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Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Le Démon
Le Démon

Une leçon graphique, un concentré de Jack Kirby - Ce tome regroupe les 16 épisodes de la série originale, parus d'août 1972 à janvier 1974, écrits et dessinés par Jack Kirby, encrés par Mike Royer. La légendaire cité de Camelot est assaillie et la tour de Merlin est la proie des flammes. Margane le Fey tient sa revanche. Merlin accomplit un dernier acte avant de disparaître : associer Etrigan le démon à Jason Blood un être humain. de nos jours (enfin plus dans les années 1970 au vu des coiffures et des vêtements), Jason Blood est un démonologiste reconnu qui a pignon sur rue et qui est installé à Gotham. Dans le premier épisode, il reçoit la visite de Warly (l'aide de Morgane) dans son appartement. Après une confrontation physique, il reçoit l'aide d'un être de pierre muet. Ensemble ils se rendent dans un endroit qui évoque un village fermier dans une Europe de l'Est de pacotille. Au cours de ces 16 épisodes, le lecteur fait connaissance avec les rares amis de Jason Blood : Harry Matthews, Randu Singh et Glenda Mark. le Demon se bat contre Morgane le Fey (épisodes 1 & 2), contre une secte capable de transformer les homos sapiens en hommes de Neandertal (épisode 3), contre une sorte de sorcière vaudou capable de faire surgir des monstres (épisode 4 & 5, avec l'aide de Merlin), contre un homme-bête victime d'une malédiction (épisode 6), contre Klarion un enfant sorcier pas commode (épisodes 7, 14 et 15), contre une variation du le fantôme de l'opéra (épisodes 8 à 10), contre un dérivé du docteur Frankenstein (épisode 11 à 13) et une dernière fois contre Morgane le Fey (épisode 16). Dans la production de Jack Kirby, cette série présente plusieurs particularités. Tout d'abord elle est entièrement indépendante ; elle ne fait intervenir aucun autre personnage de l'univers partagé DC. Ensuite, Kirby a choisi un personnage principal issu des enfers : le démon Etrigan. Les éditeurs de DC ayant décidé de mettre un terme aux séries regroupées sous le nom de Quatrième Monde, ils demandèrent à Kirby de proposer de nouvelles idées. Pour ce titre, Kirby bénéficie de toute la latitude qu'il souhaite : il est même responsable éditorial de sa propre série. En termes de narration, Jack Kirby réduit ses personnages à leur plus simple expression. Harry Matthews est un monsieur peu cultivé qui ne comprend pas les termes compliqués et qui fume des cigares (vous n'en apprendrez pas plus sur lui au long des 16 épisodes). Glenda Mark est une jolie jeune femme aux nerfs solides, qui ne semble pas travailler et qui en pince pour Jason Blood de manière plus amicale qu'amoureuse. Randu Singh apporte une touche d'exotisme du fait de son origine indienne, et de mystère du fait de ses vagues pouvoirs extra-sensoriels. Même Jason Blood n'affiche pas une personnalité très affirmée. Etrigan provient des enfers, mais il a un sens moral irréprochable et c'est un pourfendeur de monstres en tous genres. La logique des récits est parfois incroyablement gauche, avec Jason Blood qui se transforme en Etrigan juste à 5 pages de la fin pour le combat décisif. le deus ex machina de la pierre philosophale prête également à sourire. Donc l'intérêt de ces histoires se trouve ailleurs : les monstres improbables et incroyables qu'affronte Etrigan et le parfum de légende qui se dégage de chacune des histoires. Kirby a été piocher dans sa carrière de créateur de monstres en pagaille pour engendrer une horreur après l'autre, avec certaines vraiment magnifiques. J'ai beaucoup apprécié le monstre qui donne son pouvoir à la sorcière vaudou, Klarion et son air gothique, la majesté du fantôme des égouts, l'idole antique de la secte, etc. Et ces monstres ne se résument pas à un concept simple, ils disposent chacun de graphismes incroyables. En fait j'ai voulu découvrir ces épisodes pour me replonger dans les graphismes sans concession de Kirby. Si vous voulez découvrir en quoi Jack Kirby était un illustrateur sans égal qui a imprimé une marque indélébile sur l'imagerie des comics, ce tome est fait pour vous. Il est visible qu'il a consacré beaucoup de temps à peaufiner ces histoires, en particulier les deux premiers tiers de la série. À elle seule, la couverture donne une idée de l'incroyable énergie contenue dans chaque dessin. Bien sûr il est facile de trouver ridicule les expressions exagérées des personnages, les émotions exacerbées et les postures théâtrales. Mais dès la première page, la force et la puissance de conviction s'empare du lecteur. Dès la première page (une pleine page), les célèbres points d'énergie (Kirby crackles) encadrent Merlin à sa fenêtre. Incroyable ! le lecteur distingue la chaleur des flammes, leur nature surnaturelle du fait de leur forme et de leur énergie, la solidité des pierres de la façade, ainsi que les décorations qui constituent autant de charmes magiques de protection. Les pages 2 & 3 ne forment qu'une seule illustration (double page) barbare, brutale et magique : une troupe de guerriers en armure donne l'assaut aux remparts, le feu ravage la citadelle, les armures sont toutes différentes, une boule de feu traverse le ciel, l'un des guerriers porte un casque qui évoque un modèle utilisé par les footballeurs américains. C'est ahurissant tout ce qu'il a réussi à mettre dans cette page. Morgane le Fey est impériale, étrangère et barbare, fantastique. La première apparition de Warly en vieillard irascible dont le visage est parcheminé convainc le lecteur de sa laideur intérieure et de sa dangerosité. Chaque monstre est magnifique : l'interprétation démesurée du monstre de Frankenstein est convaincante, Klarion redéfinit à lui seul el terme gothique grâce à a tenue de puritain, la petite créature toute blanche et pelucheuse est aussi mignonne que dégénérée. Jack Kirby s'est surpassé pour la double page de l'épisode 12 où Etrigan découvre toutes les créatures composées dans un laboratoire de sorcellerie. L'encrage du Mike Royer est épais comme il faut, formidable. Cette édition comprend quelques pages crayonnées qui permettent de comprendre le travail de l'encreur et le respect avec lequel il a transcrit les crayonnés. Et les textures ! Quand Kirby représente une construction en pierre, c'est de la pierre de taille massive. Quand il décrit une vue aérienne de Gotham, il arrange les ombres des immeubles pour que cet arrière plan devienne une composition abstraite recelant une intention mystérieuse à la lisière de la compréhension. Les coulisses du théâtre avec leurs panneaux en bois évoquent l'ancienneté des lieux, l'amour du travail manuel des artisans qui ont fabriqué les décors, etc. Non, je ne suis pas en plein délire, je me régale de cette vision d'artiste du monde qui nous entoure. Kirby porte un regard personnel sur la réalité, dont ses illustrations portent la marque. Si vous ne connaissez pas Jack Kirby et vous vous demandez pourquoi les anciens le vénèrent, ce tome recèle des trésors graphiques inouïs. Si vous connaissez déjà le style de Jack Kirby, il apparaît ici dans sa forme la plus mature et la plus pure.

