Cette BD semblait faire suffisamment l'unanimité pour que je sois intéressé par sa lecture, en l'empruntant à un ami qui se l'était fait offrir. Un joli cadeau, quand on voit le bestiau en face, et également une belle lecture.
Franchement, je n'ai pas grand chose à ajouter aux autres avis : c'est léger et linéaire comme récit, mais sans être totalement manichéen non plus. On a la classique opposition entre deux mondes, la confrontation d'un jeune homme avec son père qui a de grands projets pour lui, les ennuis familiales et quelques considérations sur la transmission. Le tout englobé dans des histoires de sortir de la Seconde Guerre Mondiale et, bien évidemment, la cuisine. C'est d'ailleurs une BD que je déconseille de lire à jeun, ça risque de vous donner une de ces fringale !
Clairement la BD simple et claire, classique mais excellente, comme une très bonne recette légèrement revisitée. J'ai apprécié cette lecture porté par un dessin simple, clair et jouant assez habilement des couleurs. Le tout dans une mise en page grand format qui permet de profiter pleinement des détails. Le genre de BD dont je raffole parce qu'elle est de cette simplicité qui se suffit largement. Recommandé, n'en attendez pas le chef-d’œuvre du siècle et vous serez sans doute comblé !
Même si l'Afghanistan n'a plus beaucoup de place dans les médias occidentaux d'aujourd'hui, j'ai trouvé cette lecture bien intéressante. Le reportage date de 2010 et le récit de 2014 juste avant l'élection présidentielle et la première victoire d'Ashraf Ghani. Quinze ans plus tard cette série reportage passe presque de la série documentaire journalistique au récit historique. En effet il présente les germes de la victoire écrasante et totale des Talibans en 2021. En effet Pascale Bourgaux note comment le point de vue des Talibans progresse au sein même de la famille de son hôte. Cet échec est attribué à la quasi unanimité à deux causes premières: la corruption et les maladresses meurtrières des militaires ou sociétales des occidentaux. La journaliste se met elle même parfois en difficultés dans son récit ce qui montre la difficulté de la tâche. Pouvait-il en être autrement? La journaliste ne prétend pas répondre à cette question même si elle souligne quelques anecdotes ( la mini jupe, les morts amis provoqués par les soldats allemands) qui ont surtout vocation à faire réagir émotionnellement. De même la situation dans ce petit village du nord de l'Afghanistan ne peut pas prétendre à délivrer une vision universelle de toutes les régions afghanes.
A mon avis la principale qualité du récit est de faire sentir que l'on était sur le fil du rasoir avec un possible basculement d'un côté comme de l'autre. Malgré la tension de certaines séquences les auteurs avaient choisi de parier sur une présentation plutôt optimiste. Je l'ai ressenti à travers un graphisme paisible qui privilégie les beaux paysages, les marché aux tissus flamboyants ou à une reconstruction des axes de communications par une société turque.
On connait la suite et depuis le 15 août 2021 Pascale Bourgaux a eu la réponse à la dernière question qu'elle se pose dans la BD.
Une vie comme marcher, courir, devenir une route, un chemin.
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Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre, entre évocation du chemin et association libre d’idées. Son édition originale date de 2002. Il a été réalisé par Edmond Baudoin pour le scénario et les dessins. Il comprend quatre-vingt-huit pages de bande dessinée en noir & blanc.
Un chemin ensoleillé dans l’arrière-pays niçois, partant de Villars-sur-Var dans les Alpes-Maritimes. Edmond n’est pas le seul à marcher sur ce chemin. Les chasseurs y viennent en automne, les randonneurs au printemps, le berger souvent. Le berger y vient peut-être plus souvent que lui. Mais son problème principal consiste à faire vivre en belle harmonie des chèvres, des moutons, un chien. Alors que lui Edmond ne m’intéresse qu’à lui et il s’étale ensuite sur du papier. Cette préoccupation constante ressemble un peu à une maladie. Elle ne le place pas au-dessus du berger, des chasseurs, des randonneurs. Elle a fait simplement qu’avec le temps et quelque chose de l’apprentissage, il veut essayer de dessiner le chemin et d’écrire sur lui. Il y a dans le monde des chemins plus beaux, mais c’est de celui-là qu’il veut parler. C’est son chemin. Il ne lui appartient pas, mais c’est un peu lui qui l’a fait. Il dit Son chemin comme on dit Sa mère. Quand il a fait le premier dessin, il était assis sur une pierre avec une sorte de fatigue. C’est souvent comme ça au début d’une promenade. Son chemin fait un cercle, où commence un cercle ? Il peut décider qu’il commence à partir de cette pierre, c’est bien une pierre, c’est ancien. Mais ensuite ? Comment choisir une image plutôt qu’une autre ? Il lui faudrait s’arrêter à chaque pas, faire un dessin, se retourner, en faire un autre. Et puis dessiner ce qu’il voit sur le côté, à droite, à gauche. Et pourquoi à chaque pas ? Pourquoi pas tous les dix centimètres ? Ou tous les un ? Il faudrait aussi refaire le même paysage plusieurs fois. Dans des heures différentes, dans d’autres jours, dans d’autres saisons. Avec le temps il comprendrait ses erreurs, il affinerait son trait. Son style changerait, il viendrait avec d’autres papiers, de la couleur. Tout est trop ou trop peu. Qu’est-ce qu’il doit faire ?
Dessiner simplement la pierre sur laquelle il se trouve ? À elle aussi, il appartient. Il la recopierait sous tous les angles. Ensuite pourquoi pas, il irait chercher une loupe. Mais il deviendrait fou. Et il voudrait avec un microscope peindre jusqu’aux atomes de ce stupide bloc de calcaire qui lui fait mal aux fesses. Vers la fin de l’été avec son frère Piero, ils venaient là avec des sacs de charbonnier. La forêt de pins était dense. C’était avant l’incendie, bien avant, ils étaient encore des petits. La mère voulait des provisions de pignes pour les feux de l’hiver. En français, on dit pommes de pins. Edmond n’a jamais mangé de pignes. Un des deux restait sur le chemin, l’autre allait en amont et provoquait des avalanches de pignes que celui d’en bas essayait de stopper. Ils s’écorchaient les mains, ils détestaient cette corvée. Ils riaient beaucoup.
C’est du Baudoin pur jus… Ce créateur a fait preuve d’une voix aussi personnelle qu’originale dès le début de sa carrière. De prime abord, soit en feuilletant, soit en lisant quelques cartouches de texte, le lecteur se trouve bien en peine de déterminer la nature de l’ouvrage, son thème principal, ou même s’il y a une histoire. Voire il peut s’interroger sur la cohérence de ce qu’il va lire. Le titre s’avère très premier degré : l’auteur raconte ce chemin dit de Saint-Jean qui part du village de Villars-sur-Var. Déjà, la démarche de raconter un chemin le place à part de 99% de la production de bande dessinée, voire littéraire. Ensuite, difficile d’envisager un dessin de couverture plus cryptique. Avec ses coups de pinceau si caractéristiques de son art, il représente un homme assis sur le bord du chemin, certainement lui-même avec une large pierre à la place de la tête, flottant au-dessus des épaules, sans cou. La première planche comprend deux cases : une avec bordure certainement le point de départ du chemin de Saint-Jean, et une autre sans bordure avec le même dessin que la couverture et un arbuste sur la droite. Par la suite, en feuilletant, le regard du lecteur peut être attiré par des éléments aussi disparates que l’esquisse du plan de principe du chemin, de magnifiques représentations du chemin et de la nature en bordure, quelques cases à l’encre proches de l’épure chinoise allant vers l’abstraction, et puis une décomposition des mouvements d’un homme qui danse, une église, une case blanche, des fleurs, etc.
