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Note: 5/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Starr le tueur
Starr le tueur

De retour dans les comics underground des années 1970, ou presque - Ce tome regroupe les 4 épisodes de la minisérie du même nom parue en 2009. Dans un pays moyenâgeux, un ménestrel d'une race indéterminée (mais pas de notre terre) raconte l'édifiante histoire de Starr en vers (en tout cas en phrases qui riment). Bizarrement son récit commence avec l'ascension vers la gloire d'un romancier de série Z bien de chez nous (enfin américain). Len Carson a créé Starr, un personnage d'heroic fantasy, barbare de base aux cheveux blonds et à l'épée tranchante. Grâce à sa création, il vend des palettes de livres et il fait la fortune de son éditeur. Il décide de changer de registre pour se lancer dans le roman sérieux et écrire un vrai roman américain qui fera date dans l'histoire de la littérature. La pauvreté est vite au rendez-vous. En parallèle le ménestrel raconte comment Starr a quitté sa cambrousse natale avec son père, son frère et sa sœur, comment il est arrivé à la civilisation (une petite ville avec un système féodal rudimentaire), comment il s'est rapidement retrouvé gladiateur dans l'arène et victime d'un sorcier dont il a malencontreusement tué le frère. Pour des raisons inconnues, Marvel avait décidé en 2009 de ressusciter 2 titres oubliés de tout le monde : Dominic Fortune et Starr the Slayer. Pour mon plus grand plaisir "Dominic Fortune" a bénéficié des talents d'Howard Chaykin, et "Starr" a le droit à un dessinateur encore plus culte : Richard Corben. C'est son nom qui m'a convaincu de me lancer dans la lecture de ce tome. Il faut dire que le personnage de Starr est encore plus obscur que celui de Dominic Fortune. Il s'agit à la base d'un comics écrit par Roy Thomas et dessiné par Barry Windsor Smith, paru pour la première fois en 1970. L'objectif pour Marvel était de voir comment répondrait le public à un comics à base de barbares et d'épées. le résultat ayant été concluant, Roy Thomas et Barry Windsor Smith furent ensuite associés pour lancer l'adaptation en comics de Conan avec le succès que l'on connaît. Pour avoir une idée de la prestation de Corben, il faut commencer par quelques mots sur le scénario. Il a été écrit par Daniel Way qui n'est pas réputé pour sa finesse. Pour autant, dans cette histoire, il fait preuve d'un second degré suffisant pour accompagner les illustrations parfois pince sans rire de Corben. le ménestrel donne le ton du récit : il ne raconte que pour pouvoir payer son loyer, il émaille sa chanson de quelques mots grossiers bien placés et en nombre restreint pour qu'ils gardent tout leur pouvoir. Il présente les événements avec une vision narquoise et légèrement cynique. Daniel Way prend le soin d'inclure tous les éléments propres à ce genre de récit : barbare musclé, épée tranchante, belle demoiselle pulpeuse, méchant sorcier, créatures horribles. Et il prend également soin de prendre le contrepied de certains de ces clichés : demoiselle physiquement plus forte et plus intelligente que le héros, barbare respectueux des lois de la civilisation, femmes entreprenantes au lieu d'être soumises et victimes, etc. Ce scénario est du pain béni pour Corben dont le style marie des éléments hyper réalistes avec des déformations cartoons. le vieux fan retrouve même par moment le Corben des années 1970 quand Starr écrase son poing dans la figure d'un citadin avec la chair qui cède, le sang qui gicle et le lettrage du bruitage limite artisanal. Corben renoue également avec les formes généreuses du corps humain. Son héros présente une musculature qu'aucun culturiste ne pourra jamais égaler, avec des veines saillantes sous l'effort. Les représentantes de la gente féminine disposent de courbes bien en chair (elles sont vraiment girondes) avec une musculature très efficace. Les 2 ou 3 monstres qui apparaissent constituent des croisements entre le règne animal et des déformations répugnantes. de la même manière les races humanoïdes doivent autant aux humains qu'à une imagination parfaitement maîtrisée qui les rend aussi bizarres qu'étranges grâce à un ou deux détails bien choisis. Comme toujours la connaissance anatomique de Corben décuple la force visuelle de chaque mouvement, de chaque blessure, de chaque exagération. Chaque coup porté avec force fait des ravages sur l'anatomie que les illustrations rendent parfaitement et le lecteur voit les dégâts, perçoit la douleur du corps abimé comme rarement dans les comics. Il manque quand même 2 éléments pour que le niveau de provocation des années 1970 soit atteint. le premier est évident : même sous la bannière Max de Marvel, il n'est pas question de montrer des corps nus de front. le deuxième élément que seuls les lecteurs de Den ou Jeremy Brood ou autre décèleront : Richard Corben n'a pas réalisé la mise en couleurs. José Villarrubia réalise un travail de bon niveau, mais qui n'a ni la saveur, ni l'intensité, ni la subtilité des couleurs du maître. "Starr the slayer" constitue un bon défouloir avec quelques touches de second degré et de dérision servi par les illustrations toujours aussi délicieuses de Richard Corben.

16/04/2024 (modifier)
Couverture de la série Bukowski - De liqueur et d’encre
Bukowski - De liqueur et d’encre

Alcoolique, violent, provocateur, machiste, Charles Bukowski a tout du poète maudit et détestable. La gageure pour les auteurs de cette biographie était de nous le rendre intéressant sans cacher ses excès. Et ils y parviennent parfaitement ! A un point tel qu'ils m'ont donné l'envie de lire l'une ou l'autre œuvre de Bukowski (et ça, pour moi, c'est la preuve que le but est atteint). Nous avons pourtant droit à une biographie on ne peut plus conventionnelle. Elle revient dans un ordre chronologique sur le parcours de l'artiste et sa seule originalité est d'être écrite à la première personne. Mais c'est justement en procédant de la sorte que les auteurs parviennent à humaniser ce personnage. Bukowski, battu par son père, addict à l'alcool au plus haut point, obsédé par le sexe et multipliant les conquêtes, enchainant les petits boulots dans l'unique but de récolter suffisamment d'argent pour se saouler un jour de plus. Mais aussi Bukowski galérant dans son ambition d'écrivain, travaillant d'arrache-pied, constamment insatisfait de ses écrits, Bukowski convaincu qu'il fallait souffrir pour bien écrire, et qu'il fallait avoir souffert pour avoir quelque chose à dire. Les réflexions amères succèdent aux punch-lines violentes, cette narration en voix off porte le récit, bien soutenue par un dessin soigné dans un style réaliste tout à fait adéquat. Les auteurs (italiens) livrent une partition sans fausse note au travers de laquelle l'arrogance désespérée, l'irrévérence et les provocations de l'homme finissent par dévoiler la fragilité de l'écrivain. Le portrait de l'écrivain devient fascinant alors même que l'homme est détestable par plus d'un aspect... mais touchant par d'autres. C'est le portrait d'un être brisé et amer pour qui l'alcool est le seul refuge face à son dégoût du monde et de lui-même. La narration, le dessin, le découpage, les petits documentaires insérés : tout est vraiment d'une belle qualité. J'ai dévoré et j'ai adoré. Franchement bien !!

