Les derniers avis (9334 avis)

Par Brodeck
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Rébétiko
Rébétiko

Il y a quelque chose à la fois d'organique et de virevoltant dans le travail de David Prudhomme. Les regards de ces musiciens déracinés, même voilés par les brumes de l'alcool ou les effets des drogues vous transpercent, ils semblent toujours porter plus loin. Ces hommes et femmes, malgré la censure et les persécutions d'un état policier, agissent avec une insolente liberté, refusant de plier sous le poids de l'oppression, de la xénophobie et de la misère. Leurs silhouettes aériennes dans des rues baignées de soleil impriment durablement la rétine et l'on observe fasciné leurs doigts qui courent, infatigables, libres, sur les cordes d'instruments pourtant interdits par le dictateur grec, Metaxas. Je m'arrête là, mais je pourrais encore parler de la chanteuse envoûtante Beba (quel personnage !) qui ouvre le tome : " Rebetissa ", de ces ombres portées sur le port et, pour reprendre les mots de Neruda, de cette lumière estivale qui " noie des fleurs " sur les bouches des musiciens attablés sous une tonnelle. Bref, c'est très beau.

11/05/2025 (modifier)
Par Spooky
Note: 3/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série L'Anneau de Gygès
L'Anneau de Gygès

Je vais commencer par parler du titre, qui n'est pas du tout évoqué dans le manga, du moins dans le premier volume. L'Anneau de Gygès est un artefact qui permet à son détenteur (le berger Gygès donc) de devenir invisible. Il s'agit d'un mythe apparu dans La République de Platon. Gygès, qui trouve dans le sol un anneau, utilise ce pouvoir pour séduire la reine, complote avec elle et assassine le roi pour s'emparer du pouvoir. l'occasion pour Socrate et ses contradicteurs de discuter de la morale. L'auteur a donc lu Platon ou ses exégètes pour créer cette histoire. Nous avons deux personnages qui se retrouvent, après un voeu dans un sanctuaire, avec des pouvoirs complémentaires ou liés : disparaître ou faire disparaître à volonté. Mais ils n'ont bien sûr pas la même approche morale de ces pouvoirs, et celui qui est plus dérangé que l'autre (a priori), va choisir de cacher son pouvoir et embrouiller l'autre. C'est déjà bien scabreux dans le premier tome, et l'auteur nous propose des scènes tordues. Il y a de quoi être bien accroché par ce pitch et avoir envie de lire la suite, puisque ce manga se termine en 7 volumes. Le dessin est assez nerveux, et torturé quand il faut, sans aller dans le grand bazar. Je suis curieux, donc, de lire la suite.

09/05/2025 (modifier)
Par bab
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Watership Down
Watership Down

Ro a tout dit ! Il est fort ce Ro... L'objet m'est tombé dans les mains chez ma libraire. L'édition est magnifique. Une couverture superbe, très travaillée, un papier texturé. Un livre qui fait plaisir à avoir (quand on aime avoir des livres). Je ne connaissais pas le roman, ni l'histoire, mais le quatrième de couverture et le conseil de Corinne (ma libraire donc) m'ont rapidement décidé que le jeu, ou plutôt le prix, en valait la chandelle. Je ne reviendrai pas sur le pitch. Cette aventure épique est fabuleusement menée. Lu en plusieurs fois (350 pages quand même), j'attendais la suite avec impatience. Découpée en chapitres courts, la création de cette garenne par Hazel et ses compagnons nous tient en haleine de bout en bout jusqu'aux dernières pages, qui viennent appuyer la poésie du folklore et des croyances créés par l'auteur autour de nos lapins. La carte et le glossaire à part sont vraiment malins, bienvenus sans qu'il n'y ait besoin de le consulter à chaque page. Côté graphique, c'est beau et simple. Pas de fioriture, une ligne soignée, claire qui appuie parfaitement le côté poétique du récit, mais aussi bien les aventures et combats. Certaines pages rendent magnifiquement le dynamisme des actions. Cependant, rien ne ressemble plus à un lapin... qu'un lapin. Certes, chacun portent ses différences, ses marques, ses cicatrices mais il n'est pas toujours simple de savoir à qui nous avons affaire. Cela nécessite de l'attention et parfois quelques retours en arrière pour bien comprendre qui fait quoi. Cela n'entrave pas la qualité du récit, mais nécessite une lecture "concentrée". Je rejoins Ro, une bien belle histoire qui mêle aventures, bagarres, amitiés, entraides et soutiens. Moi qui croise 10 lapins par jour sur les routes de campagne, je ne vais plus les regarder de la même façon ! Un roman graphique à lire, à faire lire. C'est beau, c'est une belle histoire, une belle aventure.

