Je suis très étonné d'être le premier à chroniquer cette BD. Notons que je n'y mets aucune fierté ni aucun mérite perso, mais j'avais tellement entendu parler d'elle depuis sa sortie que je pensais vraiment la trouver ici-même. En outre, il me semblait que les œuvres précédentes de Lucas Harari avaient reçu un écho extrêmement favorable. Par ailleurs, j'abordais ma lecture avec pas mal d'a priori car La dernière rose de l'été m'avait laissé complètement de marbre.
Cela étant dit, je reste très partagé sur le cas David Zimmerman.
D'abord, je suis assez stupéfait par le travail sur les couleurs qui contribue grandement à l'ambiance générale. C'est même carrément splendide sur les pages pleines, magnifiques, notamment les vues générales de nuit (P94-95 par exemple). Car à mon sens, l'ambiance est l'élément le plus important de cette histoire. Elle imprègne chaque page d'un voile fantastique, comme chez Charles Burns, disons la BD made in US en général. Il y a beaucoup de pages muettes d'ailleurs, ce qui fait que cette énorme pavé est finalement engloutie assez vite. Le travail de Roman Gigou, le coloriste, compense en grande partie une certaine rigidité que je ne peux m'empêcher de percevoir dans le dessin, ce qui m'avait au passage vraiment freiné dans La Dernière Rose... Rigidité des visages et rectitude des architectures, tout cela resterait sans doute assez froid sans l'impact visuel des couleurs. Ici, tout cela est évité.
En effet, plus on avance, plus l’œil semble détendre les lignes, si bien que très vite, le dessin devient même très séduisant. On se retrouve sans trop s'en rendre compte, complètement happé dans ces grandes pages crépusculaires. Je me suis surpris à admirer longuement certaines cases, d'autant plus que l'édition, comme toujours chez Sarbacane, est très classieuse : papier de qualité, agréable sous les doigts, trame à gros points (j'aime !)...
Enfin, le scénario est très bien foutu, terriblement intrigant, et rapidement mis en place. Il vous maintient en haleine jusqu'au bout. Toutes mes réticences se sont évanouies dès l'entame du deuxième chapitre. On sent derrière tout ça des préoccupations très actuelles sur l'identité de genre. Tout cette affaire de passage d'un corps à l'autre par un hypothétique "corps" étranger renvoie de toute évidence à cette question (on songera au passage au film It Follows). L'intégration d'un sujet social dans une fiction, fantastique qui plus est, est ici parfaitement réussie, et très fluide.
Alors où est le problème ? Ben à vrai dire, j'ai été proportionnellement très déçu par cette fin qui m'a laissé sur ma faim. Bien sur, j'y ai beaucoup cogité pour en conclure finalement que les auteurs militaient peut-être en faveur du libre choix du genre pour les individus, tout en soutenant l'acceptation de son corps. Bof ! Pas très satisfaisant... Donc oui, fin pour moi un peu facile, et en même temps peu explicite, mais également sujet qui ne me concerne pas, même si j'y suis par ailleurs sensible...
Bref ! Je garde cette BD un très bon souvenir de lecture, sans oublier le fait que je lui trouve un aspect fantastique et social très très bien intégré, toutefois un peu gâté par cette fin triste, sans lueur, et pour moi peu saisissable. Une fois refermée Le cas David Zimmerman, j'ai eu le sentiment qu'on me mettait à la porte après une excellente soirée, sentiment assez frustrant. Ce 3/5 n'est pas vraiment représentatif de ce que je pense, c'est pourquoi pour ne pas donner l'impression que je boude ou juge, je lui colle malgré tout un coup de cœur.
Alors ça, c'est beau.
Tout le long de l'album, j'ai eu un retour en enfance, je me suis revue à cette époque où je dévorais des courts métrages fantastiques aux dessins parfois assez similaires à ceux-ci sur les chaînes câblées. Ce texte bien trouvé, ce dessin qu'on croirait fait sur papier noir faisant ressortir les couleurs vives par contraste, ces personnages allégoriques qui parlent et qui touchent à tout âge, ... Je n'arrive pas à mettre le doigt sur un terme pour désigner ce genre de récit depuis toutes ces années, mais c'est à ça qu'il me font penser : des courts métrages alliant habillement une douce noirceur et une beauté presque onirique.
L'histoire, ici, est celle d'un garçon né avec un cœur de pierre, incapable d'aimer, d'une fille née avec un cœur d'artichaut, aimant vite et intensément, et d'un autre garçon quant-à-lui né avec un cœur en or. C'est une histoire sur les émotions, les sentiments, l'amour (romantique comme propre), sur la complexité et la grande variété des attachements humains. L'histoire est tout public, touchant à tout âge par l'universalité de son propos, mais brillant davantage chez les cœurs enfantins.
Le texte est marquant lui aussi, tout en alexandrins et en rimes. Les mots et les images qu'ils évoquent sont beaux, c'est un texte très satisfaisant à lire, surtout à voix haute je trouve.
Du bon, du très bon. Honnêtement, j'irais même jusqu'à dire que l'album frôle le cinq étoiles (je ne déplore qu'un ou deux mots qui auraient pu être mieux choisis). Rooh, vous savez quoi, il le mérite quand-même !
Un coup de cœur, évidemment.
Mais... Mais c'est très bien !
On pourrait croire à un ersatz de Calvin et Hobbes, mais pas du tout. On a bien l'impertinence et l'imaginaire de la jeunesse confrontant le monde des adultes, mais ici tout est plus doux, plus contemplatif. Calvin est l'archétype du sale gamin, dont l'imagination et l'énergie en font une véritable source de problèmes, remettant en cause le monde principalement par esprit de contradiction et un début de cynisme. Pico est plus un archétype de "petit malin", d'un enfant très intelligent à la fois suffisamment épargné par les affres du monde adulte pour le remettre en cause avec justesse et ayant suffisamment compris et assimilé le pouvoir de la rhétorique pour espérer profiter et abuser des règles absurdes imposées par lesdits adultes (au point où la seule chose le différenciant d'un adulte est son physique). Cette série a davantage un humour de répartie, cherche davantage les bons mots, les jeux de mots, les phrases qui prêtent à réflexion. Toujours proche de la série avec le tigre en peluche, donc, mais se distinguant par sa dimension plus positive et bon enfant et son côté "gamin philosophe".
Les histoires de Pico Bogue sont des tranches de vie sur un gamin beau parleur, remettant sans cesse en cause le monde et jouant sur les mots dès qu'il le peut. Un vrai plaisir littéraire. D'ailleurs Pico n'est pas le seul à avoir de la verve, sa famille comme ses amis partagent visiblement son désir d'argumenter tout ce qui leur tombe sur la main (bon, pour les parents, c'est surtout qu'iels essaient de mettre en touche leurs enfants, et vu comme Pico et Ana Ana aiment avoir le dernier mot ce n'est pas chose facile).
