Déjanté !
Jasper Jubenvill est un jeune auteur d'une vingtaine d'années, il vit à Vancouver au Canada. Ce comics est le quatrième numéro des aventures de Dynamite Diva, les trois premiers numéros d'une trentaine de pages ont été publié dans un fanzine et celui-ci a été auto-édité, et c'est cet opus que les éditions Ici Même nous propose dans ce magnifique album. Un one shot se suffisant à lui-même.
Comme le souligne la première planche, une lecture pour un public averti, un récit inclassable, très très violent avec quelques scènes pornographiques sur fond de thriller.
L'histoire se déroule dans l'après guerre, le personnage central est Dynamique Diva, c'est une femme libérée, indépendante, pulpeuse et n'ayant pas froid aux yeux. Elle va se mettre à la recherche d'un serial killer, qui a assassiné une amie, en parallèle de l'enquête policière. De nombreux personnages, ils seront, chacun dans son rôle, à la limite du stéréotype et très bien campés. J'ai particulièrement aimé l'inspecteur Archie, il est homophobe, raciste et misogyne, et devra faire équipe avec une profileuse asiatique lesbienne. Détestable à souhait ! Et évidemment notre tueur en série qui se promène au volant de son taxi en slip et talon aiguille, tout en obéissant à la voix diabolique qui lui dicte ses actes. Je n'en dirais pas plus sur l'intrigue.
Un récit au ton décalé, malaisant et trash, et aux nombreuses références, comment ne pas penser à Betty Boop, la ressemblance physique avec Dynamite Diva est frappante, son cache-œil et l'automobile tueuse à deux films de Tarantino, une verge en érection avec une tête de serpent à la place du gland à la bible, et bien d'autres encore. La conclusion cathartique est un excellent contre poids à tout le déchaînement de violence qui s'est abattu précédemment.
Une lecture qui demande de la concentration, c'est dense et les sauts temporels tombent comme un cheveux dans la soupe. Une BD qui pousse à la réflexion si on prend le recul nécessaire.
La partie graphique est sombre comme l'intrigue. Un noir et blanc dominé par le noir dans un style très underground. La mise en page alterne des planches sous la forme de gaufrier, mais le grand format permet de ne pas perdre en lisibilité, et d'autres plus aérées (mais moins nombreuses).
Quelques pages viennent régulièrement couper le récit avec de fausses publicités (dessins ou photos) sur le personnage de Dynamite Diva. Une autre référence...
Du très bon boulot.
Après le récit principal, un épilogue (Mère ! Mothra !) esquissant une suite possible.
Je ne suis pas forcément un adepte du underground, mais pour le coup j'ai bien apprécié.
Un album qui ne fera pas l'unanimité.
Je découvre l'univers de Jonathan Munoz avec cette inconnue autrice de BD trash sur l'enfance. J'ai eu quelques frissons en débutant ma lecture car je ne suis pas vraiment un adepte de cet humour noir que je trouve destructeur sans faire de réelles propositions en contrepartie. Toutefois la suite de la lecture m'a beaucoup plu. J'ai trouvé très intelligent cette juxtaposition des deux univers ( la BD et le bar) qui s'influencent l'un l'autre. Plus la thématique de l'amour occupe l'espace et moins la violence trash et la vulgarité qui l'accompagne subsistent. C'est comme un effet de vases communicants. L'excellent gag sur les cowboys porte à lui seul la profondeur et la pertinence du message de Munoz.
J'ai été d'autant plus sensible à la construction du récit qui prend comme thématique centrale le rapport de l'adulte à l'enfance. Ainsi c'est cette dynamique du récit qui part du violent vers le paisible autour de la vision de l'enfant que j'ai beaucoup apprécié.
Personnellement une vraie découverte qui dépasse l'humour cynique vers d'autres propositions. Une belle lecture.
Le paon est de retour. Il ne marche plus, il vole.
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Ce tome contient un récit de nature autobiographique, réalisé à partir du roman de Thomas Snégaroff : Putzi: Le pianiste d'Hitler (2020) qui a reçu le prix Prix Jean-Lacouture en 2022. Son édition originale date de 2024. La bande dessinée a été réalisée par Louison (Louise Angelergues), pour l’adaptation, les dessins et les couleurs. Il comprend cent-trente-huit pages de bande dessinée. Il s’ouvre avec une préface rédigée par Snégaroff évoquant son émotion à voir ses images mentales prendre vie, ses longues journées dans les archives à Munich et à Washington, le vertige de honte ou d’inquiétude, éprouvé par la dessinatrice en enchaînant les croix gammées et en prenant plaisir à dessiner les traits gargantuesques de Putzi. Il conclut en disant qu’il ne sait toujours pas si cet homme fut un monstre ou clown, et il laisse le lecteur être happé par ce destin qui éclaire, à sa manière, ce siècle de bruit et de fureur.
