Les derniers avis (7399 avis)

Par Aston
Note: 5/5
Couverture de la série Le Rapport de Brodeck
Le Rapport de Brodeck

Du grand art !!! Alors là, c’est la grosse claque ! Les dessins sont tout simplement excellents ! Manu Larcenet est carrément monté de je ne sais combien de niveaux avec cet album ! C’est sombre, froid, intense.....on rentre totalement dans l’histoire. A la fin de la lecture, on ne peut s'empêcher de revenir sur certaines pages pour admirer encore certains dessins. Culte ! Je dis bien CULTE !

25/05/2025 (modifier)
Par Blue boy
Note: 5/5
Couverture de la série La Terre verte
La Terre verte

Comment ne pas être impressionné devant une œuvre aussi monumentale ? « La Terre verte » comporte tant d’atouts qu’on ne sait par lequel commencer… Le premier, c’est le choix du format : au lieu d’une série, l’éditeur a opté pour un bon gros one-shot immersif, ce qui évite d’avoir à attendre trop longtemps le dénouement et permet de juger de la qualité du récit dans son ensemble. A ce titre, j’ai été totalement captivé du début à la fin par cette épopée au souffle puissant, avec une tournure théâtrale dans la pure tradition shakespearienne. Pour concevoir cette histoire, Alain Ayroles, le scénariste des « Indes fourbes », s’est inspiré d’un fait historique dont on connaît assez peu de choses : la « conquête » du Groenland par le viking Erik le Rouge un peu avant l’an 1000, avec l’implantation d’une colonie qui exista 400 ans avant de disparaître corps et biens, sans que l’on sache vraiment dans quelles circonstances. Ayroles s’en est inspiré pour produire cette fiction où le protagoniste principal n’est autre que Richard III, le roi d’Angleterre qui avait inspiré Shakespeare pour sa célèbre pièce. C’est ainsi que l’on va suivre le parcours de ce personnage sournois et manipulateur dont la soif de pouvoir le conduira vers la folie meurtrière la plus extrême, jusqu’à cette image finale qui restera gravée longtemps dans la rétine du lecteur. L’autre très bonne idée est d’avoir situé le théâtre de l’action dans cette contrée méconnue qu’est le Groenland, dont les vastes étendues glacées conservent toujours leur part de mystère, et finalement assez rarement exploité dans les arts et la littérature. Le découpage en scènes et en actes rapproche le récit du mode théâtral et fonctionne à merveille, tout comme les dialogues particulièrement ciselés. Les protagonistes principaux sont très bien campés : l’évêque Dom Matthias, le « bouffon » Kraka, mais en particulier Ingeborg, cette jeune femme solaire qui contraste avec les habitants du village de Gardar, dans une situation critique, et vient en contrepoint du ténébreux et maléfique Richard. Si au départ celui-ci lui fait forte impression dans son armure massive avant de la rendre amoureuse, Ingeborg va ensuite déchanter devant la noirceur du personnage qui la conduira à s’opposer à ses projets belliqueux… Mais c’est à travers le personnage de Richard, être dont la laideur et la difformité semblent avoir forgé en lui un noyau de colère inflammable, que le thème du pouvoir va être développé. Au départ, l’homme semble être désabusé et peu motivé pour remplir la mission qui lui a été confiée, lorsqu’il découvre cette contrée inhospitalière peuplé de gueux faméliques, lui qui s’attendait à un paradis vert. Pourtant, contre toute attente, il va être gagné par l’hubris en comprenant quel avantage il peut tirer en s’imposant comme le chef. L’homme a de la suite dans les idées et s’imagine que le Groenland pourrait lui servir de tremplin pour prendre sa revanche le moment venu, quand il reviendra vers le monde « civilisé ». De façon sournoise et cruelle, il va méthodiquement évincer tous ceux qu’il voit comme des concurrents potentiels ou des obstacles à ses ambitions. Avec Dom Mathias, sorte de tartuffe prédicateur en habit de carnaval, Ayroles portera avec une ironie cinglante ses attaques contre la religion, avec de sévères coups de griffe à l’attention de ceux l’utilisent comme instrument de pouvoir. Hervé Tanquerelle, qui m’avait séduit avec ses « Racontars arctiques » et avait acquis ses lettres de noblesse dans le milieu du septième art depuis « Le Dernier Atlas », adopte ici un style plus académique mais adapté au registre de la saga populaire. Ce qu’on apprécie, c’est qu’il a tout de même conservé sa patte artisanale avec ses « imperfections » (je ne sais pas comment le dire autrement, mais cela n’a rien de dévalorisant, au contraire…), ou autrement dit, il n’a pas cherché à produire à tout prix un dessin « industriel », techniquement élaboré, mais lisse et sans âme. Le personnage de Richard, en proie à une folie qu’il cherche à dissimuler, lui a permis de montrer son talent pour rendre les visages expressifs, il suffit pour cela de consulter la page 12 où on voit l’homme traversé par une succession d’émotions fugitives durant un court instant, et c’est assez impressionnant. On peut souligner également le travail sur la couleur d’Isabelle Merlet, qui avec ses bleus glacés a su restituer l’atmosphère polaire de cette saga. Si une version noir & blanc est sortie en tirage limité, il n’est pas dit que cela apporte réellement une valeur ajoutée, mais certains la préféreront peut-être pour ce côté austère qui pourrait plus correspondre à l’esprit du récit et permet de faire ressortir le propos. Hasard du calendrier, « La Terre verte » est sorti peu de temps après l’investiture de Donald Trump à la Maison blanche, et comme on le sait, le président idiocrate du peuple étatsunien a clairement fait connaître ses intentions de s’approprier le Groenland, « par la force s’il le faut ». Certes, Richard n’a rien de commun physiquement avec Donald, mais son hubris et sa volonté de contrôle démesurée est du même tonneau que celui du clown orange. Et c’est exactement ce qui est exposé avec cette bande dessinée : le mécanisme de conquête du pouvoir par un individu cynique, revanchard et mégalomane, avec un goût pour la manipulation où seul comptent ses propres intérêts. De plus, les thématiques en second plan nous ramènent à des problématiques contemporaines : l’impact environnemental destructeur de l’humain sur la faune (cf. le massacre aveugle des morses, juste pour l’ivoire de leurs défenses, page 92) et le féminisme (avant l’heure) à travers le personnage d’Ingeborg. En somme, des questions qui ont toutes les chances de déplaire à Trump et ses aficionados masculinistes. En résonnant ainsi avec l’actualité politique et les thèmes de notre époque, « La Terre verte », formidable épopée de bruit et de fureur doublée d’une sarabande macabre qui glace les sangs, parfaitement retranscrite par Tanquerelle lorsque Richard sombre dans la folie, se place dans la catégorie des ouvrages incontournables de l’année.

