Rhaaaaa ! Allez ! Je lui mets un coup de cœur ! Difficile de faire autrement, eu égard à mes souvenirs de gosse.
J'avais quatre ans, donc bien trop jeune à la sortie du premier volet de la saga Star Wars. En revanche, je me souviens parfaitement du choc qu'a été la découverte des premières images de L'Empire contre attaque. A l'époque, mes parents possédaient une télévision en noir et blanc, et malgré cela, l'extrait diffusé pendant la Séquence du spectateur a eu sur moi un tel impact que j'ai tanné mon père, d'abord réticent, pour qu'il m'emmène voir le film au cinéma, ce qu'il a finalement consenti à faire. L'extrait en question se déroulait pendant l'attaque de l'armée impériale sur Hoth, donc dans la neige. Mais (et c'est le fait du noir et blanc) j'étais alors persuadé que la scène avait lieu dans un désert de sable. Or quelle ne fut pas ma surprise de découvrir sous mes yeux ébahis la réalité soudain colorisée ! Je me souviens également avoir prolongé l'envoutement pendant des mois, recréant sans cesse les vaisseaux avec mes legos.
Bref ! Tout cela pour dire que j'ai abordé cette BD avec un intérêt tout particulier. Comme Lucas lui-même, je recherchais sans doute en partie la magie de mon enfance. Gagné !
Les guerres de Lucas, ça a d'abord été cette belle couverture, très poétique, que les auteurs ont eu raison de préférer à celle envisagée au départ. Tout cela est très bien expliqué dans le petit portofolio final. Bien que nourrissant quelques réserves au sujet du dessin, que je trouvais un peu trop anguleux à mon goût, j'ai fini par me rendre à l'évidence : il est très maîtrisé, surtout en ce qui concerne les visages et expressions. On reconnait immédiatement chacun des protagonistes. George Lucas lui-même, mais également Harrison Ford, Carrie Fisher, Mark Hamill, Coppola, Spielberg ou bien encore Alec Guinness. En outre, tout cela est très dynamique, ce qui fait que rapidement, on se trouve complètement embarqué dans "l'aventure de l'aventure".
Je ne vais pas dévoiler tout ce que l'on y apprend, mais juste à titre d'exemple, je me contenterai de cette petite anecdote : le sachiez-tu ? C'est Christopher Walken qui avait initialement été pressenti pour incarner Ian Solo, et ce dernier devait donner la réplique à Jodie Foster dans le rôle de la princesse Leia ! Inimaginable !
Extrêmement documentée (il faut voir la double page consacrée à la bibliographie pour le croire), cette BD montre l'obstination d'un homme visionnaire d'une créativité folle (aux traits neuro-atypiques probables), et les mégatonnes d'obstacles qu'il a dû affronter jusqu'au bout, c'est à dire jusqu'à la veille de la sortie en salle. La réalisation du film a nécessité des innovations techniques démentes, ainsi qu'une bonne dose de bricolage et d'improvisation. D'où ce titre, parfaitement adapté. On découvre que ce film a bien failli ne jamais voir le jour, qu'il s'en est fallu d'un cheveu pour que tout s'effondre. Au sein même de l'équipe constituée par Lucas, personne n'y croyait réellement, au point que beaucoup méprisaient le réalisateur, ne lui accordant aucun crédit, défiant constamment son autorité.
Voilà ! Voilà le menu de cette copieuse BD qui s'adresse peut-être avant tout aux fans de la première heure, mais qu'il serait dommage de cantonner à cela. Franchement, c'est un petit morceau de cinoche qui est dévoilé ici. On pense ce que l'on veut de cette saga (les trois premiers, hein ? Parce qu'on oublie les autres, on est bien d'accord ?), mais qu'on le veuille ou non, son empreinte a définitivement changé le visage du cinéma, et notamment de science-fiction. Demandez à Ridley Scott ou James Cameron ce qu'ils en pensent, eux qui ont eu la révélation de leur vie, ou même à Spielberg, l'une des rares personnes a avoir soutenu inconditionnellement Lucas, Spielberg qui a d'ailleurs fait une mini dépression lors de la sortie de Star Wars, au point que par crainte d'un échec commercial, il a choisi de décaler la date de sortie de son Rencontre du 3e type...
Merci à nos deux auteurs pour ce très bon scénar, et ce dessin épatant qui, sans en mettre plein la poire, emporte l'adhésion du lecteur. Le charme opère d'abord et avant tout parce que tout est solide. To be continued ?...
C’est un album très intéressant, qui reprend de façon chronologique la façon dont la France s’est construite depuis deux siècles, comment les immigrés/étrangers se sont insérés, ont été attirés/refoulés, les préjugés qui se sont construits autour d’eux, etc.
C’est assez influencé par les écrits de Gérard Noiriel (dont plusieurs ouvrages sont cités dans la bibliographie de fin de volume), documenté et précis, sans pour autant être barbant (le dessin de Vassant, simple et efficace, y étant pour beaucoup).
La constante de certains préjugés, qui s’appliquent pourtant au fil des décennies, à des populations très diverses (des migrants de « l’intérieur » aux différentes vagues migratoires européennes ou des anciennes colonies) est flagrante. Comme l’est l’utilisation par des politiques (d’extrême droite, mais pas que) de la « menace migratoire » pour masquer une absence de programme économique, ou pour ne pas parler des inégalités sociales.
Et l’empilement des lois sur le sujet (une autre est à l’heure actuelle en préparation et remplit les médias, au détriment de plus réelles préoccupations) peut laisser pantois.
C’est en tout cas une lecture qui donne des clés pour comprendre ce que pourrait être une vision sereine et positive de ce brassage d’individus, qui tous apportent leur pierre à l’édifice commun. En cela l’effacement cynique du rôle des colonisés et autres « étrangers » dans la Libération du territoire durant la seconde guerre mondiale, l’occultation des méfaits de la colonisation, du rôle des « immigrés » dans le fonctionnement de l’économie nationale (rappelons-nous les « premières lignes durant le confinement qui, comme certaines premières lignes de la premières guerre mondiale, étaient constituées de beaucoup de personnes qui n’étaient pas françaises de souche, ou ne l’étaient pas du tout, mais qui ont pourtant permis au pays de « s’en sortir ») sont pour beaucoup dans la façon biaisée de regarder le sujet.
Bref, une lecture fortement recommandable !
Lorenzo de Felici que j'avais découvert avec la série de SF Oblivion song (scénarisée par Robert Kirkman !) m'avait déjà fait une très bonne impression. Son imagination débordante pour dessiner une faune et une flore extravagante m'avait déjà marqué, là, il réitère la performance en se la jouant en solo, puisqu'il signe avec "Kroma" aussi bien le dessin, le scénario et la COULEUR.
