Comme l'explique Pietro Zemelo en préface, ceci est son histoire, son témoignage au sujet de la façon dont sa belle-famille élargie essaie de gérer le traumatisme de l'invasion de l'Ukraine par la Russie en mars 2022. Il ne prétend aucunement se substituer aux personnes directement impactées, mais au contraire montre la façon dont il perçoit leur résilience.
Et c'est là que se trouve le principal point d'intérêt de cette BD : dans le regard qu'il pose, lui un Italien qui, malgré ses années de présence en Ukraine, ne peut saisir totalement la tristesse, la colère, et tant d'autres sentiments qui ne sont pas forcément descriptibles par des mots. D'autant plus que la barrière de la langue est, sans être importante, un véritable obstacle. On voit bien que chacun(e) gère d'une façon ou d'un autre : en se réfugiant dans les corvées domestiques, dans une colère sourde, dans un mutisme inquiétant... Pietro, loin de se sentir rejeté par sa belle-famille, essaie tant bien que mal de maintenir à flots cette famille recomposée en Italie, qui vit le drame à distance, dans une peur constante que le père, resté sur place, se retrouve sous les bombardements ou la proie des milices pro-russes...
Zemelo utilise un trait assez épuré, une sorte de ligne claire plutôt expressive, avec des couleurs pastel et un jeu d'ombres constant. Plutôt agréable à l’œil.
Quant aux tournesols du titre, je craignais un peu qu'ils soient omniprésents dans l'album, mais n'ont qu'une occurrence limitée, mais réaliste, autant que symbolique.
Précieux pour comprendre partiellement ce que vivent les Ukrainiens expatriés.
Enfin j'ai lu un manga pour lequel je n'ai aucune réserve. J'ai même hésité à mettre la note max après la lecture des neuf premiers opus.
Ranking of kings est d'abord une success story comme je les aime. Un auteur qui semble inconnu du public et des maisons d'édition, un graphisme loin de la finesse des grands mangaka, pas de décor, pas de JF à l'allure de gamines qui se ressemblent toutes, pas de héros BG et une série qui rencontre son large public.
Pour sortir ainsi du néant il faut que cette série possède de bien belles qualités dans sa créativité, son schéma narratif et sa tension dramatique. En effet Sosuke Toka multiplie les thématiques fondamentales sans jamais se prendre les pieds, il approfondit avec une rare intelligence la personnalité de presque tous les personnages dans une lutte du bien contre le mal qui traverse chacun sauf le prince Bojji, qui est pureté inconditionnelle.
Dans le désordre on retrouve les thèmes de la relation au père, à la mère, la loyauté, la fraternité, du pardon et de la puissance.
Toka débute son récit de façon assez banale par une injustice contre le faible puisque Daida vole à son frère Bojji la couronne du royaume après un vote non légitime. Il faut dire que ce pauvre Bojji ne peut même pas soulever une pierre. Bojji est alors banni et poursuivi par un serviteur félon. Va-t-il rencontrer une fée, un magicien une source qui lui rendront sa force et plein d'autres pouvoirs pour regagner sa couronne au détriment de son frère ?
Toka évite ce schéma usé jusqu'à la corde pour nous promener de surprises en surprises, de rebondissements en rebondissements, de propositions crédibles en propositions intéressantes. Ce qui grandit Bojji ce sont ses maîtres en intelligence et ses adversaires en force aveugle jusqu'au terrible Ouken. C'est si bien amené que l'affrontement entre Bojji et le redoutable Ouken (l'épée diabolique) m'a tenu en haleine tout le tome neuf.
L'auteur construit très habilement son récit avec des retours en arrière qui dévoilent au bon moment l'origine de la formation psychologique des personnages. On se retrouve alors à éprouver de l'empathie pour les pires brutes, traitres ou meurtriers même s’ils n'arrivent jamais à la hauteur du gentil Bojji. J'aime aussi l'image que Toka donne des serpents ou des monstres à qui Bojji donne une seconde chance.
Car la série malgré une ambiance sombre est un hymne à la gentillesse.
Alors le graphisme ne ressemble pas à un manga classique ? Bojji avec sa gentille tête ronde, Ombre sorte d'ectoplasme en forme de flaque d'huile, pas de grands yeux ni de bouches ouvertes démesurément. Super ! Enfin de la diversité dans un monde où je ne vois pas trop la différence entre une star du Hentai et des collégiennes en uniformes. Elle se ressemblent toutes et c'est presque la même chose pour les garçons.
Une lecture très agréable pour les enfants et leurs parents. A mi-parcours Toka tient le rythme avec brio. Il a mis la barre du scénario très haute tellement le chemin de Bojji semble difficile et j'espère que sa réussite ne dépendra pas d'une pirouette ou d'un raccourci scénaristique.
Pour conclure j'aime beaucoup les dernières pages où l'auteur nous propose un petit bonus qui met en lumière un passage de la série et une postface où Toka se dévoile dans sa vie quasi monacale de Mangaka amateur génial et solitaire. Un succès très mérité à mes yeux
Accrochez-vous, le nouveau Daniel Clowes est disponible en Français et il est d’une richesse folle. Après une première lecture, je me suis dit qu’une seconde, troisième (voire plus) ne seraient pas de trop et suffisantes pour comprendre et capturer toutes les subtilités du livre, l’intégralité des pages de ce fait, de la couverture au quatrième.
Impressionnant dans sa structure (Clowes est un habitué cf. Wilson, Patience, Mr Wonderful), et au travers de différents styles/thèmes (Guerre, Science-Fiction, Suspense, Enquête…), l’album est un vibrant hommage aux « vieux » comics américains (EC Comics en tête).
Graphiquement parlant, c’est du pur Clowes. Je suis fan inconditionnel. Par exemple, je reste pantois d’admiration devant la case d'une grande simplicité représentant la photo de Penny en bas de page 11.
Œuvre dense et magistrale, Monica est et restera un sommet de 2023 (à mes yeux ébahis !).
