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Couverture de la série Les Seignors
Les Seignors

Bonjour à tous Quelle joie de lire et relire ces trois albums ! Silver que j'ai rencontré dans les années 80 au 5eme régiment de dragons de Valdahon (25). Celui-ci s'appelait Maréchal des logis COURS, portait le même uniforme au passant d'épaule jaune, supportant le même embonpoint, la même fringale (responsable logistique alimentaire) et de la vie. Miche, faisant partie de ma clientèle. Retraité fonctionnaire, encarté jusqu’à l'os, dur et moqueur avec tout le monde, surtout avec les jeunes . Jojo, le collectionneur de fripes qu'il ne faut surtout pas toucher . Luigi, combien en ai-je rencontré, car vivant à la frontière italienne... tous ces vieux beaux espérant encore rencontrer l'amour... Sana, ex directeur de société retraité vivant dans un des palace Mentonnais. Ancien bobo sympa qui, sous ses airs de dirigeant en acier, se trouve souvent débordé par les nouvelles générations. Petit mot pour l'équipe, RICHEZ, STI et JUAN... A QUAND LA SUITE ?

24/07/2025 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Le Petit Train de la Côte Bleue
Le Petit Train de la Côte Bleue

C’est ça l’humanité, se dire un livre de mille pages à travers un Bonjour. - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Son édition originale date de 2007. Il a été réalisé par Edmond Baudoin pour le scénario et les dessins. Il comprend cinquante-six pages de bande dessinée en noir & blanc. Il s’agit d’un ouvrage qui se présente en format paysage. C’est lors de sa résidence à Vitrolles en 1993 qu’Edmond Baudoin a découvert cette ligne. Il écrivait La mort du peintre, et c’était un bonheur à chaque fois qu’il lui fallait faire le voyage en train entre ces deux villes. Toujours émerveillé par la beauté des paysages entrevus entre deux tunnels, toujours malheureux de constater la haine qu’ont certains hommes avec la beauté. Cette haine, il est né dedans, il la connait à Nice. Il était difficile d’abîmer un aussi beau paysage que la baie des Anges. Les hommes qui aiment l’argent y sont arrivés. L’argent corrompt les hommes et les paysages. Le voyage de l’auteur commence à la gare Saint-Charles à Marseille, une très belle gare, avec un grand escalier qui, chaque fois qu’il le grimpe, lui fait penser à un palais de Justice. Quelle justice peut contenir une gare ? Alors que le train a démarré, le voyageur aperçoit des graffitis sur un mur, ce qui alimente son flux de pensée. Il aime bien les tags les graffs… Ça fait vivre le béton. Ça fait vivre le béton et ça donne de la vie à celui qui la fait. Edmond recopie ces tags sur du papier. Ils vont vivre ainsi plus longtemps que sur les murs. Donc le papier est plus solide que le béton. Quelle justice peut contenir une gare ? L’argent corrompt les hommes qui ensuite, sans problème, détruisent la beauté. Plus tard, il faut beaucoup d’abnégation pour celui est né et qui vit dans la laideur pour ne pas être corrompu par elle. Ce devrait être un processus normal et sans fin. D’horreurs en horreurs jusqu’à l’innommable. Pourtant ce n’est pas le cas. D’où ce qu’il reste à Edmond de sa confiance en l’homme. Gare de l’Estaque. Après la gare de l’Estaque, le train repart en direction de Miramas. Il regarde dans la direction de Miramas. Il tourne la tête et regarde dans la direction de Marseille. Le train entre dans un tunnel. Dans le wagon, en face de lui, une très jolie jeune fille. Pourquoi est-elle dans ce train ? Travail, vacances ? Amour ?… Elle a tourné la tête, regarde la mer. Gênée par les yeux d’Edmond sur elle ? Peut-être ? Peut-être qu’elle ne l’a même pas vu ? Qui est-elle ? Elle est comme un voyage. Un voyage c’est quoi ? Il se pose des questions sur elle, il l’invente. En vérité son pays est ailleurs. Il s’invente elle, parce qu’elle est jolie, elle l’envahit, elle lui invente des questions. Alors… Si c’est vrai, on ne va jamais dans un pays, un beau paysage, c’est le paysage qui nous invente, nous dépasser par les questions… Par… Il délire. La très jolie jeune fille prépare son sac, elle s’apprête à descendre à la prochaine gare. La très jolie jeune fille est descendue à La Redonne-Ensues. L’auteur est descendu aussi. Il avait prévu cette halte. Une amie attendait la très jolie jeune fille. Son amie est très joie aussi. Elles s’en vont, devant lui, en riant. Elles vont peut-être là-bas dans la pinède ?… Il rêve… Être juste leur ami, être avec elles, juste aujourd’hui. Les écouter, juste les écouter pour rêver leurs rêves. Accompagner Edmond Baudoin dans ses déplacements, une proposition originale, ou peut-être saugrenue ? Prendre le train avec lui, celui qui relie Marseille à Miramas. En page d’ouverture, le lecteur découvre le billet train d’époque, c’est-à-dire 2007, avec le petit dépliant qui liste les gares desservies et les horaires, accompagné par un plan sommaire. La liste des arrêts, en gardant en tête qu’ils ne sont pas tous desservis par chaque train au départ de Marseille-St-Charles : St-Barthélémy, le Canet, St-Louis-les-Aygalades, Seon-St-Henry, L’Estaque, Niolon, La Redon-Ensuès, Carry-le-Rouet, Sausset-les-Pins, La Couronne, Martigues, Croix-Sainte, Port-de-Bouc, Fos/Mer, Rassuen, Istres, Pas-des-Lanciers, Vitrolles, Rognac, Berre, St-Chamas, Miramas. Le lecteur peut ainsi identifier chaque arrêt mentionné par l’auteur, et imaginer par lui-même la durée du trajet globale (entre cinquante minutes et une heure dix), ainsi que la durée entre deux arrêts. S’il connaît cette ligne, il reconnaît facilement certains endroits, où il mesure les changements advenus depuis, en une vingtaine d’années ou plus. Il peut alors se projeter, s’imaginer regarder par la fenêtre, tout en se disant que de nouvelles générations de rames ont remplacé celle empruntée par Baudoin. Il peut comparer son propre regard à celui proposé par l’artiste, saisir la différence de sensibilité qui l’anime par rapport à Baudoin. Avec cette liberté inimitable et spontanée, l’auteur évoque son voyage, peut-être tel qu’il en a vécu un parmi d’autres, puisqu’il indique qu’il accomplit cet aller-retour régulièrement, plus vraisemblablement une reconstitution composite à partir de plusieurs voyages. D’ailleurs il l’évoque dans la conclusion : il donne ce qui est en lui, en tant qu’humain, comme le lecteur, pas plus, pas moins, il le donne avec