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Couverture de la série Béatrice (Mertens)
Béatrice (Mertens)

Joris Mertens nous propose une série très originale pleine de créativité et de poésie. J'ai toujours aimé déambuler sur les Grands Boulevards ou gare St Lazare même aux heures d'affluences. J'ai retrouvé cette impression de fourmilière grouillante à la fois chaotique et ordonnée. C'est comme si l'auteur avait voulu nous initier à la notion d'entropie. Une masse informe vue de loin mais composée d'éléments uniques vue de près. Au sein de cette masse se trouve Béatrice ou le/la lecteur-trice qui garde son identité, sa liberté et ses goûts uniques ( de lecture, de trajets ou de rêves). Aucun texte ne vient troubler ce silence de la foule ou de la plongée onirique. Béatrice illumine l'album (lequel ?) de ses expressions boudeuses , joyeuses ou rêveuses. Mertens s'amuse à un jeu de piste temporel et architectural. De la collection hiver 1972 dans un escalier qui ressemble trait pour trait à celui des Galeries Lafayette aux pub anachroniques, des façades haussmanniennes à celle qui me font penser à Barcelone c'est toute une foule de détails qui rend l'histoire de Béatrice sur la fuite du temps ,universelle. Une très belle lecture originale et créative.

17/06/2025 (modifier)
Par grogro
Note: 4/5
Couverture de la série L'Île crocodile
L'Île crocodile

Décidément, Oxymore prend soin de faire les choses. Ce premier tome se démarque du reste de la production par la manière originale d'aborder son sujet : la fin de l'enfance (a priori). Du coup, et ce sera peut-être en même temps un obstacle qui l'empêchera de trouver son public, je me demande à qui s'adresse réellement cette BD. Remarquez bien que si elle a plu à un vieux tube comme ma pomme, elle plaira à d'autres, n'est-ce pas ? Toutefois, le ton est plutôt ado, le héros est un enfant, le contexte de cette histoire (la Révolution Castriste) la destinerait plutôt à un public plus mature... Qu'importe finalement. J'ai pris beaucoup de plaisir à lire cette histoire, finalement assez légère, mais dont on pressent l'approfondissement dans le second tome à paraître. les scénaristes laissent en effet entendre une orientation plus spirituelle, par l'entremise du personnage de Paloma. Les personnages féminins sont d'ailleurs la cheville de cette BD et constituent un contrepoint essentiel au père d'Ernesto qui cherche à faire grandir son fils en l'arrachant à sa mère. Le contexte historique de la révolution des "Barbudos" n'est dans ce premier tome guère plus qu'un background. Là encore, on sent que cette affaire va prendre de l'importance... Le dessin est très agréable, et la colorisation très feutrée laisse planer une ambiance mélancolique qui colle parfaitement bien à l'histoire. En mélangeant les genres et les âges, les auteurs réussissent ce pari, pour ne pas dire ce défi, de faire une BD pour tout le monde. Pour ma part, je lirai la suite (et fin) de cette histoire avec grand plaisir.