Car avec "Kroma", tout est ramené à cette dernière. Le monde que nous connaissons a sombré depuis belle lurette, et les rares survivants humains se sont rassemblés dans la Cité Pâle. Comme son nom l'indique, dans cette dernière, point de couleurs, tout n'y est que noir, blanc ou nuances de gris, et ce du moindre mur, bâtiment, ruelle, objet et même habitant. La couleur est source maléfique, et c'est en la faisant "disparaitre" que ces survivants éloignent les terribles lézards géants qui parcourent le monde maintenant... La petite cité vit au rythme de nouvelles croyances et de rituels ; Kroma est au centre de l'un d'eux. Depuis des années, elle est retenue prisonnière dans une tour dans l'obscurité la plus totale ; elle incarne le mal absolu, responsable de la situation actuelle. Toutes les 10 lunes, elle est livrée à la populace qui se sert d'elle comme exutoire. Mais le jeune Zet, va finir par voir en elle un être humain tout comme lui, malgré la coloration singulière de ses yeux. C'est tout les deux qu'il vont tenter de s'enfuir et se retrouver confrontés au monde extérieur, ses couleurs et ses terribles créatures...
J'ai vraiment adoré cet album ! La narration et le rythme sont prenants, on se fait happer par cette histoire construite autour de la couleur ; c'est beau, fort, captivant, pas de temps morts ni de fausse note ! Voilà un one shot qui vaut vraiment le détour et qui sait saisir son lecteur dès les premières pages pour ne pas le lâcher avant la fin.
ps : Mention spéciale à la couverture que je trouve magnifique !
Après l'énorme succès de Okko, Hub était forcément attendu sur sa prochaine série, et c'est donc avec "Le Serpent et la Lance" qu'il nous revient, s'attaquant cette fois-ci à la culture précolombienne sous l'angle du thriller.
Fan de la culture et mythologie japonaise, j'avais dévoré Okko ; s'attaquer à l'une des autres cultures dans laquelle j'ai plongé enfant (ahhhh "Les mystérieuses Cités d'Or" !!!) ne pouvait donc que me réjouir, et l'ami Hub s'est également lâché en nous proposant un premier tome conséquent de plus de 180 pages. Alors oui l’atterrissage est un peu aride, avec ces noms de personnages, ce vocabulaire propre à vous arracher la langue et ce mode de vie précolombien que nous connaissons mal. Mais en s'accrochant et en jouant le jeu on se laisse vite prendre par cette intrigue et les personnages principaux qui prennent le pas rapidement sur cette première impression de chaos organisé dont nous n'aurions pas les clés.
Ce qui rassure déjà quand on a plongé dans Okko, c'est de retrouver ce dessin et cette colorisation maîtrisée qui imposent une marque de fabrique. Hub a un trait racé, sublimé par la colorisation de sa compagne Li : ça en jette vraiment ! Il joue sur les ambiances, s'appuie sur la colorisation pour affirmer sa narration et bien séquencer les différentes époques qu'il utilise pour construire son récit. Pour en avoir discuté avec lui à Angoulême lors de l'interview que vous retrouvez ici, la première édition souffre quand même d'un problème de calibrage des couleurs pour les scènes d'intérieur, ce qui devrait être corrigé si réimpression il y a. Mais sorti de ce problème colorimétrique qui entache quelques scènes d'intérieur, le reste est assez éblouissant !
Concernant le récit, Hub a fait le choix de prendre le temps d'installer son univers et ses personnages pour que le lecteur prenne ses aises avec l'univers proposé et l'intrigue qu'il développe. Un de ses personnages principaux n'arrive d'ailleurs pas en scène avant la 50e page ! Passées les premières surprises des noms et du vocabulaire, on découvre insidieusement le nœud de l'histoire. Des corps de jeune filles assassinées et momifiés sont retrouvés de plus en plus fréquemment autour et de plus en plus près de la cité lacustre de Tenochtitlan. Les autorités tentent d'étouffer l'affaire afin d'éviter un désordre social, mais une enquête va être discrètement confiée à Serpent, un haut fonctionnaire redoutable ; un ponte religieux va également confier l'enquête parallèle à son vieil ami Oeil-Lance, car les meurtres perpétrés renvoient à des rites proches de leur culte... Sachant que les deux enquêteurs se connaissent depuis l'enfance et ne peuvent pas se voir en peinture, leurs recherches respectives deviennent une course contre la montre pour être le premier à mener à bien son instruction.
C'est bien mené, prenant, les personnages sont bons, même les secondaires, comme c'est souvent le cas avec Hub, et ces 180 pages se lisent d'une traite une fois les quelques difficultés introductives passées. Son sens du détail, que ce soit pour les costumes, les mœurs ou les décors, finissent de nous combler et de nous proposer un univers toujours aussi riche et crédible. L'immersion est totale !
Alors maintenant... Et bien, vivement la suite !!!
*** Tome 2 ***
Ah quel bonheur que de replonger dans cet univers si riche et original sous le trait de la plume de Hub !
Après une première mise en bouche des plus alléchante, Hub continue de nous embarquer dans son récit macabre et tortueux pour notre plus grand plaisir ! L'intrigue suis son cours en mode ping pong entre la jeunesse et le quotidien de nos protagonistes qui semblent intimement liés en jouant intelligemment avec les flashbacks. Oeil-Lance se débat frénétiquement avec son passé en tentant des expériences "originales" pour recouvrer la mémoire, et les bribes qu'il parvient à arracher tant bien que mal lui permettent petit à petit de reconstituer un puzzle complexe qui semble bien en lien avec les meurtres du moment... Je note la petite touche d'humour récurrente que glisse Hub par le biais de la grand-mère d'Oeil-Lance avec ses onomatopées sous forme de "hiéroglyphes" aztèques qui m'auront bien fait marrer.
Côté dessin, c'est toujours aussi réjouissant et on en prend toujours plein les yeux. Le trait est toujours aussi fin et méticuleux jusque dans le moindre détail et on sent que le problème de couleurs trop sombres sur certaines planches du premier tome a été corrigé. Ce second tome est aussi plus court, Hub ayant opté pour un découpage des tomes suivants en deux afin d'assurer un rythme de parution plus rapproché, ce que le lecteur accroc appréciera :)
Il ne nous reste plus qu'à ronger notre frein et attendre la suite de ce thriller étonnant et d'une richesse folle sur tous les plans !