24/05/2025 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Ben Barka - La disparition
Ben Barka - La disparition

L’histoire aurait donc dû s’arrêter là. Seulement voilà… - Ce tome comprend une histoire complète, une enquête sur la disparation de Mehdi Ben Barka (1920-1965), homme politique marocain, et chef de file du mouvement tiers-mondiste. Son édition originale date de 2025. Il a été réalisé par David Servenay pour le récit, et par Jacques Raynal pour les dessins. Il comprend cent-quarante-deux pages de bandes dessinées en noir & blanc. Il se termine avec un dossier illustré de douze pages comprenant des chapitres consacrés à Antoine Lopez l’espion qui voyait triple, Le faux scoop de l’Express, Les sécuritocrates marocains à l’abri, Chtouki le chef fantôme du commando, CIA le mutisme des services secrets américains, Ben Barka une enquête impossible ? Enfin vient une liste de référence vidéo et livres, et des remerciements. Paris, vendredi 29 octobre 1965, 12h15. Mehdi Ben Barka, accompagné par le jeune historien Thami Azzemouri, se rend à son rendez-vous à la brasserie Lipp pour parler du projet de film Basta. À l’intérieur, l’attendent le journaliste Philippe Bernier, le réalisateur Georges Franju et l’éditeur Georges Figon. Alors qu’il approche de la brasserie, il est accosté par deux hommes qui se présentent comme des policiers. Ils s’enquièrent de l’identité de la personne qu’ils ont hélée, puis lui posent quelques questions. Quel est le motif du séjour de Mehdi Ben Barka en France ? Serait-il à Paris dans un but politique ? Enfin ils lui indiquent qu’on leur a demandé de l’emmener auprès de personnalités politiques. Il accepte et les suit sans un regard pour Azzemouri, après avoir vu leur carte professionnelle. Une fois les trois hommes dans la voiture, le trajet commence, c’est la dernière fois que Mehdi Ben Barka est vu vivant. À partir de là, le récit entre dans le royaume des hypothèses. À ce jour, nul n’a de certitude à propos de ce qui est arrivé à Mehdi Ben Barka. Sauf sur deux choses. Il a bel et bien été tué dans les 48 heures suivant son enlèvement. Son corps a disparu, sans que quiconque ne puisse le retrouver. Ce qui va intéresser les auteurs désormais, c’est l’enquête incroyable qui commence et l’importance de la trace que cette disparition va laisser dans l’histoire. Pour autant, tout ce qui va suivre a fait l’objet de minutieux recoupements auprès des proches de Mehdi Ben Barka, des enquêteurs… et d’un dossier d’instruction qui est à ce jour la plus ancienne enquête criminelle en cours dans les annales de la justice française. À bord de la 403, un silence pesant enveloppe les cinq passagers. Ben Barka se demande vers quel interlocuteur son destin l’emmène. Un rendez-vous est bien prévu pour le lendemain à l’Élysée, mais… Le convoi sort de Paris par l’autoroute du Sud. Discrètement, une DS noire suit la voiture des policiers. Elle finit par la dépasser. Juste après Évry, la voiture quitte l’autoroute pour atteindre sa destination finale. En arrivant au 35 de la Grand-Rue, la 403 franchit le portail d’une grosse ferme. Un homme apparaît. Mehdi Ben Barka l’ignore, mais le propriétaire des lieux est très connu des services de police. Georges Boucheseiche, 52 ans, dit Bonne Bouche, multirécidiviste, ex-collabo de la Carlingue, la Gestapo française. En fonction de sa culture, le lecteur peut être plus ou moins familier avec cette affaire : son point d’origine, la reprise de l’enquête en 2004, ou le rôle de Mehdi Ben Barka dans l’histoire du Maroc ou en tant que chef de file du mouvement tiers-mondiste et panafricaniste. Il constate rapidement qu’il n’est nul besoin de disposer de connaissances préalables sur l’affaire ou sur le contexte historique pour suivre le récit de l’enquête. De la même manière, un lecteur s’étant déjà intéressé à cette affaire apprécie la manière dont les auteurs relient les faits à des événements et des mouvements d’époque. Il peut aussi avoir eu la curiosité de lire un article encyclopédique sur le sujet, assez touffu, listant chaque intervenant sur, les différentes versions, et les découvertes successives, sans oublier les pièces manquantes, les silences, et même les légendes inventées, plus ou moins crédibles. Le scénariste a conçu une structure aussi sophistiquée qu’accessible. Partir de cette disparition le 29 octobre 1965. Faire intervenir différents acteurs apportant des informations depuis leur point de vue : Bachir Ben Barka le fils de Mehdi ben Barka, Maurice Buttin l’avocat de la famille Ben Barka, Patrick Ramaël juge d’instruction, Jospeh Thual grand reporter. Mettre en scène aussi bien des reconstitutions historiques avec les personnes impliquées, que des mises en situation d ce qui est rapporté. S’il commence par feuilleter cette bande dessinée, le lecteur peut ressentir une impression un peu austère et une forme de minimalisme dans la mise en page et dans les dessins. Dès la première page, il peut constater une approche plus dans l’impression donnée par les éléments visuels, que dans la représentation détaillée. En fonction des séquences, le dessinateur peut consacrer du temps à représenter des éléments plus nombreux : les façades des immeubles parisiens, une carte routière, des tenues vestimentaires, des rues de Rabat, des cafés ou des restaurants