J’ai lu l’album « Doutes & certitudes », publié dans imposant format à l’italienne. Je ne chercherai pas à en lire plus, car déjà ma lecture a été poussive.
Déjà l’introduction d’un certain Buckminster Fuller, elle aussi en strips, est particulièrement verbeuse et indigeste.
Ensuite, les trips proprement dits peuvent être intéressants, vaguement amusants parfois. Mais rapidement j’ai trouvé ça ennuyeux. Le Woody Allen alternant névroses et phrases péremptoires passe nettement moins bien ici que dans ses films de la grande époque.
Le dessin lui par contre est simple et plaisant, en tout cas bien plus fluide que le texte.
Ça fait bien longtemps que je me suis détaché du cinéma de Woody Allen. Mais j’attendais quand même bien mieux de ces strips, qui datent justement de la période la plus créative d’Allen, celle qui m’avait tellement plu, avec Diane Keaton et Mia Farrow.
Gros bof donc.
Voilà un album atypique à plusieurs points de vue.
D'abord son inscription dans une collection, Hachette Pratique, où se trouvent plutôt des manuels de jardinage ou des recueils de recettes de cuisine. Je suppose que cette particularité est due à la présence au scénario de Roland Theimer, chef de son état, qui officie ici en tant que scénariste. Il a concocté une histoire au petits oignons, sur les traces de Mégalo Poupos, probablement une sorte d'alter ego de papier, au caractère épicé et au verbe gouleyant. Celui-ci vit sur l'île aux épices, se languissant de Poulpina, qui semble ne lui accorder que des miettes d'attention. Il part pour Babylone accompagné de sa truie Mortabelle, pour participer au légendaire concours de la Louche d'or. Mais ce n'est que le début d'un voyage gustatif inoubliable.
Nous sommes ici face à un album qui est peu ou prou l'illustration de l'exubérance, qu'elle soit narrative ou visuelle. Les personnages sont pour la plupart hauts en couleurs et en verbe, n'hésitent pas à prendre des poses tout droit sortis des séries japonaises des années 80, et claquant des répliques issues de la pop culture, mais aussi de la mythologie, en particulier grecque. Car Roland Theimer s'est amusé à mettre tous ces ingrédients dans sa mayonnaise, et à la battre pour qu'elle soit d'un goût très particulier.
J'avoue que le sujet de la bouffe m'intéresse moyennement en général, et je salue l'inventivité, l'énergie et parfois le délire instillés par le scénariste, qui semble par moments avoir écrit sous influence de champignons suspects... Le dessinateur, britannique, semble l'avoir bien suivi dans ses délires, et nous propose des pages elles aussi totalement folles, blindées de couleurs saturées et de personnages qui changent régulièrement d'apparence, dans une explosion visuelle comme j'en ai rarement vu.
A défaut d'être véritablement intéressant (pour moi), j'aurai au moins passé un moment de lecture sympa, plutôt déjanté.
Je suis loin d’être un aficionado du genre slasher mais je n’ai pas boudé mon plaisir avec cette BD.
Pourtant je n’ai jamais été surpris durant ma lecture, l’histoire respectant à la lettre les codes du genre, ici un mix de plusieurs films « référence » (Jason, Souviens toi l’été dernier …) mais avec une légère démarcation pour avoir sa propre identité.
Si on n’est pas allergique à ce type de récit, ça passe plutôt très bien dans le cas présent. Run en maîtrise tous les poncifs pour nous les restituer de manière digeste et fluide. Pour ça, il est formidablement bien épaulé par Rours qui propose une partie graphique solide (couleurs comme N&B), les amateurs du Label 619 ne seront pas dépaysés.
Il n’y a pas (encore ?) le petit plus façon Basketful of heads pour en faire une pépite. Ça manque aussi un peu de second degré à mon goût mais toutes les autres propositions autour du thème sont pro et bien faites.
Je lirai la suite.
Eh bien, je ne m'attendais pas à un tel genre de récit. C'est de la space opera avec pas mal de folklore (créatures étranges, robots, monde bizarre et un peu de magie à la fin) dont le récit porte pas mal de mystère qu'on ne demande qu'a éclaircir par la suite. L'histoire tiens sur six tomes denses, emportant dans la lecture très très facilement jusqu'à un final que je n'attendais pas réellement.
Je peux directement commencer par quelques défauts mineurs de la série, comme la nécessité pour les auteurs de poser un contexte intriguant et des personnages avant de consacrer un tome entier (le troisième) à leur passé et leurs motivations. Cette façon très sérielle de raconter est assez caractéristique du format, qui doit rapidement embarquer le lecteur dans l'histoire et prend ensuite le temps de poser les bases lorsqu'on est plus avancé et que l'on ne risque pas de devoir interrompre la série en lassant le lecteur. Mais de fait, je trouve ça dommage que tout le passé arrive d'un bloc et sur un seul volume plutôt que par petites touches disséminées. D'autre part, si je vois bien le récit aller d'un point à un autre, il y a quelques lacunes dans le récit et quelques moments qui semblent un peu improvisés sur le fil du récit, donnant parfois lieu à des mystères non-résolus ou des détours pas nécessaires avant de revenir à l'intrigue principale. C'est dommage, mais pas spécialement désagréable au fil de la lecture.
Puisque je le répète, la lecture est fascinante et prenante. Tout au long des six volumes, j'ai suivi ces personnages en attendant la suite, même si certains m'ont moins plus que d'autres (Qu'on dont j'ai du mal à comprendre les motivations tout du long). Et l'histoire rend tout le monde attachant surtout dans les faiblesses, finissant sur un récit étrangement sombre dont le propos semble être bel et bien l'incapacité de l'humain à entretenir des liens corrects avec les autres (et en eux-même). Il y aurait quelques réflexions à mener sur le thème des robots, central au récit, et qui semble inspiré des récits de Asimov mais dans une réflexion plus actuelle.
