de Buckler, mais avec des variations significatives. Le premier épisode de cette série alpague le lecteur pour le plonger brutalement dans ce futur terrifiant. D'un coté la narration est un peu éprouvante parce qu'Huston remplit chaque case d'une grande quantité d'informations, à tel point que le lecteur peut être rebuté par le volume de texte à lire. De l'autre, il installe un futur entièrement aux mains des intérêts privés, du complexe militaro industriel, et sous le joug de l'audience et du divertissement. Sa façon de lier chacune de ces composantes est très convaincante et le résultat fait froid dans le dos, avec ces commentateurs sportifs s'extasiant sur le ratio de morts des combattants vedettes, sur le nombre de tués dans chaque conflit et sur la dextérité et l'audace des combattants les plus jeunes. Il y a là une vision atroce des conflits armés, de la société du spectacle et du capitalisme débridé. Huston entremêle adroitement les pires errements de notre société, avec un récit très brutal, des actions d'éclat, et un questionnement sous-jacent sur notre humanité dans un monde où la recherche du profit et du divertissement prime sur tout, à commencer par les individus. Passé le premier épisode un peu étouffant par sa densité d'exposition, les 6 suivants alternent de manière plus traditionnelle les actions militaires de Deathlok, les manipulations d'Hellstrike et Devereaux, et la lutte intérieure des personnalités de Manning et Travers au sein de l'intelligence artificielle de Deathlok. Au milieu de ces combats sans merci, il réussit également à mettre en évidence la valeur ajoutée de l'humanité dans l'efficacité des tueries (une forme de paradoxe habilement intégré à la narration). Les illustrations de Medina sont complétées par les couleurs de June Chung (avec Brian Hamberlin pour l'épisode 1, et Morry Hollowell pour l'épisode 3). Les couleurs servent autant à apporter l'information sur la teinte, qu'à transcrire la texture de chaque surface (la peau, comme les parties métalliques) et les différences d'éclairage. Medina imagine des uniformes de combat fortement renforcés, un croisement logique entre la tenue d'un footballeur américain et la tenue anti-émeute des forces de l'ordre. Le scénario d'Huston relève plus de l'anticipation dans un futur proche que d'une science-fiction débridée. Medina s'en sort bien en donnant un air légèrement futuriste à la technologie tout en s'appuyant sur des dispositifs existant. Lors de la scène principale dans une ville normale, il augmente surtout la densité de panneaux à caractère mi-informatif, mi-publicitaire, tout en conservant une architecture urbaine classique. De ce coté la génération de ce lendemain alternatif n'a rien d'ébouriffante, mais rien non plus d'impossible. La représentation de Deathlok est fidèle à l'originale, tout en apportant plus de précision et un niveau technologique plus high-tech. Medina apporte un soin inattendu à l'évocation des armures de l'époque médiévale. En termes de mise en page, Medina effectue un travail très lisible à base de cases rectangulaires traditionnelles. Chaque personnage dispose d'une apparence graphique unique et distinctive. Le style de Medina trouve ses limites dans la mise en scène des combats qui se déroulent bien souvent sur un fond vide, uniquement occupé par des tourbillons de poussière ocre. Sa volonté de ne recourir qu'à des traits fin pour délimiter les contours de chaque surface fait perdre de la force aux combats dont la violence ne ressort plus que par les postures des soldats et les effets spéciaux de couleurs. Cette nouvelle incarnation de Luther Manning en Deathlok est assez fidèle à l'originale et en respecte totalement l'esprit. Charlie Huston imagine une convergence glaçante de l'industrie du divertissement et des intérêts militaires et économiques, pour une société toujours plus éloignée des valeurs humanistes. Lan Medina donne corps à ces combats et ces avancées technologiques de manière agréable et adulte. Toutefois ce récit trouve ses limites dans la résolution trop littérale du conflit interne de Deathlok, et dans des visuels manquant parfois de punch. Pour son projet suivant chez Marvel, Charlie Huston a jeté son dévolu sur Wolverine pour l'un des récits les plus violents de ce personnage, sans rien perdre en intelligence : Contagion & Quarantaine brisée (récit complet en 12 épisodes). Par la suite Marvel a réutilisé Deathlok dans une série de Wolverine de Jason Aaron et dans la série d'Uncanny X-Force de Rick Remender (à partir de Deathlok nation).