des mots qui ressemblent à des traits, des traits qui ressemblent à des mots, sa musique intérieure s’entrelaçant sur du papier, ainsi le lecteur va vivre ce que l’auteur a vécu sur cette Côte Bleue. Le lecteur prend donc cette collection d’anecdotes au fil des kilomètres comme la totalité de ce que Baudoin a vu et a assimilé en son intimité, qu’il a trituré, et qu’il donne en tant qu’essence de son ressenti. Le lecteur voit ainsi à travers les yeux de l’artiste différents paysages, des arrêts en gare et des moments hétéroclites. Des graffitis sur du béton, la côte de Marseille qui commence à s’éloigner, une magnifique (c’est lui qui le dit) jeune fille assise en face de lui, la beauté de la mer, le viaduc du chemin de fer au-dessus de la Redonne-Ensuès, un adolescent bien habillé qui aborde un groupe de trois filles peu commodes, des murs, des usines dans le lointain, une plage sur laquelle il marche en s’éloignant d’une gare, d’autres usines dans le monde de l’industrie et du pétrole, un homme assis sur chariot à valise lisant son journal à la gare de Martigues en laissant passer les trains, le pont tournant de Martigues, des banlieues sinistres, la ville de Port-de-Bouc dont il la garde un bon souvenir du fait de sa rencontre avec Jacques Sereher et Jean-Claude Izzo, la gare murée de Fos-sur-Mer avec sa belle architecture, une usine Lafarge qui déverse des saletés dans le canal. Voir par les yeux d’un autre : une expérience unique, pouvant s’avérer très enrichissante en fonction de l’artiste. La couverture s’avère peut-être un peu austère : des traits irréguliers, certains un peu gras, une mise en couleur qui joue sur le bleu, aplatissant le premier plan, neutralisant la perspective apportée par l’arrière-plan. Après quelques pages de mise en bouche, vient la première planche : Marseille-saint-Charles. Le lettrage fait main rend la lecture de la présentation très agréable, et l’écriture de Baudoin sonne naturelle et spontanée. Pour un œil qui découvre les dessins de l’artiste pour la première fois, la première illustration apparaît composite : des traits fins comme une esquisse pour les emmarchements, des formes détourées en trait fin comme pas finies, des coups de pinceau plus épais un peu hasardeux. L’amalgame entre traits fins et coups de pinceau épais apparaît plus harmonieux dans la deuxième illustration, dessinant des structures géométriques droites : un paysage quasi abstrait. Avec la troisième illustration, l’artiste aboutit à une composition parfaitement équilibrée : la maison et la texture grisée appliquée aux murs, l’arbuste aux branches folles et sèches sur la droite, les éléments urbains en fond de case derrière le mur, la reproduction du graff massif sur le mur. Alors que le train avance, et que les paysages semblent se dérouler derrière la vitre, le dessinateur semble gagner en confiance et en naturel dans la composition de ses images. Le lecteur commence à faire la différence entre les dessins au pinceau, et ceux évoquant plus des traits encrés. La deuxième catégorie semble correspondre à des croquis fait sur le moment, plus dépouillés avec uniquement les traits de contour. Ils ne sont pas très nombreux, moins d’une demi-douzaine, et ressortent comme un moment nécessaire dans la narration, très fonctionnels. Par contraste, les autres évoquent des compositions sophistiquées au pinceau, de vrais tableaux. Pour l’arrivée à l’Estampe, le lecteur contemple par la fenêtre les toits des maisons proches : un premier plan correspondant vraisemblablement à un parapet, un second plan avec les toits à deux pentes, des maisons plus indistinctes dans un troisième plan, et les montagnes en arrière-plan. À la fois une image descriptive, à la fois une composition conceptuelle. Au fil des pages, le lecteur tombe en arrêt devant une composition complète à la structure étudiée et à l’effet global, comme cette vue d’un petit port en contrebas. Ou il s’attache à un élément particulier : une rambarde en fer forgé, la politesse respectueuse du jeune homme qui s’approche des trois filles, la forme impressionniste de la silhouette d’un arbre, la justesse précise de rivets dans le pont tournant, l’effet magique de grands coups de pinceaux dont l’enchevêtrement forme de manière miraculeuse l’intérieur du wagon vide de voyageurs, ou encore des arbres aux formes torturées, une grande spécialité de Baudoin. Au grand étonnement du lecteur, cette succession de vues finit par former une trame narrative qu’il ne soupçonnait pas. Il avait remarqué qu’il peut appréhender cet ouvrage comme une reconstitution a posteriori du voyage en train menant de Marseille à Miramas, réalisé à partir de bouts de différents voyages sur le même trajet pour en former un unique. Ce qui en soit constitue déjà une démarche narrative, une recomposition littéraire d’une expérience de vie. La restitution de l’expérience vécue qu’un train c’est pour partir ou pour arriver, et souvent quand on arrive c’est pour repartir même si on reste. C’est aussi une narration qui raconte l’expérience personnelle d’Edmond Baudoin, la représentation de comment il perçoit le paysage et de comment il le ressent. Cela s’exprime dans sa manière unique de dessiner, de montrer ainsi ce qui lui importe dans ce qu’il voit. Cela exprime également sa profession de foi sur son métier, ce qu’il exprime dans sa conclusion : ses traits ressemblent à des mots. Pour lui : C’est ça l’humanité, se dire un livre de mille pages à travers un Bonjour. Nul ne raconte comme ce créateur. Chacune de ses bandes dessinées constitue une forme d’expression intimement personnelle, indissociable de son être. Il réalise ce qui semble de prime abord n’être qu’un simple carnet de voyage : des vues réalisées, pour la majeure partie, depuis le train, vues au travers de la vitre. Pourtant il est impossible de réduire cet ouvrage à une collection d’images ordonnées sur le trajet du train. L’auteur y intègre quelques anecdotes, quelques remarques personnelles sur le paysage, des considérations sur la beauté, sur des environnements de vie manquant de beauté, sur ce qui l’anime à l’intérieur. Ainsi ce défilement devient un récit, autant une déclaration d’amour pour ces paysages, autant des constats sur la façon d’habiter le monde, et aussi un véritable credo sur le métier de bédéaste, un roman introspectif. Un trajet qui contient le monde.

