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Couverture de la série La Grande Epopée de Picsou (La Jeunesse de Picsou)
La Grande Epopée de Picsou (La Jeunesse de Picsou)

Alors là je retrousse mes manches, parce que l'on va parler d'un auteur et d'un dessinateur dont le travail m'a toujours bluffé et dont je regretterai toujours le fait qu'une maladie l'empêche aujourd'hui de pleinement continuer son art. Cette collection cherche à rassembler l'ensemble des histoires autour de Picsou (et de Donald et ses neveux) écrites et dessinées par Don Rosa (seuls les deux premiers tomes traitent de la légendaires "jeunesse de Picsou", la suite est une succession d'aventures diverses et variées). Déjà, ce qui bluff, en tout cas ce qui m'avait bluffée étant jeune et qui a réussi à me faire garder un grand respect pour l'artiste depuis toutes ces années, c'est l'humanité qu'il arrive à insuffler à ces personnages mine de rien assez simples du canon Disney (Picsou est pingre, Donald est malchanceux et colérique, Riri, Fifi et Loulou sont un trio d'enfants extrêmement intelligents et débrouillards). Ici, on parvient à réaliser l'impensable pour moi : me faire sincèrement sympathiser avec un multimilliardaire qui, comme tous les multimilliardaires, n'a pas obtenu sa fortune par une bonté de cœur angélique et une droiture morale exemplaire. Picsou est pingre, Picsou a fondé sa fortune sur de nombreuses magouilles, Picsou s'est éloigné petit à petit de sa famille, Picsou est désormais seul sur sa montagne de sous. Mais Picsou a tout de même une chose qui le sauve de la misère qu'est devenue sa vie : sa famille. Par une courte aventure rocambolesque, ses neveux reprendront contact avec lui et lui redonneront le goût de l'aventure, ce qui le faisait vibrer autrefois. Car oui, j'ai oublié de le préciser, Picsou a une autre qualité salvatrice : c'est un amoureux du grand frisson, un Indiana Jones canardesque, un héros dont la bravoure n'a d'égale que son avarice. Il cherche à s'enrichir, oui, mais il cherche aussi et surtout à vivre des aventures. Après tout, le vrai trésor n'est-il pas la quête en elle-même ? Picsou me dirait que non, que le trésor est le vrai trésor, mais que la quête est un trésor de plus. Ce qui marque dans la retranscription du personnage par Don Rosa (sa réécriture, même), c'est cette sincère envie de l'humaniser (enfin de le canardiser, je suppose), de le rendre attachant par sa complexité morale, ses dilemmes et son affection sincère pour sa famille. C'est d'ailleurs ce qui l'oppose à son grand rival, Gripsou, qui lui représente vraiment la cupidité de Picsou poussée à son paroxysme, sans une once de son code moral et du soutien que lui procure sa famille. Tout ça, c'est bien, mais en vrai, je ne vais pas vous mentir, le plus gros point fort de cette œuvre selon moi restent l'écriture et le dessin de Rosa. Chaque case est une mine de détail, que ce soient les gags en arrières plan (certaines grandes cases sont vraiment impressionnantes dans la quantité de détails qu'on y trouve), les répliques sarcastiques et comiques s'enchaînant au tac au tac, l'expressivité des visages, les aventures bien rythmées et surtout les personnages entraînants. Bon, en vrai, toutes les histoires ne sont pas transcendantes, il y a malheureusement certaines qui sont assez oubliables, mais il y a également tant de franchement réussies et marquantes que je les excuses volontiers. A noter aussi que certaines sont des suites directes à des récits de Barks, donc certaines sagas ne seront pas ici au complet, mais cela reste parfaitement excusable (et les histoires restent compréhensibles). Je recommande sincèrement la lecture, même si mes convictions politiques et morales me font culpabiliser d'autant apprécier un personnage faisant l'éloge du capitalisme et du mythe états-unien du self-made man (le rendre sympathique et plus humain n'y change rien). Coup de cœur tout de même. Deretaline-gauchiste pourra crier autant qu'elle veut, Deretaline-grande-enfant l'emporte aujourd'hui. (Note réelle 3,5)