09/05/2025 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Pigments
Pigments

Les pigments, c’est juste ce qui les a rendues visibles, ces caresses. - Ce tome correspond à une anthologie réalisée par huit bédéastes différents relatant une expérience commune. Son édition originale date de 2025. Il a été réalisé par des auteurs complets ayant chacun réalisé le scénario, les dessins et les couleurs de leur segment, par ordre d’apparition avec leur surnom entre parenthèses et le nombre de pages réalisées : Pascal Rabaté (Chafouin, trois segments pour un total de dix pages), Étienne Davodeau (Auroch, dix pages), Emmanuel Guibert (L’abbé, douze pages), Edmond Baudoin (Lou Cabra, douze pages), Chloé Cruchodet (Pipistrelle, treize pages), Troubs (Belette, dix pages), David Prudhomme (Bison sensible, seize pages), Marc-Antoine Mathieu (Cro-Ma, trois pages). Le tome commence par un article de huit pages (du texte illustré par des photographies) rédigé par Marc Azéma, intitulé : Picasso, Soulages, Barceló en ont rêvé…. Les Rupestres l’ont fait ! L’auteur évoque les grottes de la région, la reconnaissance d’un art pariétal paléolithique, la technique du fac-similé de grotte ornée (pour réaliser Lascaux II), ses travaux de chercheur sur la représentation du mouvement dans l’art paléolithique, son livre La préhistoire du cinéma, l’album Rupestres ! (2011, par Davodeau, Guibert, Mathieu, Prudhomme, Rabaté, Troubs), et l’expérience relatée dans cet album. À la fin se trouve un dossier de quarante-six pages de photographies prises par Rémi Flament, montrant les bédéastes à l’ouvrage ainsi que leurs réalisations dans la grotte, et un article de deux pages sur les grottes du Quercy. Devant l’entrée de la grotte de la Sagne, une personne accueille le groupe d’artistes en leur expliquant que voici donc la grotte où ils vont œuvrer pendant dix jours. Ils ne travailleront qu’à la lampe frontale et qu’avec des pigments naturels. Les deux derniers compères qui participent à l’expérience arriveront demain. Un des participants ironise qu’il s’agit d’une sorte de Koh-Lanta pour dessinateurs-rices. Vient ensuite une vue de dessus de ladite grotte, puis une autre de la grotte de Pech Merle. Au sein de la grotte lieu de l’expérimentation : une culture de shiitake en pots, une table avec des pigments naturels et du matériel de dessin, et des bidons d’eau de chaux. Printemps 2021, Étienne Davodeau est à sa table de dessin et il répond à un appel téléphonique. Parfois, quels que soient les retards sur les travaux en cours, quels que soient les impératifs des agendas, des propositions impossibles à écarter arrivent. Cette petite vallée du Lot l’appelle donc à nouveau. Il y file pied au plancher. La première fois, c’était pour y dessiner avec quelques camarades au fond des grottes, face aux magnifiques œuvres de leurs collègues du paléolithique. De cette inoubliable expérience est né le livre collectif Rupestres ! La deuxième fois, c’était pour y retrouver ce petit mammouth de 22.000 ans qu’ils y avaient croisé. Encore aujourd’hui il ne sait pas exactement pourquoi ce petit dessin le fascine tant. L’introduction de Marc Azéma et celle de deux pages de Rabaté établit bien l’expérience : dix jours à réaliser des peintures rupestres pour sept artistes (Marc-Antoine Mathieu réalisant ses trois pages à partir d’une galerie), dont cinq avaient déjà participé ensemble au précédent projet : rêver et réaliser un livre en forme de grotte ornée avec ses galeries étroites, ses grandes salles, des zones d'ombres, des goulets et leurs questions… Le présent tome comprend donc un chapitre réalisé par chacun des artistes, une introduction et un épilogue réalisés par Rabaté. Chacun relate à sa manière cette expérience, tous à la première