17/06/2025 (modifier)
Couverture de la série Soulmate
Soulmate

J'avais lu ce manhua en ligne il y a de ça quelques années et j'en avais gardé de bons souvenirs, alors quand je suis tombée la semaine dernière sur l'édition française en librairie j'ai décidé de tenter une relecture. Soulmate, c'est une histoire d'amour fantastique à travers le temps. Bon, à l'origine, l'histoire d'amour est assez banale, si ce n'est qu'il s'agit d'un couple homosexuel chinois et que l'une d'entre elle souffre d'un diabète sévère et n'en a plus pour très longtemps. Non, ce qui rend l'histoire d'amour particulière ici, c'est que l'une d'entre elles, Qi, se réveille un beau matin en ayant mystérieusement interverti sa place avec une version antérieure de sa vie : la Qi de 27 ans s'est réveillée chez ses parents, alors qu'elle allait encore au lycée et n'avait pas encore rencontré Yuanzi, et la Qi de 17 ans s'est réveillée dans son futur appartement, avec une petite amie et un métier qu'elle ne connait pas. La première va décider de profiter de l'occasion pour rencontrer Yuanzi plus tôt et l'empêcher de tomber malade, la seconde va devoir comprendre la vie d'adulte qu'elle semblait vivre jusque là et comprendre ce qu'il est advenu de ses projets de vie avortés. L'histoire suit donc deux temporalités, celle de leur nouvelle rencontre au lycée, à la fois plus innocente (car centrée sur l'éveil amoureux) et plus tendue (car c'est là que tout l'avenir des ces personnages se joue, de manière plus que littérale ici), et celle de leur vie adulte, plus douce et mélancolique mais aussi plus risquée (car, la société chinoise étant ce qu'elle est, leur vie amoureuse se doit d'être cachée). C'est une histoire classique sur les regrets, le temps qui passe et l'envie de corriger ses erreurs, sur les rêves et les chemins que l'on souhaite emprunter aussi. Pas novateur sur le papier mais tout de même bien maîtrisé et rendu intéressant ici. En tout cas, les personnages parviennent à être attachants, leur histoire est simple mais pas pour autant simpliste et on aborde à quelques moments des situations assez dures, surtout en considérant l'âge des personnages. Et puis ça parle de théâtre, d'amour, de l'importance du temps qui passe et des décisions que l'on prend, le tout baignant dans une ambiance candide et mélancolique, … Vous savez, il en faut parfois peu pour savoir me toucher. Une histoire sympathique que j'ai eu plaisir à redécouvrir (malgré sa VF mélangeant malheureusement parfois bonnes trouvailles et phrases bancales). (Note réelle 3,5) PS : Un tonnerre d'applaudissement pour la Yuanzi adulte, qui garde un calme olympien lorsqu'elle découvre que sa petite amie vient d'oublier dix ans de sa vie (dont leur rencontre).

16/06/2025 (modifier)
Couverture de la série Les Gorilles du Général
Les Gorilles du Général

