Les derniers avis (95 avis)

Par Présence
Note: 4/5
Couverture de la série Ragemoor
Ragemoor

Le mariage de E.A. Poe & H.P. Lovecraft - Il s'agit d'une histoire complète indépendante de toute autre, initialement publiée en 4 épisodes parus en 2012. le scénario est de Jan Strnad, et les illustrations en noir & blanc (et niveaux de gris) de Richard Corben. Ils avaient déjà collaboré sur d'autres histoires dans les années 1970 et 1980, comme par exemple Jeremy Brood et Les mille et une nuits. L'histoire se passe quelque part aux États-Unis, au dix-huitième ou dix neuvième siècle, dans une demeure en pierre imposante baptisée Ragemoor, bâtie sur un éperon rocheux, en bordure d'océan. Herbert, le maître de céans, accueille son oncle et sa fille Anoria. Au cours du repas, il les incite à partir séance tenante et de nuit, car la demeure est peu hospitalière. Il leur raconte les circonstances dans lesquelles elle a été érigée. Il insiste sur le fait que la nuit elle a tendance à se modifier d'elle-même en ajoutant une pièce supplémentaire, ou en allongeant un couloir. Les 2 hôtes ne sont guère impressionnés et ils décident de rester malgré l'avertissement. L'oncle demande des nouvelles de son frère Machlan, qui est aussi le père d'Herbert. Ce dernier explique qu'il a perdu la raison et qu'il erre dans les couloirs, qu'il disparaît des fois des jours durant. Anoria demande à Bodrick, le domestique ayant servi à table et les guidant vers leurs chambres, où se trouvent les autres serviteurs. Il répond qu'ils vaquent à leurs occupations et qu'ils n'auront pas l'occasion de les voir. Avec une entrée en la matière aussi convenue et classique, le lecteur n'attend pas grand-chose du récit. L'attrait principal réside dans l'identité de l'illustrateur : Richard Corben, dessinateur au style affirmé et très personnel, s'étant fait connaître en 1973 avec Den première époque et des histoires courtes pour Eerie et Creepy (rassemblées dans Eerie et Creepy présentent Richard Corben Volume 1 et volume 2). Dès la première page, tout le style de Corben saute aux yeux. Dans ce récit en noir & blanc, il utilise des aplats de noir pour donner du poids aux cases, et pour conserver l'inconnu qui se tapit dans ces zones inscrutables. Il utilise les niveaux de gris pour ajouter du volume aux surfaces, en particulier pour les visages, et la peau en général, avec une technique qui permet un dégradé très lissé, très progressive, parfaitement adapté à cet usage. Dès la première page, le lecteur peut également constater qu'il n'a pas perdu la main pour croquer des visages mémorables, aux expressions très parlantes. le visage fermé d'Herbert indique toute sa contrariété à devoir accueillir l'oncle et Anoria. Dans les pages suivantes le visage de l'oncle en dit long sur sa condition, son mode de vie et sa capacité à embellir la vérité. le visage parcheminé de Bodrick permet de ne jamais oublier son âge et sa condition sociale. Comme à son habitude, Corben mélange 2 registres représentatifs différents d'un personnage à l'autre et parfois dans la même case. Il en va ainsi par exemple pour Machlan (le père d'Herbert) et Anoria, la fille de l'oncle. le premier apparaît comme une silhouette vite esquissée avec laquelle Corben joue dans le registre de l'humour, alors que la seconde est détaillée et sublimée, comme elle apparaît aux yeux d'Herbert. En jouant sur ces 2 registres, l'artiste introduit une forme d'humour décalé et second degré qui indique au lecteur qu'il ne se prend pas au sérieux. Mais ce même humour en coin sert aussi de comparaison avec les éléments sérieux et premier degré pour mieux les faire ressortir. Tout l'art du dessinateur est de savoir doser ses effets afin de ne pas créer de dissonance visuelle, et Corben s'y entend à merveille. Il devient virtuose en mélangeant ces 2 techniques pour les monstres en forme de ver anthropomorphe, à la fois immondes et parodiques. du début à la fin, le lecteur peut se régaler d'illustrations mitonnées avec amour des pages savoureuses au premier et au deuxième degré. Il faut dire que le scénario joue sur ses forces graphiques. La scène d'ouverture laisse supposer que Jan Strnad va se contenter de piocher dans les atmosphères gothiques chères à Edgar Allan Poe (Histoires extraordinaires), en les mâtinant d'une couche d'horreur fantastique à la Howard Philips Lovecraft. Lui aussi maîtrise bien ses techniques et l'atmosphère est au rendez-vous, pour une situation très classique et peu originale. Mais les dessins transforment ces poncifs en des ambiances irrésistibles et ces séquences passent toutes seules, jusqu'à ce que… En fait Strnad pose les bases de son récit jusqu'à ce qu'il dispose de fondations assez solides pour l'emmener dans des territoires plus originaux, avec un récit bien ficelé, logique et qui tient la route. Il ne se contente pas d'évoquer le sentiment d'effroi de loin, il plonge les mains dans le cambouis pour concevoir toute la structure mythologique justifiant les particularités de Ragemoor (en seulement 4 épisodes). du coup le récit dépasse le simple exercice de style pour devenir une histoire consistante et très prenante. Jan Strnad et Richard Corben invoquent les mânes d'Edgar Allan Poe et Howard Philips Lovecraft pour un récit d'horreur à l'ancienne convainquant et non dénué d'un humour malicieux.