16/04/2024 (modifier)
Couverture de la série Nées Rebelles
Nées Rebelles

Je vais faire court et rapide. Je me méfiais un peu de cet album mais force est de constater qu’il est tout simplement excellent. C’est réalisé avec grand soin. Les différentes parties graphiques m’ont toutes franchement plu, mais la qualité des portraits m’a encore plus emporté, qu’importe la cause, c’est super bien raconté. Une belle leçon et résilience de la part de ces jeunes « rebelles ». J’en conseille vivement la lecture et encourage toutes les médiathèques à le posséder. Coup de cœur !!

16/04/2024 (modifier)
Couverture de la série Les Guerres de Lucas
Les Guerres de Lucas

Il y a longtemps, dans une Californie lointaine, très lointaine... Incontournable pour les adeptes de la saga, ce roman graphique super bien foutu pourra également intéresser les amateurs de backstage de cinéma tellement l’œuvre regorge d’anecdotes tout en étant dotée d’une narration fluide et assimilable par n’importe qui. Ce livre ce lit comme un vrai page-turner, j’ai été scotché de bout en bout et pourtant je ne suis pas un néophyte : j’ai vu les 6 premiers films des dizaines de fois chacun, j’ai lu des comics, des romans, fait tous les jeux vidéos, je me suis intéressé à d’autres médias, bref, je connais plutôt bien l’univers Star Wars par rapport à la moyenne. Après pour certaines personnes c’est quasiment une religion il faut dire, donc des trucs diverses et variés on peut en apprendre tout les jours. J’ignorais par exemple que les interprètes de C3PO et R2-D2 ne pouvaient pas se blairer sur le tournage (est-ce toujours le cas ? ), l’infarctus de Lucas, sa jeunesse rebelle dont je n’avais pas le moindre soupçon (quand on voit Lucas il fait plus pépère tranquille, même lorsqu’il était jeune), je ne vais pas vous gâcher le plaisir de lecture en vous spoilant le récit mais il y a à boire et à manger là-dedans. Ce qui est diablement intéressant, et c’est le tour de Force des auteurs, c’est d’avoir réussi à conjuguer une biographie intimiste de Georges Lucas tout en étant à la fois une histoire sur la production du tout premier « La Guerre des étoiles », de l’envie du réalisateur de créer quelque chose qui lui ressemble et qui sort des sentiers battus à la sortie dudit film et le ras-de-marée culturel qu’il a représenté. C’est une véritable aventure en parallèle de ce space fantasy qui nous est contée, et de for belle manière : Lucas cet homme taiseux et affable m’a touché par sa réserve, les gens de la 20st Century Fox au contraire apparaissent comme des méchants de James Bond tant ils sont vénales et calculateurs (c’est romancé mais est-ce si éloigné de la réalité ? ), certains personnages m’ont déçu : je savais par exemple qu’Alec Guinness trouvé les dialogues enfantins, ou que pas grand monde parmi le crew ne croyait au projet, mais j’ai été surpris que des Ford, Fisher ou Kenny Baker, c’est-à-dire des moins que rien avant ce film, se foutent ouvertement de ce film « de merde ». Cela a été plus qu’un parcours du combattant la réalisation de ce film, dans la lignée de ces films maudits comme Fitzcarraldo, Don Quichotte ou Waterworld. Lucas a sué sang et eau pour le mener au bout et il est intéressant de remarquer que si son succès repose pour l’immense partie sur les épaules de Lucas imself, quelques noms de notables sont à ajouter, des gens qui ont cru au projet et en l’homme : sa femme Marcia Lucas sa première critique et relectrice et son équipe de monteurs, Gary Kurtz le producteur exécutif le Sam de l’équipe, Tom Pollock son avocat qui a négocié le contrat du siècle, Ben Burtt prodige des effets sonores, John Williams l’un des plus grands compositeurs de cinéma, Alan Ladd indéfectible soutient de Lucas envers et contre tous, George Mather qui a remis de l’ordre dans le bordel des studios I.L.M ; Willard et Gloria Huyck les dialoguistes (sans eux ça ne ressemblerai à rien vu que Lucas « ne sait pas écrire »), Fred Roos le directeur de casting qui a eu du flair. Ah oui ! Et le dessin est juste parfait, aux petits oignons, il sert parfaitement la narration, le code couleur est génial, y rien à redire, c’est très plaisant à regarder.

16/04/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Bone - Rose
Bone - Rose