Premier épisode d'une reconstitution minutieuse (et nostalgique) du travail des gardes du corps qui se vouèrent corps et âmes au Général de Gaulle pendant de longues années : un point de vue inédit sur la politique des années 50-60 et les débuts de la Ve République. Xavier Dorison est un scénariste qui a connu le succès très jeune, dès ses 25 ans, avec Le troisième testament. Il a mis la main à la pâte pour de célèbres séries comme XIII ou Thorgal. Il écrit également pour la télé et le cinéma. Il est né en 1972 et n'a donc pas connu De Gaulle mais il avoue sa fascination pour les "mentors" et cette tranche d'Histoire, cette France un peu désuète, est un peu son passé fantasmé. L'idée de ces Gorilles du général lui est venue d'un reportage réalisé en 2010 par le journaliste Tony Comiti, le fils de l'un des fameux gorilles du général. Julien Telo est tombé très jeune dans la marmite du graphisme et s'est fait un nom du côté de l'heroic-fantasy. Il a réalisé ici un gros travail de documentation pour cet album immersif, en visionnant notamment de vieux films en noir et blanc pour s'approprier l'époque, ses costumes, sa gestuelle, ... La fin de l'album est augmentée d'un cahier qui justifie les "libertés historiques" que les auteurs ont prises pour bâtir leur fiction (et que je vous conseille de lire avant la BD car on y apprend plein de choses sur le contexte de l'histoire et sur leur travail). À noter que cet album ne couvre que septembre 1959 et n'est que le premier épisode d'une longue série prévue par Dorison et qu'il sort en deux formats, classique en couleurs et prestige en noir et blanc (c'est plus d'époque !). On a déjà hâte que le tome 2 nous emmène jusqu'en décembre 1959, à Colombey. Les quatre mousquetaires, les quatre gorilles, ce sont les gardes du corps du Général De Gaulle recrutés après guerre pour l'accompagner dans ses déplacements et le protéger quoi qu'il arrive (en 1959, les attentats se multiplient et le Général est menacé de toutes parts). Le vrai Roger Tessier devient dans la BD Georges Bertier, mais toujours avec une vraie tronche de gorille. Il pratiquait la boxe. Le corse Paul Comiti, le patron des quatre gorilles est également président du sulfureux SAC. Il est incarné ici par Ange Santoni. Henri Hachmi, d'origine kabyle, sera Alain Zerf. Raymond Sasia, l'ancien du SDECE, diplômé de l'Académie du FBI, devient Max Milan. Son recrutement imprévu au sein des quatre mousquetaires fait des étincelles et lance cette histoire sur les chapeaux de roues. Jacques Foccart, l'éminence grise de De Gaulle à la réputation sulfureuse, se cache derrière Le Chanoine. Et puis bien sûr, il y a « Pépère », c'est avec ce (vrai) nom de code affectueux que ses gorilles appellent le Général De Gaulle. On croisera beaucoup de monde, du beau monde, du moins joli, des gens connus comme Malraux, d'autres moins et même quelques personnages fictifs pour le scénario. Allez hop, tout le monde est en place, c'est parti pour « une histoire de trahisons et d'espoirs, de grandeurs et de déceptions, de victoires et d'échecs ». Une histoire qui comme celle de la Ve République commence dans le guêpier de l'Algérie ... Bien sûr, on ne peut éviter la référence à cette autre BD : Cher pays de notre enfance du bédéaste Etienne Davodeau et du journaliste Benoît Collombat. Un album qui allait fouiller dans les poubelles du SAC, sulfureuse organisation que l'on retrouve encore ici bien sûr. Mais le scénario de Dorison adopte un point de vue beaucoup moins journalistique. Bien sûr les questions politiques seront au cœur du récit mais ce qui intéresse les auteurs ici ce sont ces fameux gorilles dévoués corps et âmes (et ce n'est pas une formule) à leur Général au point d'y sacrifier famille et amis, leur vie donc. C'est ce qui rend ce récit humain, captivant, passionnant : parce qu'on ne nous demande pas de prendre fait et cause pour une personnalité publique légendaire, forcément un peu distante, mais plutôt de nous intéresser aux quatre bonshommes qui se déplaçaient partout avec lui. Et puis il y a la reconstitution nostalgique de ces années passées, au charme sans doute un peu fantasmé, et teintées ici de cet humour sec et froid, façon Audiard, ambiance Lino Ventura. Comme dans : « [...] C'est un peu tôt pour déjeuner ... mets-nous trois bières, Marlène ... et un rillettes-cornichons pour moi, pour accompagner quoi ... » Côté dessin, c'est un méticuleux travail de reconstitution que Julien Telo a entrepris, photos à l'appui. Le cahier explicatif en fin d'ouvrage montre même le parallèle entre des images d'époque et les planches que le dessinateur en a tirées. Un dessinateur qui laisse toute la place à ses nombreux personnages, cadrages en gros plans, vêtements et trognes caractéristiques, facilement reconnaissables. On passe de l'intime (un déjeuner champêtre en famille) au défilé officiel (motards et Simca) puis au thriller tendu (une rue noire sous la pluie). De temps à autre, une scène beaucoup plus dure fait taire la nostalgie, la politique et l'humour, comme celle où les gorilles doivent s'occuper du journaliste pro-FLN et « nettoyer la merde pour que le Général ait pas à patauger dedans ».