16/04/2024 (modifier)
Couverture de la série Bukowski - De liqueur et d’encre
Bukowski - De liqueur et d’encre

Alcoolique, violent, provocateur, machiste, Charles Bukowski a tout du poète maudit et détestable. La gageure pour les auteurs de cette biographie était de nous le rendre intéressant sans cacher ses excès. Et ils y parviennent parfaitement ! A un point tel qu'ils m'ont donné l'envie de lire l'une ou l'autre œuvre de Bukowski (et ça, pour moi, c'est la preuve que le but est atteint). Nous avons pourtant droit à une biographie on ne peut plus conventionnelle. Elle revient dans un ordre chronologique sur le parcours de l'artiste et sa seule originalité est d'être écrite à la première personne. Mais c'est justement en procédant de la sorte que les auteurs parviennent à humaniser ce personnage. Bukowski, battu par son père, addict à l'alcool au plus haut point, obsédé par le sexe et multipliant les conquêtes, enchainant les petits boulots dans l'unique but de récolter suffisamment d'argent pour se saouler un jour de plus. Mais aussi Bukowski galérant dans son ambition d'écrivain, travaillant d'arrache-pied, constamment insatisfait de ses écrits, Bukowski convaincu qu'il fallait souffrir pour bien écrire, et qu'il fallait avoir souffert pour avoir quelque chose à dire. Les réflexions amères succèdent aux punch-lines violentes, cette narration en voix off porte le récit, bien soutenue par un dessin soigné dans un style réaliste tout à fait adéquat. Les auteurs (italiens) livrent une partition sans fausse note au travers de laquelle l'arrogance désespérée, l'irrévérence et les provocations de l'homme finissent par dévoiler la fragilité de l'écrivain. Le portrait de l'écrivain devient fascinant alors même que l'homme est détestable par plus d'un aspect... mais touchant par d'autres. C'est le portrait d'un être brisé et amer pour qui l'alcool est le seul refuge face à son dégoût du monde et de lui-même. La narration, le dessin, le découpage, les petits documentaires insérés : tout est vraiment d'une belle qualité. J'ai dévoré et j'ai adoré. Franchement bien !!

16/04/2024 (modifier)
Couverture de la série Nées Rebelles
Nées Rebelles

Je vais faire court et rapide. Je me méfiais un peu de cet album mais force est de constater qu’il est tout simplement excellent. C’est réalisé avec grand soin. Les différentes parties graphiques m’ont toutes franchement plu, mais la qualité des portraits m’a encore plus emporté, qu’importe la cause, c’est super bien raconté. Une belle leçon et résilience de la part de ces jeunes « rebelles ». J’en conseille vivement la lecture et encourage toutes les médiathèques à le posséder. Coup de cœur !!

16/04/2024 (modifier)
Par Gaston
Note: 4/5
Couverture de la série Beast Complex
Beast Complex

3.5 Une série d'histoires courtes pour les fans de Beastars, je ne pense pas que c'est une lecture pour quelqu'un qui n'a pas lu la série-mère. L'autrice développe son univers à travers des histoires qui parlent de relation entre animaux, surtout entre les herbivores et les carnivores. Il y a de très bonnes histoires courtes, notamment cela du show de cuisine qui met en vedette un crocodile et une gazelle. J'ai adoré aussi l'histoire courte avec les personnages vedettes de Beastars, c'était sympa de les revoir. Évidemment, comme ce sont des histoires courtes, il y a la frustration de ne pas revoir des personnages dont on s'est attaché après une quarantaine de pages et aussi c'est un peu inégal au niveau du scénario, mais globalement c'est une bonne lecture si on a aimé la série-mère.