15/04/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Jeremy Brood
Jeremy Brood

Héros malgré lui, jusqu'au bout - Il s'agit d'une histoire complète en 1 tome, indépendante de toute autre. le scénario est de Jan Strnad (attention, l'association des orthophonistes vous déconseille de prononcer son nom à haute voix), les illustrations et les couleurs de Richard Corben. Cette histoire a été publiée pour la première fois en 1982/1983. Quelque part dans le vide de l'espace, à bord d'un petit vaisseau isolé, Charlene et Jeremy Brood essaye d'avoir un rapport sexuel en attendant que leur soit confiée une mission. Leur tentative est interrompue par un message codé requérant leur aide sur Eden, une planète éloignée, mais la fin du message qui explique la situation et la solution est indéchiffrable. Charlene et Jeremy se rendent compte que leur voyage durera 2 mois, mais que sur la planète 200 ans se seront écoulés. Sur place, Finchley, un étrange meneur religieux, rend visite à Brynne (une jeune vierge en âge de procréer détenue dans une tour). Cette dernière lui dit avoir vu arriver une étoile filante, en plein jour. Finchley comprend que le sauveur annoncé par la prophétie vient d'arriver. Il est urgent de prendre contact avec lui. Strnad et Corben invite le lecteur à suivre le parcours de Jeremy Brood sur cette planète étrange. le scénario expose à grands traits la situation : le peuple habitant la cité où se trouve Finchley est oppressé par un mystérieux Holobar qui n'apparaît qu'une seule fois dans le récit. Brood est décrit comme un militaire compétent avec un entraînement qui lui confère une grande science du combat à main nue, et armé. Il a pour équipière une femme noire magnifique à la forte personnalité, et tout aussi compétente que lui. Brood plonge au cœur du mystère que représente cet appel de détresse auquel il manque la fin. Mais bien vite il est dépassé par les événements et il se retrouve au milieu d'une mise en scène qui le prend de court. Au-delà de ses capacités physiques et tactiques, Strnad le décrit comme un individu normal n'ayant pas la science infuse et se sentant moyennement concerné par le sort des indigènes. Dans une interview, Strnad a expliqué que la série n'avait pas rencontré le succès escompté et que c'est la raison pour laquelle la fin est aussi abrupte. À la lecture, la fin ressemble à une chute qui prend les attentes du lecteur à contrepied, de manière magnifique. Non seulement elle s'accorde parfaitement avec le personnage faillible de Jeremy Brood, mais en plus elle met en perspective le récit comme une histoire choisissant le chemin le moins emprunté. Strnad répond à une question aussi basique que rarement abordée, propre à tous les récits mettant en scène un héros valeureux et courageux, avec une chute aussi évidente qu'ironique. En quelques cases et quelques répliques, Strnad sait doter chaque personnage de particularités psychologiques crédibles. Jeremy Brood n'est pas un simple militaire capable de terrasser tout le monde en combat singulier et d'inventer des stratégies brillantes. Il apparaît également qu'il a des doutes sur ses capacités, et sur la nature de la mission qu'il doit effectuer. Dès la première scène, Charlene dispose d'une forte personnalité, éloignée de tout stéréotype, et cohérente avec sa fonction militaire. Strnad dresse un portrait aux petits oignons de Finchley, en sage retors, pas dupe, et agissant selon un plan d'actions mûrement réfléchi. le lecteur familier de Corben sent poindre toute la rouerie attribuée aux vieux dans ses histoires (en moins pervers que d'habitude). Ce récit est également unique du fait des illustrations de Richard Corben. Il s'agit donc d'un récit où il assure lui-même la mise en couleurs principalement à l'aérographe, mais également avec tout ce qui lui semble pertinent. Cette technique sophistiquée (à une époque où l'infographie n'existait pas) lui permet de donner un relief unique à chaque forme, et de le contraster avec les surfaces colorées par un ton plein. S'il peut être difficile pour de jeunes lecteurs de se rendre compte de la prouesse technique pour l'époque, la maîtrise des couleurs reste évidente après toutes ces années et elle n'a rien à envier aux meilleurs metteurs en couleurs actuels. Les tons sont aussi riches, intenses et chauds. de plus Corben a l'art et la manière de gérer sa palette pour créer des ambiances de couleurs spécifiques à chaque scène, sans s'éparpiller dans une démonstration stérile. Lors de la deuxième scène, le lecteur découvre une zone boisée sur la planète Eden, avec une flore délicieusement extraterrestre, dans des tons vert-bleu succulents. le lecteur peut aussi apprécier l'aspect visuel du monstre qui se délecte d'une sorte de rongeur. Cette scène oppose 2 esclaves à leur maître et le sang coule. Là encore la maîtrise de Corben éclate : il évite les litres d'hémoglobine pour avoir un écoulement de sang normal dont le rouge tranche avec encore plus d'intensité sur le reste des couleurs. Richard Corben utilise un style qui marie des éléments photoréalistes, avec d'autres plus esquissés, afin de donner encore plus de substance aux premiers. Les 3 premières cases représentent le petit vaisseau spatial vu depuis l'espace. Corben a conçu une forme biscornue qui a tout son sens dans la mesure où le frottement est négligeable dans le vide spatial. Il utilise un rendu très travaillé pour les jeux de lumière sur le métal. le lecteur pénètre ensuite dans l'habitacle et contemple Charlene et Jeremy dans le plus simple appareil (nudité frontale au dessus de la ceinture) et leur corps d'athlètes musculeux. Par contraste, le panneau de contrôle de la radio est rendu de manière plus grossière, intensifiant ainsi la présence des 2 humains. Il faut dire que les illustrations de Corben traduise une fascination pour la plasticité de la chair et pour le corps humain (ou extraterrestre de forme humanoïde). Avec ce mode représentation, les personnages s'incarnent avec intensité dans chaque case. Une autre scène très intense correspond au sacrifice de la vierge qui a dénudé son corps pour la cérémonie (nudité frontale totale). Corben joue avec le voyeurisme du lecteur dans une mise en scène époustouflante mêlant la tension générée par le sacrifice, la position moralement inconfortable de Brood et les bizarreries de la cérémonie. Corben marie horreur, érotisme et humour de façon magistrale. À rajouter à son crédit, il y a encore sa capacité à créer des apparences visuelles chargée d'ironie pour les monstres. Une fois le vaisseau posé sur Eden, Jeremy Brood effectue une sortie et se retrouve face à 2 créatures mutantes agressives qui se battent pour essayer de récupérer une sorte de ver fouisseur. Il leur donne une apparence dégingandée de dégénérés pourvus de 2 neurones, aux instincts les plus bas. À la fois leur apparence et leur langage corporel sont un délice d'ironie et de moquerie, tout en leur conférant un comportement hautement dangereux. L'histoire de Jeremy Brood n'a rien de banal. Elle suit le parcours atypique d'un héros malgré lui. Elle mélange harmonieusement science-fiction, horreur et quelques scènes érotiques, avec un grand sens de la dérision et du second degré. Elle bénéficie des illustrations sophistiquées de Richard Corben, à l'esthétisme exubérant et second degré.

15/04/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Sláine - L'Aventurier
Sláine - L'Aventurier