16/06/2025 (modifier)
Couverture de la série Vei
Vei

J'ai hésité entre 3 et 4 pour cette série mais in fine ses qualités l'ont emporté face à mes réserves. J'ai avant tout aimé la construction du récit autour de la mythologie scandinave. C'est vraiment solide. On sent que Sara Elfgren connait très bien son sujet. Le début du chapitre 4 qui expose la confrontation entre Mimir et Odin autour du puits de la connaissance et la puissance des runes pourrait très bien illustrer une encyclopédie . Le scénario permet ainsi de se familiariser avec certains épisodes fondamentaux de cette mythologie . J'ai trouvé cette touche éducative plaisante et intelligente. Cela complète une construction qui ne se limite pas à une succession de combats sanguinaires et répétitifs comme pouvait le faire craindre le schéma initial du tournoi de 13 contre 13 jusqu'au denier(e) survivant(e). Elfgren sait doser les passages éducatifs, sensuels ou d'intrigues de cour pour rendre son scénario vivant et varié. Je souligne la très bonne utilisation du dieu Loki (mi homme mi femme) qui correspond parfaitement à sa représentation légendaire tout en séduction trompeuse. C'est pour moi le personnage clé qui sert de colonne vertébrale à la cohérence du récit. Je m'interroge tout de même sur la filiation Odin-Loki qui semble une liberté afin de dramatiser le scénario. Le graphisme de Karl Jonhsson me rappelle celui des meilleures séries Marvel. C'est hyper dynamique avec un découpage et une construction très moderne. Chaque case est très travaillée avec un grand souci des détails et de variété dans les multiples représentations des combattants ou des dieux. Toutefois cette qualité graphique m'a un peu gêné car cela donne à la série un petit côté super héros à l'américaine qui ne me plait pas trop. Je l'ai ressenti dans ces combattants BG trop classiques avec une héroïne au physique de gamine sentimentale. Cet esprit un peu Guimauve à mes yeux se retrouve dans certains dialogues du final qui s'allonge sur le pathétique sentimental. Malgré mes petites réserves j'ai trouvé cette lecture plaisante et récréative ouverte à un large public dès l'adolescence.

16/06/2025 (modifier)
Par Présence
Note: 4/5
Couverture de la série Topless
Topless