A lire et relire sans modération.
Les amours contrariées de deux auteurs majeurs du 20ème siècle nous sont donc contées dans cet album écrit par Ingrid Chabbert, scénariste aux multiples facettes. C'est une histoire d'amour passionnée, enflammée, basée sur le sexe mais aussi une certaine émulsion artistique. Ces différents aspects sont présents dans l'album, même si la partie charnelle a été un peu plus mise en avant dans quelques scènes presque explicites. A titre de comparaison, la relation parallèle entre Beauvoir et Sartre n'est représentée que sur le registre intellectuel. Les différentes tranches de vie, les rencontres parfois furtives, sont bien identifiées grâce à des repères temporels. Elles ne sont d'ailleurs pas tout à fait dans l'ordre chronologique, mais cela n'est pas une gêne à la lecture.
La partie graphique est assurée par Anne-Perrine Couët, jeune autrice très talentueuse qui prête sa ligne claire à ce récit tout en nuances. Il y a de très elles cases, notamment en pleine page, mais on sent qu'elle n'a pas encore tout à fait atteint sa maturité graphique. Certaines cases m'ont semblé manquer de décors, alors que d'autres sont plus denses. Alessandra Alexakis se charge des couleurs, dans une palette très lumineuse, adaptée à cette histoire assez intéressante.
Plutôt pas mal.
J'ai vraiment été séduit par cette nouvelle série du duo Dillies/Hautières. Si c'est exact que l'on ne retrouve pas la poésie un peu triste que parcourt la plupart des précédentes oeuvres du duo, la série renferme une grande richesse de créativité. Ainsi j'aime bien l'initiative presque scolaire que les auteurs ont proposé. Comme l'indique le bandeau sur un tome, la construction d'un récit d'aventure est du programme du cycle trois (CM1-6ème).
Pour cela, les auteurs intercalent dans le récit des voix off, humoristiques et explicatives de la structure du récit. Les auteurs s'adressent ainsi directement à leurs lecteurs/rices d'une façon amusante sans être professorale.
Ces remarques conviennent aux jeunes et moins jeunes et donnent l'impression de participer à la création du récit avec les auteurs. Les apartés du conteur Anacharsis complètent le propos dans le même sens pour ne pas alourdir une narration par un excès de texte off.
Les scénarii des deux épisodes reprennent deux grandes thématiques du récit d'aventure : les pirates et le cap et d'épée. Cela ne s'appuie pas sur un ouvrage en particulier mais montre que le canevas peut créer une multitude de récits. Hautière et Dillies ajoutent en sus la thématique du voyage dans le temps et sa maîtrise par le narrateur.
La construction des deux premiers tomes est vraiment très aboutie car la narration propose un double voire un triple récit aventureux. C'est si méticuleux que cela reste très fluide et facilement lisible.
Je suis fan du trait de Dillies qui propose un graphisme original. On reconnait ses personnages d'autres séries à l'exception du petit Zaki au visage effilé et au profil de croissant de lune bleu.
Il y a un petit esprit "histoire dont vous êtes le héros" dans la série ce qui permet de proposer de multiples directions ou rebondissements qui m'ont tenu en haleine.
J'attends le tome 3 avec avidité car j'ai vraiment aimé cette très plaisante lecture.
J’ai été très touché par ce récit, qui nous parle d’un sujet rarement évoqué dans l’univers de la bande dessinée.
J’ai beaucoup apprécié la forme, qui marie harmonieusement la bande dessinée et la littérature. Ainsi, ce récit alterne passages littéraires et bandes dessinées et nous avons autant l’impression de lire une courte nouvelle que de nous plonger dans une bande dessinée d’ambiance.
Ensuite vient la gestion du suspense. Les auteurs ont l’intelligence de nous laisser dans l’ignorance du drame vécu par Angie M. tout en nous faisant directement comprendre que ce drame est glauque, sordide. Notre penchant au voyeurisme est exacerbé, il n’y a pas de quoi être fier, mais à titre personnel, il m’a été impossible d’interrompre ma lecture avant de connaître la nature du drame. Pas seulement par voyeurisme mais aussi par empathie pour cette jeune adolescente.
Et cette empathie se renforce au fur et à mesure que l’on découvre ce qu’il s’est passé. Le récit est extrêmement dur car réaliste et touchant de simplicité, et Angie M. émeut d’autant plus qu’il s’agit d’une adolescente lambda, de celles que l’on croise tous les jours.
Le récit est très court, concentré, mais la progression est parfaitement maîtrisée. Si je devais vraiment faire un reproche, ce serait au niveau de l’écriture qui m’est apparue parfois un peu ampoulée. Pour moi, tout le reste est proche de la perfection, compte tenu du format de l’objet. Le récit prend à la gorge, c’est agréable à lire et très addictif. Le dessin est très sobre, avec à l’occasion des plans d’ambiance (ronds de pluie dans une flaque d’eau, par exemple) mais surtout centré sur les personnages, avec le poids des non-dits qui passent par un regard, une attitude.
Franchement, franchement, franchement bien !
(Mais extrêmement déprimant)
Une œuvre majeure de la bande dessinée.
Un grand bravo aux éditions Monsieur Toussaint Louverture pour cette anthologie et pour la qualité de ce coffret.
Lynd Ward est un précurseur du roman graphique, c'est lorsque qu'il vit en Allemagne à Leipzig où il suit une formation en gravure qu'il découvre "Le Soleil" de Frans Masereel qui aura une influence déterminante sur ses ambitions artistiques. Ce coffret reprend l'intégralité de ses six romans sans paroles, ils sont proposés dans l'ordre chronologique de création, ce qui permettra de suivre l'évolution graphique de l'artiste. Une œuvre marquée par son époque, de la crise de 1929 à l'aube de la seconde guerre mondiale. Le témoignage sur une période trouble du XX° siècle. Une narration visuelle unique, les symboles sont omniprésents, puisqu'elle permet à chaque lecteur de se l'approprier et d'en faire une interprétation personnelle même si Ward en donne les grandes lignes.
