Je ne partais pas spécialement conquis avant d'attaquer ma lecture, le graphisme de Luxi n'étant pas spécialement ma tasse de thé. Mais ici, s'agissant d'une BD documentaire sur un sujet qui m'intéressait, j'ai passé le pas et je ne le regrette pas.
Et c'est avant tout un hommage à Erkin Azat et à son courage que je veux adresser mes louanges. Il est de ceux qui prennent des risques majeurs pour que la vérité sur certaines tragédies ne finissent pas aux oubliettes. Car s'attaquer et dénoncer l'Etat chinois c'est d'un part très risqué pour soi mais aussi pour ses connaissances et sa famille. Car c'est bien du génocide des ouïghours et de ses camps de "rééducation" dont il est ici question.
Cet album nous relate de façon didactique et explicite la politique ethnocidaire que la Chine mène depuis 15 ans. On y suit tout l'investissement que va mener Erkin Azat (un pseudo signifiant liberté), ingénieur dans le milieu pétrolier. Les injustices qu'il va croiser d'abord autour de lui, puis lui-même, vont le pousser à consigner puis relater ces faits pour qu'ils cessent. Il va même créer une association et devoir fuir à l'étranger au fil de ses actions et des témoignages qu'il va collecter. Son action va forcément déranger... et les menaces et persécutions s'intensifier.
L'album a ce mérite d'éclaircir un sujet dont on a tous entendu parler, mais qui, s'y on n'a pas plus creusé que ça peut rester très flou. Si le dessin n'est pas là pour faire joli, il est très efficace et sert parfaitement le récit.
Une très bonne BD documentaire !
Les avis de Ro et bab m'ont convaincu de me pencher sur ce comics. Comics qui partait avec deux handicaps. Le premier c'est d'avoir des animaux pour personnages principaux, j'ai souvent du mal à adhérer à ce type de récit. Et le second c'est la partie graphique, son rendu ne m'attirait pas vraiment. Deux handicaps qui ont volé en éclats lors de ma lecture.
Les éditions "Monsieur Toussaint Louverture" ont, comme toujours, réalisé un superbe travail. Un magnifique écrin pour cette adaptation du chef-d’œuvre de Richard Adams.
Des lapins pour personnages principaux, ils sont à la recherche d'une nouvelle garenne, l'un d'eux a eu un mauvais pressentiment. Ils doivent quitter sur le champ leur logis s'ils veulent survivre. A partir de là, on va suivre ce petit groupe aux grandes oreilles à la recherche d'un coin de paradis et de liberté. L'aventure avec un grand A, elle sera semée d'embûches.
Un récit qui nous fait découvrir tout un monde complexe, la hiérarchisation est de mise dans la garenne, une société qui fera écho à certains régimes totalitaires.
Une fresque touchante et âpre, elle doit énormément à l'humanité qui émane de ce petit groupe de rebelles. Une quête captivante, très bien construite et qui m'a touché en plein cœur.
Le dessin de Joe Sutphin m'a conquis par le soin apporté aux détails, mais surtout les émotions qu'il arrive à faire passer au travers une attitude ou d'un regard de nos chers lapins. Un trait gras, légèrement charbonneux et de tristes couleurs retranscrivent toute l'âpreté de ce monde animalier.
Rien ne ressemble plus à un lapin qu'un autre lapin, pourtant (cela demandera un peu de concentration) il n'est pas si difficile de reconnaître chaque protagoniste suivant la couleur du pelage, le positionnement des oreilles, une particularité physique.... Ça permet de faire travailler la mémoire.
Une très belle surprise.
Ne pas oublier de vérifier que le carton reprenant la carte géographique des garennes et le glossaire "Lapine" est bien présent dans la BD. Très important !
Je ne peux que recommander.
Gros coup de cœur pour cet album, et merci aux précédents posteurs pour avoir attiré mon attention vers celui-ci.
Downlands est un comics à grosse pagination et pourvu d’une certaine densité narrative… que je n’ai pas su lâcher avant d’en avoir tourné la dernière page. L’histoire est en effet prenante en diable, qui traite de nos peurs les plus primaires (la mort, l'inconnu, et surtout l'énigme de l'après-mort) au travers du prisme du folklore et des légendes (anglais dans le cas présent). Il y a le fantôme de cette auto-stoppeuse qui apparait au milieu de la route, ce chien que des personnes voient la veille de leur mort, il y a cette mystérieuse voisine un peu sorcière qui intrigue et effraie les enfants. Il y a cette introduction durant laquelle le lecteur peut s'amuser à recouper différents articles de journaux... Il y a cette famille mystérieusement disparue sans laisser de traces.
J’ai adoré l’atmosphère que l’auteur parvient à créer en entremêlant diverses histoires fantastiques, les liant toutes à une petite ville, un quartier, une rue. Porté par un très charismatique personnage central, le récit prend la forme d’une enquête policière dans laquelle le fantastique s’insinue de manière naturelle, ouvrant les portes vers d’autres réalités auxquelles le lecteur que je suis se plait à croire. Force est d’admettre que les légendes qui servent d’ossature au récit ont quelque chose d’universel qui nous les rend intimes, comme si nous avions toujours vécu avec celles-ci, comme s’il était naturel d’y croire.
Au-delà de ce déjà très séduisant univers, j’ai également été ému par la description de cette famille touchée par le deuil, murée dans une pudeur silencieuse face à la douleur de la perte. Les lettres que James Reynolds écrit à sa défunte sœur sont une belle démonstration de cette souffrance pudique, camouflée derrière un bon mot ou une anecdote amusante.
Et pour parachever l’œuvre, ajoutez un dessin que j’ai beaucoup aimé. Le trait de Norm Konyu m’a fait penser à celui d’Alexandre Clérisse mais le traitement des couleurs (qui opte pour des teintes douces, très pastels) arrondi ce style anguleux tout en lui apportant de la profondeur. J’accrocherais volontiers certaines des planches de ce livre sur le mur de mon salon. Pourtant ce dessin est toujours au service de l’histoire. Il ne la domine pas, il la magnifie, lui apportant poésie, mystère et douceur.
Enfin, le récit tient la route jusqu’à sa conclusion. Une conclusion certes classique et sans doute attendue mais qui cadre tellement bien avec l’esprit de ce livre. J’ai achevé cette lecture en dévorant la postface qui revient sur l’origine des différents récits folkloriques qui rythment cette histoire, désireux de conserver le plus longtemps possible cette émotion, ce sourire tendre, triste et joyeux à la fois que Downlands avait réussi à faire naître en moi.
Gros coup de cœur !
Ces spécimens sont d’une cinglante matérialité !