16/04/2024 (modifier)
Par gruizzli
Note: 4/5
Couverture de la série Love in Vain
Love in Vain

Robert Johnson, figure mythologique de la musique. Clamant avoir vendu son âme pour une musique sans précédent, créateur du rock pour bon nombre d'artiste, musicien parmi les plus influent du XXè siècle, mort dans la jeunesse, vivant dans la misère et la richesse (selon ses jours), membre éternel du club des 27 ... Que dire sur le personnage qui n'a pas déjà été dit ? J'ai personnellement revu sa figure dans l'excellent Mojo que je rapproche de cette BD, puisque nous découvrons le monde de la musique soul et blues dans les années 40, préparant le terrain à l'explosion post-seconde guerre mondiale. La biographie permets de mettre en lumière les différentes phases de sa vie, notamment les deuils qui le dévastèrent avant qu'il ne se plonge à corps perdu dans la musique. Le dessin rajoute à l'ensemble avec un noir et blanc travaillé, donnant l'impression d'anciennes gravures et surtout une très belle mise en scène de ce monde de danseurs, de cabanes à musique et d'années de ségrégation. La lecture est instructive et plaisante, mais surtout un bel hommage à Robert Johnson dont les enregistrements le sauvèrent de l'oubli. Lecture recommandée !

16/04/2024 (modifier)
Par Ro
Note: 4/5
Couverture de la série Je suis leur silence
Je suis leur silence

Cet album est assez dense, légèrement confus et on ne sait pas toujours si l'auteur sait bien où il veut aller, mais je l'ai lu avec beaucoup de plaisir. Il tient avant tout sur la personnalité de son héroïne. Outre sa beauté et sa finesse d'esprit, celle-ci est d'un caractère volontairement étonnant, difficile à cerner, entre exubérance imprudente et intelligence avec beaucoup de recul. L'auteur rend hommage en fin d'album aux personnes bipolaires mais je n'ai pas l'impression que son héroïne le soit. Oui, elle fait preuve d'hyperactivité et de troubles maniaques, mais on ne lui voit quasiment pas de phase de dépression qui viennent les contrebalancer si ce n'est une séance de pleurs mais pas vraiment sans raison. Par contre, on peut l'observer dans une sorte d'éternelle fuite en avant, incapable de restreindre ses émotions et ses envies ni de se brider, par peur d'un traumatisme de son passé qu'on découvrira peu à peu. Ça en fait un personnage très original et charmant malgré ses défauts et son côté parfois casse-pieds. L'histoire pour sa part est très rythmée, complexe et intéressante même si parfois légèrement embrouillée. Les personnages y sont tous bons et les situations sortent assez des sentiers battus. Quant au dessin de Jordi Lafebre, il est excellent comme toujours. Ce n'est pas un scénario complètement ficelé avec un déroulement clair et une fin percutante, mais c'est une histoire très sympathique, avec une bonne dose d'humour et une héroïne joyeusement "attachiante".

16/04/2024 (modifier)
Couverture de la série Les Guerres de Lucas
Les Guerres de Lucas

