J'ai vraiment été touché par cette magnifique série . Paco Roca et Rodrigo Terresa reviennent avec une grande sensibilité sur deux épisodes sombres de l'histoire moderne espagnole. Les auteurs nous plongent dans l'histoire exemplaire de Pepica Celda octogénaire des environs de Valence qui brave toutes les épreuves bureaucratiques pour récupérer les ossements de son père exécuté par les militaires franquistes une fois la guerre civile terminée. Les auteurs construisent un magnifique récit sur deux époques qui s'équilibrent parfaitement pour éclairer les souffrances de milliers de familles. Le sujet est encore très sensible en Espagne et j'ai senti les auteurs conscient de ne pas envenimer un débat difficile. Il y a donc une grande intelligence dans le récit en restant centrer sur le sujet principal : le devoir ancestral des hommes à honorer leurs morts par des funérailles dignes. Roca et Terresa citent la mort d'Hector comme référence à l'inhumanité d'Achille et positionnent la réflexion à un autre niveau. Si les exécutions sommaires, les épurations, les massacres sont le lot commun de la tragique histoire humaine ,le respect du deuil devrait conduire à une trêve de la barbarie. Ainsi la sublime personne de Badia, le fossoyeur, m'a fait penser à Antigone dans sa volonté de braver l'ordre franquiste pour assurer une sépulture digne à ces hommes et femmes injustement exécutés . Les deux temps du récit, les exécutions puis la lenteur pour ouvrir les fosses communes à quatre-vingts ans de distance donnent une amertume tragique à la narration. La lecture est très fluide et cela se lit d'un trait tel un documentaire historique et/ou sociétal bien maitrisé.
J'ai aimé le graphisme simple et précis de Paco Roca. Le lecteur passe d'une époque à l'autre avec une grande facilité sans jamais perdre le fil du récit. J'ai senti la volonté des auteurs de respecter la pudeur et la mémoire des familles impliquées. Il y a beaucoup de sobriété dans les expressions et le traitement des couleurs.
Une très belle série qui m' a beaucoup remué.
Attention : Chef D'œuvre.
La description de l'ouvrage proposé par l'éditeur Atrabile est quasiment parfaite même si elle dévoile un peu trop à mon goût les rebondissements de l'histoire. Eh oui, à l'image d'un "Sixième sens" ou "Usual suspect", "Why don't you love me ?" fait partie de ces œuvres qui méritent qu'on s'y frotte sans rien en savoir.
Difficile donc d'attirer votre attention sans trop en dire. Je vais donc miser sur la confiance aveugle que vous accordez à ce fameux Paul le Poulpe et à ses prédictions infaillibles. Si vous êtes familier et appréciez la série "Severance" mais aussi "Nowhere Man" (parlera probablement qu'aux plus vieux d'entre vous et qui possédaient Canal à l'époque !!), si vous aimez l'humour noir et corrosif, le sordide, le caustique, la dérision mais qu'au final vous vous révélez être un vrai cœur d'artichaut, alors jetez-vous sur ce bouquin.
D'apparence, vous pourriez en effet aisément passer à côté, mais sous des aspects plutôt anodins (couverture lambda, maquette à l'italienne, un titre anglais !, graphisme ordinaire, strip=classique, un éditeur indépendant= une distribution ciblée/limitée), cette BD renferme un récit fort et puissant. Un de ces récits qui vous marque durablement et en fait un des MUST de cette année 2025.
La BD se présente donc sous la forme d'une succession de Strips qui mis bout à bout déroulent une histoire, celle d'une famille dysfonctionnelle dans sa première partie, une mère alcoolique, un père pathétique, tous deux profondément dépressifs genre "qu'est-ce qu'ils ont fait au bon dieu" pour être là et mériter ça !, des enfants laissés de ce fait à l'abandon. Les strips ne se veulent pas foncièrement drôles même s'ils prêtent régulièrement à sourire et désamorcent le malaise ambiant. Et puis, on bascule dans autre chose...
On nous présente Paul B. Rainey comme un auteur aguerri, mais à vrai dire, je ne le connaissais pas avant d'ouvrir l'ouvrage. Les recherches sur internet n'en disent pas beaucoup plus mais j'ai hâte de découvrir une œuvre antérieure intitulée "There’s No Time Like the Present" qui vient de re-sortir en 2025 en Angleterre suite au succès du présent livre.
Que dire de plus si ce n'est que j'ai trouvé cette BD par moment lumineuse et que la fin, lumineuse elle aussi, m'a profondément ému et donne à réfléchir : pour faire simple et direct, "qu'est-ce qu'on attend de la vie ?"
J'en ai probablement trop écrit malgré mon souhait initial mais je reste tiraillé entre partager une expérience de lecture génialissime et rare, ou assurer le service minimum pour ne pas nuire à votre propre découverte.
Un des TOP 2025 garanti !
Je vais faire court, difficile de passer après le superbe avis de Josq.
Pierre-Henry Gomont nous propose une histoire au background diablement intéressant, à savoir la période qui a immédiatement suivi l’effondrement du bloc soviétique. Intéressant car extrêmement instructif et plus pertinent que jamais aujourd’hui, pour quiconque essaye de comprendre un peu l’ogre Russe. Intéressant pour moi plus personnellement aussi : étant franco-bulgare, j’ai passé pas mal de temps derrière le rideau de fer, puis vu (et partiellement compris) la transition vers le capitalisme de mes propres yeux.
Il greffe sur ce background une histoire enjouée, des personnages hauts en couleurs, et un humour vraiment efficace (j’adore ces phylactères qui contiennent une unique image). J’ai en tout cas passé un excellent moment de lecture. Le rythme est maintenu sur les 3 tomes, et la fin est parfaite, et très émouvante.
Un excellent triptyque, que je recommande chaudement.
Il faut que je vous avoue un truc. Quand j’étais jeune il y a un métier qui m’intéressait plus que tout quand d’autres veulent être vétérinaire ou pompier, c’était … médecin légiste ! Vous comprendrez donc aisément qu’avec la série « Autopsie » publiée chez Oxymore je n’avais aucune appréhension à plonger avec délectation dans ces trois albums qui allaient m’arracher les tripes avec une élégance sadique et une précision de boucher méticuleux.
Dès les premières pages, on est saisi à la gorge par une ambiance où le sang coule à flots et où l’horreur n’est jamais gratuite, mais chirurgicale, presque artistique. Les auteurs – car c’est bien un travail d’équarrisseurs inspirés – transforment chaque planche en une table d’autopsie visuelle, où les corps ne sont plus que des toiles de chair déchirée, et les âmes, des lambeaux de folie exposés à l’air libre. Oxymore, en tant que maison d’édition, a su rassembler des talents – Mourad est de retour ! - qui manient l’épouvante comme d’autres manient le pinceau avec une maîtrise glaçante et un sens du détail qui frôle l’obsession malade.
Les trois albums sont des plongées dans l’abjection, où la psyché humaine est disséquée sans pitié. Pas de monstres surnaturels ici, ou si peu ! le vrai cauchemar, c’est l’homme lui-même, ses pulsions inavouables, ses délires meurtriers, ses corps brisés et ses esprits en décomposition. Chaque histoire est une lame qui tourne dans la plaie, explorant la folie, la culpabilité et la déchéance avec une froideur clinique qui rend le tout d’autant plus insupportable. Que c’est bon !