J'étais tombée pour la première fois sur ces petites histoires (petites mais à tailles variables) dans le Monde des ados, et je m'étais d'abord demandée ce qu'une BD à l'apparence si enfantine y faisait. Puis je les ai lus et j'ai eu un petit coup de foudre. C'est mignon, c'est drôle, c'est réflexif, et surtout les textes sont bien écrits. Moi, des textes huilés comme ceux-là, des personnages qui ont le sens de la répartie et se répondent du tac au tac, ça me plait toujours.
Du sarcasme doux et enfantin, des dessins très mignons dans un style aquarelle, des textes travaillés, une lecture agréable à tout âge.
Je trouve ce livre très captivant et vraiment marrant car les deux filles sont meilleures amies depuis la première minute qu’ elles passent dans cette école de magie. La BD est 100% originale (de mon point de vue), c'est un livre parfait pour les 10/13 ans et je le recommande fortement(car j’ai 12 ans et c'est ma bande dessinée préférée). Bonne lecture !!! ?
Tiens des avis partagés pour ce tome, personnellement je le trouve très très bon.
Dans ma petite tête, il serait même le parfait candidat pour ceux qui souhaitent découvrir l’univers. On y croise brièvement Célestin, une allusion est faite à Babel et surtout on assiste à une sorte d’avant première de certains événements du tome sur Fannie.
Bref, un album qui chronologiquement a son importance tout en donnant déjà énormément de cohérence et de densité au monde créé par Gess.
L’intrigue développée autour de notre trouveur sera peut-être la moins surprenante de la série, mais boudiou que c’est efficace !! Et j’adore cette fin. Je trouve que ce tome dépeint particulièrement bien l’époque et ce microcosme parisien (en y ajoutant bien sûr cette petite touche de fantastique avec les talents). La géographie sera bien explorée comme l’histoire, nous sommes après la Commune de Paris.
La patte graphique de l’auteur finit de m’achever pour m’entraîner avec délectation dans son monde des Contes de la Pieuvre.
Pour moi, un petit bijou cette série et ce tome en est une belle pièce maîtresse. J’adore, j’adhère à mort.
Que c’est bon.
J'ai toujours beaucoup apprécié le travail d'Éric Herenguel. Sa dernière création ne déroge pas à la règle. Et c'est tant mieux.
Avec son imagination fertile et débridée, l'auteur comme à son habitude se fait d'abord plaisir en racontant une histoire plaisante, enlevée, et totalement invraisemblable.
Plaisir de création complètement partagé pour le lecteur avec des planches à l'encrage magnifique et de haute volée. Les différentes vues de Manhattan, la faune diverse et variée, les scènes d'action, d'aviation et de cadrage sont parfaitement maitrisées dans des décors qui ne cèdent en rien à la facilité. Un vrai régal ! On en redemande...
Tout le plaisir également de retrouver un artiste qui mélange avec un très grand savoir faire des univers totalement opposés et joue à fond la carte de tout ce que peuvent permettre les codes de la BD.
Ici on retrouve tous les ingrédients qui font la réussite de cette série.
Au sortir de la seconde Guerre Mondiale, on y croise dans l'ordre ou dans le désordre et de façon improbable, des dinosaures avec des avions militaires dans un New York revisité style jungle urbanisée, un King Kong, un teckel trop choupi, de belles et dangereuses Amazones, un bel héros aviateur de l'US Air Force, des militaires pas toujours futés, des jolies filles style Pin-up et leur faire valoir, un journaliste, un scientifique allumé, des bolides de toutes sortes...
Dans cet univers invraisemblable où la survie semble être la règle, on retrouve des personnages livrés à eux-même ou l'ambition, la jalousie, le brutal et parfois la naïveté se côtoient parfaitement et rendent à ce milieu un côté humain et attachant. Bref ! Un beau et savant mélange de création "no limit " totalement assumé comme on aimerait en lire plus souvent.
Pour achever de satisfaire les plus exigeants les Éditions Ankama pour les versions dos toilés et les Éditions Caurette pour la version Intégral noir & blanc ont fait du super boulot.
Si comme moi, vous aimez la création délirante, les teckels et l'univers débridé que propose cet auteur, n'hésitez pas à vous plonger dans l'aventure The Kong Crew. Vous passerez un agréable moment.
Quelle super série !
Un univers intriguant et original qui se découvre au fil des tomes et qui s'étoffe. En fait nous avancons dans la compréhension de l'univers au même rythme que les héros. Procédé classique qui fonctionne diablement
Les personnages d'enfants s'adaptent, en particuliers notre groupe de "héros" qui sont bien écrits, et touchants.
Les dessins de Gazzoti sont très beaux.
C'est une série qui, pour moi fonctionne, autant pour les enfants, les ados que les adultes.
A l'heure ou j'écris nous en sommes au tome 15 et j'ai hâte de lire la suite !
Idéal est une bande dessinée profonde et complexe qui explore les thèmes de l’amour, de l’identité, du temps et de l’IA. L’histoire suit Hélène, une pianiste dont la vie change radicalement après un accident qui l’empêche de jouer correctement du piano. Dans un effort désespéré de raviver son couple, Hélène introduit clandestinement une androïde à son image plus jeune, ce qui bouleverse la dynamique de sa relation avec son mari Edo.
Le récit est loin d’être simple, il soulève des questions profondes sur l’illusion du passé, la quête de l’idéal et la manière dont nous nous accrochons à nos souvenirs. Le dessin, inspiré des estampes japonaises, accentue l’ambiance mélancolique et poétique de l’histoire. Chaque page est un vrai plaisir visuel, avec une atmosphère qui complète parfaitement le ton introspectif du scénario.
Idéal est une œuvre complexe et subtile, qui mérite une lecture attentive et qui pousse à la réflexion sur la nature de l’amour et du changement. Un coup de cœur, à mon sens, méritant un 5/5.
L’espérance est un risque à courir. – Bernanos
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Ce tome contient une histoire, de nature biographique, complète et indépendante de toute autre. Son édition originale date de 2022. Il a été réalisé par Emmanuel Lepage pour le scénario, les dessins et les couleurs. Il comprend trois cents pages de bande dessinée.