Oui, la promesse contenue dans le titre est tenue : le lecteur parcourt le chemin de Saint-Jean avec Edmond Baudoin. Dans la troisième planche, il découvre ce fac-similé de plan qui montre la boucle que fait le chemin autour du mont sur lequel se trouve la chapelle Saint-Jean. Il voit le point où se situe la pierre qui sert de tête au personnage sur la couverture. Il marche tranquillement, avec la vision du chemin devant lui, les arbres en bordure, le précipice à un moment, la végétation propre à cette région. L’auteur évoque la boucle comme un cercle. Il explique donc son attachement à ce chemin, ainsi que cette notion de cercle. Avec cette capacité extraordinaire, il donne la sensation de balade, chaque dessin correspondant à son regard, à sa façon de voir le monde. Le lecteur se dit qu’il pourrait très bien considérer cette bande dessinée comme un simple recueil de dessins du chemin, les différents endroits, ce qui constituerait déjà un ouvrage extraordinaire, une transcription d’un lieu souvent parcouru, chargé de souvenirs. Il se laisse aller dans sa lecture, chaque dessin commençant par produire un effet d’ensemble, chaque dessin capturant un état d’esprit, un moment particulier, transcrivant des sensations, à la fois dans la continuité des précédents, à la fois unique. Régulièrement le lecteur s’attarde sur l’un ou l’autre, sur un élément particulier : l’équilibre entre les traits noirs et les surfaces blanches, les grands coups de pinceaux, leurs contours charbonneux, les traits plus fins, les surfaces patinées. Il se perd dans une portion, voyant un assemblage tracés hétéroclites, de formes abstraites, une réunion de trucs et de machins sans rapport. Puis il reprend du recul et l’harmonie de l’ensemble lui apparaît comme une évidence.
L’approche picturale de Baudoin exprime son originalité dans chaque trait. Il mystifie le lecteur jusqu’à un état mêlant confusion et exaltation. Finalement, il ne s’agit que de dessin d’après nature, d’un chemin comme il en existe beaucoup d’autres dans la région. Dans le même temps, comment fait-on pour exprimer ses ressentis avec des constructions de traits aussi improbables ? De surcroît, ce voyage s’avère plein de surprises, allant au-delà d’une collection de photographies prises sous l’inspiration du moment. Le lecteur ressent à chaque page que ce chemin a fait l’auteur, comme il l’écrit. Tel endroit lui rappelle son frère Piero (à qui il a consacré un album en 1998)quand il ramassait des pignes, tel autre son père assis au bord d’un petit canal (une construction de page bizarre : le portrait du père assis comme son fils plus tard, encadré par douze représentations différentes de son visage, plus ou moins précises, comme si la mémoire fluctuait), un surplomb au-dessus du ravin qui lui rappelle sa mère dont il tenait la main à cet endroit, les ruines d’une maison qui se dégrade au fil des années, l’église Saint-Jean qui lui évoque la procession dont il ne comprenait pas le sens du chant, etc. L’auteur développe chaque élément au fil de sa balade, pas comme une suite de souvenirs ponctuels, car le lecteur ressent bien qu’ils appartiennent tous à la même personne, qu’ils apparaissent de manière organique à tel ou tel endroit.
Puis en planche quarante, le lecteur tombe sur une case évoquant Michel, ami défunt, avec un dessin fait à partir de l’œuvre picturale : Happé par un oiseau (1980), réalisée par Pootoogook, une femme artiste inuit. Planche quarante-sept, l’auteur raconte que début août 2001, il est de retour au Québec pour une deuxième année à l’université, en tant que professeur (il digresse pour ajouter qu’il n’est pas professeur, comme il n’est pas auteur de bandes dessinées, comme il n’est pas grand-père, comme il n’a jamais été comptable). Puis viennent deux planches totalisant dix-neuf cases, et autant de fleurs différentes. Puis retour à l’évocation de son séjour au Québec. Le même phénomène se produit à nouveau : une association d’éléments hétéroclites reliés par le flux des souvenirs, ou du vagabondage de l’esprit de l’auteur… tout en formant un tout d’une grande cohérence. Au fil du flux de pensée : le vol de forteresses volantes de la seconde guerre mondiale, l’artiste Napache Pootoogook, femme artiste inuit, des paysages du Québec, le rapprochement visuels des traits des coureurs et des traits des balles, un Inuksuk, la considération que le Québec n’a pas d’Histoire mais beaucoup de Géographie, la considération de voir les plus vieilles pierres, une anecdote sur un ami qui lui avait vendu un lot de toiles (ses peintures recouvertes de blanc, redevenues vierges), et pour finir le sort de la pierre sur laquelle il a fait le premier dessin. C’est du Baudoin, et même du Baudoin de haute volée : pas de récit, et pourtant une structure rigoureuse, une longue digression au Québec, et pourtant une thématique filée avec élégance, des considérations d’ordre générale sur la beauté de la nature et la vilenie de l’être humain, des souvenirs éminemment personnels partagés avec une honnêteté émotionnelle totale au point que le lecteur les fait siens.
Une bande dessinée entre carnet de voyage, réminiscences, réflexions existentielles, parsemés des thèmes habituels de l’auteur, de ce créateur sans pareil. Le lecteur se laisse porter par la balade sur le chemin de Saint-Jean, par les souvenirs intimes, éprouve des sensations et des états d’esprit uniques, personnels à partir des moments de vie qui lui sont étrangers, attestant de sa qualité de frère en humanité. Avec cet ouvrage, Edmond Baudoin atteint un nouveau sommet : un récit libre et une narration visuelle libre, affranchis de toute convention, et dans le même temps une œuvre construite et réfléchie, une expérience littéraire de haute volée. Transcendant.
Les personnages féminins qui incarnent le Mal absolu ne sont pas légion dans la littérature. Serena est rentrée dans un club très fermé au côté de Lady Mac Beth et de Médée. Je n'ai pas lu le roman de Ron Rash mais on sent que l'auteur s'est inspiré avec doigté de la personnalité des illustres ancêtres de Serena. Toute la maîtrise d'Anne-Caroline Pandolfo est de ne pas trahir le personnage dans sa complexité. Comme ces rudes bucherons des Appalaches le lecteur passe de la surprise amusée, à un étonnement respectueux pour finir à la détestation horrifiée devant cette quête du pouvoir absolu. Aucun ours n'est assez sauvage, aucune pente assez abrupte ou aucun homme assez fort pour empêcher cette Médée moderne d'atteindre son but. Pandolfo a très bien su rendre cette ambiance de tragédie théâtrale orchestrée par un cercle restreint de personnages et commentée par le chœur des bucherons. Contrairement au mythe de Médée, Rash déplace le climax de sa tragédie du fils vers le père. C'est probablement le seul souffle de légèreté dans ce récit aride.
Même si la personnalité de Serena écrase l'histoire, le récit est riche de nombreuses autres thématiques modernes (la déforestation, le conflit entre un travail vital pour le bucheron et la sauvegarde de l'environnement pour les générations futures, les conditions de travail et leurs risques, la crise économique et sociale).
Le graphisme de Risbjerg peut détourner certains lecteurs par son âpreté et son aridité. Pourtant l'essentiel est là et je me suis très vite approprié cette raideur du trait qui rend merveilleusement bien la dureté du caractère de Serena et les innombrables rudesses des conditions de vie des travailleurs. Cela fait même plaisir de rencontrer de tels graphismes avec une patte qui sort du classicisme habituel.
Une très belle lecture qui m'a vraiment séduit par la justesse de son traitement.
Un album qui conforte, une nouvelle fois, tout le bien que je pense de cet auteur. D’un côté je ne suis pas surpris et d’un autre ça me rassure de le suivre les yeux fermés. Lire du Nicolas Juncker est toujours un plaisir, j’aime son approche sur des sujets ardus et leurs traitements.
Après Un général, des généraux avec F. Boucq, il revient sur le sujet France/Algérie mais sous un autre angle (tout aussi farce et parodique).
Cette fois l’histoire est fictive (protagonistes, ville …) mais s’inspire d’un fait réel des années post 2000, à savoir la mise en place d’un mémorial dédié aux victimes de la guerre d’Algérie. Un projet bien casse gueule que l’auteur nous propose de suivre à travers une belle brochette de personnages : politiciens, artistes, historiens, associations …
Le résultat m’a bien bien plu, l’auteur pose l’ambiance façon vaudeville, ça va vite, c’est comique et surtout ça n’oublie pas de développer le fond (la mémoire) à travers ces divers témoignages.