4 récits courts qui réunissent Sláine et Ukko, pour débiter des monstres pas beaux - Ce tome regroupe 4 histoires courtes, écrites par Pat Mills, et illustrées à l'infographie par Clint Langley. le nom de John Hicklenton apparaît sur la couverture essentiellement à titre d'hommage posthume, et pour une ou deux esquisses figurant entre les histoires. Pour information, ces histoires se déroulent après les 3 tomes de Geste des invasions, mais elles peuvent se lire sans rien connaître de Sláine. Le sonneur de gong (Progs 1635 à 1638) - À nouveau seul et démis de sa couronne, Sláine reprend sa vie de nomade à travers le territoire d'Albion, avec sa grande hache à l'épaule. Il arrive devant une tour désaffectée ayant été habitée par des Cyth, une race de monstres néfastes pour les humains. Une puanteur pestilentielle se dégage des pourtours de l'édifice. Un gardien se tient à l'entrée, il est en train de se prendre le bec avec une ancienne compagne. Il réclame de l'argent à Sláine sur un ton péremptoire. Une fois cette affaire vite réglée, il a la surprise de retrouver Ukko, un nain difforme qui l'a accompagné dans plusieurs aventures, à l'intérieur de la tour. Le contrebandier (Progs 1662 à 1665) - Sláine arrive à proximité de la cite de Bethlusion où il a maille à partir avec des soldats chargés de traquer les voleurs d'ambre. Une fois à l'intérieur de la cité, il retrouve Ukko dans une fâcheuse posture qui lui indique que le maître de céans détient Sorcha, une femme ressemblant à Niamh (l'épouse défunte de Sláine). En passant, Ukko précise qu'il a un plan infaillible pour ressortir avec une quantité appréciable d'ambre, en douce. L'exorciste (Progs 1709 à 1712) - Ukko a pris la succession d'un exorciste et il s'est adjoint les services de Sláine pour calmer les démons qu'il extirpe de leurs victimes. Une jeune femme bien possédée arrive pour une consultation. Le mercenaire (Progs 1713, 1714 et 2011) - le temps d'une bataille décisive entre des humains inféodés aux Folmorians et des humains libres est venu. Mais avant l'affrontement, le camp des humains libre organise une partie de murderball pour se mettre en condition. Un arbitre donne le coup d'envoi, une tête tranchée sert de balle et le but est d'amener cette balle dans le camp adverse. Tous les coups sont permis, l'usage des armes aussi. Ces 4 histoires courtes sont l'occasion pour Pat Mills de se défouler un peu entre 2 histoires au long cours. Il réintègre le personnage d'Ukko, un faire-valoir comique que Sláine maltraite régulièrement. Il propose des récits très linéaires dans lesquels tout se règle par la force du plus, et le plus fort, c'est Sláine. Malgré tout, il n'est pas possible de réduire ces 4 nouvelles à l'état de simple farce. Pour commencer, Mills introduit les pérégrinations de Sláine en évoquant un dicton druidique selon lequel il y a 4 âges dans la vie d'un homme. Pour commencer il y a l'enfance, puis se faire sa place dans le monde (apprentissage), puis fonder et subvenir à une famille. le quatrième âge survient lorsque la famille est indépendante, il est alors temps de retourner vadrouiller de par le monde. Ensuite, si chaque récit débouche sur un carnage en bonne et due forme, il n'en reste pas moins que Mills se fend d'une intrigue basique mais solide. Enfin le retour d'Ukko s'accompagne d'un changement de ton qui devient moins sombre grâce à plus d'humour noir et cynique. En effet, il ne faut pas s'attendre à découvrir de gentils contes pour enfants. Il s'agit de Sláine et il est bien clair que la relation entre lui et Ukko se nourrit de haine, de cruauté, avant toute forme d'entraide. Et bien évidemment, Sláine se bat contre des monstres ignobles, n'ayant pour seul objectif que de trucider de l'humain, de la manière la plus douloureuse qui soit. Et pour ce dernier point, Clint Langley est l'illustrateur de la situation. Il utilise l'infographie pour incorporer des éléments photographiques, essentiellement pour les visages et pour les textures des décors et des vêtements. La première fois que l'on découvre ses illustrations, on est pris d'une sensation d'écœurement visuel du fait de la forte densité d'informations contenues dans chaque case. Dès la première case (une pleine page), le lecteur peut contempler à loisir un ciel nuageux et gris très réaliste (presqu'une photographie), une tour de plusieurs étages très ouvragée où il est possible de distinguer les moindres détails (mis à part un ou deux lambeaux de brume). Et cette tour est rendue de manière réaliste, à nouveau de façon quasi photographique, avec son reflet dans une étendue d'eau devant. Et en premier plan sur la gauche se tient Sláine avec sa hache démesurée. Il faut donc un peu de temps pour que le lecteur ajuste son mode de lecture à la richesse des illustrations. Il fait bon s'arrêter de temps à autre pour jouir d'un casque finement ciselé, de l'apparence contre nature d'un monstre, de la texture d'une pierre, de l'incroyable travail d'orfèvre effectué sur les armes blanches, de la précision maniaque des giclées de sang. Enfin pour ce dernier point, Langley s'en sert d'abord comme élément humoristique visuel (le pauvre Ukko avec ce sang vert sur la figure pendant tout l'exorcisme). À condition de supporter ce mode de représentation très intense à l'apparence photographique, le lecteur bénéficie d'une immersion unique en son genre dans ce monde barbare et haut en couleurs. Pat Mills et Clint Langley racontent 4 histoires courtes dans la vie de Sláine. C'est l'occasion de maltraiter Ukko, de massacrer des monstres et de revenir sur des pratiques barbares d'un autre âge, dans une débauche graphique d'une richesse étourdissante.

15/04/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série DareDevil - Guerre et amour
DareDevil - Guerre et amour

Thriller intense, magnifié par les illustrations - Il s'agit d'une histoire complète en 63 pages publiée sous forme d'une graphic novel en 1986. le scénario est de Frank Miller et les illustrations peintes par Bill Sienkiewicz. Vanessa Fisk (la femme de Wilson Fisk, le Kingpin) est dans une léthargie dont elle ne sort qu'à de brefs intervalles. Or le Kingpin est toujours amoureux d'elle. Il a donc décidé de prendre les choses en main et de lui trouver le meilleur docteur en psychiatrie qui soit. Mais engager Paul Mondat ne lui suffit pas, il veut être sûr d'obtenir son entière implication pour soigner sa femme. Donc plutôt que de simplement lui demander de soigner Vanessa, il fait enlever Cheryl Mondat, sa femme qui est aveugle) par un individu prénommé Victor qui se révèle être un dangereux psychopathe pas bien du tout dans sa tête. de son coté Daredevil a le sentiment que le Kingpin est sur un gros coup ; donc il se rend Chez Josie, un bar mal fréquenté, pour faire pression sur Turk Barrett, indicateur pas très futé. 3 ans après avoir quitté la série de Daredevil, Frank Miller revient au personnage pour une histoire complète illustrée par un artiste exceptionnel. Ils collaboreront à nouveau pour Elektra, l'intégrale. Dès les premières pages, le lecteur assiste à un spectacle extraordinaire, hors du commun. La première est une illustration pleine page figurant l'horizon des immeubles newyorkais, avec le building du Kingpin dépassant de plusieurs étages cet horizon et captant toute la lumière du soleil. Les bâtiments en dessous sont essentiellement représentés par des rectangles striés de traits de pinceau horizontaux et verticaux pour évoquer les divisions en étages et en fenêtres. La deuxième page comporte 4 cases de la largeur de la page où le lecteur découvre le visage apaisé d'une jeune femme au milieu de draps d'un blanc étincelant dans un lit immense. La seconde case est mangée au deux tiers par une sorte de tissu imprimé dont la troisième case montre qu'il s'agit des motifs sur le gilet du Kingpin. Il est représenté comme une masse imposante (5 fois celle de sa femme), avec un torse disproportionnée et une toute petite tête ronde perdue au milieu. Tout au long de l'histoire, Sienkiewicz va adapter son style graphique à la scène qu'il représente. Le lecteur passera ainsi d'un style de peinture évoquant le stylisme de magazine féminin (la première fois que l'on voit le visage quasi angélique de Cheryl Mondat, pas Monday), à des représentations symboliques tels les tuyaux pour figurer les canalisations des égouts, ou des bruits directement représentés à la peinture dans la case (le vacarme assourdissant de la rame de métro), en passant par une aquarelle pleine page dans laquelle un chevalier s'en va vers le soleil couchant, en chevauchant sa monture dans un ciel embrasé. La mise en images de cette histoire constitue une incroyable aventure graphique qui transfigure un récit bien tordu d'enlèvement d'une jeune femme sans défense, réduite à l'état de pion dans un jeu de pouvoir pervers. Sienkiewicz fait fi de tous les codes graphiques propres aux superhéros, pour interpréter chaque scène, en donner une vision amalgamant des éléments figuratifs, avec des formes symboliques traduisant l'état psychologique des individus où la manière dont ils sont perçus par ceux qui les entourent. Cet emploi de différents styles graphiques peut constituer soit une débauche de moyens démesurés par rapport au récit, soit une révélation de la manière dont un artiste doué peut donner à voir des sensations, et des paysages intérieurs des individus. De son coté, Frank Miller a amélioré ses techniques de narration par rapport aux épisodes de Daredevil, et le fait de livrer une histoire complète lui évite de s'éparpiller. le lecteur de ses épisodes de Daredevil retrouve avec plaisir le Kingpin, ainsi que Turk Barrett et le bar Chez Josie. Mais arrivé à la moitié du récit, il se rend compte que Daredevil n'est que l'un des 2 personnages principaux, l'autre étant Victor, ce tueur psychopathe. En effet il apparaît dans 26 pages sur 63. Et Miller a développé pour lui une écriture en flux de pensée qui rend compte de l'état de perturbation de ses processus mentaux. Il n'y a pas de bulles de pensées à proprement parler, mais des brèves cellules de texte accolées au personnage dans lesquelles ses pensées sont retranscrites comme un flux (Mondat, not Monday), avec des phrases inachevées, qui passent d'un sujet à un autre. Cette technique est d'une efficacité incroyable pour rendre compte des pulsions antagonistes qui se bousculent dans ce cerveau dérangé. Bien sûr la mise en image non conventionnelle de Sienkiewicz permet d'encore accentuer l'effet déstabilisant et finit par rendre angoissante une petite culotte à fleurs dans un placard. Victor est la grande réussite de cette histoire avec un accès à ses pensées établissant son caractère dangereux et incontrôlable comme dans peu de récits. La contrepartie de la place accordée à Victor est que Daredevil parait presque invité dans cette histoire, plutôt que de remplir la fonction de (super)héros conventionnel. Ce décalage est encore accentué par le fait qu'il ne participe que peu à la résolution du conflit principal. Par contre la nature finie du récit permet également à Miller de développer une thématique selon plusieurs points de vue, aboutissant à un fil conducteur des plus sardoniques (celle du chevalier et de la princesse à sauver). La collaboration entre Miller et Sienkiewicz atteindra un stade encore supérieur dans "Elektra assassin". Ce récit constitue la première collaboration entre 2 créateurs d'exception dont les forces s'additionnent pour aboutir à un récit bien noir, magnifié par des illustrations à base de styles différents pour mieux traduire la vision de la réalité de chaque personnage. Un tour de force graphique.