07/03/2025 (modifier)
Par grogro
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série La Menuiserie - Chronique d'une fermeture annoncée
La Menuiserie - Chronique d'une fermeture annoncée

C'est pas mal (et même mieux que ça - je ne cesse de relever ma note car je pense très souvent à cet album. Je suis passé de 3 à 4, puis lui donne finalement un coup de cœur). Ces chroniques d'une TPE familiale permettent de saisir le gouffre qui s'est creusé avec le monde d'avant. Le monde d'avant quoi me direz-vous ? Et bien le monde d'avant l'accélération, avant le numérique, avant le libéralisme débridé, d'avant le XXIe siècle... J'ai suivi l'affaire avec un intérêt certain. Le dessin : Aurel, je l'ai déjà dit, est mon "nouveau dessinateur préféré". Un plaisir pour les yeux. Ce qui est chouette, c'est qu'on comprend beaucoup de choses sur l'écart entre les grands groupes et les micro structures comme celle qui est évoquée dans cette BD. La complexité administrative qui s'applique sans nuance à Carroufe comme à notre petite Menuiserie familiale rend difficilement pérenne ce genre de petite boite. Ce qu'on pourra largement regretter eu égard à l'ambiance qui règne dans celle dont le père d'Aurel est le patron. De là, on comprend que la vie dans les villages ou les petites villes se meurt. On comprend même plus que ça entre les lignes... Ha oui ! j'ai aimé aussi l'allusion au Médef dont les fondateurs étaient visiblement des figures de la collaboration... La Menuiserie est une histoire touchante, à échelle humaine, et mine de rien très militante. De plus, le récit est empreint d'une mélancolie palpable et assez communicatrice. La fin inéluctable nous donne la sensation d'assister à la fin d'un monde où l'humain avait encore sa place. Je relève ma note. C'est plus que pas mal, en fait. C'est beau, sensible, obsédant.

04/05/2023 (MAJ le 07/03/2025) (modifier)
Par gruizzli
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Muhammad Ali
Muhammad Ali

Cette BD est solide comme un coup de poing dans la gueule qu'il faut lire en encaissant comme un boxeur. En l'encaissant comme Ali ! J'avais cette BD dans la pile à lire mais sans avoir aucune idée de pourquoi si ce n'était la note. C'est le genre de surprises que j'adore avoir, parce qu'elle est franchement formidable. Cette BD, comme le dis si bien McArthur, c'est celle qui te fait comprendre le mythe derrière la personnage. Qui permet aussi de l'appréhender, dans toute la complexité du personnage. Et je dois le dire, Muhammad Ali est une personnalité que je trouve incroyable maintenant. Parce que la BD parle de son parcours de vie non pas tant comme boxeur, mais dans sa totalité ! Et c'est sans doute ce qui est autour de la boxe qui est le plus fou et sans doute le plus méconnu : la partie politique. Que ce soit le combat pour les droits des noirs, la question religieuse, la répression politique, parfois à l'internationale, son engagement social prononcé, ses discours... Derrière le boxeur grande gueule, je découvre une personne pleinement engagée dans les droits civiques et dont certains discours seraient aujourd'hui parfaitement entendables. Georges Floyd n'est pas si loin que ça... La Bd a donc un sujet intéressant, vivant et fort, mais elle le traite intelligemment. Le dessin, volontairement réaliste, joue sur les périodes (notamment lors d'interview retranscrites par des télévisions qui changent selon la période) mais aussi sur les cadrages, très étirés qui ne sont pas sans rappeler un cadrage cinématographique. J'ai personnellement trouvé que ça rappelait la volonté d'un film documentaire. D'autre part la voix off est présente tout au long comme un long discours envers Cassius Clay, renforçant la narration en créant un lien direct entre lui et le narrateur. Enfin, j'apprécie tout particulièrement les combats de boxe, les images faisant penser à des clichés pris sur le fait, tandis que la voix off et les rounds défilent. C'est une technique simple mais rudement efficace pour parler d'une personne qui fut présente en photo et à la télé comme une super-star. D'ailleurs les grandes pages pleines faisant presque penser à des arrêts sur image captant le moment-clé, cette image qui reste en tête longtemps après. Que ce soit les discours, les victoires, on sent que les auteurs ont voulu retranscrire tout le jeu scénique de Muhammad Ali. La BD est excellente à mes yeux parce qu'elle est une biographie qui dépasse son sujet en offrant plus, peignant une société américaine raciste et un personnage solidaire des siens, parce qu'elle évoque la boxe comme le sport extraordinaire qu'il est, capable de soulever des foules. Mais aussi parce qu'elle fait toucher du doigt pourquoi cet homme est aujourd'hui encore une icône, une inspiration de tant de personnes. Muhammad Ali s'est créé lui-même, s'est fabriqué comme mythe et encore aujourd'hui il peut nous inspirer. Franchement, je suis à deux doigts du culte !