Fraternité. Ernst Hanfstaengl est dans l’entrée dans sa maison. Il met son chapeau sur la tête et il endosse son manteau. Il vérifie son apparence dans le miroir et il sort avec son invité : Adolf Hitler. L’année 1924 s’achève. Quelques jours plus tôt, Hitler a été libéré de la prison de Landsberg. Il n’y a purgé qu’une infime partie de sa condamnation après le piteux échec du putsch de la Brasserie en novembre 1923. On lui interdit de prendre la parole en public. Que lui importe la liberté dans ces conditions ? À peine libéré, il s’est rendu chez les Hanstaengl, Ernst et Hélène. Putzi, le surnom d’Ernst, est l’un des fidèles d’Hitler. Sa visite le comble. C’est lui qui a été choisi, et pas l’un des incultes qui gravitent autour d’Hitler. Mais il n’est pas dupe. Il sait que son ami n’est pas venu uniquement pour lui. Hitler nourrit une passion pour Hélène. C’est par elle que le Führer est devenu, dès le début de 1923, un de leurs invités les plus réguliers. Après un meeting qu’Hitler avait tenu au cirque Krone de Munich, Putzi lui avait présenté son épouse. Les yeux plantés dans ceux d’Hélène, le dirigeant politique avait accepté l’invitation à dîner d’Hanfstaengl. Depuis, leur demeure était devenue un foyer de substitution. Il y passait de longues soirées à monologuer sur la renaissance de l’Empire allemand. Ou encore à jouer avec le petit Egon. Il lui racontait ses souvenirs de la Première Guerre mondiale en imitant le bruit des canons… tout en jetant des regards furtifs à Hélène.
Putzi n’était pas jaloux. Il avait vite compris qu’Hitler était incapable de céder à la tentation. Les contacts physiques le dégoûtaient. Des années plus tard, après avoir malgré tout cherché à lui trouver une femme, Putzi confiera à des amis : Hitler est asexuel. Mais là n’était pas la seule raison de son absence de jalousie. Le fait que Putzi n’aimait pas cette femme épousée en toute hâte en 1920, parce que, à son âge, il fallait bien se marier. À en croire Hélène qui aimait beaucoup Hitler, celui-ci lui devait la vie. Durant la nuit du 8 novembre 1923, le putsch de la Brasserie avait été un échec pour le dirigeant. Pire, ce fut un bain de sang. Il fut blessé. Putzi, lui, avait été prévenu en chemin qu’il devait se mettre à l’abri.
S’il se renseigne au préalable sur Ernst Hanfstaengl (1887-1975), le lecteur apprend qu’il s’agit d’un homme de la haute société munichoise, devenu cadre du parti national-socialiste (NSDAP), chargé des relations avec la presse étrangère, et qualifié de pianiste d’Hitler. Il a été surnommé Putzi, ce qui signifie petit homme, par dérision puisqu’il mesurait 1,93m. L’adaptation se fonde essentiellement sur le texte original de la biographie : c’est-à-dire que court le flux du narrateur omniscient dans des cartouches de texte. Pour autant, l’adaptatrice a pris le parti de faire la plus grande place possible aux dessins avec des illustrations en pleine page (au nombre de trente-huit), voire en double page (au nombre six), et majoritairement des découpages de planche en trois cases de la largeur de la page (à l’exception de sept pages). La couverture donne un aperçu des partis pris graphiques de l’artiste. Le lecteur fait donc connaissance avec le personnage principal dès la troisième planche. Son visage présente un énorme menton en galoche. Le lecteur remarque également son regard doux, un peu perdu dans ses pensées. Puis il boutonne son manteau et ses doigts apparaissent bien propres, et un peu épais par rapport aux boutons. Il arbore un sourie d’autosatisfaction un peu fat. Plus tard, ses lunettes lui donnent une apparence un peu perdue.