Le dessin va en phase avec le tout, maniant à merveille les tons de blancs omniprésent et les couleurs par touches, les têtes des créatures qui donnent un contexte spatial en rappelant parfois des genres à la Star Wars, dans des environnements futuristes bien trouvés. C'est beau à voir, les couvertures ont du cachet d'ailleurs et l'ensemble est clair et lisible tout du long.
Une très bonne série de SF, que je recommanderais par son caractère unique dans le scénario, ses thématiques globalement bien amenées et ses personnages en souffrances, paumé dans un monde dangereux qui ne va pas bien. Je ne suis pas sur de quelle métaphore Jeff Lemire s'est emparé (même si j'ai ma petite idée) mais ça marche jusqu'au bout. Tout au plus, je regrette la fin un peu trop ouverte pour une suite (Ascender) qui n'étais pas nécessaire et aurait pu être plus subtile. Mais même avec ça, je ne peux que vous recommander !
J’ai lu l’intégrale regroupant les deux tomes, avec un petit cahier graphique en fin. Ce cahier graphique confirme le talent du dessinateur. Malgré quelques contours parfois un peu rigides, un dessin un chouia trop géométrique, c’est globalement bon, et parfois même il dégage une belle force, bien raccord avec la mythologie scandinave ici exaltée. Le cahier graphique m’a d'ailleurs un peu fait regretter que l’on ne soit pas resté au Noir et Blanc. Car je n’ai pas toujours accroché à la colorisation. En tout cas, il se dégage parfois quelque chose à la Druillet – en moins puissant et grandiose toutefois, mais ça lorgne vers ce type de travail je trouve.
L’histoire n’est pas désagréable, mais elle m’a un peu laissé sur ma faim. Disons que c’est touffu – parfois fouillis, et qu’il faut s’accrocher pour suivre les très nombreux protagonistes. Connaitre la mythologie nordique et ses personnages est fortement requis pour ne pas être perdu.
Mais, en plus de ce foisonnement de personnages, ce qui m’a un peu freiné, c’est que l’histoire elle-même ne s’écarte pas trop d’un récit « classique », ne développe pas trop d’intrigue « originale ». C'est trop linéaire.
Du coup, la narration, souvent en commentaires des images, rarement au travers de dialogues et de phylactères, reste froide. C’est raccord avec la Scandinavie, certes, mais je m’attendais à autre chose.
Note réelle 2,5/5.
Un polar qui se laisse lire. Il joue sur la modernité, les réseaux sociaux, l’informatique et les bidouillages possibles par des hackers futés pour déjouer la traque de la police.
Les motivations du groupe autour de « Paperboy » sont limites, mais pourquoi pas ? L’enquête est ensuite haletante, et on est pris au jeu, c’est rythmé, de ce côté-là les amateurs ne cherchant pas la surprise à outrance seront sans doute satisfaits. Avec toutefois une conclusion un pu vite expédiée quand même.
Si le plan des Paperboys est un peu alambiqué, ça reste globalement crédible, même si les personnages au cœur de cette action restent finalement en retrait, on ne sait pas grand-chose d’eux. Au contraire, on suit presque plus l’équipe de la police qui les traque, surtout l’inspectrice qui la dirige. Et là je n’ai pas du tout été convaincu par ces personnages : l’inspectrice est mignonne, présentée comme une pin-up, les dialogues ou pensées de ses collègues ne cessent de le rappeler, au point que c’est lourdingue – et inutile en fait, vu que rien dans l’histoire ne joue réellement là-dessus.
Bref, les policiers sont « ratés », et les « délinquants auraient pu être mieux précisés (leur personnalité et leur motivations – qui auraient pu être parfois nuancées).
A emprunter à l’occasion.
Note réelle 2,5/5.
Impénétrable souffre d'un fausse réputation, celle d'être une bd sur le vaginisme.
Le thème du vaginisme est abordé au début du livre, mais est rapidement balayé pour parler d'autre chose...
Autre chose qui sera lui aussi balayé rapidement pour parler d'autre chose, aussi balayé, etc...
Impénétrable souffre donc d'un 2eme gros défaut, le livre ne sait pas de quoi parler, l'autrice change de sujet sans cesse et sans en approfondir un seul.
Ainsi, le livre semble très rapide, il était pour moi très dur de ressentir l'émotion d'Alix Garin, lorsqu'elle découvre ses symptômes, après deux ans de sa vie dans l'ignorance la plus totale.
Pareil à la fin du livre, lorsqu'elle commence à flipper à l'idée que l'écriture du livre puisse ruiner son couple, la résolution ici, se fait littéralement à la fin de la page.
Autre exemple, plusieurs fois, Alix racontera ses escapades dans les boîtes de nuits, durant ces moments-là, nous sentons que l'autrice désire montrer cet univers, et les personnes en faisant partie,
mais cela est toujours dégagé au bout d'une page et demi, sans être approfondi.
Graphiquement, je connaissais déjà Alix Garin pour ses dessins dans le magazine TOPO, que je trouvais plutôt ok.
Mais ici je les ai trouvé bâclés, les décors étaient toujours dans une espèce de floutage empêchant de les voir, parfaitement inutile, ce flou a déjà été critiqué avant moi.