*** Tome 3 ***
Et c'est reparti ! Ce troisième tome de plus de cent pages s'avale cul sec, comme une bonne vieille téquila frappée ! Ça arrache, mais on en redemande !!!
Cozalt, Serpent et Oeil-Lance, les trois amis d'enfance liés par cette affaire font et défont les liens qui les lient pour assurer leurs intérêts tout en essayant de résoudre cette macabre série de meurtres. Comme dans les tomes précédents, le passé livre au compte goutte ses secrets et révélations pour s’immiscer dans le présent de nos protagonistes ; le lecteur est happé, tant par la force de l'intrigue que sa construction, le tout confortablement appuyé par le dessin toujours aussi remarquable de Hub. La résolution de l'enquête approche, mais... les fausses pistes ont la peau dure...
Il ne nous reste plus qu'à prendre notre mal en patience et attendre la suite pour replonger avec bonheur dans cette série toujours aussi bluffante pour le moment !
J'aime beaucoup cette BD, son projet.
A l'heure où l'on publie un nouveau et sacrilège Gaston Lagaffe, il est beau de constater combien il était possible de concilier hommage à Franquin et projet personnel enthousiasmant. Nulle idée mercantile ici de refaire le Marsupilami, simplement le souhait de se saisir de ce personnage merveilleux pour proposer tout-à-fait autre chose : rendre un hommage inattendu à la ville de Bruxelles, évoquer une sombre époque, donner une vision mélancolique du récit d'aventure.
Le ton est très sombre, et pourtant l'humanisme est sans cesse là. Le Marsupilami est sauvage, exploité par l'homme, mais malgré tout facétieux. L'après-guerre est noir, le lynchage des collabos encore bien ancré, la thématique contemporaine du harcèlement habilement travaillée.
Et puis il y a ce dessin de Franck Pé, une indéniable réussite !
L'aventure se clôt après deux jolis tomes très agréables à lire. L'histoire n'est pas des plus originales, mais l'univers décrit, le ton employé, les illustrations et donc le projet global, sont inattaquables. Une tendre et révérencieuse réussite.
Le récit d'un séjour d'un an au Japon qui présente 2 grosses originalités.
La première est que l'héroïne et alter-ego de l'autrice est américano-japonaise : née au Japon, elle est partie vivre aux USA quand elle était enfant et, après une adaptation un peu compliquée, elle a fini par s'intégrer à la vie américaine et donc à s'éloigner de ses origines japonaises, au point de ne plus bien savoir parler japonais. Ce séjour à Tokyo est donc d'une part un retour aux sources mais aussi une confrontation avec sa nature ni totalement américaine ni totalement japonaise... celle-ci étant mise à rude épreuve dans ce pays où les étrangers sont très vite repérés et aussitôt catalogués comme des gaijin, des intrus à leur culture.
La seconde originalité est que dans la colocation qu'elle va rejoindre, la fameuse Himawari House, elle va cohabiter avec 4 autres jeunes : 2 garçons japonais aux caractères très différents mais aussi et surtout une coréenne et une singapourienne. Ensemble, elles vont pouvoir comparer leurs parcours, leurs raisons de se retrouver au Japon, et aussi confronter leurs différentes cultures asiatiques avec leurs similarités et leurs différences parfois marquantes. Et pour un lecteur occidental, j'ai trouvé ça très intéressant de découvrir ces différences dans des cultures que l'on ne connait que de trop loin.
Le graphisme est simple mais appréciable. Il a une petite touche manga qui s'adapte bien à son cadre, et les personnages sont bien reconnaissables malgré l'utilisation récurrente de déformations de visage pour exprimer certaines de leurs émotions.
Il y a forcément un aspect rappelant celui de l'Auberge Espagnole dans cette histoire puisqu'on y suit là aussi une année à l'étranger au sein d'un groupe de jeunes de multiples nationalités. Et comme dans le film de Klapisch, on va vite s'attacher à chacun des protagonistes et prendre plaisir à suivre leurs parcours, leurs interactions, leurs romances et les petites aventures du quotidien qu'ils vont vivre ensemble.
Je n'ai pas toujours été totalement emporté par leur histoire mais j'ai été régulièrement intéressé par ce que j'y découvrais de l'état d'esprit japonais, des différences culturelles asiatiques et de la vie en communauté de ce petit groupe de jeunes. J'ai senti une petite nostalgie en refermant l'album, signe que le récit a su me toucher même si ce fut moins que pour d'autres lectures similaires (je pense par exemple à De mal en pis qui m'avait encore plus attaché à ses héros et à leur quotidien).
Il s'agit d'un tout petit livre un peu gadget, mais franchement, comment ne pas craquer pour ces dessins d'une finesse incroyable ?
La collection de monstres illustrés par Mortensen révèle un imaginaire empreint du folklore nordique. Sur ces petits post-its s'animent des trolls aux facies damnés, aux rictus infernaux, bien plus terrifiants encore que les Alien, Predator et compagnie ; des esprits tantôt maléfiques, tantôt féériques. Il y a là de quoi filer des cauchemars aux plus petits. Les humains, des enfants la plupart du temps, côtoient ces créatures proprement effrayantes que l'on sent parfois animées de très mauvaises intentions. Elles sont fourbes, certaines fois dociles, plus rarement peureuses. Malgré tout, ces œuvres très abouties expriment un humour noir subtil. Les mises en situation sont également habiles, concentrant tout un univers sur ces tout-petits bouts de papier. Les scènes sont saisies juste avant l'instant fatal ! L'imagination prend le relais, ce qui rend la scène plus sadique encore.
Bref ! C'est dispensable, mais c'est diablement génial.
Le trait de Bonneau m'avait déjà enthousiasmé dans l'excellent roman graphique L'Étreinte, dans le beau mais moins abouti Le Regard d'un père. J'étais donc réceptif à ce style particulier et prêt à accueillir la tornade émotionnelle en marche, si tant est que l'on puisse être prêt à cela.
