J’ai encore des larmes dans les yeux quand je commence à rédiger cet avis. Je viens juste de refermer le troisième tome… Enfin, c’était peut-être il y a dix minutes, voire plus. Le temps qu’il m’a fallu pour encaisser ça. Mon épouse me regarde, l’air étonné, un peu amusé, ou peut-être aussi gâteux. Sans doute un peu de tout ça. Je suis dévasté. Littéralement dévasté. J'ai l'impression que je viens de perdre un ami proche, je sens que le monde s'écroule autour de moi, et pourtant, tout est là, debout, immobile. Je ne comprends pas ce regard qui ne comprend pas ma douleur. Pourtant, il faut bien que la vie reprenne...
Si je commence mon avis par cette courte introspection, ce n’est pas pour raconter ma vie. Mais cette scène un peu cocasse, ce mari qui n’arrive plus à retenir ses larmes devant une bande dessinée, sous le regard gentiment décontenancé de son épouse qui ne parvient pas à comprendre, c’est une scène de Pierre-Henry Gomont. Elle s’insère logiquement dans la suite du récit, elle a été créée par lui de toute pièce. On dit que le silence après Mozart est encore du Mozart, et les larmes après du Gomont sont encore du Gomont.
Que dire de plus, après cela ? Tant de choses et si peu. On a l’impression que plus on va ajouter des mots, moins ils seront efficaces.
Et pourtant, il faut en parler ! Il faut parler de ce fabuleux dessin de Pierre-Henry Gomont, aux couleurs si maîtrisées. La première fois que j'ai ouvert cette bande dessinée, j'ai craint d'être rebuté par ce dessin que je croyais brouillon, mais j'ai été séduit par ces couleurs délicates. Et j'ai découvert peu à peu, avec un émerveillement grandissant, la magie de ce trait d'un Sempé des temps nouveaux. Peu de dessinateurs savent exprimer avec autant de justesse que Gomont cette complexité des sentiments au travers de leur dessin. Chez lui, il y a une tonalité humoristique évidente qui n'entrave jamais la noirceur du récit. Ce qu'il a à nous dire est sombre, très sombre, mais il le dit avec la naïveté rêveuse d'un enfant.
Slava est une œuvre majeure. Pas seulement une bande dessinée majeure, non. Elle est une œuvre d'art majeure. Elle transcende les formats pour nous offrir quelque chose qui ressemblerait à une forme d'art total. Visuel, évidemment, tant la splendeur et la justesse du dessin de Gomont transparaît à chaque page. Narratif, comment le nier ? Cette montée en puissance dans le tome 3 est une pure merveille d'orfèvrerie narrative. Et cette écriture... Les textes de Slava sont dignes du meilleur des romans. La puissance d'un Dumas et d'un Céline étrangement réunis dans une sorte d'épopée à la Audiard. Car bien sûr, cette alliance entre l'art narratif et l'art visuel ne peut qu'évoquer le cinéma. Quand on sort de là, on a l'impression d'avoir vu un immense film. Comment nos réalisateurs peuvent-il passer à côté de Slava ? (Non, en vrai, ça vaut mieux, peut-être que Dupontel réussirait à en faire quelque chose, mais c'est sûrement le seul !)
Slava est tout aussi bruyant. Même si ses onomatopées sont en russe, elles claquent à nos oreilles autant que des répliques parfaitement écrites. On entend tout. Et comment ne pas être saisi aux tripes par cette symphonie du chaos que Gomont orchestre si bien ? Tout comme ces personnages de théâtre, qui relèvent aussi bien de la pantomime et de la commedia dell'arte que du plus puissant drame shakespearien ? Là est tout le génie de Gomont : dans le refus du choix. La pantomime survient en plein cœur de la tragédie (ou inversement), et pourtant, le tout est d'une homogénéité exemplaire !
Bref, je crois que je pourrais continuer longtemps, mais il ne faut pas. J'ai vécu une épopée en compagnie de Slava, Nina, Lavrine et Volodia. Je me suis hissé au sommet et suis tombé dans les mêmes gouffres qu'eux, en même temps qu'eux. Personne ne peut imaginer la grandeur de cette épopée qu'ils m'ont fait vivre. Même s'il y a quelques moments où le soufflé retombe un peu dans le 2e tome. Même si la vulgarité prend parfois le pas, ou que l'équilibre du récit est menacé par cette dépiction de toutes les bassesses humaines. Même si, à certains moments, on aimerait que le scénario avance (un peu) plus vite. Cette épopée que j'ai vécue, donc, personne ne peut l'imaginer mais tout le monde peut la vivre. Vivre, revivre cette tragédie de la Russie d'Eltsine. Voir, revoir la noblesse de l'âme russe, capable de surmonter toutes les tragédies. Regarder, admirer le spectacle de quelques îlots d'humanité incapables de sombrer dans les flammes d'une infernale décadence où le diable du capitalisme veut l'entraîner.
Et pleurer.
Pleurer les morts qu'un récit trop réel nous inflige.
Pleurer la grandeur passée d'une nation qui vendit son âme à des ogres cupides et désincarnés.
Pleurer la force de ces hommes et de ces femmes qui réussirent à vivre au milieu des tempêtes.
Pleurer l'héroïsme de ceux qui surent faire preuve de courage et d'abnégation contre les lâches et les puissants.
Pleurer face à la beauté d'un spectacle qui résonnera encore bien longtemps dans nos cœurs.
Pleurer, car quand on ne sait plus quoi dire, il nous reste toujours les larmes pour l'exprimer.
Pleurer. Se taire. Et contempler.
Je rejoins plusieurs avis sur la qualité des dessins en ajoutant ma touche personnelle : je comprends que l'on n'apprécie pas mais on peut reconnaitre de magnifiques planches, un travail somptueux sur l'aquarelle noire (ou encre de chine par endroit ?). Pour ma part les dessins m'ont touché voire émerveillé.
J'ai lu le roman de Steinbeck il y a de nombreuses années : le huis clos complexe et les personnages trempés sont très bien retranscrits. La difficulté de savoir "qui est qui" me semble plus une volonté de retranscrire à la fois la froideur des personnages, l'universalité du rêve, et l'identification possible à tous les acteurs ou à aucun (sauf Lennie peut-être qui d'ailleurs est plus reconnaissable).
A lire.
Histoire de remettre au goût du jour cette BD qui mériterait selon moi d'être encore plus sous le feu des projecteurs !
Cela fait plus de deux ans avec la publication du premier avis sur le site que j'essaye de mettre la main sur cette série mais petit bémol et pas des moindres : pas de référencements en bibliothèques et quasiment impossible à se procurer d'occasion sur internet...
Toutefois, au vu des avis élogieux qui ont continué d'affluer depuis, je me suis finalement résolu à mettre la main au portefeuille en achetant l'intégrale (50 euros tout de même donc mieux vaut être sûr de son coup).
Résultat : aucun regret, c'est du très beau travail !
Pour être très succinct, le lecteur est amené à suivre par tranches de vie successives (1 tranche = un tome) l'évolution d'un groupe d'amis depuis leur jeunesse dans les années 60 jusqu'à nos jours (je ne sais pas si l'épilogue "les indociles 2022" est uniquement présent dans l'intégrale (?)).
Les personnages sont travaillés avec intelligence dans leur cheminement personnel notamment lorsqu'ils doivent faire face, résoudre, surmonter... ou tout simplement apprendre à vivre avec les difficultés et aléas rencontrés.
Pour chacun, il y a des réussites oui mais également beaucoup d'échecs et c'est peut-être ce qui fait la grande force de ce récit.
Deux potentielles faiblesses qui me viennent cependant à chaud :
- Une certaine hétérogénéité dans la qualité de traitement accordée aux personnages sur l'ensemble de l'œuvre : ils sont plus ou moins mis en avant et approfondis en fonction de l'époque concernée et sans que cela ne puisse toujours se justifier d'un point de vue du scénario.
- Les transitions d'un tome à l'autre peuvent parfois être déroutantes avec l'apparition et/ou le retour de personnages (+ changements physiques qui s'accompagnent) qu'il faut réussir à replacer sur l'échiquier global.
Un réel plaisir de lecture que je ne peux que recommander au plus grand nombre ;)
Blankets est un roman graphique intimiste et poétique, où Craig Thompson met en images les questionnements de l’adolescence, la famille, la foi et la découverte de l’amour. Le dessin en noir et blanc, d’une grande délicatesse, accompagne une narration sensible et fluide qui touche par sa sincérité.
Malgré son volume imposant, l’ouvrage se lit avec une étonnante légèreté et laisse une impression durable. Une œuvre marquante, aussi personnelle qu’universelle.
Que les amateur-ice-s de métafictions et les fanatiques du bon mot se réjouissent, le récit ici présent est une jolie explosion de créativité !
J'adore la métafiction, les récits où la dimension fictive/factice est conscientisée par l'auteur-ice, par les personnages, où l'on invite lae lecteur-ice/spectateur-ice à activement participer en réfléchissant sincèrement et profondément sur ce qui est dit. Pas de fainéantise quand on joue avec les codes. Alors un récit mélant personnages de contes et de fables, ruses et idioties, facilités scénaristiques assumées et ambitieux passages narratifs, moi je ne peux que l'apprécier.
Il me serait difficile de pleinement résumer l'intrigue, celle-ci étant volontairement (et sans doute inutilement) sinueuse, d'ailleurs les personnages eux-même redoutent sans cesse les décisions de l'autrice ("Quel fléau que cette donzelle !"). Sachez juste que cette histoire se passe au milieu d'autres, avant le mot fin, dans une nouvelle aventure qui n'aurait jamais été racontée ni par Perrault ni par La Fontaine (ou tout autre quidam similaire), une étrange histoire de montagne, de souris et d'ogre, de débats sémantiques sur les paraboles, d'entourloupes et de voyages éliptiques.
Bref, je m'étale, je m'étale. Difficile de bien parler de cet album. Peut-être devrais-je cesser de m'étaler dans des répétitions inutiles et des pinaillages accessoires dans mes avis ? Peut-être même me faudrait-il repartir en arrière pour changer de nouveau mon précédent paragraphe et faire comme si de rien n'était ?
Peut-être. Mais on va dire qu'au final les bafouillages importent peu.
Les dessins de Nancy Peña sont, là aussi, de très bonne facture. J'avoue avoir eu besoin d'un court temps d'adaptation pour les bouches de nos protagonistes animaliers (je ne sais pas vraiment pourquoi, les grosses lèvres ont créé un blocage chez moi) mais une fois cela passé je n'ai rien trouvé à redire. Certain-e-s pourraient regretter une forme trop confuse, je la trouve au contraire finement menée, fluide à lire et j'apprécie que l'autrice profite pleinement des codes de la mise en page de l'album en lui-même. Non seulement l'autrice s'amuse avec les codes narratifs propres à la fiction, mais en plus elle se permet de foutre le boxon dans les belles règles propres au neuvième art ! On oublie les cases, les personnages se baladent n'importent où, on se permet même de faire demi-tour quelques fois et de briser le quatrième mur en alpaguant directement lae lecteur-ice ou en jouant avec la pagination et les ellipses. Bref, un joli foutoir volontaire qui se révèle en réalité savamment travaillé.
Comme répété plusieurs fois déjà dans mon avis, cette série (ou album si vous avez l'intégrale) est un petit bijoux de métafiction créant et maintenant un agréable sentiment de connivence chez toute personne amatrice de contes, fables, paraboles, et tout simplement de récits en général.
Un album marquant, drôle et bien écrit qui mérite amplement la note maximale à mes yeux.
L’indépendance, pour quoi faire ?