Batman - La Malédiction qui s'abattit sur Gotham
Un récit hommage aux pulps, bien maîtrisé - Ce tome contient une histoire complète et indépendante de toute autre. Il comprend les 3 épisodes de la minisérie, initialement parus en 2000, coécrits par Mike Mignola & Richard Pace, dessinés par Troy Nixey, encrés par Dennis Janke, avec une mise en couleurs de Dave Stewart. Cette histoire se déroule dans une réalité alternative, déconnectée et sans incidence sur la Terre principale de l'univers partagé DC (l'équivalent d'un Elseworld). En 1928, une expédition maritime menée par Bruce Wayne aborde le continent antarctique à la recherche des survivants de la précédente expédition menée par Oswald Cobblepot. Bruce Wayne aperçoit un individu nu dans le lointain. Il le poursuit et arrive dans une caverne où il se fait attaquer par des pingouins, contenant un énorme bloc de glace au fond avec un tentacule pas frais qui en dépasse. Ils finissent par repartir en ramenant le corps d'un marin à bord. Une fois arrivé à Gotham, Bruce Wayne est accueilli par Alfred Pennyworth qui le ramène à son manoir. Bruce se souvient de ses parents et de leur mort soudaine. À peine arrivé chez lui, il découvre un cadavre dans son fauteuil, un dénommé Langstrom. Une boule de feu sort de la cheminée et un démon à la peau jaune apparaît effectuant une prophétie en 3 parties. À la suite de quoi, Bruce Wayne décide de rendre visite à son vieil ami Oliver Queen. Il n'y a pas beaucoup de doute sur le fait que cette histoire a bénéficié d'une réédition surtout parce que les éditeurs peuvent mettre le nom de Mike Mignola en avant, le créateur d'Hellboy, du BPRP, et le dessinateur d'une histoire consacrée à un Batman alternatif parue en 1989 (Batman : Gotham au XIXe siècldeux). Dès la première séquence, le lecteur identifie sa patte et ses thèmes de prédilection, avec une aventure au début du vingtième siècle, la découverte d'une créature avec des tentacules. Le surnaturel est bien présent, et les références à Howard Philips Lovecraft continuent avec un grimoire contenant des secrets indicibles (même s'il n'est pas l'œuvre d'Abdul al-Hazred). Par la suite, il y a une prolifération de grenouilles qui évoque les pires heures du BPRD. Le lecteur découvre que les coscénaristes développent l'aspect surnaturel en intégrant une apparition d'Etrigan le Démon, un personnage créé par Jack Kirby en 1972. Il est vraisemblable que Mike Mignola ait fourni la trame globale du récit, et que Richard Pace ait assuré les dialogues et les raccords avec la mythologie de l'univers de Batman. Ce dernier point est particulièrement bien traité. Ainsi cette version d'Etrigan n'est pas un simple décalque de sa version canonique (pas de récitation de vers par Jason Blood). En outre pour un lecteur ne connaissant pas ce personnage, il lui semblera qu'il a été imaginé spécifiquement pour ce récit, que c'est une création originale. C'est donc à la fois une référence habile, et un élément naturel dans l'intrigue. Il en va ainsi de tous les personnages existant préalablement dans les séries Batman : des références familières, mais aussi des créations originales découlant de cet environnement particulier. Oliver Queen est bien un archer d'exception et un riche entrepreneur, mais il est aussi tout autre chose au regard de l'intrigue. Dick Grayson est bien présent, sous la responsabilité de Bruce Wayne, mais pas avec les mêmes fonctions que d'habitude. Mignola et Pace ont su à trouver le délicat point d'équilibre entre nourrir le récit d'éléments traditionnels, et les réinventer dans ce contexte différent. C'est une réussite impressionnante en termes de réinterprétation d'un personnage déjà existant et des personnages associés. Les coscénaristes emmènent le lecteur au sein d'un mystère épais. Certes, il y a donc cette créature avec des tentacules dont on se doute bien que les criminels