personne, certains en se mettant tout seul en scène, certains en évoquant quelques-uns des autres participants, et Guibert en mettant en scène un dialogue avec Edmond Baudoin. Ils ont chacun disposé d’une pagination adaptée : deux chapitres de dix pages, deux de douze pages, un de treize pages, un de seize pages, et les trois chapitres plus courts de Rabaté, ainsi que l’épilogue de trois pages de Mathieu. Les récits vont du commentaire sous forme d’échange (Guibert & Edmond), au récit de la réalisation effective des dessins par Troubs. De la même manière, les registres picturaux présentent des caractéristiques différentes d’un artiste à l’autre : un esquissé pour la séquence introductive, dans une veine réaliste pour Davodeau, sous forme de deux personnages comiques (sans arrière-plan) pour Guibert, des illustrations narratives mêlant plusieurs registres picturaux pour Baudoin, les délicates aquarelles de Cruchaudet, jusqu’au reportage photographique intitulés Pigments. Le lecteur entame la première histoire : sous le charme des dessins au trait de contour fin et délicat, évoluant dans le cocon de la douce lumière qu’elle soit extérieure et vive ou artificielle et dirigée vers la paroi. Il suit le flux de pensées de l’artiste. Davodeau s’apprête à dessiner comme ses collègues du paléolithique, avec les mêmes pigments. Pourquoi dessinaient-ils à l’âge de pierre ? Pourquoi eux dessinent-ils maintenant ? Tenter de répondre, c’est peut-être déjà enfermer l’idée. Dessiner quoi ? Ils verront. Ce qui compte, c’est le geste. Et pour des auteurs de bandes dessinée, habitués à l’espace exigu des cases de leurs pages, parcourir les parois de cette grotte, c’est dessiner avec tout le corps. Dessiner des jours entiers, et surtout dessiner ensemble. Autant que dessiner, un d’eux aime voir dessiner. Voir naître le dessin d’un autre, c’est voir une intelligence au travail. Le lecteur est pris dans un flux narratif, une histoire avec un début (l’appel téléphonique) une fin (la réalisation d’un dessin à l’extérieur), un point de vue et un ressenti. Le rythme se trouve rompu par la séquence suivante : quatre pages réalisées par Rabaté, qui comprennent, chacune, trois cases de la largeur de la page pour faire apparaître la longueur du boyau souterrain, avec les silhouettes des artistes en ombre chinoise, en train de réaliser leurs œuvres, ceux du côté gauche en entrant, puis ceux du côté droit. C’est le regard que porte Rabaté sur ses collègues, détaché, observateur, factuel, avec une prise de recul pour voir cette situation comme s’il y était extérieur. Puis le lecteur est pris par surprise par cette mise en scène des avatars de Guibert et Baudoin en petite silhouette arrondie, traits simplifiés, dans une pantomime faisant la part belle à la gestuelle, pour un dialogue. Ils papotent, échangeant leurs impressions, leurs connaissances sur le contexte de la peinture rupestre, échafaudant des hypothèses sur l’état d’esprit des artistes de l’époque, n’arrêtant pas de bouger. Ce chapitre se termine également par les réflexions de ce créateur sur cette expérience, sur le fait de pouvoir regarder les autres travailler : Sept peintres rupestres badigeonnent la muqueuse d’une caverne. C’est jouissif, de peindre sur la roche. Et rébarbatif. Et instructif. D’abord, il n’y a pas de format, pas de toutes les surfaces, du lisse au buriné, du plat au boursouflé, du ruisselant au sec. À chacune son lot de plaisirs et de désagréments. Les peintres tour à tour se mélangent ou s’isolent. Quand ils s’isolent de quelques mètres, ils s’entre-regardent parfois du coin de l’œil. Ils voient, dans le noir, une petite silhouette coiffée d’un lumignon s’escrimant contre une paroi. Elle émeut, cette petite silhouette. Le lecteur tourne