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Ce tome contient une histoire complète, de nature biographique, ne nécessitant pas de connaissances préalables sur la vie de Mario Marret (1920-2000). Son édition originale date de 2023. Il a été réalisé par Nina Alamberg pour le scénario, et par Laure Guillebon pour les dessins et les couleurs. Il comprend cent-soixante-quatre pages de bande dessinée. Il se termine avec une postface d’une page rédigée par la scénariste en novembre 2022, quatre pages de photographies montrant Marret, une bibliographie de trois ouvrages pour en savoir plus, la filmographie que Marret, un article de l’historien Tangui Perron intitulé Bruno et Mario (ou de quelques transports amicaux au temps de l’internationalisme communiste et tiers-mondiste), un court paragraphe sur Suzanne Zedet, un autre sur Amílcar Cabral, et un autre pour chacune des autrices.
À Clermont-Ferrand, à l’hiver 1936, le jeune Mario Marret, encore adolescent, se rend à l’atelier de serrurerie de son employeur. Il passe devant une affiche du SIA / Solidarité Internationale Antifasciste, qui enjoint à ne pas oublier leurs frères et leurs sœurs d’Espagne qui se battent avec courage contre le fascisme. Elle porte également l’information d’une réunion de soutien à la maison du peuple, ce quinze novembre 1936, place de la Liberté, à Clermont-Ferrand. Il arrive à destination et rentre dans l’atelier. Le patron rappelle à l’apprenti qu’un ouvrier soigneux range ses outils à la fin de la journée. Il continue : à l’âge de Mario ce n’est pas pour le client qu’il travaille, c’est pour lui. Il le rassure : on ne mange pas autant d’argent qu’il croit à recommencer. La journée se passe à travailler, et enfin Mario met toutes ses affaires dans le tiroir pour les ranger, mais en vrac. Il dit au revoir à son patron, et il se rend à la réunion qui se tient à la maison du Peuple. Devant, il y retrouve un copain un peu plus âgé qui l’attend.
À la maison du Peuple, la réunion a déjà commencé, et un orateur a pris la parole : Le Front Populaire leur a promis le pain, la paix et la liberté, mais comment croire à sa paix lorsqu’il laisse un peuple frère sans défense de l’autre côté des Pyrénées ? Oui, il l’affirme : le Front Populaire laisse les prolétaires espagnols sans défense devant le fascisme. Il en appelle à la mobilisation des personnes présentes pour leur apporter leur aide, et il entonne le slogan : Des canons, des avions pour l’Espagne ! Vive l’anarchie ! Slogan repris par tous les présents. Ceux-ci échangent ensuite quelques paroles en Espéranto. Puis Mario quitte la réunion et se rend chez le médecin. Il a décidé de se faire opérer pour une vasectomie. Il ne veut pas procréer dans ce monde pourri. Au printemps 1939, Mario Marret a dix-neuf ans, il est en route vers les Pyrénées orientales. Il se mêle aux milliers de camarades espagnols contraints de traverser les Pyrénées avec la victoire de Franco. En juin 1939, les Républicains espagnols fuient leur pays devant l’avancée des troupes de Franco. De 100.000 à 200.000 sont parqués dans le camp d’Argelès-sur-Mer. Livrés à eux-mêmes sans le soutien des autorités françaises, leurs conditions de vie sont terribles.
Le texte de la quatrième de couverture informe que : Mario Marret a été espion anarchiste, explorateur polaire, cinéaste militant et psychanalyste. Le récit de sa vie commence en 1936, alors qu’il a seize ans et qu’il est en apprentissage, et déjà militant. Le contexte, sans être détaillé dans ces pages, est celui de guerre civile espagnole, un conflit opposant les Républicains (socialistes, communistes, marxistes et anarchistes) aux nationalistes menés par le général Francisco Franco (1892-1975). Les autrices ont choisi de focaliser leur narration sur Marret, sans transformer la bande dessinée en cours d’histoire. Pour autant, elle mentionne les conflits et les mouvements nationaux. La seconde guerre mondiale, les expéditions polaires françaises créées par l’ethnologue français Paul-Émile Victor (1907-1995), les maquis de la Guinée portugaise en 1966 et Amílcar Cabral (1924-1973) fondateur du Parti africain pour l'indépendance de la Guinée et du Cap-Vert, la grève des ouvriers de l’usine Rhodiacéta à Besançon au printemps 1967 et le film réalisé par Chris Marker (1921-2012, Christian Bouche-Villeneuve), l’apport de Jacques Lacan (1912-1982) psychiatre et psychanalyste français. Dans les pages en fin de tome, le lecteur peut en apprendre plus sur Suzanne Zedet (héroïne de Classe de lutte, le deuxième film du Groupe Medvedkine de Besançon), Amílcar Cabral, et sur l’internationalisme communiste et tiers-mondiste.
Un ouvrage de nature biographique : le lecteur se prépare à des pages denses, chargées en texte pour un fort volume d’informations, comme il est souvent de mise dans ce genre. Il comprend rapidement que les autrices ont choisi de consacrer un chapitre à chacune des quatre vies de cet homme. La bande dessinée s’ouvre avec une illustration en pleine page et en couleurs, une vue des toits d’un quartier de Clermont-Ferrand, avec uniquement l’année, et le nom de la ville. Puis viennent des pages avec peu de dialogues, où les cases racontent l’histoire en la montrant. La proportion de dialogue se densifie un peu lors de la réunion de soutien, tout en restant à un niveau de BD classique. L’artiste réalise des dessins dans un registre de nature réaliste et descriptif, très facile à lire, tout en comportant une bonne densité d’informations visuelles. Il s’avère qu’il y a peu de pages en couleurs, la majorité du récit étant en nuance de gris. Les pages en couleurs sont au nombre de dix : les toits de Clermont-Ferrand, une vue sur la rade d’Alger, un bateau pilote guidant le navire Commandant Charcot en partance pour expédition dans l’Antarctique, Mario contemplant une aurore boréale, les spectateurs arrivant à la salle où se tient la réunion de la Deuxième semaine de la pensée marxiste à Besançon, Mario marchant seul et s’allongeant à même la roche pour contempler le ciel, Mario posant sa valise et ouvrant les volets de sa villa à Rustrel, un chat allongé au soleil sur un carrelage au milieu de plein d’outils, un voilier blanc passant devant un énorme complexe industriel portuaire, Mario en train de trinquer avec un ami à Rustrel dans le Lubéron. Il s’agit le plus souvent d’illustration en pleine page, avec des couleurs chaudes du soleil (un peu plus froides pour l’aurore boréale), comme des moments hors du temps que Mario peut savourer à loisir.
De fait, la narration visuelle s’avère douce et agréable, détaillée et immédiatement assimilable. Elle fait œuvre de reconstitution historique de manière discrète et normale, que ce soit pour les tenues vestimentaires, les éléments technologiques, ou encore les moyens de déplacement. Régulièrement, le lecteur savoure une planche avec ses cases sagement en bande, et sans un seul mot. Un groupe de jeunes hommes allant dynamiter un calvaire, Mario en opérateur radio fuyant sa planque en passant par la fenêtre, Mario souffrant d’un mal de mer carabiné, la marche des manchots en Terre Adélie, de tout jeunes hommes défilant avec leur fusil en Guinée portugaise, un groupe de trois personnes à la manœuvre sur un catamaran, etc. La dessinatrice fournit un travail remarquable pour montrer les occupations du personnage, en particulier en ce qui concerne le démontage et le remontage d’appareils radio ou de caméras. Le lecteur se retrouve ainsi aux côtés de Mario Marret se livrant à ses activités aussi bien en Antarctique qu’en Afrique, ou dans une salle de projection aux côtés de Paul-Émile Victor pour l’avant-première de son documentaire Terre Adélie (26 min, mention à la XIIIe Mostra de Venise en 1952), ou dans une salle de réunion avec des ouvriers en présence de Jean-Luc Godard (1930-2022) et Chris Marker.
Le lecteur commence par suivre un jeune anarchiste qui s’engage comme radio dans l’armée en cohérence avec ses convictions de soutenir les prolétaires espagnols, qui est capturé et tabassé, voire torturé, par les Allemands pendant la seconde guerre mondiale étant accusé de travailler pour l’OSS, qui participe à une expédition en Antarctique remplaçant au pied levé le cameraman décédé, etc. Le caractère incroyable de cette trajectoire de vie apparaît avec plus de force si le lecteur est familier des événements historiques et sociaux évoqués, ou s’il va compléter sa connaissance sur ces sujets. La scénariste indique dans la postface qu’elle est historienne de formation et qu’elle s’est passionnée très tôt pour le cinéma militant. Pour retracer une vie aussi riche, elle a dû faire des choix dans ce qu’elle évoque. Pour autant, le lecteur ressent bien les références sous-jacentes implicites ou parfois juste nommées. Le prix du film de nature remporté par le court-métrage Aptenodytes forsteri (16 min) au festival de Cannes de 1954. Le groupe Mevedkine juste mentionné, c’est-à-dire une expérience sociale audiovisuelle associant des réalisateurs et techniciens du cinéma militant avec des ouvriers de la région de Besançon et de Sochaux entre 1967 et 1974, le nom du groupe étant un hommage au réalisateur soviétique Alexandre Medvedkine (1900-1989).
Le lecteur sait d’avance que toute biographie comprend une part de fiction, une forme d’interprétation inéluctable. Pour autant, il comprend que la scénariste a rencontré, interrogé, discuté avec quatre personnes ayant connu ou travaillé avec Mario Marret à chacune des périodes de sa vie. Certes, ainsi racontée, sa vie présente une cohérence dans son parcours, dans ses compétences, dans ses convictions et leur mise en œuvre, dans le concours de circonstances qui l’ont mené à chacune de ces quatre vies. Dans le même temps, le contexte social et politique est bien présent dans chaque phase, permettant au lecteur de projeter ses propres hypothèses, de se faire son idée personnelle à partir de ce qu’il voit. C’est l’une des grandes forces de ce choix narratif que de montrer plutôt que de commenter et d’expliciter, incitant ainsi le lecteur à se montrer participatif, à regarder avec curiosité les faits et gestes de cet homme si singulier. Il en vient d’ailleurs à regretter que les autrices n’aient allongé un peu leur ouvrage pour plus développer la partie relative à l’exercice de la psychanalyse.
Le texte de la quatrième de couverture expose des faits : espion anarchiste, explorateur polaire, cinéaste militant et psychanalyste. La bande dessinée fait la part belle à la narration visuelle, plus que d’habitude dans un ouvrage biographique, avec des dessins facilement lisibles, tout en contenant de nombreuses informations, à commencer par la reconstitution historique. Le contexte historique peut parfois demander au lecteur d’aller se renseigner plus avant pour mieux saisir les enjeux de telle situation, de tel choix, de telle action. Il en ressort avec une admiration sincère pour le parcours de cet homme, ses capacités, ses engagements, ses convictions, et la part d’aventures. Formidable.
Pour ma part, cette série est excellente, ... oui je suis Bruxellois ... et un certain âge ... Retrouver Bruxelles, au travers des cases, refaire un itinéraire bien connu avec Robert Sax, est toujours un bon moment, bien agréable... Sans oublier les scénarios qui n'ont rien à envier à d'autres auteurs ... Dommage le Tome 6 tarde à paraître. Des raisons d'espérer ? Pourvu que !
Je pense que cela ferait plaisir à pas mal de lecteurs. Merci en tous cas pour ces 5 premiers tomes, Patrick.