Quand j'ai fini Impénétrable, j'étais un peu perdu, je ne savais pas clairement ce que je venais de lire, les médias avaient vendu le thème comme étant le vaginisme, mais pourtant, beaucoup d'autres ont été effleurés.
Je dis Effleurés, car "traités" aurait été un terme un peu mensonger
Rêver de l’horizon, observer, étudier… et ne pas cesser de s’émerveiller.
-
Ce tome contient un récit complet, une forme de correspondance dessinée entre un homme et une femme, tous les deux artistes. Son édition originale date de 2024. Il a été réalisé à quatre mains pour le scénario et les dessins, par Edmond Baudoin & Aurore Bize. Il comporte quatre-vingt-deux pages de bande dessinée, en noir & blanc.
Un dessin d’arbre, puis un dessin avec un plus grand angle, et les mots d’Aurore Bize : Te souviens-tu de ce dessin ? Nous l’avions fait à deux, la première fois où tu étais venu marcher dans ces chemins qui n’étaient pas encore les miens. Je les découvrais avec toi. Tes traits et mes traits s’y mêlent et pourtant je peux voir clairement lesquels sont les tiens et lesquels sont les miens. Tu m’apprenais à regarder, à choisir. Je sens encore le soleil de cette fin d’hiver. Je sens encore ton odeur et ta veste chaude contre moi. J’ai commencé à tracer maladroitement. Tu as pris la feuille et tu as fait pousser le dessin. Juste comme ça, quelques souffles, quelques coups de pinceau. L’essentiel. La vie. Je vois comme mes branches étaient encore rigides, comme les tiennes dansaient dans le vent. C’est cette liberté du geste, cette sensualité, que j’admirais, que je cherchais.
Un dessin d’arbres et de sous-bois, puis des arbres sans végétation au pied, puis une zone naturelle sans arbre, et les mots d’Edmond Baudoin : Il y a en toi Aurore, un devenir avec les arbres. Le dialogue qui se crée avec eux quand tu les dessines s’entend. Je l’écoute quand je regarde tes dessins. Tu me dis ne pas être satisfaite de ce que tu fais, comme pour le paysage ci-dessus, tu ne le seras jamais. Pour moi c’est pareil. Pourtant on va continuer tous les deux dans ce livre, continuer de nous approcher au plus près de l’impossible. Approcher l’impossible. Dessiner, peindre, écrire, danser, c’est comme s’aimer avec les bouches, les peaux, les sexes. C’est toucher à la seconde qui contient tout, et tout perdre l’instant d’après, par la faute d’un trait de trop, d’une note de musique qui grince, d’un geste inopportun. C’est notre condition, notre humanité. C’est pour ça que les Grecs ont inventé les dieux et demi-dieux. Pour y arriver à travers eux. Aurore reprend : Oui, Edmond, nous allons essayer à tous les deux de nous approcher de cet impossible. Il y a longtemps que nous voulions travailler ensemble, mais la distance et nos vies si remplies nous ont obligés à laisser mûrir nos idées et m’ont permis de continuer à faire pousser mon dessin. Et maintenant, je te retrouve dans notre chemin. Dessins de feuilles et un chemin. Aurore continue : Je marche seule dans les collines. Je m’arrête parfois pour dessiner un peu. Garder une trace. Travailler mon geste. Avec la contrainte du temps, je vais à l’essentiel. La présence du paysage, le vent, les nuages, le soleil, libèrent ma pensée et mes sens. Dans ces moments de solitude choisie, je suis libre d’écrire et dessiner dans ma tête. Les caresses du soleil et du vent sont comme les baisers de mes amants. Tout mon corps est éveil. Comme je suis bien là-haut dans le vent. C’est grisant. Le vent me lave.
De temps à autre, Edmond Baudoin réalise une bande dessinée en collaboration avec un autre artiste : quatre albums avec Jean-Marc Troubet, dit Troubs (Viva la vida - Los Sueños de Ciudad Juàrez en 2011, Le goût de la terre en 2013, Humains - La Roya est un fleuve en 2018, Inuit en 2023), La Diagonale des jours (1992) avec Tanguy Dohollau, Les Yeux dans le mur (2003) avec Céline Wagner, La Traverse avec Mariette Nodet en 2019, Au pied des étoiles (2024) avec Emmanuel Lepage. Comme d’habitude, sa conception de la bande dessinée induit une grande liberté dans la forme, en l’occurrence, une alternance d’illustrations réalisées soit par lui, soit par Aurore, le plus souvent une par page, parfois deux, parfois une illustration s’étalant sur une double page, et pourtant une sensation de bande dessinée. À la lecture, il est possible parfois de déceler l’influence d’Edmond dans un dessin d’Aurore et réciproquement, la dessinatrice indiquant au début qu’il a pu en être ainsi ponctuellement. Cet ouvrage reprend l’habitude établie dans les précédentes collaborations : Baudoin utilise des lettres capitales manuscrites pour ses textes, Bize écrit en minuscules, avec une police de caractère de type informatique. La narration alterne les dessins et les textes de l’un avec ceux de l’autre. Il s’établit un véritable dialogue, l’un répondant à l’autre, et réciproquement tout du long de la bande dessinée. Le lecteur ressent une progression narrative, qui va au-delà d’une discussion informelle.