15/04/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Elektra (Delcourt)
Elektra (Delcourt)

Lait, batteur à œuf et mayonnaise - Ce tome regroupe les 8 épisodes de la minisérie initialement parue en 1986/1987. Quelque part dans un asile de San Conception, un pays d'Amérique du Sud, une jeune femme subit l'incarcération primitive réservée aux malades mentaux tout en examinant ses bulles de souvenirs. Elle se souvient quand elle était le ventre de sa mère, de la mort de sa mère, de sa tentative de suicide, de ses années de formation d'arts martiaux avec un sensei, puis avec des ninjas mythiques (Star, Shaft, Flame, Claw, Wing, Stone et Stick), etc. Petit à petit elle se rappelle l'enchaînement des événements qui l'a conduite à cette situation. Elle doit maintenant s'évader et empêcher la Bête de déclencher une apocalypse nucléaire. Elle doit également échapper aux équipes du SHIELD (une organisation étatsunienne de contre-espionnage aux gadgets haute technologie). Pour ça elle va manipuler sans vergogne John Garrett, un agent très spécial, même parmi ceux du SHIELD. L'introduction apprend au lecteur que ce projet était un souhait de Frank Miller qui a eu la latitude d'être publié par Epic Comics (la branche adulte de Marvel à l'époque) et que dès le départ il avait souhaité que l'histoire soit illustrée par Bill Sienkiewicz. Pour les puristes, le récit se situe avant qu'Elektra ne réapparaisse aux cotés de Matt Murdock dans la série Daredevil. En cours de lecture, il apparaît que le rôle à venir d'Elektra dans l'univers partagé Marvel n'a aucune espèce d'importance et "Elektra : assassin" peut lu, doit être lu indépendamment de la continuité. Frank Miller n'y va pas avec le dos de la cuillère (c'est d'ailleurs un peu son habitude) : Elektra est une ninja qui maîtrise plusieurs techniques surnaturelles dérivées de sa formation avec les 7 maîtres ninjas. Elle est capable de télépathie rudimentaire, de manipulation mentale complexe, de prouesses physiques dépassant les possibilités naturelles du corps humain. Cet aspect superhéros peut devenir un trop exagéré dans certaines scènes (2 combats d'affilé sous l'eau, sans respirer). Miller s'en sert également à plusieurs reprises comme d'un deus ex machina permettant de trouver une porte de sortie artificielle d'une situation désespérée. le récit n'est donc pas à prendre au premier degré, et s'il possède sa logique interne, Miller tourne en dérision plusieurs péripéties. Comme à son habitude, il charge également la barque sur la représentation des politiques : tous pourris, menteurs, névrosés, hypocrites, à moitié fou (le président en exercice remportant la palme haut la main). Malgré tout, au premier degré, l'aventure tient la route et entretient un suspense soutenu, dans un pastiche mêlant ninja, complot et contre-espionnage, avec une franche violence. Ce ton narratif décalé et ironique doit beaucoup aux illustrations de Bill Sienkiewicz, avec qui Miller avait déjà collaboré pour une Graphic Novel de Daredevil Guerre et amour en 1986. Sienkiewicz prend grand plaisir à interpréter à sa sauce chaque scène, chaque case, avec le style graphique qu'il juge le plus approprié au propos. La première page commence avec une illustration pleine page à la peinture d'une plage paradisiaque avec la mer, le ciel et des cocotiers dont le feuillage est d'un vert saturé. Page suivante, Elektra évoque ses souvenirs et le rendu devient un dessin d'enfant aux crayons de couleur. 3 pages plus loin 3 illustrations mélangent peinture et collage. 1 page plus loin, Sienkiewicz a recours à des formes simples au contour presque abstrait avec des couleurs plates et uniformes. La page d'après il semble avoir découpé des forme dans une feuille de papier blanc, qu'il a collé sur une feuille orange dans une variation de tangram. Quelques pages plus loin, une pleine page à l'aquarelle représente les femmes internées dans des conditions concentrationnaires. Contrairement à ce que le lecteur pourrait craindre, le résultat ne ressemble pas à un patchwork indigeste, ou à un collage psychédélique pénible. le saut d'une technique à l'autre est plus intense dans le premier épisode que dans les suivants parce que l'histoire est racontée du point de vue d'Elektra dont le fonctionnement intellectuel est perturbé par la rémanence d'un puissant psychotrope dans son sang. Il faut dire également que Frank Miller accompagne parfaitement chaque changement de style en établissant un fil conducteur d'une solidité à toute épreuve. Avec cette histoire, il a parfait ses techniques de narration. Il écrit les flux de pensées des personnages en courtes phrases parfois interrompues quand une idée en supplante une autre, parfois avec des associations de mots sans former de phrase. Ces pensées sont écrites dans de petites cellules dont la couleur du fond change avec le personnage. John Garrett dispose de cellules de pensée, à fond bleu, Elektra à fond blanc, Sandy à fond rose, etc. Frank Miller adopte également un style rédactionnel différent pour chaque personnage, le pompon revenant à Sandy avec ses cellules à fonds rose et ses phrases à la guimauve fleurant bon les romans de gare à l'eau de rose. Ainsi Miller assure la continuité narrative et justifie chaque changement de style. Mary Jo Duffy indique dans l'introduction américaine que Miller rectifiait ses textes (et même son scénario) après avoir vu chaque planche pour s'adapter à la démesure graphique de Sienkiewicz. Sienkiewicz ne se contente pas de changer de style pictural régulièrement, il interprète également la réalité. le scénario de Miller ne fait pas dans la dentelle, il incorpore un niveau de violence très élevé avec des éléments surnaturels, Sienkiewicz relève le défi. Dans le deuxième épisode, Elektra se souvient des 6 instructions fondamentales de son sensei. Il est représenté uniquement sous la forme des yeux et des sourcils qui dépassent sous un calot blanc et un foulard qui lui mange le bas du visage. Ses consignes sont directement lettrées sur le calot et sur le foulard. Épisode 3, Garrett est attaché à une machine technologique futuriste dont la forme est fortement inspirée par celle d'une machine à coudre du début du vingtième siècle. Dernière page de l'épisode 5, Elektra et Garrett sont sur un engin volant dérobé au SHIELD qui évoque fortement une locomotive à vapeur. Ce qui achève de rendre cette lecture agréable est l'humour ironique, sarcastique, moqueur, vachard, tant dans les textes que dans les images. Il faut voir Elektra et Garrett assis sur un lit en forme de cœur et fourbir leurs armes amoureusement, Chastity (une agente du SHIELD) déguisée en nonne, Perry (l'ex coéquipier de Garrett), parler le plus naturellement du monde alors qu'il a un couteau fiché en plein du front, le caleçon logotisé SHIELD de Garrett, la forme des aides laborantins clonés, etc. Avec cette histoire, Frank Miller a écrit un gros défouloir sadique à l'humour corrosif dont il a le secret. Sous les pinceaux de Sienkiewicz, ce récit potache est sublimé en un tour de force picturale hors norme. En écrivant les textes après avoir vu les pages dessinées, Miller eut la présence d'esprit et le talent de les revoir pour s'adapter à ce foisonnement d'idées, en renforçant le fil conducteur, et en recourant à des techniques narratives plus élaborées. le tout est un produit de divertissement cynique, drôle et méchant, assez trash.