Le titre et la couverture (3D ;) amène un beau clin d’œil à l’ensemble et la maîtrise graphique de l’auteur s’est encore améliorée.
Bref une nouvelle fois conquis, du bel ouvrage.
La caste des métabarons...
Une série déjà tellement commentée sur le site, à tel point que je me suis demandé si cela avait encore un quelconque intérêt de donner mon avis...
Mais bon, en ce moment je ressens le besoin de laisser par écrit mes impressions et je viens enfin d'en terminer la lecture.
Note du rédacteur : au moment où je démarre l'écriture de cet avis, j'ai encore quelques tomes à dévorer. Ceci est donc une critique publiée dans un proche futur et écrite dans un passé récent à l'instant où vous lisez ces lignes. Woh, on nage en pleine SF !
Justement! Jodoroswky choisit le personnage du meta-baron aperçu dans l'Incal pour nous conter cette fois-ci une grande saga de science fiction.
J'avais interrompu ma lecture il y a un an et je ne me souvenais plus pourquoi. En relisant les premiers tomes, la mémoire m'est revenue : ces satanés robots !!!
En effet les conteurs de cette histoire sont deux petits androïdes qui vous racontent la généalogie des méta-barons en faisant des blagues pourries toutes les 10 pages environ. Mais c'est suffisant pour les détester puisque leur humour ne s'accorde pas du tout au ton de l'histoire. Ce sont eux les véritables antagonistes de cette saga, vous allez apprendre à les haïr intensément... Jusqu'à leur pardonner à la fin grâce à un tour de magie de Jodoroswky.
Passé ce défaut qui n'est pas rédhibitoire,
les deux talents du scénariste et du dessinateur s'additionnent vraiment dans cette œuvre pour nous livrer un récit où l'épique côtoie le grandiloquent, où le bizarre s'accouple avec le malsain : on retrouve dans cette série tout le spectre des obsessions de Jodoroswky.
La narration est très fluide, rien n'est jamais compliqué. Jodo enchaine les situations et péripéties rocambolesques en poussant le curseur à chaque tome un peu plus loin, ce qui provoque chez le lecteur de bon goût un véritable plaisir ludique.
Et le dessin ? Le trait de Gimenez donne corps aux descriptions hallucinatoires de Jodoroswky. Vous allez passer du temps à admirer les vaisseaux et les explosions de couleurs sur certaines pages !
On a parfois l'impression que Jodo, tout à sa joie de travailler avec un tel dessinateur, cherche en permanence à le pousser dans ses retranchements, en inventant des situations qui semblent impossible à mettre en images.
Mais Gimenez ne fléchira jamais.
Pendant huit albums.
Il va s'améliorer même !
Un véritable exploit.
Un 5 au présent, au passé et au futur.
La lecture de ce diptyque fut une agréable surprise. Je ne suis pas du tout expert en Arts Martiaux et en MMA (Mixed Martial ARTS) en particulier. Ce dernier a eu très mauvaise réputation en Europe et en France jusqu'à peu. C'est la ministre des sports Roxana Maracineanu qui a sorti ce sport d'une marginalité dangereuse. La série de Jack Manini participe à cette entreprise de visibilité et de dédiabolisation. Je ne sais pas si je laisserai mon fils s'engager facilement dans cette pratique mais la série de Manini est assez convaincante. Attention Manini ne cache rien de la dureté et de l'âpreté des combats. Son champion Jimmy Perez sort souvent cabossé de ses affrontements pourtant vainqueur, "Et encore, imaginez ma tronche si j'avais perdu !" (p17 T2). L'auteur intègre des figures de combats et l'histoire du MMA dans un scénario de type thriller familial bien construit où la part des combats est somme toute assez faible. Le tome 1 installe immédiatement le héros Jimmy dans une forte tension dramatique avec un accident de vie totalement étranger au combat. La suite propose un scénario plein de rebondissements et de trahisons qui font de "Total Combat" une vraie histoire plaisante et divertissante.
Le graphisme est un peu rugueux mais colle bien à l'âpreté du milieu. La narration visuelle est dynamique avec des scènes de combats qui privilégient une certaine beauté de la gestuelle sans nier la violence. J'ai bien aimé les ambiances de rues à NY. Rio est un peu moins à mon goût mais cela reste un détail.
Une série intéressante avec plusieurs objectifs atteints. Une réussite malgré deux couvertures peu sexy.
Si vous aimez la bd "Gobelin's" ou Trolls de Troy je pense que vous aimerez rolqwir. Un jeune chevalier français qui rêve d'aventures mais qui n'est pas bien futé, se retrouve au Japon. Beaucoup de références sur notre culture française, clichés et pop culture, tout cela détourné de façon humoristique. A lire.
Django a peut-être été l’homme le plus libre de tous les temps.
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Ce tome contient une biographie des jeunes années de Django Reinhardt (1910-1953) qui ne nécessite pas de connaissance préalable sur ce musicien. Son édition originale date 2020. Il a été réalisé par Salva Rubio pour le scénario et par Ricard Efa pour les dessins et les couleurs. Il comprend soixante-deux pages de bande dessinée. Il débute par un texte introductif d’une page, rédigé par Thomas Dutronc qui déclare que Django était un dieu de la guitare, et qui développe son admiration pour ce musicien. Il se termine avec un copieux cahier thématique de seize pages avec de nombreuses photographies abordant la réalité historique de la vie de Django Reinhardt, entre ce qui est connu des circonstances de sa naissance, l’environnement dans lequel il a grandi (la Zone), le choix des morceaux interprétés par Django au cours de la bande dessinée (Les yeux noirs, La Madelon, La Montmartroise, et bien sûr Nuages, Everybody loves my baby, Ma régulière, Dinah, The sheik, Hard hearted Hannah), ses débuts un peu décalés dans le monde du bal musette, ses premiers contacts avec le jazz, ses premiers enregistrements et son nom mal orthographié, ainsi que son séjour à l’hôpital. Vient enfin une bibliographie sélective.
Par une rude journée d’hiver, dans une épaisse robe, avec un châle et un fichu, Laurence Reinhart marche d’un bon pas dans le chemin enneigé. Elle se hâte de gagner le village, tout en tenant fermement son ventre rebondi de femme enceinte. Soudain, elle sent qu’elle perd les eaux, et elle peut voir la flaque fumante dans la neige. Le vingt-trois janvier 1910, sur la grand-place du village de Liberchies, près de Charleroi, en Belgique, un groupe de musiciens est en train de monter sur l’estrade. Jean-Baptiste Reinhardt s’agace que sa femme ne soit pas encore arrivée, qu’elle n’en fasse qu’à sa tête. Une dame lui dit que le bébé est arrivé. Dans une roulotte, la jeune mère est allongée, le nouveau-né dans ses bras. Le père finit par arriver et il lui donne un nom : Django. Oui, Django était arrivé parmi eux. Mais Django Reinhardt a eu deux naissances. Celle-ci ne fut que la première. Et chacun sait, c’est de la souffrance que l’on naît.
En 1922, la Zone, près de la porte à Choisy, Django a gagné en confiance et il est en train de déclarer à son petit frère et à sa petite sœur que c’est lui le maître de la Zone, le chef de la bande des Foulards Rouges, il est le gangster Django Reinhardt. Et il leur proclame que maintenant ce territoire leur appartient. Et d’ici, ils vont conquérir l’Amérique. Il se tourne vers eux pour les enjoindre d’aller de l’avant, et il se rend compte qu’ils sont restés cachés derrière un talus. Son petit frère Nin-Nin lui rappelle qu’ils sont sur le territoire des Foulards bleus, que ces derniers vont les attraper et leur fichent une raclée. En effet, cinq autres enfants arrivent et les tapent. De retour au camp tzigane, la mère soigne Django et lui déclare qu’elle est bien contente que les autres leur aient flanqué une raclée. Elle ajoute : tant qu’à se bagarrer, ils auraient pu se débrouiller au moins pour gagner. Un ancien intervient pour les réprimander et rappeler que Django pourrait au moins aller à l’école pour apprendre à lire.