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Ce tome contient un récit complet, indépendant de tout autre, qui s’apprécie mieux avec une vague idée de la nature des œuvres de l’écrivain Howard Phillips Lovecraft (1890-1937), né dans la ville de Providence dans l’état de Rhode Island. Son édition originale date de 2024. Il a été réalisé par Daria Schmitt pour le scénario, les dessins et les couleurs. Il comprend cent-douze pages de bande dessinée. Il inclut la nouvelle L’étrange maison haute dans la brume (1931) de Lovecraft dans sa forme intégrale, avec des illustrations. Il s’ouvre avec une introduction d’une page, rédigée par Philippe Druillet
Dans un grand parc à la localisation indéterminée, le gardien Providence s’est réfugié au milieu de la végétation qui semble démesurée pour être au calme. Son nom retentit : il est appelé par son chat Maldoror qui se manifeste sous forme spectrale elle aussi démesurée. Le chat insiste pour savoir si le gardien l’entend car il le voit en train de faire le mort. Maldoror lui dit qu’il ne s’en tirera pas comme ça, il intime au gardien de laisser ces fausses fleurs qui lui donnent mal à la tête, car il fait presque jour, c’est bientôt l’heure de la ronde. Providence lui demande pour quelle raison il faut que son chat le houspille, il était bien là, parmi les doux sarracenias. Mais il est vrai qu’il convient de profiter de cette heure idéale, et de ce rare moment de solitude sur le parc. Providence s’interroge : les visiteurs ont-ils jamais eu besoin d’un gardien ? En effet tous ces promeneurs se débrouillent très bien sans lui. Il se demande même parfois si ce n’est pas lui qui les met en danger. Peut-être que le loup n’existe pas ? Le monde obscur ne serait-il un rêve de plus ? Maldoror lui répond qu’il le trouve bien rationnel pour un rêveur.
Maldoror continue ; il donne un conseil de chat au gardien : ne pas tout ramener au diapason de la raison humaine, il y a trop de choses qu’elle n’explique pas. Il prend l’exemple de ses propres pattes : elles sont pleines d’encre noire, alors qu’il a marché sur une page banche, qu’en dit Providence ? Ce dernier fait observer que ses pattes sont sales et que la page est humide, il l’a repêchée sur le lac avec quelques autres. Le chat lui conseille de ne pas oublier que l’occulte a toujours raison des sceptiques et s’amuse à tirer vengeance de ceux qui le méprisent. L’attention de Providence s’est reportée sur les pages. Il voit qu’il y a quelque chose d’inscrit, mais l’eau a tout effacé. Peut-être que par transparence il arrivera encore à le lire ? Il tenterait bien de reconstituer ce texte… Voilà qui le tiendrait éveillé pendant ses rares moments de loisir. Il décide qu’il s’y mettra le soir, les pages auront eu le temps de sécher. Après une remarque de Maldoror sur la tendance de Providence à accumuler tous les vieux machins qu’il ramasse dans le parc, ils sortent à l’extérieur pour effectuer le contrôle du parc. Le gardien commence par aller relever les boîtiers d’alerte. Dans un grand escalier, ils croisent la directrice faisant sa tournée à cheval. Elle demande à Providence quand il les débarrassera de ces sacrés machins, en désignant les boîtiers, car ils surprennent les promeneurs qui risquent alors la crise cardiaque
Quelle inconscience ! Rendre hommage à Howard Phillips Lovecraft en bande dessinée, ce n’est pas donné à tout le monde. D’un autre côté, l’autrice n’adapte pas une de ses œuvres. Enfin, bon, il y a quand même cette nouvelle qui bénéficie d’illustrations. Celles-ci s’avèrent assez sages : elles ne cherchent pas à réinventer l’imaginaire de l’écrivain. On y trouve la maison en bois, les animaux marins qui évoluent dans le ciel, des tentacules bien sûr, des présences surnaturelles, des couleurs entre enchantements et terreurs (comme tombées du ciel bien sût) et un amalgame très réussi de vie marine et d’yeux, pour une illustration plus enchanteresse que réellement terrifiante. La majorité de l’album est donc consacré à cet étrange gardien au nom fort évocateur, un hommage direct à la ville natale de l’écrivain. La scénariste ajoute une pincée d’Arthur Rimbaud (1854-1891), une autre de Lautréamont (1846-1870) avec le nom du chat faisant référence aux chants de Maldoror (1868-69). Le lecteur ne s’attend pas forcément à voir les trois Nornes : Urd, Verdandi et Skuld. Elles ne sont pas nommées et ne se tiennent pas près d’un puits. Elles évoquent vaguement le destin, plutôt par des phrases cryptiques sur l’ouvrage que Providence repêche au fond du lac, qui est souillé par le chat, qu’elles lui volent, et qui est ensuite chapardé par les enfants. Il est possible d’y voir une métaphore sur les lecteurs de Lovecraft dont chaque nouvelle génération interprète ses écrits.
Qu’a donc pu voir Philippe Druillet dans cet ouvrage ? Le premier contact se produit avec la couverture : un dessin en noir & blanc avec des éléments très texturés par de nombreux traits, quelques aplats de gris, et la présence incongrue et grotesque de ces deux carpes volantes et en couleurs. Le tout produit un effet surréaliste, surtout une fois que le lecteur a remarqué la présence des yeux parmi les herbes. Tout du long de l’ouvrage, l’artiste va utiliser la couleur pour le même effet : Providence évolue dans un monde en noir & blanc, sans nuances de gris, fortement hachuré et donc texturé, et les éléments surnaturels sont les seuls apparaître en couleurs, venant apporter une touche plus vivante, réenchantant ce monde sec et contrasté. L’artiste utilise des teintes allant du rose clair et vif au pourpre profond, et du vert d’eau au bleu. Ce dispositif s’applique aussi bien à des éléments de décors comme des marches d’escalier ou la maison au fond du lac, la surface de l’eau, qu’à des éléments vivants comme les carpes ou les tentacules (car, oui, il y a bien des tentacules) et les chats. Le lecteur observe que les êtres humains restent en noir & blanc, à l’exception des enfants quand ils sont transformés en êtres mi-humains, mi-poissons.
Le lecteur part peut-être avec un a priori après avoir vu la couverture : celui que les dessins vont être chargés et exiger un effort de concentration pour la lecture. Il se plonge dans les premières pages et découvre que le ressenti est fort différent : ça se lit tout seul. S’il le souhaite, il peut très bien se contenter de la forme générale de chaque dessin, et passer un temps réduit pour chaque case, juste pour en saisir l’idée générale. Providence assis au milieu de fleurs démesurées avec des insectes plus gros que lui, ce qui produit une sensation d’être caché dans la végétation. Ces insectes qui finissent par former une nuée, comme une composition abstraite, avec la silhouette spectrale du chat qui en émerge. La discussion très banale entre le chat et le gardien dans son bureau, avec le fouillis autour, une scène relevant du quotidien normal, à ceci près que le chat parle. La première balade dans le parc : l’impression de feuillage, la texture des troncs, les végétaux plus ou moins indistincts, les rambardes torturées, le pont, les pelouses, le kiosque, les bancs, les multiples branches fines et noueuses, le lac, la barque, etc. Il ressent ce plaisir à se promener dans ce parc qui a l’air d’être de belle dimension, et en même temps une nature à tendance expressionniste. Il voit également les personnages, plutôt normaux, tout en présentant une forte personnalité par leur apparence : le gardien élancé, les trois Nornes en femmes âgées, l’agent Zadok bizarre inspecteur du travail de la psycho-sanitaire avec son uniforme étrange, la directrice sèche et pleine d’autorité.
