Un chef d'œuvre.
Et je m'en vais défendre deux choses : cette BD est dynamique. Dynamique ? On n'est pas dans Alix par parenthèse qui ne manque pas de qualité, les personnages, les chevaux, tout est plein d'allant. Est-ce que ce qui serait statique amènerait la comparaison avec Robin des Bois d'Errol Flyn ? Jamais. Je pense que par manque de dynamisme on veut dire sans marque de mouvement, sans bulle, sans flou, sans le style moderne. Mais il y a plusieurs façons d'être mobile ! Le cadrage des images, la tension dans l'action qui évite les poses de statues et d'ailleurs, d'acteur, les images aux tons vifs, tout cela insuffle un sacré dynamisme !
Pour les stéréotypes de genre…D'abord les femmes car il y en a dans la BD. L'âge médiéval n'est pas le nôtre, ensuite, la princesse Aleta domine souvent la relation, avec Prince Vaillant. Et elle n'est pas la seule femme de caractère. Certes, la femme du roi Arthur n'est pas extraordinaire, mais sa sœur est un des meilleurs méchants. Un pirate viking se marie avec une Indienne qui a de la personnalité, la sœur de Prince Vaillant n'en manque pas, mais je ne vais pas dresser de liste.
Par contre, évidemment, il était inconcevable à l'époque qu'on nous montre des chevaleresses mais les historiens les avaient-ils seulement découvertes ? Certes, il y avait des femmes commerçantes et pratiquant l'artisanat, à l'époque médiévale, mais on ne les voit guère, les producteurs, dans l'histoire, même les paysans, de loin les plus nombreux, ne sont qu'aperçus : souvent des serfs éventuellement exploités par des méchants que les héros délivrent… Presque pas de prêtres, pas tant de sorciers que ça, des rois, surtout comme combattants, selon la tradition des chansons de gestes et des romans d'aventures.
Reste la question de l'homosexualité, mais alors là, vu l'époque, il ne faut pas rêver : ni sexe, ni homosexualité en bande dessinée ! En fait, tant mieux, vu l'ambiance, je pense que tout cela aurait été présenté de façon négative alors que dans la saga, si on ne montre pas tout, personne ne peut se sentir diabolisé, sauf peut-être les Huns ! A noter que les Indiens sont respectés et qu'il y a un vieux commerçant pouvant faire penser à un Juif qui ne manque ni de courage ni de générosité que protège Prince Vaillant. Il y a des personnages comiques dans l'Histoire, mais on ne gomme pas pour autant leur qualité, Gauvain est un séducteur assez fat mais ne manque pas de courage et de malice, un Grec filou devient un héros par amour, un simple paysan par moment passablement ridicule donne toute sa part de butin pour tirer un ami de l'esclavage, et d'ailleurs, des bouffons, un jour, imitent de loin le roi Arthur de loin pour leurrer des ennemis pour qu'ils puissent prendre les assaillants par surprise.
Voilà encore un bel ouvrage aux éditions 404.
J'avais déjà lu Speak du/de la même auteur(rice) que j'avais beaucoup aimé tant niveau graphique que de l'histoire.
L'histoire débute comme une banale histoire de famille recomposée avec une jeune femme devenue belle-mère et qui espère bien faire avec sa belle-fille d'autant plus que la maman est décédée. Abby aime cette vie même son amour avec David est un peu distant. Mais petit à petit le trouble et des questions apparaissent sur la mort de Sheila, la première femme de David. La tension monte progressivement. Si l'on pense savoir où l'histoire nous emmène on est finalement surprit par le dénouement. On est sur un conte horrifique avec un brin de fantastique ce qui a très bien marché avec moi.
Me dessin n'est pas en reste avec un très beau noir et blanc pour la vie quotidienne/réelle et l'apparition des couleurs pour les passages oniriques et les fantômes. Les couleurs sont flamboyantes au milieu du noir et blanc avec des pages sublimes.
Un petit mot aussi sur le livre en lui-même. C'est encore une belle édition avec un papier épais et de qualité comme la couverture d'ailleurs. La jaquette du livre est sublime aussi. Le livre a un coût 30€ mais il est pour moi amplement justifié par la qualité de l'ouvrage en lui même.
Gou Tanabe m'éblouit à double titre, dans ses adaptations de Lovecraft. Qu'est-il ? Un dessinateur tombé du ciel. Evidemment, pas en couleurs… Si un autre faisait aussi bien en couleur, je lui mettrais un coup de cœur, tiens. Bref, il adapte, il réinvente Lovecraft, et ce n'est pas rien ! Il n'illustre pas platement, il ne transfère pas non plus une partie de son univers dans un autre pour le raviver comme dans les eaux de Mortelune mais pas seulement. Il parvient à montrer l’immontrable, qui échappe pourtant toujours à l'appréhension du lecteur.
Et comment y parvient-il ? Je pense que c'est grâce à un noir et blanc étonnant, je veux dire ni noir et blanc tranché, expressionniste, ni gris crasseux censé montrer le chaos, la misère et le trouble des deux. Il unit les deux et un caractère contemplatif pour montrer et dérober à la fois les images que le maître de Providence ne fait qu'évoquer sans les réduire à des phénomènes de foire. Montrer fortement, avec une réserve, et en instaurant un tempo, un temps différent des autres BD, bravo ! Accessoirement, il n'est pas mal d'avoir une couverture évoquant celles des anciens grimoires, c'est un bel objet, et un seuil à ouvrir pour franchir un autre monde.
Après tant de compliments, on pourrait s'étonner que je ne marque pas de coup de cœur. Je l'attribue au fait de ne pas découvrir une nouvelle histoire, et je ne peux pas donner la note que j'aurais accordé au maître au disciple.
Les fils d'El Topo est une fable initiatique fabuleuse racontée par un Jodorowsky ultra motivé.