Il y a des dizaines d’années de cela, un groupe d’une demi-douzaine d’enfants joue à cache-cache bâton à la nuit tombée. Quatre d’entre eux sont assis et ils regardent intensément, les deux autres étant tout aussi intensément impliqués dans le jeu. En parallèle, Jean-Paul Lepage échange avec son fils, en lui indiquant que ce projet de bande dessinée lui donne des sueurs froides, que raconter c’est figer. Emmanuel lui répond que cet homme qu’il va raconter, ce n’est plus son père, et puis ce sera l’interprétation de l’artiste. Il continue : on change, Jean-Paul n’est plus l’homme qu’il était il y a cinquante ans. On se défait de ses vies, comme des mues. Comme ceux qui ont partagé l’aventure d’alors. On a le droit de s’accorder de nouvelles chances. C’est une histoire ancienne, et lui Emmanuel a besoin de comprendre. Juin 2015, Emmanuel arrive au lieu-dit Gille Pesset. Il entend la voix de son père en son for intérieur : c’est Jean qui avait planté ces bouts de poutre dans le sol, moins pour signifier la limite de propriété que pour inciter les voitures à ralentir. Mais pour Jean-Paul, c’est comme franchir la porte du Paradis. Quarante-cinq ans après, évidemment, tout est devenu plus petit. Emmanuel pousse la porte de la maison commune, et il entre et salue les personnes présentes : Marie-France, Yves, et les autres. La discussion porte sur les habitats partagés : réduire son train de vie, faire des choses avec d’autres, avoir des projets collectifs, ne pas vieillir bêtement dans son coin, etc.
Emmanuel est toujours troublé par les gens qui imaginent de vivre autrement, les gens qui inventent d’autres façons d’être ensemble. Et il voudrait comprendre aussi pourquoi ça le touche autant. Place de la République, avril 2016, nuit debout. Emmanuel aime les gens qui tentent, quitte parfois à trébucher. Il aime les gens qui rêvent de tout remettre à plat. Ceux qui se disent : Et si… Notre-Dame-des-Landes. Chaque fois, de Nuit debout à Notre-Dame-des-Landes, dans le chaos des idées qui fusent, dans les mots qui se cherchent, dans l’émotion à fleur de peau, dans l’espoir ou les déceptions… Un frisson monte en lui, comme une nostalgie… Lepage père reprend la parole : Six familles ont imaginé ce lieu, Gille Pesset. Il ne reste aujourd’hui plus que trois des fondateurs. Sa famille était l’une d’elle. Rennes, janvier 2019, le père et le fils marchent ensemble dans la rue, Jean-Paul Lepage évoque son enfance : C’est ici qu’il a vécu, boulevard de la Liberté. Son père était vaguemestre. Il distribuait le courrier d’une caserne à l’autre. Rennes était alors une grosse ville de garnison. Sa mère faisait office de concierge et de femme de chambre. Pour sa peine, ils étaient logés dans un deux pièces, une de chaque côté d’un couloir.
Le texte de la quatrième de couverture synthétise bien la démarche de l’auteur : De cinq à neuf ans j’ai grandi dans une communauté en Bretagne, j’ai toujours su que j’en ferai un livre. Le lecteur s’attend plus ou moins à un récit chronologique de cette période la vie d’Emmanuel Lepage, entrecoupé de digressions pour expliquer tel ou tel aspect de cette forme d’habitat partagé. La bande dessinée s’ouvre avec une partie de cache-cache bâton dépourvue de toute explications quant aux règles du jeu, avec l’explicitation de la motivation de l’auteur, c’est-à-dire sa fascination pour les individus qui souhaitent changer l’ordre établi. Le lecteur découvre les règles dudit jeu en page 163 : Emmanuel Lepage les énonce, avec une mise en situation. Il indique également qu’un de ses amis lui a fait observer que choisir le nom de ce jeu spécifique à leur petit groupe d’enfants se heurterait à l’incompréhension des lecteurs. Le lecteur apprécie cette première séquence, racontée avec des images de type réaliste et descriptif, quelques contours encrés, des larges portions rendues en couleur direct, un degré de simplification imputable pour partie à la nuit tombante. Dans la séquence suivante, il constate que le bédéiste continue de jouer sur le degré de précision de dessins, que les traits de contour peuvent devenir prépondérants, que les personnages parlent beaucoup tout en continuant à vaquer à leur occupations banales et ordinaires. Enfin, le récit suit une construction découlant des souvenirs des uns et des autres, au fur et à mesure que l’auteur les interroge et recueille leur témoignage. Il s’agit indubitablement d’un récit de nature autobiographique, et aussi biographique touchant à la vie de différentes personnes, à commencer par celle des parents d’Emmanuel, pour dessiner les chemins de vie ayant amené une douzaine de personnes à créer une communauté, celle de Gille Pesset.
Le lecteur se laisse donc porter par la narration de l’auteur, lui accordant sa confiance pour savoir où il va, pour que chaque nouvelle partie s’intègre avec les précédentes pour former un tout cohérent. Lepage lui-même indique en cours de route que certains faits se sont peut-être déroulés dans un ordre différent, que la mémoire peut être trompeuse. Il montre que le ressenti des uns peut être différent de celui des autres pour un même événement, en l’occurrence lorsque cette communauté indique à l’un des couples qu’elle ne souhaite pas l’accompagner dans l’adoption d’une fratrie de quatre enfants vietnamiens. La raison de cette forme kaléidoscopique apparaît progressivement, sa justification se trouvant dans l’effet qu’elle produit lorsque la communauté se constitue, que les uns et les autres interagissent. Un groupe de personnes est constitué de plusieurs individualités, chacune avec leur parcours de vie préalable, chacune avec leurs aspirations et leurs attentes. Le lecteur peut à certains moments se demander si c’est bien la peine de raconter telle ou telle chose : par exemple de passer autant de temps sur la jeunesse de de Jean-Paul Lepage, d’évoquer longuement l’état de l’Église à cette époque ainsi que Vatican II, de s’attarder sur la présence d’un chien amené par un couple, ou les problèmes de vue d’Emmanuel. Il accepte bien volontiers que l’auteur raconte son histoire à sa manière, il se rend compte les différentes pièces s’assemblent parfaitement, s’enrichissent de l’interaction avec les autres, se répondent entre elles, apportent un éclairage particulier, des saveurs qui se complètent. Plus que les pièces d’un miroir brisé (tels les fragments de la vérité détenu par chaque personne), c’est le constat et l’affirmation que chacun a vécu une expérience qui est propre au sein de la communauté, s’y est enrichi personnellement de manière différente aux autres, en résonnance avec son passé, son milieu socioprofessionnel, ses origines.