Parfois, c’est la fausse note qui fait tout. - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Son édition originale date de 2009. Il a été réalisé par Arnaud Le Gouëfflec pour le scénario, et par Olivier Balez pour les dessins et les couleurs. Il comprend soixante-dix pages de bande dessinée. Épître 1 - Il s’appelle Martin. Il joue du piano. Et puis il fume. Tout le temps… Il sait bien qu’il faudrait pas. Le tabac, c’est mauvais pour les artères. Monsieur Frognard le lui a bien assez dit. Le piano et le tabac, ça va bien ensemble. Des fois, il se concentre sur la fumée. Il la regarde faire son petit manège… C’est joli les volutes. Et il laisse ses doigts faire ce qu’ils ont à faire. Pianiste à strip-tease, c’est pas bien compliqué. Faut pas louper l’entrée. Faut avoir le sens du rebondissement. Le clou final. Posé sur le piano, y’a son saint Christophe. C’est le saint qui guide les voyageurs et qui leur fait traverser les fleuves. Chacun ses reliques. Lui, c’est saint Christophe. Et Thelonious Monk. Ça c’est de la musique. Il a tous ses disques. Cette manière de jouer sans y penser. Et ces petites fausses notes qu’il met partout pour décorer. Martin aurait bien aimé jouer du jazz. Mais entre le tabac et la musique, Il n’a jamais su choisir. Il ne fait pas ça pour reluquer les filles. Y en a qui ne comprennent pas ça. Il n’est pas là pour se rincer l‘œil. Ce n’est pas qu’il ne soit pas sensible à l’esthétique. Mais il doit être blasé, faut croire. On s’habitue à tout… Sauf à Jeanne. Comment pourrait-on s’habituer à Jeanne ? Quand elle apparaît, il en oublierait presque de pianoter… Il laisse la cendre prendre des proportions. Jeanne, elle perturberait même Thelonious Monk. Ce n’est pas la nudité, c’est dans le regard. Elle a quelque chose qui brille à travers la fumée. Pendant son numéro, les gens oublient de boire et de plaisanter grassement. Ils se taisent. Ça tient de l’hypnose. Sans son petit piano pour broder, on serait plongés d’un coup dans un silence de cathédrale. Monsieur Frognard, il a monté tout son petit business, à la seule sueur de son front, en faisant danser et pianoter les autres. C’est une sorte de chef d’orchestre sans baguette, quoi. Avare de tout, il n’est généreux qu’avec lui-même : il aime les jolies femmes et les galurins. Il trouve qu’il a une tête à chapeaux. Il les collectionne. Il aime aussi les belles bagnoles. Il roule en DS. Il trafique aussi avec des gens pas très clairs. Martin n’est pas aveugle. Les frères Bonheur approvisionnent Frognard en chapeaux. Sur leur carte de visite, c’est marqué maîtres chapeliers. C’est bien pratique les cartes de visite. Sur celle de Frognard, c’est marqué : limonadier. Les frères Bonheur, ils avaient diversifié leurs activités, comme on dit. Dans les boîtes qu’ils se refilent en douce, y avait autre chose que des chapeaux. Frognard, il leur est bien redevable. Et y a toutes sortes de gens qui sont redevables à Frognard. Dans le commerce, tout le monde trouve son compte. Martin, sur les détails, il n’est pas très regardant. Du moment qu’on le paye et qu’il peut fumer au piano. Un pianiste ayant accepté sa condition, une effeuilleuse irrésistible, un patron de boîte qui assure la libre circulation de l’argent sale : tout est réuni pour un polar qui se termine mal. Le lecteur retrouve les conventions propres à ce genre : un personnage principal un peu paumé ayant accepté sa position sociale peu glorieuse et son addiction au tabac qui obère d’autant son espérance de vie, une femme fatale qui rêve de liberté et d’un avenir meilleur, un patron qui exploite ses employés et qui trempe dans des affaires louches, l’étrange sensation d’être déconnecté du monde normal. Le lecteur prend conscience que le récit comprend essentiellement des scènes nocturnes ou se déroulant à la lumière artificielle de la boîte de strip-tease, ce qui renfonce encore cette impression de déconnexion. Le dessinateur utilise régulièrement des gouttières (les espaces entre les cases) de couleur noir pour rappeler l’ambiance nocturne. Ses traits de contours apparaissent un peu épais, un peu lâches, avec une forme de simplification par rapport à une représentation plus photographique. Il emploie une palette de couleurs plutôt sombre, avec des bleu-gris, des jaunes délavés. Le fil directeur de l’intrigue repose sur une fuite : Jeanne parvient à le convaincre de l’emmener loin de la boîte Les Naïades, en volant la DS du patron. Bien sûr, ils découvrent que le coffre contient quelque chose de très compromettant, et ils savent que monsieur Frognard se lancera à leur poursuite dès qu’il découvrira le vol de son véhicule. Une couverture pleine de mystère : une sorte de statuette de saint avec son auréole, un bébé sur l’épaule, un bâton de pèlerin, et une clope au bec, en bas à gauche, ce qui répond à une silhouette féminine dénudée dans le coin opposé en haut à droite, masquée par les volutes de fumée. Le thème visuel des volutes fumées revient régulièrement dans le récit, sous forme d’arabesques formant une trame, similaire à celle présente sur la couverture, parfois un simple trait ondulant qui s’élève de l’extrémité incandescente de la cigarette, et lors d’un rêve les volutes finissent par former des silhouettes humaines. Tout du long, cela agit comme un rappel du pronostic