la page… Et là… Là, il découvre le chapitre réalisé par Edmond Baudoin. Extraordinaire ! La sensibilité des peintures rupestres au travers de dessins peints, libérés de la structure des cases, entremêlant des images entre elles, tout en conservant la sensation d’une lecture graphique et d’une progression, avec des cellules de texte à la frontière du commentaire et d’un flux de pensée libre, évoquant aussi bien la pratique des artistes préhistoriques, que celle de ses collègues qu’il observe, le caractère éphémère de celle qu’il réalise, agrémenté d’une citation de Gilles Deleuze (1925-1995 – S’il n’y a pas dans un tableau une rébellion de la main par rapport à l’œil, c’est que le tableau n’est pas bon.) et d’une de Charles Baudelaire (1821-1867 – Sois sage, ô ma douleur, et tiens-toi plus tranquille. Tu réclamais le soir ; il descend ; le voici : une atmosphère obscure enveloppe la ville, aux uns portant la paix, aux autres le souci.), et s’achevant sur un dessin réalisé après, une page contenant quelque chose d’essentiel. C’est à la fois unique, une expression de la personnalité profonde de ce créateur, et universel. Ce chapitre mérite à lui seul la lecture de l’ouvrage. Pour autant, le reste n’apparaît pas fade au regard du chapitre d’Edmond Baudoin. Chloé Cruchaudet rend compte de cette expérience de son point de vue, avec sa propre sensibilité, des dessin plus délicats : elle parle de son manque de confiance, de ses interrogations quant à ce qu’elle peut représenter, de son adaptation progressive à la grotte, apprenant à connaître ce milieu, trouvant une façon de s’exprimer en adéquation et en phase avec cet environnement extraordinaire. Troubs réalise des dessins plus organiques, focalisés sur la paroi qu’il s’apprête à transformer par ses dessins, montrant comment le support même agit sur sa créativité, comment la matière participe à décider de son sujet. À sa manière, David Prudhomme balaye un spectre aussi large que celui de Baudoin, avec une sensibilité différente, une expression de sa personnalité et de sa pratique du dessin qui lui est propre, proche du credo : Dessiner, c’est enregistrer un parcours de l’œil, de la main, du pied, de la bouche, du corps de l’esprit sur un support. Il continue : L’image immatérielle est une image hors du temps, un dessin donne toujours une notion de temps nécessaire à sa création. Le dessin est un art de la trace et les amateurs de dessins sont des pisteurs. Ce voyage guidé initiatique se termine avec la dernière soirée passée entre artistes. Et l’épilogue de Mathieu fait apparaître l’universalité de des surfaces de monstration des dessins, comment celle de la grotte et celle de la galerie se confondent. Curieux, le lecteur découvre ensuite le copieux reportage photographique, très beau, qui lui permet de voir de manière plus prosaïque le concret des expériences relatées en toute subjectivité par les artistes. Peindre à la manière des hommes préhistoriques dans une grotte ? La lecture de cet ouvrage s’avère tellement plus que ça : une expérience chorale, vécue au travers de sept artistes différents, chacun avec leur personnalité. Chacun a choisi de mettre en avant des aspects et des thèmes qui lui importent, de la question de savoir quoi représenter, à la source d’inspiration, en passant par le questionnement sur ce qui pouvait inspirer les hommes préhistoriques, quel pouvait être leur état d’esprit, leur motivation. Le lecteur en ressort marqué par ces différents points de vue de ces créateurs tous praticiens expérimentés du dessin. Il se retrouve subjugué par la plénitude de l’expérience de lecture du chapitre d’Edmond Baudoin, véritable chaman. Une visite guidée que le lecteur prolongerait bien en allant visiter cette grotte par lui-même.