Conscient de la nature de l’ouvrage, le lecteur se laisse porter par le flux de la discussion, tout en admirant les dessins. Baudoin indique que leur objectif est de dessiner des arbres. En effet, les différents dessins ont pour objet la nature, le plus souvent avec des arbres. Très peu de dessins comportent un être humain : la silhouette de Baudoin, la silhouette d’Eustacia Vye (un personnage du roman Le Retour au pays natal, 1878, de Thomas Hardy, 1840-1928), la silhouette de Louison (le fils d’Aurore), le corps d’Aurore elle-même. Alors le lecteur admire le paysage, ou plutôt les paysages successifs. Des arbres, des montagnes, des prairies, encore des arbres. S’il a déjà lu certaines BD de Baudoin, il en reconnaît immédiatement le trait de pinceau : gras épais, parfois complété par des traits fins, un assemblage d’une justesse épatante, surnaturelle même. Des représentations souvent épurées, transcrivant la vie de l’arbre dans sa silhouette, dans certaines textures, dans le déploiement de ses formes, de ses branches, une capacité extraordinaire à rendre justice à ces organismes vivants, à leur histoire personnelle qui a façonné leur développement. Par comparaison, les dessins d’Aurore Bize semblent s’inscrire dans un registre plus descriptif, plus proche de la réalité physique de ce que voit l’œil. Le lecteur perçoit qu’elle progresse dans son art au fil des séquences, s’éloignant un peu des apparences pour saisir la vie dans les arbres.
Accolés à ces dessins qui donnent à voir les arbres dans la manifestation de leur vie, se trouvent de courts textes, dans lesquels les auteurs développent leurs réflexions, leurs échanges. Le lecteur apprécie de suivre un dialogue construit : une suite d’anecdotes et d’idées. De manière organique et élégante, Aurore et Edmond évoquent la nature de leur projet, leur envie de collaborer de longue date, leur relation. Le lecteur se sent invité et accepté dans l’intimité de leur relation, évoquée avec pudeur. Il ressent le fait qu’ils aient probablement été amants, même si cela n’est pas dit de manière explicite. Leur bienveillance réciproque rayonne littéralement de leurs échanges, ainsi que leur profonde humanité, leur amour et leur respect de l’être humain. Ainsi, ce qui apparaît tout d’abord comme une discussion entre deux artistes, avec des collaborations discrètes de l’un sur les dessins de l’autre, acquiert une dimension narrative pour ce qui est de l’histoire passée de leur relation, et une dimension réflexive, dénuée d’aigreur ou de la forme de conservatisme que l’on pourrait attendre du fait de leur âge. Ils expriment leur inquiétude pour l’avenir de l’humanité, sans cynisme ou résignation, sans se targuer d’avoir vu les choses empirer.
Tout de même, voilà un projet singulier de dessiner des arbres pour parler de leur pratique de l’art du dessin, de leur impossibilité d’être satisfait de leur dessin tout en continuant d’essayer de s’approcher de cet impossible, d’évoquer également la manière dont s’exprime leur amour, leurs démarches pour comprendre l’autre sexe, ou encore ce monde mortifère qui pèse dans leurs têtes et dans leurs corps. Tout en découvrant les pages, le lecteur garde le titre en mémoire : Sous les écorces. C’est Baudoin qui l’écrit : alors j’ai de la haine à mon égard, parce que je ne sais pas descendre dans ses racines (celles de l’arbre), passer derrière son écorce. Dessiner les arbres va plus loin qu’un exercice complexe de transcription de l’histoire vécue par un être vivant dans un simple dessin. L’une et l’autre ont pour ambition de transcrire l’enchevêtrement des possibles, une quête di vivant par le dessin.
Charge au lecteur de lire les dessins et d’établir un ou plusieurs liens avec ce que dit le texte. Aurore Bize écrit : Un même dessin peut raconter plusieurs histoires. Baudoin se demande : Une même image peut être lue de combien de façons ? L’un et l’autre font le constat de l’ambivalence des textes et des images, concepts développés dans les théories de la réception et de la lecture, par exemple par l’école de Constance. Au fil de la discussion, les autres envies de ces créateurs s’égrènent : garder une trace, répandre son émotion. Le sujet de l’arbre incarne en fait une recherche de la vie en l’autre, y compris les êtres humains, que Baudoin dessine régulièrement au travers de portraits pendant ses voyages, et que Bize dessine également. Cette recherche constitue également l’expression de leur amour : chercher la vie en l’autre, aimer en témoin non en maîtrise, comprendre l’autre. D’un côté l’un et l’autre ont conscience qu’il leur est de plus en plus difficile de se vider la tête ; de l’autre côté, ils conçoivent que le temps du dessin est comme une danse, une forme de résistance contre un monde mortifère. Cette pratique leur permet de rejeter toute catégorisation qui étouffe l’être, de témoigner de la vie, de chanter l’humanité
Une discussion entre deux créateurs, sous la forme d’une bande dessinée, ou tout du moins d’une succession de dessins avec la voix intérieure de l’un et de l’autre qui court en alternance. Une bande dessinée, ou une succession d’illustrations associées à des réflexions en réponse à celles précédant ? En filigrane, il apparaît bien une trame narrative, celle qui évoque avec discrétion l’histoire de la relation, et celle qui évoque le développement de leurs réflexions. Le lecteur se prend rapidement d’amitié pour ces deux auteurs, pour leur chaleur humaine authentique. Il tombe sous le charme de l’incroyable densité de ce qu’expriment leurs représentations d’arbres. Il les écoute avidement parler de l’art du dessin de la rencontre et de l’altérité, de l’expression de leur amour, du sens qu’il donne à leur art, de leur espoir en la vie. Comme le conclut Edmond Baudoin : Les paysages se déconstruisent et reconstruisent eux aussi. Rien n’est immuable, même pas l’éternité. C’est notre chance. Nous pouvons ainsi continuer à rêver de l’horizon.
