Dans les couloirs du Conseil constitutionnel

À quoi sert le Conseil constitutionnel ? Quel est son rôle dans la démocratie et sa place dans la Constitution de la Ve République ?
Documentaires La BD au féminin Politique
Cette institution, sise rue de Montpensier sous les arcades du Palais royal, est l’une des moins connues de toutes les institutions du régime en place depuis 1958. Or, elle est indispensable à l’équilibre et à la pérennité de notre démocratie, tout en se montrant capable d’évolutions importantes pour se rapprocher de plus en plus des citoyens et citoyennes de notre pays. Avec malice, pas mal d’astuces, une ironie bienveillante et leur bonne humeur, deux autrices nous invitent à parcourir les couloirs, coulisses et arrière-cours de ce haut lieu et à mieux en saisir ce qui s’y passe. En quoi le Conseil constitutionnel est-il un outil proche de chacun et chacune d’entre nous alors que nous n’en avons que trop peu conscience ? Quelles révolutions internes a-t-il opérées depuis ses origines, le transfigurant en garant des droits et libertés citoyennes ? D’où vient la règle selon laquelle la Constitution prime sur la loi ? Qui sont les neuf sages et comment sont-ils désignés ? Voici certaines des questions et réponses qui se livrent sous nos yeux. Raconter de manière ludique les coulisses du pouvoir pour qu’ils n’aient plus de secrets pour vous, tel est le défi que Marie Bardiaux-Vaïente et Gally ont relevé haut la main, proposant un regard curieux et sans complaisance au sein des arcanes juridiques et architecturaux des lieux. À travers ce roman graphique documenté, elles nous proposent une passionnante plongée au cœur de la République et de nos droits et libertés.
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Date de parution | 31 Janvier 2024 |
Statut histoire | One shot 1 tome paru |
Les avis


La Constitution prime sur la loi. - Ce tome constitue une présentation des différentes facettes du Conseil constitutionnel créé en 1958. Son édition originale date de 2024. Il a été réalisé par Marie Bardiaux-Vaïente pour le scénario, par Gally pour les dessins, et par cette dernière et Grinette pour les couleurs. Il comprend cent-neuf pages de bande dessinée. Deux rue Montpensier dans le premier arrondissement de Paris, Marie & Gally passent les contrôles d’accès : scan des sacs et détection de métaux, pour entrer dans le bâtiment du Conseil constitutionnel. La première a des étoiles plein les yeux, la seconde se demande encore pourquoi elle a accepté, en reconnaissant toutefois le caractère exceptionnel de l’architecture du bâtiment. Elle demande à la scénariste à quoi sert le Conseil. Marie commence son exposé : Quand on se réfère au Conseil constitutionnel, on pense immédiatement à l’élection présidentielle. Tout le monde sait qu’il a un rôle à jouer dans la bonne tenue de cet événement majeur de la vie publique française. Mais dès son origine, cette institution créée en même temps que la Ve République avait d’autres motivations. Le 1er juin 1958, la IVe République se décompose littéralement. René Coty fait appel au général De Gaule pour former un gouvernement et réformer les institutions. Le général sollicite alors l’investiture de l’Assemblée nationale. […] Investi des pleins pouvoirs le 3 juin, il obtient des parlementaires de mettre en place une nouvelle constitution dans les six mois qui suivent. Lors de son discours devant l’Assemblée nationale, le général De Gaulle déclare que le gouvernement qu’il va former moyennant la confiance des députés, saisira l’Assemblée sans délai d’un projet de réforme de la Constitution, de telle sorte que l’Assemblée nationale donne mandat au gouvernement d’élaborer, puis de proposer au pays par la voie du référendum, les changements indispensables. Le suffrage universel est la source de tout pouvoir. Le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif doivent être effectivement séparés de façon que le gouvernement et le parlement assument, chacun pour sa part et sous sa responsabilité, la plénitude de ses attributions. Le dernier garde des Sceaux de la IVe République est chargé d’établir un projet de constitution. Cet homme, c’est Michel Debré. Il établit qu’Un comité constitutionnel dégagé de toute attache, aura qualité pour apprécier si les lois votées sont conformes à la Constitution et si les élections diverses ont lieu régulièrement. De Gaulle lui précise que toute loi devra dorénavant respecter la norme suprême : la Constitution. Le projet de nouvelle constitution est soumis à référendum le 28 septembre. En outre-mer, la question posée comporte une double signification : les électeurs et électrices expriment aussi leur volonté de demeurer liés à la France sous une forme à déterminer. C’est un succès. 