Cette bd, c'est sa grande revanche par rapport au film qu'il n'a jamais pu tourner faute de financement et qui devait être la suite d'El Topo sorti dans les salles en 1970.
C'est le récit le plus ambitieux que j'ai pu lire de sa part, c'est difficile d'en parler sans révéler l'intrigue. La plupart des personnages sont en quête de rédemption même sans en avoir conscience. J'ai rarement vu des personnages vivre de telles expériences - et en ressortir autant transformés - dans une bande dessinée.
Ladronn a permis de donner vie à cet univers, il y a une osmose entre le texte et l'image très forte, on le sent en état de grâce comme son compère.
Les fils d'El Topo sera un jour considéré à sa juste valeur, c'est à dire comme l'ultime chef d'oeuvre de Jodorowsky, son magnum opus.
Orbital : une série sur la diplomatie dans l'espace. Quelle bonne idée ! Et quels beaux dessins, originaux ! Et quels bons personnages… Cela me fait penser à Valérian mais en mieux. Les deux personnages principaux sont aussi attachants queValérian et Laureline à la base sauf que… Plus ! On voit leur histoire, très intriquée dans la galaxie, et pour l'instant je ne me lasse pas, contrairement à ce qui s'est passé pour Valérian. Parce que je trouve l'univers à la fois plus inventif et plus crédible ? J'hésite : qu'elle continue car les virtualités me semblent très grande, ou qu'elle arrête pour ne pas me décevoir ? Et la couleur qu'on ne remarque guère tant elle ne fait qu'un avec un dessin aussi précis que dynamique ! C'est rare, un dessin qu'on reconnait tout de suite sans qu'il s'impose devant l'univers.
Culte ou qui le mériterait ! A rempli le job pour moi, une histoire et des dessins agencés de telle sorte qu'on plonge dedans avec l'idée de revenir. Parfois, on confond des personnages ? Quand bien même, quelle importance, car cela montre le chaos de l'époque, soit une des raisons poussant si fortement au détachement, soit dans un monastère, soit seul au hasard des routes ! De plus, quand j'ai tenu ces bd, je n'ai eu de cesse de les relire. C'est dense, et en même temps, rempli de moments de grâce contemplative, une grâce qui exprime le meilleur du Japon !
Le héros ne serait pas sympatoche ? Eh bien, les êtres en quêtes, par exemple les artistes et les mystiques ne le sont pas toujours : obsédés par leur but et ne prenant pas toujours de gants. En plus, le bouddhisme prône certes la compassion, mais aussi toutes sortes de moyens pour sortir les gens de leurs illusions, et parler de façon énigmatique ou brutale peut en faire partie. Le héros a une sorte de rival pas présenté de façon très flatteuse, mais qui ne manque pas non plus de perspicacité, comprenant bien comment tout ce que rejette le héros peut être utile aux masses de fidèles. Les samouraïs ne sont pas flattés, ce n'est rien de le dire et ça change, le peuple souffre, les aristocrates sont raffinés, eux ne font que ravager ! L'enfant qui subsiste dans le héros ne cesse de regretter d'être séparé de sa mère, et c'est ce qui conserve une humanité secrète mais poignante au héros.
Cette série n'a pas été censurée mais Chott l'a arrêtée de lui-même en 1949 par peur d'être censuré. C'est en 1955 que les soucis commencent avec une série de 5 procès contre BIG BILL le Casseur, un cow-boy masqué. Après avoir gagné les 4 premiers procès, Chott perd le dernier en 1961. Ceci met fin à sa maison d'édition.
Pour se replonger dans cette série mythique (le numéro 1 a été tiré à 90 000 exemplaires à l'époque), il existe 6 albums regroupant toutes les aventures de FANTAX accompagnées de documents et récits inédits sur la vie de Pierre Mouchot.
Et cette année, deux nouveaux albums couleurs sont sortis pour relancer les nouvelles aventures de FANTAX avec ARROYO et MILLET aux crayons et DEPELLEY et MORNET aux stylos.
Site : https://fantaxbd.com
Pour moi, c'est donc incontournable mais en fouillant vous comprendrez pourquoi... ;)
La beauté ?! C’est la plus grande arnaque de la création !
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Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Son édition originale date de 2025. Il a été réalisé par Pierre Alexandrine pour le scénario, les dessins et les couleurs. Il comprend deux-cent-vingt-huit pages de bande dessinée.
Au temps présent, un soir à Paris, dans le vingtième arrondissement, non loin du parc des Buttes-Chaumont, Zayn, un jeune homme, se rend dans un bel appartement spacieux et haut de plafond, habité par Louise. Elle accepte qu’il monte chez elle. Elle l’accueille poliment en lui disant qu’elle était en train de s’endormir devant une série. Il est très impressionné par l’appartement. Il finit par indiquer qu’il est venu parce qu’il n’arrête pas de penser à elle depuis la dernière fois, et il voulait savoir s’il y avait la moindre chance que… Elle répond immédiatement : Non. Elle pensait avoir été claire : c’était bien, tous les deux, mais elle préfère qu’ils en restent là. Il lui dit qu’il ne comprend pas : c’est elle qui l’a abordé dans ce bar, qui l’a séduit, qui l’a embrassé, et cette nuit chez lui, il avait cru… Et ses textos à elle, ses déclarations enflammées. Elle ne s’en souvient pas. Il a juste besoin de comprendre pourquoi. Il la supplie. Elle finit par accepter, tout en le prévenant qu’il risque d’avoir du mal à la croire. Elle lâche le morceau : elle a fait en sorte qu’il tombe amoureux d’elle parce que, faute d’amour, elle se met à vieillir. Mais quand on l’aime elle devient éternelle. C’est la stricte vérité : tant que quelqu’un a des sentiments pour elle, elle ne peut pas vieillir. Elle lui montre un tableau dont elle a été le modèle, datant de 1527.