En fonction de sa propre vie, de son âge, de ses centres d’intérêt, l’expérience du lecteur s’avère également fort différente. Il peut avoir déjà entendu parler de ces expériences de création d’une communauté, ou il peut avoir vécu au moment de Vatican II en ayant été croyant, ou au contraire être ignorant de la Foi catholique, ou encore très sceptique d’une tentative de créer une société alternative en marge de la société. Et forcément très curieux de la forme qu’elle peut prendre, de la façon dont elle peut fonctionner. Dans tous les cas, il est sensible à la bienveillance et à la curiosité de l’auteur vis-à-vis de ses parents, de l’honnêteté intellectuelle avec laquelle les propos sont rapportés, avec lesquelles les amis s’expriment. La narration repose essentiellement sur les souvenirs des personnes interrogées, ainsi que sur les questions que se pose l’auteur. Tout du long, l’artiste fait œuvre de reconstitution historique, que ce soit pour la vie à Gille Pesset ou pour les grands événements de l’époque ayant un impact sur les familles. Le lecteur peut reconnaître aussi bien un modèle de tracteur que le maréchal Philippe Pétain (1856-1951), Paul VI (1897-1978), Monseigneur Lefèbvre (1905-1991) ou Georges Brassens (1921-1981). Il accompagne Emmanuel dans sa vie de tous les jours, dans le quotidien de cette vie en communauté, avec les autres enfants, les jeux, l’accueil des autres parents, la vie au grand air, etc. La narration visuelle se composent de cases rectangulaires avec bordure, sagement alignées en bande. La taille et le nombre de cases s’adaptent à la séquence, en fonction qu’elle présente de grands espaces, ou qu’elle soit de nature plus intimiste.
Le lecteur prend progressivement conscience de l’approche protéiforme de la narration : il s’agit d’une histoire collective, les différents points de vue rendent compte des différentes expériences. La présentation de l’histoire personnelle de Jean-Paul et de Marie-Thérèse, les parents, raconte comment ils en viennent à souhaiter vivre d’une manière différente, sur la base de quelles convictions. Au fil des semaines et des mois, le lecteur peut faire l’expérience d’une enfance dans un tel cadre de vie, atypique, ce que cela induit sur la méthode d’éducation. Dans le même temps, il (re)découvre l’importance de Vatican II, que ce soit par les signes extérieurs (le prêtre qui face au fidèle, et plus à Dieu), par ses enjeux fondamentaux (intégrer les laïcs dans la vie de l’institution), par ses frustrations (une réforme laissée en plan au décès du pape Jean XXIII, 1881-1963). Il mesure l’importance et l’impact de la communauté de Boquen, et des actions de Bernard Besret (Emmanuel relatant son entretien avec lui), dans la continuité historique (par exemple en évoquant les différents mouvements des jeunesses catholiques (JOC pour Jeunesse Ouvrière Catholique, JAC pour Agricole, JEC pour Étudiante, JIC pour Indépendante). Le lecteur constate que le contexte social de l’époque s’avère indispensable pour comprendre les motivations du groupe de personnes fondant Gille Pesset : l’importance de l’Église, la Vie Nouvelle (une association d’éducation populaire agréée par l’État), le personnalisme (courant d'idées spiritualiste qui met l'accent sur l'importance des personnes humaines, par opposition à l’individualisme et au totalitarisme) et le courant personnaliste fondé par Emmanuel Mounier (1905-1950, philosophe catholique français), etc. En toile de fond, se dessine l’utopie d’inventer une forme de société en accord avec des principes humanistes, à la fois dans ce qu’elle a d’exaltant, de frustrant au quotidien (la nécessité d’expliciter ce que cela signifie pour chaque personne de la communauté), et de démesuré (prendre en compte toutes les dimensions d’une société, des tâches de construction et d’entretien, à l’éducation, à l’épineuse question du partage des richesses, aussi bien en termes de revenus que de compétences). Le lecteur comprend petit à petit l’image récurrente des arbres, de magnifiques illustrations en pleine page, à la fois comme une enfance passée dans des espaces naturels, à la fois comme un être vivant avec des racines profondément enfouies et un développement vers le haut, comme l’existence de cette communauté.
Un titre peu explicite évoquant un jeu d’enfance, une couverture qui n’en dit pas beaucoup plus. Une narration visuelle personnelle à la fois très classique dans sa forme de cases rectangulaires alignées en bande, à la fois très libre dans sa gestion du niveau de détail, de l’approche réaliste ou plus évocatrice, de l’usage discret d’une métaphore visuelle. Un récit qui semble partir de loin, avec l’enfance des parents de l’auteur, de plusieurs endroits à la fois avec les souvenirs des différents membres de la communauté, de s’appesantir sur des éléments historiques très particulier (en l’occurrence le deuxième concile œcuménique du Vatican, 1962-1965). Au fil de l’eau, le lecteur voit comment chaque partie contribue à présenter l’expérience de vie en communauté dans sa globalité, une approche autant holistique, que personnelle, de la part d’un être humain revenant sur ses souvenirs d’enfance, voulant découvrir comment ses parents ont été les acteurs d’une démarche aussi singulière. Un partage généreux, chaleureux, formidable.
Bonne surprise que cette série.
La première impression que l'on a face à ce triptyque c'est qu'on se dit que c'est classique, une histoire sur le harcèlement et le mal-être des enfants. Et puis en fait on se rend compte que les deux enfants en question, Céline et Colin, sont fille et fils de croque-morts (enfin, d'employé-e-s de pompes funèbres) et que leur vie familiale n'est pas toute rose. Leurs parents les ont catégorisés comme "enfants à problèmes" et ne les écoutent plus, ne prêtent plus vraiment attention à elleux, ne remarque même pas que leurs enfants vont mal. Alors, quand un jour Céline et Colin tombent sur d'étranges marques sur des tombes, c'est une grande enquête qui se lance. Mais quand bien-même découvriraient-iels quelque chose, qui donc voudraient croire deux enfants bizarres ?
L'histoire est prenante de bout en bout, nos deux protagonistes sont attachant-e-s dans leur imagination enfantine et la dureté de ce qu'iels subissent, l'enquête prend rapidement des tournants dramatiques, la tension monte, nos protagonistes se montrent malins mais l'on craint jusqu'au bout qu'un malheur ne parvienne, ... bref, mine de rien un bon rythme s'installe rapidement et on est pris dans le récit.
J'ai été personnellement très touchée par la situation de ce frère et de cette sœur, martyrisé-e-s à l'école car vu-e-s comme des parias et ignoré-e-s à la maison car vu-e-s comme des enfants à problème. Ayant moi-même subit beaucoup de brimade durant ma scolarité et ayant été malheureusement aussi ignorée par mes parents et statufiée comme "enfant à problème" sans espoir de changement, les émotions que Céline et Colin vivent m'ont beaucoup parlé et surtout beaucoup émue (après, je rassure, je n'ai personnellement pas vécue de situation aussi grave que ces deux enfants). Je peux vous dire que des scènes et petits dialogues qui m'ont donné des larmes aux yeux, il y en avait à quelques tournants de page.
Le dessin de Léa Mazé est très beau, très expressif, vif quand il le faut. Je l'avais déjà apprécié dans Elma - Une vie d'ours et je compte bien trouver d'autres œuvres qu'elle aurait illustrer.
Bien sûr que je recommande la lecture.