06/03/2025 (modifier)
Couverture de la série Calvin et Hobbes
Calvin et Hobbes

Tiens, je n'ai toujours pas avisé cette série ! Réparons cet affront ! "Calvin et Hobbes", c'est l'une de mes séries du cœur, l'une de celle que j'avais découverte étant encore enfant (bon, grande enfant pour le coup) et qui non seulement m'avaient donné une vraie claque mais avait surtout réussi à me marquer pour la vie. C'est simple, fut un temps, mon rituel quand je tombais malade était d'envoyer mon père me chercher les Calvin et Hobbes à la bibliothèque pour les relire. C'est vraiment pour moi une BD du réconfort. Pour celleux ne connaissant pas la série, il s'agit de strips humoristiques mettant en scène Calvin, enfant extrêmement turbulant ayant tendance à vivre dans son monde. Son acolyte est Hobbes, son tigre en peluche qui prend vie dès lors qu'ils sont seuls et avec qui il fait de grandes réflexions et de petites piques sur la vie. Calvin et Hobbes, c'est l'histoire du sale gamin par excellence, attachant dans son imagination enfantine et ses réflexions poussées, contrebalancé par son ami imaginaire plus terre à terre jouant plus ou moins le rôle de la "voix de la raison". Bon, voilà, le fond est profond et touchant dans son humanité, mais quid de l'humour ? Cela reste une série humoristique, après tout ! Il est drôle. Cela reste subjectif, mais pour quiconque aime l'humour de répartie, les répliques pince-sans-rire et le sarcasme, "Calvin et Hobbes" reste une référence du genre, encore parfaitement lisible et appréciable par des enfants aujourd'hui. Et toujours bon à l'âge adulte, d'ailleurs ! J'en profite pour féliciter l'intégrité artistique de Bill Watterson qui a su arrêter sa série phare quand il a senti que l'inspiration lui manquait et qui a tenu à s'assurer que la reprise mercantile de ses personnages soient plus compliquée. Cela reste suffisamment rare pour mériter un applaudissement.