Un ravissement enchanteur -Les événements de ce tome se déroule avant ceux de la série Bone (à commencer par La Forêt sans retour). Il comprend les 3 épisodes de la minisérie du même nom, initialement parus de 2000 à 2002. Il est possible de lire cette histoire, sans avoir les 9 tomes de la série Bone. le scénario a été écrit par Jeff Smith (l'auteur De Bone). Les dessins, l'encrage et la mise en couleurs ont été réalisés par Charles Vess. Il y a longtemps dans un autre monde, Mim, la reine des dragons, veillait sur le monde des rêves. Mais celui-ci fut corrompu par une entité appelée le Seigneur de Locustes qui prit possession de Mim. Il s'en suivi un terrible affrontement qui s'acheva avec la pétrification des 2 adversaires, même si l'esprit du Seigneur des Locustes rôde encore. À Atheia, la capitale du royaume, Briar et Rose (les 2 filles de la reine et du roi) étudient sous la tutelle d'un maître Veni-Yan pour apprendre à ouvrir leur oeil du rêve. le temps de leur initiation est bientôt venu. Dans la forêt le Grand Dragon Rouge suit leur progrès de près. Mais voilà que Balsaad (un dragon de rivière) est sorti du fleuve pour semer la destruction dans les villages voisins. La publication de la série Bone s'est étalée de 1991 à 2004, en 55 épisodes. En cours de route, Jeff Smith a décidé de raconter un épisode de la jeunesse de l'un des personnages principaux : Rose Harvestar, sans oublier sa sœur Briar. Il en résulte l'histoire d'une princesse courageuse, doté d'une capacité surnaturelle, qui va découvrir l'étendue de son pouvoir, les responsabilités qui viennent avec, et qui devoir faire preuve d'encore plus de courage. Dans la mesure où cette histoire est racontée par le créateur de la série Bone, elle s'y insère sans solution de continuité. le lecteur retrouve donc des personnages qui lui sont déjà familiers. Outre les 2 sœurs, il y a le Grand Dragon Rouge, Lucius Down, Mim, l'Encapuchonné (le porte-parole du Seigneur des Locustes), le clan des Veni-Yan, les rats garous. Il séjourne le temps de quelques pages à Atheia. Il découvre les 2 chiens de Rose : Cleo et Euclid. Le lecteur découvre avec plaisir cette histoire de "Sword & sorcery" qui défie les conventions du genre. Il y a bien un méchant dragon et des villageois apeurés, une princesse (et même 2) et un brave capitaine des gardes, une reine & un roi et un esprit maléfique, des combats à l'épée et du feu craché. Mais les héros sont 2 jeunes femmes qui ne savent pas tout, les vrais méchants sont des sortes de sauterelles (des locustes), Rose peut entendre ce que disent ses chiens, et il existe une troisième faction plus puissante (le Grand Dragon Rouge) qui n'intervient pas à la fin pour sauver tout le monde. Surtout cette histoire bénéficie de la mise en images exceptionnelle de Charles Vess. Ce dernier avait déjà réalisé des illustrations magnifiques pour un récit de Neil Gaiman : Stardust : le mystère de l'étoile. Il avait également mis en images 2 épisodes magiques de la série Sandman, dans lesquels William Shakespeare faisait affaire avec Morpheus. L'enchantement commence dès la première page avec cette vision de Mim enserrant la Terre, sur fond étoilé. Les traits sont fins et délicats, avec une approche mélangeant le merveilleux de l'enfance (le fond étoilé) et une mise en scène appréciable par des adultes, rendant bien compte de la dimension mythique de cette séquence. La séquence suivante permet de découvrir Rose et Briar, d'apprécier la sensibilité de Vess pour ces personnages, leurs coiffures, leurs robes, l'architecture de l'arrière-plan. Les parents sont vêtus d'habits royaux, simples sans être stéréotypés, au drapé élégant. La scène du départ d'Atheia invite à s'arrêter sur le harnachement des chevaux. La progression à travers les bois montre des arbres dénudés dont il est possible de reconnaître les essences, les formations rocheuses, et la végétation. La petite troupe progresse en respectant le relief, à l'opposé d'un décor factice et de personnages évoluant sur une scène de théâtre vide. De page en page, le lecteur apprécie que chaque page soit visuellement intéressante, sans raccourci graphique pour éviter de dessiner ceci ou cela. Les personnages ont des morphologies diverses et plausibles. Les mises en scène sont adaptées à chaque séquence, qu'il s'agisse d'un échange verbal délicat, ou d'une scène d'affrontement physique. Les créatures surnaturelles sont bizarres sans être ridicules, ou bêtement effrayantes. Chaque environnement est spécifique, évitant l'impression de décor passepartout. Charles Vess effectue lui-même sa mise en couleurs qui vent complémenter avec intelligence et retenue ses dessins aérés et minutieux. Les couleurs de chaque case ont été pensées pour refléter la nature de la luminosité, en toute discrétion. Charles Vess se montre encore plus fort quand il s'agit de représenter des personnages que le lecteur connaît déjà. L'exemple le plus frappant est le Grand Dragon Rouge qui est exactement comme Jeff Smith le représente dans la série Bone, tout en bénéficiant de la délicatesse des traits de Vess, parfaitement intégré au reste des composants de l'image. Au fur et à mesure des pages, le lecteur prend pleinement conscience que le charme de cette histoire doit plus aux dessins de Charles Vess, qu'à l'intrigue en elle-même. L'approche picturale de Charles Vess amalgame les aspects merveilleux ou fantastiques de ce conte (à commencer par les dragons) et les aspects plus réalistes (évocation d'un moyen-âge courtois, tenues vestimentaires, nature, personnages crédibles). le lecteur apprécie aussi bien le détail d'une ferrure de porte, qu'un tapis neigeux, ou les ondulations de Balsaad dans la rivière. Grâce au dessinateur ce qui n'aurait pu être qu'un conte linéaire devient les histoires entremêlées d'individus forts et fragiles, dans des décors délicatement sublimés. Pour l'initiation de Rose (futur mamie Ben), Jeff Smith a trouvé le dessinateur parfait pour donner corps à son récit. Il flotte une atmosphère délicate, teinté de fantastique dont le pouvoir de séduction entraîne tous les lecteurs (mêmes les adultes blasés) dans ces endroits où se battent princesses et dragons, sans une once de mièvrerie ou de suffisance hautaine. le récit est narré par deux créateurs amoureux du genre, qui refusent la facilité. Il en résulte un récit enchanteur au premier degré, avec une thématique sur les compromis inhérents à la vie d'adulte, sur la nature du courage.