Zayn acceptant de l’écouter, Louise continue. Elle a dans les six ans, elle est née au quinzième siècle. Au risque de le décevoir, elle raconte qu’elle n’a pas rencontré beaucoup de gens célèbres. Jean-Sébastien Bach lui a parlé une fois. Elle a dû croiser Oscar Wilde à deux trois soirées. Elle a bu du porto avec Marlene Dietrich en 1934… C’est tout. Ah, et elle a couché avec Spinoza, excellent amant d’ailleurs. Répondant à une question du jeune homme, elle indique qu’il lui est arrivé quelques bricoles, mais la plupart des trucs qui font mourir les humains sont inefficaces sur elle. Son corps se régénère de façon quasi instantanée. Il n’y a guère que le feu qui puisse la détruire. Elle est née avec ce pouvoir miraculeux, et elle ignore d’où il lui vient. Devant ses yeux, elle se tire une belle dans la poitrine et en ressort indemne. Il comprend qu’elle est une sorte de vampire de l’amour et que la vie a dû être facile pour elle. Cette remarque la fait sortir de ses gonds. IL n’a aucune idée de ce à quoi ressemblait le monde avant son petit vingt-et-unième siècle. A-t-il déjà connu le vrai froid ? Et la faim ? La guerre ? La misère ? La peur ? A-t-il déjà été traqué par un village entier juste parce qu’on le trouvait bizarre ? Est-ce qu’on l’a déjà pendu parce qu’il avait flirté avec la mauvaise personne ? Combien de fois dans sa vie s’est-il fait traiter de succube ? De renarde, de stryge ? De chienne impudique ? De puterelle malfaisante et vérolée ?
Un point de départ fantastique très simple : tant que quelqu’un aime Louise, elle ne peut pas vieillir, et elle a maintenant six cents ans. Un jeune homme épris d’elle vient pour obtenir une réponse claire sur les raisons qui ont poussé Louise à le laisser tomber du jour au lendemain : parce qu’il est sympathique elle accepte de lui raconter son histoire. Le lecteur trouve ce qu’il est en droit d’attendre : des moments historiques, ou plutôt des époques identifiées avec parfois une référence historique, des leçons d’amour, ou plutôt de séduction, ou plutôt comment rendre un homme fou de désir, des périodes sans rien de particulier, le temps qui passe, le questionnement sur le pourquoi de cette immortalité, la solitude, la tentation de succomber à l’amour, etc. Il s’agit d’une histoire avec une forte pagination qui se lit très facilement. L’artiste se place dans un registre proche de la Ligne Claire : des traits de contours nets et une légère simplification dans les visages et dans la représentation des objets et des décors, par comparaison avec une approche qui aurait été plus photoréaliste. La mise en couleurs déroge quelque peu aux dogmes de la Ligne Claire : elle intègre des variations de nuances pour une même couleur, de discrets ombrages en fonction des sources de lumière, quelques rares effets discrètement expressionnistes. Le lecteur remarque également quelques personnages en ombre chinoise, se faisant écho entre ces séquences, une demi-douzaine de dessins en pleine page.
Le lecteur ressent immédiatement qu’il s’agit de l’œuvre d’un artiste complet : à la fois pour la complémentarité entre les textes et les dessins sans redondances, à la fois pour la personnalité de la narration. En effet l’appartenance à la famille de la Ligne Claire donne une apparence assez jeune aux personnages, de jeunes adultes en tout cas, à l’exception de Martin de la Fôle étant devenu un vieil homme, ou encore d’Eleanore, elle aussi atteinte par l’âge. Dans le même temps, le soin apporté aux tenues vestimentaires et aux décors place la narration visuelle dans un registre adulte, plutôt que tout public, sans voyeurisme graphique pour autant. Au fil des années qui passent, des décennies qui défilent, des siècles qui siècles qui s’accumulent, le personnage principal voit du paysage, à la fois par ses voyages, à la fois par l’évolution de la société aussi bien technologique que sociétale. Une fois bien calé dans son fauteuil dans ce bel appartement parisien aux côtés de Zayn pour écouter Louise, le lecteur voyage lui aussi : au galop dans un champ, dans une maison close parisienne au quinzième siècle y compris lors d’une réception aussi somptueuse que décadente ou dans la plus belle chambre, en Hollande au pied des moulins, dans une cathédrale, dans un grand bal à Venise, sur une scène de théâtre, aux portes de l’université de Samarcande, à la cour de Catherine II. Puis le temps d’une case : à Lhassa, à bord d’un grand voilier militaire, dans la jungle des Indes, au Japon devant le mont Fuji. Etc. L’artiste sait faire voyager le lecteur, sans ostentation, de manière organique et intégrée au récit, servant le déroulement de la vie de l’amourante.
Tout au long du récit, le lecteur relève également un usage à bon escient d’éléments visuels variés. Quelques exemples : trente pages muettes dépourvues de tout texte où les dessins portent toute la narration, cinq dessins en pleine page, un dessin en double page, quelques visuels se répondant (par exemple le passage au pied des moulins qui revient plus tard avec le même cadrage, mais à une autre saison, page cinquante rappelé en page cent-trente-trois), des silhouettes en ombre chinoise, le jeu des couleurs, etc. Il remarque que l’artiste utilise des découpages de page à base de cases rectangulaires bien alignées en bande, avec un nombre variable en fonction de la nature de la scène. Il met en œuvre une direction d’acteurs de type naturaliste, sans exagérer les émotions ou les gestes, sauf lorsqu’ils sont en représentation, littéralement sur une scène de théâtre, ou en phase de séduction en appliquant des techniques. Le lecteur se trouve vite séduit par cette narration visuelle facile à lire, agréable à l’œil, riche en informations sans être indigeste. Une narration douce et substantielle donnant à voir cette vie longue de plusieurs siècles, riche de voyages et de découvertes, avec quelques péripéties, sans se transformer en une suite d’aventures échevelées. Louise elle-même dit qu’elle n’a pas rencontré beaucoup de personnes célèbres.