vont tenter de lui ouvrir la porte vers notre réalité. Mais l'intrigue ne dévoile que progressivement qui mène la danse, ce qui leur manque pour pouvoir aboutir, et qui est impliqué. Le lecteur ne découvre donc que petit à petit ce qui se trame, comment tout ce beau monde en est arrivé là, et qui va se servir de qui comme des pions pour avancer vers le but fixé. Les pièces s'imbriquent avec malice, les auteurs ayant réservé des fonctions peu enviables à des personnages que le lecteur n'attendait pas là. À nouveau ils savent utiliser avec adresse ce que le lecteur sait déjà de certains personnages (le Démon par exemple) pour pouvoir se passer de scènes d'explication, mais aussi le prendre au dépourvu quand ils dépassent les stéréotypes associés à ces mêmes personnages (pas de rimes pour changer de forme pour Jason Blood). À l'origine, ce devait être Richard Pace qui mettrait l'histoire en images, mais cela n'a pas pu se faire. La présente édition présente 5 pages de crayonnés de Pace avant qu'il ne soit remplacé. Dès la première planche, le lecteur se rend compte que Troy Nixey dessine souvent à la manière de Mike Mignola, soit de son propre chef, soit parce que les responsables éditoriaux le lui ont demandé. De temps à autre, les ombres mangent les dessins au point d'en devenir abstraites (mais pas de manière aussi systématique ou conceptuelle que Mignola). Régulièrement, l'angle de vue choisi ainsi que la mise en scène évoque des cases de Mike Mignola, ou tout du moins les lignes directrices visuelles de la série BPRD, en matière esthétique. Ce parti ris renforce la cohérence entre le scénario et les dessins, comme si l'esprit de Mike Mignola présidait aux deux. Néanmoins il serait injuste de réduire le travail de Troy Nixey (un dessinateur canadien) à un simple ersatz de celui de Mike Mignola. L'utilisation moins extensive des aplats de noir le conduit à dessiner plus de détails. Ainsi le lecteur peut admirer le gréement du navire de l'expédition, les toits de Gotham, le manteau de cheminée dans le salon du manoir des Wayne, les masques dans le bureau de travail du professeur Manfurd, les bas-reliefs dans une crypte antique, ou encore les poutres d'une charpente en bois. Troy Nixey montre au lecteur des environnements aux caractéristiques légèrement décalées par rapport à la vérité historique, mais qui forment un tout cohérent. Le scénario repose sur les conventions des aventures de type pulp (avec héros masqué, crimes atroces, créatures surnaturelles, femme fatale, galerie souterraine sous la ville, technologie d'anticipation) que l'artiste amalgame en un tout harmonieux. Certes pour le héros masqué, c'est l'argument de vente puisque le lecteur est venu pour lire une histoire de Batman. Pour ce personnage, Nixey se cale sur la version conçue par Mike Mignola, apparaissant en couverture, moins superhéros, et plus pulp. Pour les crimes atroces, l'artiste se focalise sur l'impression repoussante du cadavre, sans s'attarder sur les éventuelles blessures. Il ne s'agit pas d'une description photographique, mais d'évoquer des chairs déformées, des infections fouillant la chair, s'y immisçant, s'y greffant dans un mélange contre nature. Pour ce qui est des créatures surnaturelles, Nixey reprend les codes graphiques développés par Mike Mignola, en étant moins radical dans la simplification, tout en gardant une efficacité suffisante (par exemple les marques sur les tentacules, ou la texture étrange de la peau des grenouilles). Il y a essentiellement 3 personnages féminins dans ce récit, et l'artiste ne joue pas énormément sur leur séduction physique. Elles n'en ressortent que plus comme des personnes à part entière, chacune avec sa personnalité et ses capacités. De page en page, le lecteur peut ressentir une forme de déstabilisation concernant le niveau technologique. La première page indique clairement que le récit