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Woody Allen en comics
J’ai lu l’album « Doutes & certitudes », publié dans imposant format à l’italienne. Je ne chercherai pas à en lire plus, car déjà ma lecture a été poussive. Déjà l’introduction d’un certain Buckminster Fuller, elle aussi en strips, est particulièrement verbeuse et indigeste. Ensuite, les trips proprement dits peuvent être intéressants, vaguement amusants parfois. Mais rapidement j’ai trouvé ça ennuyeux. Le Woody Allen alternant névroses et phrases péremptoires passe nettement moins bien ici que dans ses films de la grande époque. Le dessin lui par contre est simple et plaisant, en tout cas bien plus fluide que le texte. Ça fait bien longtemps que je me suis détaché du cinéma de Woody Allen. Mais j’attendais quand même bien mieux de ces strips, qui datent justement de la période la plus créative d’Allen, celle qui m’avait tellement plu, avec Diane Keaton et Mia Farrow. Gros bof donc.
Mégalo Poupos dans la quête du gras
Voilà un album atypique à plusieurs points de vue. D'abord son inscription dans une collection, Hachette Pratique, où se trouvent plutôt des manuels de jardinage ou des recueils de recettes de cuisine. Je suppose que cette particularité est due à la présence au scénario de Roland Theimer, chef de son état, qui officie ici en tant que scénariste. Il a concocté une histoire au petits oignons, sur les traces de Mégalo Poupos, probablement une sorte d'alter ego de papier, au caractère épicé et au verbe gouleyant. Celui-ci vit sur l'île aux épices, se languissant de Poulpina, qui semble ne lui accorder que des miettes d'attention. Il part pour Babylone accompagné de sa truie Mortabelle, pour participer au légendaire concours de la Louche d'or. Mais ce n'est que le début d'un voyage gustatif inoubliable. Nous sommes ici face à un album qui est peu ou prou l'illustration de l'exubérance, qu'elle soit narrative ou visuelle. Les personnages sont pour la plupart hauts en couleurs et en verbe, n'hésitent pas à prendre des poses tout droit sortis des séries japonaises des années 80, et claquant des répliques issues de la pop culture, mais aussi de la mythologie, en particulier grecque. Car Roland Theimer s'est amusé à mettre tous ces ingrédients dans sa mayonnaise, et à la battre pour qu'elle soit d'un goût très particulier. J'avoue que le sujet de la bouffe m'intéresse moyennement en général, et je salue l'inventivité, l'énergie et parfois le délire instillés par le scénariste, qui semble par moments avoir écrit sous influence de champignons suspects... Le dessinateur, britannique, semble l'avoir bien suivi dans ses délires, et nous propose des pages elles aussi totalement folles, blindées de couleurs saturées et de personnages qui changent régulièrement d'apparence, dans une explosion visuelle comme j'en ai rarement vu. A défaut d'être véritablement intéressant (pour moi), j'aurai au moins passé un moment de lecture sympa, plutôt déjanté.
Jaune
Je suis loin d’être un aficionado du genre slasher mais je n’ai pas boudé mon plaisir avec cette BD. Pourtant je n’ai jamais été surpris durant ma lecture, l’histoire respectant à la lettre les codes du genre, ici un mix de plusieurs films « référence » (Jason, Souviens toi l’été dernier …) mais avec une légère démarcation pour avoir sa propre identité. Si on n’est pas allergique à ce type de récit, ça passe plutôt très bien dans le cas présent. Run en maîtrise tous les poncifs pour nous les restituer de manière digeste et fluide. Pour ça, il est formidablement bien épaulé par Rours qui propose une partie graphique solide (couleurs comme N&B), les amateurs du Label 619 ne seront pas dépaysés. Il n’y a pas (encore ?) le petit plus façon Basketful of heads pour en faire une pépite. Ça manque aussi un peu de second degré à mon goût mais toutes les autres propositions autour du thème sont pro et bien faites. Je lirai la suite.
Descender
Eh bien, je ne m'attendais pas à un tel genre de récit. C'est de la space opera avec pas mal de folklore (créatures étranges, robots, monde bizarre et un peu de magie à la fin) dont le récit porte pas mal de mystère qu'on ne demande qu'a éclaircir par la suite. L'histoire tiens sur six tomes denses, emportant dans la lecture très très facilement jusqu'à un final que je n'attendais pas réellement. Je peux directement commencer par quelques défauts mineurs de la série, comme la nécessité pour les auteurs de poser un contexte intriguant et des personnages avant de consacrer un tome entier (le troisième) à leur passé et leurs motivations. Cette façon très sérielle de raconter est assez caractéristique du format, qui doit rapidement embarquer le lecteur dans l'histoire et prend ensuite le temps de poser les bases lorsqu'on est plus avancé et que l'on ne risque pas de devoir interrompre la série en lassant le lecteur. Mais de fait, je trouve ça dommage que tout le passé arrive d'un bloc et sur un seul volume plutôt que par petites touches disséminées. D'autre part, si je vois bien le récit aller d'un point à un autre, il y a quelques lacunes dans le récit et quelques moments qui semblent un peu improvisés sur le fil du récit, donnant parfois lieu à des mystères non-résolus ou des détours pas nécessaires avant de revenir à l'intrigue principale. C'est dommage, mais pas spécialement désagréable au fil de la lecture. Puisque je le répète, la lecture est fascinante et prenante. Tout au long des six volumes, j'ai suivi ces personnages en attendant la suite, même si certains m'ont moins plus que d'autres (Qu'on dont j'ai du mal à comprendre les motivations tout du long). Et l'histoire rend tout le monde attachant surtout dans les faiblesses, finissant sur un récit étrangement sombre dont le propos semble être bel et bien l'incapacité de l'humain à entretenir des liens corrects avec les autres (et en eux-même). Il y aurait quelques réflexions à mener sur le thème des robots, central au récit, et qui semble inspiré des récits de Asimov mais dans une réflexion plus actuelle. Le dessin va en phase avec le tout, maniant à merveille les tons de blancs omniprésent et les couleurs par touches, les têtes des créatures qui donnent un contexte spatial en rappelant parfois des genres à la Star Wars, dans des environnements futuristes bien trouvés. C'est beau à voir, les couvertures ont du cachet d'ailleurs et l'ensemble est clair et lisible tout du long. Une très bonne série de SF, que je recommanderais par son caractère unique dans le scénario, ses thématiques globalement bien amenées et ses personnages en souffrances, paumé dans un monde dangereux qui ne va pas bien. Je ne suis pas sur de quelle métaphore Jeff Lemire s'est emparé (même si j'ai ma petite idée) mais ça marche jusqu'au bout. Tout au plus, je regrette la fin un peu trop ouverte pour une suite (Ascender) qui n'étais pas nécessaire et aurait pu être plus subtile. Mais même avec ça, je ne peux que vous recommander !