06/03/2025 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Idéal
Idéal

Elle est censée être en capacité d’interpréter les désirs d’autrui. - Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Son édition originale date de 2024. Il a été réalisé par Baptiste Chaubard pour le scénario, et par Thomas Hayman pour les dessins et la couleur. Il compte deux-cent-quarante-neuf pages de bande dessinée. De nombreuses personnes montent le long escalier menant à un temple. Edo Nishimarru effectue la même ascension, tout en fumant tranquillement une cigarette, avec un petit paquet cadeau à la main. Il observe le mont Fuji dans le lointain. Il voit un couple se tenir serré l’un contre l’autre en admirant la vue. Il voit un groupe de trois collégiennes ayant posé leur sac sur les marches et papotant en admirant la vue. Il regarde une jeune femme se faire photographier devant un buste commémoratif, celui de Hideo Nishimaru, 2095-2155. Il commence à redescendre ; sur un palier il croise une femme en habit traditionnel, kimono, ombrelle, geta. Il apprécie cette vision. Arrivé en bas, il prend un taxi, son regard se perd dans le paysage qui défile. La route en corniche l’amène jusqu’au portail imposant d’une grande propriété. Il se fait déposer, et il marche sur les pas japonais jusqu’à sa luxueuse demeure. Il dépose son paquet cadeau sur la table basse et s’assoit sur le canapé. Sur leur terrasse, son épouse Hélène Ishimaru contemple également le mont Fuji. Elle observe un oiseau perché sur une branche. Elle quitte sa robe transparente et elle rentre doucement dans l’eau de la piscine. L’oiseau s’est envolé et il vient se cogner à la baie vitre, tombant assommé. Hélène le ramasse et le met dans une cage : il n’est pas encore capable de voler de ses propres ailes. En passant devant la baie vitrée, elle regarde sa silhouette, plutôt satisfaite, même si les marques de l’âge sont bien présentes. Hélène décide de rentrer dans la maison. Elle monte l’escalier jusqu’à l’étage. Elle passe devant le piano dont elle caresse le bois. Elle traverse l’immense chambre, et jette un coup d’œil dans sa grande penderie pour choisir une robe. Elle se rend dans la magnifique salle de bain, où elle profite de la grande baignoire carrée. À l’extérieure, Osachi simplement vêtue d’un short de bain plonge en apnée pour aller pêcher un ormeau, qu’elle détache avec son couteau, et elle remonte. Elle met sa prise dans le seau en bois qui flotte. Elle prend le seau et le dépose dans sa barque, dans laquelle elle monte. Elle rame jusqu’à la petite crique. Elle hale la barque sur le sable. Elle s’habille avec une jupe et un corsage stricts, et met son tablier. Tenant le seau de bois de la main droite, elle avance vers l’escalier de pierre qu’elle monte. Elle rentre dans les communs de la villa, et elle offre un ormeau au chat qui l’attend. Elle passe à côté de la piscine et elle rentre à l’intérieur. Elle entame les tâches domestiques : laver le sol avec un balai, faire les carreaux, rincer le chiffon, faire tourner la machine à laver le linge, briser quelques coquilles et découper les coquillages pour préparer de délicats nigiris dans une cuisine étincelante. Quelle puissance de séduction ! Tout commence avec cette couverture énigmatique : une femme qui regarde le mont Fuji depuis une terrasse avec piscine, avec une belle baie à ses pieds, un transat en bois assez classique, un pied-table design pour le parasol, un dallage soigné, un bel arbre. Le lecteur ouvre ce tome épais avec un beau dos toilé : les pages intérieures bénéficient de la même minutie que l’image de couverture, même trait de contour fin et souple, mêmes textures à l’apparence mécanographiée, des couleurs majoritairement en aplat, quelques dégradés organiques, même sensibilité pour les compositions travaillées. L’amateur d’aménagement est aux anges : le portail arrondi dans le mur d’enceinte de la propriété, l’entrée avec son meuble métallique à chaussures, la table évidée avec les beaux vases, les bonsaïs, les panneaux glissants, les grandes baies vitrées assurant une grande transparence à la construction, l’arbre intérieur dans une énorme pièce, le beau piano à queue, les tableaux de paysage aux murs, la baignoire avec une vasque débordante pour la remplir, le futon et les tatamis dans la chambre à coucher à l’ameublement minimaliste, la pièce à vivre plus encombrée de la bonne avec un petit autel et son bâtonnet d’encens en mémoire de son défunt mari, la maison plus traditionnelle de l’oncle Nishimaru Ueda, l’architecture plus moderne du Philharmonique, la magnifique vue de dessus de la propriété pour la réception avec son petit pavillon du jardin, etc. D’un côté, le phénomène d’exotisme joue à plein pour le lecteur occidental ; de l’autre côté, il ressent une vraie sensibilité pour ce Japon traditionnel, avec un degré d’authenticité qui dépasse la carte postale sans âme. Le choix du Japon va au-delà d’un simple artifice de dépaysement : l’Histoire de ce pays joue un rôle important dans l’intrigue. En effet, le gouvernement a décidé que voilà trop longtemps que le Japon est à l’école de l’occident qu’il est temps, et plus que temps, que le pays ferme ses portes à ce monde extérieur qui sombre et s’éteint. Ainsi s’est exprimé lundi soir le député Takizawa Bakin, du groupe majoritaire à la chambre des représentants, lors de la présentation du projet de loi sur la fermeture. Il est vraisemblable qu’en quelques mois, le pays se refermera comme sous le règne des Tokugawa, il y a six cents ans. Cette décision a une incidence directe sur la situation d’Hélène, une occidentale, l’épouse d’Edo Nishimaru. La mise en scène de la demeure traditionnelle, des quelques concessions d’aménagement moderne constitue autant d’éléments narratifs indispensables à l’intrigue, indissociables de l’histoire. Régulièrement, le lecteur prend conscience qu’un élément visuel vu quelques pages avant acquiert une autre dimension à la lecture d’une nouvelle information. Par exemple, le personnage principal masculin se tient devant le buste commémoratif d’Hideo