L’histoire raconte donc la vie de cette femme qui se découvre un pouvoir extraordinaire : vivre éternellement jeune, sous réserve que quelqu’un soit amoureux d’elle. Elle rencontre Eleanor qui lui explique comment faire pour séduire et éveiller la passion, et les décennies se succèdent les unes aux autres. Le lecteur voit apparaître un thème : l’évolution de la vie amoureuse de Louise. Cela commence par un bon mariage de raison avec un paysan, puis par un veuvage soudain. Dans ce quinzième siècle, elle se retrouve jeune veuve sans le sou et décide de monter à Paris. Dépourvue de ressources, elle se retrouve contrainte à la prostitution dans une maison close, où ses qualités (la maladie n’a pas de prise sur elle, elle ne risque pas de tomber enceinte) en font une professionnelle inégalable. Puis le schéma s’inverse : ayant bénéficié de la tutelle d’une autre amourante, c’est elle qui suscite l’amour chez les hommes, selon sa volonté. Le lecteur assiste alors à une leçon, une technique en cinq étapes : le désir, le mystère, l’obstacle, une pincée d’espoir, la souffrance. L’amour devient ainsi un simple moyen pour parvenir à ses fins. Eleanor le décrit ainsi : Le véritable amour, celui qui fait brûler de désir et mourir de jalousie… L’amour qui brise les amitiés et provoque des guerres, le grand et terrible amour qui se presse dans les cœurs depuis que le monde est monde, ce n’est pas un noble sentiment. Il est chaotique, violent, incontrôlable. C’est une maladie…
L’histoire raconte également une forme d’émancipation : cette femme qui maîtrise son corps, qui séduit les hommes pour les utiliser, qui maîtrise parfaitement la psychologie de la séduction. Une chose importante à retenir, c’est qu’à chaque variété d’homme correspond une approche bien précise. Avec les jeunes, il suffit d’être entreprenante. Les types mûrs, il faut les flatter. Les riches, ne pas avoir l’air impressionné par leur argent. Avec les débauchés, il faut surjouer l’innocence. Avec les chastes, la dépravation. Être directe avec les timides et évasive avec les téméraires. Face à un orgueilleux, le coup de froideur indifférente est la meilleure option. Sauf si on a affaire à un demeuré. Auquel cas mieux vaut passer tout de suite à la technique de la demoiselle en détresse. […] Un être humain également détaché des contingences matérielles pouvant satisfaire sa soif de découvertes, de voyages, de savoir grâce à un temps sans limite. Une personne dans un corps jeune, avec une expérience de plusieurs siècles, en pleine possession de ses moyens physiques et intellectuels. Comme tout être humain, Louise est la recherche du sens à donner à sa vie, à cette existence éternelle, cette vie dont elle a la totale jouissance et la totale responsabilité, dont la seule limite est de devoir s’accommoder des évolutions de la société.
Une simple histoire d’amour, ou d’amoureuse, avec une touche de fantastique ? Tellement plus que ça : une narration visuelle accessible et impeccable, riche et agréable, sympathique et solide. Un récit s’étalant sur plusieurs siècles, mêlant amour, séduction, quelques aventures, et une touche de perversité dans la manière d’instrumentaliser le désir des hommes. Un exercice de pensée sur ce que l’on peut attendre de l’existence, ou ce que l’on peut rechercher dans la vie de telles conditions de vie. Formidable.
L'Incal est une œuvre dont l'inventivité foisonnante et le dessin - Moebius à son meilleur niveau ! - pourraient me suffire. Mais il n'y a pas que ça, c'est une œuvre dont les enjeux sont grands, salut du monde, libération des êtres, la dramatisation parfaite, l'humour discrètement présent, par exemple avec son antihéros dont les dialogues avec l'Incal mais aussi sa mouette à béton ne manquent pas de sel !
On pourrait avoir l'impression d'un manque de structure, mais au contraire, il y aurait presque excès comme ne le cachent pas les titres, Incal lumière, Incal ténèbre, ce qui est en haut, ce qui est en bas…. Structure binaire, en reflet, car "ce qui est en haut est comme ce qui est en bas", dans la série - pour le reste je ne vais pas me prononcer… Il y a encore le jeu de tarot divinatoire, Solune, est par exemple, le soleil et la lune, la forteresse techno une version perverse de la Maison-Dieu.
Il n'est pas sans intérêt de savoir que Moebius et Jorodosky avaient préparé un storyboard de Dune, ce qui fait qu'à la force des symboles divers que j'ai évoqués plus haut sans parler de ceux qui m'ont forcément échappé, s'ajoute l'armature littéraire d'un texte important de la sf - les suites et les préquels sont moins bons, hélas ! Et il rentre dans l'Incal quelque chose du dynamisme de la préparation à l'image animée qu'est un film. Bref, si vous soupçonnez du mysticisme à tous les coins de page, vous avez raison. Mais il n'est pas requis d'entrer dans autre chose que dans l'émerveillement du récit, seulement de rêver, car "rêver, c'est survivre".
Si les œuvres dérivées de l'Incal ne sont pas mauvaises, elles restent tout de même clairement dispensables.
C'est une série BD très originale et par sa forme et par son fond.
Dessinée par une dessinatrice reconnue, Jean-Claire Lacroix, qui a été membre-fondateur de la revue 9ème Rêve, à laquelle participaient entre autre François Schuiten et Benoît Sokal, cette œuvre à la fois historique et fantastique captive par son histoire mais aussi par son dessin en vert et noir, particulier mais aussi très lisible.