Et puis, il y a le dessin. Un trait nerveux, organique, qui semble respirer la pourriture. Les visages se déforment sous le poids de la terreur, les corps s’ouvrent comme des fleurs vénéneuses, et chaque ombre cache une menace prête à exploser. Les planches sont saturées d’une tension malsaine, où le noir avale la lumière, où le rouge – celui du sang, bien sûr – éclabousse les pages comme une malédiction. Les auteurs jouent avec les cadrages déstabilisants, les perspectives tordues, et une précision anatomique qui donne l’impression de toucher du doigt les entrailles encore chaudes de leurs personnages.
Autopsie n’est pas une lecture, c’est une vivisection. On en ressort sonné, nauséeux, mais fasciné, comme après avoir assisté à une opération à cœur ouvert… sans anesthésie. La série ne cherche pas à vous faire sursauter. Non non , elle s’infiltre sous votre peau, s’installe dans vos cauchemars, et y pourrit à petit feu.
En bref, si vous aimez que vos BD vous laissent des cicatrices, si vous cherchez une œuvre qui dépasse les limites du support pour vous hanter longtemps après, cette série est votre prochain supplice. Brutal. Génial. Inoubliable. Et surtout, à ne pas mettre entre toutes les mains.
L'une de mes séries "Jeunesse" préférée que j'ai lue et relue le soir avec ma fille et mon fils avant de s'endormir.
Un succès ô combien mérité. Je suis d'ailleurs surpris de n'être que le 10ème avis du site.
Les carnets de Cerise, c'est tout d'abord une esthétique très léchée et proche de la perfection pour le public cible. Des couvertures magnifiques en vernis différencié et un dessin très expressif et dynamique avec des couleurs chatoyantes. Une mise en page ingénieuse et permettant de casser la linéarité du récit associant planches classiques et extraits des carnets de Cerise (sortes de journaux intimes) mêlant textes, dessins, photos, recettes, etc.
L'histoire de départ fait écho à pas mal d'entre nous je pense. Motivés par le journal de Mickey et autres Mickey détective, je me rappelle quand plus jeune, avec mes copains d'enfance, je tentais de percer les mystères de la vieille dame de mon village que l'on soupçonnait d'être une sorcière !
On suit donc ici Cerise, une écolière de CM2 passionnée de livres, et ses deux amies Line et Erika, qui mènent différentes enquêtes sur des personnes de son village. Si chaque tome fait l'objet d'une enquête à part entière et donc d'une histoire indépendante des autres, on en apprend un peu plus sur le passé de Cerise au fil des tomes et certains personnages rencontrés se retrouvent également dans les tomes suivants.
Le tome 1 introduit le personnage de Cerise, de sa maman et de ses amies. L'histoire, centrée sur un vieil homme énigmatique recouvert de peinture s'enfonçant dans la forêt, est l'une des plus originale de la série selon moi. Le deuxième tome est quant à lui consacré au mystère d'une vieille dame empruntant le même livre à la bibliothèque municipale chaque mois depuis des décennies. Le troisième tome marque l'entrée de Cerise au collège et est centrée sur l'histoire d'une nouvelle amie dont le métier est restauratrice de livre et dont le passé va faire écho à celui de Cerise. Le quatrième tome est peut-être celui qui m'a le moins plus du premier cycle, avec une enquête estivale moins captivante, basée sur un jeu d'énigmes dans un manoir. Enfin, le cinquième tome constitue le dénouement final du premier cycle permettant d'en savoir plus sur le passé de Cerise et de mieux comprendre les réactions qu'elle a eues dans les tomes précédents.
Bien que quelques ficelles de scénarios soient un peu grossières et parfois peu crédibles (la découverte des trésors qui n'ont pas bougé depuis des décennies dans des maisons ou locaux habités par exemple) et les histoires pleines de bons sentiments, cette série est une franche réussite pour le public visé (enfants et jeunes ados) et permet d'aborder certains sujets avec ses enfants tels que l'amitié, le mensonge, les relations mère-fille, l'absence d'un être cher,... Elle aura même réussi a extirper une larmounette à notre famille dans le tome 5.
Le véritable amour que voue l'auteur pour les livres se ressent à chaque tome, passion que l'on retrouve d'ailleurs chez Cerise qui veut devenir romancière. Durant la plupart des tomes, les auteurs glissent également de manière ingénieuse quelques messages à destination du jeune public : constitution d'un livre, protection de l'environnement, etc.
Suite à la décision des auteurs de relancer la série en 2024 après 7 années sans parution, un 6ème tome a vu le jour marquant une petite rupture avec le principe initial des enquêtes de Cerise. Le tome 6 constitue ainsi une sorte de carnet de voyage relatant les péripéties de Cerise et de sa nouvelle famille recomposée lors de son tour du monde annoncé en fin de tome 5. Je ne spolierai toutefois pas la fin de ce dernier tome mais il est fort probable que la série va se poursuivre au vu de la fin... Après sa lecture, bien que toujours agréable, je regrette tout de même que les auteurs ne se soient pas arrêtés à la fin du cinquième tome car la série prend une tournure un peu plus banale sur la vie d'une famille recomposée (plus d'enquête de Cerise).
Un 5* tout de même, rien que pour le premier cycle, que je trouve magnifique et très cohérent.
SCENARIO (Originalité, Histoire, personnages) : 8,5/10
GRAPHISME (Dessin, colorisation, mise en page) : 9,5/10
NOTE GLOBALE : 18/20
Une nouvelle aventure scientifique du Professeur Fignoteau, de M. Marmouset et de Mlle Anne ? Pour s'en réjouir il faudra en avoir quelque chose à faire.
Et c'est bien le problème : que faire de trois personnages inconnus aux bataillons ? Que faire lorsque l'on est soi-même un personnage inconnu, n'existant que dans une histoire si peu engageante ?
Eh bien on se retrousse les manches et on essai d'échapper à sa condition !
Ici il n'est pas tant question de suivre les aventures de nos trois chercheur-euse-s mais plutôt de suivre leur recherche d'aventure. Ou, pour être plus précise, leur recherche d'enjeux narratifs pour maintenir l'attention du lectorat et s'assurer le succès (et ainsi même l'existence dans l'inconscient collectif). Qu'il s'agisse de changements graphiques, de genres ou même de rôles, rien ne nous sera épargner. Le trio s'essaiera même à quelques bassesses comme des retournements tirés par les cheveux ou encore quelques cases d'un érotisme tout relatif. Le choc pour le choc, l'imprévisibilité narrative, tout ça ne garde en réalité l'attention du lectorat que de manière bien trop éphémère et la quête de notre trio se révèlera bien plus ardue qu'au premier abord.
Si vous pensiez à mon résumé que Lécroart s'essayait ici à une forme narrative bien trop classique lorsque comparée aux autres œuvres centrées sur ce trio, détrompez-vous, l'auteur s'amuse ici, comme souvent, avec des doubles sens de lectures, avec les codes narratifs propre au médium de la bande-dessinée. Le moment le plus notable étant par ailleurs un passage très amusant avec un grand maître de l'art du manga, proposant une lecture d'apparence confuse mais en réalité surprenamment bien construite.
C'est bien simple, pour son discours poussé et on ne peut plus intéressant des codes narratifs propres au neuvième art, pour ses diverses expérimentations et défis au sein d'une seule et même œuvre, je considère cet album comme le meilleur de Lécroart.