Odin
J’ai lu l’intégrale regroupant les deux tomes, avec un petit cahier graphique en fin. Ce cahier graphique confirme le talent du dessinateur. Malgré quelques contours parfois un peu rigides, un dessin un chouia trop géométrique, c’est globalement bon, et parfois même il dégage une belle force, bien raccord avec la mythologie scandinave ici exaltée. Le cahier graphique m’a d'ailleurs un peu fait regretter que l’on ne soit pas resté au Noir et Blanc. Car je n’ai pas toujours accroché à la colorisation. En tout cas, il se dégage parfois quelque chose à la Druillet – en moins puissant et grandiose toutefois, mais ça lorgne vers ce type de travail je trouve. L’histoire n’est pas désagréable, mais elle m’a un peu laissé sur ma faim. Disons que c’est touffu – parfois fouillis, et qu’il faut s’accrocher pour suivre les très nombreux protagonistes. Connaitre la mythologie nordique et ses personnages est fortement requis pour ne pas être perdu. Mais, en plus de ce foisonnement de personnages, ce qui m’a un peu freiné, c’est que l’histoire elle-même ne s’écarte pas trop d’un récit « classique », ne développe pas trop d’intrigue « originale ». C'est trop linéaire. Du coup, la narration, souvent en commentaires des images, rarement au travers de dialogues et de phylactères, reste froide. C’est raccord avec la Scandinavie, certes, mais je m’attendais à autre chose. Note réelle 2,5/5.
Prophecy
Un polar qui se laisse lire. Il joue sur la modernité, les réseaux sociaux, l’informatique et les bidouillages possibles par des hackers futés pour déjouer la traque de la police. Les motivations du groupe autour de « Paperboy » sont limites, mais pourquoi pas ? L’enquête est ensuite haletante, et on est pris au jeu, c’est rythmé, de ce côté-là les amateurs ne cherchant pas la surprise à outrance seront sans doute satisfaits. Avec toutefois une conclusion un pu vite expédiée quand même. Si le plan des Paperboys est un peu alambiqué, ça reste globalement crédible, même si les personnages au cœur de cette action restent finalement en retrait, on ne sait pas grand-chose d’eux. Au contraire, on suit presque plus l’équipe de la police qui les traque, surtout l’inspectrice qui la dirige. Et là je n’ai pas du tout été convaincu par ces personnages : l’inspectrice est mignonne, présentée comme une pin-up, les dialogues ou pensées de ses collègues ne cessent de le rappeler, au point que c’est lourdingue – et inutile en fait, vu que rien dans l’histoire ne joue réellement là-dessus. Bref, les policiers sont « ratés », et les « délinquants auraient pu être mieux précisés (leur personnalité et leur motivations – qui auraient pu être parfois nuancées). A emprunter à l’occasion. Note réelle 2,5/5.