16/04/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Le Démon
Le Démon

Une leçon graphique, un concentré de Jack Kirby - Ce tome regroupe les 16 épisodes de la série originale, parus d'août 1972 à janvier 1974, écrits et dessinés par Jack Kirby, encrés par Mike Royer. La légendaire cité de Camelot est assaillie et la tour de Merlin est la proie des flammes. Margane le Fey tient sa revanche. Merlin accomplit un dernier acte avant de disparaître : associer Etrigan le démon à Jason Blood un être humain. de nos jours (enfin plus dans les années 1970 au vu des coiffures et des vêtements), Jason Blood est un démonologiste reconnu qui a pignon sur rue et qui est installé à Gotham. Dans le premier épisode, il reçoit la visite de Warly (l'aide de Morgane) dans son appartement. Après une confrontation physique, il reçoit l'aide d'un être de pierre muet. Ensemble ils se rendent dans un endroit qui évoque un village fermier dans une Europe de l'Est de pacotille. Au cours de ces 16 épisodes, le lecteur fait connaissance avec les rares amis de Jason Blood : Harry Matthews, Randu Singh et Glenda Mark. le Demon se bat contre Morgane le Fey (épisodes 1 & 2), contre une secte capable de transformer les homos sapiens en hommes de Neandertal (épisode 3), contre une sorte de sorcière vaudou capable de faire surgir des monstres (épisode 4 & 5, avec l'aide de Merlin), contre un homme-bête victime d'une malédiction (épisode 6), contre Klarion un enfant sorcier pas commode (épisodes 7, 14 et 15), contre une variation du le fantôme de l'opéra (épisodes 8 à 10), contre un dérivé du docteur Frankenstein (épisode 11 à 13) et une dernière fois contre Morgane le Fey (épisode 16). Dans la production de Jack Kirby, cette série présente plusieurs particularités. Tout d'abord elle est entièrement indépendante ; elle ne fait intervenir aucun autre personnage de l'univers partagé DC. Ensuite, Kirby a choisi un personnage principal issu des enfers : le démon Etrigan. Les éditeurs de DC ayant décidé de mettre un terme aux séries regroupées sous le nom de Quatrième Monde, ils demandèrent à Kirby de proposer de nouvelles idées. Pour ce titre, Kirby bénéficie de toute la latitude qu'il souhaite : il est même responsable éditorial de sa propre série. En termes de narration, Jack Kirby réduit ses personnages à leur plus simple expression. Harry Matthews est un monsieur peu cultivé qui ne comprend pas les termes compliqués et qui fume des cigares (vous n'en apprendrez pas plus sur lui au long des 16 épisodes). Glenda Mark est une jolie jeune femme aux nerfs solides, qui ne semble pas travailler et qui en pince pour Jason Blood de manière plus amicale qu'amoureuse. Randu Singh apporte une touche d'exotisme du fait de son origine indienne, et de mystère du fait de ses vagues pouvoirs extra-sensoriels. Même Jason Blood n'affiche pas une personnalité très affirmée. Etrigan provient des enfers, mais il a un sens moral irréprochable et c'est un pourfendeur de monstres en tous genres. La logique des récits est parfois incroyablement gauche, avec Jason Blood qui se transforme en Etrigan juste à 5 pages de la fin pour le combat décisif. le deus ex machina de la pierre philosophale prête également à sourire. Donc l'intérêt de ces histoires se trouve ailleurs : les monstres improbables et incroyables qu'affronte Etrigan et le parfum de légende qui se dégage de chacune des histoires. Kirby a été piocher dans sa carrière de créateur de monstres en pagaille pour engendrer une horreur après l'autre, avec certaines vraiment magnifiques. J'ai beaucoup apprécié le monstre qui donne son pouvoir à la sorcière vaudou, Klarion et son air gothique, la majesté du fantôme des égouts, l'idole antique de la secte, etc. Et ces monstres ne se résument pas à un concept simple, ils disposent chacun de graphismes incroyables. En fait j'ai voulu découvrir ces épisodes pour me replonger dans les graphismes sans concession de Kirby. Si vous voulez découvrir en quoi Jack Kirby était un illustrateur sans égal qui a imprimé une marque indélébile sur l'imagerie des comics, ce tome est fait pour vous. Il est visible qu'il a consacré beaucoup de temps à peaufiner ces histoires, en particulier les deux premiers tiers de la série. À elle seule, la couverture donne une idée de l'incroyable énergie contenue dans chaque dessin. Bien sûr il est facile de trouver ridicule les expressions exagérées des personnages, les émotions exacerbées et les postures théâtrales. Mais dès la première page, la force et la puissance de conviction s'empare du lecteur. Dès la première page (une pleine page), les célèbres points d'énergie (Kirby crackles) encadrent Merlin à sa fenêtre. Incroyable ! le lecteur distingue la chaleur des flammes, leur nature surnaturelle du fait de leur forme et de leur énergie, la solidité des pierres de la façade, ainsi que les décorations qui constituent autant de charmes magiques de protection. Les pages 2 & 3 ne forment qu'une seule illustration (double page) barbare, brutale et magique : une troupe de guerriers en armure donne l'assaut aux remparts, le feu ravage la citadelle, les armures sont toutes différentes, une boule de feu traverse le ciel, l'un des guerriers porte un casque qui évoque un modèle utilisé par les footballeurs américains. C'est ahurissant tout ce qu'il a réussi à mettre dans cette page. Morgane le Fey est impériale, étrangère et barbare, fantastique. La première apparition de Warly en vieillard irascible dont le visage est parcheminé convainc le lecteur de sa laideur intérieure et de sa dangerosité. Chaque monstre est magnifique : l'interprétation démesurée du monstre de Frankenstein est convaincante, Klarion redéfinit à lui seul el terme gothique grâce à a tenue de puritain, la petite créature toute blanche et pelucheuse est aussi mignonne que dégénérée. Jack Kirby s'est surpassé pour la double page de l'épisode 12 où Etrigan découvre toutes les créatures composées dans un laboratoire de sorcellerie. L'encrage du Mike Royer est épais comme il faut, formidable. Cette édition comprend quelques pages crayonnées qui permettent de comprendre le travail de l'encreur et le respect avec lequel il a transcrit les crayonnés. Et les textures ! Quand Kirby représente une construction en pierre, c'est de la pierre de taille massive. Quand il décrit une vue aérienne de Gotham, il arrange les ombres des immeubles pour que cet arrière plan devienne une composition abstraite recelant une intention mystérieuse à la lisière de la compréhension. Les coulisses du théâtre avec leurs panneaux en bois évoquent l'ancienneté des lieux, l'amour du travail manuel des artisans qui ont fabriqué les décors, etc. Non, je ne suis pas en plein délire, je me régale de cette vision d'artiste du monde qui nous entoure. Kirby porte un regard personnel sur la réalité, dont ses illustrations portent la marque. Si vous ne connaissez pas Jack Kirby et vous vous demandez pourquoi les anciens le vénèrent, ce tome recèle des trésors graphiques inouïs. Si vous connaissez déjà le style de Jack Kirby, il apparaît ici dans sa forme la plus mature et la plus pure.