En fait, s’il ignore qu’il s’agit de l’adaptation d’un livre, le lecteur apprécie la narration visuelle et sa qualité aérée, sans ressentir qu’il puisse s’agir d’extraits de livre. Il ressent l’effet du narrateur omniscient, apportant un point de vue sur la personnalité de cet individu à la vie hors du commun, ainsi que le jugement de valeur qu’il contient. Sa représentation aux caractéristiques physiques légèrement exagérées fait sens : au vu de sa stature, il ne peut que ressortir par rapport à n’importe qui d’autre. En 1924, Adolf Hitler a trente-cinq ans : en page neuf, il apparaît plutôt comme un bel homme, avec sa mèche caractéristique bien fournie, et sa petite moustache un peu plus large, ce qui lui fait un visage agréable, avec une silhouette bien dessinée dans son costume. Il apparaît pour la dernière fois en page quatre-vingt-sept, cette fois-ci en uniforme avec des traits plus tirés et un visage plus dur, beaucoup moins sympathique. Le romancier évoque cette situation assez particulière : celle de la dessinatrice ayant la sensation de braver un interdit en dessinant autant de croix gammées dans ses planches, et en représentant autant de fois le Führer. En fonction des pages, il peut s’apparenter à un enfant en colère, ou à un individu énigmatique et malveillant. Les autres personnages présentent une personnalité graphique moins forte : Helene Hanfstaengl une simple jeune femme prévenante, les enfants sympathiques et remuants, un nombre de personnages secondaires et de figurants très réduits, la majeure partie des pages ne comprenant que Putzi. Lors d’un repas avec Winston Churchill, on aperçoit uniquement le bas de son visage, et son cigare bien sûr.
Ainsi le personnage principal ressort à la fois par les observations du narrateur omniscient, à la fois par sa présence dans toutes les pages sauf huit. Quatre dans lesquelles le récit se focalise sur ce moment décisif entre Hitler et Helene Hanfstaengl. Quatre autres qui correspondent à un petit mot laissé par Eva Braun (1912-1945) à l’attention de son futur amoureux, une autre où le chapeau de Putzi dérive dans l’océan, une où le corps du Führer se calcine dans l’incendie, et une dernière où il ne reste que ses lunettes posées sur la table. Tout du long l’artiste représente les environnements et les accessoires avec consistance, et de temps à autre une pointe d’humour discret. Ainsi le lecteur découvre l’intérieur du riche pavillon de la famille Hanstaengl, quelques rues de Berlin après un trajet en voiture, dont le Luna Park, des tableaux exposés dans un musée, l’appartement dans lequel Putzi séjourne à New York, un gigantesque rassemblement d’une puissante organisation nazie américaine qui remplit le Madison Square Garden à New York en mai 1934, des cabines de plage au bord de la Baltique, un voyage à haut risque dans un avion militaire allemand avec sûrement un saut en parachute à la clé, un voyage en train pour fuir, un séjour dans un camp que Churchill a décidé d’installer au Canada, etc. Le lecteur sourit par exemple en voyant Putzi se tenant bien droit à la proue d’un paquebot évoquant Titanic. Il sent son regard s’arrêter sur des détails inattendus : le décor en fer forgé de la porte d’entrée du pavillon des Hanfstaengl, les aiguilles à tricoter d’Helene, le visage hilare démesuré de l’entrée du Luna Park, les montures d’écaille des lunettes de Putzi, son uniforme nazi fait sur mesure, une mer de canotiers, le dossier S, etc.
Dès son introduction, le romancier indique qu’il s’interroge sur cet homme au destin hors du commun. Était-il un monstre ? Était-il un clown ? Le lecteur est vite pris par le flux narratif : la description d’un individu à la fois pusillanime, à la fois confiant en lui-même. D’un côté, il a épousé une femme pour laquelle il n’éprouve pas d’amour, il semble un père quelque peu lointain, il aime se réfugier dans l’art, et il lui arrive de boire plus que de raison. D’un autre côté, il est fasciné par Adolf Hitler et il le suit avec une forme de courage ou d’inconscience selon les circonstances, de qui l’amène à réaliser des missions de prestige. Les auteurs indiquent explicitement que Ernst Hanfstaengl éprouve une amitié intense pour le Führer, ce qui le galvanise, et aussi ce qui lui donne de l’importance. Ce qui l’amène également à épouser ses combats les plus abjects. Dans le même temps, ses convictions personnelles fluctuent entre un refus de la haine, et un antisémitisme inconscient qui revient régulièrement à la surface, avec parfois des moments de lucidité quand son instinct de survie reprend le dessus.
En cours d’ouvrage, le lecteur comprend que les auteurs ont puisé leur matière dans les copieux mémoires rédigés par Ernst Hanfstaengl : débutés en 1942, entre les murs d’une base américaine. Il raconte tout dans ce qu’il appelle le projet S, S pour Sedgwick, le nom de sa mère. À plusieurs reprises, le lecteur se découvre une situation incroyable. Les circonstances dans lesquelles Helene sauve la vie d’Hitler en l’empêchant de se suicider. Putzi dînant avec Churchill alors qu’Hitler n’est pas au rendez-vous tout en se trouvant dans le même restaurant. Putzi se retrouvant dans un camp au Canada : dans ce camp construit dans la précipitation et la confusion, on commet l’épouvantable erreur de mélanger des prisonniers nazis comme Putzi et des Juifs ayant fui l’Europe. Ou encore Putzi allant consulter Carl Gustav Jung (1875-1961) et celui-ci faisant le constat que : Ce qui est impressionnant avec le système allemand, c’est qu’un homme visiblement possédé est parvenu à infecter une nation entière. Hitler est l’inconscient de soixante-dix-huit millions d’Allemands, c’est ce qui le rend si puissant. Sans le peuple, il n’est rien.