Chaque récit est suivi des mots de Lynd Ward qui nous éclairent sur le processus de création.
Mais Lynd Ward c'est aussi un peintre et de nombreuses bd pour enfants, souvent avec son épouse May McNeer à l'écriture.
Graphiquement, au début j'ai été un peu perturbé, car la dimension des gravures varie souvent d'une planche à l'autre, le choix a été fait de garder les formats originaux des gravures sur bois. Des formats différents qui, finalement, n'ont pas gêné mon plaisir de lecture. On a droit à une image par page ou plutôt d'une image par feuille, ce qui facilite la lecture. Un dessin à la grande force évocatrice, sensuel, puissant, expressif et d'une finesse époustouflante puisqu'il ne joue pas seulement sur un noir et blanc contrasté, comme Masereel, il arrive à immiscer des nuances de gris grâce la technique "La Manière Noire" pour la première fois dans l'histoire de la gravure.
Un dessin qui va évoluer de l'expressionnisme allemand anguleux à un style art déco plus doux. Des gravures qui grouillent de détails, qui jouent sur les ombres. Magnifique !
- Gods' Man (1929) _ 139 bois.
Ce livre est sorti en octobre 1929, la semaine même du krach de la bourse de New-York. L'histoire faustienne d'un artiste qui renonce à son âme contre un pinceau miraculeux. Un récit sur l'art et le pouvoir de l'argent avec en toile de fond la recherche du bonheur. Une fin inéluctable. Percutant.
4 étoiles.
- Madman's Drum (1930) _ 118 bois.
L'histoire d'un marchand d'esclaves qui vole un tambour, orné d'un visage de démon, à un homme qu'il assassine.
Un récit sur les liens familiaux, la perte d'êtres chers et l'injustice sociale avec un brin de religion. Il faut rester concentré pour bien saisir l'intrigue qui se joue au fil des pages. L'histoire la plus complexe, à mon avis, à décrypter, la narration manque de fluidité.
La couverture est issue de ce récit.
3,5 étoiles.
- Wild Pilgrimage (1932) _ 108 bois.
L'histoire d'un ouvrier d'usine qui abandonne son lieu de travail pour chercher une vie libre.
Un récit qui explore la réalité du monde extérieur et son image qui se projette dans l'esprit de chacun. Une narration qui joue sur la couleur de l'encre utilisée pour ne pas nous perdre, le noir pour la réalité et l'orange pour les fantasmes avec en filigrane le racisme. Dérangeant.
4,5 étoiles.
- Prelude to a Million Year (1933) _ 30 bois.
L'histoire d'un sculpteur qui, dans sa quête de la beauté idéale, néglige la réalité des luttes entraînant ses voisins dans les profondeurs de la grande dépression. Un regard sur la vie nombriliste d'un artiste avec en arrière plan l'injustice sociale. Poignant.
4 étoiles.
- Song Without Words (1936) _ 21 bois.
L'histoire concerne l'anxiété qu'éprouve une future mère à l'idée de mettre un enfant dans un monde sous la menace du fascisme. Une œuvre réalisée alors que l'épouse de Ward est enceinte de leur deuxième enfant. Visionnaire.
4,5 étoiles.
- Vertigo (1937) _ 230 bois.
L'histoire se déroule de 1929 à 1935 et suit trois personnages principaux : une jeune femme, un jeune homme et un vieil homme. Chacune fait l'objet d'un chapitre complet. D'abord "The girl" qui se découpe en années, puis "An elderly gentleman" en mois et enfin "The boy" en jours. Une narration maîtrisée et qui s'accélère pour mieux montrer l'impact de la grande dépression, celle-ci transpire dans ces trois vies brisées. Un chef-d'œuvre.
5 étoiles.
Une anthologie dense, novatrice et à la forte puissance narrative.
Si vous en avez l'occasion, ne vous en privez pas.
Culte et gros coup de cœur.
Je viens de finir le dernier volume de cette série démarrée il y a quelques années déjà. Verdict : totale réussite. La touche de Sattouf pourrait se définir comme une mise à nu simpliste d'un monde complexe. Il nous prend la main et nous emmène partout dans son passé, aucun sujet n'est écarté, il nous raconte sans jugement et sans raisonnement... et on comprend, on ressent cette vie atypique dans ce foyer dysfonctionnel. Un voyage intime intense qui permettra à beaucoup de lecteurs d'ouvrir les yeux sur tant de sujets (l'enfance, l'adolescence, les parents, le moyen orient, les amitiés, la famille étendue, l'observation introspective).
Personnellement, j'ai lu chaque volume d'une traite !
Comme pour grogro, cette BD m'a touché en plein cœur - je retiens d'ailleurs son conseil de faire une balade pour le jour où j'aurai un souci de pelote... ;-)
Dans le domaine de l’écologie, on connaît plus David Henry Thoreau que John Muir. Pourtant, les deux hommes ont des parcours très similaires et beaucoup de points communs, à commencer par leurs origines écossaises. Et hormis le fait d’être également contemporains, nés au début du XIXe siècle, tous deux étaient écrivains, philosophes et naturalistes, avec un profond respect pour la nature et le vivant. Si Thoreau est davantage connu que son cadet de vingt ans, sans doute est-ce dû à l’un de ses ouvrages emblématiques, « La Désobéissance civile », qui a influencé Gandhi et Martin Luther King, ainsi que les mouvements contestataires des années 60 ou encore les anarchistes. Mais Muir aussi a laissé son empreinte en fondant en 1892 le Sierra Club, l’une des premières associations écologiques, toujours très active de nos jours, et en ayant milité aux côtés de Robert Underwood Johnson pour la création du parc national du Yosemite.