du médecin qui a déclaré à Martin qu’il partira de là, en désignant des poumons sur une affiche au mur. D’une certaine manière, ces arabesques fines et fragiles s’opposent aux contours plus épais pour les courbes du corps de Jeanne et de ses collègues. Les dessins de Balez évoquent ceux de Darwyn Cooke (1962-2016) dans ses adaptations des romans de la série Parker de Donald Westlake (1933-2008, sous le pseudonyme de Richard Stark), même si les deux projets ont vu le jour la même année. Le second se montre plus radical dans sa simplification des contours. Le premier utilise des ombres portées appuyées, des exagérations dans les expressions de visage, des traits pas toujours jointifs, pour une sensation de spontanéité. Cela génère une forme de distanciation vis-à-vis des personnages qui deviennent des archétypes, ce qui les rend, dans le même temps, plus humains. Le lecteur s’immerge dès la première planche dans cet environnement : le bleu foncé de la nuit, la boîte Les Naïades à côté d’une bretelle d’autoroute sur ouvrage d’art, le parking mal éclairé, la pénombre à l’intérieur, avec les lumières vives sur les filles en train de danser, le rouge cramoisi sur et autour de Jeanne pour exprimer l’effet qu’elle a sur les hommes, puis plus loin pour la violence, le rose lorsque Martin ressent l’effet provoqué par les paroles de Jeanne sur lui, une mise en couleurs très expressive. Dans les pages vingt-quatre et vingt-cinq, l’artiste change de registre graphique pour raconter la légende de saint Christophe traversant un fleuve avec Jésus sur ses épaules : des dessins plus enfantins, des couleurs plus vives pour montrer qu’il s’agit d’un conte, et peut-être aussi pour transcrire l’état d’esprit de Martin acceptant cette histoire comme un enfant. En page trente-deux, un barman raconte la tragique histoire de Jayne Mansfield (1933-1967) : les dessins prennent alors l’apparence de vitraux, pour évoquer une légende. D’ailleurs, si la curiosité le prend, le lecteur découvre qu’elle n’est pas morte par décapitation. La narration visuelle porte à elle seule toute l’ambiance du récit, entre monde à part déconnecté de la société normale, et vision personnelle de Martin sur sa façon de considérer le monde. L’intrigue s’avère linéaire, et la fuite du couple démarre avant la page vingt. Tout du long, le lecteur bénéficie du monologue intérieur de Martin : un individu calme étant dans l’acception, et non dans la résignation, de sa condition de pianiste de boite à strip-tease, qui ne sera jamais un musicien de jazz, qui est trop insignifiant pour être remarqué par les jolies femmes qui dansent, et aussi qui est devenu insensible à leurs numéros (ce qui n’est pas le cas des clients, certains avec les yeux proches de sortir de leurs orbites). Le personnage principal évoque son admiration pour Thelonious Monk (1917-1982), sa manière de jouer sans y penser, et ces petites fausses notes qu’il met partout pour décorer. Un barman voyant danser Jeanne, évoque Jayne Mansfield (1933-1967) et la légende de sa mort, décapitée par une plaque de verre tombée du camion d’un vitrier dont le véhicule les précédait. Martin a posé sur son piano une statuette de saint Christophe, le saint patron des voyageurs, dont il raconte la légende. L’attitude de Martin décontenance le lecteur : son acceptation que le tabac le tuera, car il sait que c’est mauvais pour les artères. Le personnage de Martin occupe le rôle principal. C’est un employé sérieux et discret, à qui il suffit d’être payé régulièrement, et de pouvoir jouer du piano en fumant. Il voue une réelle admiration à Monk, en particulier pour ses petites dissonances, pour décorer. Pour autant, il accepte immédiatement de voler la voiture du patron, à la demande de Jeanne, la plus belle des filles de l’établissement Les Naïades. Lorsqu’ils découvrent de l’argent dans le coffre, il sait immédiatement comment ça va tourner : les truands vont se lancer à leur poursuite, et l’argent ça se paye. Ce n’est pas gratuit, ça pèse dans les poches, ça attire des tas d’ennuis. Il sait qu’ils doivent s’en débarrasser s’ils ne veulent pas y laisser leur peau… ce qui ne peut correspondre aux envies ou aux projets de Jeanne. Il accepte donc de tout quitter, de tout plaquer. Sans être doté d’un sens stratégique ou tactique particulier, il a aussi conscience qu’il ne doit pas lire quoi que ce soit dans ce qui lui arrive ; il dit : Les signes on peut les lire dans tous les sens. Ces remarques personnelles éparses finissent par s’amalgamer dans le constat final : Comme les petites dissonances dans les disques de Thelonious Monk, parfois, c’est la fausse note qui fait tout. Un polar bien poisseux, des dessins bien noirs, une femme fatale, des truands qui ne se laisseront pas soulager d’un bon paquet de fric par un pianiste insignifiant et une danseuse comme il y a en a tant. Le lecteur apprécie tout de suite la narration visuelle enténébrée, les individus archétypaux induisant une légère distanciation, et par là-même une réelle personnalité graphique. Toutefois ce n’est pas le genre de polar violent (Martin enlève même les balles du chargeur du pistolet qu’il a récupéré), sa saveur se trouve dans les petites dissonances, les pas de côté, la compréhension qu’a Martin de comment les choses fonctionne. Touchant.