85,07% des votants approuvent la nouvelle constitution. Le Conseil constitutionnel en bande dessinée ? Au moins, les autrices font preuve d’ambition pour rendre intelligible cette institution française au plus grand nombre. Pour cette œuvre pédagogique de vulgarisation, elles adoptent un dispositif narratif classique et éprouvé pour ce genre d’ouvrage : se mettre en scène sous forme d’avatar simplifié aux réactions parfois exagérées ce qui introduit une saveur humoristique, sans pour autant dénaturer le propos. Marie joue le rôle de bonne élève désireuse d’apprendre, disposant déjà des notions de base sur le sujet, respectueuse et même admiratrice de cette institution. Galy joue le rôle de mauvais élève : pas intéressée a priori, présentant quelques troubles de déficit de l’attention, facilement distraite par ce qui se passe autour d’elle, par les actions des uns et des autres. La narration visuelle happe de suite le lecteur, montrant beaucoup et de manière diversifiée. Réaliser un exposé en bande dessiné représente un défi narratif : il faut parvenir à dépasser la suite d’illustrations accolées à un texte copieux et didactique. Dans les premières pages, le lecteur suit les deux autrices : il passe le contrôle à l’entrée avec elles, il monte l’escalier et admire l’architecture, il assite au discours du général De Gaulle comme s’il visionnait un document d’archive, il se trouve dans le salon où se réunissent les onze membres originels pour la première fois, il se promène au milieu des colonnes de Buren, il assiste au discours de Camille Desmoulins, il voit les schémas plaçant les différentes ordres civil, pénal et administratif et leur organes, ou encore la pyramide des normes, dite de Kelsen. L’utilisation de dispositifs visuels variés peut dans un premier temps apparaître comme un effort d’apporter de la diversité dans les cases. Le lecteur commence par l’envisager, et progressivement il prend conscience qu’ils apportent d’autres choses à la narration. Cela apparaît une évidence que les deux avatars se promènent dans les locaux du Conseil constitutionnel, permettant ainsi au lecteur de la visiter. Il peut trouver plaisant ou rigolo de bénéficier d’une vue imprenable sur l’installation Les deux plateaux (1986) de Daniel Buren (1938-), ou les Hommes de Bessines (réalisés en 1991) de l’artiste Fabrice Hyber crachant de l’eau par tous les orifices, de constater le moelleux des fauteuils, de faire le touriste avec les ruches sur le toit, treize cartouches de cuivre émaillées cloutées sur parquet de bois, la réparation du cadran d’une grande horloge murale par le secrétaire général lui-même, ou encore l’installation d’une boule à facettes géante pour la décoration hall en vue de fêter l’entrée dans la nouvelle année, etc. Les autrices font également un usage raisonné du décalage, que ce soit les regards enamourés de Marie pour l’institution, ses cœurs dans les yeux quand elles reçoivent des cadeaux (des produits marqués du sigle du Conseil), ou une irrésistible disposition de page singeant l’émission de jeux télévisuelle de l’Académie des neuf. Il se rend compte que ces éléments et ces détails rendent l’institution tangible et concrète dans sa matérialité bâtimentaire et fonctionnelle, administrative et humaine, son incarnation pragmatique. En progressant dans l’ouvrage, le lecteur se prend à sourire des facéties de Marie et de Gally, chacune avec un trait de caractère appuyé, l’admiration sans borne pour l’une, le dilettantisme du cancre pour l’autre. Là encore, la direction d’actrices montre leurs réactions, parfois un peu appuyées, aux différentes étapes de leur visite, en particulier la chance de pouvoir ainsi explorer les locaux du 2 rue Montpensier, et les rencontres avec des hommes politiques de premier plan dans un contexte privilégié. Le lecteur peut éventuellement regretter une forme de consensualité dans la façon de les présenter, ou il peut l’envisager comme une forme de respect poli correspondant à la démarche de vulgarisation. Quoi qu’il en soit, ces moments participent également à montrer qu’il s’agit d’êtres humains comme les autres, une manière supplémentaire de faire s’incarner l’institution, des professionnels faisant leur travail, que ce soit l’apiculteur, le secrétaire général, et même les députés s’opposant à la loi sur l’I.V.G. La scénariste a conçu une structure d’exposé qui mêle l’ordre chronologique et les questions thématiques. Elle commence par aborder l’historique de la création du Conseil constitutionnel à l’occasion de la création de la Ve République, puis sa composition, son rôle dans l’élection présidentielle, l’articulation