Nishimaru en page dix. Le lecteur suppose que cette marque de respect sert surtout à donner une indication de l’époque (l’homme est décédé en 2155, il s’agit donc d’un récit entre anticipation et science-fiction), et un peu à donner une idée de l’importance du passé pour Edo. Ce n’est qu’en page cent-vingt qu’un autre personnage salue Edo par son nom de famille, et que le lecteur fait le lien avec le buste. Dans un premier temps, le lecteur se laisse porter par la douceur de la narration. Le récit s’ouvre avec une séquence de trente pages, dépourvue de tout mot. Les personnages se conduisent comme des adultes, calmement et posément. Il n’y a qu’à regarder les cases : les enchaînements sont évidents de l’une à l’autre, ne nécessitant aucun effort de compréhension. Le lecteur fait tranquillement connaissance avec l’un, puis avec l’autre : le mari Edo Shinimaru, son épouse Hélène et Osachi la bonne. Il effectue des déductions basiques : la situation financière très aisée du couple, l’activité de pêche traditionnelle aux ormeaux de l’employée de maison en plus de son travail, la sollicitude d’Hélène pour l’oiseau, celle d’Osachi pour le chat. La première discussion intervient en page trente-neuf, entre les époux. De temps à autre, le lecteur passe dans un autre mode de lecture, reliant un élément à un autre. Ainsi il remarque les mouvements réflexes d’Hélène se frottant le poignet, le piano, l’image d’elle-même dans un lit d’hôpital. À d’autres moments, il relève une forme de métaphore : cet oiseau qui se cogne contre une barrière qu’il n’a pas vu, et Hélène qui se heurte aux conséquences d’être une étrangère, une occidentale au Japon et qui se heurte à des barrières sociales dont elle ne soupçonnait pas l’existence. Au cours du récit, le lecteur relève plusieurs thèmes qui se nourrissent les uns les autres. L’intrigue principale correspond à la relation de couple entre les époux Nishimaru : les conséquences de l’accident d’Hélène, sa décision de faire entrer une Intelligence Artificielle Humanisée (IAH) dans leur demeure, le risque de perdre son poste au Philharmonique. Il s’agit d’un drame : la pianiste sait que : Personne ne se rend compte de tout ce qu’elle a dû sacrifier, pour devenir une artiste exceptionnelle. De tout ce que ça lui a coûté. Des milliers d’heures… Sans aucune distraction… Toute son enfance… Toute son adolescence… Les concours… Les représentations… C’est toute sa vie. Jouer… C’est la seule chose qu’elle sache vraiment faire. Le lecteur se rend compte que le comportement de l’oiseau en cage évoque une facette de la situation d’Hélène. C’est également l’histoire d’une relation de couple : Hélène a fait le constat du temps qui passe, des décennies qui s’accumulent et que le temps est loin de la beauté et de la passion de la jeunesse. En pleine crise existentielle, elle décide d’offrir un cadeau à son mari, une sorte de robot de substitution. Son époux se retrouve ainsi soumis à une tentation cornélienne : rester fidèle à son épouse, ou rester fidèle à ce qu’a été son épouse. La réaction politique du gouvernement du Japon de refermer les frontières incarne également la réaction face à l’étranger, or Hélène est une étrangère. Cela a induit des changements dans son époux qui a accepté d’intégrer des éléments modernes dans la maison traditionnelle de son père. Cette union maritale devient à son tour une métaphore de toute union, des conséquences de l’apport d’éléments exogène dans l’environnement de vie d’un individu, la capacité de l’être humain à accepter, ou plutôt à s’adapter au changement. Capacité qui semble décroître avec les années qui passent, voire qui peut évoluer en rejet. Le récit va encore plus loin avec Kai, l’IAH : elle dispose de la capacité d’interpréter les désirs d’autrui. Hélène explique : Son fonctionnement repose principalement sur une capacité d’analyse comportementale. Elle étudie aussi les changements de température chez son interlocuteur, et le type de phéromones qu’il dégage. Avec tout ça, elle calcule une forte probabilité d’une catégorie de désir ou d’humeur. Dès qu’elle sent un désir assez fort pour retenir son attention, elle va chercher à le satisfaire par le moyen le plus efficace. Elle agit comme un écho à ce que désire le plus ardemment le cœur d’un individu, d’un être vivant. Cela induit un questionnement à deux niveaux. Comment va se comporter Kai confrontée à deux désirs inconciliables : celui de l’oiseau qui veut être libre, et celui du chat qui veut manger l’oiseau ? À un autre niveau, l’androïde Kai incarne également un être humain qui serait guidé par l’empathie, et qui se mettrait en devoir d’aider son prochain. Comment l’individu peut-il adapter son comportement pour répondre aux attentes intimes et parfois inconscientes d’un autre ? Une forme d’amour inconditionnel. Les auteurs montrent l’effet de la démarche de Kai sur Edo et sur Hélène, mais aussi sur Osachi pour qui la présence de Kai s’avère bénéfique. Le lecteur en vient à s’interroger sur ce qui dans la personnalité d’Osachi fait que le contentement de ses désirs constitue une amélioration ce qui n’est pas le cas pour les époux Nishimaru. Il pense aux pulsions du chat et de l’oiseau, aux lectures possibles de cette métaphore des désirs des personnages humains. Une copieuse bande dessinée, avec de beaux dessins un peu maniérés et une narration éthérée ? Oui, il y a de cela… Et beaucoup plus. Un récit d’anticipation avec un androïde dédié au contentement des aspirations profondes des individus ? Aussi, et c’est une intrigue poignante amenant à s’interroger sur sa propre relation à autrui. Un drame tragique ? Certes, générant une prise de conscience et une réflexion sur la nostalgie, sur le temps qui passe, les évolutions et les changements inéluctables, la capacité de s’y adapter, l’altérité, l’attachement à la tradition, la distance émotionnelle et les expériences de vie qui éloignent et qui séparent, les circonstances qui remettent en question des choix de vie, des investissements personnels et sacrifices réalisés pendant des décennies. Bouleversant.