L'idée de départ de cette histoire est une anecdote personnelle de l'auteur : alors qu'il se baladait dans le voisinage d'une maison qu'il s'apprêtait à acquérir dans un village, il a aperçu un groupe de jeunes en train de boire des bières et fumer des joints sous un lavoir. Il s'est alors interrogé sur le rôle joué par la seule fille du groupe, dans une zone où les perspectives sont essentiellement réservées aux hommes. il a aggloméré à cette réflexion des éléments personnels, des bouts de témoignages de son entourage sur telle ou telle expérience...
La dernière BD d'Antonin Gallo, Détox, date de 2019. Il a bien sûr fait d'autres choses dans l'intervalle, mais on peut imaginer que la maturation et la réalisation de cette BD s'est étalée sur plusieurs années.
Il a donc choisi l'un des sujets les plus difficiles qui soient, à mes yeux. La résilience d'une jeune femme après plusieurs traumatismes, dont un viol subi à l'adolescence, qu'elle n'a pas su qualifier ni gérer à l'époque, et qu'elle a tu pendant plus de vingt ans. L'autre traumatisme majeur de sa jeunesse est son entourage familial : les tensions entre ses parents, la maladie de sa mère, l'absence de son frère, l'ambiance trop rurale de son village d'enfance... Cela fait trop pour Chloé, qui décide de partir, et erre entre précarité et situation plus confortable, coups d'un soir et tensions avec la communauté skinhead... Mais Chloé a une capacité de résilience énorme, et finit toujours par se relever, plus forte, animée de nouvelles intentions, même si tout n'est pas rose. C'est aussi ça qui m'a séduit dans cette histoire : Antonin Gallo n'en rajoute pas dans le pathos, le crade (j'ai eu peur quand son héroïne a commencé à s'enfoncer dans la consommation de stupéfiants), et ne fait pas preuve d'angélisme non plus : son personnage central a des failles, son entourage aussi, mais celles-ci servent à avancer la plupart du temps. Il y a un souci énorme de réalisme dans les comportements, les évènements, les situations... L'auteur ajoute quelques effets graphiques pour amplifier certaines sensations, certains sentiments. Sans verser dans le psychédélisme, tellement tentant quand on parle de drogue... A la limite on va dire que je ne suis pas fan de sa mise en couleurs, difficile à identifier, entre les teintes pastel et différentes teintes de brun, mais ce n'était pas du tout un frein à la lecture.
En résumé, une excellente BD sur un sujet casse-gueule, des dialogues et des situations ciselées pour une histoire somme toute ordinaire, mais aussi exemplaire, quelque part. Et une couverture magnifique.
J'ai hésité entre le 4 et le 5 pour cet album. J'ai finalement choisi le 5, eu égard à la somme de travail et à son impact sur moi. Nonobstant ses petits (infimes) défauts.
C’est une erreur de croire que le silence favorise la paix.
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Ce tome contient une adaptation des cinq reportages réalisés par Annick Cojean pour le quotidien Le Monde en 1995. Son édition originale date de 2025. L’adaptation a été réalisée par Théa Rojzman pour le scénario, et Tamia Baudoin pour les dessins et les couleurs. Il compte cent-vingt-trois pages de bande dessinée. Il s’ouvre avec une introduction de deux pages, rédigée par la journaliste. Elle évoque les témoins bien vivants dans les années 1990, qui avaient vu des choses qu’aucun être humain ne devrait jamais voir, sa qualité de journaliste, à la fois chance et responsabilité, la conscience qu’il lui revenait d’enquêter sur les traces de cette mémoire vivante, de cette mémoire irremplaçable, fut-elle effilochée. Elle termine en évoquant son déplacement à Auschwitz, à l’occasion des commémorations du cinquantième anniversaire de la libération des camps, avec Simone Veil (1927-1917). L’ouvrage se termine avec un dossier de quatorze pages comprenant une postface de Tal Bruttmann (historien français, spécialiste de la Shoah), et des articles sur les archives vidéo Fortunoff de témoignages de l’Holocauste à l’université de Yale, celles de la Shoah Foundation à l’université californienne de Californie du Sud), un entretien avec Tal Bruttmann réalisée par Cojean, un portrait de Grete Munn (1922-2014, rescapée des camps) par Cojean, et enfin une page sur la création du prix Albert Londres.
Annick Cojean avance en titubant dans une forêt calcinée où il ne reste que des troncs dénudés. Elle continue de progresser et elle repère un bourgeon tout en haut d’une branche. Elle ramasse une échelle par terre et l’adosse au tronc pour atteindre le bourgeon. Elle le contemple de près et murmure qu’elle le cherchait, tout en en voyant d’autres sur d’autres arbres. L’année : 1994. L’an prochain, ce sera la commémoration des cinquante ans de la libération des camps de concentration et d’extermination nazis. Ou en est-on ? Annick veut comprendre ce que l’on retient de la Shoah. Et ce qui se transmet dans les familles. Tout ce poids, cette responsabilité, pour les survivants ou leurs enfants, de faire vivre à nouveau la branche. Chapitre Un : Les voix de l’indicible. Annick Cojean descend du train à New Haven dans le Connecticut où elle est attendue et accueillie par une femme tenant une pancarte portant le nom de la journaliste. Elle lui souhaite la bienvenue, et la remercie de s’intéresser à ce programme de l’université de Yale. Une fois installées dans un bureau, l’hôtesse explique à Annick qu’elle va lui montrer quelques-unes de leurs vidéos. Des témoignages archivés depuis 1979 dans le cadre du programme Fortunate Video for Holocaust Testimonies.
De très nombreux témoignages ont été recueillis aux États-Unis, en Israël et dans plusieurs pays d’Europe dont la France. Trois mille rescapés ont parlé malgré l’extrême difficulté de dire, de raconter, de se souvenir. Parler pour sortir d’un silence toxique, pour soi-même, mais aussi pour la mémoire collective. Elle doit bien comprendre qu’ils ont pris le temps et le soin d’élaborer ce programme. Elle n’en verra que le résultat, mais il suit un protocole exigeant mis en place par des équipes de psychologues et de sociologues. Ce ne sont pas de simples interviews…
Le texte de la quatrième de couverture indique clairement la nature de l’ouvrage : transposer les cinq articles de la grande reporter Annick Cojean en bande dessinée, en respectant les mémoires des survivants, de leurs enfants et des enfants de nazis, mémoires encore bien vivantes et actuelles. Un projet assez particulier : à la fois une transposition d’articles de journaux, à la fois un ouvrage supplémentaire sur la Shoah. En fonction de sa familiarité avec le sujet, le lecteur peut s’interroger sur son envie de lire une bande dessinée sur ce sujet, forcément grave, et peut-être un de plus. Les autrices racontent la démarche de la journaliste en la mettant en scène, avec ses projets, ses interrogations, ses réactions, ce qui rend immédiatement les reportages plus vivants et plus accessibles. Il découvre dans l’introduction que ces reportages trouvent leur source dans l’étonnement de la journaliste qu’en 1995 on parlait si peu de la Shoah, que le génocide nazi n’ait été qu’effleuré au lycée sans aucune résonnance avec ce qui se passait au présent, qu’il ne soit pas central dans l’enseignement et le débat public. Dans son introduction, elle écrit : Ce n’était pas si vieux ! C’était documenté ! Il y avait des films, des photos, des journaux, des récits, des centaines de milliers d’archives. Et surtout il y avait des témoins bien vivants. Il s’agissait de les écouter. Dans sa postface, Tal Bruttmann contextualise également ces articles : l’émergence de la mémoire de la Shoah, ils traitent de plusieurs des initiatives mémorielles visant à redécouvrir un passé que certains voulaient reléguer dans l’ombre, ce qui reflétait à quel point la question travaillait les sociétés.
Le lecteur peut également entamer l’ouvrage sans avoir conscience de ce contexte et de ces intentions. Il a le plaisir de découvrir une vraie bande dessinée, plutôt qu’un texte illustré. La séquence d’ouverture comporte trois pages, et seulement deux phylactères, les images portant la majorité de la narration. Qui plus est dans une scène à la fois onirique et métaphorique. Les autrices ont réalisé un vrai travail de transposition, utilisant plusieurs spécificités de la bande dessinée, sans trahir l’intention de la journaliste. La métaphore de la forêt calcinée revient à plusieurs reprises, et elle se trouve explicitée dans un flux de pensées de la journaliste qui compare les enfants des rescapés à d’improbables petits bourgeons sur un chêne calciné. Les autrices utilisent également des juxtapositions visuelles et des éléments surréalistes. Tel ce moment silencieux dans lequel les enfants de rescapés et les enfants de nazis se tiennent de part et d’autre d’une faille dans laquelle se trouvent les cadavres des Juifs exterminés, et ils y descendent pour s’occuper ensemble des cadavres. Ce moment poignant où Niklas Frank, fils de Hans Frank ministre du Troisième Reich (surnommé Bourreau de la Pologne) se couche à même le sol sur des photographies géantes des camps, en en prenant une pour s’en faire une couverture, alors qu’il évoque son sentiment de culpabilité, obsédé par les l’angoisse des Juifs qui allaient mourir. Ou Anne-Marie Levine, pianiste concertiste de New York, née pendant la nuit de cristal. Ses parents se sont enfuis la veille de l’invasion allemande en Belgique où elle est née, installés à Beverly Hills, ne parlant jamais de ce qui se passait en Europe : le lecteur la voit jouer un morceau de piano, trois longues chimères serpentines tournoyant autour d’elle, expression de son inconscient en souffrance du fait du malaise généré par les non-dits.
Le lecteur apprécie tout autant la narration visuelle en mode descriptif et concret. L’artiste réalise des dessins aux contours un peu simplifiés, tout en conservant un bon niveau de détails. Elle prête attention aux tenues vestimentaires, en respectant la mode de l’époque, ou la fonctionnalité. Elle s’attache à représenter les décorations intérieures avec attention : le salon très confortable dans lequel Annick visionne les cassettes vidéo, le bureau de travail de Geoffrey Hartman (1929-2016) à l’université de Yale, celui de Dori Laub (1937-2018, psychiatre et psychanalyste israélo-américain), une salle de concert où se produit la pianiste, l’appartement d’Edda Goering (fille de Hermann et Emmy Goering), un parloir en prison lors d’une visite à Hans Frank, un café, un restaurant, une salle de réunion à l’université allemande de Wuppertal où se rencontrent les enfants de rescapés et ceux de nazis à l’initiative de Dan Bar-On (1938-2008), etc. Elle représente avec la même solidité les environnements en extérieurs, allant des paysages traversés par la voie de chemin de fer, aux camps de concentration et d’extermination. Pour ces derniers, elle sait en retranscrire toute l’inhumanité et l’horreur, sans une once de voyeurisme. Le lecteur en ressort ému et affecté, ayant ressenti de l’empathie pour les souffrances évoquées par les survivants.
Le lecteur peut ressentir de bout en bout la fidélité aux articles originaux. Il assite à la démarche journalistique, il comprend la motivation de la journaliste, il découvre avec elle les travaux mémoriels. Il prend connaissance avec elle des témoignages, passages essentiels de transmission, et aussi de contact direct avec la réalité de ce qu’ont vécu ces personnes, du comportement des soldats. Il sait qu’il est loin d’éprouver par lui-même ces horreurs inimaginables, et dans le même temps il s’en trouve bouleversé. Il retrouve ou il découvre les différentes initiatives mémorielles. Il assiste à la mise en œuvre des captations vidéo. Il écoute avec Annick l’explication du professeur Geoffrey Hartman pour les archives vidéo Fortunoff. En particulier, lorsqu’il dit que : Chaque survivant a un besoin impérieux de dire son histoire pour parvenir à en réunir les morceaux. Besoin de se délivrer des fantômes du passé, besoin de connaître sa vérité enterrée pour pouvoir reconnaître le cours normal de sa vie. C’est une erreur de croire que le silence favorise la paix. Il ne fait que perpétuer la tyrannie des événements passés. Il favorise leur déformation et les laisse contaminer la vie quotidienne. Le mensonge est toxique et le silence étouffe… Parler guérit, oui, mais seulement si on est écouté. Le récit non écouté est un traumatisme aussi grave que l’épreuve initiale. Le lecteur prend la mesure de la double peine que ce fut pour certains rescapés, l’histoire de Grete Munn (1922-2014) en fin de tome en est un témoignage d’une force terrassante. Il peut faire le lien avec les conséquences du silence dans une autre de ses formes pour d’autres crimes abjectes, évoqué par Théa Rojzman dans Grand Silence (2021) avec Sandrine Revel.