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Prince Valiant
Un chef d'œuvre. Et je m'en vais défendre deux choses : cette BD est dynamique. Dynamique ? On n'est pas dans Alix par parenthèse qui ne manque pas de qualité, les personnages, les chevaux, tout est plein d'allant. Est-ce que ce qui serait statique amènerait la comparaison avec Robin des Bois d'Errol Flyn ? Jamais. Je pense que par manque de dynamisme on veut dire sans marque de mouvement, sans bulle, sans flou, sans le style moderne. Mais il y a plusieurs façons d'être mobile ! Le cadrage des images, la tension dans l'action qui évite les poses de statues et d'ailleurs, d'acteur, les images aux tons vifs, tout cela insuffle un sacré dynamisme ! Pour les stéréotypes de genre…D'abord les femmes car il y en a dans la BD. L'âge médiéval n'est pas le nôtre, ensuite, la princesse Aleta domine souvent la relation, avec Prince Vaillant. Et elle n'est pas la seule femme de caractère. Certes, la femme du roi Arthur n'est pas extraordinaire, mais sa sœur est un des meilleurs méchants. Un pirate viking se marie avec une Indienne qui a de la personnalité, la sœur de Prince Vaillant n'en manque pas, mais je ne vais pas dresser de liste. Par contre, évidemment, il était inconcevable à l'époque qu'on nous montre des chevaleresses mais les historiens les avaient-ils seulement découvertes ? Certes, il y avait des femmes commerçantes et pratiquant l'artisanat, à l'époque médiévale, mais on ne les voit guère, les producteurs, dans l'histoire, même les paysans, de loin les plus nombreux, ne sont qu'aperçus : souvent des serfs éventuellement exploités par des méchants que les héros délivrent… Presque pas de prêtres, pas tant de sorciers que ça, des rois, surtout comme combattants, selon la tradition des chansons de gestes et des romans d'aventures. Reste la question de l'homosexualité, mais alors là, vu l'époque, il ne faut pas rêver : ni sexe, ni homosexualité en bande dessinée ! En fait, tant mieux, vu l'ambiance, je pense que tout cela aurait été présenté de façon négative alors que dans la saga, si on ne montre pas tout, personne ne peut se sentir diabolisé, sauf peut-être les Huns ! A noter que les Indiens sont respectés et qu'il y a un vieux commerçant pouvant faire penser à un Juif qui ne manque ni de courage ni de générosité que protège Prince Vaillant. Il y a des personnages comiques dans l'Histoire, mais on ne gomme pas pour autant leur qualité, Gauvain est un séducteur assez fat mais ne manque pas de courage et de malice, un Grec filou devient un héros par amour, un simple paysan par moment passablement ridicule donne toute sa part de butin pour tirer un ami de l'esclavage, et d'ailleurs, des bouffons, un jour, imitent de loin le roi Arthur de loin pour leurrer des ennemis pour qu'ils puissent prendre les assaillants par surprise.
Une invitée dans la demeure
Voilà encore un bel ouvrage aux éditions 404. J'avais déjà lu Speak du/de la même auteur(rice) que j'avais beaucoup aimé tant niveau graphique que de l'histoire. L'histoire débute comme une banale histoire de famille recomposée avec une jeune femme devenue belle-mère et qui espère bien faire avec sa belle-fille d'autant plus que la maman est décédée. Abby aime cette vie même son amour avec David est un peu distant. Mais petit à petit le trouble et des questions apparaissent sur la mort de Sheila, la première femme de David. La tension monte progressivement. Si l'on pense savoir où l'histoire nous emmène on est finalement surprit par le dénouement. On est sur un conte horrifique avec un brin de fantastique ce qui a très bien marché avec moi. Me dessin n'est pas en reste avec un très beau noir et blanc pour la vie quotidienne/réelle et l'apparition des couleurs pour les passages oniriques et les fantômes. Les couleurs sont flamboyantes au milieu du noir et blanc avec des pages sublimes. Un petit mot aussi sur le livre en lui-même. C'est encore une belle édition avec un papier épais et de qualité comme la couverture d'ailleurs. La jaquette du livre est sublime aussi. Le livre a un coût 30€ mais il est pour moi amplement justifié par la qualité de l'ouvrage en lui même.
La Couleur tombée du ciel
Gou Tanabe m'éblouit à double titre, dans ses adaptations de Lovecraft. Qu'est-il ? Un dessinateur tombé du ciel. Evidemment, pas en couleurs… Si un autre faisait aussi bien en couleur, je lui mettrais un coup de cœur, tiens. Bref, il adapte, il réinvente Lovecraft, et ce n'est pas rien ! Il n'illustre pas platement, il ne transfère pas non plus une partie de son univers dans un autre pour le raviver comme dans les eaux de Mortelune mais pas seulement. Il parvient à montrer l’immontrable, qui échappe pourtant toujours à l'appréhension du lecteur. Et comment y parvient-il ? Je pense que c'est grâce à un noir et blanc étonnant, je veux dire ni noir et blanc tranché, expressionniste, ni gris crasseux censé montrer le chaos, la misère et le trouble des deux. Il unit les deux et un caractère contemplatif pour montrer et dérober à la fois les images que le maître de Providence ne fait qu'évoquer sans les réduire à des phénomènes de foire. Montrer fortement, avec une réserve, et en instaurant un tempo, un temps différent des autres BD, bravo ! Accessoirement, il n'est pas mal d'avoir une couverture évoquant celles des anciens grimoires, c'est un bel objet, et un seuil à ouvrir pour franchir un autre monde. Après tant de compliments, on pourrait s'étonner que je ne marque pas de coup de cœur. Je l'attribue au fait de ne pas découvrir une nouvelle histoire, et je ne peux pas donner la note que j'aurais accordé au maître au disciple.