15/04/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Jeremy Brood
Jeremy Brood

Héros malgré lui, jusqu'au bout - Il s'agit d'une histoire complète en 1 tome, indépendante de toute autre. le scénario est de Jan Strnad (attention, l'association des orthophonistes vous déconseille de prononcer son nom à haute voix), les illustrations et les couleurs de Richard Corben. Cette histoire a été publiée pour la première fois en 1982/1983. Quelque part dans le vide de l'espace, à bord d'un petit vaisseau isolé, Charlene et Jeremy Brood essaye d'avoir un rapport sexuel en attendant que leur soit confiée une mission. Leur tentative est interrompue par un message codé requérant leur aide sur Eden, une planète éloignée, mais la fin du message qui explique la situation et la solution est indéchiffrable. Charlene et Jeremy se rendent compte que leur voyage durera 2 mois, mais que sur la planète 200 ans se seront écoulés. Sur place, Finchley, un étrange meneur religieux, rend visite à Brynne (une jeune vierge en âge de procréer détenue dans une tour). Cette dernière lui dit avoir vu arriver une étoile filante, en plein jour. Finchley comprend que le sauveur annoncé par la prophétie vient d'arriver. Il est urgent de prendre contact avec lui. Strnad et Corben invite le lecteur à suivre le parcours de Jeremy Brood sur cette planète étrange. le scénario expose à grands traits la situation : le peuple habitant la cité où se trouve Finchley est oppressé par un mystérieux Holobar qui n'apparaît qu'une seule fois dans le récit. Brood est décrit comme un militaire compétent avec un entraînement qui lui confère une grande science du combat à main nue, et armé. Il a pour équipière une femme noire magnifique à la forte personnalité, et tout aussi compétente que lui. Brood plonge au cœur du mystère que représente cet appel de détresse auquel il manque la fin. Mais bien vite il est dépassé par les événements et il se retrouve au milieu d'une mise en scène qui le prend de court. Au-delà de ses capacités physiques et tactiques, Strnad le décrit comme un individu normal n'ayant pas la science infuse et se sentant moyennement concerné par le sort des indigènes. Dans une interview, Strnad a expliqué que la série n'avait pas rencontré le succès escompté et que c'est la raison pour laquelle la fin est aussi abrupte. À la lecture, la fin ressemble à une chute qui prend les attentes du lecteur à contrepied, de manière magnifique. Non seulement elle s'accorde parfaitement avec le personnage faillible de Jeremy Brood, mais en plus elle met en perspective le récit comme une histoire choisissant le chemin le moins emprunté. Strnad répond à une question aussi basique que rarement abordée, propre à tous les récits mettant en scène un héros valeureux et courageux, avec une chute aussi évidente qu'ironique. En quelques cases et quelques répliques, Strnad sait doter chaque personnage de particularités psychologiques crédibles. Jeremy Brood n'est pas un simple militaire capable de terrasser tout le monde en combat singulier et d'inventer des stratégies brillantes. Il apparaît également qu'il a des doutes sur ses capacités, et sur la nature de la mission qu'il doit effectuer. Dès la première scène, Charlene dispose d'une forte personnalité, éloignée de tout stéréotype, et cohérente avec sa fonction militaire. Strnad dresse un portrait aux petits oignons de Finchley, en sage retors, pas dupe, et agissant selon un plan d'actions mûrement réfléchi. le lecteur familier de Corben sent poindre toute la rouerie attribuée aux vieux dans ses histoires (en moins pervers que d'habitude). Ce récit est également unique du fait des illustrations de Richard Corben. Il s'agit donc d'un récit où il assure lui-même la mise en couleurs principalement à l'aérographe, mais également avec tout ce qui lui semble pertinent. Cette technique sophistiquée (à une époque où l'infographie n'existait pas) lui permet de donner un relief unique à chaque forme, et de le contraster avec les surfaces colorées par un ton plein. S'il peut être difficile pour de jeunes lecteurs de se rendre compte de la prouesse technique pour l'époque, la maîtrise des couleurs reste évidente après toutes ces années et elle n'a rien à envier aux meilleurs metteurs en couleurs actuels. Les tons sont aussi riches, intenses et chauds. de plus Corben a l'art et la manière de gérer sa palette pour créer des ambiances de couleurs spécifiques à chaque scène, sans s'éparpiller dans une démonstration stérile. Lors de la deuxième scène, le lecteur découvre une zone boisée sur la planète Eden, avec une flore délicieusement extraterrestre, dans des tons vert-bleu succulents. le lecteur peut aussi apprécier l'aspect visuel du monstre qui se délecte d'une sorte de rongeur. Cette scène oppose 2 esclaves à leur maître et le sang coule. Là encore la maîtrise de Corben éclate : il évite les litres d'hémoglobine pour avoir un écoulement de sang normal dont le rouge tranche avec encore plus d'intensité sur le reste des couleurs. Richard Corben utilise un style qui marie des éléments photoréalistes, avec d'autres plus esquissés, afin de donner encore plus de substance aux premiers. Les 3 premières cases représentent le petit vaisseau spatial vu depuis l'espace. Corben a conçu une forme biscornue qui a tout son sens dans la mesure où le frottement est négligeable dans le vide spatial. Il utilise un rendu très travaillé pour les jeux de lumière sur le métal. le lecteur pénètre ensuite dans l'habitacle et contemple Charlene et Jeremy dans le plus simple appareil (nudité frontale au dessus de la ceinture) et leur corps d'athlètes musculeux. Par contraste, le panneau de contrôle de la radio est rendu de manière plus grossière, intensifiant ainsi la présence des 2 humains. Il faut dire que les illustrations de Corben traduise une fascination pour la plasticité de la chair et pour le corps humain (ou extraterrestre de forme humanoïde). Avec ce mode représentation, les personnages s'incarnent avec intensité dans chaque case. Une autre scène très intense correspond au sacrifice de la vierge qui a dénudé son corps pour la cérémonie (nudité frontale totale). Corben joue avec le voyeurisme du lecteur dans une mise en scène époustouflante mêlant la tension générée par le sacrifice, la position moralement inconfortable de Brood et les bizarreries de la cérémonie. Corben marie horreur, érotisme et humour de façon magistrale. À rajouter à son crédit, il y a encore sa capacité à créer des apparences visuelles chargée d'ironie pour les monstres. Une fois le vaisseau posé sur Eden, Jeremy Brood effectue une sortie et se retrouve face à 2 créatures mutantes agressives qui se battent pour essayer de récupérer une sorte de ver fouisseur. Il leur donne une apparence dégingandée de dégénérés pourvus de 2 neurones, aux instincts les plus bas. À la fois leur apparence et leur langage corporel sont un délice d'ironie et de moquerie, tout en leur conférant un comportement hautement dangereux. L'histoire de Jeremy Brood n'a rien de banal. Elle suit le parcours atypique d'un héros malgré lui. Elle mélange harmonieusement science-fiction, horreur et quelques scènes érotiques, avec un grand sens de la dérision et du second degré. Elle bénéficie des illustrations sophistiquées de Richard Corben, à l'esthétisme exubérant et second degré.