Le lecteur peut être alléché à l’idée de découvrir un récit de la jeunesse de ce grand guitariste, couvrant majoritairement la période allant de ses douze ans en 1922, à ses vingt ans en 1930. Il peut aussi avoir déjà lu d’autres ouvrages de ce duo de créateurs et être tombé sous le charme de leur narration : Monet - Nomade de la lumière (2017) ou Degas - La Danse de la solitude (2021). Après avoir lu la bande dessinée, il se plonge dans le copieux dossier et il découvre la postface, dans laquelle le scénariste explicite sa démarche. Il rappelle que : Personne, bien sûr, ne rassemble de la documentation sur les premières années de vie d’une personne ordinaire dont on ne s’attend aucunement à ce qu’elle devienne un jour l’un des plus grands génies musicaux du siècle. Il ajoute que : dans l’univers manouche, c’était seulement par la tradition que l’histoire était transmise, volontairement embellie d’anecdotes, d’exagérations et de contes rarement fiables. Enfin il indique qu’un scénariste historien comme lui accomplit une triple tâche. Un : se mettre en quête de témoignages, sources et récits qui fourniront des faits, des scènes et des rencontres dont la bande dessinée rendra compte. Deux : les transformer en un récit fluide, logique et efficace. Trois : atteindre un équilibre entre les deux précédents pour transmettre au lecteur ce qui est su et ce qu’il est impossible de savoir, de la façon la plus fiable possible, mais aussi la plus passionnante.
En commentant une illustration en double page, le scénariste a ce mot : Il restait si peu d’espace libre, dans une vie si pleine… Effectivement, la lecture peut donner une impression de narration dense, à commencer par la taille des lettres plus petite que d’habitude, ainsi régulièrement que la densité d’informations visuelles. Dans le même temps, chaque case s’assimile au premier coup d’œil et se lit facilement. L’artiste utilise un mode amalgamant des traits de contour relativement fins et souples avec de discrets arrondis convenant parfaitement à la jeunesse du musicien, et la technique de la couleur directe pour apporter d’autres informations visuelles, des textures et des ambiances lumineuses. Ainsi il réalise une reconstitution historique étoffée aussi remarquable que naturelle. Le lecteur peut très bien ne pas y prêter attention plus que ça au début. Bien vite, il prend conscience qu’il trouve les éléments qu’il attendait : les roulottes, les tenues manouches, les costumes de gadjé musiciens de Paris avec leur feutre mou, les scènes communautaires des gens du voyage, etc. À l’occasion d’une scène ou d’une autre, la curiosité ou un détail l’intrigue et il prête plus d’attention à une case ou un élément visuel. Il se rend alors compte de l’investissement du dessinateur dans ses représentations.
Efa va au-delà de la simple impression globale ou de l’apparence au premier coup d’œil. Il soigne chaque aspect historique : les tenues vestimentaires en différenciant celles plus traditionnelles des Manouches, entre femmes et hommes, ou encore les enfants. Il évoque aussi bien les terrains vagues de la Zone, que les rues pavées de Paris, les rails du tramway, la cour intérieure de l’hôpital Lariboisière. Il soigne également les intérieurs, tant dans leur aménagement que leur décoration, ou encore les accessoires : les roulottes, les bistrots accueillant un orchestre, la chambre d’hôpital, les couloirs de Lariboisière. Dans la première partie, le lecteur se régale avec les quatre cents coups de Django : bagarre de bande, attaque de voiture automobile pour provoquer un accident, tentative de faire dérailler un tramway, et puis l’apprentissage obsessionnel du banjo-guitare avec l’intensité propre à cet âge. Alors que Django devient majeur, sa confiance en lui et son arrogance en impose, avec toujours cette implication dans son art qui le rend sympathique (et puis le lecteur sait qu’il va devenir un dieu de la guitare, mondialement reconnu). Après l’accident, le lecteur regarde le jeune homme à la fois abattu par la perte de son talent, à la fois accablé à la perspective d’une vie de mendiant. La direction d’acteurs insuffle une vie et une plausibilité dans les comportements, au point que le lecteur ressent comme une vérité ce qu’il voit. La mise en scène apporte également une grande clarté dans chaque scène, ainsi qu’une évidence narrative : l’apaisement procuré par la concentration de la pratique du banjo, le contentement ineffable de pouvoir jouer dans un ensemble d’adultes, l’attraction amoureuse magnétique entre Django et Florine Mayer, la communauté manouche unie pour récupérer Django et l’extraire de l’hôpital, les magnifiques deux pages de réapprentissage avec la position de la main gauche sur le manche, etc.
Le scénariste a fourni un travail tout aussi remarquable de reconstitution historique que ce soit pour les lieux comme la Zone (espace résultant de l’enceinte de Thiers, surnommé aussi les fortifications ou les fortif’) ou l’hôpital Lariboisière, pour l’évocation de la première carrière de Django avec ses différents chefs de formation musicale : Pierre Vettese dit Guérino (1895-1952), accordéoniste français d'origine sinti piémontaise, Jean Vaissade (1911-1979), accordéoniste et un compositeur français, Jack Hylton (1892-1965), chef d'ensemble à vent, chef d'orchestre, impresario, Émile Audiffred (1894-1948), chanteur, librettiste, parolier et producteur français. S’il connaît le répertoire de l’époque, le lecteur relève les références aux airs populaires, sinon il les découvre dans le dossier en fin d’ouvrage, à commencer par Nuages. Bientôt le lecteur suit Django, en pleine empathie, sans plus se préoccuper de faire preuve de distanciation ou d’esprit critique. Il poursuit sa lecture avec le dossier dans lequel l’auteur expose ce qui relève de faits établis, et ce qui relève d’une interprétation, assimilant par là-même les informations historiques et leur contexte dont il ne disposait pas forcément. Il prend connaissance de l’état d’esprit du scénariste ou de sa ligne directrice : Quand l’historien et le scénariste se mettent finalement d’accord, ils en arrivent à une conclusion claire, il n’existe pas de héros réel qui n’ait sa part de légende.
Qu’il ait déjà succombé au charme de Nuages ou non, le lecteur peut éprouver de la curiosité pour les jeunes années de Django Reinhardt, avant la célébrité, ou vouloir retrouver ce duo d’auteurs. Il apprécie immédiatement la narration visuelle colorée et agréable, tout autant que rigoureuse, documentée, à la mise en scène fluide et sophistiquée. Il suit un jeune délinquant sur une mauvaise pente, trouvant sa raison de vivre dans le banjo qui lui permet d’intégrer le monde des adultes en avance, puis le terrible accident et la force de caractère permettant de construire une seconde vie, avec l’aide de sa communauté. Singulier.
Ce premier épisode est plein de promesses. C'est une série jeunesse qui débute sur une belle lancée pour plaire à un public assez jeune. J'y ai trouvé un bel équilibre entre le scénario et un graphisme très attractif et coloré. Le scénario reste classique mêlant le merveilleux, le surnaturel et l'aventure du jeune orphelin Loun et de la salamandre Nahal qui ne sait pas attraper de poissons.
Loun malgré son jeune âge est un pêcheur expérimenté, aidé dans sa pratique par la protection du Poisson-roi. Suite à une bévue de Nahal les deux personnages devront s'acquitter d'une épreuve qui les conduira à la découverte d'éléments du passé douloureux de Loun. Les valeurs de courage, solidarité, complémentarité et responsabilité sont mises en avant à travers le personnage de Loun très mature. Nahal fait un contrepoint comique qui exprimera sa complémentarité le moment venu.
La narration est très fluide avec un bon niveau de langage ce qui procure une lecture facile et agréable pour tous.
J'ai beaucoup apprécié le graphisme rond, dynamique et coloré de Zoé B. Simpson. L'autrice nous entraine dans une ambiance à la saveur asiatique très exotique. Le village côtier puise son inspiration dans l'architecture méditerranéenne. Ce mixte humain-animaux passe très bien et donne une belle diversité à un visuel très bien travaillé dans les détails.
Une lecture jeunesse attrayante et j'attends la suite avec curiosité.
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Nous sommes résolument engagés dans la réduction de notre empreinte carbone, pour prendre notre part dans la lutte contre le réchauffement climatique et la préservation de la planète.