23/07/2025 (modifier)
Par Chaps
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Empires
Empires

J'avais d'abord pensé mettre 4, puis en lisant le 3e album de la série je mets un 5 bien mérité! Alors c'est sûr les albums ne sont pas égaux, le 3 est vraiment top, et le 1 et 2 sont biens. Ce qui m'a plus est le parallèle que l'on peut faire avec notre société moderne. Où les mensonges et la trahison sont les clefs de la réussite politique et religieuse, les clefs du pouvoir en somme. Les histoires sont vraiment sympa a lire, et comme c'est Jarry qui est au commande de tous les albums, la continuité est plus nette et c'est bien car ça change des autres série de ces auteurs. Il semble plus impliqué je trouve, comparé a Istin qui lui ne semble vouloir que produire le plus de séries possible.

23/07/2025 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Ava - Quarante-huit heures dans la vie d'Ava Gardner
Ava - Quarante-huit heures dans la vie d'Ava Gardner

Belle comme un mirage, une hallucination, un rêve rimbaldien. - Ce tome contient un récit de nature biographique, relatant quarante-huit heures de la vie d’Ava Gardner. Son édition originale date de 2024. Il a été réalisé par Emilio Ruiz pour le scénario, et par Ana Miralles pour les dessins et les couleurs. La traduction a été réalisée par Geneviève Maubille, avec une relecture assurée par Murielle Briot. Il comprend cent pages de bande dessinée. Il commence par un texte d’introduction d’une page, rédigé par Elizabeth Gouslan, autrice du livre Ava, la femme qui aimait les hommes (2012). Elle évoque la beauté inouïe de l’actrice, qualifiée de Plus bel animal du monde par Jean Cocteau, la couleur changeante de ses yeux, le film La comtesse aux pieds nus qui s’inspirent de sa vraie vie, et sa relation avec Frank Sinatra. Le sept septembre 1954, à Rio de Janeiro, le film La comtesse aux pieds nu est à l’affiche. Dans son beau costume blanc, Gilberto Souto contemple la marquise de l’Odéon qui porte le nom des acteurs et du réalisateur. Avec les journaux sous le bras, il regagne ses bureaux, où il est accueilli par sa secrétaire Belem qui lui indique qu’elle a l’agent d’Ava Gardner au téléphone. Il lui demande de lui passer l’appel dans son bureau. Souto rassure David Hanna : L’hôtel Gloria est magnifique, il est parfait pour une star telle qu’Ava Gardner. Il continue : Certes le Copacabana Palace est plus réputé, mais il est aussi moins sûr, et la situation du pays est telle qu’ils doivent avant tout veiller à la sécurité de Miss Gardner. En réponse à un question, il indique que tout est en ordre, qu’il vient de s’entretenir avec le chef de la police. En effet la venue d’Ava risque d’attirer beaucoup de monde, et on est à Rio. Hanna doit comprendre que cette ville n’est pas Lima ni Buenos Aires, encore moins Montevideo. Les Cariocas n’éprouvent pas simplement de la passion pour Miss Gardner, c’est carrément de la frénésie ! Il termine la conversation avec une recommandation : quand ils atterriront à Galejão, ils ne doivent pas descendre de l’avion, avant son arrivée. Belem, la secrétaire, rentre dans le bureau alors que Gilberto Souto a commencé à lire les journaux. Elle l’informe que M. Krymchantowsky a appelé pour organiser la journée avec les hommes d’affaires, que les responsables du festival de poésie aimeraient savoir si Ava accepterait de réciter quelques vers en portugais lors de la cérémonie de remise des prix. Souto lui indique qu’il faudra prévenir les journalistes et l’hôtel que l’avion atterrira avec du retard. Puis il enfile sa veste et lui indique qu’il se rend à l’ambassade demander des passeports diplomatiques, car l’actrice et son agent veulent se rendre directement à l’hôtel sans passer par la douane. Qui ne tente rien n’a rien… À bord de l’avion, Ava Gardner répond aux questions d’un journaliste. Que dirait-elle aux lecteurs de la Ava Gardner qui fait la une des journaux ? Sa réponse : Qu’elle ne correspond en rien à la femme qu’elle est en réalité. L’image que la presse donne d’elle l’attriste beaucoup. Question suivante : Pourquoi Ava Gardner ne conteste-t-elle jamais ces fausses informations ? Irrésistiblement attiré par la magnifique couverture, le lecteur se retrouve impuissant face à la promesse de passer du temps avec cette actrice hors du commun, ou par celle de retrouver les planches tout aussi extraordinaires d’Ana Miralles, après la série extraordinaire Djinn (2001-2016, treize tomes et trois hors-série), scénarisée par Jean Dufaux. L’expression d’Ava est indéchiffrable sur la couverture : un moment paisible hors du temps, un instant d’attente entre deux prestations à se donner en spectacle, ou une forme de résignation en train d’évoluer vers l’acceptation. Le lecteur aura la satisfaction de découvrir les circonstances de cette pause, ainsi d’avoir une vue plus large sur le lieu. Il focalise ensuite son attention sur le sous-titre : il s’agit de suivre cette beauté féminine pendant un court laps de temps : quarante-huit heures. L’introduction fournit des éléments de contexte intéressants pour celui qui découvre cette actrice : sa beauté inouïe, les réalisateurs avec qui elle a déjà tourné (John Ford, Henry King, Gorge Cuckor, John Huston, Nicholas Ray) et récemment Joseph Mankiewicz, la raison pour laquelle elle se rend à Rio de Janeiro. La planche d’ouverture contient déjà toutes les qualités du récit : différents endroits de Rio de Janeiro, la reconstitution historique, les personnages élégants, la curiosité de savoir comment va se dérouler ce séjour, à quoi va être confronté Ava Gardner, comment elle va se comporter par rapport à ce qui est attendu d’elle. C’est donc l’occasion de réaliser une visite touristique à Rio de Janeiro. Le lecteur se plaît autant à prendre le temps de laisser son regard lors des scènes en extérieur, que lors de celles en intérieur. Il rentre donc avec Gilberto Souto dans les locaux de son agence : bureaux en bois, chaises en bois, classeurs métalliques, affiches au mur, sous-main, lampe de bureau, tout est d’époque. Une fois passé la fin du voyage en avion et la douane, il prend le temps d’apprécier la décoration de l’hôtel Gloria : le tissu des larges fauteuils, les dorures de la salle de bain, le mobilier épuré dans la chambre, le grand hall de l’hôtel avec l’estrade qui a été installée et les tentures bleues. Il peut ensuite comparer avec la décoration de l’hôtel Copacabana Palace : sa piscine qui fait envie, les tables plutôt rondes que carrées et leur nappe, le magnifique lobby, la chambre aménagée avec plus de retenue, le balcon et sa vue extraordinaire sur l’océan, etc. Les décors en extérieur coupent le souffle du lecteur : le trajet en voiture de Souto pour rejoindre l’aéroport ce qui laisse le temps de regarder les façades, la perspective sur l’océan alors que l’avion achève sa descente vers la piste, la vue de la baie avec la monumentale statue du Christ rédempteur, la virée nocturne de Rene dans un autre quartier de la ville, et une virée nocturne exceptionnelle d’Ava et David qui les emmène au pied de la statue du Christ rédempteur, durant une dizaine de pages. L’artiste s’implique pour une reconstitution historique présente dans chaque élément : les accessoires du quotidien, les modèles de voitures, les robes d’Ava Gardner et ses gants, les sous-vêtements de Rene, les costumes de de ces messieurs, sans oublier les chapeaux et les cravates unies ou à motif, etc. Bien sûr, la dessinatrice soigne la ressemblance physique d’Ava Gardner, et la délicatesse de son trait convient à merveille à la pureté du visage de l’actrice, à sa silhouette gracieuse, et à ses gestes étudiés. Le lecteur peut la voir resplendir par comparaison aux autres personnages féminins, quel que soit leur degré de beauté. Il admire le maintien des hommes, souvent splendides dans leur costume formel. La qualité de la narration visuelle s’exprime également dans le naturel de chaque prise de vue, dans leur évidence et leur plausibilité. Le lecteur peut voir comment Ava Gardner joue avec le journaliste dans sa cinquantaine, lors des questions posées pendant le voyage en avion. Il apprécie l’écho qui se produit lors d’une séance d’interview beaucoup plus inquisitrice face à plusieurs journalistes, et l’actrice qui déploie tout son savoir-faire en matière de charme et de séduction. Il sent la tension monter lors du face-à-face avec Howard Hughes dans la chambre d’hôtel, alors qu’il se montre de plus en plus pressant. Il découvre les circonstances correspondant à l’illustration de couverture, et il ressent une forte empathie au vu des émotions qui secouent Ava Gardner. Au bout de quelques pages, le lecteur peut trouver la narration un peu trop factuelle, un peu explicative comme si le scénariste prenait bien soin d’éviter toute incompréhension. Il suit une femme que l’on peut qualifier de beauté fatale, soumise à l’incroyable pression créée par l’attente de tous ses admirateurs. Il ressort comme elle meurtri de la sortie d’avion pour rejoindre la douane : scénariste et artiste réalisent une séquence oppressante et claustrophobique au cours laquelle l’actrice se retrouve assaillie par une foule compacte au sein de laquelle chacun veut la toucher créant ainsi un mouvement d’écrasement terrifiant. Il prend pleinement fait et cause pour cette femme qui a besoin d’être plus que l’image publique que tout le monde exige d’elle tout le temps. Il comprend parfaitement qu’elle ait besoin d’évacuer cette pression, qu’elle ait des mouvements d’humeur… même s’il lui conseillerait d’y aller mollo sur le tabac et l’alcool. En progressant dans le récit, le lecteur se rend compte que le scénariste a tout annoncé dans les premières pages : les relations compliquées avec les hommes, une femme réduite à une image publique parfaite, le fait qu’elle ne conteste jamais les fausses informations, etc. Tout est là. Il découvre alors que le récit va au-delà de ces éléments attendus. La virée nocturne de David & Ava exprime avec force le besoin de liberté, de sortir des apparences attendues. Il comprend le pourquoi d’une séquence dans le passé avec son père qui lui dit que : Les poupées ne sont pas idiotes, elles savent se débrouiller. Une métaphore sur l’image de poupée d’Ava, qui ne veut certainement pas finir comme celle qu’elle a eu étant petite. La réception d’Ava Gardner s’inscrit également dans un contexte politique et social très concret. Le lecteur ressent également de l’empathie pour Mearene (Rene) Jordan la dame de compagnie de l’actrice, et il s’insurge contre le piège qui lui est tendu. Il commence par sourire en voyant comment certaines personnes essayent de tirer profit par tous les moyens de la présence de l’actrice célèbre, y compris par des moyens malhonnêtes. Il se rend compte que la réflexion va plus loin, en mettant en scène comment cette femme représente Hollywood, c’est-à-dire à la fois l’impérialisme culturel américain et la richesse financière hors de proportion avec la réalité des habitants du Brésil. Ce qui induit une différence de situation sans comparaison possible entre des individus faisant tout ce qu’ils peuvent pour améliorer leur ordinaire avec les moyens dont ils disposent quelle qu’en soit la légalité, dans une société fonctionnant sur la débrouille et la corruption, par opposition à une femme courtisée par tout le monde, prisonnière de son image et du rôle que les autres lui imposent, dans lequel ils la cantonnent, malgré son aisance financière. C’est un plaisir ineffable que de retrouver l’élégance de la narration visuelle d’Ana Miralles, son implication extraordinaire dans l’élégance et la reconstitution historique, sa justesse dans la narration visuelle. Venu pour partager deux jours dans la vie d’une actrice magnifique, le lecteur se retrouve à endurer les conséquences de sa beauté incomparable qui la réduit à un objet du désir pour la foule, ainsi que la convoitise qu’elle suscite en tant qu’incarnation de l’impérialisme américain.