15/04/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Sláine - L'Aventurier
Sláine - L'Aventurier

4 récits courts qui réunissent Sláine et Ukko, pour débiter des monstres pas beaux - Ce tome regroupe 4 histoires courtes, écrites par Pat Mills, et illustrées à l'infographie par Clint Langley. le nom de John Hicklenton apparaît sur la couverture essentiellement à titre d'hommage posthume, et pour une ou deux esquisses figurant entre les histoires. Pour information, ces histoires se déroulent après les 3 tomes de Geste des invasions, mais elles peuvent se lire sans rien connaître de Sláine. Le sonneur de gong (Progs 1635 à 1638) - À nouveau seul et démis de sa couronne, Sláine reprend sa vie de nomade à travers le territoire d'Albion, avec sa grande hache à l'épaule. Il arrive devant une tour désaffectée ayant été habitée par des Cyth, une race de monstres néfastes pour les humains. Une puanteur pestilentielle se dégage des pourtours de l'édifice. Un gardien se tient à l'entrée, il est en train de se prendre le bec avec une ancienne compagne. Il réclame de l'argent à Sláine sur un ton péremptoire. Une fois cette affaire vite réglée, il a la surprise de retrouver Ukko, un nain difforme qui l'a accompagné dans plusieurs aventures, à l'intérieur de la tour. Le contrebandier (Progs 1662 à 1665) - Sláine arrive à proximité de la cite de Bethlusion où il a maille à partir avec des soldats chargés de traquer les voleurs d'ambre. Une fois à l'intérieur de la cité, il retrouve Ukko dans une fâcheuse posture qui lui indique que le maître de céans détient Sorcha, une femme ressemblant à Niamh (l'épouse défunte de Sláine). En passant, Ukko précise qu'il a un plan infaillible pour ressortir avec une quantité appréciable d'ambre, en douce. L'exorciste (Progs 1709 à 1712) - Ukko a pris la succession d'un exorciste et il s'est adjoint les services de Sláine pour calmer les démons qu'il extirpe de leurs victimes. Une jeune femme bien possédée arrive pour une consultation. Le mercenaire (Progs 1713, 1714 et 2011) - le temps d'une bataille décisive entre des humains inféodés aux Folmorians et des humains libres est venu. Mais avant l'affrontement, le camp des humains libre organise une partie de murderball pour se mettre en condition. Un arbitre donne le coup d'envoi, une tête tranchée sert de balle et le but est d'amener cette balle dans le camp adverse. Tous les coups sont permis, l'usage des armes aussi. Ces 4 histoires courtes sont l'occasion pour Pat Mills de se défouler un peu entre 2 histoires au long cours. Il réintègre le personnage d'Ukko, un faire-valoir comique que Sláine maltraite régulièrement. Il propose des récits très linéaires dans lesquels tout se règle par la force du plus, et le plus fort, c'est Sláine. Malgré tout, il n'est pas possible de réduire ces 4 nouvelles à l'état de simple farce. Pour commencer, Mills introduit les pérégrinations de Sláine en évoquant un dicton druidique selon lequel il y a 4 âges dans la vie d'un homme. Pour commencer il y a l'enfance, puis se faire sa place dans le monde (apprentissage), puis fonder et subvenir à une famille. le quatrième âge survient lorsque la famille est indépendante, il est alors temps de retourner vadrouiller de par le monde. Ensuite, si chaque récit débouche sur un carnage en bonne et due forme, il n'en reste pas moins que Mills se fend d'une intrigue basique mais solide. Enfin le retour d'Ukko s'accompagne d'un changement de ton qui devient moins sombre grâce à plus d'humour noir et cynique. En effet, il ne faut pas s'attendre à découvrir de gentils contes pour enfants. Il s'agit de Sláine et il est bien clair que la relation entre lui et Ukko se nourrit de haine, de cruauté, avant toute forme d'entraide. Et bien évidemment, Sláine se bat contre des monstres ignobles, n'ayant pour seul objectif que de trucider de l'humain, de la manière la plus douloureuse qui soit. Et pour ce dernier point, Clint Langley est l'illustrateur de la situation. Il utilise l'infographie pour incorporer des éléments photographiques, essentiellement pour les visages et pour les textures des décors et des vêtements. La première fois que l'on découvre ses illustrations, on est pris d'une sensation d'écœurement visuel du fait de la forte densité d'informations contenues dans chaque case. Dès la première case (une pleine page), le lecteur peut contempler à loisir un ciel nuageux et gris très réaliste (presqu'une photographie), une tour de plusieurs étages très ouvragée où il est possible de distinguer les moindres détails (mis à part un ou deux lambeaux de brume). Et cette tour est rendue de manière réaliste, à nouveau de façon quasi photographique, avec son reflet dans une étendue d'eau devant. Et en premier plan sur la gauche se tient Sláine avec sa hache démesurée. Il faut donc un peu de temps pour que le lecteur ajuste son mode de lecture à la richesse des illustrations. Il fait bon s'arrêter de temps à autre pour jouir d'un casque finement ciselé, de l'apparence contre nature d'un monstre, de la texture d'une pierre, de l'incroyable travail d'orfèvre effectué sur les armes blanches, de la précision maniaque des giclées de sang. Enfin pour ce dernier point, Langley s'en sert d'abord comme élément humoristique visuel (le pauvre Ukko avec ce sang vert sur la figure pendant tout l'exorcisme). À condition de supporter ce mode de représentation très intense à l'apparence photographique, le lecteur bénéficie d'une immersion unique en son genre dans ce monde barbare et haut en couleurs. Pat Mills et Clint Langley racontent 4 histoires courtes dans la vie de Sláine. C'est l'occasion de maltraiter Ukko, de massacrer des monstres et de revenir sur des pratiques barbares d'un autre âge, dans une débauche graphique d'une richesse étourdissante.