Les Fils d'El Topo
Les fils d'El Topo est une fable initiatique fabuleuse racontée par un Jodorowsky ultra motivé. Cette bd, c'est sa grande revanche par rapport au film qu'il n'a jamais pu tourner faute de financement et qui devait être la suite d'El Topo sorti dans les salles en 1970. C'est le récit le plus ambitieux que j'ai pu lire de sa part, c'est difficile d'en parler sans révéler l'intrigue. La plupart des personnages sont en quête de rédemption même sans en avoir conscience. J'ai rarement vu des personnages vivre de telles expériences - et en ressortir autant transformés - dans une bande dessinée. Ladronn a permis de donner vie à cet univers, il y a une osmose entre le texte et l'image très forte, on le sent en état de grâce comme son compère. Les fils d'El Topo sera un jour considéré à sa juste valeur, c'est à dire comme l'ultime chef d'oeuvre de Jodorowsky, son magnum opus.
Orbital
Orbital : une série sur la diplomatie dans l'espace. Quelle bonne idée ! Et quels beaux dessins, originaux ! Et quels bons personnages… Cela me fait penser à Valérian mais en mieux. Les deux personnages principaux sont aussi attachants queValérian et Laureline à la base sauf que… Plus ! On voit leur histoire, très intriquée dans la galaxie, et pour l'instant je ne me lasse pas, contrairement à ce qui s'est passé pour Valérian. Parce que je trouve l'univers à la fois plus inventif et plus crédible ? J'hésite : qu'elle continue car les virtualités me semblent très grande, ou qu'elle arrête pour ne pas me décevoir ? Et la couleur qu'on ne remarque guère tant elle ne fait qu'un avec un dessin aussi précis que dynamique ! C'est rare, un dessin qu'on reconnait tout de suite sans qu'il s'impose devant l'univers.
Ikkyu
Culte ou qui le mériterait ! A rempli le job pour moi, une histoire et des dessins agencés de telle sorte qu'on plonge dedans avec l'idée de revenir. Parfois, on confond des personnages ? Quand bien même, quelle importance, car cela montre le chaos de l'époque, soit une des raisons poussant si fortement au détachement, soit dans un monastère, soit seul au hasard des routes ! De plus, quand j'ai tenu ces bd, je n'ai eu de cesse de les relire. C'est dense, et en même temps, rempli de moments de grâce contemplative, une grâce qui exprime le meilleur du Japon ! Le héros ne serait pas sympatoche ? Eh bien, les êtres en quêtes, par exemple les artistes et les mystiques ne le sont pas toujours : obsédés par leur but et ne prenant pas toujours de gants. En plus, le bouddhisme prône certes la compassion, mais aussi toutes sortes de moyens pour sortir les gens de leurs illusions, et parler de façon énigmatique ou brutale peut en faire partie. Le héros a une sorte de rival pas présenté de façon très flatteuse, mais qui ne manque pas non plus de perspicacité, comprenant bien comment tout ce que rejette le héros peut être utile aux masses de fidèles. Les samouraïs ne sont pas flattés, ce n'est rien de le dire et ça change, le peuple souffre, les aristocrates sont raffinés, eux ne font que ravager ! L'enfant qui subsiste dans le héros ne cesse de regretter d'être séparé de sa mère, et c'est ce qui conserve une humanité secrète mais poignante au héros.
Fantax
Cette série n'a pas été censurée mais Chott l'a arrêtée de lui-même en 1949 par peur d'être censuré. C'est en 1955 que les soucis commencent avec une série de 5 procès contre BIG BILL le Casseur, un cow-boy masqué. Après avoir gagné les 4 premiers procès, Chott perd le dernier en 1961. Ceci met fin à sa maison d'édition. Pour se replonger dans cette série mythique (le numéro 1 a été tiré à 90 000 exemplaires à l'époque), il existe 6 albums regroupant toutes les aventures de FANTAX accompagnées de documents et récits inédits sur la vie de Pierre Mouchot. Et cette année, deux nouveaux albums couleurs sont sortis pour relancer les nouvelles aventures de FANTAX avec ARROYO et MILLET aux crayons et DEPELLEY et MORNET aux stylos. Site : https://fantaxbd.com Pour moi, c'est donc incontournable mais en fouillant vous comprendrez pourquoi... ;)
L'Amourante
La beauté ?! C’est la plus grande arnaque de la création ! - Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Son édition originale date de 2025. Il a été réalisé par Pierre Alexandrine pour le scénario, les dessins et les couleurs. Il comprend deux-cent-vingt-huit pages de bande dessinée. Au temps présent, un soir à Paris, dans le vingtième arrondissement, non loin du parc des Buttes-Chaumont, Zayn, un jeune homme, se rend dans un bel appartement spacieux et haut de plafond, habité par Louise. Elle accepte qu’il monte chez elle. Elle l’accueille poliment en lui disant qu’elle était en train de s’endormir devant une série. Il est très impressionné par l’appartement. Il finit par indiquer qu’il est venu parce qu’il n’arrête pas de penser à elle depuis la dernière fois, et il voulait savoir s’il y avait la moindre chance que… Elle répond immédiatement : Non. Elle pensait avoir été claire : c’était bien, tous les deux, mais elle préfère qu’ils en restent là. Il lui dit qu’il ne comprend pas : c’est elle qui l’a abordé dans ce bar, qui l’a séduit, qui l’a embrassé, et cette nuit chez lui, il avait cru… Et ses textos à elle, ses déclarations enflammées. Elle ne s’en souvient pas. Il a juste besoin de comprendre pourquoi. Il la supplie. Elle finit par accepter, tout en le prévenant qu’il risque d’avoir du mal à la croire. Elle lâche le morceau : elle a fait en sorte qu’il tombe amoureux d’elle parce que, faute d’amour, elle se met à vieillir. Mais quand on l’aime elle devient éternelle. C’est la stricte vérité : tant que quelqu’un a des sentiments pour elle, elle ne peut pas vieillir. Elle lui montre un tableau dont elle a été le modèle, datant de 1527. Zayn