C’est donc Lomig, auteur dont la bibliographie traduit les préoccupations environnementales et sociétales (Dans la forêt, Le Cas Fodyl…), qui nous met avec bonheur dans les pas de cet arpenteur infatigable qu’était John Muir, en s’inspirant de son journal. D’emblée, on est intrigué par le parti pris du noir et blanc pour un style franco-belge généralement coutumier de la couleur. Et très vite on en réalise la pertinence en examinant le trait, d’une finesse rare, frôlant le sublime, en particulier dans la représentation des paysages, des végétaux et des animaux. Il y a de quoi rester bouche bée, et l’on se dit en effet que la couleur serait redondante ici. Lomig nous donne à voir, de façon réaliste, les beautés d’une nature luxuriante dans de longs passages contemplatifs qui produisent une sensation unique d’immersion.
Dans un souci de s’approcher au plus près de l’expérience de Muir, Lomig a respecté la linéarité de son journal, ce qui produit une narration lente, sans à-coups, sans esbroufe, ce qui colle tout à fait au rythme d’une marche au long cours.
L’impression globale, c’est que l’auteur a réussi à se mettre dans la peau de John Muir pour nous faire ressentir la plénitude expérimentée par l’Ecossais durant sa randonnée. Mais il n’a pas non plus cherché à enjoliver le sujet plus que nécessaire. Car si ce pionnier de l’écologie pensait parfois avoir l’impression d’être au paradis en observant l’harmonie et la beauté des sites qu’il traversait, son expédition n’a pas toujours été une partie de plaisir. La nature peut se révéler sans pitié, et, comme nous le montre Lomig, notre arpenteur en a fait les frais en contractant le paludisme dans les marécages de Floride, ce qui l’avait énormément affaibli et l’empêcha de poursuivre son voyage vers l’Amérique du Sud. On voit aussi comment l’Homme, en adhérant au progrès technique, en a payé le prix en brisant l’harmonie qui le reliait à la nature. Muir croisera ainsi sur sa route des chasseurs stupides et avinés, des populations traumatisées et appauvries par la guerre de Sécession. Alors qu’il se dirige vers la vallée de Yosemite, il s’émeut des dégâts causés sur la nature par le troupeau de moutons qu’il accompagne en transhumance, ainsi que des scieries installées au beau milieu des magnifiques forêts de la Sierra Nevada. Mais c’est lorsqu’il remet les pieds à New York qu’il prend conscience qu’il ne pourra plus jamais vivre dans la cité grouillante « où un luxe exubérant s’étale face à une misère noire, la plus affligeante qui soit ».
A travers les yeux candides et émerveillés de cet être hors-normes, à qui certains esprits très terre-à-terre reprocheront sans doute de n’être qu’un doux rêveur, Lomig nous fait redécouvrir de façon magistrale une nature que nos modes de vie urbains, de plus en plus soumis au tout-technologique, nous ont fait oublier. Une nature que l’être humain continue à maltraiter avec désinvolture, jusqu’à compromettre sa propre survie, peut-être justement parce qu’il a désappris à en apprécier les beautés. « Au cœur des solitudes » est un roman graphique magnifique et, pourrait-on dire, une expérience inoubliable, celle d’un homme remarquable dont l’ambition première était de faire corps avec les éléments.
Eeeet voui ! Il le fait encore ! M'enfin : qui d'autre est capable de pondre un truc pareil ?!
Alors je ne possède aucune culture classique (antique ou autre, sinon un peu de mythologie Grecque (Ulysse reVIEENt...!), mais cette culbute dans l'Histoire via une pièce de théâtre détournée, c'est véritablement à mettre au programme de l'éducation nationale -au moins, ce sera rigolo !
Utilisant à nouveau son artifice du stupre Homosexuel masculin comme liant universel des masses viriles (!!) -et donc socialement dominantes-, Ralf König nous plonge dans un imbroglio socio-politique où, une fois encore, la sensualité l'emporte sur tout le reste.
Politique, morale et patriotisme, ainsi que bien d'autres valeurs "construites", sont balayés par un irrésistible raz de marée libidineux quand trois petits cochons se mêlent de détourner le plan -excellent !- ourdi par les épouses pour obliger leurs maris à un cessez-le-feu -bien improbable, d'ailleurs, tant ils sont récalcitrants à abandonner leurs habitudes, aussi vaines et sanglantes soient-elles.
Car c'est bien à un affrontement de pouvoir auquel on assiste -entre les genres !- ; et, une fois encore, les impératifs sociaux prédominent sur la raison et le bien-être. Les femelles veulent être des épouses avant tout, aussi limité et dégradant que soit réduit leur rôle par les mâles qui, eux, préfèrent garder leur pouvoir totalitaire ainsi que leurs certitudes, quitte à vivre dans la frustration et/ou se faire trucider sur le champs de bataille.
L'auteur continue sa brillantissime démonstration de la puissance subversive de la sexualité réprimée quand elle est brutalement libérée : une révolution. Et, entre parenthèses, une leçon pour les auteurs de Pornographie -surtout occidentale- qui continuent à patauger dans le "consensuel réactionnaire" -voire l'auto-répression !- en ignorant la véritable puissance de l’outil qu'ils manipulent...
Propos extrêmement difficile à explorer et exposer tant il est délicat d'établir un équilibre rigoureux entre le fond et la forme, sous peine d'être assimilé à une simple provocation des interdits en vogue. Mais Ralf König y arrive à nouveau, prouvant encore une fois la clarté de sa vision quant à son sujet de référence -nous !-, et son immense talent de conteur en parvenant à nous faire croire à cette fable tant ses personnages vibrent de réalité, dans leurs dialogues si précis comme dans leurs actes -ceux-ci en complète opposition de leurs volontés !
Fidèles miroirs de nos craintes et de nos espoirs les plus simples et naturels, ils nous amènent au bout de leur représentation -triomphale !- grâce, aussi et surtout, à l'humour imparable de leur auteur, véritable gage d'intelligence.