"Ceux qui me touchent" vibre d'une force brute et viscérale. Damien Marie offre un puzzle parfait à Laurent Bonneau : on suit la trajectoire d'un homme désenchanté mais non résigné, son couple certes heureux mais surtout fatigué par le travail quotidien, une fille adorée offrant une échappatoire dans l'imaginaire, et puis la nostalgie d'une jeunesse où des envies d'Art et d'absolu conviaient encore tous les possibles. Nous sommes en présence de perdants magnifiques : des femmes et des hommes broyés par un système imposant ses cadences, ses horaires infernaux, sa froideur capitaliste, sa négation du sens et de l'éthique. Ici, nulle révolte sociale et collective (grèves, manifs traditionnelles, mouvement des gilets jaunes...) comme nous le présentait Tristan Egolf dans le roman "Le Seigneur des porcheries", immanquablement à l'esprit lorsqu'il est question d'abattoirs porcins. Non, ici on épouse une trajectoire individuelle, une fuite irréfléchie capable de tout envoyer en l'air (travail, couple et niveau social) pour s'offrir une respiration désespérée, profondément humaine, artistique. S'invitent alors nos souvenirs d'un des beaux romans graphiques de l'année passée, La Dernière Reine de Rochette : les thématiques dialoguent, se répondent (rapport au monde, à la nature, à l'Art brut, dichotomie Paris/Province, quête d'absolu, l'amour magnifié).
Les illustrations de Bonneau acceptent de se présenter comme quasi-inachevées ; nul repassage à l'encre ici pour en gommer les traits de construction, elles s'offrent par touche à la manière des peintres impressionnistes, non pour en dévoiler la lumière et les couleurs mais pour ne pas en effacer le geste artistique, l'hésitation devant la feuille. Elles demeurent une perpétuelle esquisse, des fragments de vie. Cela leur confère une puissance magnifique renfermant de l'ellipse et une polysémie de sens, susceptibles d'abriter nos souvenirs de lecture et plus encore notre intime dont les thématiques aisément partagées facilitent l'identification (ici nos rêves d'enfant, nos actes manqués, les difficultés au sein de nos couples, la quête de sens au travail, la (ma)paternité, nos colères...)
On touche parfois au sublime !
Une anthologie qui ne fera pas l'unanimité !
Edward Gorey est un auteur majeur de la BD étasunienne.
J'ai découvert cet auteur par hasard en 2019 (même si j'avais déjà entendu son nom), j'avais loué un Airbnb à Strasbourg pour le marché de Noël et sur une étagère trônait un exemplaire de "L'enfant Guigne".
Edward Gorey est un homme singulier, je vous laisse le découvrir sur le net. Mais sachez qu'il avait deux passions : le cinéma muet et le ballet. Sachez aussi qu'il n'étudia que 6 mois au Chicago Art Institute, préférant suivre des études de littérature française à l'université d'Harvard. Et sachez enfin qu'il disait de sa vie sexuelle qu'elle était si végétative, si calme, qu'il ne pouvait même pas en définir l'orientation. Voilà, pour cerner le personnage, si tant est qu'il puisse être possible de le faire.
Cette anthologie commence par une présentation de l'auteur et sera suivie par cinq récits, ils sont proposés par ordre chronologique de parution.
Une narration sans phylactères et une image par planche avec juste une ou deux lignes en bas de page.
Ce qui saute aux yeux dès qu'on ouvre le livre, c'est la partie graphique. Un dessin minutieux, austère fait de hachures, qui apporte cette ambiance surréaliste et glauque aux cinq recueils. J'adore.
- L'enfant guigne (1961)
L'adaptation du roman jeunesse 'Princesse Sara' de Frances H. Burnett. L'histoire d'une jeune et riche écolière qui va voir sa vie basculer à la mort de son père. A la différence du roman, le récit ne se termine pas en happy end, bien au contraire, elle a vraiment la guigne. Émouvant et d'une noirceur extrême.
4,5 étoiles.
- Les enfants fichus (1963)
Un abécédaire glauque de morts d'enfants, un par page. Dérangeant.
4 étoiles.
- L'aile ouest (1963)
30 planches muettes. On entre dans un manoir et le jeu de piste commence. Les indices sont dissimulés, on voit défiler les suspects et on devient enquêteur, mais sera-t-on trouver le coupable ?
4 étoiles.
- Total Zoo (1967)
Une galerie humoristique de 26 animaux fantastiques, le tout en faisant rimer les deux vers.
Un dessin plus épuré, les décors sont absents.
3 étoiles.
- Le couple détestable (1977)
Un récit tiré d'une histoire vraie (meurtres de la lande), celle d'un couple, à Manchester en Angleterre, qui kidnappe des enfants (viol, torture et meurtre) entre 1963 et 1965. Une réécriture sordide et glaçante de ce fait divers, de la naissance à la mort de ces deux monstres.
Un dessin plus travaillé, il faut bien prendre son temps pour en apprécier tous les détails.
4,5 étoiles.
En conclusion, une anthologie macabre où les enfants ne sont pas épargnés (ils sont 31 à mourir), teinté de surréalisme, satirique et d'un humour noir qui oscille entre horreur et rêverie tout en pointant l'incongruité de la vie, l'absurdité de la mort et la beauté du bizarre.
Une note globale un peu généreuse, mais pour les choix narratifs, l'inventivité et le plaisir procuré, je ne pouvais pas faire entrer Edward Gorey sur bdtheque par une plus petite porte.
Culte et coup de cœur !
3.5
La scénariste raconte son adolescence dans les années 90 où on était dans un monde d'avant Me Too où on parait moins de violences sexuelles ou de question du consentement.
Il y a des passages assez glauques dont il ne faut pas avoir le cœur fragile lorsqu'on lit cette BD ! J'ai bien aimé comment la scénariste présente la France des années 90 et les anecdotes sont intéressantes même si j'avais un peu l'impression qu'elle généralisait à partir de son vécu. Je doute que tous les ados de cette période buvait, fumait et avait du sexe tout le temps. Bon il faut dire que comme je ne suis jamais allé dans des fêtes (je préférais rester chez moi glander ou lire des livres), c'est un univers inconnu pour moi alors je ne peux pas vraiment comparer mon adolescence avec ceux qui étaient plus extravertis.
Il y a des réflexions intéressantes dans cet album même si je ne suis pas toujours d'accord avec les conclusions. Selon la scénariste, tous les violeurs sont des hommes donc j'imagine que toutes les histoires d'enseignante qui couche avec des élèves mineurs sont des inventions ou c'est de l'amour libre ou un truc du genre. Le livre ne tombe pas dans le piège du 'tous les hommes sont méchants et les femmes des victimes innocentes' même si plusieurs males sont montrés comme des cons. La scénariste raconte les expériences positives qu'elle a eu avec certains petits copains et dans un des passages les plus effrayant de l'album, une fille va délibérément faire en sorte que la scénariste va se faire agresser lors d'une fête d'ado.
Sinon, la dessinatrice fait un bon travail et la mise en page est bien faite. Un album choque à lire si on s'intéresse au sujet.