16/06/2025 (modifier)
Couverture de la série Cela va de soi
Cela va de soi

C'est toujours agréable de découvrir ce type de lecture et de la faire découvrir via le site. J'avais déjà croisé le travail de Serge Annequin dans la série "Urbex, Pep et Djou, fouineurs de mémoire". Ici Annequin est seul aux commandes mais l'esprit reste le même autour d'un scénario littéraire construit dans une ambiance universitaire. J'ai été conquis par l'intelligence du récit qui nous plonge dans deux situations avérées éloignées dans le temps et l'espace à partir desquelles Annequin construit une fiction qui renvoie au cinéma japonais moderne mais aussi au théâtre de boulevard avec le trio classique ( mari, épouse, amant). Toutes ces thématiques sont finement équilibrées dans une narration fluide et accessible malgré un texte d'un très bon niveau. C'est le type de récit qui me nourrit par son intelligence et qui me donne envie d'approfondir. Comme le dit le prof de Jules " Cela titille ma curiosité". L'auteur ne cherche pas a réinventé la lune mais montre que la séquence Amour, Trahison, Vengeance, Mort reste contemporaine par son universalité. Le graphisme de Annequin propose un trait fin et expressif. Son travail sur les extérieurs m'a beaucoup plu rendant bien les différentes ambiances (Sorbonne, Abbesses, Bretagne). Ce dynamisme conduit à une narration visuelle très entrainante avec des personnages attachants. Une lecture un brin littéraire et séduisante.

15/06/2025 (modifier)
Couverture de la série Joseph Kessel - L'Indomptable
Joseph Kessel - L'Indomptable

Je ne pouvais pas passer à côté de cette biographie de Joseph Kessel. En effet j'ai été un lecteur assidu de ses romans. Judith Cohen Solal et Jonathan Hayoun évite la biographie chronologique pas à pas. Ils s'appuient sur des entretiens entre le grand écrivain et son filleul , Jean-Marie Baron, pour comprendre et faire comprendre ce parcours si particulier où Kessel va se nourrir et vivre à travers une approche régulière de la mort. Une mort qu'il frôle personnellement enfant ( maladie, pogrom). Les auteurs montent comment le jeune homme va suivre un instinct, parfois contestable, qui le mène auprès de ceux qui vivent cette mort au quotidien ( Bandits russes, truands parisiens ou berlinois, révolutionnaires irlandais ou espagnols). Le récit montre comment chacune de ces étapes nourrit sa créativité comme journaliste ou romancier. La chronologie est donc rapide s'arrêtant en 1962 et omettant la majeure partie de sa vie intime à l'exception notable de la relation avec son frère. Enfin les auteur-es mettent l'accent sur la judéité portée par l'écrivain. Une judéité qu'il vécue comme étendard des peuples opprimés et discriminés même au sein du conflit Israélo-Arabe: "Parce que Antigone a raison mais Créon n'a pas tort".(p80) Nicolas Otero propose un graphisme très réaliste rappelant parfois les premières pages de France-Soir, le journal de Lazaref et de Kessel. Le découpage renvoie aux actualités cinématographiques dans une présentation inhabituelle et moderne sans cadres repérables et une succession d'images chocs donnant une belle profondeur au récit. Cela donne une œuvre littéraire très travaillée dans le texte et dans l'image. Une belle lecture

15/06/2025 (modifier)
Couverture de la série Stranger Things - Tales from Hawkins
Stranger Things - Tales from Hawkins

J’ai beaucoup aimé “Stranger Things: Tales from Hawkins”, que je note 4/5. Ce comics de quatre épisodes propose des histoires indépendantes qui se déroulent dans l’univers de la série, et j’ai trouvé qu’elles capturent très bien l’ambiance étrange, nostalgique et mystérieuse de Hawkins. Chaque numéro explore un angle différent : entre tension dans les bois, enquête avec Murray, romance adolescente et rivalité entre fermiers, ce qui rend l’ensemble vraiment agréable à lire, sans jamais être répétitif. Même si ces récits n’apportent rien de crucial à l’histoire principale de Stranger Things, ils complètent très bien l’univers pour les fans curieux. Ce n’est pas indispensable, mais c’est une lecture immersive, bien rythmée, avec de beaux dessins et une vraie fidélité à l’esprit de la série. Je recommande à tous ceux qui aiment Hawkins et veulent s’y replonger autrement !