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Les Tournesols d'Ukraine
Comme l'explique Pietro Zemelo en préface, ceci est son histoire, son témoignage au sujet de la façon dont sa belle-famille élargie essaie de gérer le traumatisme de l'invasion de l'Ukraine par la Russie en mars 2022. Il ne prétend aucunement se substituer aux personnes directement impactées, mais au contraire montre la façon dont il perçoit leur résilience. Et c'est là que se trouve le principal point d'intérêt de cette BD : dans le regard qu'il pose, lui un Italien qui, malgré ses années de présence en Ukraine, ne peut saisir totalement la tristesse, la colère, et tant d'autres sentiments qui ne sont pas forcément descriptibles par des mots. D'autant plus que la barrière de la langue est, sans être importante, un véritable obstacle. On voit bien que chacun(e) gère d'une façon ou d'un autre : en se réfugiant dans les corvées domestiques, dans une colère sourde, dans un mutisme inquiétant... Pietro, loin de se sentir rejeté par sa belle-famille, essaie tant bien que mal de maintenir à flots cette famille recomposée en Italie, qui vit le drame à distance, dans une peur constante que le père, resté sur place, se retrouve sous les bombardements ou la proie des milices pro-russes... Zemelo utilise un trait assez épuré, une sorte de ligne claire plutôt expressive, avec des couleurs pastel et un jeu d'ombres constant. Plutôt agréable à l’œil. Quant aux tournesols du titre, je craignais un peu qu'ils soient omniprésents dans l'album, mais n'ont qu'une occurrence limitée, mais réaliste, autant que symbolique. Précieux pour comprendre partiellement ce que vivent les Ukrainiens expatriés.
Ranking of Kings
Enfin j'ai lu un manga pour lequel je n'ai aucune réserve. J'ai même hésité à mettre la note max après la lecture des neuf premiers opus. Ranking of kings est d'abord une success story comme je les aime. Un auteur qui semble inconnu du public et des maisons d'édition, un graphisme loin de la finesse des grands mangaka, pas de décor, pas de JF à l'allure de gamines qui se ressemblent toutes, pas de héros BG et une série qui rencontre son large public. Pour sortir ainsi du néant il faut que cette série possède de bien belles qualités dans sa créativité, son schéma narratif et sa tension dramatique. En effet Sosuke Toka multiplie les thématiques fondamentales sans jamais se prendre les pieds, il approfondit avec une rare intelligence la personnalité de presque tous les personnages dans une lutte du bien contre le mal qui traverse chacun sauf le prince Bojji, qui est pureté inconditionnelle. Dans le désordre on retrouve les thèmes de la relation au père, à la mère, la loyauté, la fraternité, du pardon et de la puissance. Toka débute son récit de façon assez banale par une injustice contre le faible puisque Daida vole à son frère Bojji la couronne du royaume après un vote non légitime. Il faut dire que ce pauvre Bojji ne peut même pas soulever une pierre. Bojji est alors banni et poursuivi par un serviteur félon. Va-t-il rencontrer une fée, un magicien une source qui lui rendront sa force et plein d'autres pouvoirs pour regagner sa couronne au détriment de son frère ? Toka évite ce schéma usé jusqu'à la corde pour nous promener de surprises en surprises, de rebondissements en rebondissements, de propositions crédibles en propositions intéressantes. Ce qui grandit Bojji ce sont ses maîtres en intelligence et ses adversaires en force aveugle jusqu'au terrible Ouken. C'est si bien amené que l'affrontement entre Bojji et le redoutable Ouken (l'épée diabolique) m'a tenu en haleine tout le tome neuf. L'auteur construit très habilement son récit avec des retours en arrière qui dévoilent au bon moment l'origine de la formation psychologique des personnages. On se retrouve alors à éprouver de l'empathie pour les pires brutes, traitres ou meurtriers même s’ils n'arrivent jamais à la hauteur du gentil Bojji. J'aime aussi l'image que Toka donne des serpents ou des monstres à qui Bojji donne une seconde chance. Car la série malgré une ambiance sombre est un hymne à la gentillesse. Alors le graphisme ne ressemble pas à un manga classique ? Bojji avec sa gentille tête ronde, Ombre sorte d'ectoplasme en forme de flaque d'huile, pas de grands yeux ni de bouches ouvertes démesurément. Super ! Enfin de la diversité dans un monde où je ne vois pas trop la différence entre une star du Hentai et des collégiennes en uniformes. Elle se ressemblent toutes et c'est presque la même chose pour les garçons. Une lecture très agréable pour les enfants et leurs parents. A mi-parcours Toka tient le rythme avec brio. Il a mis la barre du scénario très haute tellement le chemin de Bojji semble difficile et j'espère que sa réussite ne dépendra pas d'une pirouette ou d'un raccourci scénaristique. Pour conclure j'aime beaucoup les dernières pages où l'auteur nous propose un petit bonus qui met en lumière un passage de la série et une postface où Toka se dévoile dans sa vie quasi monacale de Mangaka amateur génial et solitaire. Un succès très mérité à mes yeux
Monica
Accrochez-vous, le nouveau Daniel Clowes est disponible en Français et il est d’une richesse folle. Après une première lecture, je me suis dit qu’une seconde, troisième (voire plus) ne seraient pas de trop et suffisantes pour comprendre et capturer toutes les subtilités du livre, l’intégralité des pages de ce fait, de la couverture au quatrième. Impressionnant dans sa structure (Clowes est un habitué cf. Wilson, Patience, Mr Wonderful), et au travers de différents styles/thèmes (Guerre, Science-Fiction, Suspense, Enquête…), l’album est un vibrant hommage aux « vieux » comics américains (EC Comics en tête). Graphiquement parlant, c’est du pur Clowes. Je suis fan inconditionnel. Par exemple, je reste pantois d’admiration devant la case d'une grande simplicité représentant la photo de Penny en bas de page 11. Œuvre dense et magistrale, Monica est et restera un sommet de 2023 (à mes yeux ébahis !). A lire et relire sans modération.