Le lecteur peut aussi trouver son plaisir à s’attarder sur des détails dans les cases, en fonction de ses envies, de son propre rythme. Il relève alors des détails singuliers : les parapluies parmi les objets abandonnés récupérés par le gardien, les pots de fleurs à l’extérieur de sa porte d’entrée, les rambardes caractéristiques des parcs parisien en rusticage, la présence régulière de la faune, l’hétérogénéité des manteaux et blousons des enfants, l’architecture de la maison du gardien qui évoque un chalet de parc parisien, celle du kiosque de belle dimension, les chaises pliantes avec leurs lattes métalliques, la tenue de cavalier de la directrice, les nichoirs, etc. Il se fait que la réflexion que tout cela participe à l’atmosphère globale du récit, que la tonalité évoque en effet celle des romans de Lovecraft, pour partie seulement. Dans le même temps, l’autrice ne réalise ni une adaptation d’une œuvre de l’écrivain, ni un hommage appliqué premier degré. Elle met en scène Providence dans un monde où le surnaturel existe, au moins pour lui et pour les Nornes, peut-être pas pour la directrice. Elle apporte y apporte une saveur différente de celle de Lovecraft, elle exprime son propre ressenti sur sa lecture de ces œuvres. Elle le voit comme ce monsieur sur sa réserve, ce monsieur inquiet de l’existence d’éléments surnaturels, qui les accepte, qu’il ne craint pas, pour lesquels il éprouve une curiosité, d’en savoir plus. Le lecteur se dit que c’est la manière dont Dara Schmitt se représente la vie intérieure de Lovecraft, d’après son œuvre, sans forcément penser à sa vie.
Le lecteur découvre que le récit va plus loin qu’une simple fantaisie à partir de l’imaginaire de l’écrivain de Providence. Cela commence par les préoccupations du gardien vis-à-vis de la sécurité des usagers du parc, sécurité physique et sécurité psychique. Il y a également ce jeu autour de l’ouvrage repêché au fond du lac : une nouvelle de Lovecraft, qui dégage une aura ayant des conséquences sur la réalité. Plus surprenant : la vision de la directrice sur la gestion du parc et son management. Alors qu’il n’y a pas de téléphone portable dans ce récit, elle développe un discours moderne sur les différents usages d’un parc, et sur le management, avec une volonté de modernisme, des valeurs a priori peu conciliantes avec les fantaisies du gardien, avec les capacités limitées par l’âge des Nornes, et bien sûr un hermétisme total quant à la vie psychique incarnée par le surnaturel. Le lecteur est encore plus surpris de constater qu’elle fait évoluer ses valeurs au fil des contacts qu’elle a avec son personnel.
La promesse de lire une histoire baignant dans une atmosphère à la Lovecraft, et la crainte d’un succédané fade et de contresens potentiels. Très vite, le lecteur oublie cet a priori pour apprécier ce que raconte vraiment le récit. Il succombe vite au charme de la narration visuelle, entre nostalgie discrète et éléments contemporains très concrets. Il se laisse gagner par le réenchantement du monde généré par les touches de couleurs et par la curiosité tranquille du gardien. Il succombe vite à la qualité de cet hommage conservant la personnalité de l’autrice, exprimant son ressenti personnel sur l’œuvre de Lovecraft, sans le trahir, ni le singer. Un envoûtement plein de charme.
Tous les lecteurs de Spirou connaissent bien les Fabrice et Fabrice qui font un édito très déjanté dans chaque numéro. Les lecteurs de Spirou savent aussi qu'ils ont eu droit à leur première aventure complète cette année, dont est tiré l'album ici présent.
J'ai toujours eu un peu du mal avec le dessin de Fabrice Erre, et ce n'est pas tout à fait cet album qui va me faire changer d'avis, même si je trouve qu'on s'y habitue finalement assez bien, et qu'il nous offre quelques décors qui valent la peine. Dans tous les cas, le dessin est finalement assez secondaire par rapport au scénario et aux dialogues de Fabcaro, qui est ici en très grande forme. Son double et celui de son dessinateur, qu'il met en scène ici, sont prodigieusement idiots, parfois à l'excès même pour le lecteur. Pire, cela suspend parfois la suspension d'incrédulité, quand on se demande comment les autres personnages peuvent se méprendre sur l'identité et les compétences du duo de Fabrice. Même si le ton de la comédie est censé faire disparaître la suspension d'incrédulité, c'est parfois vraiment trop gros...
Mais le fait est que ça passe. Je me suis même pris à éclater de rire un certain nombre de fois, tant les effets comiques ménagés par Fabcaro et Fabrice Erre touchent juste, et réussissent à surprendre. C'est finalement bien ce qui me fait ajouter une quatrième étoile à cette bande dessinée, dont je ne suis pas certain qu'elle la mérite réellement. Mais la surprise a bel et bien été là du début à la fin, me réservant quelques moments de pure hilarité. Et finalement, c'est bien là le plus important : qu'une bande dessinée humoristique soit encore capable de me surprendre quand j'ai l'impression d'avoir fait le tour du genre, ça mérite bien une aussi grande générosité !
De très beaux dessins et une colorisation grandiose : ce sont les images qui racontent l'histoire. Un court récit, comme une nouvelle, l'histoire d'un homme taiseux et solitaire qui erre comme un fantôme dans les rues d'une ville déserte, hors-saison.
Enfant, le scénariste français Mark Eacersall a grandi dans le souvenir de l'atelier de son père qui, le dimanche, peignait d'après des cartes postales d'Espagne. De quoi alimenter son imagination puisqu'il nous invite, avec cet album, dans une station balnéaire hors-saison.
C'est le normand James Blondel qui signe les dessins et la remarquable colorisation de Calle Málaga.
Quelque part en Espagne, Calle Málaga s'étouffe sous les couleurs orangées du soleil, même si l'on est encore hors-saison.
Dans cette ambiance de ville fantôme, erre un jeune homme solitaire. Son visage reste souvent dans l'ombre des éclairages somptueux de Blondel : l'homme seul est comme un spectre dans la ville déserte.