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La mission de Cultura est de faire vivre et aimer la culture. Pour cela, nous souhaitons stimuler la diversité des pratiques culturelles, sources d’éveil et d’émancipation.
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Ulysse & Cyrano
Cette BD semblait faire suffisamment l'unanimité pour que je sois intéressé par sa lecture, en l'empruntant à un ami qui se l'était fait offrir. Un joli cadeau, quand on voit le bestiau en face, et également une belle lecture. Franchement, je n'ai pas grand chose à ajouter aux autres avis : c'est léger et linéaire comme récit, mais sans être totalement manichéen non plus. On a la classique opposition entre deux mondes, la confrontation d'un jeune homme avec son père qui a de grands projets pour lui, les ennuis familiales et quelques considérations sur la transmission. Le tout englobé dans des histoires de sortir de la Seconde Guerre Mondiale et, bien évidemment, la cuisine. C'est d'ailleurs une BD que je déconseille de lire à jeun, ça risque de vous donner une de ces fringale ! Clairement la BD simple et claire, classique mais excellente, comme une très bonne recette légèrement revisitée. J'ai apprécié cette lecture porté par un dessin simple, clair et jouant assez habilement des couleurs. Le tout dans une mise en page grand format qui permet de profiter pleinement des détails. Le genre de BD dont je raffole parce qu'elle est de cette simplicité qui se suffit largement. Recommandé, n'en attendez pas le chef-d’œuvre du siècle et vous serez sans doute comblé !
Les Larmes du Seigneur Afghan
Même si l'Afghanistan n'a plus beaucoup de place dans les médias occidentaux d'aujourd'hui, j'ai trouvé cette lecture bien intéressante. Le reportage date de 2010 et le récit de 2014 juste avant l'élection présidentielle et la première victoire d'Ashraf Ghani. Quinze ans plus tard cette série reportage passe presque de la série documentaire journalistique au récit historique. En effet il présente les germes de la victoire écrasante et totale des Talibans en 2021. En effet Pascale Bourgaux note comment le point de vue des Talibans progresse au sein même de la famille de son hôte. Cet échec est attribué à la quasi unanimité à deux causes premières: la corruption et les maladresses meurtrières des militaires ou sociétales des occidentaux. La journaliste se met elle même parfois en difficultés dans son récit ce qui montre la difficulté de la tâche. Pouvait-il en être autrement? La journaliste ne prétend pas répondre à cette question même si elle souligne quelques anecdotes ( la mini jupe, les morts amis provoqués par les soldats allemands) qui ont surtout vocation à faire réagir émotionnellement. De même la situation dans ce petit village du nord de l'Afghanistan ne peut pas prétendre à délivrer une vision universelle de toutes les régions afghanes. A mon avis la principale qualité du récit est de faire sentir que l'on était sur le fil du rasoir avec un possible basculement d'un côté comme de l'autre. Malgré la tension de certaines séquences les auteurs avaient choisi de parier sur une présentation plutôt optimiste. Je l'ai ressenti à travers un graphisme paisible qui privilégie les beaux paysages, les marché aux tissus flamboyants ou à une reconstruction des axes de communications par une société turque. On connait la suite et depuis le 15 août 2021 Pascale Bourgaux a eu la réponse à la dernière question qu'elle se pose dans la BD.
Le Chemin de Saint-Jean
Une vie comme marcher, courir, devenir une route, un chemin. - Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre, entre évocation du chemin et association libre d’idées. Son édition originale date de 2002. Il a été réalisé par Edmond Baudoin pour le scénario et les dessins. Il comprend quatre-vingt-huit pages de bande dessinée en noir & blanc. Un chemin ensoleillé dans l’arrière-pays niçois, partant de Villars-sur-Var dans les Alpes-Maritimes. Edmond n’est pas le seul à marcher sur ce chemin. Les chasseurs y viennent en automne, les randonneurs au printemps, le berger souvent. Le berger y vient peut-être plus souvent que lui. Mais son problème principal consiste à faire vivre en belle harmonie des chèvres, des moutons, un chien. Alors que lui Edmond ne m’intéresse qu’à lui et il s’étale ensuite sur du papier. Cette préoccupation constante ressemble un peu à une maladie. Elle ne le place pas au-dessus du berger, des chasseurs, des randonneurs. Elle a fait simplement qu’avec le temps et quelque chose de l’apprentissage, il veut essayer de dessiner le chemin et d’écrire sur lui. Il y a dans le monde des chemins plus beaux, mais c’est de celui-là qu’il veut parler. C’est son chemin. Il ne lui appartient pas, mais c’est un peu lui qui l’a fait. Il dit Son chemin comme on dit Sa mère. Quand il a fait le premier dessin, il était assis sur une pierre avec une sorte de fatigue. C’est souvent comme ça au début d’une promenade. Son chemin fait un cercle, où commence un cercle ? Il peut décider qu’il commence à partir de cette pierre, c’est bien une pierre, c’est ancien. Mais ensuite ? Comment choisir une image plutôt qu’une autre ? Il lui faudrait s’arrêter à chaque pas, faire un dessin, se retourner, en faire un autre. Et puis dessiner ce qu’il voit sur le côté, à droite, à gauche. Et pourquoi à chaque pas ? Pourquoi pas tous les dix centimètres ? Ou tous les un ? Il faudrait aussi refaire le même paysage plusieurs fois. Dans des heures différentes, dans d’autres jours, dans d’autres saisons. Avec le temps il comprendrait ses erreurs, il affinerait son trait. Son style changerait, il viendrait avec d’autres papiers, de la couleur. Tout est trop ou trop peu. Qu’est-ce qu’il doit faire ? Dessiner simplement la pierre sur laquelle il se trouve ? À elle aussi, il appartient. Il la recopierait sous tous les angles. Ensuite pourquoi pas, il irait chercher une loupe. Mais il deviendrait fou. Et il voudrait avec un microscope peindre jusqu’aux atomes de ce stupide bloc de calcaire qui lui fait mal aux fesses. Vers la fin de l’été avec son frère Piero, ils venaient là avec des sacs de charbonnier. La forêt de pins était dense. C’était avant l’incendie, bien avant, ils étaient encore des petits. La mère voulait des provisions de pignes pour les feux de l’hiver. En français, on dit pommes de pins. Edmond n’a jamais mangé de pignes. Un des deux restait sur le chemin, l’autre allait en amont et provoquait des avalanches de pignes que celui d’en bas essayait de stopper. Ils s’écorchaient les mains, ils détestaient cette corvée. Ils riaient beaucoup. C’est du Baudoin pur jus… Ce créateur a fait preuve d’une voix aussi personnelle qu’originale dès le début de sa carrière. De prime abord, soit en feuilletant, soit en lisant quelques cartouches de texte, le lecteur se trouve bien en peine de déterminer la nature de l’ouvrage, son thème principal, ou même s’il y a une histoire. Voire il peut s’interroger sur la cohérence de ce qu’il va lire. Le titre s’avère très premier degré : l’auteur raconte ce chemin dit de Saint-Jean qui part du village de Villars-sur-Var. Déjà, la démarche de raconter un chemin le place à part de 99% de la production de bande dessinée, voire littéraire. Ensuite, difficile d’envisager un dessin de couverture plus cryptique. Avec ses coups de pinceau si caractéristiques de son art, il représente un homme assis sur le bord du chemin, certainement lui-même avec une large pierre à la place de la tête, flottant au-dessus des épaules, sans cou. La première planche comprend deux cases : une avec bordure certainement le point de départ du chemin de Saint-Jean, et une autre sans bordure avec le même dessin que la couverture et un arbuste sur la droite. Par la suite, en feuilletant, le regard du lecteur peut être attiré par des éléments aussi disparates que l’esquisse du plan de principe du chemin, de magnifiques représentations du chemin et de la nature en bordure, quelques cases à l’encre proches de l’épure chinoise allant vers l’abstraction, et puis une décomposition des mouvements d’un homme qui danse, une église, une case blanche, des fleurs, etc. Oui, la promesse contenue dans le titre est tenue : le lecteur parcourt le chemin de Saint-Jean avec Edmond Baudoin. Dans la troisième planche, il découvre ce fac-similé de plan qui montre la boucle que fait le chemin autour du mont sur lequel se trouve la chapelle Saint-Jean. Il voit le point où se situe la pierre qui sert de tête au personnage sur la