19/07/2025 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Loire
Loire

Je voudrais penser comme un fleuve. - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Son édition originale date de 2023. Il a été réalisé par Étienne Davodeau, pour le scénario, les dessins et les couleurs. Il comprend quatre-vingt-seize pages de bande dessinée. En exergue se trouvent deux citations, une de Philippe Descola, extraite de son ouvrage Par-delà nature et culture (2005), une autre d’une allocution de Bruno Latour, devant la Commission du Parlement de Loire, Tours, le 19 octobre 2019. Un homme traverse à pied le long pont qui enjambe la Loire à Les Ponts-de-Cé. Il parvient au carrefour sur l’autre rive. Cela fait longtemps que Louis n’est pas revenu ici, depuis des années. Il fait encore une partie du chemin en auto-stop, puis il se fait déposer à quelques distances de sa destination, car il a décidé de finir son chemin à pied. Avec son petit sac baluchon à l’épaule, il marche tranquillement le long de la berge. Il croise un cycliste, il passe devant une maison isolée, le fleuve est calme et tranquille, la lumière orangée. Au beau milieu d’un chemin longeant un champ, totalement isolé, il cède à une impulsion du moment, il n’y a personne. Il se déshabille et laisse ses vêtements sur la rive. Il entre progressivement dans l’eau, il s’asperge le visage. Il s’immerge totalement, il se laisse flotter sur le dos, il fait quelques mouvements de crawl. C’est vrai, c’était il y a quelques années et il était plus jeune. Mais il s’est baigné là des dizaines de fois, et jamais il ne s’était fait piéger pas le courant. Lutter ne sert à rien. Essayer de se détendre. Laisser faire. Flotter. Il passe devant un pêcheur et son fils qui lui demandent si tout va bien, il répond : Impeccable. Il dérive le long d’un bateau et il répond qu’il n’a pas besoin d’aide, que tout va bien. Le batelier l’avertit que le coin est dangereux et que ce n’est pas très malin de nager juste dans le chenal. Louis a dérivé sur deux ou trois kilomètres. Passé le premier moment d’inquiétude, c’est une belle balade. Bon, ça aurait pu être plus simple si le courant ne l’avait pas déposé sur la rive d’en face. Il ne se voit pas sonner à poil chez des gens. Il lui reste donc une solution qui devrait lui sembler complètement idiote. Mais là, non. Attendre la nuit noire. Et hop ! Lui, il est juste revenu pour revoir une vieille amie. Et bien sûr, à ce moment-là, il ignorait tout de ce qui allait suivre. Mais quoi ? Maintenant, il se dit que c’est sans doute la plus belle façon de revenir vers elle. On peut trouver ça un peu ridicule. Passé le pont, il remonte le courant. Et ces quelques kilomètres, c’est comme une remise à flot d’une période de sa vie. Une période heureuse. Avec elle. Tout nu, Louis marche sur le chemin de halage, remontant vers l’endroit où il a laissé ses affaires. Il effraie un oiseau de nuit. Il passe sur un pont en se détournant au passage d’une voiture, il traverse un village totalement endormi. Il continue à marcher le long de la berge. Il découvre qu’il est en train de traverser un champ d’orties, mais après y être entré. Malgré tout ça, il ne regrette rien. C’est une nuit magique. Le titre se résume à un mot unique qui met en avant le fleuve Loire, et l’image de couverture se trouve dépourvue de présence humaine, le personnage principal étant également la Loire. Au cours du récit, le lecteur parcourt plusieurs pages contemplatives, dépourvues de mot, focalisées sur différents endroits du fleuve et de ses berges, parfois avec des activités humaines : au total vingt-et-une pages, souvent construites sur la base de quatre cases de la largeur de la page pour jouir d’un effet panoramique. Avec le personnage principal, le lecteur observe ainsi les belles couleurs de l’eau, en particulier quand Louis s’y baigne, un impressionnant travail de restitution en couleur directe. Il constate que l’eau est aussi calme de jour que de nuit, avec des teintes nocturnes beaucoup plus restreintes. Il reconnaît aussi bien les chemins de halage que les rives boueuses, les clôtures de champ, les herbes folles, sans oublier l’épisode avec les orties. Il constate à quel point le paysage s’avère changeant en fonction du moment de la journée et des conditions climatiques. Au fil des séquences, il voit également différentes formes de l’activité humaine : les barques de plaisance échouées sur la grève, un petit bateau à moitié coulé, des pécheurs isolés, des enfants qui sautent dans l’eau, un barrage, une station de pompage, une installation artistique, etc. Le lecteur prend plaisir à cette forme de vagabondage dans des zones semi-naturelles, une balade ordinaire au bord du fleuve, à différents niveaux, chaque fois, avec ce fleuve quasi immobile et toujours indifférent. Il s’adapte au rythme des promenades et des contemplations, qui s’avère parfaitement en phase avec l’histoire. Plutôt qu’une intrigue à proprement parler, il s’agit d’un moment à la fois banal, à la fois totalement particulier dans l’histoire d’une demi-douzaine de personnes qui font connaissance pour la première fois ou presque pour certaines. Le point de départ est exposé dans les premières pages : Agathe a convié, par personne interposée, ses anciens amants à venir la rejoindre dans sa maison à proximité de la Loire. Ainsi, Louis, qui a vécu cinq ans avec elle se rend chez Lydia & Samuel qui ont hérité de la maison d’Agathe, et arrivent bientôt Djalil, qui a vécu trois ans avec elle, Suzanne, puis Nicolas. Ce sera l’occasion également de retrouver Laure, la fille d’Agathe, et de faire connaissance avec Zélie, la fille de Laure. Puis viendra le temps que chacun rentre chez soi. Au travers des brefs échanges, le lecteur comprend que Agathe était une femme très indépendante et libre, qu’elle a dû avoir de nombreux amants et conjoints, dont seulement quatre ont accepté son invitation. Elle a donc eu une fille sans jamais indiquer qui en est le père. Le lecteur adopte le point de vue de Louis, et se projette dans ses attentes. Il lui tarde de retrouver Agathe, ce qui ne se produira pas pour une raison incontournable. Il espère bien en apprendre plus sur cette femme et sur sa vie, au cours des échanges entre ses anciens amants qui vont ainsi l’évoquer, et… il en sera pour ses frais. La présence d’Agathe se fait sentir, toutefois l’objet du récit se trouve ailleurs. Voilà un récit très particulier dans son approche : le titre est explicite, l’argument initial semble annoncer l’importance d’une femme, son déroulement correspond bien à la Loire comme personnage principal, perçue au travers des protagonistes. La narration visuelle emmène le lecteur au bord du fleuve, avec des traits de contour fins et légers, complétés par une mise en couleur directe nuancée et observatrice. En fonction de son état d’esprit à tel ou tel moment du récit, le lecteur va être plutôt sensible à telle caractéristique qu’à telle autre. Ainsi lors de la promenade nocturne dans le plus simple appareil, son intérêt peut se porter sur la représentation du pont au-dessus de la Loire : la forme du tablier, des piles, le motif géométrique de l’entrecroisement des poutrelles, les courbes inattendues du garde-corps en contraste les angles droits des poutrelles. Plus loin, il ne demande qu’à participer lui aussi à la préparation du repas en terrasse de la maison, une scène banale : découper les tomates, préparer le melon utiliser le moulin à salade, aller chercher de la ciboulette dans un pot derrière a cabane, sortir la bouteille qui est au frais, etc. Il sent une pointe de tristesse s’enfoncer en lui quand Louis se tient sur une chaise dans une chambre d’hôpital au chevet de José que la maladie a empêché de venir. Le bédéaste a opté pour une direction d’acteurs naturaliste, calme et mesurée, sans dramatisation particulière. D’un côté, ce court séjour en bord de Loire peut paraître bien commun aux yeux du lecteur, s’interrogeant sur l’intérêt d’un séjour si peu touristique. De l’autre, il remarque la diversité de ce qui est représenté, la richesse de l’environnement. Il se fait la réflexion qu’il ne prend parfois conscience de cette multitude de petites choses que fortuitement. En page dix dans une petite case, un oiseau est dérangé par le passage nocturne de Louis. En page vingt-et-un, un bel oiseau prend son envol au-dessus de la surface de l’eau sur un magnifique camaïeu jaune en arrière-plan. En page trente, un renard se tient à l’abri des herbes en observant un point devant lui. En page quarante-six, un héron avance précautionneusement dans l’eau. De temps à autre, un vol d’oiseaux parcourt le ciel. L’auteur a dû effectuer un séjour conséquent dans cette région, et il est doué d’un sens de l’observation attentionné pour rendre ainsi compte des détails d’autant de facettes de cet environnement, pour pouvoir restituer autant de particularités, avec une telle justesse. Au point que l’ouvrage se conclut avec Louis indiquant qu’il voudrait penser comme un fleuve. La narration visuelle raconte donc les différents aspects des vies humaines, ainsi que de la faune et de la flore dans cette région. Rapidement, l’esprit du lecteur en vient à établir des connexions entre différents éléments, à effectuer des rapprochements, à en déduire des liens de causalités, à y voir des métaphores. Au travers des propos de Louis, il apparaît que sa relation avec Agathe est indissociable de ce lieu, au point que la présence de la Loire peut être ressentie comme une métaphore de celle d’Agathe. Si cette dernière est absente voire morte, qu’est-ce que cela signifie pour le regard que porte Louis sur la Loire ? Il prend l’envie irrépressible à Louis de se baigner nu dans le fleuve, de se défaire de tous ses vêtements : une autre métaphore ? Une façon de se débarrasser de sa façade sociale, entre le déguisement et le fardeau, pour se plonger dans l’élément liquide comme un retour à la naissance ? Lorsqu’elle se présente aux anciens amants, Laure se livre à une véritable profession de foi : elle sait d’où elle vient, elle vient d’ici, elle est d’ici. Elle rend explicite que l’environnement dans lequel elle a grandi et s’est développée l’a façonnée, qu’elle est un produit du terroir. Au cours du récit, il est également question de ne pas opposer ses émotions à sa raison, de ne pas vivre dans le passé, avec un constat conscient du temps qui passe, de la confiance à accorder aux jeunes. Au cours d’un repas, Suzanne raconte une anecdote sur un chevreuil blessé, que l’inconscient de Louis transforme en symbole pendant un rêve, voire en métaphore pour Agathe. Finalement sur le plan narratif, il se passe bien plus de choses qu’un simple séjour en bord de Loire. Un ouvrage en forme d’ode à la Loire ? Oui, l’auteur la représente avec plaisir, avec un sens de l’observation remarquable, avec des dessins faisant honneur aux ambiances lumineuses, au cours paisible, aux différentes composantes de son écosystème, aussi bien naturelles que la faune et la flore, aussi bien relevant des nombreuses manifestations de l’activité humaine. Un récit nonchalant et indolent, au rythme de l’écoulement quasiment insensible du fleuve ? Les enjeux et les réflexions du récit imprègnent doucement et discrètement le lecteur : le temps qui passe, les disparus et ce que la mémoire garde d’eux, les rencontres qui rapprochent, les souvenirs communs ténus et la distance qui sépare les existences, la pertinence des nouvelles générations, la fugacité de certaines choses (comme l’essor des voyages en avion). Une balade en mode détente, révélant ses saveurs et sa profondeur avec une infinie douceur.