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Le Cas David Zimmerman
Je suis très étonné d'être le premier à chroniquer cette BD. Notons que je n'y mets aucune fierté ni aucun mérite perso, mais j'avais tellement entendu parler d'elle depuis sa sortie que je pensais vraiment la trouver ici-même. En outre, il me semblait que les œuvres précédentes de Lucas Harari avaient reçu un écho extrêmement favorable. Par ailleurs, j'abordais ma lecture avec pas mal d'a priori car La dernière rose de l'été m'avait laissé complètement de marbre. Cela étant dit, je reste très partagé sur le cas David Zimmerman. D'abord, je suis assez stupéfait par le travail sur les couleurs qui contribue grandement à l'ambiance générale. C'est même carrément splendide sur les pages pleines, magnifiques, notamment les vues générales de nuit (P94-95 par exemple). Car à mon sens, l'ambiance est l'élément le plus important de cette histoire. Elle imprègne chaque page d'un voile fantastique, comme chez Charles Burns, disons la BD made in US en général. Il y a beaucoup de pages muettes d'ailleurs, ce qui fait que cette énorme pavé est finalement engloutie assez vite. Le travail de Roman Gigou, le coloriste, compense en grande partie une certaine rigidité que je ne peux m'empêcher de percevoir dans le dessin, ce qui m'avait au passage vraiment freiné dans La Dernière Rose... Rigidité des visages et rectitude des architectures, tout cela resterait sans doute assez froid sans l'impact visuel des couleurs. Ici, tout cela est évité. En effet, plus on avance, plus l’œil semble détendre les lignes, si bien que très vite, le dessin devient même très séduisant. On se retrouve sans trop s'en rendre compte, complètement happé dans ces grandes pages crépusculaires. Je me suis surpris à admirer longuement certaines cases, d'autant plus que l'édition, comme toujours chez Sarbacane, est très classieuse : papier de qualité, agréable sous les doigts, trame à gros points (j'aime !)... Enfin, le scénario est très bien foutu, terriblement intrigant, et rapidement mis en place. Il vous maintient en haleine jusqu'au bout. Toutes mes réticences se sont évanouies dès l'entame du deuxième chapitre. On sent derrière tout ça des préoccupations très actuelles sur l'identité de genre. Tout cette affaire de passage d'un corps à l'autre par un hypothétique "corps" étranger renvoie de toute évidence à cette question (on songera au passage au film It Follows). L'intégration d'un sujet social dans une fiction, fantastique qui plus est, est ici parfaitement réussie, et très fluide. Alors où est le problème ? Ben à vrai dire, j'ai été proportionnellement très déçu par cette fin qui m'a laissé sur ma faim. Bien sur, j'y ai beaucoup cogité pour en conclure finalement que les auteurs militaient peut-être en faveur du libre choix du genre pour les individus, tout en soutenant l'acceptation de son corps. Bof ! Pas très satisfaisant... Donc oui, fin pour moi un peu facile, et en même temps peu explicite, mais également sujet qui ne me concerne pas, même si j'y suis par ailleurs sensible... Bref ! Je garde cette BD un très bon souvenir de lecture, sans oublier le fait que je lui trouve un aspect fantastique et social très très bien intégré, toutefois un peu gâté par cette fin triste, sans lueur, et pour moi peu saisissable. Une fois refermée Le cas David Zimmerman, j'ai eu le sentiment qu'on me mettait à la porte après une excellente soirée, sentiment assez frustrant. Ce 3/5 n'est pas vraiment représentatif de ce que je pense, c'est pourquoi pour ne pas donner l'impression que je boude ou juge, je lui colle malgré tout un coup de cœur.
Coeur de pierre
Alors ça, c'est beau. Tout le long de l'album, j'ai eu un retour en enfance, je me suis revue à cette époque où je dévorais des courts métrages fantastiques aux dessins parfois assez similaires à ceux-ci sur les chaînes câblées. Ce texte bien trouvé, ce dessin qu'on croirait fait sur papier noir faisant ressortir les couleurs vives par contraste, ces personnages allégoriques qui parlent et qui touchent à tout âge, ... Je n'arrive pas à mettre le doigt sur un terme pour désigner ce genre de récit depuis toutes ces années, mais c'est à ça qu'il me font penser : des courts métrages alliant habillement une douce noirceur et une beauté presque onirique. L'histoire, ici, est celle d'un garçon né avec un cœur de pierre, incapable d'aimer, d'une fille née avec un cœur d'artichaut, aimant vite et intensément, et d'un autre garçon quant-à-lui né avec un cœur en or. C'est une histoire sur les émotions, les sentiments, l'amour (romantique comme propre), sur la complexité et la grande variété des attachements humains. L'histoire est tout public, touchant à tout âge par l'universalité de son propos, mais brillant davantage chez les cœurs enfantins. Le texte est marquant lui aussi, tout en alexandrins et en rimes. Les mots et les images qu'ils évoquent sont beaux, c'est un texte très satisfaisant à lire, surtout à voix haute je trouve. Du bon, du très bon. Honnêtement, j'irais même jusqu'à dire que l'album frôle le cinq étoiles (je ne déplore qu'un ou deux mots qui auraient pu être mieux choisis). Rooh, vous savez quoi, il le mérite quand-même ! Un coup de cœur, évidemment.
Pico Bogue
Mais... Mais c'est très bien ! On pourrait croire à un ersatz de Calvin et Hobbes, mais pas du tout. On a bien l'impertinence et l'imaginaire de la jeunesse confrontant le monde des adultes, mais ici tout est plus doux, plus contemplatif. Calvin est l'archétype du sale gamin, dont l'imagination et l'énergie en font une véritable source de problèmes, remettant en cause le monde principalement par esprit de contradiction et un début de cynisme. Pico est plus un archétype de "petit malin", d'un enfant très intelligent à la fois suffisamment épargné par les affres du monde adulte pour le remettre en cause avec justesse et ayant suffisamment compris et assimilé le pouvoir de la rhétorique pour espérer profiter et abuser des règles absurdes imposées par lesdits adultes (au point où la seule chose le différenciant d'un adulte est son physique). Cette série a davantage un humour de répartie, cherche davantage les bons mots, les jeux de mots, les phrases qui prêtent à réflexion. Toujours proche de la série avec le tigre en peluche, donc, mais se distinguant par sa dimension plus positive et bon enfant et son côté "gamin philosophe". Les histoires de Pico Bogue sont des tranches de vie sur un gamin beau parleur, remettant sans cesse en cause le monde et jouant sur les mots dès qu'il le peut. Un vrai plaisir littéraire. D'ailleurs Pico n'est pas le seul à avoir de la verve, sa famille comme ses amis partagent visiblement son désir d'argumenter tout ce qui leur tombe sur la main (bon, pour les parents, c'est surtout qu'iels essaient de mettre en touche leurs enfants, et vu comme Pico et Ana Ana aiment avoir le dernier mot ce n'est pas chose facile). J'étais tombée pour la première fois sur ces petites histoires (petites mais à tailles variables) dans le Monde des ados, et je m'étais d'abord demandée ce qu'une BD à l'apparence si enfantine y faisait. Puis je les ai lus et j'ai eu un petit coup de foudre. C'est mignon, c'est drôle, c'est réflexif, et surtout les textes sont bien écrits. Moi, des textes huilés comme ceux-là, des personnages qui ont le sens de la répartie et se répondent du tac au tac, ça me plait toujours. Du sarcasme doux et enfantin, des dessins très mignons dans un style aquarelle, des textes travaillés, une lecture agréable à tout âge.