06/03/2025 (modifier)
Par Cleck
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Comme une pierre
Comme une pierre

Les éditions iLatina m'ont permis de découvrir le grandiose La Grande Arnaque, ce dont je ne les remercierai jamais assez ! Avec "Comme une pierre", l'on découvre un Brésil ancestral, austère, silencieux. Pas exactement celui idéalisé, festif et coloré, chaleureux et exubérant, associé au carnaval de Rio, aux plages, à la samba, au football champagne... Mais pas non plus celui des favelas, jeune, violent, mais tout aussi exubérant et lumineux. L'auteur nous dépeint le quotidien de pauvres fermiers, en proie à une sécheresse infernale. La survie de la famille est en jeu, la folie guette, la foi est interrogée jusqu'à l'impensable. Cette BD est une véritable tragédie, les excès magnifiquement orchestrés : la pauvreté extrême qui fait tourner les têtes, le mutisme des personnages interdisant toute résolution raisonnable, le conservatisme glaçant le lecteur même, la foi désespérée sinon désespérante... ; et puis ce formalisme génial dans la mise en page : les contrastes poussés à l'extrême, le jeu grandiose avec les pleins et les vides, le développement quasiment muet de l'intrigue... On ne sort pas indemne de cette lecture : on s'implique, on vit ce cauchemar et l'on craint l'infernale fatalité. Véritablement magnifique !