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Les Guerres de Lucas
Rhaaaaa ! Allez ! Je lui mets un coup de cœur ! Difficile de faire autrement, eu égard à mes souvenirs de gosse. J'avais quatre ans, donc bien trop jeune à la sortie du premier volet de la saga Star Wars. En revanche, je me souviens parfaitement du choc qu'a été la découverte des premières images de L'Empire contre attaque. A l'époque, mes parents possédaient une télévision en noir et blanc, et malgré cela, l'extrait diffusé pendant la Séquence du spectateur a eu sur moi un tel impact que j'ai tanné mon père, d'abord réticent, pour qu'il m'emmène voir le film au cinéma, ce qu'il a finalement consenti à faire. L'extrait en question se déroulait pendant l'attaque de l'armée impériale sur Hoth, donc dans la neige. Mais (et c'est le fait du noir et blanc) j'étais alors persuadé que la scène avait lieu dans un désert de sable. Or quelle ne fut pas ma surprise de découvrir sous mes yeux ébahis la réalité soudain colorisée ! Je me souviens également avoir prolongé l'envoutement pendant des mois, recréant sans cesse les vaisseaux avec mes legos. Bref ! Tout cela pour dire que j'ai abordé cette BD avec un intérêt tout particulier. Comme Lucas lui-même, je recherchais sans doute en partie la magie de mon enfance. Gagné ! Les guerres de Lucas, ça a d'abord été cette belle couverture, très poétique, que les auteurs ont eu raison de préférer à celle envisagée au départ. Tout cela est très bien expliqué dans le petit portofolio final. Bien que nourrissant quelques réserves au sujet du dessin, que je trouvais un peu trop anguleux à mon goût, j'ai fini par me rendre à l'évidence : il est très maîtrisé, surtout en ce qui concerne les visages et expressions. On reconnait immédiatement chacun des protagonistes. George Lucas lui-même, mais également Harrison Ford, Carrie Fisher, Mark Hamill, Coppola, Spielberg ou bien encore Alec Guinness. En outre, tout cela est très dynamique, ce qui fait que rapidement, on se trouve complètement embarqué dans "l'aventure de l'aventure". Je ne vais pas dévoiler tout ce que l'on y apprend, mais juste à titre d'exemple, je me contenterai de cette petite anecdote : le sachiez-tu ? C'est Christopher Walken qui avait initialement été pressenti pour incarner Ian Solo, et ce dernier devait donner la réplique à Jodie Foster dans le rôle de la princesse Leia ! Inimaginable ! Extrêmement documentée (il faut voir la double page consacrée à la bibliographie pour le croire), cette BD montre l'obstination d'un homme visionnaire d'une créativité folle (aux traits neuro-atypiques probables), et les mégatonnes d'obstacles qu'il a dû affronter jusqu'au bout, c'est à dire jusqu'à la veille de la sortie en salle. La réalisation du film a nécessité des innovations techniques démentes, ainsi qu'une bonne dose de bricolage et d'improvisation. D'où ce titre, parfaitement adapté. On découvre que ce film a bien failli ne jamais voir le jour, qu'il s'en est fallu d'un cheveu pour que tout s'effondre. Au sein même de l'équipe constituée par Lucas, personne n'y croyait réellement, au point que beaucoup méprisaient le réalisateur, ne lui accordant aucun crédit, défiant constamment son autorité. Voilà ! Voilà le menu de cette copieuse BD qui s'adresse peut-être avant tout aux fans de la première heure, mais qu'il serait dommage de cantonner à cela. Franchement, c'est un petit morceau de cinoche qui est dévoilé ici. On pense ce que l'on veut de cette saga (les trois premiers, hein ? Parce qu'on oublie les autres, on est bien d'accord ?), mais qu'on le veuille ou non, son empreinte a définitivement changé le visage du cinéma, et notamment de science-fiction. Demandez à Ridley Scott ou James Cameron ce qu'ils en pensent, eux qui ont eu la révélation de leur vie, ou même à Spielberg, l'une des rares personnes a avoir soutenu inconditionnellement Lucas, Spielberg qui a d'ailleurs fait une mini dépression lors de la sortie de Star Wars, au point que par crainte d'un échec commercial, il a choisi de décaler la date de sortie de son Rencontre du 3e type... Merci à nos deux auteurs pour ce très bon scénar, et ce dessin épatant qui, sans en mettre plein la poire, emporte l'adhésion du lecteur. Le charme opère d'abord et avant tout parce que tout est solide. To be continued ?...
La Fabrique des Français - Histoire d’un peuple et d’une nation de 1870 à nos jours
C’est un album très intéressant, qui reprend de façon chronologique la façon dont la France s’est construite depuis deux siècles, comment les immigrés/étrangers se sont insérés, ont été attirés/refoulés, les préjugés qui se sont construits autour d’eux, etc. C’est assez influencé par les écrits de Gérard Noiriel (dont plusieurs ouvrages sont cités dans la bibliographie de fin de volume), documenté et précis, sans pour autant être barbant (le dessin de Vassant, simple et efficace, y étant pour beaucoup). La constante de certains préjugés, qui s’appliquent pourtant au fil des décennies, à des populations très diverses (des migrants de « l’intérieur » aux différentes vagues migratoires européennes ou des anciennes colonies) est flagrante. Comme l’est l’utilisation par des politiques (d’extrême droite, mais pas que) de la « menace migratoire » pour masquer une absence de programme économique, ou pour ne pas parler des inégalités sociales. Et l’empilement des lois sur le sujet (une autre est à l’heure actuelle en préparation et remplit les médias, au détriment de plus réelles préoccupations) peut laisser pantois. C’est en tout cas une lecture qui donne des clés pour comprendre ce que pourrait être une vision sereine et positive de ce brassage d’individus, qui tous apportent leur pierre à l’édifice commun. En cela l’effacement cynique du rôle des colonisés et autres « étrangers » dans la Libération du territoire durant la seconde guerre mondiale, l’occultation des méfaits de la colonisation, du rôle des « immigrés » dans le fonctionnement de l’économie nationale (rappelons-nous les « premières lignes durant le confinement qui, comme certaines premières lignes de la premières guerre mondiale, étaient constituées de beaucoup de personnes qui n’étaient pas françaises de souche, ou ne l’étaient pas du tout, mais qui ont pourtant permis au pays de « s’en sortir ») sont pour beaucoup dans la façon biaisée de regarder le sujet. Bref, une lecture fortement recommandable !