Les Matins doux
Les amours contrariées de deux auteurs majeurs du 20ème siècle nous sont donc contées dans cet album écrit par Ingrid Chabbert, scénariste aux multiples facettes. C'est une histoire d'amour passionnée, enflammée, basée sur le sexe mais aussi une certaine émulsion artistique. Ces différents aspects sont présents dans l'album, même si la partie charnelle a été un peu plus mise en avant dans quelques scènes presque explicites. A titre de comparaison, la relation parallèle entre Beauvoir et Sartre n'est représentée que sur le registre intellectuel. Les différentes tranches de vie, les rencontres parfois furtives, sont bien identifiées grâce à des repères temporels. Elles ne sont d'ailleurs pas tout à fait dans l'ordre chronologique, mais cela n'est pas une gêne à la lecture. La partie graphique est assurée par Anne-Perrine Couët, jeune autrice très talentueuse qui prête sa ligne claire à ce récit tout en nuances. Il y a de très elles cases, notamment en pleine page, mais on sent qu'elle n'a pas encore tout à fait atteint sa maturité graphique. Certaines cases m'ont semblé manquer de décors, alors que d'autres sont plus denses. Alessandra Alexakis se charge des couleurs, dans une palette très lumineuse, adaptée à cette histoire assez intéressante. Plutôt pas mal.
Le Clan de la rivière sauvage
J'ai vraiment été séduit par cette nouvelle série du duo Dillies/Hautières. Si c'est exact que l'on ne retrouve pas la poésie un peu triste que parcourt la plupart des précédentes oeuvres du duo, la série renferme une grande richesse de créativité. Ainsi j'aime bien l'initiative presque scolaire que les auteurs ont proposé. Comme l'indique le bandeau sur un tome, la construction d'un récit d'aventure est du programme du cycle trois (CM1-6ème). Pour cela, les auteurs intercalent dans le récit des voix off, humoristiques et explicatives de la structure du récit. Les auteurs s'adressent ainsi directement à leurs lecteurs/rices d'une façon amusante sans être professorale. Ces remarques conviennent aux jeunes et moins jeunes et donnent l'impression de participer à la création du récit avec les auteurs. Les apartés du conteur Anacharsis complètent le propos dans le même sens pour ne pas alourdir une narration par un excès de texte off. Les scénarii des deux épisodes reprennent deux grandes thématiques du récit d'aventure : les pirates et le cap et d'épée. Cela ne s'appuie pas sur un ouvrage en particulier mais montre que le canevas peut créer une multitude de récits. Hautière et Dillies ajoutent en sus la thématique du voyage dans le temps et sa maîtrise par le narrateur. La construction des deux premiers tomes est vraiment très aboutie car la narration propose un double voire un triple récit aventureux. C'est si méticuleux que cela reste très fluide et facilement lisible. Je suis fan du trait de Dillies qui propose un graphisme original. On reconnait ses personnages d'autres séries à l'exception du petit Zaki au visage effilé et au profil de croissant de lune bleu. Il y a un petit esprit "histoire dont vous êtes le héros" dans la série ce qui permet de proposer de multiples directions ou rebondissements qui m'ont tenu en haleine. J'attends le tome 3 avec avidité car j'ai vraiment aimé cette très plaisante lecture.
Angie M.
J’ai été très touché par ce récit, qui nous parle d’un sujet rarement évoqué dans l’univers de la bande dessinée. J’ai beaucoup apprécié la forme, qui marie harmonieusement la bande dessinée et la littérature. Ainsi, ce récit alterne passages littéraires et bandes dessinées et nous avons autant l’impression de lire une courte nouvelle que de nous plonger dans une bande dessinée d’ambiance. Ensuite vient la gestion du suspense. Les auteurs ont l’intelligence de nous laisser dans l’ignorance du drame vécu par Angie M. tout en nous faisant directement comprendre que ce drame est glauque, sordide. Notre penchant au voyeurisme est exacerbé, il n’y a pas de quoi être fier, mais à titre personnel, il m’a été impossible d’interrompre ma lecture avant de connaître la nature du drame. Pas seulement par voyeurisme mais aussi par empathie pour cette jeune adolescente. Et cette empathie se renforce au fur et à mesure que l’on découvre ce qu’il s’est passé. Le récit est extrêmement dur car réaliste et touchant de simplicité, et Angie M. émeut d’autant plus qu’il s’agit d’une adolescente lambda, de celles que l’on croise tous les jours. Le récit est très court, concentré, mais la progression est parfaitement maîtrisée. Si je devais vraiment faire un reproche, ce serait au niveau de l’écriture qui m’est apparue parfois un peu ampoulée. Pour moi, tout le reste est proche de la perfection, compte tenu du format de l’objet. Le récit prend à la gorge, c’est agréable à lire et très addictif. Le dessin est très sobre, avec à l’occasion des plans d’ambiance (ronds de pluie dans une flaque d’eau, par exemple) mais surtout centré sur les personnages, avec le poids des non-dits qui passent par un regard, une attitude. Franchement, franchement, franchement bien ! (Mais extrêmement déprimant)
L'Éclaireur - Récits gravés de Lynd Ward