acceptant de l’écouter, Louise continue. Elle a dans les six ans, elle est née au quinzième siècle. Au risque de le décevoir, elle raconte qu’elle n’a pas rencontré beaucoup de gens célèbres. Jean-Sébastien Bach lui a parlé une fois. Elle a dû croiser Oscar Wilde à deux trois soirées. Elle a bu du porto avec Marlene Dietrich en 1934… C’est tout. Ah, et elle a couché avec Spinoza, excellent amant d’ailleurs. Répondant à une question du jeune homme, elle indique qu’il lui est arrivé quelques bricoles, mais la plupart des trucs qui font mourir les humains sont inefficaces sur elle. Son corps se régénère de façon quasi instantanée. Il n’y a guère que le feu qui puisse la détruire. Elle est née avec ce pouvoir miraculeux, et elle ignore d’où il lui vient. Devant ses yeux, elle se tire une belle dans la poitrine et en ressort indemne. Il comprend qu’elle est une sorte de vampire de l’amour et que la vie a dû être facile pour elle. Cette remarque la fait sortir de ses gonds. IL n’a aucune idée de ce à quoi ressemblait le monde avant son petit vingt-et-unième siècle. A-t-il déjà connu le vrai froid ? Et la faim ? La guerre ? La misère ? La peur ? A-t-il déjà été traqué par un village entier juste parce qu’on le trouvait bizarre ? Est-ce qu’on l’a déjà pendu parce qu’il avait flirté avec la mauvaise personne ? Combien de fois dans sa vie s’est-il fait traiter de succube ? De renarde, de stryge ? De chienne impudique ? De puterelle malfaisante et vérolée ? Un point de départ fantastique très simple : tant que quelqu’un aime Louise, elle ne peut pas vieillir, et elle a maintenant six cents ans. Un jeune homme épris d’elle vient pour obtenir une réponse claire sur les raisons qui ont poussé Louise à le laisser tomber du jour au lendemain : parce qu’il est sympathique elle accepte de lui raconter son histoire. Le lecteur trouve ce qu’il est en droit d’attendre : des moments historiques, ou plutôt des époques identifiées avec parfois une référence historique, des leçons d’amour, ou plutôt de séduction, ou plutôt comment rendre un homme fou de désir, des périodes sans rien de particulier, le temps qui passe, le questionnement sur le pourquoi de cette immortalité, la solitude, la tentation de succomber à l’amour, etc. Il s’agit d’une histoire avec une forte pagination qui se lit très facilement. L’artiste se place dans un registre proche de la Ligne Claire : des traits de contours nets et une légère simplification dans les visages et dans la représentation des objets et des décors, par comparaison avec une approche qui aurait été plus photoréaliste. La mise en couleurs déroge quelque peu aux dogmes de la Ligne Claire : elle intègre des variations de nuances pour une même couleur, de discrets ombrages en fonction des sources de lumière, quelques rares effets discrètement expressionnistes. Le lecteur remarque également quelques personnages en ombre chinoise, se faisant écho entre ces séquences, une demi-douzaine de dessins en pleine page. Le lecteur ressent immédiatement qu’il s’agit de l’œuvre d’un artiste complet : à la fois pour la complémentarité entre les textes et les dessins sans redondances, à la fois pour la personnalité de la narration. En effet l’appartenance à la famille de la Ligne Claire donne une apparence assez jeune aux personnages, de jeunes adultes en tout cas, à l’exception de Martin de la Fôle étant devenu un vieil homme, ou encore d’Eleanore, elle aussi atteinte par l’âge. Dans le même temps, le soin apporté aux tenues vestimentaires et aux décors place la narration visuelle dans un registre adulte, plutôt que tout public, sans voyeurisme graphique pour autant. Au fil des années qui passent, des décennies qui défilent, des siècles qui siècles qui s’accumulent, le personnage principal voit du paysage, à la fois par ses voyages, à la fois par l’évolution de la société aussi bien technologique que sociétale. Une fois bien calé dans son fauteuil dans ce bel appartement parisien aux côtés de Zayn pour écouter Louise, le lecteur voyage lui aussi : au galop dans un champ, dans une maison close parisienne au quinzième siècle y compris lors d’une réception aussi somptueuse que décadente ou dans la plus belle chambre, en Hollande au pied des moulins, dans une cathédrale, dans un grand bal à Venise, sur une scène de théâtre, aux portes de l’université de Samarcande, à la cour de Catherine II. Puis le temps d’une case : à Lhassa, à bord d’un grand voilier militaire, dans la jungle des Indes, au Japon devant le mont Fuji. Etc. L’artiste sait faire voyager le lecteur, sans ostentation, de manière organique et intégrée au récit, servant le déroulement de la vie de l’amourante. Tout au long du récit, le lecteur relève également un usage à bon escient d’éléments visuels variés. Quelques exemples : trente pages muettes dépourvues de tout texte où les dessins portent toute la narration, cinq dessins en pleine page, un dessin en double page, quelques visuels se répondant (par exemple le passage au pied des moulins qui revient plus tard avec le même cadrage, mais à une autre saison, page cinquante rappelé en page cent-trente-trois), des silhouettes en ombre chinoise, le jeu des couleurs, etc. Il remarque que l’artiste utilise des découpages de page à base de cases rectangulaires bien alignées en bande, avec un nombre variable en fonction de la nature de la scène. Il met en œuvre une direction d’acteurs de type naturaliste, sans exagérer les émotions ou les gestes, sauf lorsqu’ils sont en représentation, littéralement sur une scène de théâtre, ou en phase de séduction en appliquant des techniques. Le lecteur se trouve vite séduit par cette narration visuelle facile à lire, agréable à l’œil, riche en informations sans être indigeste. Une narration