parisiens prestigieux, des bâtiments célèbres comme le palais de l’Élysée. Pour certaines zones de ces mêmes images, il peut se contenter de surfaces laissées blanches et vierges, comme la surface des trottoirs ou de la chaussée, certains arrière-plans lorsqu’il s’agit d’une tête ou d’un buste en train de parler, ou encore le fond de la page avec juste un individu en pied qui en occupe un tiers ou moins. Dans le même temps, il utilise les aplats de noir aux formes discrètement irrégulières pour donner du poids à chaque case. Il joue ainsi régulièrement sur le contraste fort entre des zones noires et des zones blanches. Il représente les individus avec un fort degré de simplifications à la fois dans les silhouettes et les visages. Le lecteur n’aurait pas forcément à chaque fois identifié un personnage célèbre s’il n’était pas nommé, jusqu’au général de Gaulle lui-même. Rapidement, le lecteur remarque que le scénariste laisse beaucoup de place à la narration visuelle. Par exemple les trois premières pages ne comprennent qu’un unique et bref cartouche de texte pour indiquer le lieu, la date et l’heure. Puis vient un dialogue pendant trois pages entre Ben Barka et les deux policiers. Et à nouveau deux pages muettes, à l’exception d’un court cartouche. Dans les deux pages suivantes, le lecteur découvre le dispositif d’une petite case au milieu d’une page autrement vierge avec deux cartouches de texte plus conséquents, sans aller jusqu’à du texte illustré par une miniature. Cette façon de procéder donnerait une impression de narration à l’économie s’il s’agissait d’un récit de type aventure ou roman. En revanche dans ce contexte, cela fonctionne parfaitement pour aérer l’exposé des faits historiques, des événements et des témoignages, pour mettre en valeur des intervenants et des personnes impliquées, pour montrer au lecteur un endroit, une rencontre, et pour créer une distance nécessaire avec les différents individus. Cela rappelle au lecteur qu’il voit de personnes en train de faire de déclaration, des paroles rapportées, ce qui ne permet pas de savoir ce que pense vraiment chacun, ce qui induit une prise de recul sur ces propos. Le scénariste relève un défi dont le lecteur ne soupçonne pas tout de suite la complexité : exposer, analyser et expliquer une enquête compliquée dans un contexte historique touffu, avec un nombre élevé d’intervenants, et plusieurs versions successives sans perdre personne en route. Il présente progressivement les différents acteurs : Mehdi Ben Barka dès la première page, les dernières personnes à l’avoir vivant, et puis il sait grouper les suivantes en unités logiques qui permettent au lecteur de facilement les situer, des plus connues comme le général Charles de Gaulle (1890-1970) président de la République française, Georges Franju (1912-1987) réalisateur, Marguerite Duras (1914-1996) écrivaine, dramaturge, scénariste et réalisatrice française. Du côté marocain : Hassan II (1929-1999), le général et homme d’état Mohamed Oufkir (1920- 1972), Ahmed Dlimi (1931-1983) officier supérieur puis général des Forces armées royales marocaines, etc. Quelques hommes d’état français comme Edgar Faure (1908-1988) homme d’État français, Roger Frey (1913-1997) homme politique français. Et puis des individus hauts en couleur comme Pierre Loutrel, dit Pierrot le Fou (1916-1946), Georges Boucheseiche (1914-1972) malfaiteur français, Antoine Lopez (1924-2016) inspecteur principal d'Air France à Orly surnommé la Savonnette, Marcel Le Roy – Finville (1920-2009) maître espion, etc. Et pour finir le juge d’instruction Patrick Ramaël et le journaliste Joseph Tual. Profitant de ces guides attentionnés que sont les auteurs, le lecteur découvre cette histoire d’enlèvement, le rayonnement international des activités de Mehdi Ben Barka, l’improbable implication de policiers, de malfaiteurs et d’espions, le plan soigneusement ourdi sur le long terme, capable de surmonter les imprévus et de tirer profit des occasions. Il se fait la réflexion qu’il n’a pas de raison de douter de ce qu’il lui est exposé, et qu’il peut saisir les différentes dimensions de l’affaire, entre les motivations de la victime et sa vie personnelle, les différents intervenants dont les intérêts finissent par s’aligner pour parvenir à cette disparition. Il partage l’optimisme des auteurs, avec la perspective de déclassification de documents dans les décennies à venir. Il prolonge bien volontiers sa lecture avec le dossier en fin de tome, se rendant compte qu’il ne s’était pas posé de question sur l’absence d’interférence des États-Unis dans cette affaire, alors même qu’ils remplissaient la fonction de police mondiale à l’époque. Une vieille affaire datant de 1965… avec des répercussions encore bien tangibles aujourd’hui. Une narration visuelle sèche et pouvant apparaître comme minimaliste, devenant particulièrement adaptée et intelligente à la lecture, faite pour faciliter la compréhension et l’assimilation du lecteur, tout en lui donnant le recul nécessaire pour questionner ce qui lui est montré. Une enquête remarquable par sa clarté, ses facettes analytiques et explicatives prenant en compte de nombreuses dimensions tant personnelles que de politique internationale dans un monde entre décolonisation et prise d’autonomie. Édifiant et passionnant.