08/05/2025 (modifier)
Par Marie
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Molière - Le théâtre de sa vie
Molière - Le théâtre de sa vie

Un bijou de rigueur et de tendresse. On croit connaître Molière, on croit tout savoir… et pourtant, cette BD fait l’effet d’une redécouverte. Chaque page respire l’amour du théâtre, le respect des faits, et une profonde humanité. On y sent le souffle de la scène, les failles d’un homme, et le travail patient des chercheur·euse·s qui ont éclairé son parcours, notamment Georges Forestier, à qui ce livre rend hommage. Accessible, intelligent, fidèle aux programmes scolaires, mais surtout bouleversant de justesse. Merci pour ce morceau de vie, d’histoire, de mémoire.

07/05/2025 (modifier)
Couverture de la série Albin et Zélie
Albin et Zélie

Voilà un album qui s’éloigne énormément des sentiers battus, et qui devrait être ciblé par les lecteurs curieux. En effet, c’est une histoire qui mêle loufoqueries, poésie, romance improbable, pour un rendu inclassable, mais extrêmement plaisant. Une intrigue surprenante dans les grandes lignes, mais aussi dans les détails. A commencer par les personnages, du gros Albin, asocial amoureux et maladroit qui peine à déclarer sa flamme à Zélie, jeune femme bien plus dynamique soignant quelques blessures intimes. Autour d’eux gravitent un poisson rouge, des bidules extraterrestres, etc. Yannick Marchat (auteur que j’ai découvert avec cet album) nous embarque dans son histoire avec quelque chose de simple, dans la narration, mais aussi dans le dessin, qui use d’un chouette Noir et Blanc, avec des cases parfois très détaillées, quand d’autres sont avares de décors et d’arrière-plan. Voilà un album que j’ai acheté un peu au hasard (la couverture m’avait fait penser à une maquette de Cornélius), hasard qui, comme chacun sait, fait parfois bien les choses. Ça a en tout cas été le cas ici, pour ce coup de cœur.

07/05/2025 (modifier)
Par Blue boy
Note: 3/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Ukraine
Ukraine

Comme le sous-entend le sous-titre de cet album, très bien documenté, la guerre entre la Russie et l’Ukraine ne date pas d’hier, et remonte à une époque très lointaine. C’est au IXe siècle qu’est créée la Rus’ de Kyiv, considérée alors comme « l’un des plus grands Etats de l’Europe médiévale ». C’est ensuite que les choses se sont gâtées, notamment avec les invasions mongoles du XIIIe siècle qui réduisirent en cendres l’Ukraine sous sa forme originelle, laquelle tenta de survivre en tant que « principauté de Galicie-Volhynie », avant d’être dépecée à nouveau par la Pologne et la Lituanie. Il faudra attendre la fin du XVe siècle pour voir l’Ukraine refaire surface sous l’influence des Cosaques, des « hommes libres vivant en communautés autonomes ». Ceux-ci avaient créé les « Sitch », centres politiques et militaires, avant d’être soumis définitivement en 1764 par l’impératrice russe Catherine II. Les derniers Cosaques trouvèrent alors refuge sur les bords du Danube, mais ce sont eux qui ont contribué à forger l’identité ukrainienne moderne. Ce n’est là qu’un modeste résumé de mille ans d’Histoire, mais on ne va pas se mentir, les liens entre les pays d’Europe orientale sont tellement intriqués qu’il est parfois difficile d’y voir parfaitement clair pour nous autres, Européens de l’Ouest. Difficile d’être affirmatif quant à l’objectivité du livre, mais si l’on recoupe certaines informations en allant sur Wikipédia, on constate que le clivage entre le nord-ouest « pro-occidental » et le sud-est « pro-russe » du pays n’est pas nouveau puisqu’il remonte à l’époque des Cosaques. Ce que l’ouvrage, au demeurant très instructif, n’évoque absolument pas. Ce que l’on retiendra surtout après cette lecture, c’est que l’esprit de résistance ukrainien a toujours été très puissant et ne semble pas près de s’éteindre. Cela bien sûr ne remet pas en cause l’ignoble agression de Vladimir Poutine, qui dans son « opération spéciale » n’a pas mesuré l’ampleur de la détermination des Ukrainiens, lui qui pensait au départ que l’affaire serait pliée en quelques jours… La bande dessinée est plutôt captivante, alternant les passages historiques et les séquences documentaires, où l’on est immergé dans le quotidien de la guerre en cours, avec des illustrations saisissantes qui rendent bien compte de l'horreur et l’absurdité d’un conflit où les civils trinquent énormément lors des bombardements des habitations. A noter que le livre a été réalisé par des auteurs ukrainiens, notamment Mariam Naiem pour la partition narrative. Intellectuelle ukrainienne d’origine afghane, celle-ci s’efforce par son travail de mettre en lumière les enjeux de cette guerre, en dénonçant la politique de domination de l’Etat russe. Quant aux illustrations, elles ont été produites à quatre mains : par Ivan Kypibida pour la partie historique et Yulia Vus pour la partie documentaire. La mise en page est très vivante et permet de suivre sans être guetté une seconde par l’ennui un dossier tout de même relativement dense. On notera la tonalité dominante de l’orange dans ce parti pris bichromique, choix fort logique puisqu’il évoque la fameuse révolution orange de 2004. Le livre montre d’ailleurs comme cette révolution avait été marquée par l’empoisonnement du candidat Viktor Iouchtchenko par les sbires de Poutine (eh oui, on peut dire que la guerre couvait déjà à l’époque, ce dernier n’ayant pas réussi à imposer son protégé Ianoukovytch lors d’élections frauduleuses). Ainsi, si « Ukraine » apparaît plus comme un ouvrage davantage militant que véritablement historique, ce que l’on peut fort bien comprendre, il permet de saisir la détermination inébranlable du camp ukrainien face à un dictateur sanguinaire et manipulateur. On espère juste que le soutien de Donald Trump ne compliquera pas la situation en prolongeant inutilement cette guerre barbare et anachronique.