couverture. Il marche tranquillement, avec la vision du chemin devant lui, les arbres en bordure, le précipice à un moment, la végétation propre à cette région. L’auteur évoque la boucle comme un cercle. Il explique donc son attachement à ce chemin, ainsi que cette notion de cercle. Avec cette capacité extraordinaire, il donne la sensation de balade, chaque dessin correspondant à son regard, à sa façon de voir le monde. Le lecteur se dit qu’il pourrait très bien considérer cette bande dessinée comme un simple recueil de dessins du chemin, les différents endroits, ce qui constituerait déjà un ouvrage extraordinaire, une transcription d’un lieu souvent parcouru, chargé de souvenirs. Il se laisse aller dans sa lecture, chaque dessin commençant par produire un effet d’ensemble, chaque dessin capturant un état d’esprit, un moment particulier, transcrivant des sensations, à la fois dans la continuité des précédents, à la fois unique. Régulièrement le lecteur s’attarde sur l’un ou l’autre, sur un élément particulier : l’équilibre entre les traits noirs et les surfaces blanches, les grands coups de pinceaux, leurs contours charbonneux, les traits plus fins, les surfaces patinées. Il se perd dans une portion, voyant un assemblage tracés hétéroclites, de formes abstraites, une réunion de trucs et de machins sans rapport. Puis il reprend du recul et l’harmonie de l’ensemble lui apparaît comme une évidence. L’approche picturale de Baudoin exprime son originalité dans chaque trait. Il mystifie le lecteur jusqu’à un état mêlant confusion et exaltation. Finalement, il ne s’agit que de dessin d’après nature, d’un chemin comme il en existe beaucoup d’autres dans la région. Dans le même temps, comment fait-on pour exprimer ses ressentis avec des constructions de traits aussi improbables ? De surcroît, ce voyage s’avère plein de surprises, allant au-delà d’une collection de photographies prises sous l’inspiration du moment. Le lecteur ressent à chaque page que ce chemin a fait l’auteur, comme il l’écrit. Tel endroit lui rappelle son frère Piero (à qui il a consacré un album en 1998)quand il ramassait des pignes, tel autre son père assis au bord d’un petit canal (une construction de page bizarre : le portrait du père assis comme son fils plus tard, encadré par douze représentations différentes de son visage, plus ou moins précises, comme si la mémoire fluctuait), un surplomb au-dessus du ravin qui lui rappelle sa mère dont il tenait la main à cet endroit, les ruines d’une maison qui se dégrade au fil des années, l’église Saint-Jean qui lui évoque la procession dont il ne comprenait pas le sens du chant, etc. L’auteur développe chaque élément au fil de sa balade, pas comme une suite de souvenirs ponctuels, car le lecteur ressent bien qu’ils appartiennent tous à la même personne, qu’ils apparaissent de manière organique à tel ou tel endroit. Puis en planche quarante, le lecteur tombe sur une case évoquant Michel, ami défunt, avec un dessin fait à partir de l’œuvre picturale : Happé par un oiseau (1980), réalisée par Pootoogook, une femme artiste inuit. Planche quarante-sept, l’auteur raconte que début août 2001, il est de retour au Québec pour une deuxième année à l’université, en tant que professeur (il digresse pour ajouter qu’il n’est pas professeur, comme il n’est pas auteur de bandes dessinées, comme il n’est pas grand-père, comme il n’a jamais été comptable). Puis viennent deux planches totalisant dix-neuf cases, et autant de fleurs différentes. Puis retour à l’évocation de son séjour au Québec. Le même phénomène se produit à nouveau : une association d’éléments hétéroclites reliés par le flux des souvenirs, ou du vagabondage de l’esprit de l’auteur… tout en formant un tout d’une grande cohérence. Au fil du flux de pensée : le vol de forteresses volantes de la seconde guerre mondiale, l’artiste Napache Pootoogook, femme artiste inuit, des paysages du Québec, le rapprochement visuels des traits des coureurs et des traits des balles, un Inuksuk, la considération que le Québec n’a pas d’Histoire mais beaucoup de Géographie, la considération de voir les plus vieilles pierres, une anecdote sur un ami qui lui avait vendu un lot de toiles (ses peintures recouvertes de blanc, redevenues vierges), et pour finir le sort de la pierre sur laquelle il a fait le premier dessin. C’est du Baudoin, et même du Baudoin de haute volée : pas de récit, et pourtant une structure rigoureuse, une longue digression au Québec, et pourtant une thématique filée avec élégance, des considérations d’ordre générale sur la beauté de la nature et la vilenie de l’être humain, des souvenirs éminemment personnels partagés avec une honnêteté émotionnelle totale au point que le lecteur les fait siens. Une bande dessinée entre carnet de voyage, réminiscences, réflexions existentielles, parsemés des thèmes habituels de l’auteur, de ce créateur sans pareil. Le lecteur se laisse porter par la balade sur le chemin de Saint-Jean, par les souvenirs intimes, éprouve des sensations et des états d’esprit uniques, personnels à partir des moments de vie qui lui sont étrangers, attestant de sa qualité de frère en humanité. Avec cet ouvrage, Edmond Baudoin atteint un nouveau sommet : un récit libre et une narration visuelle libre, affranchis de toute convention, et dans le même temps une œuvre construite et réfléchie, une expérience littéraire de haute volée. Transcendant.
Serena
Les personnages féminins qui incarnent le Mal absolu ne sont pas légion dans la littérature. Serena est rentrée dans un club très fermé au côté de Lady Mac Beth et de Médée. Je n'ai pas lu le roman de Ron Rash mais on sent que l'auteur s'est inspiré avec doigté de la personnalité des illustres ancêtres de Serena. Toute la maîtrise d'Anne-Caroline Pandolfo est de ne pas trahir le personnage dans sa complexité. Comme ces rudes bucherons des Appalaches le lecteur passe de la surprise amusée, à un étonnement respectueux pour finir à la détestation horrifiée devant cette quête du pouvoir absolu. Aucun ours n'est assez sauvage, aucune pente assez abrupte ou aucun homme assez fort pour empêcher cette Médée moderne d'atteindre son but. Pandolfo a très bien su rendre cette ambiance de tragédie théâtrale orchestrée par un cercle restreint de personnages et commentée par le chœur des bucherons. Contrairement au mythe de Médée, Rash déplace le climax de sa tragédie du fils vers le père. C'est probablement le seul souffle de légèreté dans ce récit aride. Même si la personnalité de Serena écrase l'histoire, le récit est riche de nombreuses autres thématiques modernes (la déforestation, le conflit entre un travail vital pour le bucheron et la sauvegarde de l'environnement pour les générations futures, les conditions de travail et leurs risques, la crise économique et sociale). Le graphisme de Risbjerg peut détourner certains lecteurs par son âpreté et son aridité. Pourtant l'essentiel est là et je me suis très vite approprié cette raideur du trait qui rend merveilleusement bien la dureté du caractère de Serena et les innombrables rudesses des conditions de vie des travailleurs. Cela fait même plaisir de rencontrer de tels graphismes avec une patte qui sort du classicisme habituel. Une très belle lecture qui m'a vraiment séduit par la justesse de son traitement.
Trous de mémoires
Un album qui conforte, une nouvelle fois, tout le bien que je pense de cet auteur. D’un côté je ne suis pas surpris et d’un autre ça me rassure de le suivre les yeux fermés. Lire du Nicolas Juncker est toujours un plaisir, j’aime son approche sur des sujets ardus et leurs traitements. Après Un général, des généraux avec F. Boucq, il revient sur le sujet France/Algérie mais sous un autre angle (tout aussi farce et parodique). Cette fois l’histoire est fictive (protagonistes, ville …) mais s’inspire d’un fait réel des années post 2000, à savoir la mise en place d’un mémorial dédié aux victimes de la guerre d’Algérie. Un projet bien casse gueule que l’auteur nous propose de suivre à travers une belle brochette de personnages : politiciens, artistes, historiens, associations … Le résultat m’a bien bien plu, l’auteur pose l’ambiance façon vaudeville, ça va vite, c’est comique et surtout ça n’oublie pas de développer le fond (la mémoire) à travers ces divers témoignages. Le titre et la couverture (3D ;) amène un beau clin d’œil à l’ensemble et la maîtrise graphique de l’auteur s’est encore améliorée. Bref une nouvelle fois conquis, du bel ouvrage.