entre Constitution française et Constitution européenne. Puis elle présente le développement du rôle du Conseil, en évoquant sa décision contre le ministère de l’Intérieur concernant la création d’une association de soutien à l’organisation La gauche prolétarienne en 1971, puis l’élargissement de la saisine du Conseil, initialement réservée aux présidents de la République, Premier ministre, ou président de l'une ou l'autre assemblée, qui est élargie avec la loi constitutionnelle du 29 octobre 1974, à soixante députés ou soixante sénateurs. Viennent ensuite le processus de la Question Prioritaire Constitutionnelle (QPC), l’intégration de la charte de l’Environnement à la Constitution, la conformité à la Constitution du régime de garde à vue, etc. Ces évolutions de fonctionnement sont présentées par le biais de cas concrets, comme la saisine par Cédric Herrou (agriculteur habitant dans la vallée de La Roya) qui a déposé une QPC devant la Cour de cassation qui l’a transmise au Conseil constitutionnel le neuf mai 2018, la décision de ce dernier donnant une portée juridique au principe de Fraternité, en l’occurrence la liberté d’aider autrui dans un but humanitaire sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national. Parmi les autres missions réalisées par le Conseil constitutionnel, les autrices consacrent six pages à la décision I.V.G. : il répond sur le droit et non sur le sujet de l’I.V.G. Par ailleurs il s’appuie sur la notion de liberté, et plus précisément la liberté des femmes à disposer de leur corps. La dernière partie explique à quoi sert le Conseil pour l’élection présidentielle : il veille à la régularité de cette élection. Les deux autrices suivent le processus de détermination des candidats à l’issue de la période dite des parrainages, puis elles accompagnent, chacune de leur côté, un délégué du Conseil de constitutionnel pour les opérations de contrôle des bureaux de votes. Tout observer avant de se présenter aux assesseurs : le nombre de bulletins et tous les noms des candidates et candidats présents, l’affichage de la loi au mur, la présence des procès-verbaux à disposition du public, l’ordre des opérations de vote (c’est-à-dire qu’il faut mettre son bulletin dans l’urne, puis signer), la transparence de l’urne et ses cadenas qui confirment qu’elle bien fermée, l’accessibilité aux isoloirs, et la détention de chacun une clé par assesseur. Ce chapitre comprend une dizaine de cas d’entorse ayant donné lieu à l’annulation des votes du bureau concerné. La promesse de visiter les couloirs d’une telle institution peut intimider a priori le lecteur. Il bénéficie de l’accompagnement de deux autrices bienveillantes, pédagogues et pleines d’entrain avec un humour bien dosé. Il se rend compte qu’avec de telles guides l’histoire et le rôle du Conseil constitutionnel se découvrent et s’apprennent aisément, deviennent passionnants et l’emmènent dans des situations inattendues aussi bien historiques (la loi sur l’I.V.G.), qu’artistiques (les colonnes de Buren), sociales (venir en aide à des personnes en situation irrégulière) et même anecdotiques (le miel du Conseil). Édifiant et indispensable.


Marie Bardiaux-Vaiente et Gally ont fait le pari d'intéresser leurs lectrices et lecteurs à un sujet sorti tout droit du Dalloz pour étudiants de Sciences-Po. C'est audacieux et louable car les autrices font le choix de la curiosité et de l'intelligence. Personnellement je trouve le pari réussi. En effet qui dans le grand public connait vraiment le Conseil Constitutionnel ? C'est pourtant une instance originale et novatrice qui garantit nos libertés démocratiques. Les autrices proposent un schéma narratifs qui s'appuie sur trois axes forts: l'histoire, la fonction et des anecdotes signifiantes. L'histoire nous renvoie au général De Gaulle et à la création de la cinquième République. La question fondatrice est simple mais fondamentale : qu'est ce qui prime: la loi ou la constitution ? Outil assez peu utilisé jusqu'en 1971 et "la décision liberté d'association". Par quelques schémas les autrices montrent ensuite la place du Conseil dans la place du Droit Français. Elle concluent par sa fonction la plus spectaculaire lors des élections présidentielles. Le récit n'est pas aride grâce à l'exploitation d'anecdotes signifiantes qui montrent comment tout individu peut à travers une QPC (Question prioritaire de constitutionnalité) peut faire modifier la loi française. Le dessin plein d'humour de Gally fait contrepoids au sérieux du propos. C'est toujours léger et drôle tout en respectant l'institution. Une lecture étonnante où j'ai appris de nombreuses choses sur les institutions. A lire dès le lycée.