06/05/2025 (modifier)
Par gruizzli
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Quand j'ai froid
Quand j'ai froid

Je ne sais pas pourquoi je suis si conquis par cette BD. Je n'ai même pas l'excuse de l'avoir achetée et d'avoir envie de lui attribuer une bonne note pour justifier l'achat, on me l'a offerte ! Non, vraiment, je pense juste que cette BD a ce genre de feeling que j'adore, cette petite patte émotionnelle dans un enrobage mignon qui m'enchante. Muette ou presque, la BD rentre dans cette catégorie de BD feel-good, remplie de bons sentiments et de petits moments de vie, de personnages sympathiques, de situations un peu décalées qui donnent cette envie de goûter à la vie... Vous sentez le côté cucul, l'aspect trop gentil, un peu trop sucré ? Et bien non, même si on le frôle souvent. C'est juste... c'est juste mignon, tout choupi, plein de petits personnages attachants sans qu'ils n'aient besoin de dire un mot et de situations mignonnes qui donnent le sourire. Mais si je suis si dithyrambique sur cette BD, c'est parce que son dessin très moderne en fait une œuvre toute aussi mignonne à regarder. C'est rempli de petits détails sur la colorisation, sur la mise en page et sur des jeux de temporalités qui font lire l'histoire sans jamais se perdre, comprenant dès l'instant où c'est nécessaire ce qu'il se passe. L'autrice maitrise clairement son dessin et lui donne les atours pour que l'on ne soit jamais déboussolé. C'est plein de ces petits détails qui me font plaisir après tant d'années de lectures de BD parce que j'y reconnais une vraie maitrise du style de narration par le dessin, d'une envie de raconter l'histoire autant visuellement que narrativement, et que chaque élément semble s'emboiter dans l'autre pour en faire ressortir ses qualités. Je suis personnellement très très fan de ce qui a été fait pour rendre la couleur si efficace avec cette petite idée de passage au blanc lorsque quelque chose arrive... Maintenant, je suis franchement peu objectif sur la BD mais ça faisait franchement longtemps aussi qu'une BD ne m'avait pas amené la larme à l’œil aussi facilement. Il y a eu ce passage, classique et déjà vu, certes, mais qui marche encore une fois. Simple, sobre, sans paroles, juste quelques petits gestes et des petites attentions qui racontent tout. Et à y repenser, ça fait remonter une petite larme, parce que même si on est souvent éduqué à le cacher, ça fait quand même plaisir de se faire remuer les sentiments. Je suis embêté par mon avis car il est certain que j'ai bien trop vendu la BD et que bon nombre d'entre vous seront déçus de découvrir une BD honnête et mignonne mais qui ne sera pas la révélation de l'année. Et c'est pourquoi je vous propose, si mon avis vous semble élogieux, de l'oublier et juste retomber dessus dans un mois, dans un an, de la lire et passer vous aussi un bon moment.