Kroma
Lorenzo de Felici que j'avais découvert avec la série de SF Oblivion song (scénarisée par Robert Kirkman !) m'avait déjà fait une très bonne impression. Son imagination débordante pour dessiner une faune et une flore extravagante m'avait déjà marqué, là, il réitère la performance en se la jouant en solo, puisqu'il signe avec "Kroma" aussi bien le dessin, le scénario et la COULEUR. Car avec "Kroma", tout est ramené à cette dernière. Le monde que nous connaissons a sombré depuis belle lurette, et les rares survivants humains se sont rassemblés dans la Cité Pâle. Comme son nom l'indique, dans cette dernière, point de couleurs, tout n'y est que noir, blanc ou nuances de gris, et ce du moindre mur, bâtiment, ruelle, objet et même habitant. La couleur est source maléfique, et c'est en la faisant "disparaitre" que ces survivants éloignent les terribles lézards géants qui parcourent le monde maintenant... La petite cité vit au rythme de nouvelles croyances et de rituels ; Kroma est au centre de l'un d'eux. Depuis des années, elle est retenue prisonnière dans une tour dans l'obscurité la plus totale ; elle incarne le mal absolu, responsable de la situation actuelle. Toutes les 10 lunes, elle est livrée à la populace qui se sert d'elle comme exutoire. Mais le jeune Zet, va finir par voir en elle un être humain tout comme lui, malgré la coloration singulière de ses yeux. C'est tout les deux qu'il vont tenter de s'enfuir et se retrouver confrontés au monde extérieur, ses couleurs et ses terribles créatures... J'ai vraiment adoré cet album ! La narration et le rythme sont prenants, on se fait happer par cette histoire construite autour de la couleur ; c'est beau, fort, captivant, pas de temps morts ni de fausse note ! Voilà un one shot qui vaut vraiment le détour et qui sait saisir son lecteur dès les premières pages pour ne pas le lâcher avant la fin. ps : Mention spéciale à la couverture que je trouve magnifique !
Le Serpent et la Lance
Après l'énorme succès de Okko, Hub était forcément attendu sur sa prochaine série, et c'est donc avec "Le Serpent et la Lance" qu'il nous revient, s'attaquant cette fois-ci à la culture précolombienne sous l'angle du thriller. Fan de la culture et mythologie japonaise, j'avais dévoré Okko ; s'attaquer à l'une des autres cultures dans laquelle j'ai plongé enfant (ahhhh "Les mystérieuses Cités d'Or" !!!) ne pouvait donc que me réjouir, et l'ami Hub s'est également lâché en nous proposant un premier tome conséquent de plus de 180 pages. Alors oui l’atterrissage est un peu aride, avec ces noms de personnages, ce vocabulaire propre à vous arracher la langue et ce mode de vie précolombien que nous connaissons mal. Mais en s'accrochant et en jouant le jeu on se laisse vite prendre par cette intrigue et les personnages principaux qui prennent le pas rapidement sur cette première impression de chaos organisé dont nous n'aurions pas les clés. Ce qui rassure déjà quand on a plongé dans Okko, c'est de retrouver ce dessin et cette colorisation maîtrisée qui imposent une marque de fabrique. Hub a un trait racé, sublimé par la colorisation de sa compagne Li : ça en jette vraiment ! Il joue sur les ambiances, s'appuie sur la colorisation pour affirmer sa narration et bien séquencer les différentes époques qu'il utilise pour construire son récit. Pour en avoir discuté avec lui à Angoulême lors de l'interview que vous retrouvez ici, la première édition souffre quand même d'un problème de calibrage des couleurs pour les scènes d'intérieur, ce qui devrait être corrigé si réimpression il y a. Mais sorti de ce problème colorimétrique qui entache quelques scènes d'intérieur, le reste est assez éblouissant ! Concernant le récit, Hub a fait le choix de prendre le temps d'installer son univers et ses personnages pour que le lecteur prenne ses aises avec l'univers proposé et l'intrigue qu'il développe. Un de ses personnages principaux n'arrive d'ailleurs pas en scène avant la 50e page ! Passées les premières surprises des noms et du vocabulaire, on découvre insidieusement le nœud de l'histoire. Des corps de jeune filles assassinées et momifiés sont retrouvés de plus en plus fréquemment autour et de plus en plus près de la cité lacustre de Tenochtitlan. Les autorités tentent d'étouffer l'affaire afin d'éviter un désordre social, mais une enquête va être discrètement confiée à Serpent, un haut fonctionnaire redoutable ; un ponte religieux va également confier l'enquête parallèle à son vieil ami Oeil-Lance, car les meurtres perpétrés renvoient à des rites proches de leur culte... Sachant que les deux enquêteurs se connaissent depuis l'enfance et ne peuvent pas se voir en peinture, leurs recherches respectives deviennent une course contre la montre pour être le premier à mener à bien son instruction. C'est bien mené, prenant, les personnages sont bons, même les secondaires, comme c'est souvent le cas avec Hub, et ces 180 pages se lisent d'une traite une fois les quelques difficultés introductives passées. Son sens du détail, que ce soit pour les costumes, les mœurs ou les décors, finissent de nous combler et de nous proposer un univers toujours aussi riche et crédible. L'immersion est totale ! Alors maintenant... Et bien, vivement la suite !!! *** Tome 2 *** Ah quel bonheur que de replonger dans cet univers si riche et original sous le trait de la plume de Hub ! Après une première mise en bouche des plus alléchante, Hub continue de nous embarquer dans son récit macabre et tortueux pour notre plus grand plaisir ! L'intrigue suis son cours en mode ping pong entre la jeunesse et le quotidien de nos protagonistes qui semblent intimement liés en jouant intelligemment avec les flashbacks. Oeil-Lance se débat frénétiquement avec son passé en tentant des expériences "originales" pour recouvrer la mémoire, et les bribes qu'il parvient à arracher tant bien que mal lui permettent petit à petit de reconstituer un puzzle complexe qui semble bien en lien avec les meurtres du moment... Je note la petite touche d'humour récurrente que glisse Hub par le biais de la grand-mère d'Oeil-Lance avec ses onomatopées sous forme de "hiéroglyphes" aztèques qui m'auront bien fait marrer. Côté dessin, c'est toujours aussi réjouissant et on en prend toujours plein les yeux. Le trait est toujours aussi fin et méticuleux jusque dans le moindre détail et on sent que le problème de couleurs trop sombres sur certaines planches du premier tome a été corrigé. Ce second tome est aussi plus court, Hub ayant opté pour un découpage des tomes suivants en deux afin d'assurer un rythme de parution plus rapproché, ce que le lecteur accroc appréciera :) Il ne nous reste plus qu'à ronger notre frein et attendre la suite de ce thriller étonnant et d'une richesse folle sur tous les plans ! *** Tome 3 *** Et c'est reparti ! Ce troisième tome de plus de cent pages s'avale cul sec, comme une bonne vieille téquila frappée ! Ça arrache, mais on en redemande !!! Cozalt, Serpent et Oeil-Lance, les trois amis d'enfance liés par cette affaire font et défont les liens qui les lient pour assurer leurs intérêts tout en essayant de résoudre cette macabre série de meurtres. Comme dans les tomes précédents, le passé livre au compte goutte ses secrets et révélations pour s’immiscer dans le présent de nos protagonistes ; le lecteur est happé, tant par la force de l'intrigue que sa construction, le tout confortablement appuyé par le dessin toujours aussi remarquable de Hub. La résolution de l'enquête approche, mais... les fausses pistes ont la peau dure... Il ne nous reste plus qu'à prendre notre mal en patience et attendre la suite pour replonger avec bonheur dans cette série toujours aussi bluffante pour le moment !