Le gars est un sombre taiseux et on devine bien sûr qu'il est en cavale, qu'il fuit la police et peut-être même ses complices.
Sur le palier de son appartement, il fait la rencontre d'un personnage sympa, un petit gros jovial, un peu envahissant, qui va même l'emmener dans la sierra pour admirer les fleurs du printemps.
L'album est court, le récit également : s'il s'agissait d'un écrit on parlerait d'une nouvelle.
Un personnage ou deux, le décor de la ville déserte, deux ou trois péripéties à peine suggérées, des souvenirs presque, et la chute.
C'est remarquable d'autant que ce ne sont pas les bulles et les dialogues qui viennent envahir ces très belles planches. Mark Eacersall le dit lui-même : c'est « une narration silencieuse, où ce sont les images qui parlent ».
Et puis il y a les planches de James Blondel : une ligne bien claire et très nette magnifiée par une colorisation superbe. C'est sans hésitation, un des plus beaux albums qu'on ait vus cette année.
Alors qu'en reste-t-il une fois l'album refermé ?
« Une nuit à la belle étoile ... avec un ami. ».
Ah, voilà une belle conclusion.
J'ai été vraiment séduit par la lecture de ce diptyque très peu connu et injustement noté à mes yeux. François Rivière propose une BD littéraire avec un récit en abyme très intelligemment construit autour de la personnalité de Henry James. Je n'ai rien lu de ce célèbre auteur américain mais mes recherches montrent comment Rivière a su coller au plus près de l'esprit de cet écrivain très éclectique.
En outre je suis friand des récits fantastiques qui mettent en scène des tableaux vivants qui font un pont entre deux situations éloignées de plusieurs siècles. La construction de la série est surprenante avec deux tomes bien distincts. Le tome 1 centré sur la relation Nora-Francesco pose le récit dans une ambiance victorienne fin de siècle où l'indicible et le spiritisme sont en vogue. En outre Rivière utilise un narrateur menteur que ne renierait pas James. Les dialogues sont d'un excellent niveau et si l'action est peu présente, l'étrangeté de la situation donne tout son sel à la narration. Le tome 2 dévoile l'intrigue dans un récit purement fantastique teinté d'une résolution d'une énigme policière inattendue.
En outre le graphisme de Federici est un argument fort pour le plaisir de lecture. L'auteur italien propose un trait réaliste voire naturaliste qui colle parfaitement au genre littéraire de James. Ses cases sont finement travaillées dans son univers descriptif des rues de Londres où des alentours de Lamb House. Mais Federici ne se contente pas du descriptif, il sait passer d'une ambiance réaliste à une séquence fantastique avec adresse dans sa narration graphique réussissant même à faire vivre une ambiance florentine du XVème siècle avec une belle crédibilité.
Une lecture surprise pleine de qualité et très sous-évaluée à mes yeux.
Le scénariste Laurent-Frédéric Bollée commence à avoir une belle carrière derrière lui, et il a encore de quoi faire de belles choses pour les décennies à venir. Il souhaitait depuis longtemps faire une BD parlant du fameux discours de Martin Luther King, en 1963, au cours duquel il déclama le fameux "I have a dream...". Mais raconté par le petit bout de la lorgnette. Il s'est alors intéressé à un double meurtre ayant eu lieu la veille, celui des career girls, qui a été complètement éclipsé par le fameux discours. Et a commencé à imaginer quelque chose de similaire, l'œuvre d'un copycat. De fil en aiguille les différents éléments ont été intégrés à son script, et c'est ainsi qu'un flic de New York débarque à Washington sur la piste de ce copycat.
L'histoire en elle-même est un polar, certes de bonne facture, mais assez classique en elle-même dans son déroulement, avec cependant quelques petits éléments tirés par les cheveux. Mais cela ne nuit pas vraiment à l lecture et au suivi de l'enquête, qui est plutôt intéressante. Bollée se réclame de l'influence de James Ellroy, et je pense qu'il se débrouille pas mal.
Boris Beuzelin, lui, revendique une inspiration du côté de Frank Miller pour sa gestion du noir et blanc, et si la maîtrise est un peu fluctuante, il y a de vraise superbes cases dans ce noir et blanc tétanisant. J'y vois aussi un peu de Brüno pour l'épure sur certains passages.
Une vraie réussite.
Voilà un moment que la lecture de cet album m'attendait, c'est chose faite, et je ne peux que conforter les avis et impressions des autres lecteurs : C'est d'un classicisme univoque, mais magistralement structuré et réalisé.
Rien que le soin porté à l'édition de l'objet met déjà l'eau à la bouche de tout lecteur qui se respecte. Grand format, couverture rigide toilée, papier épais : ça donne le ton ! Stéphane Servain nous régale de planches magnifiques, parfaitement valorisées par ce grand format.
Du côté de l'histoire, on est dans le classique : Ulysse, jeune héritier qui ne veux pas suivre les traces de la famille de "la haute" et ne rêve que de devenir cuisinier, épaulé par le rustre mais attachant Cyrano qui a tout plaqué de façon fracassante quand il tenait un resto étoilé, après n'avoir pas reçu le Prix qu'il escomptait. Les personnages secondaires sont aussi dans la même veine, mais toujours aussi efficaces dans cette mécanique bien huilée, ou plutôt dans petit plat délicieusement mitonné !
Bref, un très bon moment de lecture, qui, s'il ne révolutionnera pas la BD, ne nous en laissera pas pour autant un très bon arrière goût pour les gourmets que nous sommes.
Très bonne surprise que cet album, par le biais duquel je découvre le talent de David Ratte. !
Jack Gilet est bourreau aux États-Unis au début du XXe siècle. Mais bourreau pour... animaux ! Il est donc chargé de l'exécution des sentences prononcées par les juges à l'encontre d'animaux qui ont généralement tué des personnes. Le métier a effectivement existé, mais c'est vrai que le thème est peu banal et pourrait être assez cocasse, si la mort des pauvres bêtes n'était en jeu.
L'album nous fait donc découvrir le triste quotidien de ce Jack Gilet jusqu'à l’exécution prévue d'une éléphante, qui devait être l'apothéose de sa carrière. Mais son périple l'oblige à partager sa route avec un jeune garçon complètement psychopathe qui ne rêve que de devenir bourreau pour être humain et une jeune femme qui cherche elle à se venger de l'exécution par Jack d'une de ses chèvres...
L'album oscille donc entre le tragique et le comique, servi par le magnifique dessin de David Ratte. Entre les trognes des personnages qui émaillent ce périple, les grands espaces américains magnifiquement rendus et le regards des animaux qui sont au centre de ce récit, David Ratte se fait plaisir et le partage avec efficacité.
Un très bon album !