05/05/2025 (modifier)
Couverture de la série Ben Barka - La disparition
Ben Barka - La disparition

Retour sur l'une des affaires les plus mystérieuses des années 60. Une enquête passionnante, un véritable thriller et un devoir de mémoire indispensable. La disparition du marocain Mehdi Ben Barka a eu lieu le 29 octobre 1965 et cette affaire n'a jamais été clairement résolue : d'ailleurs, son fils Bachir espère toujours faire avancer l'enquête et il a même collaboré à l'écriture de cet album, tout comme Maurice Buttin, l'avocat de la famille, ou encore le juge Patrick Ramaël. Le journaliste David Servenay (né en 1970) est l'un des fondateurs de La Revue Dessinée, revue d'information en bande dessinée dont le premier numéro est paru en 2013 et qui nous a déjà donnée (entre autres exemples) l'adaptation des thèses économiques de Thomas Piketty avec le remarquable album Capital & Idéologie. Il est ici accompagné du dessinateur Jacques Raynal (ou Jake Raynal, né en 1968) : le duo avait déjà travaillé sur l'album "La septième arme". Avec cet album, Ben Barka : la disparition, ils tentent de donner un nouveau point de vue sur cette affaire que beaucoup voudraient avoir enterrée depuis longtemps. Nous ne sommes pas dans une bande dessinée classique mais plutôt à la limite du roman graphique. Les dessins de Raynal sont d'un beau noir et blanc, très contrasté, avec de grands aplats noirs, ce qui donne au récit un ton sérieux et journalistique. Un dessin tout au service de l'enquête. Et puis bien sûr il y a l'Affaire elle-même et l'enquête : le déroulement des faits et les hypothèses (soigneusement recoupées par les auteurs) sur la disparition de l'homme politique opposant au nouveau régime marocain : barbouzes de tous pays, diplomates et politiques, voyous et anciens collabos, flics et agents du Sdece, ... tous ont travaillé main dans la main avec le cabinet noir des services secrets marocains menés par le général Mohamed Oufkir, le boucher du Rif. L'ambitieux et populaire Ben Barka gênait beaucoup trop de monde dont les français qui voyaient arriver le virage de la décolonisation. On entrevoit même les ombres de la CIA et du Mossad planer sur cette histoire. Les auteurs prennent le temps nécessaire pour nous présenter les différents protagonistes, les enjeux politiques, diplomatiques et internationaux de cette affaire dans laquelle notre République s'est, une fois de plus, brillamment illustrée. Il y a même, en fin d'ouvrage, une série de fiches récapitulatives sur les protagonistes les plus importants. On peut s'interroger sur l'intérêt de ressortir encore aujourd'hui cette vieille histoire jamais élucidée ? Mais l'enterrer trop rapidement dans un recoin obscur avec le corps de Mehdi Ben Barka, reviendrait à oublier de nombreuses questions. Oublier que l'ombre de cette affaire plane encore sur les relations franco-marocaines. Oublier qu'aucun des présidents successifs de notre république n'a souhaité faire la lumière sur ces événements, de Giscard à Macron en passant par Chirac, Mitterrand ou Hollande. Oublier que la justice française reste bloquée depuis des dizaines d'années malgré l'obstination courageuse de quelques juges : il s'agit là du « dossier d'instruction qui est à ce jour la plus ancienne enquête criminelle en cours dans les annales de la justice française ». Oublier que pour tenter de faire avancer le dossier, le juge Patrick Ramaël a même perturbé la rencontre de Sarkozy avec Mohammed VI en 2007. Le président français était accompagné de Rachida Dati, alors ministre de la justice (elle est d'origine marocaine). Oublier les mots, cités dans l'album, des mots de 1966 publiés par Pierre Viansson-Ponté dans le journal Le Monde [clic] à propos de cette affaire : « [...] L'abus du renseignement, le goût du secret, le recours aux méthodes occultes, aux agents, aux réseaux, aux polices parallèles, sont [...] inhérents au compagnonnage gaulliste. Ils en sont aussi le vice majeur. » Enfin, il ne faut pas oublier non plus comment certains journaux (et non des moindres : L'Express, Minute, ...) ont été totalement manipulés pour livrer au public de fausses explications à la disparition de Ben Barka. Voilà donc bien un album utile et nécessaire à notre mémoire, un travail qui résonne comme un écho à celui d'Etienne Davodeau et Benoit Collombat dans l'album Cher pays de notre enfance.