se déroule en 1928, pourtant le modèle de pistolet semble plus récent, et quelques appareillages donnent une impression plus moderne. Il faut alors se rappeler que la technologie futuriste fait partie de l'univers de Batman et qu'il est légitime qu'elle figure donc dans ce récit. Troy Nixey conçoit ses images sous forte influence de Mike Mignola, tout en incluant plus de détails, ce qui leur donne une identité graphique propre, et ce qui aboutit à des environnements substantiels. En outre, ce dessinateur réussit des moments saisissants, comme celui du navire pris dans la glace dans le port de Gotham, de Batman s'introduisant par une fenêtre, de la transformation d'un individu colonisé par une plante, d'une jeune femme serrant la main du nouveau maire, etc. Tout au long du récit, le lecteur est pris par surprise par l'intensité d'une image, ou par son étrangeté. Alors que le lecteur peut craindre une histoire alternative de Batman vite faite, sans grand investissement de la part des auteurs, il découvre un hommage bien ficelé aux pulps et à l'univers de Batman réalisé par des auteurs qui maîtrisent leur sujet, et qui savent amalgamer les deux pour un résultat homogène (par opposition à deux univers raboutés artificiellement qui n'arrivent pas à se mélanger). À l'évidence, Troy Nixey avait comme objectif de se rapprocher des caractéristiques graphiques de Mike Mignola, ce qu'il fait tout en conservant une personnalité graphique qui aboutit à un environnement très particulier, en cohérence avec la narration. Entre un récit hommage qui tire profit des conventions des genres pulp et superhéros, et une histoire de Batman très bien ficelée.
Spider-Man / Black Cat - L'Enfer de la violence
Dur et mignon - Il s'agit d'une histoire complète en 1 tome comprenant les 6 numéros de la minisérie du même nom (les 3 premiers sont parus en 2002, les 3 derniers en 2006). Une amie a appelé Felicia Hardy (Black Cat) pour lui indiquer qu'une de leurs amies communes (Tricia) a disparu depuis plusieurs jours sans donner signe de vie. Felicia accepte de se rendre à New York pour voir si elle peut la retrouver ou dénicher une information sur sa situation ; elle emporte son costume de Black Cat dans sa valise. Arrivée à New York, elle s'installe dans un palace. Peter Parker (Spider-Man) enquête sur la mort d'un des étudiants de son université : Donald Philips est mort d'une overdose d'héroïne. Les deux disparus avaient partie liée avec Hunter Todd, une star montante du petit et du grand écran. Spider-Man se met en planque devant la fenêtre de cet acteur pour en apprendre plus. Juste au moment où Todd est en train de réaliser une transaction d'achat d'héroïne, Black Cat tombe sur Spider-Man et le projette à travers la baie vitrée de l'appartement. L'enquête pour retrouver le dealer et démêler ce qui s'est vraiment passé s'annonce ardue. Cette histoire n'a pas été très bien perçue par les fans à sa parution parce que Kevin Smith a mis quatre ans pour en écrire la seconde moitié. À la lecture, ce hiatus ne se ressent pas. Avec cette histoire, Marvel Comics mariait 2 forces créatrices impressionnantes : Kevin Smith (réalisateur de films tels que Dogma ) et Terry Dodson (encré par Rachel Dodson, sa femme) connu pour son style rond et ses personnages féminins séduisants. À l'arrivée le résultat ne souffre pas de schizophrénie, même si l'un et l'autre jouent chacun sur un registre différent. Kevin Smith aborde ce scénario en l'écrivant pour des adultes ayant atteint la trentaine. Les préoccupations de Felicia et de Peter sont celles de trentenaires, et non de grands adolescents ou de jeunes adultes. Ce point de vue se ressent dès les premières pages dans lesquelles Felicia se dit qu'elle a passé l'âge de se balader dans un costume en cuir moulant, Peter analyse ses motifs pour sortir des vannes pendant les combats et le dealer connaît un