Le petit bonhomme, le pianiste d’Hitler, celui sans qui le Führer ne serait sans doute jamais devenu celui qu’on connaît : qui est cet homme ? La narration visuelle dresse le portrait d’un individu ne pouvant pas passer inaperçu du fait de sa haute taille, tout en n’ayant rien de martial. Le narrateur omniscient en fait une personne entretenant une amitié intense avec un futur dictateur, à la fois conscient des atrocités commises, à la fois enivré par l’importance de son rôle dans l’Histoire. Un monstre ou un clown ?
L’histoire en partie vraie des quatre armoires à glace ayant servi comme garde du corps au général de Gaulle durant son mandat présidentiel. Je ne connaissais pas du tout ce détail amusant qui fait partie de la petite histoire de France donc super découverte. Xavier Dorison tel un Alexandre Dumas moderne utilise personnages, contexte et faits réels pour les refaçonner à sa sauce, y ajouter de l’improbable et un aspect « actioner » à l’américaine, et que dire… ça marche d’enfer. Faut dire que le scénariste n’opère pas en terrain inconnu avec les histoires de barbouzes, les aficionados se rappelleront de Comment faire fortune en juin 40, une réussite dans le genre. Certes, c’est un tome d’introduction, les auteurs en prévoiraient dix à ce que j’ai lu, on sent qu’ils en gardent sous le pied pour les deux prochains numéros, qui sont d’ores et déjà validés par la maison mère. En tout cas moi ça m’a hypé, les personnages ont des gueules, ça cause viril, il y a un décorum délicieusement rétro, c’est jalonné de marqueurs temporels authentiques et saupoudré de quelques punch lines toutes aussi vraies, Dorison a bien fait ses devoirs.
J’adore également la partie graphique de Julien Telo, un digne héritier des Robin Recht (crédité en fin d’album), Alex Alice et autres Mathieu Lauffray. C’est le présent et l’avenir, il a encore une marge de progression car c’est un jeune artiste. C’était pas évident j’imagine de terminer seul le cycle d’Elric, là il est quasiment seul au manettes (bravo aux coloristes au passage), et de ce que je lis par-ci par-là, tout le monde s’accorde à dire que c’est du beau boulot, et j’suis bien d’accord, un vrai plaisir à lire et à voir.
Voilà un album qui présente simplement et clairement un moment charnière des bouleversements sociétaux de la France de la seconde moitié du XXème siècle.
Marie Bardiaux-Vaïente – qui a déjà publié des albums sur d’autres sujets de société (dont la peine de mort) – réussit ici pleinement à présenter son sujet sans le plomber par une narration pesante, ou par des effets artificiels.
Au contraire, la narration et fluide. Et le dessin de Carole Maurel l’accompagne très bien, plaisant, dynamique. Avare de décor, focus sur les personnages, agréable.
Pour ce qui est du sujet lui-même, il permet de mettre en avant plusieurs choses.
D’abord une loi archaïque et inique. Comme les témoins et Gisèle Halimi l’ont répété, comme le fera Simone Veil en défendant sa loi autorisant l’avortement un peu plus tard, seules les femmes les plus vulnérables, les plus pauvres, sont soumises aux conditions précaires et dangereuses, mais surtout elles sont les seules à être poursuivies. C’est le cas ici de Marie-Claire Chevalier.
C’est aussi l’occasion de mettre en avant la quasi impunité des violeurs, la honte se portant sur la victime, Marie-Claire n’ayant pas porté plainte contre celui qui l’a violée, l’a ensuite harcelée. Ce qui est encore plus accablant, c’est que la justice, le procureur, n’ont jamais demandé à ce salaud (qui plus est lâche, puisque c’est lui qui a dénoncé Marie-Claire !) de venir répondre de ses actes, ou tout du moins témoigner.
Cet album est aussi l’occasion de montrer l’action de quelques femmes, de l’association « Choisir » qu’elles ont créée. Et bien sûr surtout Gisèle Halimi, qui a porté ce combat et gagné ce procès, qui va ensuite permettre de modifier une loi devenue inapplicable après l’acquittement de Marie-Claire Chevalier.
Un sujet de société essentiel, un moment charnière – le procès/fait divers ayant ici valeur d’exemple, le tout très bien traité, simplement, voilà donc une belle réussite du genre.