Il y a longtemps, dans une Californie lointaine, très lointaine... Incontournable pour les adeptes de la saga, ce roman graphique super bien foutu pourra également intéresser les amateurs de backstage de cinéma tellement l’œuvre regorge d’anecdotes tout en étant dotée d’une narration fluide et assimilable par n’importe qui. Ce livre ce lit comme un vrai page-turner, j’ai été scotché de bout en bout et pourtant je ne suis pas un néophyte : j’ai vu les 6 premiers films des dizaines de fois chacun, j’ai lu des comics, des romans, fait tous les jeux vidéos, je me suis intéressé à d’autres médias, bref, je connais plutôt bien l’univers Star Wars par rapport à la moyenne. Après pour certaines personnes c’est quasiment une religion il faut dire, donc des trucs diverses et variés on peut en apprendre tout les jours. J’ignorais par exemple que les interprètes de C3PO et R2-D2 ne pouvaient pas se blairer sur le tournage (est-ce toujours le cas ? ), l’infarctus de Lucas, sa jeunesse rebelle dont je n’avais pas le moindre soupçon (quand on voit Lucas il fait plus pépère tranquille, même lorsqu’il était jeune), je ne vais pas vous gâcher le plaisir de lecture en vous spoilant le récit mais il y a à boire et à manger là-dedans. Ce qui est diablement intéressant, et c’est le tour de Force des auteurs, c’est d’avoir réussi à conjuguer une biographie intimiste de Georges Lucas tout en étant à la fois une histoire sur la production du tout premier « La Guerre des étoiles », de l’envie du réalisateur de créer quelque chose qui lui ressemble et qui sort des sentiers battus à la sortie dudit film et le ras-de-marée culturel qu’il a représenté. C’est une véritable aventure en parallèle de ce space fantasy qui nous est contée, et de for belle manière : Lucas cet homme taiseux et affable m’a touché par sa réserve, les gens de la 20st Century Fox au contraire apparaissent comme des méchants de James Bond tant ils sont vénales et calculateurs (c’est romancé mais est-ce si éloigné de la réalité ? ), certains personnages m’ont déçu : je savais par exemple qu’Alec Guinness trouvé les dialogues enfantins, ou que pas grand monde parmi le crew ne croyait au projet, mais j’ai été surpris que des Ford, Fisher ou Kenny Baker, c’est-à-dire des moins que rien avant ce film, se foutent ouvertement de ce film « de merde ». Cela a été plus qu’un parcours du combattant la réalisation de ce film, dans la lignée de ces films maudits comme Fitzcarraldo, Don Quichotte ou Waterworld. Lucas a sué sang et eau pour le mener au bout et il est intéressant de remarquer que si son succès repose pour l’immense partie sur les épaules de Lucas imself, quelques noms de notables sont à ajouter, des gens qui ont cru au projet et en l’homme : sa femme Marcia Lucas sa première critique et relectrice et son équipe de monteurs, Gary Kurtz le producteur exécutif le Sam de l’équipe, Tom Pollock son avocat qui a négocié le contrat du siècle, Ben Burtt prodige des effets sonores, John Williams l’un des plus grands compositeurs de cinéma, Alan Ladd indéfectible soutient de Lucas envers et contre tous, George Mather qui a remis de l’ordre dans le bordel des studios I.L.M ; Willard et Gloria Huyck les dialoguistes (sans eux ça ne ressemblerai à rien vu que Lucas « ne sait pas écrire »), Fred Roos le directeur de casting qui a eu du flair. Ah oui ! Et le dessin est juste parfait, aux petits oignons, il sert parfaitement la narration, le code couleur est génial, y rien à redire, c’est très plaisant à regarder.

16/04/2024 (modifier)
Par karibou79
Note: 4/5
Couverture de la série La Traque - L'Affaire de Ligonnés
La Traque - L'Affaire de Ligonnés

De la piste de la DEA en passant par l'univers mystique d'une secte, d'extraits de blogs à séances d'interrogatoires, on a accès à toutes les informations révélées plus ou moins confidentiellement de l'affaire XDDL qui a défrayé les chroniques durant plus 8 ans (et peut-être encore plus si de nouvelles pistes font surface). Les faits sont mis en image à hauteur d'homme, les spéléologues effectuant les fouilles souterraines portent des noms et des visages. Et des protagonistes il y a en a : famille, amis de longue date, policiers, scientifiques, ecclésisastiques... Je suis admiratif de l'alternance si fluide de flashbacks en BD biographique, d'investigation en BD documentaire, de reproductions de lettres, mails, notes de blogs, de texte compléementaires, de suggestions de lecture. Les 200 pages de cet album sont justifiées, les chapitres sont également pondérés. Tout le monde prendra donc plaisir à gratter une piste plus qu'une autre. Car cette traque est toujours en cours, à l'instar de celle de la Chouette d'Or, relancée aux USA par la série Netflix dont je n'avais pas entendu parler. Car de locale, l'enquête a vite pris une tournure nationale puis européenne et maintenant mondiale. Et ce bel ouvrage de Petit-Valette risque d'en inspirer d'autres tant tous les ingrédients d'une course-poursuite sans fin sont là. Les dernières pages le confirment en empilant les avis de spécialistes, proches et autres concernant la question pourtant simple de la vie ou de la mort de l'insaisissable XDDL. Une expérience passionante chaudement recommandée aux amateurs de polar et de faits divers.

16/04/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 4/5
Couverture de la série Celui que tu aimes dans les ténèbres
Celui que tu aimes dans les ténèbres