Une œuvre formidable sur les mémoires de la Shoah, autant sur les articles d’Annick Cojean, que sur les témoignages des survivants, de leurs enfants, des enfants des nazis, que sur plusieurs initiatives mémorielles dans les années 1990. Avec une narration visuelle riche et adaptée, les autrices font honneur à ces cinq articles, les font connaître à de nouvelles générations, illustrant le besoin de mémoire, et les modalités de sa mise en œuvre. Formidable.
L’art inuit explore la magie originelle. Les limites. La transcendance.
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Ce tome contient un récit complet, indépendant de tout autre, dont la lecture peut être complétée par Nunavut (2024) des mêmes auteurs. Son édition originale date de 2023. Il a été réalisé par Edmond Baudoin et Troubs (Jean-Marc Troubet), pour le scénario et les dessins. Il compte cent-soixante-douze pages de bande dessinée en noir & blanc. Ces deux auteurs ont précédemment réalisé ensemble : Viva la vida - Los Sueños de Ciudad Juàrez (2011), Le Goût de la Terre (2013), Humains - La Roya est un fleuve (2018).
Entre 2001 et 2003, Edmond Baudoin est professeur à l’université de Hull, devenue Gatineau, au Québec. Ottawa est de l’autre côté de la rivière Outaouais. Dans son musée, il découvre l’art inuit. C’est pour lui une révélation. Il se promet de travailler un jour avec des artistes inuits. C’est Vincent Marie qui lui en donne la possibilité la première fois. Avec Andrew Qappik, il illustre un conte inuit sur la naissance du narval, pour son film : Les harmonies invisibles. En illustrant ce conte il réalise ce désir né dans un musée en 2002, il travaille avec un artiste inuit. Mais avec Jean-Marc Troubs, ils veulent maintenant aller dans son pays. Voici le conte du Narval. Il y a bien longtemps, Taqqiq, un jeune garçon aveugle, vivait en compagnie de sa petite sœur Siqiniq chez leur grand-mère, une femme colérique et méchante. Aux yeux de cette grand-mère, Taqqiq était une bouche inutile à nourrir. C’était difficile pour les deux enfants, mais ils étaient orphelins de leurs parents. Une nuit, ils furent réveillés par un ours approchant leur habitation. La grand-mère prit l’arc et la flèches et les donna à Taqqiq, jeune mais robuste. Elle dirigea le tir. La flèche atteignit l’ours qui tomba raide mort. Mais la grand-mère mentit, en le traitant d’idiot et lui faisant croire qu’il avait tué leur meilleur chien. La nuit suivante, Siqiniq mit en cachette de la viande d’ours dans l’assiette de Taqqiq qui compris le mensonge et décida de se venger. […]
Le plongeon arctique se joue des frontières. Il nage comme il vole dans la mer ou dans le ciel. Pour de nombreux groupes inuits, il symbolise la recherche de la vérité dans les profondeurs. Voilà deux ans que Troubs devait se rendre au Nunavut avec Edmond… Mais il y a eu la pandémie. Alors il a commencé le voyage dans les livres et la recherche d’images. Il s’est plongé dans les mythes, les récits et la vérité historique, qui souvent dans l’Arctique s’entremêlent magnifiquement. Cet été 2022, ils allaient voir, voir ce qui s’y raconte aujourd’hui. L’art ancien des peuples polaires est peuplé de petites statuettes. Elles ont souvent une fonction magique. Et une présence telle qu’on les dirait vivantes. Qu’elles soient de magie noire ou blanche, les statuettes sont longtemps restées petites. Parce que les matériaux étaient rares. Et qu’il fallait les transporter. Les Inuits avaient encore la liberté d’être nomades. Mais aujourd’hui, les temps ont changé, les statuettes ont pris du poids, et sont parfois devenues géantes. Elles ont toujours cette présence fascinante. Elles pratiquent maintenant la magie moderne du marché de l’art.
S’il s’agit de sa première œuvre de ces artistes, le lecteur peut se trouver un temps déconcerté, à la fois par la liberté des formes, à la fois par l’importance donnée à la parole. En toute simplicité, le tome s’ouvre avec une carte sommaire réalisée par Troubs permettant de situer le Groenland, le Labrador, le Nunavut, le cercle arctique, la ville de North West River, et d’autres repères géographiques. Puis la première planche comprend deux cases de la largeur de la page : la première une photographie d’une rue de Gatineau avec la silhouette de Baudoin sur le toit d’un immeuble à étage unique, la seconde une chimère intégrant le visage de l’artiste à des éléments animaux et une représentation inuite dans un amalgame harmonieux. Dès la troisième planche, il s’agit d’illustrations évoquant l’art inuit, dans une diversité d’approches graphiques, et un texte qui court au-dessus ou au-dessous. Puis sans aucune indication, Troubs réalise les planches suivantes : à nouveau des illustrations de conte, mêlant les représentations d’un oiseau à l’encre, au bleu peint de la mer ou du ciel. Puis des représentations naïves d’Inuits, avec un glissement progressif vers des personnages et des animaux mythologiques à l’apparence naïve. Le récit du voyage commence alors avec les cases aux dessins réalisés au pinceau de Troubs, puis les images plus libres de Baudoin, également au pinceau, puis des portraits, des reproductions d’autres artistes. Parfois des pages en couleurs. Parfois un paysage sur une double page. Parfois des cases à l’encre. Une alternance toute naturelle entre des cases disposées en bande, des dessins accolées, des portraits d’habitants interrogés, d’autres paysages, des scènes urbaines, des hommages à des œuvres d’artistes inuits ou innus, etc.
S’il en éprouve la curiosité, le lecteur peut aisément identifier les pages réalisées par l’un ou l’autre des deux artistes : Troubs effectue un lettrage en minuscules, et Baudoin en majuscules. Dans un passage, ils se représentent en train de travailler à leur bande dessinée : ils sont tous les deux assis à la même table, et ils composent et réalisent leurs pages ensemble. Le lecteur le ressent à la lecture car il n’éprouve aucune sensation de solution de continuité : les pages forment un tout harmonieux comme si une unique intelligence créative avait présidé tout du long. La bande dessinée suit l’ordre chronologique du voyage, à commencer par les prémices évoquées par Baudoin, puis le voyage en avion, l’arrivée à Montréal, le trajet vers North West River, et encore plus au Nord. La narration visuelle est conçue en fonction de chaque séquence pour mettre en valeur un lieu, des personnes, une longue route en vue du ciel dans une case de la hauteur de la page, des cases sans bordure pour laisser de l’espace à un Inuit en train de manier le harpon, un dessin à l’encre effectué dans l’inspiration du moment, une autre carte simplifiée, des illustrations en couleurs… un petit visage avec un long discours en texte…
Les deux auteurs ont repris le dispositif qu’ils avaient utilisé dans leurs précédents ouvrages en commun : proposer de réaliser le portrait de leur interlocuteur et lui offrir en échange d’une réponse à une question, sur l’avenir des Inuits et Innus ou sur l’avenir de la culture inuite. Il est possible de voir cet ouvrage comme la suite de ces entretiens, entrecoupés de réflexion sur la culture inuite, sur son art, sur l’histoire de ce peuple premier. Le lecteur se rend compte qu’il éprouve une forte curiosité pour ces déclarations, totalement oublieux de leur forme de texte, ce qui pourtant constitue souvent un repoussoir dans les bandes dessinées traditionnelles. Son attention est tout entière consacrée à ces témoignages fort variés. Estelle évoque la dépendance de la communauté de North West River aux services publics et au gouvernement. Billy dit sa crainte que leur culture disparaisse. Mitzi, la mère de Billy, évoque le temps où le gouvernement avait interdit la langue inuktitut. Mina, conservatrice au Labrador Heritage Museum, parle de la disparition des attelages de chiens, et des croyances spirituelles qui font le chamanisme. La grand-mère Ataomie estime que la culture se renforce depuis qu’ils ont leur propre gouvernement et qu’il est possible d’apprendre la langue. Elisabeth constate que la chasse va en décroissant. Ernie, ancien maire de North West River pendant des décennies voit que l’électronique rendra le monde complètement dépendant des machines et qu’il sera complètement impossible de vivre dans la nature d’ici cinquante ans du fait de l’évolution du climat. Au fil de ces rencontres, d’autres facettes de la vie locale sont abordées : l’art bien sûr, le rôle des jeunes et leurs aspirations, la pêche et son industrialisation, les services publics, l’histoire de chaque groupe qui a habité la région et la difficulté de l’établir du fait de leur nomadisme, la nécessité d’une représentation pour éviter de se faire piller, pour résister aux prédateurs capitalistes, etc.
En creux se dessine également l’histoire des Innus, celle des Inuits, et la manière dont le gouvernement a traité les peuples autochtones, a mis en œuvre des actions visant à détruire leur culture. Par exemple le placement de petites filles dans des pensionnats dans le Sud, et les sévices fréquents. Les discussions entraînent des réflexions chez les auteurs. Il apparaît qu’ils sont fascinés par la forme de pureté de l’art inuit, sa qualité primordiale, sa charge mythologique et la part de vérité qu’elle contient quant au rapport entre l’être humain et son environnement, par le rôle de l’art comme outil de préservation et transmission d’une culture. Par la sauvegarde d’une langue et ce qu’elle porte en elle de culture à nouveau, mais aussi de rapport à la réalité. Un habitant leur indique que : En inuktitut il y a environ cinquante mots pour dire Neige, pas un seul pour dire police. Par l’évolution du climat, ainsi que par le paradoxe à leurs yeux d’être à la fois chasseurs et agents de préservation de la nature. Par un autre paradoxe : celui de vouloir préserver sa culture et ses traditions, alors que la pureté d’un groupe est une chimère, ce que les auteurs expriment par : Tout le monde est métissé, les races pures c’est un fantasme de totalitaire. Et aussi par : Rien, et tout, plus la complexité, la pureté n’existe pas, sa recherche est vaine et dangereuse, la vie se tient dans le chaos. D’une manière aussi organique que habile, ils brossent progressivement un portrait d’une communauté, à la fois dans le temps long de l’histoire, dans l’existence et l’évolution d’une culture, dans les aspects pragmatiques de la vie de tous les jours, dans les traumatismes qui se transmettent de génération en génération, dans sa dimension mythologique.
Quel voyage, quelles rencontres, quelle expérience d’une autre culture. Les deux auteurs effectuent un séjour au Labrador. Comme à leur habitude, ils proposent de réaliser un portrait à leur interlocuteur en l’échange de la réponse à une question. Dans une forme graphique aussi libre qu’intelligente et sensible, ils racontent leur voyage et leurs rencontres, abordant aussi bien la vie quotidienne, la culture, l’histoire, l’évolution des valeurs d’un peuple et sa résilience. Un récit d’une richesse inépuisable et d’une humanité peu commune. Merveilleux.