Il y aurait tant de choses à dire, tant de retours et d'avis ne serait-ce que sur le discours sur la fiction elle-même que tient cet album, mais j'ai peur de me retrouver à écrire un roman si je me lance pleinement dedans. Je me contenterais simplement de vous inviter à lire l'album, ne serait-ce que pour découvrir l'auteur s'il vous était jusque là inconnu.
Même si les deux ouvrages sont très différents, la découverte de cette œuvre m'a ramené à ma lecture de Contrition. La thématique centrale de la pédophilie reste la même. De plus, j'y ai trouvé la même puissance et la même profondeur dans le texte et le graphisme. Toutefois si contrition proposait une vision externe , Glenn Head nous propose une vision autobiographique interne bouleversante. Ce récit est d'une sincérité et d'un courage qui m'a ému tout du long de ma lecture. Je n'ai trouvé aucune faiblesse dans le scénario, aucun voyeurisme dans l'exposition de sa sexualité abîmée dès l'enfance. Ce témoignage est marqué par la devise de Chartwell détournée par l'infame Lynch, "Veritas". Ce que j'ai trouvé remarquable dans ce récit , c'est l'absence d'agressivité dans les paroles de Glenn.
Les épisodes où il parle avec ses parents sont édifiants à cet égard. Tous les appels au secours du jeune Glenn, verbaux ou comportementaux, ont été ignorés par le père et surtout la mère. Toutefois l'auteur invite à un suivi de la relation parentale plus raisonnable qu'émotionnel même si c'est souvent difficile. Cette résilience prouve que Head n'avait pas voulu laisser Lynch tout détruire chez lui comme son ex principal l'avait fait chez certains de ses camarades.
L'agressivité se retrouve dans le graphisme qui utilise le style underground. Ce style permet probablement à l'auteur de libérer le trop plain émotionnel qui a envahi son univers. Je ne suis pas un spécialiste de ce style mais j'aime cette représentation brute, chargée et souvent chaotique d'un monde extérieur qui reflète souvent notre désordre psychologique. Le N&B est l'option sombre d'un monde qui se présente souvent en bien et en mal. L'auteur invite son lecteur à aller au delà d'un Lynch toujours dessiné clair et net. La quatrième propose une case du récit en couleur. Elle est séduisante dans son option psychédélique bien représentative des années 70. Ce choix aurait probablement amoindri la puissance du message de l'auteur qui veut rester dans un souvenir triste et brutal.
Comme beaucoup de victimes, Head a eu beaucoup de mal à libérer sa parole. Peu de choses l'y ont encouragé. Une justice tardive l'a aidé. Son courage remarquable et son talent lui ont permis d'offrir à tous , victimes ou pas, un outil pour accepter cette vérité et la rendre publique.
Une très belle lecture qui m'a profondément touché.
J'ai bien aimé ces chroniques souvent lestes sur la vie de diverses citadines qui n'ont pas vraiment pas froid aux yeux et ailleurs (surtout ailleurs).
Ce sont surtout des anecdotes, des mini-tranches de vie, des gags souvent fort amusants (si on apprécie ce genre), dont la lecture d'une seule traite peut être lassante par overdose, comme beaucoup de recueils du même type.
J'aime bcp le graphisme qui possède un côté girly et animation, style ''tout le monde il est beau''.
C'est bien vu dans l'ensemble, ça sent en effet le vécu, mais avec l'arrière-pensée que certaines personnes sont assez nymphos...
Dommage qu'une n'y ait pas eu d'autres tomes. Le Covid aurait pu donner de bons gags :)
Je possède les 2 volumes. Je ne suis sans doute pas la cible visée par ces albums, mais j'ai bien aimé, à la fois pour le graphisme et pour une certaine fraîcheur de ton.
Oui, c'est parfois très léger, anecdotique et souvent parisien, mais c'est délassant. C'est tout ce que je demande à ce type d'ouvrage. Les ''Madeleines'' remplissent parfaitement le contrat.
Le champ des possibles, c’est reconquérir sa souveraineté, son autonomie d’être, sa capacité à penser.
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Ce tome correspond à un reportage auprès de nombreux acteurs, il ne nécessite pas de connaissances préalables. Son édition originale date de 2023. Il a été réalisé à partir du travail documentaire de Marie-France Barrier, par Céline Gandner pour le scénario, et par Marie Jaffredo pour les dessins et les couleurs. Il comporte cent-cinq pages de bande dessinée. Il s’ouvre avec un texte rédigé par Michel Welterlin, directeur de la collection Témoins du monde. Il se termine avec les remerciements des trois autrices, une présentation de leur parcours, et la liste des ouvrages parus dans cette collection.
Elle se sent Perce-Neige, pas celle qui fait le printemps, celle qui l’annonce. Le lierre, il fleurit en octobre. C’est tard, oui. Mais il offre aux abeilles, bien contentes, de quoi butiner toute l’année. Alors pourquoi Perce-Neige ? Elle fleurit parmi les premiers et, Marie-France a eu le sentiment de s’être éveillé très tôt à ces réflexions environnementales. Ce n’est ni bien ni mal. Là, elle se tient collée contre le tronc d’un très grand arbre, il a bien trois cents ans. C’est son spot secret, à elle, son paysage. Elle lui parle comme un confident. Les arbres sont des traits d’union entre les énergies cosmiques qui viennent du fin fond de l’univers et les énergies telluriques nichées au cœur de la terre. Ce sont des alchimistes qui font le lien entre le visible et l’invisible, et transforment la lumière et le CO2 pour nourrir les êtres humains, les abriter les chauffer, les éclairer. Et eux, petits humains qui sont si dépendants d’eux, pourquoi se sont-ils tant éloignés de ces génies généreux ? Ils se sont crus au sommet de la création quand ils ne sont qu’un infime maillon de cette chaîne du vivant.
Marie-France aimerait tellement participer à leurs retrouvailles, se réconcilier avec l’Arbre, ce grand chef d’orchestre de la nature. Comme il est beau, ce vieux frère, toujours à grandir vers la lumière ! Nichée au creux d’un arbre, c’est là où elle se sent le mieux. Elle a comme l’impression d’être à la maison, d’être en famille. Depuis toute petite, elle cherche sa juste contribution au monde, elle a envie d’être au service de la vaste communauté des terriens. Elle a comme l’intuition d’une mission à accomplir. Alors voilà, tout comme le font les arbres, elle va elle aussi prendre soin de la terre nourricière. Elle a besoin de se rebrancher, de mettre les mains dans la terre. Voilà dix ans qu’elle fait du documentaire et, là, elle a besoin d’autre chose, de plus concret, de plus engagé. La voilà partie pour une nouvelle aventure de vie : douze semaines de formation au maraîchage biologique en Sologne, qui sait, un nouveau chapitre d’existence s’ouvre peut-être. Marie-France se rend à la ferme de Sainte Marthe. En arrivant, elle y découvre qu’il y a plein de gens comme elle. Elle n’est pas si isolée dans ses questionnements et son appel à la terre. Ici elle n’est pas une bizarrerie. Elle perçoit des profils et des âges très différents. Mais ils sont tous novices du monde agricole. Retourner à l’école pour retrouver une position d’apprenante. C’est revitalisant. Le premier jour, chacun se présente et partage la raison de sa venue. C’est très excitant pour tout le monde. Comme un saut dans le vide.