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Erkin Azat - Lanceur d'alerte des camps ouïghours
Je ne partais pas spécialement conquis avant d'attaquer ma lecture, le graphisme de Luxi n'étant pas spécialement ma tasse de thé. Mais ici, s'agissant d'une BD documentaire sur un sujet qui m'intéressait, j'ai passé le pas et je ne le regrette pas. Et c'est avant tout un hommage à Erkin Azat et à son courage que je veux adresser mes louanges. Il est de ceux qui prennent des risques majeurs pour que la vérité sur certaines tragédies ne finissent pas aux oubliettes. Car s'attaquer et dénoncer l'Etat chinois c'est d'un part très risqué pour soi mais aussi pour ses connaissances et sa famille. Car c'est bien du génocide des ouïghours et de ses camps de "rééducation" dont il est ici question. Cet album nous relate de façon didactique et explicite la politique ethnocidaire que la Chine mène depuis 15 ans. On y suit tout l'investissement que va mener Erkin Azat (un pseudo signifiant liberté), ingénieur dans le milieu pétrolier. Les injustices qu'il va croiser d'abord autour de lui, puis lui-même, vont le pousser à consigner puis relater ces faits pour qu'ils cessent. Il va même créer une association et devoir fuir à l'étranger au fil de ses actions et des témoignages qu'il va collecter. Son action va forcément déranger... et les menaces et persécutions s'intensifier. L'album a ce mérite d'éclaircir un sujet dont on a tous entendu parler, mais qui, s'y on n'a pas plus creusé que ça peut rester très flou. Si le dessin n'est pas là pour faire joli, il est très efficace et sert parfaitement le récit. Une très bonne BD documentaire !
Watership Down
Les avis de Ro et bab m'ont convaincu de me pencher sur ce comics. Comics qui partait avec deux handicaps. Le premier c'est d'avoir des animaux pour personnages principaux, j'ai souvent du mal à adhérer à ce type de récit. Et le second c'est la partie graphique, son rendu ne m'attirait pas vraiment. Deux handicaps qui ont volé en éclats lors de ma lecture. Les éditions "Monsieur Toussaint Louverture" ont, comme toujours, réalisé un superbe travail. Un magnifique écrin pour cette adaptation du chef-d’œuvre de Richard Adams. Des lapins pour personnages principaux, ils sont à la recherche d'une nouvelle garenne, l'un d'eux a eu un mauvais pressentiment. Ils doivent quitter sur le champ leur logis s'ils veulent survivre. A partir de là, on va suivre ce petit groupe aux grandes oreilles à la recherche d'un coin de paradis et de liberté. L'aventure avec un grand A, elle sera semée d'embûches. Un récit qui nous fait découvrir tout un monde complexe, la hiérarchisation est de mise dans la garenne, une société qui fera écho à certains régimes totalitaires. Une fresque touchante et âpre, elle doit énormément à l'humanité qui émane de ce petit groupe de rebelles. Une quête captivante, très bien construite et qui m'a touché en plein cœur. Le dessin de Joe Sutphin m'a conquis par le soin apporté aux détails, mais surtout les émotions qu'il arrive à faire passer au travers une attitude ou d'un regard de nos chers lapins. Un trait gras, légèrement charbonneux et de tristes couleurs retranscrivent toute l'âpreté de ce monde animalier. Rien ne ressemble plus à un lapin qu'un autre lapin, pourtant (cela demandera un peu de concentration) il n'est pas si difficile de reconnaître chaque protagoniste suivant la couleur du pelage, le positionnement des oreilles, une particularité physique.... Ça permet de faire travailler la mémoire. Une très belle surprise. Ne pas oublier de vérifier que le carton reprenant la carte géographique des garennes et le glossaire "Lapine" est bien présent dans la BD. Très important ! Je ne peux que recommander.
Downlands
Gros coup de cœur pour cet album, et merci aux précédents posteurs pour avoir attiré mon attention vers celui-ci. Downlands est un comics à grosse pagination et pourvu d’une certaine densité narrative… que je n’ai pas su lâcher avant d’en avoir tourné la dernière page. L’histoire est en effet prenante en diable, qui traite de nos peurs les plus primaires (la mort, l'inconnu, et surtout l'énigme de l'après-mort) au travers du prisme du folklore et des légendes (anglais dans le cas présent). Il y a le fantôme de cette auto-stoppeuse qui apparait au milieu de la route, ce chien que des personnes voient la veille de leur mort, il y a cette mystérieuse voisine un peu sorcière qui intrigue et effraie les enfants. Il y a cette introduction durant laquelle le lecteur peut s'amuser à recouper différents articles de journaux... Il y a cette famille mystérieusement disparue sans laisser de traces. J’ai adoré l’atmosphère que l’auteur parvient à créer en entremêlant diverses histoires fantastiques, les liant toutes à une petite ville, un quartier, une rue. Porté par un très charismatique personnage central, le récit prend la forme d’une enquête policière dans laquelle le fantastique s’insinue de manière naturelle, ouvrant les portes vers d’autres réalités auxquelles le lecteur que je suis se plait à croire. Force est d’admettre que les légendes qui servent d’ossature au récit ont quelque chose d’universel qui nous les rend intimes, comme si nous avions toujours vécu avec celles-ci, comme s’il était naturel d’y croire. Au-delà de ce déjà très séduisant univers, j’ai également été ému par la description de cette famille touchée par le deuil, murée dans une pudeur silencieuse face à la douleur de la perte. Les lettres que James Reynolds écrit à sa défunte sœur sont une belle démonstration de cette souffrance pudique, camouflée derrière un bon mot ou une anecdote amusante. Et pour parachever l’œuvre, ajoutez un dessin que j’ai beaucoup aimé. Le trait de Norm Konyu m’a fait penser à celui d’Alexandre Clérisse mais le traitement des couleurs (qui opte pour des teintes douces, très pastels) arrondi ce style anguleux tout en lui apportant de la profondeur. J’accrocherais volontiers certaines des planches de ce livre sur le mur de mon salon. Pourtant ce dessin est toujours au service de l’histoire. Il ne la domine pas, il la magnifie, lui apportant poésie, mystère et douceur. Enfin, le récit tient la route jusqu’à sa conclusion. Une conclusion certes classique et sans doute attendue mais qui cadre tellement bien avec l’esprit de ce livre. J’ai achevé cette lecture en dévorant la postface qui revient sur l’origine des différents récits folkloriques qui rythment cette histoire, désireux de conserver le plus longtemps possible cette émotion, ce sourire tendre, triste et joyeux à la fois que Downlands avait réussi à faire naître en moi. Gros coup de cœur !