24/05/2025 (modifier)
Par Corbeyran
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série La Dernière Nuit d'Anne Bonny
La Dernière Nuit d'Anne Bonny

Un alizé chaud gonflant des palmiers embaumés de rhum, de vanille, d'épices et de poudre à canon ! C'est l'environnement dans laquelle nous baignons dans ces baies turquoises, parfois rouge sang, de "La dernière nuit d'Anne Bonny". De plages scintillantes en tavernes sombres, de l'émeraude d'Irlande à l'azur des Caraïbes, nous embarquons avec délectation sur le navire de cette légende vivante. L'histoire épique d'Anne Bonny et de Jack Calico est non seulement magnifiquement contée mais a l'intelligence de mettre de temps à autre en confrontation deux historiens sur la biographie de la reine des pirates, une approche historiographique des plus réussie. Les dialogues sont vivants, émouvants et l'angle narratif que je laisse découvrir aux lecteurs est quant à lui judicieusement surprenant. Quant au dessin si singulier il est très expressif, empli de vie et fait immédiatement penser à l'œuvre vidéoludique "The Legend of Zelda The Wind Waker" de par son trait si animé, ses couleurs chatoyantes et sa capacité à nous embarquer sur les côtes marines où dangers et trésors vont de pair. Si c'est toujours un risque de dépeindre une figure régulièrement exploitée par le 9e art, pour avoir lu toutes les BD relatives à Anne Bonny c'est la seule qui offre un horizon avec un souffle de l'aventure à ce point enchanteur.

21/05/2025 (modifier)
Par Vaudou
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Sang Royal
Sang Royal

Un des derniers chefs d'oeuvre de Jodoroswky, et un titre injustement méconnu. Des inspirations scénaristiques qui vont de MacBeth à Berserk. Des dessins sublimes qui concurrencent le sommet atteint par Manara sur Le Caravage. La dernière page du tome 4, sublime. L'arrivée du fantastique dans le récit à partir du tome 3 à peine décevant, mais qui permet de voir une superbe femme copuler avec un loup-garou et un démon (pas en même temps hélas). Merci Jodo.