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Slava
J’ai encore des larmes dans les yeux quand je commence à rédiger cet avis. Je viens juste de refermer le troisième tome… Enfin, c’était peut-être il y a dix minutes, voire plus. Le temps qu’il m’a fallu pour encaisser ça. Mon épouse me regarde, l’air étonné, un peu amusé, ou peut-être aussi gâteux. Sans doute un peu de tout ça. Je suis dévasté. Littéralement dévasté. J'ai l'impression que je viens de perdre un ami proche, je sens que le monde s'écroule autour de moi, et pourtant, tout est là, debout, immobile. Je ne comprends pas ce regard qui ne comprend pas ma douleur. Pourtant, il faut bien que la vie reprenne... Si je commence mon avis par cette courte introspection, ce n’est pas pour raconter ma vie. Mais cette scène un peu cocasse, ce mari qui n’arrive plus à retenir ses larmes devant une bande dessinée, sous le regard gentiment décontenancé de son épouse qui ne parvient pas à comprendre, c’est une scène de Pierre-Henry Gomont. Elle s’insère logiquement dans la suite du récit, elle a été créée par lui de toute pièce. On dit que le silence après Mozart est encore du Mozart, et les larmes après du Gomont sont encore du Gomont. Que dire de plus, après cela ? Tant de choses et si peu. On a l’impression que plus on va ajouter des mots, moins ils seront efficaces. Et pourtant, il faut en parler ! Il faut parler de ce fabuleux dessin de Pierre-Henry Gomont, aux couleurs si maîtrisées. La première fois que j'ai ouvert cette bande dessinée, j'ai craint d'être rebuté par ce dessin que je croyais brouillon, mais j'ai été séduit par ces couleurs délicates. Et j'ai découvert peu à peu, avec un émerveillement grandissant, la magie de ce trait d'un Sempé des temps nouveaux. Peu de dessinateurs savent exprimer avec autant de justesse que Gomont cette complexité des sentiments au travers de leur dessin. Chez lui, il y a une tonalité humoristique évidente qui n'entrave jamais la noirceur du récit. Ce qu'il a à nous dire est sombre, très sombre, mais il le dit avec la naïveté rêveuse d'un enfant. Slava est une œuvre majeure. Pas seulement une bande dessinée majeure, non. Elle est une œuvre d'art majeure. Elle transcende les formats pour nous offrir quelque chose qui ressemblerait à une forme d'art total. Visuel, évidemment, tant la splendeur et la justesse du dessin de Gomont transparaît à chaque page. Narratif, comment le nier ? Cette montée en puissance dans le tome 3 est une pure merveille d'orfèvrerie narrative. Et cette écriture... Les textes de Slava sont dignes du meilleur des romans. La puissance d'un Dumas et d'un Céline étrangement réunis dans une sorte d'épopée à la Audiard. Car bien sûr, cette alliance entre l'art narratif et l'art visuel ne peut qu'évoquer le cinéma. Quand on sort de là, on a l'impression d'avoir vu un immense film. Comment nos réalisateurs peuvent-il passer à côté de Slava ? (Non, en vrai, ça vaut mieux, peut-être que Dupontel réussirait à en faire quelque chose, mais c'est sûrement le seul !) Slava est tout aussi bruyant. Même si ses onomatopées sont en russe, elles claquent à nos oreilles autant que des répliques parfaitement écrites. On entend tout. Et comment ne pas être saisi aux tripes par cette symphonie du chaos que Gomont orchestre si bien ? Tout comme ces personnages de théâtre, qui relèvent aussi bien de la pantomime et de la commedia dell'arte que du plus puissant drame shakespearien ? Là est tout le génie de Gomont : dans le refus du choix. La pantomime survient en plein cœur de la tragédie (ou inversement), et pourtant, le tout est d'une homogénéité exemplaire ! Bref, je crois que je pourrais continuer longtemps, mais il ne faut pas. J'ai vécu une épopée en compagnie de Slava, Nina, Lavrine et Volodia. Je me suis hissé au sommet et suis tombé dans les mêmes gouffres qu'eux, en même temps qu'eux. Personne ne peut imaginer la grandeur de cette épopée qu'ils m'ont fait vivre. Même s'il y a quelques moments où le soufflé retombe un peu dans le 2e tome. Même si la vulgarité prend parfois le pas, ou que l'équilibre du récit est menacé par cette dépiction de toutes les bassesses humaines. Même si, à certains moments, on aimerait que le scénario avance (un peu) plus vite. Cette épopée que j'ai vécue, donc, personne ne peut l'imaginer mais tout le monde peut la vivre. Vivre, revivre cette tragédie de la Russie d'Eltsine. Voir, revoir la noblesse de l'âme russe, capable de surmonter toutes les tragédies. Regarder, admirer le spectacle de quelques îlots d'humanité incapables de sombrer dans les flammes d'une infernale décadence où le diable du capitalisme veut l'entraîner. Et pleurer. Pleurer les morts qu'un récit trop réel nous inflige. Pleurer la grandeur passée d'une nation qui vendit son âme à des ogres cupides et désincarnés. Pleurer la force de ces hommes et de ces femmes qui réussirent à vivre au milieu des tempêtes. Pleurer l'héroïsme de ceux qui surent faire preuve de courage et d'abnégation contre les lâches et les puissants. Pleurer face à la beauté d'un spectacle qui résonnera encore bien longtemps dans nos cœurs. Pleurer, car quand on ne sait plus quoi dire, il nous reste toujours les larmes pour l'exprimer. Pleurer. Se taire. Et contempler.
Des souris et des hommes
Je rejoins plusieurs avis sur la qualité des dessins en ajoutant ma touche personnelle : je comprends que l'on n'apprécie pas mais on peut reconnaitre de magnifiques planches, un travail somptueux sur l'aquarelle noire (ou encre de chine par endroit ?). Pour ma part les dessins m'ont touché voire émerveillé. J'ai lu le roman de Steinbeck il y a de nombreuses années : le huis clos complexe et les personnages trempés sont très bien retranscrits. La difficulté de savoir "qui est qui" me semble plus une volonté de retranscrire à la fois la froideur des personnages, l'universalité du rêve, et l'identification possible à tous les acteurs ou à aucun (sauf Lennie peut-être qui d'ailleurs est plus reconnaissable). A lire.
Les Indociles
Histoire de remettre au goût du jour cette BD qui mériterait selon moi d'être encore plus sous le feu des projecteurs ! Cela fait plus de deux ans avec la publication du premier avis sur le site que j'essaye de mettre la main sur cette série mais petit bémol et pas des moindres : pas de référencements en bibliothèques et quasiment impossible à se procurer d'occasion sur internet... Toutefois, au vu des avis élogieux qui ont continué d'affluer depuis, je me suis finalement résolu à mettre la main au portefeuille en achetant l'intégrale (50 euros tout de même donc mieux vaut être sûr de son coup). Résultat : aucun regret, c'est du très beau travail ! Pour être très succinct, le lecteur est amené à suivre par tranches de vie successives (1 tranche = un tome) l'évolution d'un groupe d'amis depuis leur jeunesse dans les années 60 jusqu'à nos jours (je ne sais pas si l'épilogue "les indociles 2022" est uniquement présent dans l'intégrale (?)). Les personnages sont travaillés avec intelligence dans leur cheminement personnel notamment lorsqu'ils doivent faire face, résoudre, surmonter... ou tout simplement apprendre à vivre avec les difficultés et aléas rencontrés. Pour chacun, il y a des réussites oui mais également beaucoup d'échecs et c'est peut-être ce qui fait la grande force de ce récit. Deux potentielles faiblesses qui me viennent cependant à chaud : - Une certaine hétérogénéité dans la qualité de traitement accordée aux personnages sur l'ensemble de l'œuvre : ils sont plus ou moins mis en avant et approfondis en fonction de l'époque concernée et sans que cela ne puisse toujours se justifier d'un point de vue du scénario. - Les transitions d'un tome à l'autre peuvent parfois être déroutantes avec l'apparition et/ou le retour de personnages (+ changements physiques qui s'accompagnent) qu'il faut réussir à replacer sur l'échiquier global. Un réel plaisir de lecture que je ne peux que recommander au plus grand nombre ;)
Blankets - Manteau de neige
Blankets est un roman graphique intimiste et poétique, où Craig Thompson met en images les questionnements de l’adolescence, la famille, la foi et la découverte de l’amour. Le dessin en noir et blanc, d’une grande délicatesse, accompagne une narration sensible et fluide qui touche par sa sincérité. Malgré son volume imposant, l’ouvrage se lit avec une étonnante légèreté et laisse une impression durable. Une œuvre marquante, aussi personnelle qu’universelle.
Les Nouvelles aventures du Chat Botté
Que les amateur-ice-s de métafictions et les fanatiques du bon mot se réjouissent, le récit ici présent est une jolie explosion de créativité ! J'adore la métafiction, les récits où la dimension fictive/factice est conscientisée par l'auteur-ice, par les personnages, où l'on invite lae lecteur-ice/spectateur-ice à activement participer en réfléchissant sincèrement et profondément sur ce qui est dit. Pas de fainéantise quand on joue avec les codes. Alors un récit mélant personnages de contes et de fables, ruses et idioties, facilités scénaristiques assumées et ambitieux passages narratifs, moi je ne peux que l'apprécier. Il me serait difficile de pleinement résumer l'intrigue, celle-ci étant volontairement (et sans doute inutilement) sinueuse, d'ailleurs les personnages eux-même redoutent sans cesse les décisions de l'autrice ("Quel fléau que cette donzelle !"). Sachez juste que cette histoire se passe au milieu d'autres, avant le mot fin, dans une nouvelle aventure qui n'aurait jamais été racontée ni par Perrault ni par La Fontaine (ou tout autre quidam similaire), une étrange histoire de montagne, de souris et d'ogre, de débats sémantiques sur les paraboles, d'entourloupes et de voyages éliptiques. Bref, je m'étale, je m'étale. Difficile de bien parler de cet album. Peut-être devrais-je cesser de m'étaler dans des répétitions inutiles et des pinaillages accessoires dans mes avis ? Peut-être même me faudrait-il repartir en arrière pour changer de nouveau mon précédent paragraphe et faire comme si de rien n'était ? Peut-être. Mais on va dire qu'au final les bafouillages importent peu. Les dessins de Nancy Peña sont, là aussi, de très bonne facture. J'avoue avoir eu besoin d'un court temps d'adaptation pour les bouches de nos protagonistes animaliers (je ne sais pas vraiment pourquoi, les grosses lèvres ont créé un blocage chez moi) mais une fois cela passé je n'ai rien trouvé à redire. Certain-e-s pourraient regretter une forme trop confuse, je la trouve au contraire finement menée, fluide à lire et j'apprécie que l'autrice profite pleinement des codes de la mise en page de l'album en lui-même. Non seulement l'autrice s'amuse avec les codes narratifs propres à la fiction, mais en plus elle se permet de foutre le boxon dans les belles règles propres au neuvième art ! On oublie les cases, les personnages se baladent n'importent où, on se permet même de faire demi-tour quelques fois et de briser le quatrième mur en alpaguant directement lae lecteur-ice ou en jouant avec la pagination et les ellipses. Bref, un joli foutoir volontaire qui se révèle en réalité savamment travaillé. Comme répété plusieurs fois déjà dans mon avis, cette série (ou album si vous avez l'intégrale) est un petit bijoux de métafiction créant et maintenant un agréable sentiment de connivence chez toute personne amatrice de contes, fables, paraboles, et tout simplement de récits en général. Un album marquant, drôle et bien écrit qui mérite amplement la note maximale à mes yeux.