Le Bestiaire du crépuscule
Ces spécimens sont d’une cinglante matérialité ! - Ce tome contient un récit complet, indépendant de tout autre, qui s’apprécie mieux avec une vague idée de la nature des œuvres de l’écrivain Howard Phillips Lovecraft (1890-1937), né dans la ville de Providence dans l’état de Rhode Island. Son édition originale date de 2024. Il a été réalisé par Daria Schmitt pour le scénario, les dessins et les couleurs. Il comprend cent-douze pages de bande dessinée. Il inclut la nouvelle L’étrange maison haute dans la brume (1931) de Lovecraft dans sa forme intégrale, avec des illustrations. Il s’ouvre avec une introduction d’une page, rédigée par Philippe Druillet Dans un grand parc à la localisation indéterminée, le gardien Providence s’est réfugié au milieu de la végétation qui semble démesurée pour être au calme. Son nom retentit : il est appelé par son chat Maldoror qui se manifeste sous forme spectrale elle aussi démesurée. Le chat insiste pour savoir si le gardien l’entend car il le voit en train de faire le mort. Maldoror lui dit qu’il ne s’en tirera pas comme ça, il intime au gardien de laisser ces fausses fleurs qui lui donnent mal à la tête, car il fait presque jour, c’est bientôt l’heure de la ronde. Providence lui demande pour quelle raison il faut que son chat le houspille, il était bien là, parmi les doux sarracenias. Mais il est vrai qu’il convient de profiter de cette heure idéale, et de ce rare moment de solitude sur le parc. Providence s’interroge : les visiteurs ont-ils jamais eu besoin d’un gardien ? En effet tous ces promeneurs se débrouillent très bien sans lui. Il se demande même parfois si ce n’est pas lui qui les met en danger. Peut-être que le loup n’existe pas ? Le monde obscur ne serait-il un rêve de plus ? Maldoror lui répond qu’il le trouve bien rationnel pour un rêveur. Maldoror continue ; il donne un conseil de chat au gardien : ne pas tout ramener au diapason de la raison humaine, il y a trop de choses qu’elle n’explique pas. Il prend l’exemple de ses propres pattes : elles sont pleines d’encre noire, alors qu’il a marché sur une page banche, qu’en dit Providence ? Ce dernier fait observer que ses pattes sont sales et que la page est humide, il l’a repêchée sur le lac avec quelques autres. Le chat lui conseille de ne pas oublier que l’occulte a toujours raison des sceptiques et s’amuse à tirer vengeance de ceux qui le méprisent. L’attention de Providence s’est reportée sur les pages. Il voit qu’il y a quelque chose d’inscrit, mais l’eau a tout effacé. Peut-être que par transparence il arrivera encore à le lire ? Il tenterait bien de reconstituer ce texte… Voilà qui le tiendrait éveillé pendant ses rares moments de loisir. Il décide qu’il s’y mettra le soir, les pages auront eu le temps de sécher. Après une remarque de Maldoror sur la tendance de Providence à accumuler tous les vieux machins qu’il ramasse dans le parc, ils sortent à l’extérieur pour effectuer le contrôle du parc. Le gardien commence par aller relever les boîtiers d’alerte. Dans un grand escalier, ils croisent la directrice faisant sa tournée à cheval. Elle demande à Providence quand il les débarrassera de ces sacrés machins, en désignant les boîtiers, car ils surprennent les promeneurs qui risquent alors la crise cardiaque Quelle inconscience ! Rendre hommage à Howard Phillips Lovecraft en bande dessinée, ce n’est pas donné à tout le monde. D’un autre côté, l’autrice n’adapte pas une de ses œuvres. Enfin, bon, il y a quand même cette nouvelle qui bénéficie d’illustrations. Celles-ci s’avèrent assez sages : elles ne cherchent pas à réinventer l’imaginaire de l’écrivain. On y trouve la maison en bois, les animaux marins qui évoluent dans le ciel, des tentacules bien sûr, des présences surnaturelles, des couleurs entre enchantements et terreurs (comme tombées du ciel bien sût) et un amalgame très réussi de vie marine et d’yeux, pour une illustration plus enchanteresse que réellement terrifiante. La majorité de l’album est donc consacré à cet étrange gardien au nom fort évocateur, un hommage direct à la ville natale de l’écrivain. La scénariste ajoute une pincée d’Arthur Rimbaud (1854-1891), une autre de Lautréamont (1846-1870) avec le nom du chat faisant référence aux chants de Maldoror (1868-69). Le lecteur ne s’attend pas forcément à voir les trois Nornes : Urd, Verdandi et Skuld. Elles ne sont pas nommées et ne se tiennent pas près d’un puits. Elles évoquent vaguement le destin, plutôt par des phrases cryptiques sur l’ouvrage que Providence repêche au fond du lac, qui est souillé par le chat, qu’elles lui volent, et qui est ensuite chapardé par les enfants. Il est possible d’y voir une métaphore sur les lecteurs de Lovecraft dont chaque nouvelle génération interprète ses écrits. Qu’a donc pu voir Philippe Druillet dans cet ouvrage ? Le premier contact se produit avec la couverture : un dessin en noir & blanc avec des éléments très texturés par de nombreux traits, quelques aplats de gris, et la présence incongrue et grotesque de ces deux carpes volantes et en couleurs. Le tout produit un effet surréaliste, surtout une fois que le lecteur a remarqué la présence des yeux parmi les herbes. Tout du long de l’ouvrage, l’artiste va utiliser la couleur pour le même effet : Providence évolue dans un monde en noir & blanc, sans nuances de gris, fortement hachuré et donc texturé, et les éléments surnaturels sont les seuls apparaître en couleurs, venant apporter une touche plus vivante, réenchantant ce monde sec et contrasté. L’artiste utilise des teintes allant du rose clair et vif au pourpre profond, et du vert d’eau au bleu. Ce dispositif s’applique aussi bien à des éléments de décors comme des marches d’escalier ou la maison au fond du lac, la surface de l’eau, qu’à des éléments vivants comme les carpes ou les tentacules (car, oui, il y a bien des tentacules) et les chats. Le lecteur observe que les êtres humains restent en noir & blanc, à l’exception des enfants quand ils sont transformés en êtres mi-humains, mi-poissons. Le lecteur part peut-être avec un a priori après avoir vu la couverture : celui que les dessins vont être chargés et exiger un effort de concentration pour la lecture. Il se plonge dans les premières pages et découvre que le ressenti est fort différent : ça se lit tout seul. S’il le souhaite, il peut très bien se contenter de la forme