Impénétrable
Impénétrable souffre d'un fausse réputation, celle d'être une bd sur le vaginisme. Le thème du vaginisme est abordé au début du livre, mais est rapidement balayé pour parler d'autre chose... Autre chose qui sera lui aussi balayé rapidement pour parler d'autre chose, aussi balayé, etc... Impénétrable souffre donc d'un 2eme gros défaut, le livre ne sait pas de quoi parler, l'autrice change de sujet sans cesse et sans en approfondir un seul. Ainsi, le livre semble très rapide, il était pour moi très dur de ressentir l'émotion d'Alix Garin, lorsqu'elle découvre ses symptômes, après deux ans de sa vie dans l'ignorance la plus totale. Pareil à la fin du livre, lorsqu'elle commence à flipper à l'idée que l'écriture du livre puisse ruiner son couple, la résolution ici, se fait littéralement à la fin de la page. Autre exemple, plusieurs fois, Alix racontera ses escapades dans les boîtes de nuits, durant ces moments-là, nous sentons que l'autrice désire montrer cet univers, et les personnes en faisant partie, mais cela est toujours dégagé au bout d'une page et demi, sans être approfondi. Graphiquement, je connaissais déjà Alix Garin pour ses dessins dans le magazine TOPO, que je trouvais plutôt ok. Mais ici je les ai trouvé bâclés, les décors étaient toujours dans une espèce de floutage empêchant de les voir, parfaitement inutile, ce flou a déjà été critiqué avant moi. Quand j'ai fini Impénétrable, j'étais un peu perdu, je ne savais pas clairement ce que je venais de lire, les médias avaient vendu le thème comme étant le vaginisme, mais pourtant, beaucoup d'autres ont été effleurés. Je dis Effleurés, car "traités" aurait été un terme un peu mensonger
Sous les écorces
Rêver de l’horizon, observer, étudier… et ne pas cesser de s’émerveiller. - Ce tome contient un récit complet, une forme de correspondance dessinée entre un homme et une femme, tous les deux artistes. Son édition originale date de 2024. Il a été réalisé à quatre mains pour le scénario et les dessins, par Edmond Baudoin & Aurore Bize. Il comporte quatre-vingt-deux pages de bande dessinée, en noir & blanc. Un dessin d’arbre, puis un dessin avec un plus grand angle, et les mots d’Aurore Bize : Te souviens-tu de ce dessin ? Nous l’avions fait à deux, la première fois où tu étais venu marcher dans ces chemins qui n’étaient pas encore les miens. Je les découvrais avec toi. Tes traits et mes traits s’y mêlent et pourtant je peux voir clairement lesquels sont les tiens et lesquels sont les miens. Tu m’apprenais à regarder, à choisir. Je sens encore le soleil de cette fin d’hiver. Je sens encore ton odeur et ta veste chaude contre moi. J’ai commencé à tracer maladroitement. Tu as pris la feuille et tu as fait pousser le dessin. Juste comme ça, quelques souffles, quelques coups de pinceau. L’essentiel. La vie. Je vois comme mes branches étaient encore rigides, comme les tiennes dansaient dans le vent. C’est cette liberté du geste, cette sensualité, que j’admirais, que je cherchais. Un dessin d’arbres et de sous-bois, puis des arbres sans végétation au pied, puis une zone naturelle sans arbre, et les mots d’Edmond Baudoin : Il y a en toi Aurore, un devenir avec les arbres. Le dialogue qui se crée avec eux quand tu les dessines s’entend. Je l’écoute quand je regarde tes dessins. Tu me dis ne pas être satisfaite de ce que tu fais, comme pour le paysage ci-dessus, tu ne le seras jamais. Pour moi c’est pareil. Pourtant on va continuer tous les deux dans ce livre, continuer de nous approcher au plus près de l’impossible. Approcher l’impossible. Dessiner, peindre, écrire, danser, c’est comme s’aimer avec les bouches, les peaux, les sexes. C’est toucher à la seconde qui contient tout, et tout perdre l’instant d’après, par la faute d’un trait de trop, d’une note de musique qui grince, d’un geste inopportun. C’est notre condition, notre humanité. C’est pour ça que les Grecs ont inventé les dieux et demi-dieux. Pour y arriver à travers eux. Aurore reprend : Oui, Edmond, nous allons essayer à tous les deux de nous approcher de cet impossible. Il y a longtemps que nous voulions travailler ensemble, mais la distance et nos vies si remplies nous ont obligés à laisser mûrir nos idées et m’ont permis de continuer à faire pousser mon dessin. Et maintenant, je te retrouve dans notre chemin. Dessins de feuilles et un chemin. Aurore continue : Je marche seule dans les collines. Je m’arrête parfois pour dessiner un peu. Garder une trace. Travailler mon geste. Avec la contrainte du temps, je vais à l’essentiel. La présence du paysage, le vent, les nuages, le soleil, libèrent ma pensée et mes sens. Dans ces moments de solitude choisie, je suis libre d’écrire et dessiner dans ma tête. Les caresses du soleil et du vent sont comme les baisers de mes amants. Tout mon corps est éveil. Comme je suis bien là-haut dans le vent. C’est grisant. Le vent me lave. De temps à autre, Edmond Baudoin réalise une bande dessinée en collaboration avec un autre artiste : quatre albums avec Jean-Marc Troubet, dit Troubs (Viva la vida - Los Sueños de Ciudad Juàrez en 2011, Le goût de la terre en 2013, Humains - La Roya est un fleuve en 2018, Inuit en 2023), La Diagonale des jours (1992) avec Tanguy Dohollau, Les Yeux dans le mur (2003) avec Céline Wagner, La Traverse avec Mariette Nodet en 2019, Au pied des étoiles (2024) avec Emmanuel Lepage. Comme d’habitude, sa conception de la bande dessinée induit une grande liberté dans la forme, en l’occurrence, une alternance d’illustrations réalisées soit par lui, soit par Aurore, le plus souvent une par page, parfois deux, parfois une illustration s’étalant sur une double page, et pourtant une sensation de bande dessinée. À la lecture, il est possible parfois de déceler l’influence d’Edmond dans un dessin d’Aurore et réciproquement, la dessinatrice indiquant au début qu’il a pu en être ainsi ponctuellement. Cet ouvrage reprend l’habitude établie dans les précédentes collaborations : Baudoin utilise des lettres capitales manuscrites pour ses textes, Bize écrit en minuscules, avec une police de caractère de type informatique. La narration alterne les dessins et les textes de l’un avec ceux de