Marie-France Barrier est documentariste de profession, et elle a réalisé, entre autres, les films Le champ des possibles (2017) et Le temps des arbres (2020), dont s’inspire le présent ouvrage, où les autrices la mettent en scène. La séquence d’ouverture expose ainsi sa motivation ainsi que sa démarche. Impressionnée par les arbres, et consciente de la position intenable de l’être humain séparé du monde végétal, elle décide de prendre soin de la terre nourricière en commençant par un stage de formation en maraîchage. Toutefois, elle fait rapidement le constat qu’elle n’est pas faite pour ce métier. En revanche, elle a fait l’expérience qu’il y a tant de belles histoires à raconter autour de ce monde agricole qui se réinvente, qui cherche des solutions, qui explore le champ des possibles pour faire pousser un avenir fertile et résilient. Elle reprend donc la route pour aller écouter et recueillir la parole des anciens agriculteurs, viticulteurs et éleveurs qui ont grandi dans le moule de l’agriculture industrielle et qui se sentent prêts à s’en détacher pour en imaginer un autre. Les autrices mettent ainsi en scène ces rencontres, la parole d’un céréalier, d’un éleveur laitier, des membres d’une ferme collective, d’un scieur mobile, d’un propriétaire forestier, d’un paysan, d’un couple de viticulteurs, avec une grande importance donnée aux images.
En entamant ce genre d’ouvrage, le lecteur peut nourrir un a priori sur sa forme : des longs pavés de texte explicatifs pour exposer les faits et les connaissances, et des images réduites au rôle de faire-valoir. Il y a bien des phases d’exposition consistantes, sans pour autant que se produise l’effet de pavés indigestes par trop de didactisme magistral. Chaque entretien prend la forme d’une rencontre avec un professionnel personnellement impliqué dans la mise en œuvre de méthodes différentes offrant une alternative viable à l’agriculture industrialisée, avec une part prépondérante donnée au témoignage plutôt qu’à l’exposé. La première page de bande dessinée peut faire hésiter le lecteur : un petit dessin de perce-neige en bas à droit de la page, sur fond gris, avec trois cartouches de texte, c’est-à-dire plus de texte que d’image. Dans les trois pages suivantes : une illustration pleine page, pour un arbre et Marie-France en relation avec. Puis le lecteur découvre des cases disposées en bande sans bordure encrée. Des dessins au rendu doux, dans un registre naturaliste un peu simplifié, avec des couleurs dans un mode réaliste avec des teintes un peu estompées. La dessinatrice apporte bien sûr un soin particulier aux plantes et aux arbres. D’ailleurs elle réalise quarante illustrations en pleine page ayant pour objet la nature, que ce soient des plantes ou des paysages.
Le lecteur voit bien que cet ouvrage est consacré à la culture, à la terre et à son travail, aux plantes et aux arbres. Les dessins ne parlent que de ça : il peut ainsi contempler ces paysages et ces activités dans leur variété. Les trajets dans de petites routes de campagne, les rangées de salades, la qualité de la terre arable éprouvée à pleine main avec ses vers de terre, les sillons bien parallèles, les vaches, l’herbe et les fleurs, les haies qui délimitent des parcelles de petite taille, les forêts de hauts arbres, la terre devenue aride et nue, le savant travail de sciage d’un arbre de gros diamètre, les tristes forêts de culture de résineux, les écureuils, les champignons… Puis des paysages moins communs : une parcelle cultivée autour de l’arbre et avec lui, des moutons qui profitent des arbres fourragers, des arbres plantés dans une parcelle de vignes pour rompre avec la monoculture, la prolifération de la faune dans une mare, etc. Grâce aux dessins, le lecteur peut constater par lui-même l’existence de ces cultures d’une approche différente, ainsi que leurs répercussions sur la faune et la flore. À l’évidence, l’artiste s’est richement documenté pour pouvoir transcrire ces modes de culture sortant du modèle de l’agriculture industrielle. Elle les représente avec une évidence dont la plausibilité atteste d’une observation éclairée de ces sites.
Recueillir la parole d’agriculteurs, viticulteurs et éleveurs qui se sont détachés de l’agriculture industrielle, c’est ainsi que Marie-France va d’abord rencontrer Olivier, pays de Caux, céréalier depuis 20 ans, 45 ans, 300ha de céréales. Puis Frédéric, Sarthe, éleveur laitier, la quarantaine, environ 50 vaches et 60ha. Visiter une ferme collective, 11 ingénieurs agronomes, 80ha, village La Tournerie dans le Limousin. Et Étienne, proche de la retraite, Castelnau-de-Brassac, au-dessus de Castres, scieur mobile. Xavier, 56 ans, comptable, propriétaire forestier, a acquis 110ha près du plateau de Millevaches près de Limoges. Jack, coteaux du Gers, ferme familiale, 56 ans, paysan, 150ha. Delphine et Benoît, viticulteurs, Bordelais, couple de vignerons explorateurs, 8ha. Il s’agit de professionnels installés depuis plus sieurs années, mettant en œuvre leurs convictions, et vivant de leur travail, sans perte financière par rapport à leurs pratiques précédentes. Dans un premier temps, la journaliste semble mettre en avant des convictions personnelles peut-être naïves sous un certain angle : Les arbres en tant que traits d’union entre les énergies cosmiques qui viennent du fin fond de l’univers et les énergies telluriques nichées au cœur de la terre, le paysan qui travaille avec le vivant est plus qu’un sage, c’est un super-héros, reconquérir sa souveraineté, son autonomie d’être, sa capacité à penser. Ou encore : Chacun d’entre nous sait mieux que quiconque ce qui est le mieux pour soi.
Toutefois ces convictions cèdent immédiatement le pas aux expériences concrètes racontées par chaque professionnel rencontré. La découverte d’acteurs d’un monde agricole qui se réinvente, qui cherche des solutions, qui explore le champ des possibles pour faire pousser un avenir fertile et résilient. Il n’y a rien de naïf dans leurs histoires, dans leur expérience de vie, ni rien de manichéen, encore moins de magique. C’est du concret, le retour de l’expérience. Au fil de ces rencontres, la journaliste évoque tous les questionnements qui accompagnent cette mise en œuvre d’alternatives : le rendement, la résistance aux maladies, la viabilité économique, et les aspects écologiques de base comme la biodiversité et la compatibilité de la production avec les rythmes naturels et les écosystèmes, et même ce concept un peu flou de bon sens paysan en lui rendant du sens, sans angélisme, sans moralisme. Le lecteur en ressort tout ragaillardi d’avoir ainsi pu découvrir des alternatives viables, à un mode de production dont il peut se sentir prisonnier parce qu’il n’y aurait pas de possibilité de faire autrement.
Un ouvrage écolo et petites fleurs ? Au contraire, des reportages avec les pieds dans la boue, les mains dans la terre, et une complémentarité entre expérience de terrain et connaissances théoriques. La narration visuelle donne à voir une multiplicité de paysages agricoles, dans leur diversité et leur richesse. Les autrices permettent au lecteur de découvrir, de rencontrer et d’écouter des paysans et des éleveurs passionnants, dont le parcours professionnel dans l’agriculture industrielle les a amenés à avoir la curiosité de chercher et de mettre en œuvre des alternatives pragmatiques et viables. Passionnant.