19/05/2025 (modifier)
Couverture de la série L'Odyssée d'Hakim
L'Odyssée d'Hakim

Le sujet est hélas toujours – voire de plus en plus – d’actualité, même s’il ne concerne pas que les Syriens (et même si « l’actualité » a souvent des priorités qui étonnent et scandalisent) : les migrants. Nombreux ont été les séries à traiter ce sujet – j’en ai lues pas mal maintenant – mais peu ont su le faire avec autant de justesse et de simplicité que Fabien Toulmé. S’inspirant d’une histoire vraie (il a juste changé certains noms) et reprenant ce que « Hakim » lui raconte de son périple, Toulmé nous raconte de l’intérieur non seulement « l’odyssée », les dangers surmontés par les migrants (beaucoup perdant la vie dans l’anonymat des naufrages), mais il a eu la très bonne idée de prendre son temps pour nous présenter les causes de ce départ : le très long passage se déroulant en Syrie au moment du Printemps arabe et des premiers massacres perpétrés par El Assad permet de bien montrer qu’on ne quitte pas son pays, ses proches de gaîté de cœur, pour planifier je ne sais quelle invasion fantasmée par quelques politiques ou journalistes complotistes racistes. Mais ce long passage a aussi une autre vertu, celle d’ancrer le récit dans le concret, de nous attacher à Hakim, d’humaniser un sujet qui bien souvent n’apparait que sous forme de chiffre (nombre de migrants, nombres de victimes, etc.). Et Hakim, avec son gamin, est très poignant. Le struggle for life auquel s’apparente son voyage, durant lequel il doit éviter les mauvaises rencontres, les passeurs peu scrupuleux, certains policiers (le passage en Hongrie est édifiant !) est stressant. Il doit aussi trouver à se nourrir, à faire des biberons, trouver des couches, etc. Chaque détail trivial accentue la pression (même si nous savons qu’ils vont s’en sortir, puisque c’est Hakim qui raconte à l’auteur son expérience, en France). On mesure aussi la part de chance (à plusieurs reprises : sur le navire en Méditerranée, en Hongrie, etc), mais aussi les belles rencontres, les exemples de solidarité qui ont permis à Hakim et son fils d’arriver au bout, comme ceux qui ont un temps accompagné notre duo, ou qui ont en partie financé ce voyage (la différence entre policiers hongrois et policiers autrichiens est hallucinante !). On mesure aussi le coût exorbitant du voyage : la rapacité des passeurs n’ayant d’égale que celle de tous les « marchands » vendant aux migrants à des prix prohibitifs tout et n’importe quoi (du gilet de sauvetage à un transport en taxi, en passant par une chambre). Le dessin à la fois simple et agréable de Toulmé (qui m’a fait penser à L'Arabe du futur de Sattouf – mais la dictature syrienne avait aussi poussé à ce rapprochement) est plaisant, et accompagne bien, sans esbroufe, le récit d’Hakim. La narration joue aussi la carte de la simplicité. Alors que l’UE délègue à des dictatures le contrôle extérieur de ses frontières (voir ce qui se passe en Libye en particulier), renforce le refoulement des migrants tout en concourant aux départs (en soutenant des dictatures, mais aussi en pressurant économiquement les pays de départ), alors que certains usent du sujet pour faire diversion et jettent en pâture les migrants, il est bon de rappeler certaines vérités et de donner corps et dignité à ces migrants, comme l’a fait Toulmé. Trois albums épais, mais que j’ai dévorés. C’est à la fois captivant et énervant. Les milliers de migrants qui meurent chaque année en tentant de sauver leur peau, d’échapper à la misère (souvent les deux) n’ont pas eu la chance d’Hakim. Mais son histoire participe du travail de justice qui devrait commencer à leur être rendu. Une belle série, dont la lecture est hautement recommandable.

16/05/2025 (modifier)
Par bab
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Watership Down
Watership Down

Ro a tout dit ! Il est fort ce Ro... L'objet m'est tombé dans les mains chez ma libraire. L'édition est magnifique. Une couverture superbe, très travaillée, un papier texturé. Un livre qui fait plaisir à avoir (quand on aime avoir des livres). Je ne connaissais pas le roman, ni l'histoire, mais le quatrième de couverture et le conseil de Corinne (ma libraire donc) m'ont rapidement décidé que le jeu, ou plutôt le prix, en valait la chandelle. Je ne reviendrai pas sur le pitch. Cette aventure épique est fabuleusement menée. Lu en plusieurs fois (350 pages quand même), j'attendais la suite avec impatience. Découpée en chapitres courts, la création de cette garenne par Hazel et ses compagnons nous tient en haleine de bout en bout jusqu'aux dernières pages, qui viennent appuyer la poésie du folklore et des croyances créés par l'auteur autour de nos lapins. La carte et le glossaire à part sont vraiment malins, bienvenus sans qu'il n'y ait besoin de le consulter à chaque page. Côté graphique, c'est beau et simple. Pas de fioriture, une ligne soignée, claire qui appuie parfaitement le côté poétique du récit, mais aussi bien les aventures et combats. Certaines pages rendent magnifiquement le dynamisme des actions. Cependant, rien ne ressemble plus à un lapin... qu'un lapin. Certes, chacun portent ses différences, ses marques, ses cicatrices mais il n'est pas toujours simple de savoir à qui nous avons affaire. Cela nécessite de l'attention et parfois quelques retours en arrière pour bien comprendre qui fait quoi. Cela n'entrave pas la qualité du récit, mais nécessite une lecture "concentrée". Je rejoins Ro, une bien belle histoire qui mêle aventures, bagarres, amitiés, entraides et soutiens. Moi qui croise 10 lapins par jour sur les routes de campagne, je ne vais plus les regarder de la même façon ! Un roman graphique à lire, à faire lire. C'est beau, c'est une belle histoire, une belle aventure.