La Bibliothèque des Vampires
Je trouve ce livre très captivant et vraiment marrant car les deux filles sont meilleures amies depuis la première minute qu’ elles passent dans cette école de magie. La BD est 100% originale (de mon point de vue), c'est un livre parfait pour les 10/13 ans et je le recommande fortement(car j’ai 12 ans et c'est ma bande dessinée préférée). Bonne lecture !!! ?
Un destin de trouveur
Tiens des avis partagés pour ce tome, personnellement je le trouve très très bon. Dans ma petite tête, il serait même le parfait candidat pour ceux qui souhaitent découvrir l’univers. On y croise brièvement Célestin, une allusion est faite à Babel et surtout on assiste à une sorte d’avant première de certains événements du tome sur Fannie. Bref, un album qui chronologiquement a son importance tout en donnant déjà énormément de cohérence et de densité au monde créé par Gess. L’intrigue développée autour de notre trouveur sera peut-être la moins surprenante de la série, mais boudiou que c’est efficace !! Et j’adore cette fin. Je trouve que ce tome dépeint particulièrement bien l’époque et ce microcosme parisien (en y ajoutant bien sûr cette petite touche de fantastique avec les talents). La géographie sera bien explorée comme l’histoire, nous sommes après la Commune de Paris. La patte graphique de l’auteur finit de m’achever pour m’entraîner avec délectation dans son monde des Contes de la Pieuvre. Pour moi, un petit bijou cette série et ce tome en est une belle pièce maîtresse. J’adore, j’adhère à mort. Que c’est bon.
The Kong Crew
J'ai toujours beaucoup apprécié le travail d'Éric Herenguel. Sa dernière création ne déroge pas à la règle. Et c'est tant mieux. Avec son imagination fertile et débridée, l'auteur comme à son habitude se fait d'abord plaisir en racontant une histoire plaisante, enlevée, et totalement invraisemblable. Plaisir de création complètement partagé pour le lecteur avec des planches à l'encrage magnifique et de haute volée. Les différentes vues de Manhattan, la faune diverse et variée, les scènes d'action, d'aviation et de cadrage sont parfaitement maitrisées dans des décors qui ne cèdent en rien à la facilité. Un vrai régal ! On en redemande... Tout le plaisir également de retrouver un artiste qui mélange avec un très grand savoir faire des univers totalement opposés et joue à fond la carte de tout ce que peuvent permettre les codes de la BD. Ici on retrouve tous les ingrédients qui font la réussite de cette série. Au sortir de la seconde Guerre Mondiale, on y croise dans l'ordre ou dans le désordre et de façon improbable, des dinosaures avec des avions militaires dans un New York revisité style jungle urbanisée, un King Kong, un teckel trop choupi, de belles et dangereuses Amazones, un bel héros aviateur de l'US Air Force, des militaires pas toujours futés, des jolies filles style Pin-up et leur faire valoir, un journaliste, un scientifique allumé, des bolides de toutes sortes... Dans cet univers invraisemblable où la survie semble être la règle, on retrouve des personnages livrés à eux-même ou l'ambition, la jalousie, le brutal et parfois la naïveté se côtoient parfaitement et rendent à ce milieu un côté humain et attachant. Bref ! Un beau et savant mélange de création "no limit " totalement assumé comme on aimerait en lire plus souvent. Pour achever de satisfaire les plus exigeants les Éditions Ankama pour les versions dos toilés et les Éditions Caurette pour la version Intégral noir & blanc ont fait du super boulot. Si comme moi, vous aimez la création délirante, les teckels et l'univers débridé que propose cet auteur, n'hésitez pas à vous plonger dans l'aventure The Kong Crew. Vous passerez un agréable moment.
Seuls
Quelle super série ! Un univers intriguant et original qui se découvre au fil des tomes et qui s'étoffe. En fait nous avancons dans la compréhension de l'univers au même rythme que les héros. Procédé classique qui fonctionne diablement Les personnages d'enfants s'adaptent, en particuliers notre groupe de "héros" qui sont bien écrits, et touchants. Les dessins de Gazzoti sont très beaux. C'est une série qui, pour moi fonctionne, autant pour les enfants, les ados que les adultes. A l'heure ou j'écris nous en sommes au tome 15 et j'ai hâte de lire la suite !
Idéal
Idéal est une bande dessinée profonde et complexe qui explore les thèmes de l’amour, de l’identité, du temps et de l’IA. L’histoire suit Hélène, une pianiste dont la vie change radicalement après un accident qui l’empêche de jouer correctement du piano. Dans un effort désespéré de raviver son couple, Hélène introduit clandestinement une androïde à son image plus jeune, ce qui bouleverse la dynamique de sa relation avec son mari Edo. Le récit est loin d’être simple, il soulève des questions profondes sur l’illusion du passé, la quête de l’idéal et la manière dont nous nous accrochons à nos souvenirs. Le dessin, inspiré des estampes japonaises, accentue l’ambiance mélancolique et poétique de l’histoire. Chaque page est un vrai plaisir visuel, avec une atmosphère qui complète parfaitement le ton introspectif du scénario. Idéal est une œuvre complexe et subtile, qui mérite une lecture attentive et qui pousse à la réflexion sur la nature de l’amour et du changement. Un coup de cœur, à mon sens, méritant un 5/5.