17/07/2025 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série L'Empoisonneuse
L'Empoisonneuse

La société ne porte-t-elle au moins une part de responsabilité ? - Ce tome contient une histoire complète et indépendante de toute autre, s’appuyant sur une série de crimes réels. Son édition originale date de 2010. Il a été réalisé par Peer Meter pour le scénario, Barbara Yelin pour les dessins, et Paul Derouet pour la traduction à partir de l’allemand. Il comprend cent-quatre-vingt-dix pages de bande dessinée, en noir & blanc avec des nuances de gris. Il se termine avec une postface de quatre pages présentant les faits historiques, puis les rôles de Friedrich Leopold Voget (avocat de la meurtrière), le docteur Franz Friedrich Droste (sénateur et président du tribunal criminel), et le pasteur Heinrich Wilhelm Rotermund (pasteur et confesseur de la criminelle emprisonnée), puis le devenir des actes du procès, et une présentation de la pierre du crachat à Brême. Un train à vapeur progresse à bonne allure sur ses rails. Dans un des compartiments, une mère explique à sa fille : Sa dernière œuvre devait en fait s’intituler Le soc, pour bien montrer qu’il s’agit dans ce livre d’un retournement de la morale dominante. Et il continue d’y travailler, bien qu’il soit presque aveugle et ne dispose de personne pour le soigner. Lou répond qu’elle est très impatiente de lui être présentée à Rome. La mère continue : elles découvriront bien assez tôt son fameux professeur Nietzsche. En outre, Rome attendra car elles doivent d’abord régler d’importantes questions éditoriales à Hambourg. Sa famille s’extasie sur le fait que Hoffman & Campe publie les mémoires de sa mère. Lorsqu’elle pense à Heinrich Heine que sa mère a côtoyé presque chaque jour durant ses dernières années parisiennes et à… Lou est interrompue par le contrôleur qui vient de pénétrer dans leur wagon pour annoncer qu’ils n’atteindront pas Hambourg à l’heure dite. Il faudra plutôt compter avec un gros retard, car leur train doit être détourné par Brême : un accident a coupé la voie vers Hambourg. Un transport militaire a explosé ce matin. Quinze personnes y auraient laissé la vie, et dix-neuf souffriraient d’atroces blessures à l’hôpital de Hambourg. Lou remarque que sa mère est soudain très pâle et elle le lui fait observer. Une femme s’emporte contre le contrôleur car l’annonce lui a causé du désagrément ; il lui présente ses excuses. Lou suggère à sa mère qu’elle aille consulter un médecin lorsqu’elles seront à Hambourg. Sa mère explique que de même que l’arôme d’une madeleine trempée dans le thé peut soudain faire renaître toute une enfance, l’idée du contact imminent avec Brême a ranimé un monde profondément enfoui en elle. Il lui faut d’abord faire le tri. À son propre étonnement, ressurgissent devant elle des événements anciens, aussi frais que s’ils s’étaient produits voici deux mois, et non un demi-siècle. Elle explique qu’elle était à peine plus âgée que sa fille aujourd’hui, lorsque deux journées à Brême menacèrent l’espace d’un instant de bouleverser le cours de son existence. À la demande de sa fille, elle raconte toute l’histoire : c’était en avril de l’année 1831. Il n’y avait pas encore de trains permettant un voyage confortable, tout était pénible. Une couverture très austère. Un texte de quatrième de couverture qui indique que ce drame historique est basé sur une histoire vraie, celle de Gesche Margarethe Gottfried (1785-1831), surnommée L’ange de Brême. Le lecteur relève trois références littéraires et philosophiques dans le chapitre d’introduction à bord du train : Friedrich Nietzsche (1844-1900), Heinrich Heine (1797-1856) et la madeleine de Marcel Proust (1871-1922), évoquée dans Du côté de chez Swann (1913). Il constate au cours de sa lecture que le personnage principal, la journaliste chargée de réaliser un reportage sur la ville de Brême, n’est jamais nommée. Toutefois, la référence à Nietzsche, associée au prénom Lou qui se rend à Rome pour le rencontrer évoque Lou Andreas-Salomé (1861-1937) qui fut emmenée en Italie par sa mère Louise Wilm (1823-1913) pour des raisons de santé. Toutefois la narratrice est supposée avoir une vingtaine d’années au moment de l’exécution de la meurtrière en 1831, ce qui ne correspond pas avec sa date de naissance, ni avec le fait qu’elle aurait passé plusieurs années avec Heine. Cette dame est également l’amie de Bettina von Arnim (1785-1859) une femme de lettres et une nouvelliste romantique allemande. Au cours de la lecture, peu importe qu’il s’agisse bien de Louise Wilm ou pas, car cela n’a pas d’incidence sur le déroulement du récit. En revanche, les autres références historiques permettent de comprendre l’état d’esprit de l’autrice au cours de ses découvertes, ainsi que son jugement de valeur. L’illustration de couverture envoûte littéralement le lecteur : ce regard si intense et indéchiffrable, la masse noire et compacte du buste, la coiffe qui cache les cheveux. Il est prêt à juger cette femme sur son apparence. Il entame sa lecture : une illustration en pleine page, la locomotive qui avance dans une sorte de brouillard ou dans le froid, un véritable tableau impressionniste. La séquence introductive dans le train présente des dessins avec des traits de contour parfois un peu lâche, un usage appuyé des zones de gris pour apporter de la consistance à chaque forme détourée, un niveau de détails fluctuant, pour un registre oscillant entre réalisme descriptif et ressenti. Il se retrouve avec une impression partagée : d’un côté des dessins à l’ambiance prenante, de l’autre des représentations parfois un peu naïves car trop simplifiées en particulier pour les représentations de voirie. Oui, mais quand même… Quand même, la vue du port de Brême en page seize présente clairement la disposition des maisons le long du quai, la forme du quai, les bateaux, une petite activité sur les quais, les escaliers d’accès, c’est-à-dire une description consistante et cohérente de ce lieu. Ainsi à plusieurs reprises, le lecteur prend le temps de lire un dessin correspondant à une prise de vue complexe et détaillée : le déploiement de la passerelle pour permettre aux passagers de débarquer, l’ombre agréable sous les arcades, les façades des bâtiments autour de la grand-place, un tonneau roulé sur les pavés, une perspective de la chambre louée par Louise évoquant celle du tableau La Chambre de Van Gogh à Arles (1888), une toiture en tuiles, les poutres apparentes dans la salle d’une auberge, la magnifique promenade pour sortir de la ville, les colonnades du bâtiment abritant