J'ai dévoré cette série de Zeina Abirached avec délectation. La même délectation que lorsque j'entends une partition de Chopin au piano. J'ai trouvé son récit d'une grande intelligence et d'une originalité certaine. J'aime beaucoup cette thématique du langage qui va bien au delà de la simple transmission d'informations basiques : "avec le langage m'arrivaient les idées" fait dire l'autrice à sa jeune héroïne. En mettant en parallèle certaines subtilités du français et de l'arabe l'autrice nous fait toucher du doigt comment une langue peu induire une philosophie ou des comportements spécifiques. De plus Zeina enrichit son récit en ajoutant de façon très équilibrée une analogie avec la musique. Le piano est l'instrument roi de la musique occidentale mais sa conception le rend inapte à la musique orientale et donc à faire partie du patrimoine de cette musique. Zeina nous fait vivre cette quête du quart de ton comme une véritable aventure aux résultats imprévisibles.
Zeina nous propose ainsi un double récit qui prend le temps de poser les fondations au rapprochement de deux univers linguistiques et musicaux. On peut le lire comme un message utopique espérant que ce rapprochement ouvrirait la porte à une meilleure compréhension des deux mondes. Un pont entre l'Orient et l'Occidentale rêvaient les timides facteurs de pianos viennois.
J'ai aussi apprécié ce graphisme plan qui me rappelle le théâtre de marionnette des traditions orientales ou extrême-orientales. Les personnages, souvent de face, sont d'une belle vitalité avec des dialogues lettrés. La double histoire est bien équilibrée et se fait sans rupture afin de proposer un ensemble cohérent et plaisant à lire. Le N&B est bien maitrisé en contrastes bien marqués comme pour exprimer la thématique de la dualité qui traverse cet ouvrage.
Une belle lecture pleine de finesse et d'intelligence.
C'est avec un vrai plaisir que j'ai relu cet ouvrage de ces deux célèbres auteurs. Avec le recul je m'aperçois que chacun des deux auteurs est un peu sorti de son registre habituel même si on retrouve des thématiques connues. Comme le prouve un final très académique Pratt nous entraine dans un épisode anecdotique bien que violent de l'histoire américaine des premières années avec des colons hollandais cohabitant pacifiquement avec une tribu indienne. Le scénario de Pratt est intéressant du fait qu'il souligne l'ambiguïté et l'hypocrisie de la situation. Ainsi le personnage de Shevah, élément déclencheur des massacres, présente une attitude équivoque dans son rapport à sa sexualité. C'est vrai pour presque tous les personnages du récit que les auteurs s'ingénient à rendre soumis de façon perverse et diabolique à leur sexualité alors que les indiens la vivent de façon plus naturelle.
L'intérêt du scénario de Pratt est qu'il équilibre les points de vue ceux des colons et ceux des indiens sans réellement définir quelle est la forme de justice la plus légitime ou plutôt illégitime dans ce cas précis.
Manara sait se saisir de cette ambiance hypocrite et perverse pour produire des attitudes fidèles à son dessin. Les filles Phillis ou Shevah sont souvent comme possédées bien accompagnées par les révérends Black père et fils. Des ambiances intimes dans l'intériorité des foyers qui tranchent avec la rigueur des scènes extérieures où s'affrontent les deux camps. Cela donne un graphisme presque sage avec un beau travail sur le côté historique du récit.
Un ouvrage qui n'a pas vieilli même si l'on peut regretter les dernières pages trop chargées. 3.5
J'adore les contes et particulièrement les contes modernes qui renouvellent le genre en jouant avec les codes et en ayant un message progressif.
Ce qui m'a attiré en dehors des bons avis est le dessin. Je ne sais pas trop comment s'appelle ce style, mais je le vois de plus en plus dans des bandes dessinées de type conte et je pense que c'est le style parfait pour ce type d'histoire. La mise en page est incroyable avec des scènes très audacieuses au niveau de la narration sans perdre le lecteur.
Le scénario est prenant et cela ne se voit pas du tout que c'est l'adaptation d'un roman tellement tout est fluide et semble pensé pour de l'art séquentiel. Je ne connais pas le roman, mais on sent que l'autrice s'est appropriée l'œuvre au lieu de bêtement illustrer un récit comme c'est le cas avec les mauvaises adaptations de romans en BD. Il y a beaucoup de symbolisme dans cet album, mais tout me semble facile à comprendre pour un lecteur un peu cultivé. Un récit étonnant à lire pour les fans du genre.