Cache-cache bâton
L’espérance est un risque à courir. – Bernanos - Ce tome contient une histoire, de nature biographique, complète et indépendante de toute autre. Son édition originale date de 2022. Il a été réalisé par Emmanuel Lepage pour le scénario, les dessins et les couleurs. Il comprend trois cents pages de bande dessinée. Il y a des dizaines d’années de cela, un groupe d’une demi-douzaine d’enfants joue à cache-cache bâton à la nuit tombée. Quatre d’entre eux sont assis et ils regardent intensément, les deux autres étant tout aussi intensément impliqués dans le jeu. En parallèle, Jean-Paul Lepage échange avec son fils, en lui indiquant que ce projet de bande dessinée lui donne des sueurs froides, que raconter c’est figer. Emmanuel lui répond que cet homme qu’il va raconter, ce n’est plus son père, et puis ce sera l’interprétation de l’artiste. Il continue : on change, Jean-Paul n’est plus l’homme qu’il était il y a cinquante ans. On se défait de ses vies, comme des mues. Comme ceux qui ont partagé l’aventure d’alors. On a le droit de s’accorder de nouvelles chances. C’est une histoire ancienne, et lui Emmanuel a besoin de comprendre. Juin 2015, Emmanuel arrive au lieu-dit Gille Pesset. Il entend la voix de son père en son for intérieur : c’est Jean qui avait planté ces bouts de poutre dans le sol, moins pour signifier la limite de propriété que pour inciter les voitures à ralentir. Mais pour Jean-Paul, c’est comme franchir la porte du Paradis. Quarante-cinq ans après, évidemment, tout est devenu plus petit. Emmanuel pousse la porte de la maison commune, et il entre et salue les personnes présentes : Marie-France, Yves, et les autres. La discussion porte sur les habitats partagés : réduire son train de vie, faire des choses avec d’autres, avoir des projets collectifs, ne pas vieillir bêtement dans son coin, etc. Emmanuel est toujours troublé par les gens qui imaginent de vivre autrement, les gens qui inventent d’autres façons d’être ensemble. Et il voudrait comprendre aussi pourquoi ça le touche autant. Place de la République, avril 2016, nuit debout. Emmanuel aime les gens qui tentent, quitte parfois à trébucher. Il aime les gens qui rêvent de tout remettre à plat. Ceux qui se disent : Et si… Notre-Dame-des-Landes. Chaque fois, de Nuit debout à Notre-Dame-des-Landes, dans le chaos des idées qui fusent, dans les mots qui se cherchent, dans l’émotion à fleur de peau, dans l’espoir ou les déceptions… Un frisson monte en lui, comme une nostalgie… Lepage père reprend la parole : Six familles ont imaginé ce lieu, Gille Pesset. Il ne reste aujourd’hui plus que trois des fondateurs. Sa famille était l’une d’elle. Rennes, janvier 2019, le père et le fils marchent ensemble dans la rue, Jean-Paul Lepage évoque son enfance : C’est ici qu’il a vécu, boulevard de la Liberté. Son père était vaguemestre. Il distribuait le courrier d’une caserne à l’autre. Rennes était alors une grosse ville de garnison. Sa mère faisait office de concierge et de femme de chambre. Pour sa peine, ils étaient logés dans un deux pièces, une de chaque côté d’un couloir. Le texte de la quatrième de couverture synthétise bien la démarche de l’auteur : De cinq à neuf ans j’ai grandi dans une communauté en Bretagne, j’ai toujours su que j’en ferai un livre. Le lecteur s’attend plus ou moins à un récit chronologique de cette période la vie d’Emmanuel Lepage, entrecoupé de digressions pour expliquer tel ou tel aspect de cette forme d’habitat partagé. La bande dessinée s’ouvre avec une partie de cache-cache bâton dépourvue de toute explications quant aux règles du jeu, avec l’explicitation de la motivation de l’auteur, c’est-à-dire sa fascination pour les individus qui souhaitent changer l’ordre établi. Le lecteur découvre les règles dudit jeu en page 163 : Emmanuel Lepage les énonce, avec une mise en situation. Il indique également qu’un de ses amis lui a fait observer que choisir le nom de ce jeu spécifique à leur petit groupe d’enfants se heurterait à l’incompréhension des lecteurs. Le lecteur apprécie cette première séquence, racontée avec des images de type réaliste et descriptif, quelques contours encrés, des larges portions rendues en couleur direct, un degré de simplification imputable pour partie à la nuit tombante. Dans la séquence suivante, il constate que le bédéiste continue de jouer sur le degré de précision de dessins, que les traits de contour peuvent devenir prépondérants, que les personnages parlent beaucoup tout en continuant à vaquer à leur occupations banales et ordinaires. Enfin, le récit suit une construction découlant des souvenirs des uns et des autres, au fur et à mesure que l’auteur les interroge et recueille leur témoignage. Il s’agit indubitablement d’un récit de nature autobiographique, et aussi biographique touchant à la vie de différentes personnes, à commencer par celle des parents d’Emmanuel, pour dessiner les chemins de vie ayant amené une douzaine de personnes à créer une communauté, celle de Gille Pesset. Le lecteur se laisse donc porter par la narration de l’auteur, lui accordant sa confiance pour savoir où il va, pour que chaque nouvelle partie s’intègre avec les précédentes pour former un tout cohérent. Lepage lui-même indique en cours de route que certains faits se sont peut-être déroulés dans un ordre différent, que la mémoire peut être trompeuse. Il montre que le ressenti des uns peut être différent de celui des autres pour un même événement, en l’occurrence lorsque cette communauté indique à l’un des couples qu’elle ne souhaite pas l’accompagner dans l’adoption d’une fratrie de quatre enfants vietnamiens. La raison de cette forme kaléidoscopique apparaît progressivement, sa justification se trouvant dans l’effet qu’elle produit lorsque la communauté se constitue, que les uns et les autres interagissent. Un groupe de personnes est constitué de plusieurs individualités, chacune avec leur parcours de vie préalable, chacune avec leurs aspirations et leurs attentes. Le lecteur peut à certains moments se demander si c’est bien la peine de raconter telle ou telle chose : par exemple de passer autant de temps sur la jeunesse de de Jean-Paul Lepage, d’évoquer longuement l’état de l’Église à cette époque ainsi que Vatican II, de s’attarder sur la présence d’un chien amené par un couple, ou les problèmes de vue d’Emmanuel. Il accepte bien volontiers que l’auteur raconte son histoire à sa manière, il se rend compte les différentes pièces s’assemblent parfaitement, s’enrichissent de l’interaction avec les autres, se répondent entre elles, apportent un éclairage particulier, des saveurs qui se complètent. Plus que les pièces d’un miroir brisé (tels les fragments de la vérité détenu par chaque personne), c’est le constat et l’affirmation que chacun a vécu une expérience qui est propre au sein de la communauté, s’y est enrichi personnellement de manière différente aux autres, en résonnance avec son passé, son milieu socioprofessionnel, ses origines. En fonction de sa propre vie, de son âge, de ses centres d’intérêt, l’expérience du lecteur s’avère également fort différente. Il peut avoir déjà entendu parler de ces expériences de création d’une communauté, ou il peut avoir vécu au moment de Vatican