09/05/2025 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Pigments
Pigments

Les pigments, c’est juste ce qui les a rendues visibles, ces caresses. - Ce tome correspond à une anthologie réalisée par huit bédéastes différents relatant une expérience commune. Son édition originale date de 2025. Il a été réalisé par des auteurs complets ayant chacun réalisé le scénario, les dessins et les couleurs de leur segment, par ordre d’apparition avec leur surnom entre parenthèses et le nombre de pages réalisées : Pascal Rabaté (Chafouin, trois segments pour un total de dix pages), Étienne Davodeau (Auroch, dix pages), Emmanuel Guibert (L’abbé, douze pages), Edmond Baudoin (Lou Cabra, douze pages), Chloé Cruchodet (Pipistrelle, treize pages), Troubs (Belette, dix pages), David Prudhomme (Bison sensible, seize pages), Marc-Antoine Mathieu (Cro-Ma, trois pages). Le tome commence par un article de huit pages (du texte illustré par des photographies) rédigé par Marc Azéma, intitulé : Picasso, Soulages, Barceló en ont rêvé…. Les Rupestres l’ont fait ! L’auteur évoque les grottes de la région, la reconnaissance d’un art pariétal paléolithique, la technique du fac-similé de grotte ornée (pour réaliser Lascaux II), ses travaux de chercheur sur la représentation du mouvement dans l’art paléolithique, son livre La préhistoire du cinéma, l’album Rupestres ! (2011, par Davodeau, Guibert, Mathieu, Prudhomme, Rabaté, Troubs), et l’expérience relatée dans cet album. À la fin se trouve un dossier de quarante-six pages de photographies prises par Rémi Flament, montrant les bédéastes à l’ouvrage ainsi que leurs réalisations dans la grotte, et un article de deux pages sur les grottes du Quercy. Devant l’entrée de la grotte de la Sagne, une personne accueille le groupe d’artistes en leur expliquant que voici donc la grotte où ils vont œuvrer pendant dix jours. Ils ne travailleront qu’à la lampe frontale et qu’avec des pigments naturels. Les deux derniers compères qui participent à l’expérience arriveront demain. Un des participants ironise qu’il s’agit d’une sorte de Koh-Lanta pour dessinateurs-rices. Vient ensuite une vue de dessus de ladite grotte, puis une autre de la grotte de Pech Merle. Au sein de la grotte lieu de l’expérimentation : une culture de shiitake en pots, une table avec des pigments naturels et du matériel de dessin, et des bidons d’eau de chaux. Printemps 2021, Étienne Davodeau est à sa table de dessin et il répond à un appel téléphonique. Parfois, quels que soient les retards sur les travaux en cours, quels que soient les impératifs des agendas, des propositions impossibles à écarter arrivent. Cette petite vallée du Lot l’appelle donc à nouveau. Il y file pied au plancher. La première fois, c’était pour y dessiner avec quelques camarades au fond des grottes, face aux magnifiques œuvres de leurs collègues du paléolithique. De cette inoubliable expérience est né le livre collectif Rupestres ! La deuxième fois, c’était pour y retrouver ce petit mammouth de 22.000 ans qu’ils y avaient croisé. Encore aujourd’hui il ne sait pas exactement pourquoi ce petit dessin le fascine tant. L’introduction de Marc Azéma et celle de deux pages de Rabaté établit bien l’expérience : dix jours à réaliser des peintures rupestres pour sept artistes (Marc-Antoine Mathieu réalisant ses trois pages à partir d’une galerie), dont cinq avaient déjà participé ensemble au précédent projet : rêver et réaliser un livre en forme de grotte ornée avec ses galeries étroites, ses grandes salles, des zones d'ombres, des goulets et leurs questions… Le présent tome comprend donc un chapitre réalisé par chacun des artistes, une introduction et un épilogue réalisés par Rabaté. Chacun relate à sa manière cette expérience, tous à la première personne, certains en se mettant tout seul en scène, certains en évoquant quelques-uns des autres participants, et Guibert en mettant en scène un dialogue avec Edmond Baudoin. Ils ont chacun disposé d’une pagination adaptée : deux chapitres de dix pages, deux de douze pages, un de treize pages, un de seize pages, et les trois chapitres plus courts de Rabaté, ainsi que l’épilogue de trois pages de Mathieu. Les récits vont du commentaire sous forme d’échange (Guibert & Edmond), au récit de la réalisation effective des dessins par Troubs. De la même manière, les registres picturaux présentent des caractéristiques différentes d’un artiste à l’autre : un esquissé pour la séquence introductive, dans une veine réaliste pour Davodeau, sous forme de deux personnages comiques (sans arrière-plan) pour Guibert, des illustrations narratives mêlant plusieurs registres picturaux pour Baudoin, les délicates aquarelles de Cruchaudet, jusqu’au reportage photographique intitulés Pigments. Le lecteur entame la première histoire : sous le charme des dessins au trait de contour fin et délicat, évoluant dans le cocon de la douce lumière qu’elle soit extérieure et vive ou artificielle et dirigée vers la paroi. Il suit le flux de pensées de l’artiste. Davodeau s’apprête à dessiner comme ses collègues du paléolithique, avec les mêmes pigments. Pourquoi dessinaient-ils à l’âge de pierre ? Pourquoi eux dessinent-ils maintenant ? Tenter de répondre, c’est peut-être déjà enfermer l’idée. Dessiner quoi ? Ils verront. Ce qui compte, c’est le geste. Et pour des auteurs de bandes dessinée, habitués à l’espace exigu des cases de leurs pages, parcourir les parois de cette grotte, c’est dessiner avec tout le corps. Dessiner des jours entiers, et surtout dessiner ensemble. Autant que dessiner, un d’eux aime voir dessiner. Voir naître le dessin d’un autre, c’est voir une intelligence