la prison, les caves attenantes à l’auberge, la scène de foule à l’occasion de l’exécution publique. D’ailleurs cette séquence d’exécution capitale met en lumière la qualité particulière de la narration visuelle. Très vite le choix des nuances de gris fait sens : l’écrivaine s’enfonce dans un monde assez sombre qu’elle ne soupçonnait pas, prenant tout d’abord conscience de la monstruosité du comportement meurtrier de la Gottfried, puis s’interrogeant sur ce qui a pu la conduire à empoisonner autant de personnes, dont beaucoup de sa famille la plus proche (jusqu’à ses propres enfants), s’inquiétant que ces affres trouvent un écho dans ses propres sensations de mal-être. De ce fait, l’attention du lecteur se détourne d’un mode représentatif réaliste, pour mieux apprécier le mode émotionnel. Il voit comment les cases font ressentir des sentiments et émotions complexes : le désarroi profond de Louise en apprenant que le train va stationner à Brême, la réserve prudente à chaque fois qu’elle s’adresse à un homme attestant d’une forme de bienséance sociale voulant que chaque femme se montre accommodante avec les hommes qui s’adressent à elle, le comportement très inapproprié du pasteur qui semble compenser une forme de manque de confiance vis-à-vis des femmes en se montrant agressif, l’étonnement sans borne de Louise quand on lui reproche son comportement qui était pour elle une réaction normale, l’attitude très officielle jusqu’à en être théâtrale du président du tribunal quand il prononce sa sentence sur l’échafaud. Et puis, l’attention du lecteur est parfois attirée par la longueur d’une séquence (par exemple l’exécution) ou par ce qui semblent être un décalage dans ce que montrent les images (par exemple ce charretier qui fouette son cheval avec libéralité) et le texte. Le titre de l’ouvrage promet de découvrir l’histoire de ces crimes d’une tueuse en série, ainsi que peut-être le procès afférent. Le lecteur se rend compte que le récit est entièrement raconté du point de vue de l’écrivaine qui vient réaliser un reportage sur la ville, et qui se trouve confrontée à plusieurs personnes qui souhaitent lui parler de l’exécution imminente et des crimes. Il découvre donc ces meurtres et l’empoisonneuse par personnes interposées, à l’exception d’extraits de compte-rendu d’interrogatoire qui rapportent la parole de Gesch Gottfried. Par ce mode indirect, les crimes sont bien racontés, ainsi que les interrogations des différents interlocuteurs sur la personnalité de l’empoisonneuse, sur ses motivations réelles, avec des points de vue contradictoires sur ces dernières, en fonction de la personne qui raconte. L’écrivaine sert donc de candide découvrant progressivement l’affaire, et de personnage dans lequel le lecteur peut se projeter, lui aussi étant un étranger dans cette ville inconnue. Au fil des pages, Louise en apprend plus sur les crimes, sur les victimes, sur le mode opératoire, sur ce qui les rend inacceptables dans cette société, cet endroit du monde, à cette époque. Dès le début, le lecteur constate la stature sociale très relative de l’écrivain : elle voyage seule, les aléas de voyage lui ayant conféré une véritable autonomie, tout étant soumise à l’autorité plus ou moins explicite des hommes, parfois simplement d’un point de vue économique d’autre fois social, un vrai patriarcat sous-jacent. Elle finit par se faire la remarque : Il est triste qu’ici aussi, une femme ne soit considérée que comme l’animal de compagnie d’un homme ! Elle constate que certains de ses interlocuteurs ont une idée bien arrêtée sur les motivations de l’empoisonneuse, pour répondre à la question : Quel motif peut-il bien conduire une femme à tuer ou à tourmenter autant de gens avec du poison ? Ainsi celui qui estime que : Une femme devrait rembourser la dette de la vie non par l’action mais par la souffrance, par les douleurs de l’enfantement et la soumission à l’homme, pour qui elle doit être une compagne patiente et agréable. L’avocat estime que : Le juge ne peut être remplacé par le médecin, et il regrette d’avoir dû plaider l’irresponsabilité, contre ses convictions morales. Or l’écrivaine sent que : Il était de retour ce vague à l’âme qui la prenait parfois. Elle ne se connaissait pas elle-même et elle voulait écrire sur les autres. Mais comment l’être humain peut-il se connaître ? Il n’est qu’une chose sombre et cachée. Tout naturellement elle ressent une forme d’empathie pour la femme Gesche Gottfried, sans pour autant cautionner ses meurtres, ce qui l’amène à s’interroger : La société ne porte-t-elle au moins une part de responsabilité ? Elle constate que plus les habitants l’entraînent dans leur affaire criminelle, plus l’échec d’une société devient évident. Ils ne pouvaient, en aucun cas, ne fusse qu’évoquer l’idée qu’ils avaient devant eux une femme dont l’âme et l’esprit étaient malades. C’eut été avouer que durant des années ils étaient restés indifférents aux pulsions meurtrières d’une femme malade. Ils n’avaient plus d’autre choix que voir en Gesche Gottfried une femme tuant froidement et par pur égoïsme, qui avait su, toutes ces années, tromper froidement son entourage. Et tout ce qui risquait d’abimer cette image était aussitôt étouffé dans l’œuf. Elle se souvient également d’une réflexion de Novalis (1772-1801) : il était convaincu d’un lien profond et mystérieux entre luxure, religion et cruauté. Elle conclut : Il semble à la lumière de tout ceci, qu’une autre présentation des faits soit possible. Que cette Gesche Gottfried n’est rien d’autre qu’un exemple, poussé jusqu’à la plus complète absurdité, d’une société agressive, sans scrupules, et atteinte dans son âme et son esprit. Le lecteur rapproche cette réflexion de la maltraitance du cheval par le commerçant, comme une métaphore. Et elle se demande si elle avait des points communs avec une femme qui s’était comportée de manière aussi extrême à l’égard de ses contemporains ? Se sentait-elle, elle aussi, dans ce monde dominé par les hommes, comme broyée par de gigantesques meules ? Et tandis que l’écrivaine essayait de supporter cette impuissance par l’écriture, Gottfried avait-elle sombré dans la folie ? Quel regard intense sur cette couverture ! Le récit d’une empoisonneuse à Brême ayant ainsi tué plus d’une quinzaine de personnes, au travers d’une enquête menée par une journaliste au début du dix-neuvième siècle. Une narration visuelle très grise jouant sur les sensations de malaise de la narratrice. Au fur et à mesure, un vrai polar qui sonde les mécanismes sous-jacents d’une société oppressive. Accablant.