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L'Abîme de l'oubli
J'ai vraiment été touché par cette magnifique série . Paco Roca et Rodrigo Terresa reviennent avec une grande sensibilité sur deux épisodes sombres de l'histoire moderne espagnole. Les auteurs nous plongent dans l'histoire exemplaire de Pepica Celda octogénaire des environs de Valence qui brave toutes les épreuves bureaucratiques pour récupérer les ossements de son père exécuté par les militaires franquistes une fois la guerre civile terminée. Les auteurs construisent un magnifique récit sur deux époques qui s'équilibrent parfaitement pour éclairer les souffrances de milliers de familles. Le sujet est encore très sensible en Espagne et j'ai senti les auteurs conscient de ne pas envenimer un débat difficile. Il y a donc une grande intelligence dans le récit en restant centrer sur le sujet principal : le devoir ancestral des hommes à honorer leurs morts par des funérailles dignes. Roca et Terresa citent la mort d'Hector comme référence à l'inhumanité d'Achille et positionnent la réflexion à un autre niveau. Si les exécutions sommaires, les épurations, les massacres sont le lot commun de la tragique histoire humaine ,le respect du deuil devrait conduire à une trêve de la barbarie. Ainsi la sublime personne de Badia, le fossoyeur, m'a fait penser à Antigone dans sa volonté de braver l'ordre franquiste pour assurer une sépulture digne à ces hommes et femmes injustement exécutés . Les deux temps du récit, les exécutions puis la lenteur pour ouvrir les fosses communes à quatre-vingts ans de distance donnent une amertume tragique à la narration. La lecture est très fluide et cela se lit d'un trait tel un documentaire historique et/ou sociétal bien maitrisé. J'ai aimé le graphisme simple et précis de Paco Roca. Le lecteur passe d'une époque à l'autre avec une grande facilité sans jamais perdre le fil du récit. J'ai senti la volonté des auteurs de respecter la pudeur et la mémoire des familles impliquées. Il y a beaucoup de sobriété dans les expressions et le traitement des couleurs. Une très belle série qui m' a beaucoup remué.
Why don't you love me?
Attention : Chef D'œuvre. La description de l'ouvrage proposé par l'éditeur Atrabile est quasiment parfaite même si elle dévoile un peu trop à mon goût les rebondissements de l'histoire. Eh oui, à l'image d'un "Sixième sens" ou "Usual suspect", "Why don't you love me ?" fait partie de ces œuvres qui méritent qu'on s'y frotte sans rien en savoir. Difficile donc d'attirer votre attention sans trop en dire. Je vais donc miser sur la confiance aveugle que vous accordez à ce fameux Paul le Poulpe et à ses prédictions infaillibles. Si vous êtes familier et appréciez la série "Severance" mais aussi "Nowhere Man" (parlera probablement qu'aux plus vieux d'entre vous et qui possédaient Canal à l'époque !!), si vous aimez l'humour noir et corrosif, le sordide, le caustique, la dérision mais qu'au final vous vous révélez être un vrai cœur d'artichaut, alors jetez-vous sur ce bouquin. D'apparence, vous pourriez en effet aisément passer à côté, mais sous des aspects plutôt anodins (couverture lambda, maquette à l'italienne, un titre anglais !, graphisme ordinaire, strip=classique, un éditeur indépendant= une distribution ciblée/limitée), cette BD renferme un récit fort et puissant. Un de ces récits qui vous marque durablement et en fait un des MUST de cette année 2025. La BD se présente donc sous la forme d'une succession de Strips qui mis bout à bout déroulent une histoire, celle d'une famille dysfonctionnelle dans sa première partie, une mère alcoolique, un père pathétique, tous deux profondément dépressifs genre "qu'est-ce qu'ils ont fait au bon dieu" pour être là et mériter ça !, des enfants laissés de ce fait à l'abandon. Les strips ne se veulent pas foncièrement drôles même s'ils prêtent régulièrement à sourire et désamorcent le malaise ambiant. Et puis, on bascule dans autre chose... On nous présente Paul B. Rainey comme un auteur aguerri, mais à vrai dire, je ne le connaissais pas avant d'ouvrir l'ouvrage. Les recherches sur internet n'en disent pas beaucoup plus mais j'ai hâte de découvrir une œuvre antérieure intitulée "There’s No Time Like the Present" qui vient de re-sortir en 2025 en Angleterre suite au succès du présent livre. Que dire de plus si ce n'est que j'ai trouvé cette BD par moment lumineuse et que la fin, lumineuse elle aussi, m'a profondément ému et donne à réfléchir : pour faire simple et direct, "qu'est-ce qu'on attend de la vie ?" J'en ai probablement trop écrit malgré mon souhait initial mais je reste tiraillé entre partager une expérience de lecture génialissime et rare, ou assurer le service minimum pour ne pas nuire à votre propre découverte. Un des TOP 2025 garanti !
Slava
Je vais faire court, difficile de passer après le superbe avis de Josq. Pierre-Henry Gomont nous propose une histoire au background diablement intéressant, à savoir la période qui a immédiatement suivi l’effondrement du bloc soviétique. Intéressant car extrêmement instructif et plus pertinent que jamais aujourd’hui, pour quiconque essaye de comprendre un peu l’ogre Russe. Intéressant pour moi plus personnellement aussi : étant franco-bulgare, j’ai passé pas mal de temps derrière le rideau de fer, puis vu (et partiellement compris) la transition vers le capitalisme de mes propres yeux. Il greffe sur ce background une histoire enjouée, des personnages hauts en couleurs, et un humour vraiment efficace (j’adore ces phylactères qui contiennent une unique image). J’ai en tout cas passé un excellent moment de lecture. Le rythme est maintenu sur les 3 tomes, et la fin est parfaite, et très émouvante. Un excellent triptyque, que je recommande chaudement.
Autopsie
Il faut que je vous avoue un truc. Quand j’étais jeune il y a un métier qui m’intéressait plus que tout quand d’autres veulent être vétérinaire ou pompier, c’était … médecin légiste ! Vous comprendrez donc aisément qu’avec la série « Autopsie » publiée chez Oxymore je n’avais aucune appréhension à plonger avec délectation dans ces trois albums qui allaient m’arracher les tripes avec une élégance sadique et une précision de boucher méticuleux. Dès les premières pages, on est saisi à la gorge par une ambiance où le sang coule à flots et où l’horreur n’est jamais gratuite, mais chirurgicale, presque artistique. Les auteurs – car c’est bien un travail d’équarrisseurs inspirés – transforment chaque planche en une table d’autopsie visuelle, où les corps ne sont plus que des toiles de chair déchirée, et les âmes, des lambeaux de folie exposés à l’air libre. Oxymore, en tant que maison d’édition, a su rassembler des talents – Mourad est de retour ! - qui manient l’épouvante comme d’autres manient le pinceau avec une maîtrise glaçante et un sens du détail qui frôle l’obsession malade. Les trois albums sont des plongées dans l’abjection, où la psyché humaine est disséquée sans pitié. Pas de monstres surnaturels ici, ou si peu ! le vrai cauchemar, c’est l’homme lui-même, ses pulsions inavouables, ses délires meurtriers, ses corps brisés et ses esprits en décomposition. Chaque histoire est une lame qui tourne dans la plaie, explorant la folie, la culpabilité et la déchéance avec une froideur clinique qui rend le tout d’autant plus insupportable. Que c’est bon ! Et puis, il y a le dessin. Un trait nerveux, organique, qui semble respirer la pourriture. Les visages se déforment sous le poids de la terreur, les corps s’ouvrent comme des fleurs vénéneuses, et chaque ombre cache une menace prête à exploser. Les planches sont saturées d’une tension malsaine, où le noir avale la lumière, où le rouge – celui du sang, bien sûr – éclabousse les pages comme une malédiction. Les auteurs jouent avec les cadrages déstabilisants, les perspectives tordues, et une précision anatomique qui donne l’impression de toucher du doigt les entrailles encore chaudes de leurs personnages. Autopsie n’est pas une lecture, c’est une vivisection. On en ressort sonné, nauséeux, mais fasciné, comme après avoir assisté à une opération à cœur ouvert… sans anesthésie. La série ne cherche pas à vous faire sursauter. Non non , elle s’infiltre sous votre peau, s’installe dans vos cauchemars, et y pourrit à petit feu. En bref, si vous aimez que vos BD vous laissent des cicatrices, si vous cherchez une œuvre qui dépasse les limites du support pour vous hanter longtemps après, cette série est votre prochain supplice. Brutal. Génial. Inoubliable. Et surtout, à ne pas mettre entre toutes les mains.