La Caste des Méta-barons
La caste des métabarons... Une série déjà tellement commentée sur le site, à tel point que je me suis demandé si cela avait encore un quelconque intérêt de donner mon avis... Mais bon, en ce moment je ressens le besoin de laisser par écrit mes impressions et je viens enfin d'en terminer la lecture. Note du rédacteur : au moment où je démarre l'écriture de cet avis, j'ai encore quelques tomes à dévorer. Ceci est donc une critique publiée dans un proche futur et écrite dans un passé récent à l'instant où vous lisez ces lignes. Woh, on nage en pleine SF ! Justement! Jodoroswky choisit le personnage du meta-baron aperçu dans l'Incal pour nous conter cette fois-ci une grande saga de science fiction. J'avais interrompu ma lecture il y a un an et je ne me souvenais plus pourquoi. En relisant les premiers tomes, la mémoire m'est revenue : ces satanés robots !!! En effet les conteurs de cette histoire sont deux petits androïdes qui vous racontent la généalogie des méta-barons en faisant des blagues pourries toutes les 10 pages environ. Mais c'est suffisant pour les détester puisque leur humour ne s'accorde pas du tout au ton de l'histoire. Ce sont eux les véritables antagonistes de cette saga, vous allez apprendre à les haïr intensément... Jusqu'à leur pardonner à la fin grâce à un tour de magie de Jodoroswky. Passé ce défaut qui n'est pas rédhibitoire, les deux talents du scénariste et du dessinateur s'additionnent vraiment dans cette œuvre pour nous livrer un récit où l'épique côtoie le grandiloquent, où le bizarre s'accouple avec le malsain : on retrouve dans cette série tout le spectre des obsessions de Jodoroswky. La narration est très fluide, rien n'est jamais compliqué. Jodo enchaine les situations et péripéties rocambolesques en poussant le curseur à chaque tome un peu plus loin, ce qui provoque chez le lecteur de bon goût un véritable plaisir ludique. Et le dessin ? Le trait de Gimenez donne corps aux descriptions hallucinatoires de Jodoroswky. Vous allez passer du temps à admirer les vaisseaux et les explosions de couleurs sur certaines pages ! On a parfois l'impression que Jodo, tout à sa joie de travailler avec un tel dessinateur, cherche en permanence à le pousser dans ses retranchements, en inventant des situations qui semblent impossible à mettre en images. Mais Gimenez ne fléchira jamais. Pendant huit albums. Il va s'améliorer même ! Un véritable exploit. Un 5 au présent, au passé et au futur.
Total Combat
La lecture de ce diptyque fut une agréable surprise. Je ne suis pas du tout expert en Arts Martiaux et en MMA (Mixed Martial ARTS) en particulier. Ce dernier a eu très mauvaise réputation en Europe et en France jusqu'à peu. C'est la ministre des sports Roxana Maracineanu qui a sorti ce sport d'une marginalité dangereuse. La série de Jack Manini participe à cette entreprise de visibilité et de dédiabolisation. Je ne sais pas si je laisserai mon fils s'engager facilement dans cette pratique mais la série de Manini est assez convaincante. Attention Manini ne cache rien de la dureté et de l'âpreté des combats. Son champion Jimmy Perez sort souvent cabossé de ses affrontements pourtant vainqueur, "Et encore, imaginez ma tronche si j'avais perdu !" (p17 T2). L'auteur intègre des figures de combats et l'histoire du MMA dans un scénario de type thriller familial bien construit où la part des combats est somme toute assez faible. Le tome 1 installe immédiatement le héros Jimmy dans une forte tension dramatique avec un accident de vie totalement étranger au combat. La suite propose un scénario plein de rebondissements et de trahisons qui font de "Total Combat" une vraie histoire plaisante et divertissante. Le graphisme est un peu rugueux mais colle bien à l'âpreté du milieu. La narration visuelle est dynamique avec des scènes de combats qui privilégient une certaine beauté de la gestuelle sans nier la violence. J'ai bien aimé les ambiances de rues à NY. Rio est un peu moins à mon goût mais cela reste un détail. Une série intéressante avec plusieurs objectifs atteints. Une réussite malgré deux couvertures peu sexy.
Rolqwir
Si vous aimez la bd "Gobelin's" ou Trolls de Troy je pense que vous aimerez rolqwir. Un jeune chevalier français qui rêve d'aventures mais qui n'est pas bien futé, se retrouve au Japon. Beaucoup de références sur notre culture française, clichés et pop culture, tout cela détourné de façon humoristique. A lire.
Django Main de feu
Django a peut-être été l’homme le plus libre de tous les temps. - Ce tome contient une biographie des jeunes années de Django Reinhardt (1910-1953) qui ne nécessite pas de connaissance préalable sur ce musicien. Son édition originale date 2020. Il a été réalisé par Salva Rubio pour le scénario et par Ricard Efa pour les dessins et les couleurs. Il comprend soixante-deux pages de bande dessinée. Il débute par un texte introductif d’une page, rédigé par Thomas Dutronc qui déclare que Django était un dieu de la guitare, et qui développe son admiration pour ce musicien. Il se termine avec un copieux cahier thématique de seize pages avec de nombreuses photographies abordant la réalité historique de la vie de Django Reinhardt, entre ce qui est connu des circonstances de sa naissance, l’environnement dans lequel il a grandi (la Zone), le choix des morceaux interprétés par Django au cours de la bande dessinée (Les yeux noirs, La Madelon, La Montmartroise, et bien sûr Nuages, Everybody loves my baby, Ma régulière, Dinah, The sheik, Hard hearted Hannah), ses débuts un peu décalés dans le monde du bal musette, ses premiers contacts avec le jazz, ses premiers enregistrements et son nom mal orthographié, ainsi que son séjour à l’hôpital. Vient enfin une bibliographie sélective. Par une rude journée d’hiver, dans une épaisse robe, avec un châle et un fichu, Laurence Reinhart marche d’un bon pas dans le chemin enneigé. Elle se hâte de gagner le village, tout en tenant fermement son ventre rebondi de femme enceinte. Soudain, elle sent qu’elle perd les eaux, et elle peut voir la flaque fumante dans la neige. Le vingt-trois janvier 1910, sur la grand-place du village de Liberchies, près de Charleroi, en Belgique, un groupe de musiciens est en train de monter sur l’estrade. Jean-Baptiste Reinhardt s’agace que sa femme ne soit pas encore arrivée, qu’elle n’en fasse qu’à sa tête. Une dame lui dit que le bébé est arrivé. Dans une roulotte, la jeune mère est allongée, le nouveau-né dans ses bras. Le père finit par arriver et il lui donne un nom : Django. Oui, Django était arrivé parmi eux. Mais Django Reinhardt a eu deux naissances. Celle-ci ne fut que la première. Et chacun sait, c’est de la souffrance que l’on naît. En 1922, la Zone, près de la porte à Choisy, Django a gagné en confiance et il est en train de déclarer à son petit frère et à sa petite sœur que c’est lui le maître de la Zone, le chef de la bande des Foulards Rouges, il est le gangster Django Reinhardt. Et il leur proclame que maintenant ce territoire leur appartient. Et d’ici, ils vont conquérir l’Amérique. Il se tourne vers eux pour les enjoindre d’aller de l’avant, et il se rend compte qu’ils sont restés cachés derrière un talus. Son petit frère Nin-Nin lui rappelle qu’ils sont sur le territoire des Foulards bleus, que ces derniers vont les attraper et leur fichent une raclée. En effet, cinq autres enfants arrivent et les tapent. De retour au camp tzigane, la mère soigne Django et lui déclare qu’elle est bien contente que les autres leur aient flanqué une raclée. Elle ajoute : tant qu’à se bagarrer, ils auraient pu se débrouiller au moins pour gagner. Un ancien intervient pour les réprimander et rappeler que Django pourrait au moins aller à l’école pour apprendre à lire. Le lecteur peut être alléché à l’idée de découvrir un récit de la jeunesse de ce grand guitariste, couvrant majoritairement la période allant de ses douze ans en 1922, à ses vingt ans en 1930. Il peut aussi avoir déjà lu d’autres ouvrages de ce duo de créateurs et être tombé sous