J'ai vraiment beaucoup aimé la façon avec laquelle les auteurs ont réussi à traiter le sujet de la pédophilie à hauteur d'enfant. Mattéo fait des cauchemars depuis les vacances . Il fait pipi au lit, a du mal à se coucher et ne suit plus à l'école. C'est perturbant pour les parents qui s'oriente vers un harcèlement scolaire mais sans résultat. La construction du récit s'appuie sur une trouvaille intelligente de Di Gregorio qui invite son lectorat dans deux univers sans que l'on sache vraiment lequel est réel et lequel est imaginaire. En effet il est difficile de discerner si cet homme noir appartient à l'imaginaire de l'enfant comme complément maléfique de son monde de super héros ou si c'est homme noir représente une réalité dramatique que l'enfant essaye de combattre avec ses pauvres armes. La narration invite au doute le plus longtemps possible tant que la parole ne s'est pas libérée. Ce qui rend le récit encore plus dramatique est la découverte finale du prédateur: incontournable et parent insoupçonnable, il est plutôt sympathique en surface.
Di Gregorio vise juste en soulignant cette part de difficulté dans la découverte du crime.
Le graphisme de Panaccione travaille avec maitrise sur la juxtaposition des deux univers sans jamais dévoiler où se trouve l'imaginaire du réel. Il alterne insécurité et zone de confort en montrant comment la première grignote l'espace de la seconde sans que l'entourage ne s'en rende compte. C'est parfaitement raccord avec la narration textuelle.
Une lecture qui m'a bougé avec une belle intelligence dans la construction.
Je n'ai jamais pris le temps de lire les romans d'Olivier Norek (trop de BD à lire :P ), mais en tant que bibliothécaire, je suis son succès de près. Cette adaptation en BD par lui même au scénario et Frédéric Pontarolo au dessin m'aura pour le coup clairement donné envie de lire ses romans !
Car Norek nous propose de mettre un grand coup de botte dans la fourmilière de l'hypocrisie et de l'inaction politique face au dérèglement climatique et à notre destruction consciencieuse de notre environnement. L'auteur a le sens du récit et du suspens. Son thriller est très bien construit, et sans manichéisme, déroulant un récit dur et éclairant. Si la mise en place est un peu surprenante au début, une fois lancée l'histoire déroule tambour battant jusqu'à un final peut-être nu brin utopiste, mais qui laisse quand même une lueur d'espoir.
Côté dessin, je ne connaissais pas le travail de Frédéric Pontarolo. S'il surprend au début par son côté "brouillon" et coloré, je m'y suis rapidement habitué et j'ai même beaucoup apprécié son travail.
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Dynamite Diva - Rumeur mécanique
Déjanté ! Jasper Jubenvill est un jeune auteur d'une vingtaine d'années, il vit à Vancouver au Canada. Ce comics est le quatrième numéro des aventures de Dynamite Diva, les trois premiers numéros d'une trentaine de pages ont été publié dans un fanzine et celui-ci a été auto-édité, et c'est cet opus que les éditions Ici Même nous propose dans ce magnifique album. Un one shot se suffisant à lui-même. Comme le souligne la première planche, une lecture pour un public averti, un récit inclassable, très très violent avec quelques scènes pornographiques sur fond de thriller. L'histoire se déroule dans l'après guerre, le personnage central est Dynamique Diva, c'est une femme libérée, indépendante, pulpeuse et n'ayant pas froid aux yeux. Elle va se mettre à la recherche d'un serial killer, qui a assassiné une amie, en parallèle de l'enquête policière. De nombreux personnages, ils seront, chacun dans son rôle, à la limite du stéréotype et très bien campés. J'ai particulièrement aimé l'inspecteur Archie, il est homophobe, raciste et misogyne, et devra faire équipe avec une profileuse asiatique lesbienne. Détestable à souhait ! Et évidemment notre tueur en série qui se promène au volant de son taxi en slip et talon aiguille, tout en obéissant à la voix diabolique qui lui dicte ses actes. Je n'en dirais pas plus sur l'intrigue. Un récit au ton décalé, malaisant et trash, et aux nombreuses références, comment ne pas penser à Betty Boop, la ressemblance physique avec Dynamite Diva est frappante, son cache-œil et l'automobile tueuse à deux films de Tarantino, une verge en érection avec une tête de serpent à la place du gland à la bible, et bien d'autres encore. La conclusion cathartique est un excellent contre poids à tout le déchaînement de violence qui s'est abattu précédemment. Une lecture qui demande de la concentration, c'est dense et les sauts temporels tombent comme un cheveux dans la soupe. Une BD qui pousse à la réflexion si on prend le recul nécessaire. La partie graphique est sombre comme l'intrigue. Un noir et blanc dominé par le noir dans un style très underground. La mise en page alterne des planches sous la forme de gaufrier, mais le grand format permet de ne pas perdre en lisibilité, et d'autres plus aérées (mais moins nombreuses). Quelques pages viennent régulièrement couper le récit avec de fausses publicités (dessins ou photos) sur le personnage de Dynamite Diva. Une autre référence... Du très bon boulot. Après le récit principal, un épilogue (Mère ! Mothra !) esquissant une suite possible. Je ne suis pas forcément un adepte du underground, mais pour le coup j'ai bien apprécié. Un album qui ne fera pas l'unanimité.