Mais qui pourrait donc avoir envie de se fader un ouvrage sur le Conseil constitutionnel ? Pas franchement sexy comme sujet, non ? Et pourtant, contre toute attente, les deux autrices ont relevé le défi : réussir à nous passionner pour une institution majeure de la vie politique française ! Pour cela, elles ont adopté l’angle de la légèreté avec une narration dynamique et humoristique, tout l’inverse de l’image poussiéreuse que l’on pourrait avoir de cette institution « bien à l’abri derrière les murs épais du Palais royal ». Mais comme on va le voir ici, la réalité diffère du cliché… L’ouvrage nous rappelle les origines de l’organisation, en expliquant comment au fil des ans l’importance qu’elle a prise dans l’Histoire française. On y apprend pas mal de choses sur son fonctionnement, notamment sur la distinction à faire avec d’autres juridictions comme Conseil d’Etat ou la Cour de cassation. La majorité des juristes s’accordent à reconnaître que le Conseil des sages, autre dénomination du Conseil constitutionnel, constitue un progrès pour garantir le respect de la Constitution, et par extension, de l’état de droit et des libertés publiques, afin que, comme le disait Montesquieu, « le pouvoir arrête le pouvoir ». On apprend que dans la hiérarchie des normes, la Constitution domine les traités internationaux, devant les lois et les règlements. Et comme on se demandera légitimement comment ses membres pourraient ne pas être suspectés d’agir en fonction de leur bord politique, Marie Bardiaux-Vaïente nous explique que quand ils y entrent, « ils s’identifient à leur nouvelle fonction », « ont abandonné leurs anciennes attaches partisanes », permettant ainsi une garantie démocratique. A ce titre, on apprend par ailleurs que depuis 2008, tout citoyen peut saisir la Constitution dans un cadre défini, avec un accès à la QPC (Question prioritaire de constitutionnalité), s’il estime qu’une loi semble nuire à sa liberté. Sont cités comme exemple la censure par le Conseil en 1971 de la loi Marcellin limitant la liberté d’association, suite à une campagne menée par Simone de Beauvoir, ou plus récemment la relaxe définitive de Cédric Herrou malgré un acharnement judiciaire édifiant, lequel s’était vu poursuivi pour avoir aidé des personnes en situation irrégulière, mais aussi, last but not least, l’adoption en 1974 de la loi Veil jugée conforme à la Constitution, après les multiples péripéties que l’on connaît. Il n’est pas fait mention de la récente inscription dans la Constitution du droit à l’IVG, mais le livre était visiblement déjà bouclé avant l’événement. En guise de conclusion, l’ouvrage nous expose la fonction la plus connue du Conseil, consistant à veiller à la régularité de l’élection présidentielle (validation des parrainages et contrôle aléatoire des bureaux de vote). Un véritable travail de fourmi avant que les résultats ne soient proclamés. Le dessin de Gally contribue largement à alléger l’aspect rébarbatif du sujet, qui devient ainsi beaucoup plus engageant. Son trait rond et simple, l’aspect rigolo et dynamique du duo d’autrices, mises en scène dans une sorte d’enquête journalistique qui ressemble presque à une déambulation dans un parc d’attractions (même si on imagine facilement qu’il a fallu un minimum de sérieux et de rigueur pour synthétiser un tel sujet en une petite centaine de pages), la mise en page variée et l’absence de temps morts, tout cela contribue à faire qu’on ne s’ennuie pas un instant. Excellent ouvrage pédagogique par l’intérêt qu’il réussit à susciter chez le lecteur, « Dans les couloirs du Conseil constitutionnel » fournit un panorama assez complet de cette instance de premier plan, de ses coulisses et de ses enjeux. Même si bien sûr, il n’a pas prétention à nous apporter la maîtrise des arcanes complexes de l’institution, on sort de cette lecture plus instruit sur un aspect essentiel de la vie politique en France, davantage conscient de l’importance d’un bon fonctionnement démocratique contre les dérives autoritaires, une menace qui pèse dans le contexte politique actuel. Peut-être même aurons-nous envie, en citoyen responsable et éclairé, de creuser le sujet en se tournant vers des publications plus détaillées…
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