franc succès parce qu'il propose à ses clients un moyen d'injection qui ne laisse pas de trace de piqûre. Kevin Smith décrit ses héros comme des individus ayant déjà une expérience de la vie et ayant conscience de leurs habitudes et de la bizarrerie de leurs comportements (sauter de toit en toit dans un costume moulant). Dès le début, le thème de la défonce est abordé sous un angle de dépendance plutôt que moyen pour faire la fête. Au fil des pages, il apparaît que Kevin Smith propose au lecteur d'avoir le beurre et l'argent du beurre, c'est-à-dire des thèmes adultes et une histoire de superhéros qui s'inscrit dans la continuité. Ce deuxième aspect est inattendu, mais Smith a bien révisé avant d'écrire et les références évidentes (le pont duquel le Green Goblin a jeté le corps de Gwen Stacy) et pointues (Matt Murdock ayant feint d'être mort et se faisant passer pour son frère dans l'épisode 25 de 1967, ou dans le deuxième épisode un jeune photographe roux accompagnée d'une délicieuse journaliste ressemblant à Jimmy Olsen et Lois Lane) s'insèrent naturellement dans le récit. Smith utilise sans honte et sans vergogne les richesses de l'univers partagé Marvel (apparition de Matt Murdock, d'un membre des X-Men, etc.). Il met en scène les acrobaties du Black Cat et les superpouvoirs de Spider-Man avec intelligence (ce dernier en train de surfer sur l'asphalte les pieds sur une plaque d'égout). Il bâtit une intrigue policière qui tient la route (comment s'envoyer une dose sans se piquer ?). Et il fait exister les personnages avec des dialogues ciselés (même si certaines pages sont un peu envahies par les phylactères). Peter et Felicia flirtent gentiment mais fermement, tout en appuyant là où ça fait mal, à savoir ce qui s'est mal passé pendant leurs premières rencontres quelques années auparavant. Les méchants de l'histoire commettent des crimes immondes (ce n'est pas une histoire pour les enfants), mais ils ont également leur propre histoire et leurs propres traumatismes. À l'opposé de ce mode narratif conscient de lui-même et assez noir, les illustrations des époux Dodson donnent à 100?ns le registre superhéros avec des beaux à-plats de noir arrondis, des mises en valeurs systématiques des courbes du Black Cat, etc. Du début à la fin elle se balade avec la fermeture de sa combinaison descendue en dessous du niveau de sa poitrine pour un décolleté généreux. La scène d'ouverture la montre en train de prendre sa douche. Mais au bout de quelques pages il apparaît sur son visage des émotions plus complexes que celles du jeu de la séduction. Son visage exprime le doute, l'amertume, la résignation qui vient avec le temps, etc. De la même manière quand Spider-Man enlève son masque, son visage exprime des émotions complexes qui n'ont rien de juvéniles. Les Dodson se servent de cet aspect lisse au premier degré pour donner des visages andins aux deux frères Klum (les dealers), mais au fil des pages leurs traits évoluent pour prendre en compte leur cruauté et leur souffrance. Le scénario inclut plusieurs scènes de souffrances et d'actes cruels entre adultes non consentants que les Dodson parviennent en image sans tomber dans le voyeurisme, mais sans affadir ces séquences pour autant. Ils s'avèrent des illustrateurs plus subtils que la mise en avant de la poitrine de Felicia aura pu laisser croire. Même la mise en avant de ses atouts mammaires a une justification dans l'histoire. Et leur style graphique parfois un peu simple permet d'accentuer l'efficacité et la rapidité des scènes d'action. Alors que la première scène peut laisser croire à une histoire racoleuse et bas du front, ce récit s'adresse à des adultes ayant grandi avec les superhéros pour aborder une forme de crime ordinaire abject (autre que le trafic d'héroïne) avec des illustrations très plaisantes, mais qui savent se faire plus subtiles quand le scénario l'exige.