L'Inconnue du bar (Dans la tête de...)
Je découvre l'univers de Jonathan Munoz avec cette inconnue autrice de BD trash sur l'enfance. J'ai eu quelques frissons en débutant ma lecture car je ne suis pas vraiment un adepte de cet humour noir que je trouve destructeur sans faire de réelles propositions en contrepartie. Toutefois la suite de la lecture m'a beaucoup plu. J'ai trouvé très intelligent cette juxtaposition des deux univers ( la BD et le bar) qui s'influencent l'un l'autre. Plus la thématique de l'amour occupe l'espace et moins la violence trash et la vulgarité qui l'accompagne subsistent. C'est comme un effet de vases communicants. L'excellent gag sur les cowboys porte à lui seul la profondeur et la pertinence du message de Munoz. J'ai été d'autant plus sensible à la construction du récit qui prend comme thématique centrale le rapport de l'adulte à l'enfance. Ainsi c'est cette dynamique du récit qui part du violent vers le paisible autour de la vision de l'enfant que j'ai beaucoup apprécié. Personnellement une vraie découverte qui dépasse l'humour cynique vers d'autres propositions. Une belle lecture.
Putzi
Le paon est de retour. Il ne marche plus, il vole. - Ce tome contient un récit de nature autobiographique, réalisé à partir du roman de Thomas Snégaroff : Putzi: Le pianiste d'Hitler (2020) qui a reçu le prix Prix Jean-Lacouture en 2022. Son édition originale date de 2024. La bande dessinée a été réalisée par Louison (Louise Angelergues), pour l’adaptation, les dessins et les couleurs. Il comprend cent-trente-huit pages de bande dessinée. Il s’ouvre avec une préface rédigée par Snégaroff évoquant son émotion à voir ses images mentales prendre vie, ses longues journées dans les archives à Munich et à Washington, le vertige de honte ou d’inquiétude, éprouvé par la dessinatrice en enchaînant les croix gammées et en prenant plaisir à dessiner les traits gargantuesques de Putzi. Il conclut en disant qu’il ne sait toujours pas si cet homme fut un monstre ou clown, et il laisse le lecteur être happé par ce destin qui éclaire, à sa manière, ce siècle de bruit et de fureur. Fraternité. Ernst Hanfstaengl est dans l’entrée dans sa maison. Il met son chapeau sur la tête et il endosse son manteau. Il vérifie son apparence dans le miroir et il sort avec son invité : Adolf Hitler. L’année 1924 s’achève. Quelques jours plus tôt, Hitler a été libéré de la prison de Landsberg. Il n’y a purgé qu’une infime partie de sa condamnation après le piteux échec du putsch de la Brasserie en novembre 1923. On lui interdit de prendre la parole en public. Que lui importe la liberté dans ces conditions ? À peine libéré, il s’est rendu chez les Hanstaengl, Ernst et Hélène. Putzi, le surnom d’Ernst, est l’un des fidèles d’Hitler. Sa visite le comble. C’est lui qui a été choisi, et pas l’un des incultes qui gravitent autour d’Hitler. Mais il n’est pas dupe. Il sait que son ami n’est pas venu uniquement pour lui. Hitler nourrit une passion pour Hélène. C’est par elle que le Führer est devenu, dès le début de 1923, un de leurs invités les plus réguliers. Après un meeting qu’Hitler avait tenu au cirque Krone de Munich, Putzi lui avait présenté son épouse. Les yeux plantés dans ceux d’Hélène, le dirigeant politique avait accepté l’invitation à dîner d’Hanfstaengl. Depuis, leur demeure était devenue un foyer de substitution. Il y passait de longues soirées à monologuer sur la renaissance de l’Empire allemand. Ou encore à jouer avec le petit Egon. Il lui racontait ses souvenirs de la Première Guerre mondiale en imitant le bruit des canons… tout en jetant des regards furtifs à Hélène. Putzi n’était pas jaloux. Il avait vite compris qu’Hitler était incapable de céder à la tentation. Les contacts physiques le dégoûtaient. Des années plus tard, après avoir malgré tout cherché à lui trouver une femme, Putzi confiera à des amis : Hitler est asexuel. Mais là n’était pas la seule raison de son absence de jalousie. Le fait que Putzi n’aimait pas cette femme épousée en toute hâte en 1920, parce que, à son âge, il fallait bien se marier. À en croire Hélène qui aimait beaucoup Hitler, celui-ci lui devait la vie. Durant la nuit du 8 novembre 1923, le putsch de la Brasserie avait été un échec pour le dirigeant. Pire, ce fut un bain de sang. Il fut blessé. Putzi, lui, avait été prévenu en chemin qu’il devait se mettre à l’abri. S’il se renseigne au préalable sur Ernst Hanfstaengl (1887-1975), le lecteur apprend