Les Carnets de Cerise
L'une de mes séries "Jeunesse" préférée que j'ai lue et relue le soir avec ma fille et mon fils avant de s'endormir. Un succès ô combien mérité. Je suis d'ailleurs surpris de n'être que le 10ème avis du site. Les carnets de Cerise, c'est tout d'abord une esthétique très léchée et proche de la perfection pour le public cible. Des couvertures magnifiques en vernis différencié et un dessin très expressif et dynamique avec des couleurs chatoyantes. Une mise en page ingénieuse et permettant de casser la linéarité du récit associant planches classiques et extraits des carnets de Cerise (sortes de journaux intimes) mêlant textes, dessins, photos, recettes, etc. L'histoire de départ fait écho à pas mal d'entre nous je pense. Motivés par le journal de Mickey et autres Mickey détective, je me rappelle quand plus jeune, avec mes copains d'enfance, je tentais de percer les mystères de la vieille dame de mon village que l'on soupçonnait d'être une sorcière ! On suit donc ici Cerise, une écolière de CM2 passionnée de livres, et ses deux amies Line et Erika, qui mènent différentes enquêtes sur des personnes de son village. Si chaque tome fait l'objet d'une enquête à part entière et donc d'une histoire indépendante des autres, on en apprend un peu plus sur le passé de Cerise au fil des tomes et certains personnages rencontrés se retrouvent également dans les tomes suivants. Le tome 1 introduit le personnage de Cerise, de sa maman et de ses amies. L'histoire, centrée sur un vieil homme énigmatique recouvert de peinture s'enfonçant dans la forêt, est l'une des plus originale de la série selon moi. Le deuxième tome est quant à lui consacré au mystère d'une vieille dame empruntant le même livre à la bibliothèque municipale chaque mois depuis des décennies. Le troisième tome marque l'entrée de Cerise au collège et est centrée sur l'histoire d'une nouvelle amie dont le métier est restauratrice de livre et dont le passé va faire écho à celui de Cerise. Le quatrième tome est peut-être celui qui m'a le moins plus du premier cycle, avec une enquête estivale moins captivante, basée sur un jeu d'énigmes dans un manoir. Enfin, le cinquième tome constitue le dénouement final du premier cycle permettant d'en savoir plus sur le passé de Cerise et de mieux comprendre les réactions qu'elle a eues dans les tomes précédents. Bien que quelques ficelles de scénarios soient un peu grossières et parfois peu crédibles (la découverte des trésors qui n'ont pas bougé depuis des décennies dans des maisons ou locaux habités par exemple) et les histoires pleines de bons sentiments, cette série est une franche réussite pour le public visé (enfants et jeunes ados) et permet d'aborder certains sujets avec ses enfants tels que l'amitié, le mensonge, les relations mère-fille, l'absence d'un être cher,... Elle aura même réussi a extirper une larmounette à notre famille dans le tome 5. Le véritable amour que voue l'auteur pour les livres se ressent à chaque tome, passion que l'on retrouve d'ailleurs chez Cerise qui veut devenir romancière. Durant la plupart des tomes, les auteurs glissent également de manière ingénieuse quelques messages à destination du jeune public : constitution d'un livre, protection de l'environnement, etc. Suite à la décision des auteurs de relancer la série en 2024 après 7 années sans parution, un 6ème tome a vu le jour marquant une petite rupture avec le principe initial des enquêtes de Cerise. Le tome 6 constitue ainsi une sorte de carnet de voyage relatant les péripéties de Cerise et de sa nouvelle famille recomposée lors de son tour du monde annoncé en fin de tome 5. Je ne spolierai toutefois pas la fin de ce dernier tome mais il est fort probable que la série va se poursuivre au vu de la fin... Après sa lecture, bien que toujours agréable, je regrette tout de même que les auteurs ne se soient pas arrêtés à la fin du cinquième tome car la série prend une tournure un peu plus banale sur la vie d'une famille recomposée (plus d'enquête de Cerise). Un 5* tout de même, rien que pour le premier cycle, que je trouve magnifique et très cohérent. SCENARIO (Originalité, Histoire, personnages) : 8,5/10 GRAPHISME (Dessin, colorisation, mise en page) : 9,5/10 NOTE GLOBALE : 18/20
L'Elite à la portée de tous
Une nouvelle aventure scientifique du Professeur Fignoteau, de M. Marmouset et de Mlle Anne ? Pour s'en réjouir il faudra en avoir quelque chose à faire. Et c'est bien le problème : que faire de trois personnages inconnus aux bataillons ? Que faire lorsque l'on est soi-même un personnage inconnu, n'existant que dans une histoire si peu engageante ? Eh bien on se retrousse les manches et on essai d'échapper à sa condition ! Ici il n'est pas tant question de suivre les aventures de nos trois chercheur-euse-s mais plutôt de suivre leur recherche d'aventure. Ou, pour être plus précise, leur recherche d'enjeux narratifs pour maintenir l'attention du lectorat et s'assurer le succès (et ainsi même l'existence dans l'inconscient collectif). Qu'il s'agisse de changements graphiques, de genres ou même de rôles, rien ne nous sera épargner. Le trio s'essaiera même à quelques bassesses comme des retournements tirés par les cheveux ou encore quelques cases d'un érotisme tout relatif. Le choc pour le choc, l'imprévisibilité narrative, tout ça ne garde en réalité l'attention du lectorat que de manière bien trop éphémère et la quête de notre trio se révèlera bien plus ardue qu'au premier abord. Si vous pensiez à mon résumé que Lécroart s'essayait ici à une forme narrative bien trop classique lorsque comparée aux autres œuvres centrées sur ce trio, détrompez-vous, l'auteur s'amuse ici, comme souvent, avec des doubles sens de lectures, avec les codes narratifs propre au médium de la bande-dessinée. Le moment le plus notable étant par ailleurs un passage très amusant avec un grand maître de l'art du manga, proposant une lecture d'apparence confuse mais en réalité surprenamment bien construite. C'est bien simple, pour son discours poussé et on ne peut plus intéressant des codes narratifs propres au neuvième art, pour ses diverses expérimentations et défis au sein d'une seule et même œuvre, je considère cet album comme le meilleur de Lécroart. Il y aurait tant de choses à dire, tant de retours et d'avis ne serait-ce que sur le discours sur la fiction elle-même que tient cet album, mais j'ai peur de me retrouver à écrire un roman si je me lance pleinement dedans. Je me contenterais simplement de vous inviter à lire l'album, ne serait-ce que pour découvrir l'auteur s'il vous était jusque là inconnu.