Le Marsupilami de Frank Pé et Zidrou - La Bête
J'aime beaucoup cette BD, son projet. A l'heure où l'on publie un nouveau et sacrilège Gaston Lagaffe, il est beau de constater combien il était possible de concilier hommage à Franquin et projet personnel enthousiasmant. Nulle idée mercantile ici de refaire le Marsupilami, simplement le souhait de se saisir de ce personnage merveilleux pour proposer tout-à-fait autre chose : rendre un hommage inattendu à la ville de Bruxelles, évoquer une sombre époque, donner une vision mélancolique du récit d'aventure. Le ton est très sombre, et pourtant l'humanisme est sans cesse là. Le Marsupilami est sauvage, exploité par l'homme, mais malgré tout facétieux. L'après-guerre est noir, le lynchage des collabos encore bien ancré, la thématique contemporaine du harcèlement habilement travaillée. Et puis il y a ce dessin de Franck Pé, une indéniable réussite ! L'aventure se clôt après deux jolis tomes très agréables à lire. L'histoire n'est pas des plus originales, mais l'univers décrit, le ton employé, les illustrations et donc le projet global, sont inattaquables. Une tendre et révérencieuse réussite.
Himawari house
Le récit d'un séjour d'un an au Japon qui présente 2 grosses originalités. La première est que l'héroïne et alter-ego de l'autrice est américano-japonaise : née au Japon, elle est partie vivre aux USA quand elle était enfant et, après une adaptation un peu compliquée, elle a fini par s'intégrer à la vie américaine et donc à s'éloigner de ses origines japonaises, au point de ne plus bien savoir parler japonais. Ce séjour à Tokyo est donc d'une part un retour aux sources mais aussi une confrontation avec sa nature ni totalement américaine ni totalement japonaise... celle-ci étant mise à rude épreuve dans ce pays où les étrangers sont très vite repérés et aussitôt catalogués comme des gaijin, des intrus à leur culture. La seconde originalité est que dans la colocation qu'elle va rejoindre, la fameuse Himawari House, elle va cohabiter avec 4 autres jeunes : 2 garçons japonais aux caractères très différents mais aussi et surtout une coréenne et une singapourienne. Ensemble, elles vont pouvoir comparer leurs parcours, leurs raisons de se retrouver au Japon, et aussi confronter leurs différentes cultures asiatiques avec leurs similarités et leurs différences parfois marquantes. Et pour un lecteur occidental, j'ai trouvé ça très intéressant de découvrir ces différences dans des cultures que l'on ne connait que de trop loin. Le graphisme est simple mais appréciable. Il a une petite touche manga qui s'adapte bien à son cadre, et les personnages sont bien reconnaissables malgré l'utilisation récurrente de déformations de visage pour exprimer certaines de leurs émotions. Il y a forcément un aspect rappelant celui de l'Auberge Espagnole dans cette histoire puisqu'on y suit là aussi une année à l'étranger au sein d'un groupe de jeunes de multiples nationalités. Et comme dans le film de Klapisch, on va vite s'attacher à chacun des protagonistes et prendre plaisir à suivre leurs parcours, leurs interactions, leurs romances et les petites aventures du quotidien qu'ils vont vivre ensemble. Je n'ai pas toujours été totalement emporté par leur histoire mais j'ai été régulièrement intéressé par ce que j'y découvrais de l'état d'esprit japonais, des différences culturelles asiatiques et de la vie en communauté de ce petit groupe de jeunes. J'ai senti une petite nostalgie en refermant l'album, signe que le récit a su me toucher même si ce fut moins que pour d'autres lectures similaires (je pense par exemple à De mal en pis qui m'avait encore plus attaché à ses héros et à leur quotidien).
Monstres pense-bête
Il s'agit d'un tout petit livre un peu gadget, mais franchement, comment ne pas craquer pour ces dessins d'une finesse incroyable ? La collection de monstres illustrés par Mortensen révèle un imaginaire empreint du folklore nordique. Sur ces petits post-its s'animent des trolls aux facies damnés, aux rictus infernaux, bien plus terrifiants encore que les Alien, Predator et compagnie ; des esprits tantôt maléfiques, tantôt féériques. Il y a là de quoi filer des cauchemars aux plus petits. Les humains, des enfants la plupart du temps, côtoient ces créatures proprement effrayantes que l'on sent parfois animées de très mauvaises intentions. Elles sont fourbes, certaines fois dociles, plus rarement peureuses. Malgré tout, ces œuvres très abouties expriment un humour noir subtil. Les mises en situation sont également habiles, concentrant tout un univers sur ces tout-petits bouts de papier. Les scènes sont saisies juste avant l'instant fatal ! L'imagination prend le relais, ce qui rend la scène plus sadique encore. Bref ! C'est dispensable, mais c'est diablement génial.