15/04/2024 (modifier)
Par Gaston
Note: 4/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Et à la fin, ils meurent
Et à la fin, ils meurent

Un excellent documentaire sur les contes. J'aime lire les contes et aussi les mythes et les légendes alors c'est vraiment le genre de BD qui est fait pour moi ! J'ai dévoré l'album du début jusqu'à la fin. La présentation de Lubie est parfaite avec un dessin mignon qui va bien pour les contes et aussi un bon mélange de sérieux et d'humour. L'autrice traite de plusieurs aspects des contes: leurs origines, l'influences de plusieurs auteurs sur ce genre ainsi que de celle Disney, les stéréotypes qui découlent des contes, etc et etc. C'est très bien documenté et j'ai bien aimé qu'à la fin de chaque thématique abordé, l'autrice présentait un conte pour illustré son propos. J'aime aussi comment elle parle des cotés problématiques des contes sans tombés dans la dénonciation facile comment on voit sur les réseaux sociaux. Elle semble d'ailleurs ne pas trop apprécier la tendance actuel de certains adultes à vouloir que tout soit rational et voient le mal partout lorsqu'il s'agit de fiction destiné aux enfants. Le seul défaut selon moi du livre est qu'il y a des compléments d'informations sur certains sujets abordés par l'autrice sauf qu'au lieu de mettre ça comme bonus de fin comme dans n'importe quelle BD-documentaire, il faut télécharger un appli pour pouvoir les lires ! C'est quoi ce bordel ? Avant lorsque tu achetais/empruntais une BD, on l'avait au complet et maintenant pour avoir tout il faut avoir internet ?! Ça va être quoi après, on acheter un livre sans pages et il va falloir télécharger un appli pour lire toute la BD ?