05/03/2025 (modifier)
Couverture de la série Zizi chauve-souris
Zizi chauve-souris

Suzie Wendel, dit "Zizi", est une petite fille vivant seule avec sa mère dans un petit village et qui se retrouve un beau jour à adopter une chauve-souris venue se réfugier dans ses cheveux. Des histoires sur le quotidien d'une gamine fantasque avec un animal parlant rigolo lui donnant la réplique, une enfant qui réfléchit sur le monde des adultes et se montre souvent plus censée qu'elleux, des strips humoristiques reposant sur le sarcasme et l'humour con, ... tout ça n'est pas nouveau. Mais tout de même bien réalisé ! Déjà, Zizi se révèle un peu plus complexe qu'une simple "gamine à problème" Elle est sarcastique et calculatrice, mais contre toute attente elle ne se révèle pas être une petite peste en puissance car elle s'avère également être assez gentille dans le fond, souhaitant notamment protéger les animaux vulnérables - sauf les araignées ! - et aimant sincèrement sa mère à qui elle fait pourtant vivre des misères. C'est juste une enfant très chaotique, un peu (trop) grande-gueule et qui vit dans un monde où l'impossible et l'imaginaire enfantin se révèlent bien souvent plus proche de la réalité que la vision des adultes. Qu'est-ce que c'est que cette histoire d'impossible et d'imaginaire enfantin ? Eh bien figurez-vous que les bois à côté de chez Zizi regorgent de créatures toutes plus dangereuses et invraisemblables les unes que les autres (comme les terribles fourmi-zombies !) et qu'elle se transforme chaque nuit de pleine lune en adulte (depuis sa blessure face à un terrible Grand-Garou). J'aurais presque comparée Zizi à Calvin, de Calvin et Hobbes, mais la comparaison est en fait assez imparfaite, car bien que tous deux marquent par leur côté "enfant avec des réflexions très adultes et un grand amour pour les catastrophes et les sarcasmes", les aventures fantastiques de Zizi sont en fait bien réelles. Ici, pas de "doute" comme entre Calvin et Hobbes, les étranges créatures que voient Zizi, sa transformation en adulte chaque pleine lune ou encore sa voisine pratiquant un art martial surpuissant à base de cuillère en bois, ... tout ça est en fait bien réel et plusieurs personnes interagissent avec ces apparitions. Ici l'on n'est pas vraiment dans les fantasmes et les interprétations enfantines d'un-e enfant à l'esprit beaucoup trop adulte, plutôt les aventures quotidienne d'une fillette très chaotique vivant dans un monde où le fantasque s'avère en réalité être très banal. Ce traitement presque normal des évènements fantastiques donnent un vrai cachet à la série L'humour est drôle, en tout cas il m'a beaucoup fait rire. Je n'ai réalisé qu'après ma lecture que l'écriture était de Trondheim, j'aurais pu m'en douter, j'ai un faible pour son humour. Surtout qu'il sait écrire des personnages à la fois simples, loufoques et surtout attachant. C'est vraiment ça que je retire de ces petites histoires : c'était attachants. J'ai beaucoup aimé suivre les déboires et réflexions de Zizi, gamine pouvant paraître bizarre mais se révélant en réalité très maligne. En tout cas aussi maligne qu'un-e adulte. En tout cas pas plus bête. Après tout, elle nous le dit elle-même, "les adultes sont juste des enfants qui font un mètre de plus...".

05/03/2025 (modifier)
Couverture de la série Little Tulip
Little Tulip

Très bel album que ce Little Tulip, avec de superbes dessins de François Boucq sur un excellent scénario de l'américain Jerome Charyn. Le script fait s'entrecroiser deux périodes : 1947, le jeune Paul se voit brutalement déporté avec ses parents au goulag de la Kolyma et se retrouve bien vite orphelin dans les pattes des malfrats qui font régner leur terreur sur le camp. Son don pour le dessin (hérité de son américain et couillon de père, venu en URSS dessiner des décors pour Eisenstein avant de se faire dénoncer pour le goulag), son don pour le dessin va assurer sa promotion au rang de tatoueur des gangs de la Kolyma. Seconde histoire, 1970, Paul a bien vieilli mais continue de dessiner et de tatouer à New-York (la ville fétiche de Charyn), tirant des portraits robots pour la police à la recherche d'un serial-killer déguisé en père noël. Bien entendu les deux périodes, les deux intrigues vont s'entrecroiser et plutôt deux fois qu'une. Le scénario est plutôt bien monté qui enchaîne les événements d'une époque après l'autre comme s'ils se répétaient à 25 ans de distance. Mais il n'y a pas que les péripéties qui s'imbriquent, c'est aussi le cas des dessins puisque les tatouages dessinés sur les corps forment presque une BD dans la BD et là encore, les effets de cadrage et de mise en scène sont plutôt bien vus. Bref, voilà un album sacrément bien foutu, tout en échos et répons, une histoire de deux enfances sans innocence, une histoire dense et violente qui se lit trop rapidement mais que l'on va feuilleter plusieurs fois avant de refermer. Les dessins fouillés de François Boucq rappellent un peu le Jean Giraud de Blueberry et, avec des visages et des corps très expressifs, sont au même niveau d'exigence que le scénario. Les deux compères viennent de sortir un nouvel album, New York cannibals, une suite plutôt réussie.