Le Manoir de Chartwell
Même si les deux ouvrages sont très différents, la découverte de cette œuvre m'a ramené à ma lecture de Contrition. La thématique centrale de la pédophilie reste la même. De plus, j'y ai trouvé la même puissance et la même profondeur dans le texte et le graphisme. Toutefois si contrition proposait une vision externe , Glenn Head nous propose une vision autobiographique interne bouleversante. Ce récit est d'une sincérité et d'un courage qui m'a ému tout du long de ma lecture. Je n'ai trouvé aucune faiblesse dans le scénario, aucun voyeurisme dans l'exposition de sa sexualité abîmée dès l'enfance. Ce témoignage est marqué par la devise de Chartwell détournée par l'infame Lynch, "Veritas". Ce que j'ai trouvé remarquable dans ce récit , c'est l'absence d'agressivité dans les paroles de Glenn. Les épisodes où il parle avec ses parents sont édifiants à cet égard. Tous les appels au secours du jeune Glenn, verbaux ou comportementaux, ont été ignorés par le père et surtout la mère. Toutefois l'auteur invite à un suivi de la relation parentale plus raisonnable qu'émotionnel même si c'est souvent difficile. Cette résilience prouve que Head n'avait pas voulu laisser Lynch tout détruire chez lui comme son ex principal l'avait fait chez certains de ses camarades. L'agressivité se retrouve dans le graphisme qui utilise le style underground. Ce style permet probablement à l'auteur de libérer le trop plain émotionnel qui a envahi son univers. Je ne suis pas un spécialiste de ce style mais j'aime cette représentation brute, chargée et souvent chaotique d'un monde extérieur qui reflète souvent notre désordre psychologique. Le N&B est l'option sombre d'un monde qui se présente souvent en bien et en mal. L'auteur invite son lecteur à aller au delà d'un Lynch toujours dessiné clair et net. La quatrième propose une case du récit en couleur. Elle est séduisante dans son option psychédélique bien représentative des années 70. Ce choix aurait probablement amoindri la puissance du message de l'auteur qui veut rester dans un souvenir triste et brutal. Comme beaucoup de victimes, Head a eu beaucoup de mal à libérer sa parole. Peu de choses l'y ont encouragé. Une justice tardive l'a aidé. Son courage remarquable et son talent lui ont permis d'offrir à tous , victimes ou pas, un outil pour accepter cette vérité et la rendre publique. Une très belle lecture qui m'a profondément touché.
Des Yeux de Bitch
J'ai bien aimé ces chroniques souvent lestes sur la vie de diverses citadines qui n'ont pas vraiment pas froid aux yeux et ailleurs (surtout ailleurs). Ce sont surtout des anecdotes, des mini-tranches de vie, des gags souvent fort amusants (si on apprécie ce genre), dont la lecture d'une seule traite peut être lassante par overdose, comme beaucoup de recueils du même type. J'aime bcp le graphisme qui possède un côté girly et animation, style ''tout le monde il est beau''. C'est bien vu dans l'ensemble, ça sent en effet le vécu, mais avec l'arrière-pensée que certaines personnes sont assez nymphos... Dommage qu'une n'y ait pas eu d'autres tomes. Le Covid aurait pu donner de bons gags :)
Les Madeleines de Mady
Je possède les 2 volumes. Je ne suis sans doute pas la cible visée par ces albums, mais j'ai bien aimé, à la fois pour le graphisme et pour une certaine fraîcheur de ton. Oui, c'est parfois très léger, anecdotique et souvent parisien, mais c'est délassant. C'est tout ce que je demande à ce type d'ouvrage. Les ''Madeleines'' remplissent parfaitement le contrat.
Paysans - Le Champ des possibles
Le champ des possibles, c’est reconquérir sa souveraineté, son autonomie d’être, sa capacité à penser. - Ce tome correspond à un reportage auprès de nombreux acteurs, il ne nécessite pas de connaissances préalables. Son édition originale date de 2023. Il a été réalisé à partir du travail documentaire de Marie-France Barrier, par Céline Gandner pour le scénario, et par Marie Jaffredo pour les dessins et les couleurs. Il comporte cent-cinq pages de bande dessinée. Il s’ouvre avec un texte rédigé par Michel Welterlin, directeur de la collection Témoins du monde. Il se termine avec les remerciements des trois autrices, une présentation de leur parcours, et la liste des ouvrages parus dans cette collection. Elle se sent Perce-Neige, pas celle qui fait le printemps, celle qui l’annonce. Le lierre, il fleurit en octobre. C’est tard, oui. Mais il offre aux abeilles, bien contentes, de quoi butiner toute l’année. Alors pourquoi Perce-Neige ? Elle fleurit parmi les premiers et, Marie-France a eu le sentiment de s’être éveillé très tôt à ces réflexions environnementales. Ce n’est ni bien ni mal. Là, elle se tient collée contre le tronc d’un très grand arbre, il a bien trois cents ans. C’est son spot secret, à elle, son paysage. Elle lui parle comme un confident. Les arbres sont des traits d’union entre les énergies cosmiques qui viennent du fin fond de l’univers et les énergies telluriques nichées au cœur de la terre. Ce sont des alchimistes qui font le lien entre le visible et l’invisible, et transforment la lumière et le CO2 pour nourrir les êtres humains, les abriter les chauffer, les éclairer. Et eux, petits humains qui sont si dépendants d’eux, pourquoi se sont-ils tant éloignés de ces génies généreux ? Ils se sont crus au sommet de la création quand ils ne sont qu’un infime maillon de cette chaîne du vivant. Marie-France aimerait tellement participer à leurs retrouvailles, se réconcilier avec l’Arbre, ce grand chef d’orchestre de la nature. Comme il est beau, ce vieux frère, toujours à grandir vers la lumière ! Nichée au creux d’un arbre, c’est là où elle se sent le mieux. Elle a comme l’impression d’être à la maison, d’être en famille. Depuis toute petite, elle cherche sa juste contribution au monde, elle a envie d’être au service de la vaste communauté des terriens. Elle a comme l’intuition d’une mission à accomplir. Alors voilà, tout comme le font les arbres, elle va elle aussi prendre soin de la terre nourricière. Elle a besoin de se rebrancher, de mettre les mains dans la terre. Voilà dix ans qu’elle fait du documentaire et, là, elle a besoin d’autre chose, de plus concret, de plus engagé. La voilà partie pour une nouvelle aventure de vie : douze semaines de formation au maraîchage biologique en Sologne, qui sait, un nouveau chapitre d’existence s’ouvre peut-être. Marie-France se rend à la ferme de Sainte Marthe. En arrivant, elle y découvre qu’il y a plein de gens comme elle. Elle n’est pas si isolée dans ses questionnements et son appel à la terre. Ici elle n’est pas une bizarrerie. Elle perçoit des profils et des âges très différents. Mais ils sont tous novices du monde agricole. Retourner à l’école pour retrouver une position d’apprenante. C’est revitalisant. Le premier jour, chacun se présente et partage la raison de sa venue. C’est très excitant pour tout le monde. Comme un saut dans le vide. Marie-France Barrier est documentariste de profession, et elle a réalisé, entre autres, les films Le champ des possibles (2017) et Le temps des arbres (2020), dont s’inspire le présent ouvrage, où les autrices la mettent en scène. La