15/04/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Raptor
Raptor

Voir n'est pas croire. - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. La première parution date de 2021, sans prépublication. Elle a été réalisée par Dave McKean pour le scénario et les illustrations, le lettrage, tout. Si vous avez marché seul dans les bois, ou sur un chemin des douaniers, ou dans un sentier en bordure de la mer et de la terre, ou si vous avez écouté avec attention le souffle du monde, ce livre est pour vous. Je suis revenu à moi, voilà une expression qui interroge. Un rapace plane haut dans le ciel, le long d'une falaise, au-dessus de l'océan. Il effectue un piqué sur un petit oiseau, le lacère de ses griffes et coupe sa moelle épinière d'un coup de bec. le narrateur éprouve l'impression de pouvoir sentir le sang, métallique, chaud, avec une petite montée d'acide dans sa gorge, à la fois de la faim et de la répulsion. Puis il sent qu'il revient à lui. Et il descend. Un homme emmitouflé, avec un capuchon et un masque sur le visage, une écharpe masquant le bas de son visage : Sokól. Il descend un escalier taillé à même la roche de la falaise, vers la grève. Il voit les veines de roches dans le flanc, trois bondrées apivores dans volant haut dans le ciel. Il atteint la plage, et se fait la remarque que c'est un lieu de transition, parfaitement adapté à son rendez-vous. Il avance entre les poteaux de bois rongés par la marée, étendant son bras gauche en avant : le rapace vient se poser sur son gant de fauconnier. Il regarde ses deux yeux totalement blancs, puis le rapace va se percher sur le sommet d'un des poteaux. Sokól continue d'avancer se rendant au poteau suivant, comme un mot sans contexte sur une page vierge. Il y a un bruit non identifiable. Sokól attend car il est sûr d'avoir correctement interprété les signes. Mais il n'y a rien, juste des mots, comme de petites floraisons bactériennes sur un papier de Petri. Il n'y a rien de tangible, alors que dans le brouillard devant lui la silhouette d'un monstre d'une vingtaine de mètres de haut semble se dessiner. le reste de l'après-midi se déroule dans le calme. le rapace s'envole de son perchoir et se dirige vers la silhouette fantomatique du monstre. Il effectue un passage devant lui et le griffe, faisant gicler un peu de sang. le silence continue de régner. Des hommes approchent de Sokól sur la plage. le monstre s'agit en tous sens, alors que les serres du rapace lacèrent à nouveau sa carapace. Il semble cracher une pièce au loin. Puis s'effondrer. Sokól se baisse et ramasse la médaille, usée par le temps. le rapace vient se poser sur le gant de fauconnier. Les hommes se sont rapprochés de Sokól : celui en tête lui demande s'il veut bien être leur maire. Sokól lui jette la médaille en la qualifiant de pourboire. Dans un village du pays de Galle, dans le cimetière à l'arrière de l'église, une cérémonie d'enterrement prend fin, à laquelle assiste une douzaine de personnes. Arthur est assis à sa table de travail en train d'écrire un roman. Il relève la tête et regarde le portrait de son épouse défunte. Ed, son ami, entre dans la maison. C'est un événement : Dave McKean a réalisé une nouvelle bande dessinée, la précédente étant Black Dog: The Dreams of Paul Nash (2016). Ce créateur a durablement marqué le monde des comics de la bande dessinée, avec Arkham Asylum (scénario de Grant Morrison), puis ses collaborations avec Neil Gaiman, et sa bande dessinée Cages (1998) sur l'acte de création artistique. le lecteur sait qu'il va plonger dans un monde à nul autre pareil sur le plan graphique, et certainement dans une histoire racontée de manière très personnelle. Il commence par s'immerger dans ce monde mangé par le brouillard, aux côtés de ce personnage tellement emmitouflé qu'il est impossible de voir une zone de peau. Il regarde le rapace voler, le monstre à la consistance douteuse, à la forme indiscernable dans le brouillard, cette plage sans autre élément visible que les poteaux de bois rongés par la mer et l'air. Il lit les dessins qui racontent l'histoire. Il se demande si le flux de pensée qui les accompagne est bien celui du personnage représenté, ou celui d'un autre qui sera montré plus tard. Il s'imprègne du vocabulaire recherché qui est utilisé pour décrire les lieux. Il ressent que les dessins oscillent entre descriptif et impressionniste. Il ne perçoit pas d'intrigue à proprement parler, mais l'expérience esthétique est agréable et divertissante. Rapidement, le lecteur comprend qu'il suit deux fils narratifs distincts. Celui de Sokól à une époque médiévale dans une région côtière d'un pays qui peut être la grande Bretagne, mais ça n'est pas précisé. Celui d'Arthur, récemment veuf, écrivain, vivant dans une petite ville du pays de Galle, et recevant régulièrement son ami Ed. Ces deux fils narratifs sont racontés de manière linéaire et traditionnelle. Ils se côtoient, et s'intriquent de temps à autre, à un degré plus ou moins élevé. Ça va d'une sensation similaire dans l'un et l'autre, à une forme de rencontre des deux personnages principaux. D'un côté, Sokól est un voyageur qui séjourne plus longtemps que d'habitude dans un village et ses abords. de l'autre côté, Arthur essaye de se remettre à écrire, espérant ainsi faciliter son travail de deuil pour son épouse. le lecteur suit Sokól se baladant dans les bois au gré son inspiration, jusqu'à l'incendie d'une ville. Il voit Arthur essayer d'écrire, papoter avec son ami Ed jusqu'à une surprenante séance de spiritisme, impliquant une douzaine de personnes. L'histoire est donc celle de ces deux hommes, le premier semblant prendre la vie comme elle vient et vendant ses services guère précisés, à des villageois, le second subissant son deuil, affecté d'un vague à l'âme. Il règne une forte composante introspective, sans qu'elle ne devienne psychanalytique, plutôt nourrie par des états d'esprit. S'il ne connaît pas déjà d'autres œuvres de cet artiste, un simple coup d’œil à la couverture indique au lecteur qu'il possède une forte personnalité graphique. La première page s'apparente à une image à l'aquarelle (la paroi de la falaise), illustrant un texte qui est une citation du premier chant des Enfers de la Divine Comédie de Dante Alighieri (1265-1321). Les deux pages suivantes ressemblent également à de l'aquarelle, avec des cases à fond jaune Flave, sans bordure, avec une représentation impressionniste beaucoup plus évocatrice que descriptive, et deux cases pouvant relever de l'abstraction car incompréhensibles sur le plan figuratif et narratif si on les détache des cases adjacentes. Au fil des pages, le lecteur relève plusieurs particularités graphiques qui transcrivent la personnalité de l'artiste, et qui confèrent un caractère totalement unique à cette bande dessinée. Régulièrement, mais pas systématiquement, McKean gauchit ses perspectives pour leur donner un caractère étrange, mais aussi pour indiquer l'état d'esprit du personnage qui contemple ou qui habite cet environnement. Il joue également sur les proportions des visages, les allongeant, les penchant, exagérant la dimension d'un front, ou des joues, ou des yeux. Ces écarts avec les proportions anatomiques rendent les visages plus expressifs, mais aussi plus vivants, comme si l'artiste avait saisi un soupçon de la trace d'un mouvement de tête, de bouche ou des yeux. le lecteur se rend compte que le mode de dessin ou de peinture varie en fonction des séquences : formes détourées avec un trait de contour encré, aquarelle diaphane, peintre à l'huile ou à la gouache pour des séquences oniriques muettes, motif complexe intégré en arrière-plan. le lecteur ne retrouve pas de manière flagrante des photomontages comme pour les couvertures de Sandman, mais l'artiste a expliqué qu'il avait dessiné chaque planche de manière traditionnelle ou en tout cas sur un support physique, avant de les traiter l'infographie, soit simplement pour les nettoyer et les rendre propres à l'impression, soit en les complétant, modifiant, triturant avec des effets spéciaux. Il ne s'agit pas pour l'artiste d'étaler sa maîtrise de telle ou telle technique picturale, mais d'exprimer ce qu'il souhaite avec les outils appropriés. le lecteur peut d'ailleurs n'y prêter aucune attention car il est plus absorbé par ce que racontent les pages, que par la manière dont elles ont été réalisées, cet aspect n'étant pas démonstratif. En fonction de sa sensibilité, certaines images ou certains propos attirent plus fortement son attention, ou génèrent une émotion ou un écho plus parlant. Il peut ressentir plus d'empathie pour la mélancolie d'Arthur que pour les pensées teintées d'ésotérisme de Sokól. Il peut se sentir emporté par le vol du rapace, ou plutôt par l'utilisation d'un registre de vocabulaire sortant de l'ordinaire (bondrée apivore, bécasse, huard, mouette tridactyle, bécasse arctique, le papillon sphinx, bractée, crécelle, tégument…). Ainsi, l'auteur emmène le lecteur sur cette grève, dans les bois pour une balade avec une personne en parlant avec le vocabulaire spécifique approprié. de la même manière qu'il ferait connaissance avec une personne, cherchant les points en commun, les thèmes familiers pour établir un premier contact, les prémices d'une nouvelle relation, il se sent plus intéressé par telle ou telle remarque ou tel thème : la responsabilité du pouvoir, la relation entre le réel et l'imaginaire, la révélation que peut amener l'usage des cartes du tarot, les métaphores (le miroir est la porte, le livre est la clé), Sokól qui se sent piégé entre deux états (celui du chasseur, et celui de la proie). Il perçoit également l'amour de la nature qui se dégage de plusieurs passages, l'écart en vie civilisée et vie sauvage, les interactions à double sens entre rêveur et rêve, la vie de l'esprit qui donne un sens personnel aux événements. Il peut aussi être rétif à certains passages, par exemple la cérémonie ritualisée d'une séance de tarot divinatoire. Dans le même temps, il se dit que l'auteur l'invite à plusieurs reprises à prendre chaque passage comme une image, comme une interprétation de la réalité, une représentation sciemment biaisée pour en faire ressortir une facette sous un éclairage choisi et orienté. Il perçoit plus ou moins consciemment que le thème de l'entre-deux, de la transition est présent dans chaque séquence, la mise en scène d'un déséquilibre entre deux états opposés, réalité ou fantaisie, humain ou oiseau, artiste ou public, réalité matérielle et vie spirituelle, etc. Avec ce point de vue en tête, il se surprend à sourire quand un personnage dit que Voir n'est pas croire, comme si l'auteur encourageait le lecteur à ne pas croire les images qu'il voit. À un autre moment, Arthur affirme que ce n'est pas lui qui a écrit les phrases qui se trouvent dans le livre qu'il écrit, à nouveau proposant au lecteur de prendre du recul et de ne pas attribuer littéralement chaque image ou chaque phrase à l'auteur. Il apprécie la manière dont l'auteur imagine en toute liberté et en toute sensibilité. Il comprend mieux pourquoi Arthur a choisi le mot d'Apophonie pour le titre de son livre : l'accent que le lecteur met sur une phrase ou une image en change significativement le sens. Il y a autant d'interprétations de l’œuvre que de lecteurs : la bande dessinée est différente à chaque fois qu'elle est lue. Dès la couverture, le lecteur sait qu'il va plonger dans une bande dessinée singulière. Il en a immédiatement la confirmation par la personnalité diverse de la narration visuelle, et par l'intrigue dont la nature ne se discerne que très progressivement. Il se laisse bien volontiers emmener dans ces déambulations sortant de l'ordinaire, une expérience esthétique, émotionnelle et spirituelle, un flottement entre deux réalités, entre deux états, une liberté imaginative incomparable qui lui donne la sensation de se détacher d'un monde convenu et prévisible pour dériver dans un monde imaginaire qui lui permet de considérer autrement son existence, d'y retrouver du merveilleux. Chef d’œuvre.

15/04/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Black Dog - Les Rêves de Paul Nash
Black Dog - Les Rêves de Paul Nash