générale de chaque dessin, et passer un temps réduit pour chaque case, juste pour en saisir l’idée générale. Providence assis au milieu de fleurs démesurées avec des insectes plus gros que lui, ce qui produit une sensation d’être caché dans la végétation. Ces insectes qui finissent par former une nuée, comme une composition abstraite, avec la silhouette spectrale du chat qui en émerge. La discussion très banale entre le chat et le gardien dans son bureau, avec le fouillis autour, une scène relevant du quotidien normal, à ceci près que le chat parle. La première balade dans le parc : l’impression de feuillage, la texture des troncs, les végétaux plus ou moins indistincts, les rambardes torturées, le pont, les pelouses, le kiosque, les bancs, les multiples branches fines et noueuses, le lac, la barque, etc. Il ressent ce plaisir à se promener dans ce parc qui a l’air d’être de belle dimension, et en même temps une nature à tendance expressionniste. Il voit également les personnages, plutôt normaux, tout en présentant une forte personnalité par leur apparence : le gardien élancé, les trois Nornes en femmes âgées, l’agent Zadok bizarre inspecteur du travail de la psycho-sanitaire avec son uniforme étrange, la directrice sèche et pleine d’autorité. Le lecteur peut aussi trouver son plaisir à s’attarder sur des détails dans les cases, en fonction de ses envies, de son propre rythme. Il relève alors des détails singuliers : les parapluies parmi les objets abandonnés récupérés par le gardien, les pots de fleurs à l’extérieur de sa porte d’entrée, les rambardes caractéristiques des parcs parisien en rusticage, la présence régulière de la faune, l’hétérogénéité des manteaux et blousons des enfants, l’architecture de la maison du gardien qui évoque un chalet de parc parisien, celle du kiosque de belle dimension, les chaises pliantes avec leurs lattes métalliques, la tenue de cavalier de la directrice, les nichoirs, etc. Il se fait que la réflexion que tout cela participe à l’atmosphère globale du récit, que la tonalité évoque en effet celle des romans de Lovecraft, pour partie seulement. Dans le même temps, l’autrice ne réalise ni une adaptation d’une œuvre de l’écrivain, ni un hommage appliqué premier degré. Elle met en scène Providence dans un monde où le surnaturel existe, au moins pour lui et pour les Nornes, peut-être pas pour la directrice. Elle apporte y apporte une saveur différente de celle de Lovecraft, elle exprime son propre ressenti sur sa lecture de ces œuvres. Elle le voit comme ce monsieur sur sa réserve, ce monsieur inquiet de l’existence d’éléments surnaturels, qui les accepte, qu’il ne craint pas, pour lesquels il éprouve une curiosité, d’en savoir plus. Le lecteur se dit que c’est la manière dont Dara Schmitt se représente la vie intérieure de Lovecraft, d’après son œuvre, sans forcément penser à sa vie. Le lecteur découvre que le récit va plus loin qu’une simple fantaisie à partir de l’imaginaire de l’écrivain de Providence. Cela commence par les préoccupations du gardien vis-à-vis de la sécurité des usagers du parc, sécurité physique et sécurité psychique. Il y a également ce jeu autour de l’ouvrage repêché au fond du lac : une nouvelle de Lovecraft, qui dégage une aura ayant des conséquences sur la réalité. Plus surprenant : la vision de la directrice sur la gestion du parc et son management. Alors qu’il n’y a pas de téléphone portable dans ce récit, elle développe un discours moderne sur les différents usages d’un parc, et sur le management, avec une volonté de modernisme, des valeurs a priori peu conciliantes avec les fantaisies du gardien, avec les capacités limitées par l’âge des Nornes, et bien sûr un hermétisme total quant à la vie psychique incarnée par le surnaturel. Le lecteur est encore plus surpris de constater qu’elle fait évoluer ses valeurs au fil des contacts qu’elle a avec son personnel. La promesse de lire une histoire baignant dans une atmosphère à la Lovecraft, et la crainte d’un succédané fade et de contresens potentiels. Très vite, le lecteur oublie cet a priori pour apprécier ce que raconte vraiment le récit. Il succombe vite au charme de la narration visuelle, entre nostalgie discrète et éléments contemporains très concrets. Il se laisse gagner par le réenchantement du monde généré par les touches de couleurs et par la curiosité tranquille du gardien. Il succombe vite à la qualité de cet hommage conservant la personnalité de l’autrice, exprimant son ressenti personnel sur l’œuvre de Lovecraft, sans le trahir, ni le singer. Un envoûtement plein de charme.
À la poursuite du trésor de Décalécatán
Tous les lecteurs de Spirou connaissent bien les Fabrice et Fabrice qui font un édito très déjanté dans chaque numéro. Les lecteurs de Spirou savent aussi qu'ils ont eu droit à leur première aventure complète cette année, dont est tiré l'album ici présent. J'ai toujours eu un peu du mal avec le dessin de Fabrice Erre, et ce n'est pas tout à fait cet album qui va me faire changer d'avis, même si je trouve qu'on s'y habitue finalement assez bien, et qu'il nous offre quelques décors qui valent la peine. Dans tous les cas, le dessin est finalement assez secondaire par rapport au scénario et aux dialogues de Fabcaro, qui est ici en très grande forme. Son double et celui de son dessinateur, qu'il met en scène ici, sont prodigieusement idiots, parfois à l'excès même pour le lecteur. Pire, cela suspend parfois la suspension d'incrédulité, quand on se demande comment les autres personnages peuvent se méprendre sur l'identité et les compétences du duo de Fabrice. Même si le ton de la comédie est censé faire disparaître la suspension d'incrédulité, c'est parfois vraiment trop gros... Mais le fait est que ça passe. Je me suis même pris à éclater de rire un certain nombre de fois, tant les effets comiques ménagés par Fabcaro et Fabrice Erre touchent juste, et réussissent à surprendre. C'est finalement bien ce qui me fait ajouter une quatrième étoile à cette bande dessinée, dont je ne suis pas certain qu'elle la mérite réellement. Mais la surprise a bel et bien été là du début à la fin, me réservant quelques moments de pure hilarité. Et finalement, c'est bien là le plus important : qu'une bande dessinée humoristique soit encore capable de me surprendre quand j'ai l'impression d'avoir fait le tour du genre, ça mérite bien une aussi grande générosité !