Perte de confiance - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre, qui n'appelle pas de suite. Il regroupe les cinq épisodes de la minisérie, initialement parus en 2021, écrits par Skottie Young, dessinés et encrés par Jorge Corona, avec une mise en couleurs de Jean-François Beaulieu. Dans une petite ville de campagne aux États-Unis, Rowena Meadows se tient devant une demeure de caractère, avec un étage et des combles. Elle indique à l'agente immobilière derrière elle que ça correspond exactement à ce qu'elle recherche. Étrangement l'autre essaye de l'en dissuader en lui indiquant que de nombreux propriétaires se sont succédé à un rythme rapide et que la maison a la réputation d'être hantée. Ro s'y installe et se sert un verre de vin rouge pour fêter ça. En plaisantant, elle dit à haute voix que le fantôme, s'il est réel, pourrait l'aider à déballer ses affaires. Elle se rend au salon, où elle sort un vinyle de la collection et le pose sur la platine. Elle écoute la musique, tout en sirotant son verre de vin, et en regardant la toile vierge sur son chevalet, posée devant une grande fenêtre par laquelle entre la chaude lumière du soleil. Elle va pour commencer à dessiner, mais sans parvenir à poser la pointe de son crayon sur la toile. Elle le repose, se ressert un verre de vin, et contemple fixement le blanc de la toile, sans plus prêter d'attention à la musique. La nuit tombe, et la toile reste immaculée. Le lendemain, elle continue à parler à haute voix comme un jeu, en disant qu'il pourrait au moins lancer le disque, et lui servir un verre de vin. En tout état de cause, il devrait au minimum lui servir de source d'inspiration. Ro Meadows reproduit ce rituel chaque jour, et au bout de quelques semaines, elle n'est parvenue à rien : pas un seul trait sur la toile. Le fantôme n'a donné aucun signe de vie. Elle va se coucher après encore une journée infructueuse. Le lendemain matin, elle descend, et le disque est train de jouer alors qu'elle se sert un verre dans la cuisine. Elle se rend dans le salon, et l'aiguille de la platine parcourt effectivement le sillon. Elle a du mal à croire qu'elle ait assez bu la veille pour ne pas se souvenir d'avoir laissé le disque tourner. La sonnerie de son portable la fait sursauter : il s'agit de son agent Attison. Il lui dit bonjour et lui demande s'il la dérange à un moment inopportun où elle serait en train de s'occuper d'elle. Après un bref échange de politesses, il lui demande où elle en est. Elle répond que ça avance bien. Il ne la croit pas un instant et il lui rappelle qu'il faut qu'elle fournisse de nouvelles œuvres pour sa prochaine exposition, car les fonds commencent à manquer. Une fois qu'ils ont raccroché, Ro se dit qu'il est temps qu'elle s'y mette pour de vrai, qu'elle l'a déjà fait des millions de fois : dessiner, bouger sa main… Elle prend un crayon et se lance. Au bout de quelques temps, elle s'arrête et prend du recul : c'est nul et elle balance son verre de vin sur la toile. Puis elle balance le chevalet et son tabouret. Elle se dit qu'il faudrait peut-être qu'elle se retrouve à devoir travailler comme serveuse pour à nouveau être motivée. Elle formule sa réflexion à haute voix : doit-elle redevenir une barista ? Une voix désincarnée lui répond que non, elle ne devrait pas. Ces deux créateurs avaient précédemment collaboré ensemble pour la série Middlewest (2018-2020), en 18 épisodes, plutôt à destination de jeunes lecteurs. La couverture annonce une maison hantée et quelque chose tapie dans les ténèbres. Le dessin ne permet pas de se faire une idée du public visé. Une fois la lecture entamée, les choix visuels situent le récit à la croisée d'une sensibilité adolescente, d'un regard un peu plus adulte. La silhouette de Ro Meadows présente des caractéristiques un peu exagérées : finesse des bras, finesse du cou, grosses lunettes qui lui donnent des yeux un peu plus gros que la normale, pieds très petits et effilés, salopette très large. Le lecteur peut déceler comme une influence manga, bien digérée, et entièrement assimilée, à un degré devenu totalement naturel et organique. L'histoire met en scène très peu de personnages : l'agente immobilière le temps de deux pages, Attison dans moins d'une dizaine de pages, le fantôme mais d'une manière particulière, et quelques figurants le temps d'une page ou deux. Il observe également le langage corporel et les expressions de visage : il ressent l'état d'esprit de Ro dans chaque scène, ses variations d'humeur, y compris dans les nuances. Sa frustration à ne pas réussir à apposer un simple trait sur la toile, sa déprime à l'idée de ne pas réussir à créer, sa colère contre elle-même quand elle casse tout, son angoisse quand elle comprend que le fantôme se déplace à sa guise dans toutes les pièces de la demeure et à tout moment ne