14/06/2025 (modifier)
Par Blue boy
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Paul
Paul

« Paul », sucrerie pop aux couleurs psychédéliques concoctée par Hervé Bourhis, nous replonge avec bonheur dans ces « late sixties » où le champ des possibles était incroyablement vaste, où les utopies fleurissaient en harmonie avec l’effervescence artistique et musicale de l’époque, propulsées par un vent de liberté inédit. Si la narration débute au moment de la séparation des Beatles, en 1969, pour s’achever dans les années 75-76, au moment où les Wings étaient alors au sommet de leur gloire, il faut bien l’avouer, ces derniers, avec le recul, ont bien moins marqué l’histoire de la musique que les mythiques Fab Four de Liverpool. Et d’ailleurs, qui se souvient que Mc Cartney avait connu une période de flottement, avec alcoolisme et grosse déprime à la clé, dès lors que le groupe avait splitté. A cette même époque, une rumeur circulait même à propos de sa mort trois ans avant, suite à quoi il aurait été remplacé par un sosie au sein des Beatles ! Tout cela, Hervé Bourhis l’évoque et le dessine de façon rythmée dans cet album aux couleurs très « seventies ». Et c’est un bel hommage que rend ici Bourhis au songwriter le plus talentueux et le plus influent de sa génération (avec son compère John Lennon), et qui réhabilite aussi les Wings, passés quelque peu dans l’oubli malgré la pépite qu’est, selon l’auteur, « Band on the run ». Ce groupe fut pour McCartney une véritable « résurrection », selon les termes mêmes de John Lennon qui était revenu le voir une fois la période de brouille terminée, même si pour la renaissance des Beatles, le point de non retour avait été franchi depuis longtemps. La narration est à la première personne, celle de l’ami Paul, révélant à quel point Hervé Bourhis s’est identifié, sans en être forcément conscient, à cette personnalité dont le nom est toujours resté associé aux Beatles. Lui aussi, après avoir failli être emporté par la maladie (A ce titre, on peut lire son autobiographie Mon infractus), a connu une sorte de renaissance. Parmi d’autres anecdotes, en plus de celles énoncées plus haut et tombées dans l’oubli pour une grande partie du public, on découvre comment l’ex-Beatles s’est reconstruit, on suit son redémarrage à zéro assez hallucinant avec ses Wings, soulignant par la même occasion une certaine modestie qui prouve que l’homme était davantage passionné par la musique que préoccupé par sa propre notoriété. Ce qui par la suite s’est révélé porteur, puisque son talent de compositeur était resté intact a l’a ainsi mené au succès. Etonnante aussi cette rencontre improbable avec une super star de la scène africaine, Fela. McCartney était venu au Nigéria pour y enregistrer « Band on the run », espérant y puiser une énergie différente. Là encore, le séjour fut marqué par quelques déboires, qui virent l’ex-Fab Four hospitalisé aux urgences suite à un malaise lié à sa consommation excessive de cigarettes. Le dessin d’Hervé Bourhis est extrêmement vivant et graphiquement très riche avec ses couleurs fluo-psyché. Comme il le dit lui-même dans l’interview à la fin de l’ouvrage, ce grand fan des Beatles (qui avait déjà publié en 2010 Le Petit Livre des Beatles) s’est réellement surpassé par rapport à ses productions précédentes plus minimalistes, ayant mis un an et demi à le réaliser. S’il fallait une preuve qu’un auteur peut exceller autant dans la narration que dans le dessin, « Paul » en est une. Richement documenté, l’ouvrage révèle des facettes méconnues de « Macca » mais aussi des autres membres des Beatles, ainsi qu’un aperçu de la réalité du show-biz dans ces années-là. Au final, tous les ingrédients semblent avoir été réunis pour faire de cet album une bulle de nostalgie totalement immersive et jouissive, donnant envie de se plonger dans la discographie de cet artiste.

14/06/2025 (modifier)