Percevoir autrement… - Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. L'histoire a été publié sans prépublication, la première édition datant de 2016. Cette bande dessinée est l'oeuvre de Dave McKean, auteur complet, illustrateur hors pair. Il s'inspire de la vie du peintre Paul Nash (1889-1946). Elle s'ouvre avec une introduction de Jenny Wadman, directrice du programme quinquennal 14-18 NOW, une autre de Julie Tait & Aileen McEvoy, directrices du festival international de bandes dessinées de Lakes. Chapitre 1 : 1904, la maison de Wood Lane, à Iver Heath dans le Buckinghamshire. C'était son premier rêve, en tout cas le premier rêve dont il se souvienne. de toutes les histoires qui produisent des échos dans le passé de l'être humain, comme des bougies allumées s'accrochant à la vie contre le froid, l'humidité et le courant d'air, les rêves sont les plus insaisissables, se cachant dans les vallées et les plis de l'esprit, solitaires. S'affaissant dans les ombres des temps passé et présent, dans les tranchées. Paul avance dans son rêve, avec les pieds comme dans un labyrinthe, vers une ouverture lumineuse, mais avec des ombres géométriques menaçantes semblant fondre sur lui. Toujours dans la pénombre, il progresse, encore enfant vers la sortie qui a perdu en luminosité, mais il aperçoit un chien noir aux yeux rouges devant lui. le chien lui barre le chemin, et l'enfant n'ose pas l'approcher pour forcer le passage. le chien s'éloigne vers l'embrasure, et l'enfant le suit en courant. le chien sort dans la lumière, et l'enfant en fait autant, ébloui par tant de lumière. Il aperçoit devant lui un menhir avec un trou circulaire, une grosse Lune dans le ciel, et une femme assise au soleil sur une chaise au dossier très droit, en train de lire. Paul enfant s'approche de la femme. le chien se trouve déjà devant elle, la regarde, lui lèche la main doucement. La femme écarte sa main en lâchant son livre et regarde le chien. La plume rouge au ruban de son chapeau semble s'écouler dans le ciel comme du sang qui forme bientôt un nuage recouvrant toute la zone. C'était le premier rêve du petit Paul, en considérant les détails maintenant, l'enfant qu'il était, le lieu, le chien, sa mère, l'inquiétude que tout cela exprimait, il a pensé à ce rêve à de nombreuses reprises. Il a essayé de l'interpréter et de lire entre les lignes. Il a même essayé de rendre ces émotions dans des dessins parfois. Mais comme le chien noir étrangement sensible à la maladie, se méfiant de la vaste tristesse dévorante de la mère, Paul semble percevoir le paysage à travers un sens élémentaire, sans faux-semblant. Quand il se réveille, il réalise un sketch rapide de ce qui subsiste dans son esprit, pendant que l'image plane encore, dans cet état hypnagogique derrière les yeux. de grands traits pour la composition, une touche d'ombre, un effort pour représenter les détails encore présents à l'esprit, pour fixer une ressemblance qui est déjà en train de s'estomper, de se brouiller, de mourir. Se ressouvenir d'un rêve est comme d'essayer de réaliser une esquisse à partir d'une esquisse. La première page explicite l'intention de l'ouvrage : une plaque de rue indiquant que Paul Nash (1889-1946) a vécu à cet endroit. Au cas où cela ne suffit pas, les deux introductions permettent de se faire une idée de la portée de l’œuvre de cet artiste britannique : un des plus influents et des plus importants de son époque, ayant fait la première guerre mondiale à l'âge de vingt-cinq ans. Il a peint cette première guerre mondiale en tant que soldat, puis il est devenu un peintre officiel de l'armée. Il s'est concentré sur la représentation des paysages plutôt que des individus, ses œuvres s'inscrivant dans le surréalisme. Les responsables de 14-18 NOW ont alors passé commande à Dave McKean, d'une bande dessinée sur cet artiste, et il a accepté étant depuis longtemps fasciné par lui et son imagination. Un vrai défi : rendre hommage à l’œuvre artistique d'un peintre, et évoquer sa vie et ses inspirations. S'il est familier des œuvres de McKean, par exemple Cages, le lecteur sait qu'il va plonger dans une œuvre graphique ambitieuse. Sinon, il en prend conscience dès la première page. Il y a des éléments figuratifs tout du long du récit : Paul Nash lui-même, le souvenir qu'il a de sa mère, de son ami Gordon, de son frère John croisé dans une tranchée, d'un professeur de mathématiques, son ami Claude Lovat Fraser, d'autres soldats et même du chien noir. Encore que pour ce dernier, sa représentation fluctue et le lecteur peut sentir qu'il s'agit parfois plus d'un concept ou d'une métaphore émotionnelle, que d'un animal de chair. L'illustration d'ouverture en pleine page, une scène d'un rêve récurrent de Nash, s'inscrit dans le registre surréaliste avec la représentation d'un rêve. Le récit est découpé en 15 chapitres, chacun s'ouvrant avec une photographie, certaines sans retouche, d'autres reprises à l'infographie. Chaque chapitre a droit à un titre avec une année et un lieu u parfois deux : 1904 à Wood Lane House, 1905 à Hawk's Wood & 1913 au cimetière Highgate à Londres, 1914 à Silverdale & 1914 au café Royal à Londres, 1917 dans l'hôpital militaire de Gosport, 1906 à l'école préparatoire à Londres, 1917 à Southampton au bord de la Manche, 1917 au saillant d'Ypres, 1921 à l'hôpital Queen Square pour les maladies nerveuses, à Londres. Au fil des chapitres, le lecteur découvre des éléments biographiques de l'artiste : la maladie de sa mère, son mariage et le découpage du gâteau, sa relation avec son grand-père, sa blessure en 1917 et son séjour en hôpital militaire, ses mauvais résultats scolaires en particulier en mathématiques, la rencontre avec son frère au saillant d'Ypres, la mort d'un jeune soldat plein de projets d'avenir sous yeux, son deuxième séjour en hôpital pour syndrome de stress post traumatique, etc. Ces moments dans la réalité sont représentés avec la même liberté picturale que ceux relevant de la vie intérieure de l'artiste. McKean conçoit ses séquences en fonction de leur nature, pas en imposant une grille prédéfinie de cases alignées en bande. Il peut aussi bien organiser sa planche avec des cases bien alignées avec une bordure propre, que alignées mais sans bordure, ou dans une grille de 16 cases (4*4), ou seulement deux de la largeur de la page, ou des illustrations en pleine page, ou encore deux dessins entremêlés sur les cases d'un échiquier de 8 par 8, un personnage représenté plusieurs fois dans une illustration en double page pour montrer qu'il se déplace, une pellicule de film déroulée sur deux pages en vis-à-vis avec un dessin par image, etc. de la même manière, il ne se sent pas tenu par une technique de dessin particulier et utilise celui qui lui semble le plus adapté : de la photographie retouchée à l'infographie, à des dessins aux crayons de couleurs, en passant par de véritables tableaux, certains reprenant ceux de Paul Nash, ou encore de savantes compositions à base de plusieurs outils de nature différente. Ainsi le lecteur découvre un récit qui rend compte de la liberté d'expression de l'artiste, aussi bien le peintre que le bédéiste. Il découvre une narration quelques fois en dialogue, souvent en flux de pensée, parfois sous forme de poésie en prose, à quelques reprises sous forme de poésie en vers. Mckean rend compte de la vie intérieure de Paul Nash, ou tout du moins reconstruit celle-ci à partir de la sensibilité du peintre et de ses écrits. Il est donc question de cette figure du chien noir, un élément récurrent de ses cauchemars, une incarnation de ses angoisses vives ou diffuses. Sur le canevas assez lâche de la biographie parcellaire de l'artiste avec quelques inversions chronologiques, l'auteur développe les thèmes récurrents du peintre, parfois par association d'idées quand il rapproche des événements de deux années différentes ou par association de visuels : la perte de la réalité dans la représentation picturale mais aussi la mise à jour d'un élément implicite, la beauté dans les paysages naturels, la marchandisation de l'art et sa futilité en temps de guerre, la relation de son père avec son grand-père en ce qu'elle peut augurer de sa propre relation à son père, les conditions de vie terrifiantes des soldats dans les tranchées, l'absurdité existentielle de certaines situations de vie, la vie apportée par les végétaux sur le champ de bataille, la symbolique d'oiseaux comme le corbeau, le rouge-gorge ou la crécerelle, la translucidité d'un œuf opposée à un obusier de 140 tonnes tirant des obus d'une tonne, le dessin comme thérapie des traumatismes, l'espoir que tout cela ait un sens, etc. Au fil de cette introspection artistique et existentielle, le lecteur arrête parfois sa lecture pour savourer une sensation picturale extraordinaire : la chaleur humaine régnant dans un café, un zeppelin amalgamé à une forme de poisson au-dessus de Londres, la cruauté d'un professeur, la force de la couleur verte contrastée avec le gris brun des tranchées, la vague démesurée de la vie déferlante, s'opposant à la désolation du champ de bataille dévasté, le rappel de cette vague dans le geyser de terre soulevé par un obus, les couleurs atténuées mais vibrantes dans le visage et le corps de Claude Lovat Fraser, la verdure irrépressible d'un bois, etc. C'est un pari insensé que de vouloir rendre compte de la vie intérieure d'un artiste pour mieux comprendre son œuvre. Dave McKean se glisse dans la peau de Paul Nash et sait faire vivre cet artiste, au travers des événements de sa vie, de son expérience des champs de bataille de la première guerre mondiale, de ses relations avec ses parents, de ce qu'il souhaite retranscrire et exprimer avec son art. Il lui rend hommage en reprenant des éléments de ses tableaux, tout en utilisant comme bon lui semble les nombreuses techniques picturales qu'il maîtrise, et la construction de pages en fonction de ce qu'il souhaite exprimer. le tout forme une expérience de lecture à nulle autre pareille, d'une rare richesse, d'une rare diversité, tout en offrant une cohérence parfaite. le lecteur voit sa perception du monde changée, élargie, adaptée pour être en phase avec celle de Paul Nash, enfilant sa sensibilité pour voir le monde autrement, en partie par ses yeux, en partie par ceux de Dave McKean se glissant dans la peau du peintre. Extraordinaire.