Une œuvre majeure de la bande dessinée. Un grand bravo aux éditions Monsieur Toussaint Louverture pour cette anthologie et pour la qualité de ce coffret. Lynd Ward est un précurseur du roman graphique, c'est lorsque qu'il vit en Allemagne à Leipzig où il suit une formation en gravure qu'il découvre "Le Soleil" de Frans Masereel qui aura une influence déterminante sur ses ambitions artistiques. Ce coffret reprend l'intégralité de ses six romans sans paroles, ils sont proposés dans l'ordre chronologique de création, ce qui permettra de suivre l'évolution graphique de l'artiste. Une œuvre marquée par son époque, de la crise de 1929 à l'aube de la seconde guerre mondiale. Le témoignage sur une période trouble du XX° siècle. Une narration visuelle unique, les symboles sont omniprésents, puisqu'elle permet à chaque lecteur de se l'approprier et d'en faire une interprétation personnelle même si Ward en donne les grandes lignes. Chaque récit est suivi des mots de Lynd Ward qui nous éclairent sur le processus de création. Mais Lynd Ward c'est aussi un peintre et de nombreuses bd pour enfants, souvent avec son épouse May McNeer à l'écriture. Graphiquement, au début j'ai été un peu perturbé, car la dimension des gravures varie souvent d'une planche à l'autre, le choix a été fait de garder les formats originaux des gravures sur bois. Des formats différents qui, finalement, n'ont pas gêné mon plaisir de lecture. On a droit à une image par page ou plutôt d'une image par feuille, ce qui facilite la lecture. Un dessin à la grande force évocatrice, sensuel, puissant, expressif et d'une finesse époustouflante puisqu'il ne joue pas seulement sur un noir et blanc contrasté, comme Masereel, il arrive à immiscer des nuances de gris grâce la technique "La Manière Noire" pour la première fois dans l'histoire de la gravure. Un dessin qui va évoluer de l'expressionnisme allemand anguleux à un style art déco plus doux. Des gravures qui grouillent de détails, qui jouent sur les ombres. Magnifique ! - Gods' Man (1929) _ 139 bois. Ce livre est sorti en octobre 1929, la semaine même du krach de la bourse de New-York. L'histoire faustienne d'un artiste qui renonce à son âme contre un pinceau miraculeux. Un récit sur l'art et le pouvoir de l'argent avec en toile de fond la recherche du bonheur. Une fin inéluctable. Percutant. 4 étoiles. - Madman's Drum (1930) _ 118 bois. L'histoire d'un marchand d'esclaves qui vole un tambour, orné d'un visage de démon, à un homme qu'il assassine. Un récit sur les liens familiaux, la perte d'êtres chers et l'injustice sociale avec un brin de religion. Il faut rester concentré pour bien saisir l'intrigue qui se joue au fil des pages. L'histoire la plus complexe, à mon avis, à décrypter, la narration manque de fluidité. La couverture est issue de ce récit. 3,5 étoiles. - Wild Pilgrimage (1932) _ 108 bois. L'histoire d'un ouvrier d'usine qui abandonne son lieu de travail pour chercher une vie libre. Un récit qui explore la réalité du monde extérieur et son image qui se projette dans l'esprit de chacun. Une narration qui joue sur la couleur de l'encre utilisée pour ne pas nous perdre, le noir pour la réalité et l'orange pour les fantasmes avec en filigrane le racisme. Dérangeant. 4,5 étoiles. - Prelude to a Million Year (1933) _ 30 bois. L'histoire d'un sculpteur qui, dans sa quête de la beauté idéale, néglige la réalité des luttes entraînant ses voisins dans les profondeurs de la grande dépression. Un regard sur la vie nombriliste d'un artiste avec en arrière plan l'injustice sociale. Poignant. 4 étoiles. - Song Without Words (1936) _ 21 bois. L'histoire concerne l'anxiété qu'éprouve une future mère à l'idée de mettre un enfant dans un monde sous la menace du fascisme. Une œuvre réalisée alors que l'épouse de Ward est enceinte de leur deuxième enfant. Visionnaire. 4,5 étoiles. - Vertigo (1937) _ 230 bois. L'histoire se déroule de 1929 à 1935 et suit trois personnages principaux : une jeune femme, un jeune homme et un vieil homme. Chacune fait l'objet d'un chapitre complet. D'abord "The girl" qui se découpe en années, puis "An elderly gentleman" en mois et enfin "The boy" en jours. Une narration maîtrisée et qui s'accélère pour mieux montrer l'impact de la grande dépression, celle-ci transpire dans ces trois vies brisées. Un chef-d'œuvre. 5 étoiles. Une anthologie dense, novatrice et à la forte puissance narrative. Si vous en avez l'occasion, ne vous en privez pas. Culte et gros coup de cœur.
L'Arabe du futur
Je viens de finir le dernier volume de cette série démarrée il y a quelques années déjà. Verdict : totale réussite. La touche de Sattouf pourrait se définir comme une mise à nu simpliste d'un monde complexe. Il nous prend la main et nous emmène partout dans son passé, aucun sujet n'est écarté, il nous raconte sans jugement et sans raisonnement... et on comprend, on ressent cette vie atypique dans ce foyer dysfonctionnel. Un voyage intime intense qui permettra à beaucoup de lecteurs d'ouvrir les yeux sur tant de sujets (l'enfance, l'adolescence, les parents, le moyen orient, les amitiés, la famille étendue, l'observation introspective). Personnellement, j'ai lu chaque volume d'une traite !