Quatre vies de Mario Marret
L’indépendance, pour quoi faire ? - Ce tome contient une histoire complète, de nature biographique, ne nécessitant pas de connaissances préalables sur la vie de Mario Marret (1920-2000). Son édition originale date de 2023. Il a été réalisé par Nina Alamberg pour le scénario, et par Laure Guillebon pour les dessins et les couleurs. Il comprend cent-soixante-quatre pages de bande dessinée. Il se termine avec une postface d’une page rédigée par la scénariste en novembre 2022, quatre pages de photographies montrant Marret, une bibliographie de trois ouvrages pour en savoir plus, la filmographie que Marret, un article de l’historien Tangui Perron intitulé Bruno et Mario (ou de quelques transports amicaux au temps de l’internationalisme communiste et tiers-mondiste), un court paragraphe sur Suzanne Zedet, un autre sur Amílcar Cabral, et un autre pour chacune des autrices. À Clermont-Ferrand, à l’hiver 1936, le jeune Mario Marret, encore adolescent, se rend à l’atelier de serrurerie de son employeur. Il passe devant une affiche du SIA / Solidarité Internationale Antifasciste, qui enjoint à ne pas oublier leurs frères et leurs sœurs d’Espagne qui se battent avec courage contre le fascisme. Elle porte également l’information d’une réunion de soutien à la maison du peuple, ce quinze novembre 1936, place de la Liberté, à Clermont-Ferrand. Il arrive à destination et rentre dans l’atelier. Le patron rappelle à l’apprenti qu’un ouvrier soigneux range ses outils à la fin de la journée. Il continue : à l’âge de Mario ce n’est pas pour le client qu’il travaille, c’est pour lui. Il le rassure : on ne mange pas autant d’argent qu’il croit à recommencer. La journée se passe à travailler, et enfin Mario met toutes ses affaires dans le tiroir pour les ranger, mais en vrac. Il dit au revoir à son patron, et il se rend à la réunion qui se tient à la maison du Peuple. Devant, il y retrouve un copain un peu plus âgé qui l’attend. À la maison du Peuple, la réunion a déjà commencé, et un orateur a pris la parole : Le Front Populaire leur a promis le pain, la paix et la liberté, mais comment croire à sa paix lorsqu’il laisse un peuple frère sans défense de l’autre côté des Pyrénées ? Oui, il l’affirme : le Front Populaire laisse les prolétaires espagnols sans défense devant le fascisme. Il en appelle à la mobilisation des personnes présentes pour leur apporter leur aide, et il entonne le slogan : Des canons, des avions pour l’Espagne ! Vive l’anarchie ! Slogan repris par tous les présents. Ceux-ci échangent ensuite quelques paroles en Espéranto. Puis Mario quitte la réunion et se rend chez le médecin. Il a décidé de se faire opérer pour une vasectomie. Il ne veut pas procréer dans ce monde pourri. Au printemps 1939, Mario Marret a dix-neuf ans, il est en route vers les Pyrénées orientales. Il se mêle aux milliers de camarades espagnols contraints de traverser les Pyrénées avec la victoire de Franco. En juin 1939, les Républicains espagnols fuient leur pays devant l’avancée des troupes de Franco. De 100.000 à 200.000 sont parqués dans le camp d’Argelès-sur-Mer. Livrés à eux-mêmes sans le soutien des autorités françaises, leurs conditions de vie sont terribles. Le texte de la quatrième de couverture informe que : Mario Marret a été espion anarchiste, explorateur polaire, cinéaste militant et psychanalyste. Le récit de sa vie commence en 1936, alors qu’il a seize ans et qu’il est en apprentissage, et déjà militant. Le contexte, sans être détaillé dans ces pages, est celui de guerre civile espagnole, un conflit opposant les Républicains (socialistes, communistes, marxistes et anarchistes) aux nationalistes menés par le général Francisco Franco (1892-1975). Les autrices ont choisi de focaliser leur narration sur Marret, sans transformer la bande dessinée en cours d’histoire. Pour autant, elle mentionne les conflits et les mouvements nationaux. La seconde guerre mondiale, les expéditions polaires françaises créées par l’ethnologue français Paul-Émile Victor (1907-1995), les maquis de la Guinée portugaise en 1966 et Amílcar Cabral (1924-1973) fondateur du Parti africain pour l'indépendance de la Guinée et du Cap-Vert, la grève des ouvriers de l’usine Rhodiacéta à Besançon au printemps 1967 et le film réalisé par Chris Marker (1921-2012, Christian Bouche-Villeneuve), l’apport de Jacques Lacan (1912-1982) psychiatre et psychanalyste français. Dans les pages en fin de tome, le lecteur peut en apprendre plus sur Suzanne Zedet (héroïne de Classe de lutte, le deuxième film du Groupe Medvedkine de Besançon), Amílcar Cabral, et sur l’internationalisme communiste et tiers-mondiste. Un ouvrage de nature biographique : le lecteur se prépare à des pages denses, chargées en texte pour un fort volume d’informations, comme il est souvent de mise dans ce genre. Il comprend rapidement que les autrices ont choisi de consacrer un chapitre à chacune des quatre vies de cet homme. La bande dessinée s’ouvre avec une illustration en pleine page et en couleurs, une vue des toits d’un quartier de Clermont-Ferrand, avec uniquement l’année, et le nom de la ville. Puis viennent des pages avec peu de dialogues, où les cases racontent l’histoire en la montrant. La proportion de dialogue se densifie un peu lors de la réunion de soutien, tout en restant à un niveau de BD classique. L’artiste réalise des dessins dans un registre de nature réaliste et descriptif, très facile à lire, tout en comportant une bonne densité d’informations visuelles. Il s’avère qu’il y a peu de pages en couleurs, la majorité du récit étant en nuance de gris. Les pages en couleurs sont au nombre de dix : les toits de Clermont-Ferrand, une vue sur la rade d’Alger, un bateau pilote guidant le navire Commandant Charcot en partance pour expédition dans l’Antarctique, Mario contemplant une aurore boréale, les spectateurs arrivant à la salle où se tient la réunion de la Deuxième semaine de la pensée marxiste à Besançon, Mario marchant seul et s’allongeant à même la roche pour contempler le ciel, Mario posant sa valise et ouvrant les volets de sa villa à Rustrel, un chat allongé au soleil sur un carrelage au milieu de plein d’outils, un voilier blanc passant devant un énorme complexe industriel portuaire, Mario en train de trinquer avec un ami à Rustrel dans le Lubéron. Il s’agit le plus souvent d’illustration en pleine page, avec des couleurs chaudes du soleil (un peu plus froides pour l’aurore boréale), comme des moments hors du temps que Mario peut savourer à loisir. De fait, la narration visuelle s’avère douce et agréable, détaillée et immédiatement assimilable. Elle fait œuvre de reconstitution historique de manière discrète et normale, que ce soit pour les tenues vestimentaires, les éléments technologiques, ou encore les moyens de déplacement. Régulièrement, le lecteur savoure une planche avec ses cases sagement en bande, et sans un seul mot. Un groupe de jeunes hommes allant dynamiter un calvaire, Mario en opérateur radio fuyant sa planque en passant par la fenêtre, Mario souffrant d’un mal de mer carabiné, la marche des manchots en Terre Adélie, de tout jeunes hommes défilant avec leur fusil en Guinée portugaise, un groupe de trois personnes à la manœuvre sur un catamaran, etc. La dessinatrice fournit un travail remarquable pour montrer les occupations du personnage, en particulier en ce qui concerne le démontage et le remontage d’appareils radio ou de caméras. Le lecteur se retrouve ainsi aux côtés de Mario Marret se livrant à ses activités aussi bien en Antarctique qu’en Afrique, ou dans une salle de projection aux côtés de Paul-Émile Victor pour l’avant-première de son documentaire Terre Adélie (26 min, mention à la XIIIe Mostra de Venise en 1952), ou dans une salle de réunion avec des ouvriers en présence de Jean-Luc Godard (1930-2022) et Chris Marker. Le lecteur commence par suivre un jeune anarchiste qui s’engage comme radio dans l’armée en cohérence avec ses convictions de soutenir les prolétaires espagnols, qui est capturé et tabassé, voire torturé, par les Allemands pendant la seconde guerre mondiale étant accusé de travailler pour l’OSS, qui participe à une expédition en Antarctique remplaçant au pied levé le cameraman décédé, etc. Le caractère incroyable de cette trajectoire de vie apparaît avec plus de force si le lecteur est familier des événements historiques et sociaux évoqués, ou s’il va compléter sa connaissance sur ces sujets. La scénariste indique dans la postface qu’elle est historienne de formation et qu’elle s’est passionnée très tôt pour le cinéma militant. Pour retracer une vie aussi riche, elle a dû faire des choix dans ce qu’elle évoque. Pour autant, le lecteur ressent bien les références sous-jacentes implicites ou parfois juste nommées. Le prix du film de nature remporté par le court-métrage Aptenodytes forsteri (16 min) au festival de Cannes de 1954. Le groupe Mevedkine juste mentionné, c’est-à-dire une expérience sociale audiovisuelle associant des réalisateurs et techniciens du cinéma militant avec des ouvriers de la région de Besançon et de Sochaux entre 1967 et 1974, le nom du groupe étant un hommage au réalisateur soviétique Alexandre Medvedkine (1900-1989). Le lecteur sait d’avance que toute biographie comprend une part de fiction, une forme d’interprétation inéluctable. Pour autant, il comprend que la scénariste a rencontré, interrogé, discuté avec quatre personnes ayant connu ou travaillé avec Mario Marret à chacune des périodes de sa vie. Certes, ainsi racontée, sa vie présente une cohérence dans son parcours, dans ses compétences, dans ses convictions et leur mise en œuvre, dans le concours de circonstances qui l’ont mené à chacune de ces quatre vies. Dans le même temps, le contexte social et politique est bien présent dans chaque phase, permettant au lecteur de projeter ses propres hypothèses, de se faire son idée personnelle à partir de ce qu’il voit. C’est l’une des grandes forces de ce choix narratif que de montrer plutôt que de commenter et d’expliciter, incitant ainsi le lecteur à se montrer participatif, à regarder avec curiosité les faits et gestes de cet homme si singulier. Il en vient d’ailleurs à regretter que les autrices n’aient allongé un peu leur ouvrage pour plus développer la partie relative à l’exercice de la psychanalyse. Le texte de la quatrième de couverture expose des faits : espion anarchiste, explorateur polaire, cinéaste militant et psychanalyste. La bande dessinée fait la part belle à la narration visuelle, plus que d’habitude dans un ouvrage biographique, avec des dessins facilement lisibles, tout en contenant de nombreuses informations, à commencer par la reconstitution historique. Le contexte historique peut parfois demander au lecteur d’aller se renseigner plus avant pour mieux saisir les enjeux de telle situation, de tel choix, de telle action. Il en ressort avec une admiration sincère pour le parcours de cet homme, ses capacités, ses engagements, ses convictions, et la part d’aventures. Formidable.
Robert Sax
Pour ma part, cette série est excellente, ... oui je suis Bruxellois ... et un certain âge ... Retrouver Bruxelles, au travers des cases, refaire un itinéraire bien connu avec Robert Sax, est toujours un bon moment, bien agréable... Sans oublier les scénarios qui n'ont rien à envier à d'autres auteurs ... Dommage le Tome 6 tarde à paraître. Des raisons d'espérer ? Pourvu que ! Je pense que cela ferait plaisir à pas mal de lecteurs. Merci en tous cas pour ces 5 premiers tomes, Patrick.