lui laissant potentiellement aucune intimité, le retour de son sourire quand elle parvient enfin à avancer dans une toile, etc. La narration visuelle crée ainsi un bon niveau d'empathie avec la peintre, sans effet de voyeurisme. Le lecteur considère alors une autre composante visuelle : l'environnement dans lequel elle évolue. Il découvre une vue générale de la façade extérieure principale de la demeure dans une dessin en double page, et dans les pages bonus se trouvent les plans par étage, ainsi qu'une modélisation 3D. Les auteurs ne font pas étalage de cette conception détaillée du bâtiment, mais elle se trouve en filigrane du récit, apportant une réelle consistance grâce à la cohérence des plans de prise de vue, en référence à ces plans, par opposition à des vues au petit bonheur la chance. Une fois Ro à l'intérieur, les cases montrent l'aménagement assez générique des pièces, les meubles sans beaucoup de personnalité, et la grande baie vitrée en arrondi, dans la pièce où elle peint. La majeure partie du récit se déroule à l'intérieur de la maison. De temps à autre, les auteurs insèrent un plan à l'extérieur ce qui fournit une respiration avec des décors également bien décrits : dehors sous la pluie sur le trottoir avec la demeure en arrière-plan, la galerie où les œuvres de Ro sont exposées, un petit coin de Central Park d'où Attison téléphone à Ro. Les plans de prise de vue sont conçus spécifiquement pour chaque scène, avec des variations de cadrage, certains s'arrêtant sur un détail comme les pinceaux de Ro dans leur pot, ou intégrant un élément conceptuel comme les volutes pour figurer la musique qui circule dans la pièce. Les détails enrichissent la narration, le lecteur se rendant compte qu'il prend le temps de les observer, ce qui donne un rythme de lecture plus posé. Il apprécie l'élégance des volutes pour la musique et comment elles s'intègrent au fantôme. Il se demande pour quelle raison Ro ne porte plus ses lunettes à partir de la deuxième moitié de l'épisode 4. Le coloriste réalise un travail très agréable à l'œil, complètement intégré aux traits encrés, augmentant la distinction entre les différents éléments dessinés, développant l'ambiance lumineuse, avec des nuances sophistiquées et discrètes, participant significativement à la narration visuelle, bien au-delà d'une colorisation des cases. En entamant cette histoire, le lecteur sait que le scénariste ne dispose pas de beaucoup d'options : soit ce fantôme existe comme esprit surnaturel, soit c'est une fiction dans l'esprit du personnage principal, ou un peu de des deux. Il s'agit d'un récit de genre, avec des conventions assez contraignantes, et un nombre restreint de degrés de liberté. Les auteurs parviennent à faire exister Ro dès les premières pages, et le lecteur ressent une réelle empathie pour elle et sa situation. Il constate qu'ils ne tardent pas à établir un contact entre elle et le fantôme, ce dernier étant capable d'interagir avec le monde physique de manière limitée. L'histoire acquiert alors une dimension ludique : le lecteur essaye d'anticiper dans quelle direction va se développer la relation entre Ro Meadows et son fantôme. Il relève également les indices qui lui permettraient d'en savoir plus sur la nature de ce fantôme. L'histoire ne se transforme pas en un récit d'action et le syndrome de la page blanche reste au cœur du récit. Il est à la fois possible de le lire au premier degré avec un vrai fantôme et une relation d'amour abusif. Il est également possible de le lire au second degré et de voir en cet esprit surnaturel, une métaphore claire de ce que traverse Ro. Pas facile de réaliser une histoire de fantôme et assez prenante. Skottie Young, Jorge Corona et Jean-François Beaulieu installent une peintre qui a l'air assez jeune, peut-être pas encore la trentaine dans une maison prétendument hantée, un point de départ aussi classique que convenu. Le lecteur relève tout de suite la qualité de la narration visuelle qui lui permet de se projeter dans chaque pièce de la maison, et il constate dans les pages de fin que cette demeure a été conçue avec soin. Il se sent tout de suite proche du personnage principal, voyant ses états d'esprit, partageant son découragement à l'idée de ne plus pouvoir réaliser une toile qui ait du sens pour elle, ne plus avoir des hoses en elle qui méritent d'être exprimées. Il n'est pas très surpris par la tournure que prend l'intrigue, tout en constatant qu'elle ne devient pas générique pour autant grâce à l'épaisseur acquise par le personnage de Ro. Il se retrouve surpris à deux ou trois reprises par un événement ou un acte qu'il n'avait pas prévu, sortant des rails de ce type de récit de genre, et totalement cohérents avec le reste du récit. Une bonne histoire d'horreur, à la fois avec un monstre, à la fois psychologique.