15/04/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série La Tragédie Comique ou Comédie Tragique de Mr. Punch
La Tragédie Comique ou Comédie Tragique de Mr. Punch

Appréhender la réalité - Il s'agit d'une histoire complète et indépendante de toute autre, initialement parue en 1994. Un homme se souvient de plusieurs épisodes de son enfance essentiellement lors de l'été de ses 8 ans : une partie de pêche avec l'un de ses grands pères, la découverte des spectacles de marionnettes de Punch et Judy, les agissements incompréhensibles et coupables des adultes qui l'entourent. le narrateur contemple ses souvenirs d'enfants et les analyse à la lumière de sa maturité d'adulte pour prendre conscience de la signification de faits incompréhensibles à l'époque. C'est sûr qu'avec un résumé pareil, le lecteur peut craindre une introspection intello, dans le mauvais sens du terme. La lecture de ce récit s'avère tout à fait différente. Il s'agit d'une bande dessinée avec un scénario de Neil Gaiman et des illustrations de Dave McKean. On a l'impression que ces 2 créateurs se sont retrouvés au summum de leur force créatrice pour aborder à nouveau (dans le sens "de manière nouvelle") les thèmes qu'ils avaient abordés en 1987 au début de leur carrière dans Violent Cases. Et cette fois-ci, le scénariste comme l'illustrateur sont dans la catégorie "talent exceptionnel" ; le lecteur n'a plus qu'à se laisser emmener dans ce monde enchanteur et à profiter. Neil Gaiman enfourche ses dadas préférés, mais dans une construction littéraire plus élaborée que d'habitude. le lecteur se trouve face à un narrateur qui effeuille ses souvenirs d'enfance et tout de suite les illustrations de Dave McKean font la différence. Il a pris le parti de rendre les scènes de théâtre de marionnettes avec des photomontages travaillés à l'infographie. Et la couverture est à elle toute seule un poème d'une force onirique sans égale. Il est facile de se perdre dans les détails et de s'interroger sur la présence d'un coquillage dans ce qui semble tout d'abord être un mécanisme d'horlogerie, comme il est facile de se laisser porter par le visage inquiétant de Punch qui domine cet improbable assemblage. Pour les personnages humains, il a choisi de les dessiner et de les encrer de manière traditionnelle, puis de les peindre. Mais son choix de formes évoque les expérimentations du des peintres du début du vingtième siècle. Cette juxtaposition de style renforce le décalage entre les individus, les lieux dans lesquels ils évoluent et les spectacles de Punch et Judy. Comme d'habitude, Neil Gaiman insère des histoires dans l'histoire et un métacommentaire par le biais des spectacles de marionnettes. Cette fois-ci ce dispositif gagne en efficacité car il ne se limite pas à renvoyer un reflet déformé de la réalité ou à une simple mise en abyme. Ces spectacles ont une influence sur le jeune homme, sur sa perception des événements et ils peuvent être interprétés par le lecteur comme le sens des scènes qui échappe au jeune narrateur. Ils enrichissent autant l'histoire que les scènes du Black Freighter (Les contes du vaisseau noir) dans Watchmen. Et au final, le lecteur se rend compte dans la scène du mariage et dans la dernière scène à l'arcade que Gaiman est en train de broder subtilement sur le mythe de la caverne de Platon. Ces séquences fonctionnent d'autant mieux que Dave McKean trouve des représentations d'une grande élégance pour évoquer ce mythe, sans avoir recours à des illustrations littérales. Neil Gaiman se sert à nouveau du point de vue de l'enfant pour réenchanter le monde. La capacité limitée des enfants à comprendre le monde qui les entoure leur permet d'évoluer dans un univers où la magie est présente, où chaque jour amène un lot de découvertes merveilleuses. Il leur est impossible d'être blasés comme des adultes usés par le quotidien. L'une des forces de Dave McKean est de savoir composer des images à nulle autre pareilles qui sont capables de capturer la féerie de l'enfance. McKean ne sert pas de photoshop pour en mettre plein la vue à ses lecteurs. Il s'en sert pour composer des tableaux à la fois impossibles et magnifiques, défiant la logique et capturant des associations d'idées indicibles et d'une beauté envoutante. Son talent de composition défie la logique pour atteindre le poétique et l'enchanteur. Il utilise tout le champ des possibles en terme de styles d'illustrations couvrant presque a totalité de la surface de la pyramide imaginée par Scott McCloud dans L'art invisible. Sa maîtrise d'autant de styles relève presque de la magie. C'est le mariage de ces 2 rêveurs experts dans leur art qui aboutit à une histoire défiant les lois naturelles pour transporter le lecteur dans le monde de la mémoire, sans oublier l'humour, l'émotion et la magie du monde. Pour être honnête et malgré le charme sous lequel je suis tombé, il faut avouer que cette histoire pourra déplaire aux esprits les plus cartésiens car il n'y a pas de véritable résolution, ni de vérité absolue quant aux questions du narrateur sur son passé et ceux de ses proches. Il règne également une angoisse diffuse par moment liée à la présence d'un bossu, d'une infidélité conjugale cachée, d'un potentiel avortement et de l'ombre de la folie. Neil Gaiman et Dave McKean ont également créé la bande dessinée Signal / Bruit. Ils ont réalisé 2 albums pour les enfants : Des loups dans les murs & le Jour où j'ai échangé mon père contre deux poissons rouges. Et Dave McKean a continué à matérialiser ses visions intérieures dans des histoires courtes en bandes dessinées Pictures That Tick (en VO) et dans une longue histoire en bande dessinée Cages. Et ses couvertures pour la série Sandman ont été regroupées dans Dust covers. Il a également réalisé un ouvrage érotique sans paroles : Celluloid.

15/04/2024 (modifier)
Par Jolan
Note: 5/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Gloutons & Dragons
Gloutons & Dragons

Ce manga est une pépite ! J'ai lu beaucoup de manga et peu d'entre eux m'on autant plongé dans leur univers que Gloutons & Dragons. Un TRES grand nombre de personnages sont détaillés et étayés avec des caractères différents et attachants. De plus la description des lieux arpentés est chirurgicale de même que les créatures rencontrées ce qui nous plonge encore plus dans les méandres de ce riche univers bourré d'excellentes idées et de design intéressant. Je le recommande chaudement surtout si vous êtes un joueur de jeu de rôle, un fan de médiéval fantasy (approfondie), un fan de cryptozoologie ou un fan de biologie. Personnellement cette œuvre m'a pour la 2e fois en plus de 200 manga fait croire en son monde grâce à son réalisme. Sans déconner je suis tout le temps frustré dans mes lectures quand les monstres qu'affrontent les personnages ne font pas de sens, sont redondants, ou trop faibles, mais là rien à dire le manga va jusqu'à détailler leurs anatomies pour expliquer leur fonctionnement et rôle dans l'écosystème (lui même approfondi). En bref un super manga au gout de Made in Abyss en moins hardcore qui m'a tenu en haleine jusqu'au bout. PS : point positif en plus y'a pas de fan service mal placé.

15/04/2024 (modifier)