le charme de leur narration : Monet - Nomade de la lumière (2017) ou Degas - La Danse de la solitude (2021). Après avoir lu la bande dessinée, il se plonge dans le copieux dossier et il découvre la postface, dans laquelle le scénariste explicite sa démarche. Il rappelle que : Personne, bien sûr, ne rassemble de la documentation sur les premières années de vie d’une personne ordinaire dont on ne s’attend aucunement à ce qu’elle devienne un jour l’un des plus grands génies musicaux du siècle. Il ajoute que : dans l’univers manouche, c’était seulement par la tradition que l’histoire était transmise, volontairement embellie d’anecdotes, d’exagérations et de contes rarement fiables. Enfin il indique qu’un scénariste historien comme lui accomplit une triple tâche. Un : se mettre en quête de témoignages, sources et récits qui fourniront des faits, des scènes et des rencontres dont la bande dessinée rendra compte. Deux : les transformer en un récit fluide, logique et efficace. Trois : atteindre un équilibre entre les deux précédents pour transmettre au lecteur ce qui est su et ce qu’il est impossible de savoir, de la façon la plus fiable possible, mais aussi la plus passionnante. En commentant une illustration en double page, le scénariste a ce mot : Il restait si peu d’espace libre, dans une vie si pleine… Effectivement, la lecture peut donner une impression de narration dense, à commencer par la taille des lettres plus petite que d’habitude, ainsi régulièrement que la densité d’informations visuelles. Dans le même temps, chaque case s’assimile au premier coup d’œil et se lit facilement. L’artiste utilise un mode amalgamant des traits de contour relativement fins et souples avec de discrets arrondis convenant parfaitement à la jeunesse du musicien, et la technique de la couleur directe pour apporter d’autres informations visuelles, des textures et des ambiances lumineuses. Ainsi il réalise une reconstitution historique étoffée aussi remarquable que naturelle. Le lecteur peut très bien ne pas y prêter attention plus que ça au début. Bien vite, il prend conscience qu’il trouve les éléments qu’il attendait : les roulottes, les tenues manouches, les costumes de gadjé musiciens de Paris avec leur feutre mou, les scènes communautaires des gens du voyage, etc. À l’occasion d’une scène ou d’une autre, la curiosité ou un détail l’intrigue et il prête plus d’attention à une case ou un élément visuel. Il se rend alors compte de l’investissement du dessinateur dans ses représentations. Efa va au-delà de la simple impression globale ou de l’apparence au premier coup d’œil. Il soigne chaque aspect historique : les tenues vestimentaires en différenciant celles plus traditionnelles des Manouches, entre femmes et hommes, ou encore les enfants. Il évoque aussi bien les terrains vagues de la Zone, que les rues pavées de Paris, les rails du tramway, la cour intérieure de l’hôpital Lariboisière. Il soigne également les intérieurs, tant dans leur aménagement que leur décoration, ou encore les accessoires : les roulottes, les bistrots accueillant un orchestre, la chambre d’hôpital, les couloirs de Lariboisière. Dans la première partie, le lecteur se régale avec les quatre cents coups de Django : bagarre de bande, attaque de voiture automobile pour provoquer un accident, tentative de faire dérailler un tramway, et puis l’apprentissage obsessionnel du banjo-guitare avec l’intensité propre à cet âge. Alors que Django devient majeur, sa confiance en lui et son arrogance en impose, avec toujours cette implication dans son art qui le rend sympathique (et puis le lecteur sait qu’il va devenir un dieu de la guitare, mondialement reconnu). Après l’accident, le lecteur regarde le jeune homme à la fois abattu par la perte de son talent, à la fois accablé à la perspective d’une vie de mendiant. La direction d’acteurs insuffle une vie et une plausibilité dans les comportements, au point que le lecteur ressent comme une vérité ce qu’il voit. La mise en scène apporte également une grande clarté dans chaque scène, ainsi qu’une évidence narrative : l’apaisement procuré par la concentration de la pratique du banjo, le contentement ineffable de pouvoir jouer dans un ensemble d’adultes, l’attraction amoureuse magnétique entre Django et Florine Mayer, la communauté manouche unie pour récupérer Django et l’extraire de l’hôpital, les magnifiques deux pages de réapprentissage avec la position de la main gauche sur le manche, etc. Le scénariste a fourni un travail tout aussi remarquable de reconstitution historique que ce soit pour les lieux comme la Zone (espace résultant de l’enceinte de Thiers, surnommé aussi les fortifications ou les fortif’) ou l’hôpital Lariboisière, pour l’évocation de la première carrière de Django avec ses différents chefs de formation musicale : Pierre Vettese dit Guérino (1895-1952), accordéoniste français d'origine sinti piémontaise, Jean Vaissade (1911-1979), accordéoniste et un compositeur français, Jack Hylton (1892-1965), chef d'ensemble à vent, chef d'orchestre, impresario, Émile Audiffred (1894-1948), chanteur, librettiste, parolier et producteur français. S’il connaît le répertoire de l’époque, le lecteur relève les références aux airs populaires, sinon il les découvre dans le dossier en fin d’ouvrage, à commencer par Nuages. Bientôt le lecteur suit Django, en pleine empathie, sans plus se préoccuper de faire preuve de distanciation ou d’esprit critique. Il poursuit sa lecture avec le dossier dans lequel l’auteur expose ce qui relève de faits établis, et ce qui relève d’une interprétation, assimilant par là-même les informations historiques et leur contexte dont il ne disposait pas forcément. Il prend connaissance de l’état d’esprit du scénariste ou de sa ligne directrice : Quand l’historien et le scénariste se mettent finalement d’accord, ils en arrivent à une conclusion claire, il n’existe pas de héros réel qui n’ait sa part de légende. Qu’il ait déjà succombé au charme de Nuages ou non, le lecteur peut éprouver de la curiosité pour les jeunes années de Django Reinhardt, avant la célébrité, ou vouloir retrouver ce duo d’auteurs. Il apprécie immédiatement la narration visuelle colorée et agréable, tout autant que rigoureuse, documentée, à la mise en scène fluide et sophistiquée. Il suit un jeune délinquant sur une mauvaise pente, trouvant sa raison de vivre dans le banjo qui lui permet d’intégrer le monde des adultes en avance, puis le terrible accident et la force de caractère permettant de construire une seconde vie, avec l’aide de sa communauté. Singulier.
Le Pêcheur et la Salamandre
Ce premier épisode est plein de promesses. C'est une série jeunesse qui débute sur une belle lancée pour plaire à un public assez jeune. J'y ai trouvé un bel équilibre entre le scénario et un graphisme très attractif et coloré. Le scénario reste classique mêlant le merveilleux, le surnaturel et l'aventure du jeune orphelin Loun et de la salamandre Nahal qui ne sait pas attraper de poissons. Loun malgré son jeune âge est un pêcheur expérimenté, aidé dans sa pratique par la protection du Poisson-roi. Suite à une bévue de Nahal les deux personnages devront s'acquitter d'une épreuve qui les conduira à la découverte d'éléments du passé douloureux de Loun. Les valeurs de courage, solidarité, complémentarité et responsabilité sont mises en avant à travers le personnage de Loun très mature. Nahal fait un contrepoint comique qui exprimera sa complémentarité le moment venu. La narration est très fluide avec un bon niveau de langage ce qui procure une lecture facile et agréable pour tous. J'ai beaucoup apprécié le graphisme rond, dynamique et coloré de Zoé B. Simpson. L'autrice nous entraine dans une ambiance à la saveur asiatique très exotique. Le village côtier puise son inspiration dans l'architecture méditerranéenne. Ce mixte humain-animaux passe très bien et donne une belle diversité à un visuel très bien travaillé dans les détails. Une lecture jeunesse attrayante et j'attends la suite avec curiosité.