03/05/2025 (modifier)
Par Blue boy
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Dix Secondes
Dix Secondes

On ne sait trop quelle est la part autobiographique de ce récit, mais on peut penser que Max de Radiguès y a mis de lui-même. En effet, l’histoire se déroule vraisemblablement dans la Belgique des années 90 (parmi d’autres références à la pop-culture de cette période, les kids jouent à la console mais le téléphone portable n’existe pas encore), et l’auteur, né en 1982 en Wallonie, était alors un adolescent. Avec « Dix secondes », il dresse à travers Marco le portrait d’une génération dans cette tranche d’âge entre deux eaux, où l’on n’est plus tout à fait un enfant mais pas encore un adulte, dans le cadre en apparence paisible de ces zones résidentielles bien rangées où il ne se passe jamais rien… Max de Radiguès appartient à cette catégorie d’auteurs en retrait des codes traditionnels de la BD. Son talent à lui est de dévoiler, à l’aide de sa ligne claire un peu frêle, et néanmoins très stylée, agrémentée de couleurs vives et « innocentes », le malaise rampant d’une société bien trop lisse pour être honnête. Et ce malaise vient principalement de Marco, ce teenager déconcertant qui ne devrait pas avoir trop de raisons de se lamenter, si ce n’était ce manque patent de communication avec ses parents (un père qui semble toujours être de passage, accaparé dit-il par un boulot « prenant », et une mère aimante mais totalement « à l’ouest », peu disposée à affronter une situation familiale quelque peu problématique) et cet amour qu’il voue à Zoé, malheureusement à sens unique… Comme pour se venger de cet état de fait, Marco s’en prend à lui-même, car Marco, bonne pâte, ne ferait pas de mal à une mouche. Marco se fait donc du mal à lui-même, torture son corps et à sa tête en s’infligeant de grosses bitures, engloutissant les pires mixtures qui passent à sa portée pourvu qu’elles soient alcoolisées, et pour être sûr d’être suffisamment défoncé, renforce son alcoolémie à coup de spliffs bien dosés… et ça ne s’arrête pas là puisque lorsqu’il reprend son scooter en pleine nuit, il aime à tutoyer le danger en fermant les yeux pendant dix secondes… l’accident survient presque toujours, mais comme dans une bande dessinée de Tintin, notre « héros » semble se relever à chaque fois sans une égratignure malgré des vols planés impressionnants… un vrai jackass le Marco ! Alors n’allons pas dire que Marco est un modèle, c’est loin d’être le cas, et ce qu’il vit est plutôt assez glauque voire déprimant. Et pourtant, allez savoir pourquoi, Max de Radiguès réussit à produire un récit plein de fraîcheur et d’humour où les haleines alcoolisées sont tenues à distance, heureusement pour le lecteur d’ailleurs ! C’est très paradoxal mais ça doit être ça, le style Radiguès, et ça fonctionne à merveille, un peu comme si Quick (ou son copain Flupke…), avec quelques années de plus, avait croisé Charles Bukowski et Bob Marley sur sa route (mais sans jamais voir Jah). Il est malin, le Max, et sans avoir l’air d’y toucher, mais c’est une autre grille de lecture qu’on pourra éventuellement privilégier, s’efforce de montrer que le confort de nos sociétés modernes peut générer du mal-être, sur lequel ses victimes ne pourront pas forcément mettre des mots. Dans le cas de Marco, c’est un peu comme s’il était prisonnier de lui-même et de son image de gentil garçon, incapable d’exprimer le mal indicible qui le ronge et le pousse à commettre des actes suicidaires dans un contexte pourtant familier et rassurant. L’auteur ne nous livre pas de réponse mais se contente de montrer une réalité sous le prisme de son vécu, en évitant d’être démonstratif, sans jugement, d’où cette fraîcheur sans doute. Ainsi, il laisse le soin à chacun d’en tirer ses propres conclusions, notamment avec une fin qui peut laisser perplexe mais s’imprime sur nos rétines pendant longtemps. En cela, il fait confiance à ses lecteurs et c’est plus qu’appréciable. « Dix secondes », voilà un titre qui résume parfaitement cet album, évoquant la brièveté d’un coup de folie pouvant faire basculer une vie vers le néant absolu, reflétant par là même son absurdité. Max de Radiguès nous livre ici une étude sociologique sans prétention et qui sonne vrai, sous un angle original et faussement candide, assurément une bande dessinée à retenir pour cette année 2025.

02/05/2025 (modifier)