15/04/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 4/5
Couverture de la série Basketful of heads
Basketful of heads

Tranchant et macabre - Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. C'est la première à avoir été publiée dans la branche Hill House de DC Comics, des histoires placées sous la tutelle de Joe Hill. Ce tome regroupe les 7 épisodes de la minisérie, initialement parus en 2019/2020, écrits par Joe Hill, dessinés et encrés par Leomacs, mis en couleurs par Dave Stewart. Les couvertures ont été réalisées par Reiko Murakami. le tome comprend également les couvertures variantes réalisées par Joshua Middleton, Clayton Crain, Tula Lotay, Becky Cloonan, Matteo Scalera, Igor Kordey, Gabriel Rodriguez. Il comprend également une courte interview (3 questions) de Joe Hill, et une un peu plus longue (5 questions) de Leomacs. De nuit sur un pont, sous la pluie, une jeune femme en ciré avance avec à son bras un panier sur lequel est posé un drapeau américain. Il s'en échappe des voix. Elle porte une hache viking dans l'autre main. Elle pose le panier sur le parapet du pont. Une voiture s'arrête et le conducteur lui demande ce qu'elle fait sous la pluie, avec ce panier. Avant, en septembre 1983, à Brody Island, June Branch est assise sur le même parapet métallique par une belle journée d'été, à balancer ses jambes dans le vide. Une voiture de police s'arrête à sa hauteur et l'adjoint Liam Ellsworth en descend. Ils échangent quelques paroles, et ils s'embrassent comme des amoureux. Il lui indique qu'il a fini son service depuis cinq minutes. Ils remontent dans le buggy de la police et elle parle d'acheter leur propre voiture, mais il n'a aucun argent de côté. Elle est assez déçue qu'il ne souhaite pas acheter une voiture avec elle, mais elle le rassure : elle n'avait aucune intention de se suicider en se jetant du haut du parapet. Il indique qu'il a aidé à récupérer une suicidée à ce même endroit, peu de temps auparavant. Elle avait sauté avec un sac à dos rempli de cailloux pour être sûre d'en finir. Mais Liam demande à récupérer sa chemise d'uniforme parce que la police est en train d'intervenir. Tout en remettant sa chemise dans son pantalon, Liam Ellsworth se dirige vers Wade Glausen, le shérif, tout en regardant les 6 prisonniers en uniforme orange allongés ventre à terre avec les mains sur la tête. Liam présente June au shérif qui l'invite à manger pour le soir, mais Liam lui indique que son épouse Roberta Glausen l'a déjà fait. Ned Hamilton, important homme d'affaires de l'île, est en train de se plaindre auprès du shérif qu'il faut qu'il retrouve au plus vite les quatre fuyards. le shérif répond qu'il ne s'agit pas de la pire engeance, mais juste de deux consommateurs de cannabis, d'un chauffard et d'un proxénète. Il ajoute qu'il s'en occupe et il donne l'ordre à Liam de se rendre au plus vite au repas préparé par son épouse. Arrivé à la demeure des Glausen, Liam présente June à Hank Clausen, le fils de Wade, puis à son épouse Roberta. Celle-ci les emmène dans un immense salon décoré avec de véritables pièces de musée viking, dont une figure de proue de drakkar, et une immense hache, que des pièces datant du neuvième siècle. Roberta, Hank, Liam et June prennent le dîner sur la terrasse ; ils sont servis pas l'employé de maison Gabby Thurston. Au moment du dessert, le téléphone sonne : Wade Clausen souhaite parler à Liam pour qu'il revienne parce qu'un des détenus en fuite a tué Noel Flanagan, un des policiers. S'il a lu la série Locke and Key, le lecteur n'éprouve pas un seul instant d'hésitation en découvrant un nouveau comics écrit par Joe Hill. Il s'agit du premier à être publié par DC Comics dans une branche créée spécialement pour l'occasion Hill House, pour des récits d'horreur, a priori triés sur le volet par Hill lui-même. le titre et la couverture l'annoncent clairement : c'est un récit d'horreur dans lequel un individu mystérieux coupe des têtes avec une hache et les met dans un panier. La couverture n'est pas mensongère, et en plus une fois coupées, les têtes en question continuent de parler, en l'occurrence à leur meurtrier, mais aussi entre elles. En découvrant progressivement le récit, le lecteur peut sentir l'influence de Stephen King le père de l'auteur dans le lieu choisi : une île reliée au continent par un passage qui se retrouve inondé du fait d'une tempête et cette dernière fait sauter le réseau électrique. C'est parti pour une nuit éprouvante au cours de laquelle toutes les horreurs peuvent survenir. Le lecteur peut se retrouver décontenancé par le ton de la narration. Il y a ce principe de têtes séparées de leur corps et qui continuent à parler comme par enchantement. le scénariste évoque en passant cette particularité mais