15/04/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série DareDevil - Guerre et amour
DareDevil - Guerre et amour

Thriller intense, magnifié par les illustrations - Il s'agit d'une histoire complète en 63 pages publiée sous forme d'une graphic novel en 1986. le scénario est de Frank Miller et les illustrations peintes par Bill Sienkiewicz. Vanessa Fisk (la femme de Wilson Fisk, le Kingpin) est dans une léthargie dont elle ne sort qu'à de brefs intervalles. Or le Kingpin est toujours amoureux d'elle. Il a donc décidé de prendre les choses en main et de lui trouver le meilleur docteur en psychiatrie qui soit. Mais engager Paul Mondat ne lui suffit pas, il veut être sûr d'obtenir son entière implication pour soigner sa femme. Donc plutôt que de simplement lui demander de soigner Vanessa, il fait enlever Cheryl Mondat, sa femme qui est aveugle) par un individu prénommé Victor qui se révèle être un dangereux psychopathe pas bien du tout dans sa tête. de son coté Daredevil a le sentiment que le Kingpin est sur un gros coup ; donc il se rend Chez Josie, un bar mal fréquenté, pour faire pression sur Turk Barrett, indicateur pas très futé. 3 ans après avoir quitté la série de Daredevil, Frank Miller revient au personnage pour une histoire complète illustrée par un artiste exceptionnel. Ils collaboreront à nouveau pour Elektra, l'intégrale. Dès les premières pages, le lecteur assiste à un spectacle extraordinaire, hors du commun. La première est une illustration pleine page figurant l'horizon des immeubles newyorkais, avec le building du Kingpin dépassant de plusieurs étages cet horizon et captant toute la lumière du soleil. Les bâtiments en dessous sont essentiellement représentés par des rectangles striés de traits de pinceau horizontaux et verticaux pour évoquer les divisions en étages et en fenêtres. La deuxième page comporte 4 cases de la largeur de la page où le lecteur découvre le visage apaisé d'une jeune femme au milieu de draps d'un blanc étincelant dans un lit immense. La seconde case est mangée au deux tiers par une sorte de tissu imprimé dont la troisième case montre qu'il s'agit des motifs sur le gilet du Kingpin. Il est représenté comme une masse imposante (5 fois celle de sa femme), avec un torse disproportionnée et une toute petite tête ronde perdue au milieu. Tout au long de l'histoire, Sienkiewicz va adapter son style graphique à la scène qu'il représente. Le lecteur passera ainsi d'un style de peinture évoquant le stylisme de magazine féminin (la première fois que l'on voit le visage quasi angélique de Cheryl Mondat, pas Monday), à des représentations symboliques tels les tuyaux pour figurer les canalisations des égouts, ou des bruits directement représentés à la peinture dans la case (le vacarme assourdissant de la rame de métro), en passant par une aquarelle pleine page dans laquelle un chevalier s'en va vers le soleil couchant, en chevauchant sa monture dans un ciel embrasé. La mise en images de cette histoire constitue une incroyable aventure graphique qui transfigure un récit bien tordu d'enlèvement d'une jeune femme sans défense, réduite à l'état de pion dans un jeu de pouvoir pervers. Sienkiewicz fait fi de tous les codes graphiques propres aux superhéros, pour interpréter chaque scène, en donner une vision amalgamant des éléments figuratifs, avec des formes symboliques traduisant l'état psychologique des individus où la manière dont ils sont perçus par ceux qui les entourent. Cet emploi de différents styles graphiques peut constituer soit une débauche de moyens démesurés par rapport au récit, soit une révélation de la manière dont un artiste doué peut donner à voir des sensations, et des paysages intérieurs des individus. De son coté, Frank Miller a amélioré ses techniques de narration par rapport aux épisodes de Daredevil, et le fait de livrer une histoire complète lui évite de s'éparpiller. le lecteur de ses épisodes de Daredevil retrouve avec plaisir le Kingpin, ainsi que Turk Barrett et le bar Chez Josie. Mais arrivé à la moitié du récit, il se rend compte que Daredevil n'est que l'un des 2 personnages principaux, l'autre étant Victor, ce tueur psychopathe. En effet il apparaît dans 26 pages sur 63. Et Miller a développé pour lui une écriture en flux de pensée qui rend compte de l'état de perturbation de ses processus mentaux. Il n'y a pas de bulles de pensées à proprement parler, mais des brèves cellules de texte accolées au personnage dans lesquelles ses pensées sont retranscrites comme un flux (Mondat, not Monday), avec des phrases inachevées, qui passent d'un sujet à un autre. Cette technique est d'une efficacité incroyable pour rendre compte des pulsions antagonistes qui se bousculent dans ce cerveau dérangé. Bien sûr la mise en image non conventionnelle de Sienkiewicz permet d'encore accentuer l'effet déstabilisant et finit par rendre angoissante une petite culotte à fleurs dans un placard. Victor est la grande réussite de cette histoire avec un accès à ses pensées établissant son caractère dangereux et incontrôlable comme dans peu de récits. La contrepartie de la place accordée à Victor est que Daredevil parait presque invité dans cette histoire, plutôt que de remplir la fonction de (super)héros conventionnel. Ce décalage est encore accentué par le fait qu'il ne participe que peu à la résolution du conflit principal. Par contre la nature finie du récit permet également à Miller de développer une thématique selon plusieurs points de vue, aboutissant à un fil conducteur des plus sardoniques (celle du chevalier et de la princesse à sauver). La collaboration entre Miller et Sienkiewicz atteindra un stade encore supérieur dans "Elektra assassin". Ce récit constitue la première collaboration entre 2 créateurs d'exception dont les forces s'additionnent pour aboutir à un récit bien noir, magnifié par des illustrations à base de styles différents pour mieux traduire la vision de la réalité de chaque personnage. Un tour de force graphique.