l’autre. Il s’établit un véritable dialogue, l’un répondant à l’autre, et réciproquement tout du long de la bande dessinée. Le lecteur ressent une progression narrative, qui va au-delà d’une discussion informelle. Conscient de la nature de l’ouvrage, le lecteur se laisse porter par le flux de la discussion, tout en admirant les dessins. Baudoin indique que leur objectif est de dessiner des arbres. En effet, les différents dessins ont pour objet la nature, le plus souvent avec des arbres. Très peu de dessins comportent un être humain : la silhouette de Baudoin, la silhouette d’Eustacia Vye (un personnage du roman Le Retour au pays natal, 1878, de Thomas Hardy, 1840-1928), la silhouette de Louison (le fils d’Aurore), le corps d’Aurore elle-même. Alors le lecteur admire le paysage, ou plutôt les paysages successifs. Des arbres, des montagnes, des prairies, encore des arbres. S’il a déjà lu certaines BD de Baudoin, il en reconnaît immédiatement le trait de pinceau : gras épais, parfois complété par des traits fins, un assemblage d’une justesse épatante, surnaturelle même. Des représentations souvent épurées, transcrivant la vie de l’arbre dans sa silhouette, dans certaines textures, dans le déploiement de ses formes, de ses branches, une capacité extraordinaire à rendre justice à ces organismes vivants, à leur histoire personnelle qui a façonné leur développement. Par comparaison, les dessins d’Aurore Bize semblent s’inscrire dans un registre plus descriptif, plus proche de la réalité physique de ce que voit l’œil. Le lecteur perçoit qu’elle progresse dans son art au fil des séquences, s’éloignant un peu des apparences pour saisir la vie dans les arbres. Accolés à ces dessins qui donnent à voir les arbres dans la manifestation de leur vie, se trouvent de courts textes, dans lesquels les auteurs développent leurs réflexions, leurs échanges. Le lecteur apprécie de suivre un dialogue construit : une suite d’anecdotes et d’idées. De manière organique et élégante, Aurore et Edmond évoquent la nature de leur projet, leur envie de collaborer de longue date, leur relation. Le lecteur se sent invité et accepté dans l’intimité de leur relation, évoquée avec pudeur. Il ressent le fait qu’ils aient probablement été amants, même si cela n’est pas dit de manière explicite. Leur bienveillance réciproque rayonne littéralement de leurs échanges, ainsi que leur profonde humanité, leur amour et leur respect de l’être humain. Ainsi, ce qui apparaît tout d’abord comme une discussion entre deux artistes, avec des collaborations discrètes de l’un sur les dessins de l’autre, acquiert une dimension narrative pour ce qui est de l’histoire passée de leur relation, et une dimension réflexive, dénuée d’aigreur ou de la forme de conservatisme que l’on pourrait attendre du fait de leur âge. Ils expriment leur inquiétude pour l’avenir de l’humanité, sans cynisme ou résignation, sans se targuer d’avoir vu les choses empirer. Tout de même, voilà un projet singulier de dessiner des arbres pour parler de leur pratique de l’art du dessin, de leur impossibilité d’être satisfait de leur dessin tout en continuant d’essayer de s’approcher de cet impossible, d’évoquer également la manière dont s’exprime leur amour, leurs démarches pour comprendre l’autre sexe, ou encore ce monde mortifère qui pèse dans leurs têtes et dans leurs corps. Tout en découvrant les pages, le lecteur garde le titre en mémoire : Sous les écorces. C’est Baudoin qui l’écrit : alors j’ai de la haine à mon égard, parce que je ne sais pas descendre dans ses racines (celles de l’arbre), passer derrière son écorce. Dessiner les arbres va plus loin qu’un exercice complexe de transcription de l’histoire vécue par un être vivant dans un simple dessin. L’une et l’autre ont pour ambition de transcrire l’enchevêtrement des possibles, une quête di vivant par le dessin. Charge au lecteur de lire les dessins et d’établir un ou plusieurs liens avec ce que dit le texte. Aurore Bize écrit : Un même dessin peut raconter plusieurs histoires. Baudoin se demande : Une même image peut être lue de combien de façons ? L’un et l’autre font le constat de l’ambivalence des textes et des images, concepts développés dans les théories de la réception et de la lecture, par exemple par l’école de Constance. Au fil de la discussion, les autres envies de ces créateurs s’égrènent : garder une trace, répandre son émotion. Le sujet de l’arbre incarne en fait une recherche de la vie en l’autre, y compris les êtres humains, que Baudoin dessine régulièrement au travers de portraits pendant ses voyages, et que Bize dessine également. Cette recherche constitue également l’expression de leur amour : chercher la vie en l’autre, aimer en témoin non en maîtrise, comprendre l’autre. D’un côté l’un et l’autre ont conscience qu’il leur est de plus en plus difficile de se vider la tête ; de l’autre côté, ils conçoivent que le temps du dessin est comme une danse, une forme de résistance contre un monde mortifère. Cette pratique leur permet de rejeter toute catégorisation qui étouffe l’être, de témoigner de la vie, de chanter l’humanité Une discussion entre deux créateurs, sous la forme d’une bande dessinée, ou tout du moins d’une succession de dessins avec la voix intérieure de l’un et de l’autre qui court en alternance. Une bande dessinée, ou une succession d’illustrations associées à des réflexions en réponse à celles précédant ? En filigrane, il apparaît bien une trame narrative, celle qui évoque avec discrétion l’histoire de la relation, et celle qui évoque le développement de leurs réflexions. Le lecteur se prend rapidement d’amitié pour ces deux auteurs, pour leur chaleur humaine authentique. Il tombe sous le charme de l’incroyable densité de ce qu’expriment leurs représentations d’arbres. Il les écoute avidement parler de l’art du dessin de la rencontre et de l’altérité, de l’expression de leur amour, du sens qu’il donne à leur art, de leur espoir en la vie. Comme le conclut Edmond Baudoin : Les paysages se déconstruisent et reconstruisent eux aussi. Rien n’est immuable, même pas l’éternité. C’est notre chance. Nous pouvons ainsi continuer à rêver de l’horizon.