15/07/2025 (modifier)
Par Martha
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Aggie
Aggie

Une modernité incroyable, des fringues aux décors, cette histoire de la petite américaine des années 50 ravira encore aujourd'hui toutes les gamines de 15 ans (l'âge de l’héroïne). Cela fût pour moi d'une influence extraordinaire pour ma féminité. Les histoires étaient marrantes et simples. Sa maladresse était charmante, et tous les repères de ces années là y étaient. Je le conseille à tous, même adultes, rien que pour les dessins très détaillés. Incroyable, superbe, moderne.

15/07/2025 (modifier)
Par Alison-31
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Numéro Invalide
Numéro Invalide

Numéro invalide est l’une de ces œuvres qui devrait être connues de tous. C’est un manga bien narré, avec des dessins percutants qui arrivent à nous faire ressentir toutes les émotions et l’enfer que la mangaka a vécus. La mangaka est très douée pour synthétiser et rendre accessible des informations médicales. C’est une œuvre difficile à lire par sa violence mais nécessaire. À recommander en masse.

11/07/2025 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Divine - Vie(s) de Sarah Bernhardt
Divine - Vie(s) de Sarah Bernhardt

Chacun de mes pas me rapproche de mon idéal ! - Ce tome constitue une biographie de Sarah Bernhardt (1844-1923). Son édition originale date de 2020. Il a été réalisé par Eddy Simon pour le scénario, et par Marie Avril pour les dessins et les couleurs. Il comprend cent-soixante-huit pages de bande dessinée. Il se termine avec une photographie de l’actrice, et un article de trois pages, intitulé Sarah Bernhardt chronologie, retraçant rapidement des moments emblématiques de la vie de l’actrice, agrémenté d’une petite photographie d’elle dans son rôle de Fedora. Ces auteurs ont également réalisé l’adaptation du roman de Saphia Azzedine : Confidences à Allah (2015). Acte I L’insoumise. En 1847, à la campagne, de part et d’autre d’une étroite rivière, son cousin incite Sarah à sauter par-dessus, en la houspillant, lui disant qu’il parie qu’elle n’osera jamais, parce qu’elle est une trouillarde de fille. De son côté, l’enfant se convainc elle-même qu’elle va y arriver, et elle finit par prendre son élan pour sauter. Un peu plus tard, Camille et Sarah se trouvent devant la mère du premier. Celle-ci exige qu’ils lui expliquent ce qui s’est passé. Sarah dit que c’est de la faute de son cousin si elle a les genoux écorchés et si ses habits sont sales, c’est Camille qui l’a provoquée. Sa tante la sermonne : Une jeune citadine ne doit pas se comporter comme une vulgaire campagnarde, ce n’est pas convenable ! Sarah rétorque vivement qu’elle recommencera quand même, si on la défie encore. Et elle fera toute sa vie ce qu’elle a envie de faire ! Quand même ! Le cinq janvier 1871, pendant le siège de Paris, Sarah Bernhardt travaille comme infirmière auprès des blessés. Alors qu’elle panse un soldat alité, une autre infirmière vient la chercher pour lui indiquer qu’un certain comte de Kératry qui se dit être le nouveau préfet de police demande à la voir. Pour sortir, elle traverse les différentes pièces du théâtre transformé en hôpital, tout en maugréant : Maudite engeance que la guerre… Une fois dehors, elle retrouve le préfet : Émile de Kératry. Celui-ci commente la cargaison de la charrette qui est en train d’être déchargée : Comme promis, même si cela ne s’est pas fait sans mal, voilà la livraison de vivres, vins, biscuits, café œufs… Sarah lui répond que cela devrait permettre de nourrir ses blessés pendant quelque temps, et elle demande les dernières nouvelles du front des horreurs. Il lui répond d’abord des banalités, puis à la demande de la jeune femme, il rentre dans le détail : En vérité la situation n’est guère brillante. Depuis la reddition de l’empereur, c’est la déroute : chaque jour, les troupes françaises battent en retraite et perdent du terrain sous la férocité des assauts de l’armée prussienne. Léon Gambetta et son gouvernement de défense nationale tentent bien d’organiser la résistance au nord de la Loire, mais la cause…. Semble bel et bien perdue ! Il conclut : Paris sera sans doute très bientôt une forteresse assiégée par les bataillons de Von Bismarck. Il suggère à Sarah de rejoindre sa famille en Normandie, personne ne l’en blâmera. Elle répond avec fougue : Jamais de la vie ! Dans l’inconscient collectif, Sarah Bernhardt est restée comme une actrice de légende, et pour ceux qui en ont déjà entendu parler, également comme une actrice ayant connu le succès aux États-Unis, ayant su faire fructifier son image, et étant enterrée au cimetière du Père-Lachaise. Les autrices font des choix dans leur approche biographique. De débuter par une courte scène de sa jeune enfance pour montrer un caractère bien trempé et une détermination en réaction à son cousin qui lui dit qu’elle est incapable de faire quelque chose : c’est sûr elle ne se laissera plus jamais dicter sa conduite, ou imposer des limites. Puis le récit passe de 1847 à 1871, en omettant une phase de la vie de Sarah, celle où la police des mœurs la classe parmi les dames galantes, où elle mène une vie de demi-mondaine entretenue par des clients généreux. Autre parti pris : évoquer plutôt sa vie privée que la pratique de son art, que ce soit son apprentissage ou ses performances. Pour autant, cette biographie montre comment cette dame mène sa vie, majoritairement sur le plan professionnel. En fonction de ses attentes, le lecteur peut se trouver quelque peu décontenancé par cette approche, surtout s’il venait pour une facette particulière telle sa vie mondaine, ou ses qualités d’actrice. D’un autre côté, il constate que le récit est d’une grande richesse, abordant de nombreuses facettes d’une vie particulièrement remplie, que ce soit en rencontres, en voyages, ou en entreprises professionnelles. Il n’y avait pas la place de tout mettre. Cette biographie est racontée du point de vue de l’intéressée, amenant ainsi le lecteur à prendre fait et cause pour elle, à pouvoir découvrir ses motivations, ses réactions émotionnelles, la conception et la réalisation de ses