séquence d’ouverture expose ainsi sa motivation ainsi que sa démarche. Impressionnée par les arbres, et consciente de la position intenable de l’être humain séparé du monde végétal, elle décide de prendre soin de la terre nourricière en commençant par un stage de formation en maraîchage. Toutefois, elle fait rapidement le constat qu’elle n’est pas faite pour ce métier. En revanche, elle a fait l’expérience qu’il y a tant de belles histoires à raconter autour de ce monde agricole qui se réinvente, qui cherche des solutions, qui explore le champ des possibles pour faire pousser un avenir fertile et résilient. Elle reprend donc la route pour aller écouter et recueillir la parole des anciens agriculteurs, viticulteurs et éleveurs qui ont grandi dans le moule de l’agriculture industrielle et qui se sentent prêts à s’en détacher pour en imaginer un autre. Les autrices mettent ainsi en scène ces rencontres, la parole d’un céréalier, d’un éleveur laitier, des membres d’une ferme collective, d’un scieur mobile, d’un propriétaire forestier, d’un paysan, d’un couple de viticulteurs, avec une grande importance donnée aux images. En entamant ce genre d’ouvrage, le lecteur peut nourrir un a priori sur sa forme : des longs pavés de texte explicatifs pour exposer les faits et les connaissances, et des images réduites au rôle de faire-valoir. Il y a bien des phases d’exposition consistantes, sans pour autant que se produise l’effet de pavés indigestes par trop de didactisme magistral. Chaque entretien prend la forme d’une rencontre avec un professionnel personnellement impliqué dans la mise en œuvre de méthodes différentes offrant une alternative viable à l’agriculture industrialisée, avec une part prépondérante donnée au témoignage plutôt qu’à l’exposé. La première page de bande dessinée peut faire hésiter le lecteur : un petit dessin de perce-neige en bas à droit de la page, sur fond gris, avec trois cartouches de texte, c’est-à-dire plus de texte que d’image. Dans les trois pages suivantes : une illustration pleine page, pour un arbre et Marie-France en relation avec. Puis le lecteur découvre des cases disposées en bande sans bordure encrée. Des dessins au rendu doux, dans un registre naturaliste un peu simplifié, avec des couleurs dans un mode réaliste avec des teintes un peu estompées. La dessinatrice apporte bien sûr un soin particulier aux plantes et aux arbres. D’ailleurs elle réalise quarante illustrations en pleine page ayant pour objet la nature, que ce soient des plantes ou des paysages. Le lecteur voit bien que cet ouvrage est consacré à la culture, à la terre et à son travail, aux plantes et aux arbres. Les dessins ne parlent que de ça : il peut ainsi contempler ces paysages et ces activités dans leur variété. Les trajets dans de petites routes de campagne, les rangées de salades, la qualité de la terre arable éprouvée à pleine main avec ses vers de terre, les sillons bien parallèles, les vaches, l’herbe et les fleurs, les haies qui délimitent des parcelles de petite taille, les forêts de hauts arbres, la terre devenue aride et nue, le savant travail de sciage d’un arbre de gros diamètre, les tristes forêts de culture de résineux, les écureuils, les champignons… Puis des paysages moins communs : une parcelle cultivée autour de l’arbre et avec lui, des moutons qui profitent des arbres fourragers, des arbres plantés dans une parcelle de vignes pour rompre avec la monoculture, la prolifération de la faune dans une mare, etc. Grâce aux dessins, le lecteur peut constater par lui-même l’existence de ces cultures d’une approche différente, ainsi que leurs répercussions sur la faune et la flore. À l’évidence, l’artiste s’est richement documenté pour pouvoir transcrire ces modes de culture sortant du modèle de l’agriculture industrielle. Elle les représente avec une évidence dont la plausibilité atteste d’une observation éclairée de ces sites. Recueillir la parole d’agriculteurs, viticulteurs et éleveurs qui se sont détachés de l’agriculture industrielle, c’est ainsi que Marie-France va d’abord rencontrer Olivier, pays de Caux, céréalier depuis 20 ans, 45 ans, 300ha de céréales. Puis Frédéric, Sarthe, éleveur laitier, la quarantaine, environ 50 vaches et 60ha. Visiter une ferme collective, 11 ingénieurs agronomes, 80ha, village La Tournerie dans le Limousin. Et Étienne, proche de la retraite, Castelnau-de-Brassac, au-dessus de Castres, scieur mobile. Xavier, 56 ans, comptable, propriétaire forestier, a acquis 110ha près du plateau de Millevaches près de Limoges. Jack, coteaux du Gers, ferme familiale, 56 ans, paysan, 150ha. Delphine et Benoît, viticulteurs, Bordelais, couple de vignerons explorateurs, 8ha. Il s’agit de professionnels installés depuis plus sieurs années, mettant en œuvre leurs convictions, et vivant de leur travail, sans perte financière par rapport à leurs pratiques précédentes. Dans un premier temps, la journaliste semble mettre en avant des convictions personnelles peut-être naïves sous un certain angle : Les arbres en tant que traits d’union entre les énergies cosmiques qui viennent du fin fond de l’univers et les énergies telluriques nichées au cœur de la terre, le paysan qui travaille avec le vivant est plus qu’un sage, c’est un super-héros, reconquérir sa souveraineté, son autonomie d’être, sa capacité à penser. Ou encore : Chacun d’entre nous sait mieux que quiconque ce qui est le mieux pour soi. Toutefois ces convictions cèdent immédiatement le pas aux expériences concrètes racontées par chaque professionnel rencontré. La découverte d’acteurs d’un monde agricole qui se réinvente, qui cherche des solutions, qui explore le champ des possibles pour faire pousser un avenir fertile et résilient. Il n’y a rien de naïf dans leurs histoires, dans leur expérience de vie, ni rien de manichéen, encore moins de magique. C’est du concret, le retour de l’expérience. Au fil de ces rencontres, la journaliste évoque tous les questionnements qui accompagnent cette mise en œuvre d’alternatives : le rendement, la résistance aux maladies, la viabilité économique, et les aspects écologiques de base comme la biodiversité et la compatibilité de la production avec les rythmes naturels et les écosystèmes, et même ce concept un peu flou de bon sens paysan en lui rendant du sens, sans angélisme, sans moralisme. Le lecteur en ressort tout ragaillardi d’avoir ainsi pu découvrir des alternatives viables, à un mode de production dont il peut se sentir prisonnier parce qu’il n’y aurait pas de possibilité de faire autrement. Un ouvrage écolo et petites fleurs ? Au contraire, des reportages avec les pieds dans la boue, les mains dans la terre, et une complémentarité entre expérience de terrain et connaissances théoriques. La narration visuelle donne à voir une multiplicité de paysages agricoles, dans leur diversité et leur richesse. Les autrices permettent au lecteur de découvrir, de rencontrer et d’écouter des paysans et des éleveurs passionnants, dont le parcours professionnel dans l’agriculture industrielle les a amenés à avoir la curiosité de chercher et de mettre en œuvre des alternatives pragmatiques et viables. Passionnant.