Ceux qui me touchent
Le trait de Bonneau m'avait déjà enthousiasmé dans l'excellent roman graphique L'Étreinte, dans le beau mais moins abouti Le Regard d'un père. J'étais donc réceptif à ce style particulier et prêt à accueillir la tornade émotionnelle en marche, si tant est que l'on puisse être prêt à cela. "Ceux qui me touchent" vibre d'une force brute et viscérale. Damien Marie offre un puzzle parfait à Laurent Bonneau : on suit la trajectoire d'un homme désenchanté mais non résigné, son couple certes heureux mais surtout fatigué par le travail quotidien, une fille adorée offrant une échappatoire dans l'imaginaire, et puis la nostalgie d'une jeunesse où des envies d'Art et d'absolu conviaient encore tous les possibles. Nous sommes en présence de perdants magnifiques : des femmes et des hommes broyés par un système imposant ses cadences, ses horaires infernaux, sa froideur capitaliste, sa négation du sens et de l'éthique. Ici, nulle révolte sociale et collective (grèves, manifs traditionnelles, mouvement des gilets jaunes...) comme nous le présentait Tristan Egolf dans le roman "Le Seigneur des porcheries", immanquablement à l'esprit lorsqu'il est question d'abattoirs porcins. Non, ici on épouse une trajectoire individuelle, une fuite irréfléchie capable de tout envoyer en l'air (travail, couple et niveau social) pour s'offrir une respiration désespérée, profondément humaine, artistique. S'invitent alors nos souvenirs d'un des beaux romans graphiques de l'année passée, La Dernière Reine de Rochette : les thématiques dialoguent, se répondent (rapport au monde, à la nature, à l'Art brut, dichotomie Paris/Province, quête d'absolu, l'amour magnifié). Les illustrations de Bonneau acceptent de se présenter comme quasi-inachevées ; nul repassage à l'encre ici pour en gommer les traits de construction, elles s'offrent par touche à la manière des peintres impressionnistes, non pour en dévoiler la lumière et les couleurs mais pour ne pas en effacer le geste artistique, l'hésitation devant la feuille. Elles demeurent une perpétuelle esquisse, des fragments de vie. Cela leur confère une puissance magnifique renfermant de l'ellipse et une polysémie de sens, susceptibles d'abriter nos souvenirs de lecture et plus encore notre intime dont les thématiques aisément partagées facilitent l'identification (ici nos rêves d'enfant, nos actes manqués, les difficultés au sein de nos couples, la quête de sens au travail, la (ma)paternité, nos colères...) On touche parfois au sublime !
Edward Gorey - Une anthologie
Une anthologie qui ne fera pas l'unanimité ! Edward Gorey est un auteur majeur de la BD étasunienne. J'ai découvert cet auteur par hasard en 2019 (même si j'avais déjà entendu son nom), j'avais loué un Airbnb à Strasbourg pour le marché de Noël et sur une étagère trônait un exemplaire de "L'enfant Guigne". Edward Gorey est un homme singulier, je vous laisse le découvrir sur le net. Mais sachez qu'il avait deux passions : le cinéma muet et le ballet. Sachez aussi qu'il n'étudia que 6 mois au Chicago Art Institute, préférant suivre des études de littérature française à l'université d'Harvard. Et sachez enfin qu'il disait de sa vie sexuelle qu'elle était si végétative, si calme, qu'il ne pouvait même pas en définir l'orientation. Voilà, pour cerner le personnage, si tant est qu'il puisse être possible de le faire. Cette anthologie commence par une présentation de l'auteur et sera suivie par cinq récits, ils sont proposés par ordre chronologique de parution. Une narration sans phylactères et une image par planche avec juste une ou deux lignes en bas de page. Ce qui saute aux yeux dès qu'on ouvre le livre, c'est la partie graphique. Un dessin minutieux, austère fait de hachures, qui apporte cette ambiance surréaliste et glauque aux cinq recueils. J'adore. - L'enfant guigne (1961) L'adaptation du roman jeunesse 'Princesse Sara' de Frances H. Burnett. L'histoire d'une jeune et riche écolière qui va voir sa vie basculer à la mort de son père. A la différence du roman, le récit ne se termine pas en happy end, bien au contraire, elle a vraiment la guigne. Émouvant et d'une noirceur extrême. 4,5 étoiles. - Les enfants fichus (1963) Un abécédaire glauque de morts d'enfants, un par page. Dérangeant. 4 étoiles. - L'aile ouest (1963) 30 planches muettes. On entre dans un manoir et le jeu de piste commence. Les indices sont dissimulés, on voit défiler les suspects et on devient enquêteur, mais sera-t-on trouver le coupable ? 4 étoiles. - Total Zoo (1967) Une galerie humoristique de 26 animaux fantastiques, le tout en faisant rimer les deux vers. Un dessin plus épuré, les décors sont absents. 3 étoiles. - Le couple détestable (1977) Un récit tiré d'une histoire vraie (meurtres de la lande), celle d'un couple, à Manchester en Angleterre, qui kidnappe des enfants (viol, torture et meurtre) entre 1963 et 1965. Une réécriture sordide et glaçante de ce fait divers, de la naissance à la mort de ces deux monstres. Un dessin plus travaillé, il faut bien prendre son temps pour en apprécier tous les détails. 4,5 étoiles. En conclusion, une anthologie macabre où les enfants ne sont pas épargnés (ils sont 31 à mourir), teinté de surréalisme, satirique et d'un humour noir qui oscille entre horreur et rêverie tout en pointant l'incongruité de la vie, l'absurdité de la mort et la beauté du bizarre. Une note globale un peu généreuse, mais pour les choix narratifs, l'inventivité et le plaisir procuré, je ne pouvais pas faire entrer Edward Gorey sur bdtheque par une plus petite porte. Culte et coup de cœur !
Les Cœurs insolents
3.5 La scénariste raconte son adolescence dans les années 90 où on était dans un monde d'avant Me Too où on parait moins de violences sexuelles ou de question du consentement. Il y a des passages assez glauques dont il ne faut pas avoir le cœur fragile lorsqu'on lit cette BD ! J'ai bien aimé comment la scénariste présente la France des années 90 et les anecdotes sont intéressantes même si j'avais un peu l'impression qu'elle généralisait à partir de son vécu. Je doute que tous les ados de cette période buvait, fumait et avait du sexe tout le temps. Bon il faut dire que comme je ne suis jamais allé dans des fêtes (je préférais rester chez moi glander ou lire des livres), c'est un univers inconnu pour moi alors je ne peux pas vraiment comparer mon adolescence avec ceux qui étaient plus extravertis. Il y a des réflexions intéressantes dans cet album même si je ne suis pas toujours d'accord avec les conclusions. Selon la scénariste, tous les violeurs sont des hommes donc j'imagine que toutes les histoires d'enseignante qui couche avec des élèves mineurs sont des inventions ou c'est de l'amour libre ou un truc du genre. Le livre ne tombe pas dans le piège du 'tous les hommes sont méchants et les femmes des victimes innocentes' même si plusieurs males sont montrés comme des cons. La scénariste raconte les expériences positives qu'elle a eu avec certains petits copains et dans un des passages les plus effrayant de l'album, une fille va délibérément faire en sorte que la scénariste va se faire agresser lors d'une fête d'ado. Sinon, la dessinatrice fait un bon travail et la mise en page est bien faite. Un album choque à lire si on s'intéresse au sujet.