II en ayant été croyant, ou au contraire être ignorant de la Foi catholique, ou encore très sceptique d’une tentative de créer une société alternative en marge de la société. Et forcément très curieux de la forme qu’elle peut prendre, de la façon dont elle peut fonctionner. Dans tous les cas, il est sensible à la bienveillance et à la curiosité de l’auteur vis-à-vis de ses parents, de l’honnêteté intellectuelle avec laquelle les propos sont rapportés, avec lesquelles les amis s’expriment. La narration repose essentiellement sur les souvenirs des personnes interrogées, ainsi que sur les questions que se pose l’auteur. Tout du long, l’artiste fait œuvre de reconstitution historique, que ce soit pour la vie à Gille Pesset ou pour les grands événements de l’époque ayant un impact sur les familles. Le lecteur peut reconnaître aussi bien un modèle de tracteur que le maréchal Philippe Pétain (1856-1951), Paul VI (1897-1978), Monseigneur Lefèbvre (1905-1991) ou Georges Brassens (1921-1981). Il accompagne Emmanuel dans sa vie de tous les jours, dans le quotidien de cette vie en communauté, avec les autres enfants, les jeux, l’accueil des autres parents, la vie au grand air, etc. La narration visuelle se composent de cases rectangulaires avec bordure, sagement alignées en bande. La taille et le nombre de cases s’adaptent à la séquence, en fonction qu’elle présente de grands espaces, ou qu’elle soit de nature plus intimiste. Le lecteur prend progressivement conscience de l’approche protéiforme de la narration : il s’agit d’une histoire collective, les différents points de vue rendent compte des différentes expériences. La présentation de l’histoire personnelle de Jean-Paul et de Marie-Thérèse, les parents, raconte comment ils en viennent à souhaiter vivre d’une manière différente, sur la base de quelles convictions. Au fil des semaines et des mois, le lecteur peut faire l’expérience d’une enfance dans un tel cadre de vie, atypique, ce que cela induit sur la méthode d’éducation. Dans le même temps, il (re)découvre l’importance de Vatican II, que ce soit par les signes extérieurs (le prêtre qui face au fidèle, et plus à Dieu), par ses enjeux fondamentaux (intégrer les laïcs dans la vie de l’institution), par ses frustrations (une réforme laissée en plan au décès du pape Jean XXIII, 1881-1963). Il mesure l’importance et l’impact de la communauté de Boquen, et des actions de Bernard Besret (Emmanuel relatant son entretien avec lui), dans la continuité historique (par exemple en évoquant les différents mouvements des jeunesses catholiques (JOC pour Jeunesse Ouvrière Catholique, JAC pour Agricole, JEC pour Étudiante, JIC pour Indépendante). Le lecteur constate que le contexte social de l’époque s’avère indispensable pour comprendre les motivations du groupe de personnes fondant Gille Pesset : l’importance de l’Église, la Vie Nouvelle (une association d’éducation populaire agréée par l’État), le personnalisme (courant d'idées spiritualiste qui met l'accent sur l'importance des personnes humaines, par opposition à l’individualisme et au totalitarisme) et le courant personnaliste fondé par Emmanuel Mounier (1905-1950, philosophe catholique français), etc. En toile de fond, se dessine l’utopie d’inventer une forme de société en accord avec des principes humanistes, à la fois dans ce qu’elle a d’exaltant, de frustrant au quotidien (la nécessité d’expliciter ce que cela signifie pour chaque personne de la communauté), et de démesuré (prendre en compte toutes les dimensions d’une société, des tâches de construction et d’entretien, à l’éducation, à l’épineuse question du partage des richesses, aussi bien en termes de revenus que de compétences). Le lecteur comprend petit à petit l’image récurrente des arbres, de magnifiques illustrations en pleine page, à la fois comme une enfance passée dans des espaces naturels, à la fois comme un être vivant avec des racines profondément enfouies et un développement vers le haut, comme l’existence de cette communauté. Un titre peu explicite évoquant un jeu d’enfance, une couverture qui n’en dit pas beaucoup plus. Une narration visuelle personnelle à la fois très classique dans sa forme de cases rectangulaires alignées en bande, à la fois très libre dans sa gestion du niveau de détail, de l’approche réaliste ou plus évocatrice, de l’usage discret d’une métaphore visuelle. Un récit qui semble partir de loin, avec l’enfance des parents de l’auteur, de plusieurs endroits à la fois avec les souvenirs des différents membres de la communauté, de s’appesantir sur des éléments historiques très particulier (en l’occurrence le deuxième concile œcuménique du Vatican, 1962-1965). Au fil de l’eau, le lecteur voit comment chaque partie contribue à présenter l’expérience de vie en communauté dans sa globalité, une approche autant holistique, que personnelle, de la part d’un être humain revenant sur ses souvenirs d’enfance, voulant découvrir comment ses parents ont été les acteurs d’une démarche aussi singulière. Un partage généreux, chaleureux, formidable.
Les Croques
Bonne surprise que cette série. La première impression que l'on a face à ce triptyque c'est qu'on se dit que c'est classique, une histoire sur le harcèlement et le mal-être des enfants. Et puis en fait on se rend compte que les deux enfants en question, Céline et Colin, sont fille et fils de croque-morts (enfin, d'employé-e-s de pompes funèbres) et que leur vie familiale n'est pas toute rose. Leurs parents les ont catégorisés comme "enfants à problèmes" et ne les écoutent plus, ne prêtent plus vraiment attention à elleux, ne remarque même pas que leurs enfants vont mal. Alors, quand un jour Céline et Colin tombent sur d'étranges marques sur des tombes, c'est une grande enquête qui se lance. Mais quand bien-même découvriraient-iels quelque chose, qui donc voudraient croire deux enfants bizarres ? L'histoire est prenante de bout en bout, nos deux protagonistes sont attachant-e-s dans leur imagination enfantine et la dureté de ce qu'iels subissent, l'enquête prend rapidement des tournants dramatiques, la tension monte, nos protagonistes se montrent malins mais l'on craint jusqu'au bout qu'un malheur ne parvienne, ... bref, mine de rien un bon rythme s'installe rapidement et on est pris dans le récit. J'ai été personnellement très touchée par la situation de ce frère et de cette sœur, martyrisé-e-s à l'école car vu-e-s comme des parias et ignoré-e-s à la maison car vu-e-s comme des enfants à problème. Ayant moi-même subit beaucoup de brimade durant ma scolarité et ayant été malheureusement aussi ignorée par mes parents et statufiée comme "enfant à problème" sans espoir de changement, les émotions que Céline et Colin vivent m'ont beaucoup parlé et surtout beaucoup émue (après, je rassure, je n'ai personnellement pas vécue de situation aussi grave que ces deux enfants). Je peux vous dire que des scènes et petits dialogues qui m'ont donné des larmes aux yeux, il y en avait à quelques tournants de page. Le dessin de Léa Mazé est très beau, très expressif, vif quand il le faut. Je l'avais déjà apprécié dans Elma - Une vie d'ours et je compte bien trouver d'autres œuvres qu'elle aurait illustrer. Bien sûr que je recommande la lecture.