Le Dernier été de mon innocence
L'idée de départ de cette histoire est une anecdote personnelle de l'auteur : alors qu'il se baladait dans le voisinage d'une maison qu'il s'apprêtait à acquérir dans un village, il a aperçu un groupe de jeunes en train de boire des bières et fumer des joints sous un lavoir. Il s'est alors interrogé sur le rôle joué par la seule fille du groupe, dans une zone où les perspectives sont essentiellement réservées aux hommes. il a aggloméré à cette réflexion des éléments personnels, des bouts de témoignages de son entourage sur telle ou telle expérience... La dernière BD d'Antonin Gallo, Détox, date de 2019. Il a bien sûr fait d'autres choses dans l'intervalle, mais on peut imaginer que la maturation et la réalisation de cette BD s'est étalée sur plusieurs années. Il a donc choisi l'un des sujets les plus difficiles qui soient, à mes yeux. La résilience d'une jeune femme après plusieurs traumatismes, dont un viol subi à l'adolescence, qu'elle n'a pas su qualifier ni gérer à l'époque, et qu'elle a tu pendant plus de vingt ans. L'autre traumatisme majeur de sa jeunesse est son entourage familial : les tensions entre ses parents, la maladie de sa mère, l'absence de son frère, l'ambiance trop rurale de son village d'enfance... Cela fait trop pour Chloé, qui décide de partir, et erre entre précarité et situation plus confortable, coups d'un soir et tensions avec la communauté skinhead... Mais Chloé a une capacité de résilience énorme, et finit toujours par se relever, plus forte, animée de nouvelles intentions, même si tout n'est pas rose. C'est aussi ça qui m'a séduit dans cette histoire : Antonin Gallo n'en rajoute pas dans le pathos, le crade (j'ai eu peur quand son héroïne a commencé à s'enfoncer dans la consommation de stupéfiants), et ne fait pas preuve d'angélisme non plus : son personnage central a des failles, son entourage aussi, mais celles-ci servent à avancer la plupart du temps. Il y a un souci énorme de réalisme dans les comportements, les évènements, les situations... L'auteur ajoute quelques effets graphiques pour amplifier certaines sensations, certains sentiments. Sans verser dans le psychédélisme, tellement tentant quand on parle de drogue... A la limite on va dire que je ne suis pas fan de sa mise en couleurs, difficile à identifier, entre les teintes pastel et différentes teintes de brun, mais ce n'était pas du tout un frein à la lecture. En résumé, une excellente BD sur un sujet casse-gueule, des dialogues et des situations ciselées pour une histoire somme toute ordinaire, mais aussi exemplaire, quelque part. Et une couverture magnifique. J'ai hésité entre le 4 et le 5 pour cet album. J'ai finalement choisi le 5, eu égard à la somme de travail et à son impact sur moi. Nonobstant ses petits (infimes) défauts.
Les Mémoires de la Shoah
C’est une erreur de croire que le silence favorise la paix. - Ce tome contient une adaptation des cinq reportages réalisés par Annick Cojean pour le quotidien Le Monde en 1995. Son édition originale date de 2025. L’adaptation a été réalisée par Théa Rojzman pour le scénario, et Tamia Baudoin pour les dessins et les couleurs. Il compte cent-vingt-trois pages de bande dessinée. Il s’ouvre avec une introduction de deux pages, rédigée par la journaliste. Elle évoque les témoins bien vivants dans les années 1990, qui avaient vu des choses qu’aucun être humain ne devrait jamais voir, sa qualité de journaliste, à la fois chance et responsabilité, la conscience qu’il lui revenait d’enquêter sur les traces de cette mémoire vivante, de cette mémoire irremplaçable, fut-elle effilochée. Elle termine en évoquant son déplacement à Auschwitz, à l’occasion des commémorations du cinquantième anniversaire de la libération des camps, avec Simone Veil (1927-1917). L’ouvrage se termine avec un dossier de quatorze pages comprenant une postface de Tal Bruttmann (historien français, spécialiste de la Shoah), et des articles sur les archives vidéo Fortunoff de témoignages de l’Holocauste à l’université de Yale, celles de la Shoah Foundation à l’université californienne de Californie du Sud), un entretien avec Tal Bruttmann réalisée par Cojean, un portrait de Grete Munn (1922-2014, rescapée des camps) par Cojean, et enfin une page sur la création du prix Albert Londres. Annick Cojean avance en titubant dans une forêt calcinée où il ne reste que des troncs dénudés. Elle continue de progresser et elle repère un bourgeon tout en haut d’une branche. Elle ramasse une échelle par terre et l’adosse au tronc pour atteindre le bourgeon. Elle le contemple de près et murmure qu’elle le cherchait, tout en en voyant d’autres sur d’autres arbres. L’année : 1994. L’an prochain, ce sera la commémoration des cinquante ans de la libération des camps de concentration et d’extermination nazis. Ou en est-on ? Annick veut comprendre ce que l’on retient de la Shoah. Et ce qui se transmet dans les familles. Tout ce poids, cette responsabilité, pour les survivants ou leurs enfants, de faire vivre à nouveau la branche. Chapitre Un : Les voix de l’indicible. Annick Cojean descend du train à New Haven dans le Connecticut où elle est attendue et accueillie par une femme tenant une pancarte portant le nom de la journaliste. Elle lui souhaite la bienvenue, et la remercie de s’intéresser à ce programme de l’université de Yale. Une fois installées dans un bureau, l’hôtesse explique à Annick qu’elle va lui montrer quelques-unes de leurs vidéos. Des témoignages archivés depuis 1979 dans le cadre du programme Fortunate Video for Holocaust Testimonies. De très nombreux témoignages ont été recueillis aux États-Unis, en Israël et dans plusieurs pays d’Europe dont la France. Trois mille rescapés ont parlé malgré l’extrême difficulté de dire, de raconter, de se souvenir. Parler pour sortir d’un silence toxique, pour soi-même, mais aussi pour la mémoire collective. Elle doit bien comprendre qu’ils ont pris le temps et le soin d’élaborer ce programme. Elle n’en verra que le résultat, mais il suit un protocole exigeant mis en place par des équipes de psychologues et de sociologues. Ce ne sont pas de simples interviews… Le texte de la quatrième de couverture indique clairement la nature de l’ouvrage : transposer les cinq articles de la grande reporter Annick Cojean en bande dessinée, en respectant les mémoires des survivants, de leurs enfants et des enfants de nazis, mémoires encore bien vivantes et actuelles. Un projet assez particulier : à la fois une transposition d’articles de journaux, à la fois un ouvrage supplémentaire sur la Shoah. En fonction de sa familiarité avec le sujet, le lecteur peut s’interroger sur son envie de lire une bande dessinée sur ce sujet, forcément grave, et peut-être un de plus. Les autrices racontent la démarche de la journaliste en la mettant en scène, avec ses projets, ses interrogations, ses réactions, ce qui rend immédiatement les reportages plus vivants et plus accessibles. Il découvre dans l’introduction que ces reportages trouvent leur source dans l’étonnement de la journaliste qu’en 1995 on parlait si peu de la Shoah, que le génocide nazi n’ait été qu’effleuré au lycée sans aucune résonnance avec ce qui se passait au présent, qu’il ne soit pas central dans l’enseignement et le débat public. Dans son introduction, elle écrit : Ce n’était pas si vieux ! C’était documenté ! Il y avait des films, des photos, des journaux, des récits, des centaines de milliers d’archives. Et surtout il y avait des témoins bien vivants. Il s’agissait de les écouter. Dans sa postface, Tal Bruttmann contextualise également ces articles : l’émergence de la mémoire de la Shoah, ils traitent de plusieurs des initiatives mémorielles visant à redécouvrir un passé que certains voulaient reléguer dans l’ombre, ce qui reflétait à quel point la question travaillait les sociétés. Le lecteur peut également entamer l’ouvrage sans avoir conscience de ce contexte et de ces intentions. Il a le plaisir de découvrir une vraie bande dessinée, plutôt qu’un texte illustré. La séquence d’ouverture comporte trois pages, et seulement deux phylactères, les images portant la majorité de la narration. Qui plus est dans une scène à la fois onirique et métaphorique. Les autrices ont réalisé un vrai travail de transposition, utilisant plusieurs spécificités de la bande dessinée, sans trahir l’intention de la journaliste. La métaphore de la forêt calcinée revient à plusieurs reprises, et elle se trouve explicitée dans un flux de pensées de la journaliste qui compare les enfants des rescapés à d’improbables petits bourgeons sur un chêne calciné. Les autrices utilisent également des juxtapositions visuelles et des éléments surréalistes. Tel ce moment silencieux dans lequel les enfants de rescapés et les enfants de nazis se tiennent de part et d’autre d’une faille dans laquelle se trouvent les cadavres des Juifs exterminés, et ils y descendent pour s’occuper ensemble des cadavres. Ce moment poignant où Niklas Frank, fils de Hans Frank ministre du Troisième Reich (surnommé Bourreau de la Pologne) se couche à même le sol sur des photographies géantes des camps, en en prenant une pour s’en faire une couverture, alors qu’il évoque son sentiment de culpabilité, obsédé par les l’angoisse des Juifs qui allaient mourir. Ou Anne-Marie Levine, pianiste concertiste de New York, née pendant la nuit de cristal. Ses parents se sont enfuis la veille de l’invasion allemande en Belgique où elle est née, installés à Beverly Hills, ne parlant jamais de ce qui se passait en Europe : le lecteur la voit jouer un morceau de piano, trois longues chimères serpentines tournoyant autour d’elle, expression de son inconscient en souffrance du fait du malaise généré par les non-dits. Le lecteur apprécie tout autant la narration visuelle en mode descriptif et concret. L’artiste réalise des dessins aux contours un peu simplifiés, tout en conservant un bon niveau de détails. Elle prête attention aux tenues vestimentaires, en respectant la mode de l’époque, ou la fonctionnalité. Elle s’attache à représenter les décorations intérieures avec attention : le salon très confortable dans lequel Annick visionne les cassettes vidéo, le bureau de travail de Geoffrey Hartman (1929-2016) à l’université de Yale, celui de Dori Laub (1937-2018, psychiatre et psychanalyste israélo-américain), une salle de concert où se produit la pianiste, l’appartement d’Edda Goering (fille de Hermann et Emmy Goering), un parloir en prison lors d’une visite à Hans Frank, un café, un restaurant, une salle de réunion à l’université allemande de Wuppertal où se rencontrent les enfants de rescapés et ceux de nazis à l’initiative de Dan Bar-On (1938-2008), etc. Elle représente avec la même solidité les environnements en extérieurs, allant des paysages traversés par la voie de chemin de fer, aux camps de concentration et d’extermination. Pour ces derniers, elle sait en retranscrire toute l’inhumanité et l’horreur, sans une once de voyeurisme. Le lecteur en ressort ému et affecté, ayant ressenti de l’empathie pour les souffrances évoquées par les survivants. Le lecteur peut ressentir de bout en bout la fidélité aux articles originaux. Il assite à la démarche journalistique, il comprend la motivation de la journaliste, il découvre avec elle les travaux mémoriels. Il prend connaissance avec elle des témoignages, passages essentiels de transmission, et aussi de contact direct avec la réalité de ce qu’ont vécu ces personnes, du comportement des soldats. Il sait qu’il est loin d’éprouver par lui-même ces horreurs inimaginables, et dans le même temps il s’en trouve bouleversé. Il retrouve ou il découvre les différentes initiatives mémorielles. Il assiste à la mise en œuvre des captations vidéo. Il écoute avec Annick l’explication du professeur Geoffrey Hartman pour les archives vidéo Fortunoff. En particulier, lorsqu’il dit que : Chaque survivant a un besoin impérieux de dire son histoire pour parvenir à en réunir les morceaux. Besoin de se délivrer des fantômes du passé, besoin de connaître sa vérité enterrée pour pouvoir reconnaître le cours normal de sa vie. C’est une erreur de croire que le silence favorise la paix. Il ne fait que perpétuer la tyrannie des événements passés. Il favorise leur déformation et les laisse contaminer la vie quotidienne. Le mensonge est toxique et le silence étouffe… Parler guérit, oui, mais seulement si on est écouté. Le récit non écouté est un traumatisme aussi grave que l’épreuve initiale. Le lecteur prend la mesure de la double peine que ce fut pour certains rescapés, l’histoire de Grete Munn (1922-2014) en fin de tome en est un témoignage d’une force terrassante. Il peut faire le lien avec les conséquences du silence dans une autre de ses formes pour d’autres crimes abjectes, évoqué par Théa Rojzman dans Grand Silence (2021) avec Sandrine Revel. Une œuvre formidable sur les mémoires de la Shoah, autant sur les articles d’Annick Cojean, que sur les témoignages des survivants, de leurs enfants, des enfants des nazis, que sur plusieurs initiatives mémorielles dans les années 1990. Avec une narration visuelle riche et adaptée, les autrices font honneur à ces cinq articles, les font connaître à de nouvelles générations, illustrant le besoin de mémoire, et les modalités de sa mise en œuvre. Formidable.