douce et substantielle donnant à voir cette vie longue de plusieurs siècles, riche de voyages et de découvertes, avec quelques péripéties, sans se transformer en une suite d’aventures échevelées. Louise elle-même dit qu’elle n’a pas rencontré beaucoup de personnes célèbres. L’histoire raconte donc la vie de cette femme qui se découvre un pouvoir extraordinaire : vivre éternellement jeune, sous réserve que quelqu’un soit amoureux d’elle. Elle rencontre Eleanor qui lui explique comment faire pour séduire et éveiller la passion, et les décennies se succèdent les unes aux autres. Le lecteur voit apparaître un thème : l’évolution de la vie amoureuse de Louise. Cela commence par un bon mariage de raison avec un paysan, puis par un veuvage soudain. Dans ce quinzième siècle, elle se retrouve jeune veuve sans le sou et décide de monter à Paris. Dépourvue de ressources, elle se retrouve contrainte à la prostitution dans une maison close, où ses qualités (la maladie n’a pas de prise sur elle, elle ne risque pas de tomber enceinte) en font une professionnelle inégalable. Puis le schéma s’inverse : ayant bénéficié de la tutelle d’une autre amourante, c’est elle qui suscite l’amour chez les hommes, selon sa volonté. Le lecteur assiste alors à une leçon, une technique en cinq étapes : le désir, le mystère, l’obstacle, une pincée d’espoir, la souffrance. L’amour devient ainsi un simple moyen pour parvenir à ses fins. Eleanor le décrit ainsi : Le véritable amour, celui qui fait brûler de désir et mourir de jalousie… L’amour qui brise les amitiés et provoque des guerres, le grand et terrible amour qui se presse dans les cœurs depuis que le monde est monde, ce n’est pas un noble sentiment. Il est chaotique, violent, incontrôlable. C’est une maladie… L’histoire raconte également une forme d’émancipation : cette femme qui maîtrise son corps, qui séduit les hommes pour les utiliser, qui maîtrise parfaitement la psychologie de la séduction. Une chose importante à retenir, c’est qu’à chaque variété d’homme correspond une approche bien précise. Avec les jeunes, il suffit d’être entreprenante. Les types mûrs, il faut les flatter. Les riches, ne pas avoir l’air impressionné par leur argent. Avec les débauchés, il faut surjouer l’innocence. Avec les chastes, la dépravation. Être directe avec les timides et évasive avec les téméraires. Face à un orgueilleux, le coup de froideur indifférente est la meilleure option. Sauf si on a affaire à un demeuré. Auquel cas mieux vaut passer tout de suite à la technique de la demoiselle en détresse. […] Un être humain également détaché des contingences matérielles pouvant satisfaire sa soif de découvertes, de voyages, de savoir grâce à un temps sans limite. Une personne dans un corps jeune, avec une expérience de plusieurs siècles, en pleine possession de ses moyens physiques et intellectuels. Comme tout être humain, Louise est la recherche du sens à donner à sa vie, à cette existence éternelle, cette vie dont elle a la totale jouissance et la totale responsabilité, dont la seule limite est de devoir s’accommoder des évolutions de la société. Une simple histoire d’amour, ou d’amoureuse, avec une touche de fantastique ? Tellement plus que ça : une narration visuelle accessible et impeccable, riche et agréable, sympathique et solide. Un récit s’étalant sur plusieurs siècles, mêlant amour, séduction, quelques aventures, et une touche de perversité dans la manière d’instrumentaliser le désir des hommes. Un exercice de pensée sur ce que l’on peut attendre de l’existence, ou ce que l’on peut rechercher dans la vie de telles conditions de vie. Formidable.
L'Incal
L'Incal est une œuvre dont l'inventivité foisonnante et le dessin - Moebius à son meilleur niveau ! - pourraient me suffire. Mais il n'y a pas que ça, c'est une œuvre dont les enjeux sont grands, salut du monde, libération des êtres, la dramatisation parfaite, l'humour discrètement présent, par exemple avec son antihéros dont les dialogues avec l'Incal mais aussi sa mouette à béton ne manquent pas de sel ! On pourrait avoir l'impression d'un manque de structure, mais au contraire, il y aurait presque excès comme ne le cachent pas les titres, Incal lumière, Incal ténèbre, ce qui est en haut, ce qui est en bas…. Structure binaire, en reflet, car "ce qui est en haut est comme ce qui est en bas", dans la série - pour le reste je ne vais pas me prononcer… Il y a encore le jeu de tarot divinatoire, Solune, est par exemple, le soleil et la lune, la forteresse techno une version perverse de la Maison-Dieu. Il n'est pas sans intérêt de savoir que Moebius et Jorodosky avaient préparé un storyboard de Dune, ce qui fait qu'à la force des symboles divers que j'ai évoqués plus haut sans parler de ceux qui m'ont forcément échappé, s'ajoute l'armature littéraire d'un texte important de la sf - les suites et les préquels sont moins bons, hélas ! Et il rentre dans l'Incal quelque chose du dynamisme de la préparation à l'image animée qu'est un film. Bref, si vous soupçonnez du mysticisme à tous les coins de page, vous avez raison. Mais il n'est pas requis d'entrer dans autre chose que dans l'émerveillement du récit, seulement de rêver, car "rêver, c'est survivre". Si les œuvres dérivées de l'Incal ne sont pas mauvaises, elles restent tout de même clairement dispensables.
Banal Canal - Lucien Néons
C'est une série BD très originale et par sa forme et par son fond. Dessinée par une dessinatrice reconnue, Jean-Claire Lacroix, qui a été membre-fondateur de la revue 9ème Rêve, à laquelle participaient entre autre François Schuiten et Benoît Sokal, cette œuvre à la fois historique et fantastique captive par son histoire mais aussi par son dessin en vert et noir, particulier mais aussi très lisible.