au travail. Le lecteur est pris dans un flux narratif, une histoire avec un début (l’appel téléphonique) une fin (la réalisation d’un dessin à l’extérieur), un point de vue et un ressenti. Le rythme se trouve rompu par la séquence suivante : quatre pages réalisées par Rabaté, qui comprennent, chacune, trois cases de la largeur de la page pour faire apparaître la longueur du boyau souterrain, avec les silhouettes des artistes en ombre chinoise, en train de réaliser leurs œuvres, ceux du côté gauche en entrant, puis ceux du côté droit. C’est le regard que porte Rabaté sur ses collègues, détaché, observateur, factuel, avec une prise de recul pour voir cette situation comme s’il y était extérieur. Puis le lecteur est pris par surprise par cette mise en scène des avatars de Guibert et Baudoin en petite silhouette arrondie, traits simplifiés, dans une pantomime faisant la part belle à la gestuelle, pour un dialogue. Ils papotent, échangeant leurs impressions, leurs connaissances sur le contexte de la peinture rupestre, échafaudant des hypothèses sur l’état d’esprit des artistes de l’époque, n’arrêtant pas de bouger. Ce chapitre se termine également par les réflexions de ce créateur sur cette expérience, sur le fait de pouvoir regarder les autres travailler : Sept peintres rupestres badigeonnent la muqueuse d’une caverne. C’est jouissif, de peindre sur la roche. Et rébarbatif. Et instructif. D’abord, il n’y a pas de format, pas de toutes les surfaces, du lisse au buriné, du plat au boursouflé, du ruisselant au sec. À chacune son lot de plaisirs et de désagréments. Les peintres tour à tour se mélangent ou s’isolent. Quand ils s’isolent de quelques mètres, ils s’entre-regardent parfois du coin de l’œil. Ils voient, dans le noir, une petite silhouette coiffée d’un lumignon s’escrimant contre une paroi. Elle émeut, cette petite silhouette. Le lecteur tourne la page… Et là… Là, il découvre le chapitre réalisé par Edmond Baudoin. Extraordinaire ! La sensibilité des peintures rupestres au travers de dessins peints, libérés de la structure des cases, entremêlant des images entre elles, tout en conservant la sensation d’une lecture graphique et d’une progression, avec des cellules de texte à la frontière du commentaire et d’un flux de pensée libre, évoquant aussi bien la pratique des artistes préhistoriques, que celle de ses collègues qu’il observe, le caractère éphémère de celle qu’il réalise, agrémenté d’une citation de Gilles Deleuze (1925-1995 – S’il n’y a pas dans un tableau une rébellion de la main par rapport à l’œil, c’est que le tableau n’est pas bon.) et d’une de Charles Baudelaire (1821-1867 – Sois sage, ô ma douleur, et tiens-toi plus tranquille. Tu réclamais le soir ; il descend ; le voici : une atmosphère obscure enveloppe la ville, aux uns portant la paix, aux autres le souci.), et s’achevant sur un dessin réalisé après, une page contenant quelque chose d’essentiel. C’est à la fois unique, une expression de la personnalité profonde de ce créateur, et universel. Ce chapitre mérite à lui seul la lecture de l’ouvrage. Pour autant, le reste n’apparaît pas fade au regard du chapitre d’Edmond Baudoin. Chloé Cruchaudet rend compte de cette expérience de son point de vue, avec sa propre sensibilité, des dessin plus délicats : elle parle de son manque de confiance, de ses interrogations quant à ce qu’elle peut représenter, de son adaptation progressive à la grotte, apprenant à connaître ce milieu, trouvant une façon de s’exprimer en adéquation et en phase avec cet environnement extraordinaire. Troubs réalise des dessins plus organiques, focalisés sur la paroi qu’il s’apprête à transformer par ses dessins, montrant comment le support même agit sur sa créativité, comment la matière participe à décider de son sujet. À sa manière, David Prudhomme balaye un spectre aussi large que celui de Baudoin, avec une sensibilité différente, une expression de sa personnalité et de sa pratique du dessin qui lui est propre, proche du credo : Dessiner, c’est enregistrer un parcours de l’œil, de la main, du pied, de la bouche, du corps de l’esprit sur un support. Il continue : L’image immatérielle est une image hors du temps, un dessin donne toujours une notion de temps nécessaire à sa création. Le dessin est un art de la trace et les amateurs de dessins sont des pisteurs. Ce voyage guidé initiatique se termine avec la dernière soirée passée entre artistes. Et l’épilogue de Mathieu fait apparaître l’universalité de des surfaces de monstration des dessins, comment celle de la grotte et celle de la galerie se confondent. Curieux, le lecteur découvre ensuite le copieux reportage photographique, très beau, qui lui permet de voir de manière plus prosaïque le concret des expériences relatées en toute subjectivité par les artistes. Peindre à la manière des hommes préhistoriques dans une grotte ? La lecture de cet ouvrage s’avère tellement plus que ça : une expérience chorale, vécue au travers de sept artistes différents, chacun avec leur personnalité. Chacun a choisi de mettre en avant des aspects et des thèmes qui lui importent, de la question de savoir quoi représenter, à la source d’inspiration, en passant par le questionnement sur ce qui pouvait inspirer les hommes préhistoriques, quel pouvait être leur état d’esprit, leur motivation. Le lecteur en ressort marqué par ces différents points de vue de ces créateurs tous praticiens expérimentés du dessin. Il se retrouve subjugué par la plénitude de l’expérience de lecture du chapitre d’Edmond Baudoin, véritable chaman. Une visite guidée que le lecteur prolongerait bien en allant visiter cette grotte par lui-même.