Calle Málaga
De très beaux dessins et une colorisation grandiose : ce sont les images qui racontent l'histoire. Un court récit, comme une nouvelle, l'histoire d'un homme taiseux et solitaire qui erre comme un fantôme dans les rues d'une ville déserte, hors-saison. Enfant, le scénariste français Mark Eacersall a grandi dans le souvenir de l'atelier de son père qui, le dimanche, peignait d'après des cartes postales d'Espagne. De quoi alimenter son imagination puisqu'il nous invite, avec cet album, dans une station balnéaire hors-saison. C'est le normand James Blondel qui signe les dessins et la remarquable colorisation de Calle Málaga. Quelque part en Espagne, Calle Málaga s'étouffe sous les couleurs orangées du soleil, même si l'on est encore hors-saison. Dans cette ambiance de ville fantôme, erre un jeune homme solitaire. Son visage reste souvent dans l'ombre des éclairages somptueux de Blondel : l'homme seul est comme un spectre dans la ville déserte. Le gars est un sombre taiseux et on devine bien sûr qu'il est en cavale, qu'il fuit la police et peut-être même ses complices. Sur le palier de son appartement, il fait la rencontre d'un personnage sympa, un petit gros jovial, un peu envahissant, qui va même l'emmener dans la sierra pour admirer les fleurs du printemps. L'album est court, le récit également : s'il s'agissait d'un écrit on parlerait d'une nouvelle. Un personnage ou deux, le décor de la ville déserte, deux ou trois péripéties à peine suggérées, des souvenirs presque, et la chute. C'est remarquable d'autant que ce ne sont pas les bulles et les dialogues qui viennent envahir ces très belles planches. Mark Eacersall le dit lui-même : c'est « une narration silencieuse, où ce sont les images qui parlent ». Et puis il y a les planches de James Blondel : une ligne bien claire et très nette magnifiée par une colorisation superbe. C'est sans hésitation, un des plus beaux albums qu'on ait vus cette année. Alors qu'en reste-t-il une fois l'album refermé ? « Une nuit à la belle étoile ... avec un ami. ». Ah, voilà une belle conclusion.
La Madone de Pellini
J'ai été vraiment séduit par la lecture de ce diptyque très peu connu et injustement noté à mes yeux. François Rivière propose une BD littéraire avec un récit en abyme très intelligemment construit autour de la personnalité de Henry James. Je n'ai rien lu de ce célèbre auteur américain mais mes recherches montrent comment Rivière a su coller au plus près de l'esprit de cet écrivain très éclectique. En outre je suis friand des récits fantastiques qui mettent en scène des tableaux vivants qui font un pont entre deux situations éloignées de plusieurs siècles. La construction de la série est surprenante avec deux tomes bien distincts. Le tome 1 centré sur la relation Nora-Francesco pose le récit dans une ambiance victorienne fin de siècle où l'indicible et le spiritisme sont en vogue. En outre Rivière utilise un narrateur menteur que ne renierait pas James. Les dialogues sont d'un excellent niveau et si l'action est peu présente, l'étrangeté de la situation donne tout son sel à la narration. Le tome 2 dévoile l'intrigue dans un récit purement fantastique teinté d'une résolution d'une énigme policière inattendue. En outre le graphisme de Federici est un argument fort pour le plaisir de lecture. L'auteur italien propose un trait réaliste voire naturaliste qui colle parfaitement au genre littéraire de James. Ses cases sont finement travaillées dans son univers descriptif des rues de Londres où des alentours de Lamb House. Mais Federici ne se contente pas du descriptif, il sait passer d'une ambiance réaliste à une séquence fantastique avec adresse dans sa narration graphique réussissant même à faire vivre une ambiance florentine du XVème siècle avec une belle crédibilité. Une lecture surprise pleine de qualité et très sous-évaluée à mes yeux.
Black Gospel
Le scénariste Laurent-Frédéric Bollée commence à avoir une belle carrière derrière lui, et il a encore de quoi faire de belles choses pour les décennies à venir. Il souhaitait depuis longtemps faire une BD parlant du fameux discours de Martin Luther King, en 1963, au cours duquel il déclama le fameux "I have a dream...". Mais raconté par le petit bout de la lorgnette. Il s'est alors intéressé à un double meurtre ayant eu lieu la veille, celui des career girls, qui a été complètement éclipsé par le fameux discours. Et a commencé à imaginer quelque chose de similaire, l'œuvre d'un copycat. De fil en aiguille les différents éléments ont été intégrés à son script, et c'est ainsi qu'un flic de New York débarque à Washington sur la piste de ce copycat. L'histoire en elle-même est un polar, certes de bonne facture, mais assez classique en elle-même dans son déroulement, avec cependant quelques petits éléments tirés par les cheveux. Mais cela ne nuit pas vraiment à l lecture et au suivi de l'enquête, qui est plutôt intéressante. Bollée se réclame de l'influence de James Ellroy, et je pense qu'il se débrouille pas mal. Boris Beuzelin, lui, revendique une inspiration du côté de Frank Miller pour sa gestion du noir et blanc, et si la maîtrise est un peu fluctuante, il y a de vraise superbes cases dans ce noir et blanc tétanisant. J'y vois aussi un peu de Brüno pour l'épure sur certains passages. Une vraie réussite.
Ulysse & Cyrano
Voilà un moment que la lecture de cet album m'attendait, c'est chose faite, et je ne peux que conforter les avis et impressions des autres lecteurs : C'est d'un classicisme univoque, mais magistralement structuré et réalisé. Rien que le soin porté à l'édition de l'objet met déjà l'eau à la bouche de tout lecteur qui se respecte. Grand format, couverture rigide toilée, papier épais : ça donne le ton ! Stéphane Servain nous régale de planches magnifiques, parfaitement valorisées par ce grand format. Du côté de l'histoire, on est dans le classique : Ulysse, jeune héritier qui ne veux pas suivre les traces de la famille de "la haute" et ne rêve que de devenir cuisinier, épaulé par le rustre mais attachant Cyrano qui a tout plaqué de façon fracassante quand il tenait un resto étoilé, après n'avoir pas reçu le Prix qu'il escomptait. Les personnages secondaires sont aussi dans la même veine, mais toujours aussi efficaces dans cette mécanique bien huilée, ou plutôt dans petit plat délicieusement mitonné ! Bref, un très bon moment de lecture, qui, s'il ne révolutionnera pas la BD, ne nous en laissera pas pour autant un très bon arrière goût pour les gourmets que nous sommes.
À la poursuite de Jack Gilet
Très bonne surprise que cet album, par le biais duquel je découvre le talent de David Ratte. ! Jack Gilet est bourreau aux États-Unis au début du XXe siècle. Mais bourreau pour... animaux ! Il est donc chargé de l'exécution des sentences prononcées par les juges à l'encontre d'animaux qui ont généralement tué des personnes. Le métier a effectivement existé, mais c'est vrai que le thème est peu banal et pourrait être assez cocasse, si la mort des pauvres bêtes n'était en jeu. L'album nous fait donc découvrir le triste quotidien de ce Jack Gilet jusqu'à l’exécution prévue d'une éléphante, qui devait être l'apothéose de sa carrière. Mais son périple l'oblige à partager sa route avec un jeune garçon complètement psychopathe qui ne rêve que de devenir bourreau pour être humain et une jeune femme qui cherche elle à se venger de l'exécution par Jack d'une de ses chèvres... L'album oscille donc entre le tragique et le comique, servi par le magnifique dessin de David Ratte. Entre les trognes des personnages qui émaillent ce périple, les grands espaces américains magnifiquement rendus et le regards des animaux qui sont au centre de ce récit, David Ratte se fait plaisir et le partage avec efficacité. Un très bon album !