Inuit
L’art inuit explore la magie originelle. Les limites. La transcendance. - Ce tome contient un récit complet, indépendant de tout autre, dont la lecture peut être complétée par Nunavut (2024) des mêmes auteurs. Son édition originale date de 2023. Il a été réalisé par Edmond Baudoin et Troubs (Jean-Marc Troubet), pour le scénario et les dessins. Il compte cent-soixante-douze pages de bande dessinée en noir & blanc. Ces deux auteurs ont précédemment réalisé ensemble : Viva la vida - Los Sueños de Ciudad Juàrez (2011), Le Goût de la Terre (2013), Humains - La Roya est un fleuve (2018). Entre 2001 et 2003, Edmond Baudoin est professeur à l’université de Hull, devenue Gatineau, au Québec. Ottawa est de l’autre côté de la rivière Outaouais. Dans son musée, il découvre l’art inuit. C’est pour lui une révélation. Il se promet de travailler un jour avec des artistes inuits. C’est Vincent Marie qui lui en donne la possibilité la première fois. Avec Andrew Qappik, il illustre un conte inuit sur la naissance du narval, pour son film : Les harmonies invisibles. En illustrant ce conte il réalise ce désir né dans un musée en 2002, il travaille avec un artiste inuit. Mais avec Jean-Marc Troubs, ils veulent maintenant aller dans son pays. Voici le conte du Narval. Il y a bien longtemps, Taqqiq, un jeune garçon aveugle, vivait en compagnie de sa petite sœur Siqiniq chez leur grand-mère, une femme colérique et méchante. Aux yeux de cette grand-mère, Taqqiq était une bouche inutile à nourrir. C’était difficile pour les deux enfants, mais ils étaient orphelins de leurs parents. Une nuit, ils furent réveillés par un ours approchant leur habitation. La grand-mère prit l’arc et la flèches et les donna à Taqqiq, jeune mais robuste. Elle dirigea le tir. La flèche atteignit l’ours qui tomba raide mort. Mais la grand-mère mentit, en le traitant d’idiot et lui faisant croire qu’il avait tué leur meilleur chien. La nuit suivante, Siqiniq mit en cachette de la viande d’ours dans l’assiette de Taqqiq qui compris le mensonge et décida de se venger. […] Le plongeon arctique se joue des frontières. Il nage comme il vole dans la mer ou dans le ciel. Pour de nombreux groupes inuits, il symbolise la recherche de la vérité dans les profondeurs. Voilà deux ans que Troubs devait se rendre au Nunavut avec Edmond… Mais il y a eu la pandémie. Alors il a commencé le voyage dans les livres et la recherche d’images. Il s’est plongé dans les mythes, les récits et la vérité historique, qui souvent dans l’Arctique s’entremêlent magnifiquement. Cet été 2022, ils allaient voir, voir ce qui s’y raconte aujourd’hui. L’art ancien des peuples polaires est peuplé de petites statuettes. Elles ont souvent une fonction magique. Et une présence telle qu’on les dirait vivantes. Qu’elles soient de magie noire ou blanche, les statuettes sont longtemps restées petites. Parce que les matériaux étaient rares. Et qu’il fallait les transporter. Les Inuits avaient encore la liberté d’être nomades. Mais aujourd’hui, les temps ont changé, les statuettes ont pris du poids, et sont parfois devenues géantes. Elles ont toujours cette présence fascinante. Elles pratiquent maintenant la magie moderne du marché de l’art. S’il s’agit de sa première œuvre de ces artistes, le lecteur peut se trouver un temps déconcerté, à la fois par la liberté des formes, à la fois par l’importance donnée à la parole. En toute simplicité, le tome s’ouvre avec une carte sommaire réalisée par Troubs permettant de situer le Groenland, le Labrador, le Nunavut, le cercle arctique, la ville de North West River, et d’autres repères géographiques. Puis la première planche comprend deux cases de la largeur de la page : la première une photographie d’une rue de Gatineau avec la silhouette de Baudoin sur le toit d’un immeuble à étage unique, la seconde une chimère intégrant le visage de l’artiste à des éléments animaux et une représentation inuite dans un amalgame harmonieux. Dès la troisième planche, il s’agit d’illustrations évoquant l’art inuit, dans une diversité d’approches graphiques, et un texte qui court au-dessus ou au-dessous. Puis sans aucune indication, Troubs réalise les planches suivantes : à nouveau des illustrations de conte, mêlant les représentations d’un oiseau à l’encre, au bleu peint de la mer ou du ciel. Puis des représentations naïves d’Inuits, avec un glissement progressif vers des personnages et des animaux mythologiques à l’apparence naïve. Le récit du voyage commence alors avec les cases aux dessins réalisés au pinceau de Troubs, puis les images plus libres de Baudoin, également au pinceau, puis des portraits, des reproductions d’autres artistes. Parfois des pages en couleurs. Parfois un paysage sur une double page. Parfois des cases à l’encre. Une alternance toute naturelle entre des cases disposées en bande, des dessins accolées, des portraits d’habitants interrogés, d’autres paysages, des scènes urbaines, des hommages à des œuvres d’artistes inuits ou innus, etc. S’il en éprouve la curiosité, le lecteur peut aisément identifier les pages réalisées par l’un ou l’autre des deux artistes : Troubs effectue un lettrage en minuscules, et Baudoin en majuscules. Dans un passage, ils se représentent en train de travailler à leur bande dessinée : ils sont tous les deux assis à la même table, et ils composent et réalisent leurs pages ensemble. Le lecteur le ressent à la lecture car il n’éprouve aucune sensation de solution de continuité : les pages forment un tout harmonieux comme si une unique intelligence créative avait présidé tout du long. La bande dessinée suit l’ordre chronologique du voyage, à commencer par les prémices évoquées par Baudoin, puis le voyage en avion, l’arrivée à Montréal, le trajet vers North West River, et encore plus au Nord. La narration visuelle est conçue en fonction de chaque séquence pour mettre en valeur un lieu, des personnes, une longue route en vue du ciel dans une case de la hauteur de la page, des cases sans bordure pour laisser de l’espace à un Inuit en train de manier le harpon, un dessin à l’encre effectué dans l’inspiration du moment, une autre carte simplifiée, des illustrations en couleurs… un petit visage avec un long discours en texte… Les deux auteurs ont repris le dispositif qu’ils avaient utilisé dans leurs précédents ouvrages en commun : proposer de réaliser le portrait de leur interlocuteur et lui offrir en échange d’une réponse à une question, sur l’avenir des Inuits et Innus ou sur l’avenir de la culture inuite. Il est possible de voir cet ouvrage comme la suite de ces entretiens, entrecoupés de réflexion sur la culture inuite, sur son art, sur l’histoire de ce peuple premier. Le lecteur se rend compte qu’il éprouve une forte curiosité pour ces déclarations, totalement oublieux de leur forme de texte, ce qui pourtant constitue souvent un repoussoir dans les bandes dessinées traditionnelles. Son attention est tout entière consacrée à ces témoignages fort variés. Estelle évoque la dépendance de la communauté de North West River aux services publics et au gouvernement. Billy dit sa crainte que leur culture disparaisse. Mitzi, la mère de Billy, évoque le temps où le gouvernement avait interdit la langue inuktitut. Mina, conservatrice au Labrador Heritage Museum, parle de la disparition des attelages de chiens, et des croyances spirituelles qui font le chamanisme. La grand-mère Ataomie estime que la culture se renforce depuis qu’ils ont leur propre gouvernement et qu’il est possible d’apprendre la langue. Elisabeth constate que la chasse va en décroissant. Ernie, ancien maire de North West River pendant des décennies voit que l’électronique rendra le monde complètement dépendant des machines et qu’il sera complètement impossible de vivre dans la nature d’ici cinquante ans du fait de l’évolution du climat. Au fil de ces rencontres, d’autres facettes de la vie locale sont abordées : l’art bien sûr, le rôle des jeunes et leurs aspirations, la pêche et son industrialisation, les services publics, l’histoire de chaque groupe qui a habité la région et la difficulté de l’établir du fait de leur nomadisme, la nécessité d’une représentation pour éviter de se faire piller, pour résister aux prédateurs capitalistes, etc. En creux se dessine également l’histoire des Innus, celle des Inuits, et la manière dont le gouvernement a traité les peuples autochtones, a mis en œuvre des actions visant à détruire leur culture. Par exemple le placement de petites filles dans des pensionnats dans le Sud, et les sévices fréquents. Les discussions entraînent des réflexions chez les auteurs. Il apparaît qu’ils sont fascinés par la forme de pureté de l’art inuit, sa qualité primordiale, sa charge mythologique et la part de vérité qu’elle contient quant au rapport entre l’être humain et son environnement, par le rôle de l’art comme outil de préservation et transmission d’une culture. Par la sauvegarde d’une langue et ce qu’elle porte en elle de culture à nouveau, mais aussi de rapport à la réalité. Un habitant leur indique que : En inuktitut il y a environ cinquante mots pour dire Neige, pas un seul pour dire police. Par l’évolution du climat, ainsi que par le paradoxe à leurs yeux d’être à la fois chasseurs et agents de préservation de la nature. Par un autre paradoxe : celui de vouloir préserver sa culture et ses traditions, alors que la pureté d’un groupe est une chimère, ce que les auteurs expriment par : Tout le monde est métissé, les races pures c’est un fantasme de totalitaire. Et aussi par : Rien, et tout, plus la complexité, la pureté n’existe pas, sa recherche est vaine et dangereuse, la vie se tient dans le chaos. D’une manière aussi organique que habile, ils brossent progressivement un portrait d’une communauté, à la fois dans le temps long de l’histoire, dans l’existence et l’évolution d’une culture, dans les aspects pragmatiques de la vie de tous les jours, dans les traumatismes qui se transmettent de génération en génération, dans sa dimension mythologique. Quel voyage, quelles rencontres, quelle expérience d’une autre culture. Les deux auteurs effectuent un séjour au Labrador. Comme à leur habitude, ils proposent de réaliser un portrait à leur interlocuteur en l’échange de la réponse à une question. Dans une forme graphique aussi libre qu’intelligente et sensible, ils racontent leur voyage et leurs rencontres, abordant aussi bien la vie quotidienne, la culture, l’histoire, l’évolution des valeurs d’un peuple et sa résilience. Un récit d’une richesse inépuisable et d’une humanité peu commune. Merveilleux.