08/05/2025 (modifier)
Par Marie
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Molière - Le théâtre de sa vie
Molière - Le théâtre de sa vie

Un bijou de rigueur et de tendresse. On croit connaître Molière, on croit tout savoir… et pourtant, cette BD fait l’effet d’une redécouverte. Chaque page respire l’amour du théâtre, le respect des faits, et une profonde humanité. On y sent le souffle de la scène, les failles d’un homme, et le travail patient des chercheur·euse·s qui ont éclairé son parcours, notamment Georges Forestier, à qui ce livre rend hommage. Accessible, intelligent, fidèle aux programmes scolaires, mais surtout bouleversant de justesse. Merci pour ce morceau de vie, d’histoire, de mémoire.

07/05/2025 (modifier)
Par gruizzli
Note: 5/5
Couverture de la série Champs de Bataille - L'histoire enfouie du remembrement
Champs de Bataille - L'histoire enfouie du remembrement

Mon dieu, quelle horreur... J'ai mis des mois à réussir à lire cette BD que j'ai dû reposer au moins trois ou quatre fois, en ne voulant plus y toucher le temps de me calmer. J'ai rarement été autant énervé par une BD. Réellement énervé, au point de ne pas avoir l'envie de lire la suite et que je me sentais obligé d'aller faire autre chose et ne plus y penser. Balayons directement la question de la forme : vous avez aimé Algues vertes - L'Histoire interdite ? Foncez, c'est tout aussi bon et clair, didactique et étayé. Le dessin est efficace, la narration pas trop lourde et quelques fulgurances traversent la BD comme cette envolée des paysans qui disparaissent, montant au ciel les bras en croix. Symbole et métaphore, tout est clair. Pour le reste, par contre... Quelle claque, quelle horreur. A écrire ces mots après une lecture finie récemment, je suis encore plus en colère. Cette BD, ce n'est pas le genre d'informations qui m'a fait comprendre quelque chose qui m'effraye, lié au changement climatique, à la dégradation des sols et l'épuisement des ressources. Elle est allée au-delà, elle m'a mis en fureur. Celle qui m'a fait tourner en rond chez moi en ressassant des pensées pendant des heures. Le sous-titre de catastrophe écologique et sociale est amplement méritée. Au vu des informations que j'avais déjà et au sortir de cette lecture, j'ose affirmer que ce dont elle parle est probablement la plus grande catastrophe du XXè siècle. Au-delà des génocides, des dictateurs, des bombes nucléaires, ce qui s'est joué là a brisé quelque chose de fondamental dans l'humanité, quelque chose qui s'est construit pendant des milliers d'années et qui a définitivement disparu : la transmission de l'agriculture et des terres, des pratiques, de tout ce qui a été fait. Voir ces paysages dévastés, ces gens méprisés, exploités et désormais devenus esclaves d'une chaine de production, relégués au statut d'ouvrier d'usine mais croulant sous les dettes, toujours moins nombreux sur toujours plus de terre, avec toujours plus de matériel. Sincèrement, j'ai rarement été énervé à ce point par une BD qui met en lumière ce qu'est réellement ce remembrement, premier acte d'une transformation radicale de l'agriculture. Je pense que personne ne peut mesurer l'ampleur de son action, la dévastation des campagnes, de nos eaux et de nos airs. La façon dont cette transformation de l'agriculture a impacté si fort notre mode de consommation, nos vies, nos systèmes sociaux, notre conception du monde... Il y a des témoignages qui donnent envie de pleurer et d'autres qui donnent envie de sortir le fusil pour aller tuer certaines têtes précises. Mais surtout, la BD oblige presque le lecteur à se battre contre cela, à s'investir pour sauver ce qui peut encore l'être. Nous sommes passés à moins de 400.000 agriculteurs en France, il faudrait au moins 1 million de plus... Qui va y aller ? Parce qu'il devient crucial de le faire...

06/05/2025 (modifier)