sans s'y attarder, ce n'est pas important pour l'intrigue. En fait, si c'est important parce que les échanges qui s'installent entre elles et le tueur vont fortement influer sur le comportement de ce dernier. le dessinateur les représente de manière réaliste : il est possible de voir les lèvres bouger, les yeux bouger, de les voir prendre des expressions diverses. Elles continuent de parler alors qu'il n'y a plus ni cordes vocales, ni poumons. À l'évidence, le lecteur doit accorder le degré de suspension d'incrédulité consentie nécessaire pour prendre cet état de fait comme il vient, sans poser de question, sinon la narration ne fonctionne pas. Sous réserve d'y consentir, il peut alors apprécier un thriller bien noir et macabre, assez retors avec une touche d'humour noir. S'il en déjà lues, il pense aux histoires à chute des EC Comics, et se dit que la filiation est bien là, voire même une forme d'hommage aux éléments surnaturels que pouvaient contenir une partie de ces histoires. S'il a cette touche d'humour en tête, le lecteur prend plus de plaisir encore aux expressions des têtes coupées en train de parler dans le fameux panier. Sinon, il prend les dessins au premier degré, et apprécie le naturel de la narration visuelle, ainsi que sa qualité descriptive. Leomacs détoure chaque forme avec un trait précis et avec un soupçon de lâché dans leur tracé qui apporte une sensation de vie dans les personnages, très naturelle. Il utilise les cases sans décor en fond avec modération et pertinence. Il passe du temps à représenter les environnements, dans la plupart des cases, avec un niveau de détail parfaitement dosé. le lecteur éprouve la sensation de trouver dans les différents endroits de l'île : le pont métallique au-dessus du bras de mer, la vue en hauteur surplombant la spacieuse demeure des Clausen, leur salon richement décoré, le ponton au-dessus de la mer, le panier à linge où s'est réfugié June alors que les fuyards visitent la maison pendant la panne d'électricité, la berge rocailleuse où été retrouvé le corps d'Emily Dunn avec son sac à dos, la route déserte avec un arbre en travers, le 4*4 de Ned Hamilton, le poste de police et ses cellules, le yacht de Wade Clausen, le fond de l'eau. Toujours avec l'idée d'une touche d'humour noir en tête, le lecteur se prend à sourire au jeu des acteurs qui paraîtraient sinon un peu forcé. À l'évidence, Leomacs rend lui aussi hommage au EC Comics et à la forme d'expression un peu dramatisée des personnages. D'un autre côté, au vu de ce qui leur arrive (et pas qu'aux décapités), il y a de quoi avoir des réactions émotionnelles intenses. Pour autant, l'artiste n'en fait pas des tonnes, et prend bien garde à ne pas passer dans l'outrance ou dans le grotesque. Il fait en sorte de raconter l'histoire au premier degré et que ses visuels ne sortent pas du domaine du plausible. du coup, malgré les têtes coupées qui parlent, le lecteur ressent une véritable empathie pour les personnages, et prend immédiatement fait et cause pour la pauvre June Branch qui va passer une sale nuit. La dynamique du thriller fonctionne à plein, et le tueur a la main lourde avec sa hache. le récit dépasse la simple course-poursuite, car Joe Hill a construit une intrigue soignée pleine de révélations et de retournements, qui ne repose pas sur les tranchages de cou, ou le gore. le lecteur commence par se demander ce qui a bien pousser Eily Dunn à se suicider en sautant dans une rivière avec un sac à dos rempli de pierre. Puis il doute que les quatre évadés soient si inoffensifs que l'a déclaré le shérif. Puis il tremble pour June et Liam alors que les quatre fuyards fouillent la maison du shérif de fond en comble de nuit sans électricité, en se demandant bien ce qu'ils peuvent chercher. Alors que June se fait courser par Salvatore Puzo en combinaison orange, il se demande ce qui est en train d'arriver à Liam aux mains des trois autres. le scénariste a conçu une intrigue avec une précision d'horlogerie, et un rythme maîtrisé de bout en bout, qui donne le temps au lecteur d'apprécier ce qu'il est en train de découvrir, tout en le tenant en haleine, et en lui faisant abandonner l'idée de faire une pause. Pari réussi pour le co-auteur de Locke and Key : écrire un récit aussi prenant, tout en étant plus court. Joe Hill déroule un thriller imparable, avec une touche d'horreur (les têtes coupées) et une touche d'humour macabre (les têtes coupées qui parlent), avec une héroïne immédiatement attachante qui est faillible, mais qui ne joue ni les potiches, ni les victimes. La narration visuelle est incroyablement bien adaptée à la nature du récit, avec que ce soit pour les exigences descriptives que l'intégration organique de la touche macabre.

15/04/2024 (modifier)