projets, ses convictions et comment elle les met en pratique. En effet, il s’agit d’une vie riche et dense. Bernhardt se dévoue comme infirmière pour les blessés du siège de Paris pendant la guerre franco-allemande de 1870. Elle ira jouer pour les poilus au parc de Commercy dans la Meuse le dix mai 1916. Elle se fera même emmener au plus près des tranchées alors que son nom figure sur la liste des otages que les Allemands veulent capturer. Elle fera plusieurs voyages, d’abord à Londres en 1878, puis à Louisville aux États-Unis, traversant les étendues sauvages en train. Là encore, le lecteur peut se trouver surpris que les autrices ne développent pas plus cette odyssée, tout en comprenant qu’il aurait fallu y consacrer un tome entier. Au cours de sa vie et de sa carrière, elle va rencontrer ou travailler avec de nombreuses personnalités : Léon Gambetta (1838-1882), Victor Hugo (1802-1885), Mounet -Sully (1841-1916, acteur de théâtre), Louise Abbema (1853-1927, peintre, graveuse, illustratrice, sculptrice), Oscar Wilde (1854-1900), Alfons Mucha (1861-1939), Edmond Rostand (1868-1918), sans même parler de ses amants ou d’autres auteurs de théâtre. L’illustration de couverture attire l’œil, mettant en avant le monde intérieur qui emplit l’esprit de cette créatrice. Puis le lecteur découvre celle en pleine page servant d’annonce de l’acte I, avec le titre L’insoumise. Il va ainsi admirer une douzaine, pour les trois actes, l’entracte, et des tableaux intermédiaires : L’insoumise, L’étoile, Memento Mori, L’indomptable, Barnum, L’aventurière, Fantasque, La muse, Je me quitte, L’impératrice, One of us. La dessinatrice reprend le principe des affiches pour une composition simple mettant en valeur l’actrice dans une situation exotique ou métaphorique, ce qui constitue un écho à la fois à ses rôles, à la fois à la phase de sa vie. Vient ensuite la première scène de narration séquentielle proprement dite : le lecteur découvre les traits de contours fins et fragiles, esquissant rapidement les formes, la représentation étant réalisée ensuite en couleur directe. Cela donne un ressenti assez complexe, entre simplicité des formes, évidence des situations, et nuances émotionnelles apportées par les couleurs. Le lecteur passe ainsi de l’insouciance teintée de l’intense gravité de l’enfance, à l’horreur des cadavres sur le champ de bataille enneigé, à des dialogues de personnages sur fond uni comme sur une scène sans décor. Les épisodes de la vie de Sarah Bernhardt se révèlent d’une grande richesse, au point que leur contenu en vient à éclipser le reste. Toutefois, s’il y prête attention, le lecteur voit que la dessinatrice met en œuvre de nombreuses techniques narratives variées, ce qui enrichit encore le récit. Quelques exemples : page neuf, une planche silencieuse, dans laquelle Sarah se regarde en passant dans un miroir, évoquant l’importance de son apparence pour son métier d’actrice. Page quatorze : le théâtre des opérations, la scène du théâtre se trouvant devant la scène de bataille. Les superbes paysages de montagne lors d’un voyage en train, une composition en double page de représentations théâtrales avec pour fond chaque livret faisant apparaître le titre et l’auteur, deux spectres semblant flotter autour de Sarah dans la rue par un temps brumeux pour évoquer l’incertitude de l’identité de son père, Sarah promenant son improbable ménagerie dans les rues de Londres, des coupures de presse retraçant les moments les plus improbables de sa première tournée aux États-Unis, un fac-similé d’affiche de Gismonda par Alfons Mucha, et quelques moments de représentations en particulier Bernhardt dans le costume de l’Aiglon pour la tirade de Flambeau. En fonction de sa familiarité avec la vie de l’actrice, le lecteur en découvre de belles. Il voit se dessiner le portrait d’une artiste ambitieuse. Il constate par l’intermédiaire de son succès et des louanges dressées par des personnalités de référence, que ses qualités d’actrice sont remarquables, voire exceptionnelles. Les autrices montrent un être humain animé par la passion du théâtre, veillant à rester indépendante, et maître de ses choix. En creux, apparaît sa capacité à faire sa promotion, par des décisions innovantes : le recours à la photographie, l’image choc comme dormir dans son cercueil, la présence d’esprit de s’attacher les services d’Alfons Mucha, et même l’apparition de produits dérivés, parfois initiés par elle, parfois par des profiteurs avec le sens du commerce. Elle apparaît comme une artiste faisant ses preuves dans des pièces de moindre importance, dans des classiques, puis dans des œuvres contemporaines, certaines engagées, implication qui se retrouve dans son soutien de Louise Michel (1830-1905) militante anarchiste, et du capitaine Alfred Dreyfus (1859-1935) accusé à tort d’être un espion au service de l’Empire allemand. Le point de vue narratif est intentionnellement partie prenante pour la Divine, sans regard critique : tout en étant conscient de ce choix, le lecteur éprouve une admiration pour une artiste aussi formidable dans son art, dans ses convictions, dans son énergie pour entreprendre, dans sa démesure. Quelle put bien être la vie de Sarah Bernhardt pour passer à la postérité ? Les autrices racontent une démarche artistique incroyable, une existence débordant de succès et de prises de risque, une vie personnelle tout aussi riche. La narration visuelle rend compte de cette diversité avec une élégance légère et pleine d’émotions. Les pages se tournent toutes seules, et le lecteur termine l’ouvrage surpris par la densité de ce qu’il a vécu. Tourbillonnant.

05/07/2025 (modifier)
Par Gotham007
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série RASL
RASL

Peut-on exister après avoir réalisé un chef d’œuvre du niveau de Bone? Jeff Smith a démontré il y a plus de 10 ans désormais que c’était tout à fait possible. RASL est un ovni incroyablement dense qui réussit à faire peur, à émouvoir, à faire rire, etc. Mais pourquoi, pourquoi Jeff ne produit il plus rien ou presque depuis tout ce temps… Quelle tristesse. Ce type est un génie du 9eme art.

03/07/2025 (modifier)