05/03/2025 (modifier)
Couverture de la série Il faut flinguer Ramirez
Il faut flinguer Ramirez

Nicolas Petrimaux vient du monde du jeu vidéo et cela nous vaut un très beau dessin, nerveux et explosif ainsi qu'une mise en page très soignée (l'auteur parle même de mise en scène). Le premier tome de "Il faut flinguer Ramirez" date de juste avant la pandémie et le second épisode, très attendu, est sorti peu après. Grâce au bouche à oreille, la BD connait un beau succès bien mérité. Un thriller au second degré, façon Tarantino, un look un peu ringard des années 80, avec dans le rôle principal, le fameux moustachu Ramirez, dépanneur d'aspirateurs, extrêmement taciturne ou bien carrément muet, et visiblement tueur à gage à ses moments perdus. À ses trousses on trouve pêle-mêle : des flics obtus, des méchants truands et des jolies pépés. Avec son flegme imperturbable, le silencieux Ramirez traverse une mise en page orangée où sont même insérés (c'est à la mode) de faux articles de journaux et de fausses pubs, tout cela avec un humour ravageur.

05/03/2025 (modifier)
Couverture de la série Corps et Âme
Corps et Âme

Walter Hill ? Que vient faire le producteur et réalisateur US dans cette BD française ? Pour ceux qui, comme nous, ne savaient pas, la collaboration entre Walter Hill et le scénariste Matz ne date pas d'aujourd'hui : Du plomb dans la tête au cinéma, Balles perdues en BD. Matz (aka Alexis Nolent) c'est le scénariste de la série fleuve Le tueur (déjà un de nos coups de cœur). Et pour compléter le trio, ce sera Jef (aka Jean-François Martinez) le dessinateur de Balles perdues et de la série 9/11. Une fine équipe aux commandes de cette BD (un seul volume one-shot, ouf !) : Corps et Âme. Et donc encore une histoire de tueur : [...] C'est ça c'est mon boulot. Assassiner des gens, les dessouder, les refroidir, les buter ou quelle que soit la manière dont voulez le dire ... [...] Et je sais qu'à un moment ou un autre, il faut payer l'addition. Je l'ai toujours su. [...] Cacher une balle sous mon talon ... c'est un vieux truc ... mais je le fais toujours, ça peut servir ... Mais une histoire de tueur pas comme les autres (ni l'histoire, ni surtout le tueur) car Franck, le tueur, le mauvais garçon, va se transformer sous nos yeux et c'est rien de le dire ... donc on n'en dit pas beaucoup plus mais vous devinez peut-être déjà ce qui va lui arriver. Le dessin de Jef est nerveux mais pas trop, les ambiances sont sombres mais pas trop : les planches sont superbes et certaines très sexy. Le texte est au rendez-vous (on connait Matz), le scénario qui combine plusieurs vengeances est riche, sans faille et particulièrement bien monté (la patte ciné de W. Hill peut-être ? qui prévoit d'adapter cela au grand écran l'an prochain) et tout cela donne un très bel objet. Un scénario à la précision chirurgicale et des planches au dessin esthétique (ah, ah). Un bel album très réussi, qui tombe vraiment à pic au moment où les obscurantismes de tous bords s'acharnent à réglementer les genres et les transgenres. À faire connaître d'urgence ! Si certaines planches n'étaient pas si sexy, cette BD aurait pu être au programme scolaire !

05/03/2025 (modifier)