15/04/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Elektra (Delcourt)
Elektra (Delcourt)

Lait, batteur à œuf et mayonnaise - Ce tome regroupe les 8 épisodes de la minisérie initialement parue en 1986/1987. Quelque part dans un asile de San Conception, un pays d'Amérique du Sud, une jeune femme subit l'incarcération primitive réservée aux malades mentaux tout en examinant ses bulles de souvenirs. Elle se souvient quand elle était le ventre de sa mère, de la mort de sa mère, de sa tentative de suicide, de ses années de formation d'arts martiaux avec un sensei, puis avec des ninjas mythiques (Star, Shaft, Flame, Claw, Wing, Stone et Stick), etc. Petit à petit elle se rappelle l'enchaînement des événements qui l'a conduite à cette situation. Elle doit maintenant s'évader et empêcher la Bête de déclencher une apocalypse nucléaire. Elle doit également échapper aux équipes du SHIELD (une organisation étatsunienne de contre-espionnage aux gadgets haute technologie). Pour ça elle va manipuler sans vergogne John Garrett, un agent très spécial, même parmi ceux du SHIELD. L'introduction apprend au lecteur que ce projet était un souhait de Frank Miller qui a eu la latitude d'être publié par Epic Comics (la branche adulte de Marvel à l'époque) et que dès le départ il avait souhaité que l'histoire soit illustrée par Bill Sienkiewicz. Pour les puristes, le récit se situe avant qu'Elektra ne réapparaisse aux cotés de Matt Murdock dans la série Daredevil. En cours de lecture, il apparaît que le rôle à venir d'Elektra dans l'univers partagé Marvel n'a aucune espèce d'importance et "Elektra : assassin" peut lu, doit être lu indépendamment de la continuité. Frank Miller n'y va pas avec le dos de la cuillère (c'est d'ailleurs un peu son habitude) : Elektra est une ninja qui maîtrise plusieurs techniques surnaturelles dérivées de sa formation avec les 7 maîtres ninjas. Elle est capable de télépathie rudimentaire, de manipulation mentale complexe, de prouesses physiques dépassant les possibilités naturelles du corps humain. Cet aspect superhéros peut devenir un trop exagéré dans certaines scènes (2 combats d'affilé sous l'eau, sans respirer). Miller s'en sert également à plusieurs reprises comme d'un deus ex machina permettant de trouver une porte de sortie artificielle d'une situation désespérée. le récit n'est donc pas à prendre au premier degré, et s'il possède sa logique interne, Miller tourne en dérision plusieurs péripéties. Comme à son habitude, il charge également la barque sur la représentation des politiques : tous pourris, menteurs, névrosés, hypocrites, à moitié fou (le président en exercice remportant la palme haut la main). Malgré tout, au premier degré, l'aventure tient la route et entretient un suspense soutenu, dans un pastiche mêlant ninja, complot et contre-espionnage, avec une franche violence. Ce ton narratif décalé et ironique doit beaucoup aux illustrations de Bill Sienkiewicz, avec qui Miller avait déjà collaboré pour une Graphic Novel de Daredevil Guerre et amour en 1986. Sienkiewicz prend grand plaisir à interpréter à sa sauce chaque scène, chaque case, avec le style graphique qu'il juge le plus approprié au propos. La première page commence avec une illustration pleine page à la peinture d'une plage paradisiaque avec la mer, le ciel et des cocotiers dont le feuillage est d'un vert saturé. Page suivante, Elektra évoque ses souvenirs et le rendu devient un dessin d'enfant aux crayons de couleur. 3 pages plus loin 3 illustrations mélangent peinture et collage. 1 page plus loin, Sienkiewicz a recours à des formes simples au contour presque abstrait avec des couleurs plates et uniformes. La page d'après il semble avoir découpé des forme dans une feuille de papier blanc, qu'il a collé sur une feuille orange dans une variation de tangram. Quelques pages plus loin, une pleine page à l'aquarelle représente les femmes internées dans des conditions concentrationnaires. Contrairement à ce que le lecteur pourrait craindre, le résultat ne ressemble pas à un patchwork indigeste, ou à un collage psychédélique pénible. le saut d'une technique à l'autre est plus intense dans le premier épisode que dans les suivants parce que l'histoire est racontée du point de vue d'Elektra dont le fonctionnement intellectuel est perturbé par la rémanence d'un puissant psychotrope dans son sang. Il faut dire également que Frank Miller accompagne parfaitement chaque changement de style en établissant un fil conducteur d'une solidité à toute épreuve. Avec cette histoire, il a parfait ses techniques de narration. Il écrit les flux de pensées des personnages en courtes phrases parfois interrompues quand une idée en supplante une autre, parfois avec des associations de mots sans former de phrase. Ces pensées sont écrites dans de petites cellules dont la couleur du fond change avec le personnage. John Garrett dispose de cellules de pensée, à fond bleu, Elektra à fond blanc, Sandy à fond rose, etc. Frank Miller adopte également un style rédactionnel différent pour chaque personnage, le pompon revenant à Sandy avec ses cellules à fonds rose et ses phrases à la guimauve fleurant bon les romans de gare à l'eau de rose. Ainsi Miller assure la continuité narrative et justifie chaque changement de style. Mary Jo Duffy indique dans l'introduction américaine que Miller rectifiait ses textes (et même son scénario) après avoir vu chaque planche pour s'adapter à la démesure graphique de Sienkiewicz. Sienkiewicz ne se contente pas de changer de style pictural régulièrement, il interprète également la réalité. le scénario de Miller ne fait pas dans la dentelle, il incorpore un niveau de violence très élevé avec des éléments surnaturels, Sienkiewicz relève le défi. Dans le deuxième épisode, Elektra se souvient des 6 instructions fondamentales de son sensei. Il est représenté uniquement sous la forme des yeux et des sourcils qui dépassent sous un calot blanc et un foulard qui lui mange le bas du visage. Ses consignes sont directement lettrées sur le calot et sur le foulard. Épisode 3, Garrett est attaché à une machine technologique futuriste dont la forme est fortement inspirée par celle d'une machine à coudre du début du vingtième siècle. Dernière page de l'épisode 5, Elektra et Garrett sont sur un engin volant dérobé au SHIELD qui évoque fortement une locomotive à vapeur. Ce qui achève de rendre cette lecture agréable est l'humour ironique, sarcastique, moqueur, vachard, tant dans les textes que dans les images. Il faut voir Elektra et Garrett assis sur un lit en forme de cœur et fourbir leurs armes amoureusement, Chastity (une agente du SHIELD) déguisée en nonne, Perry (l'ex coéquipier de Garrett), parler le plus naturellement du monde alors qu'il a un couteau fiché en plein du front, le caleçon logotisé SHIELD de Garrett, la forme des aides laborantins clonés, etc. Avec cette histoire, Frank Miller a écrit un gros défouloir sadique à l'humour corrosif dont il a le secret. Sous les pinceaux de Sienkiewicz, ce récit potache est sublimé en un tour de force picturale hors norme. En écrivant les textes après avoir vu les pages dessinées, Miller eut la présence d'esprit et le talent de les revoir pour s'adapter à ce foisonnement d'idées, en renforçant le fil conducteur, et en recourant à des techniques narratives plus élaborées. le tout est un produit de divertissement cynique, drôle et méchant, assez trash.

15/04/2024 (modifier)