Au cœur des solitudes
Comme pour grogro, cette BD m'a touché en plein cœur - je retiens d'ailleurs son conseil de faire une balade pour le jour où j'aurai un souci de pelote... ;-) Dans le domaine de l’écologie, on connaît plus David Henry Thoreau que John Muir. Pourtant, les deux hommes ont des parcours très similaires et beaucoup de points communs, à commencer par leurs origines écossaises. Et hormis le fait d’être également contemporains, nés au début du XIXe siècle, tous deux étaient écrivains, philosophes et naturalistes, avec un profond respect pour la nature et le vivant. Si Thoreau est davantage connu que son cadet de vingt ans, sans doute est-ce dû à l’un de ses ouvrages emblématiques, « La Désobéissance civile », qui a influencé Gandhi et Martin Luther King, ainsi que les mouvements contestataires des années 60 ou encore les anarchistes. Mais Muir aussi a laissé son empreinte en fondant en 1892 le Sierra Club, l’une des premières associations écologiques, toujours très active de nos jours, et en ayant milité aux côtés de Robert Underwood Johnson pour la création du parc national du Yosemite. C’est donc Lomig, auteur dont la bibliographie traduit les préoccupations environnementales et sociétales (Dans la forêt, Le Cas Fodyl…), qui nous met avec bonheur dans les pas de cet arpenteur infatigable qu’était John Muir, en s’inspirant de son journal. D’emblée, on est intrigué par le parti pris du noir et blanc pour un style franco-belge généralement coutumier de la couleur. Et très vite on en réalise la pertinence en examinant le trait, d’une finesse rare, frôlant le sublime, en particulier dans la représentation des paysages, des végétaux et des animaux. Il y a de quoi rester bouche bée, et l’on se dit en effet que la couleur serait redondante ici. Lomig nous donne à voir, de façon réaliste, les beautés d’une nature luxuriante dans de longs passages contemplatifs qui produisent une sensation unique d’immersion. Dans un souci de s’approcher au plus près de l’expérience de Muir, Lomig a respecté la linéarité de son journal, ce qui produit une narration lente, sans à-coups, sans esbroufe, ce qui colle tout à fait au rythme d’une marche au long cours. L’impression globale, c’est que l’auteur a réussi à se mettre dans la peau de John Muir pour nous faire ressentir la plénitude expérimentée par l’Ecossais durant sa randonnée. Mais il n’a pas non plus cherché à enjoliver le sujet plus que nécessaire. Car si ce pionnier de l’écologie pensait parfois avoir l’impression d’être au paradis en observant l’harmonie et la beauté des sites qu’il traversait, son expédition n’a pas toujours été une partie de plaisir. La nature peut se révéler sans pitié, et, comme nous le montre Lomig, notre arpenteur en a fait les frais en contractant le paludisme dans les marécages de Floride, ce qui l’avait énormément affaibli et l’empêcha de poursuivre son voyage vers l’Amérique du Sud. On voit aussi comment l’Homme, en adhérant au progrès technique, en a payé le prix en brisant l’harmonie qui le reliait à la nature. Muir croisera ainsi sur sa route des chasseurs stupides et avinés, des populations traumatisées et appauvries par la guerre de Sécession. Alors qu’il se dirige vers la vallée de Yosemite, il s’émeut des dégâts causés sur la nature par le troupeau de moutons qu’il accompagne en transhumance, ainsi que des scieries installées au beau milieu des magnifiques forêts de la Sierra Nevada. Mais c’est lorsqu’il remet les pieds à New York qu’il prend conscience qu’il ne pourra plus jamais vivre dans la cité grouillante « où un luxe exubérant s’étale face à une misère noire, la plus affligeante qui soit ». A travers les yeux candides et émerveillés de cet être hors-normes, à qui certains esprits très terre-à-terre reprocheront sans doute de n’être qu’un doux rêveur, Lomig nous fait redécouvrir de façon magistrale une nature que nos modes de vie urbains, de plus en plus soumis au tout-technologique, nous ont fait oublier. Une nature que l’être humain continue à maltraiter avec désinvolture, jusqu’à compromettre sa propre survie, peut-être justement parce qu’il a désappris à en apprécier les beautés. « Au cœur des solitudes » est un roman graphique magnifique et, pourrait-on dire, une expérience inoubliable, celle d’un homme remarquable dont l’ambition première était de faire corps avec les éléments.
Lysistrata
Eeeet voui ! Il le fait encore ! M'enfin : qui d'autre est capable de pondre un truc pareil ?! Alors je ne possède aucune culture classique (antique ou autre, sinon un peu de mythologie Grecque (Ulysse reVIEENt...!), mais cette culbute dans l'Histoire via une pièce de théâtre détournée, c'est véritablement à mettre au programme de l'éducation nationale -au moins, ce sera rigolo ! Utilisant à nouveau son artifice du stupre Homosexuel masculin comme liant universel des masses viriles (!!) -et donc socialement dominantes-, Ralf König nous plonge dans un imbroglio socio-politique où, une fois encore, la sensualité l'emporte sur tout le reste. Politique, morale et patriotisme, ainsi que bien d'autres valeurs "construites", sont balayés par un irrésistible raz de marée libidineux quand trois petits cochons se mêlent de détourner le plan -excellent !- ourdi par les épouses pour obliger leurs maris à un cessez-le-feu -bien improbable, d'ailleurs, tant ils sont récalcitrants à abandonner leurs habitudes, aussi vaines et sanglantes soient-elles. Car c'est bien à un affrontement de pouvoir auquel on assiste -entre les genres !- ; et, une fois encore, les impératifs sociaux prédominent sur la raison et le bien-être. Les femelles veulent être des épouses avant tout, aussi limité et dégradant que soit réduit leur rôle par les mâles qui, eux, préfèrent garder leur pouvoir totalitaire ainsi que leurs certitudes, quitte à vivre dans la frustration et/ou se faire trucider sur le champs de bataille. L'auteur continue sa brillantissime démonstration de la puissance subversive de la sexualité réprimée quand elle est brutalement libérée : une révolution. Et, entre parenthèses, une leçon pour les auteurs de Pornographie -surtout occidentale- qui continuent à patauger dans le "consensuel réactionnaire" -voire l'auto-répression !- en ignorant la véritable puissance de l’outil qu'ils manipulent... Propos extrêmement difficile à explorer et exposer tant il est délicat d'établir un équilibre rigoureux entre le fond et la forme, sous peine d'être assimilé à une simple provocation des interdits en vogue. Mais Ralf König y arrive à nouveau, prouvant encore une fois la clarté de sa vision quant à son sujet de référence -nous !-, et son immense talent de conteur en parvenant à nous faire croire à cette fable tant ses personnages vibrent de réalité, dans leurs dialogues si précis comme dans leurs actes -ceux-ci en complète opposition de leurs volontés ! Fidèles miroirs de nos craintes et de nos espoirs les plus simples et naturels, ils nous amènent au bout de leur représentation -triomphale !- grâce, aussi et surtout, à l'humour imparable de leur auteur, véritable gage d'intelligence.