qu’il s’agit d’un homme de la haute société munichoise, devenu cadre du parti national-socialiste (NSDAP), chargé des relations avec la presse étrangère, et qualifié de pianiste d’Hitler. Il a été surnommé Putzi, ce qui signifie petit homme, par dérision puisqu’il mesurait 1,93m. L’adaptation se fonde essentiellement sur le texte original de la biographie : c’est-à-dire que court le flux du narrateur omniscient dans des cartouches de texte. Pour autant, l’adaptatrice a pris le parti de faire la plus grande place possible aux dessins avec des illustrations en pleine page (au nombre de trente-huit), voire en double page (au nombre six), et majoritairement des découpages de planche en trois cases de la largeur de la page (à l’exception de sept pages). La couverture donne un aperçu des partis pris graphiques de l’artiste. Le lecteur fait donc connaissance avec le personnage principal dès la troisième planche. Son visage présente un énorme menton en galoche. Le lecteur remarque également son regard doux, un peu perdu dans ses pensées. Puis il boutonne son manteau et ses doigts apparaissent bien propres, et un peu épais par rapport aux boutons. Il arbore un sourie d’autosatisfaction un peu fat. Plus tard, ses lunettes lui donnent une apparence un peu perdue. En fait, s’il ignore qu’il s’agit de l’adaptation d’un livre, le lecteur apprécie la narration visuelle et sa qualité aérée, sans ressentir qu’il puisse s’agir d’extraits de livre. Il ressent l’effet du narrateur omniscient, apportant un point de vue sur la personnalité de cet individu à la vie hors du commun, ainsi que le jugement de valeur qu’il contient. Sa représentation aux caractéristiques physiques légèrement exagérées fait sens : au vu de sa stature, il ne peut que ressortir par rapport à n’importe qui d’autre. En 1924, Adolf Hitler a trente-cinq ans : en page neuf, il apparaît plutôt comme un bel homme, avec sa mèche caractéristique bien fournie, et sa petite moustache un peu plus large, ce qui lui fait un visage agréable, avec une silhouette bien dessinée dans son costume. Il apparaît pour la dernière fois en page quatre-vingt-sept, cette fois-ci en uniforme avec des traits plus tirés et un visage plus dur, beaucoup moins sympathique. Le romancier évoque cette situation assez particulière : celle de la dessinatrice ayant la sensation de braver un interdit en dessinant autant de croix gammées dans ses planches, et en représentant autant de fois le Führer. En fonction des pages, il peut s’apparenter à un enfant en colère, ou à un individu énigmatique et malveillant. Les autres personnages présentent une personnalité graphique moins forte : Helene Hanfstaengl une simple jeune femme prévenante, les enfants sympathiques et remuants, un nombre de personnages secondaires et de figurants très réduits, la majeure partie des pages ne comprenant que Putzi. Lors d’un repas avec Winston Churchill, on aperçoit uniquement le bas de son visage, et son cigare bien sûr. Ainsi le personnage principal ressort à la fois par les observations du narrateur omniscient, à la fois par sa présence dans toutes les pages sauf huit. Quatre dans lesquelles le récit se focalise sur ce moment décisif entre Hitler et Helene Hanfstaengl. Quatre autres qui correspondent à un petit mot laissé par Eva Braun (1912-1945) à l’attention de son futur amoureux, une autre où le chapeau de Putzi dérive dans l’océan, une où le corps du Führer se calcine dans l’incendie, et une dernière où il ne reste que ses lunettes posées sur la table. Tout du long l’artiste représente les environnements et les accessoires avec consistance, et de temps à autre une pointe d’humour discret. Ainsi le lecteur découvre l’intérieur du riche pavillon de la famille Hanstaengl, quelques rues de Berlin après un trajet en voiture, dont le Luna Park, des tableaux exposés dans un musée, l’appartement dans lequel Putzi séjourne à New York, un gigantesque rassemblement d’une puissante organisation nazie américaine qui remplit le Madison Square Garden à New York en mai 1934, des cabines de plage au bord de la Baltique, un voyage à haut risque dans un avion militaire allemand avec sûrement un saut en parachute à la clé, un voyage en train pour fuir, un séjour dans un camp que Churchill a décidé d’installer au Canada, etc. Le lecteur sourit par exemple en voyant Putzi se tenant bien droit à la proue d’un paquebot évoquant Titanic. Il sent son regard s’arrêter sur des détails inattendus : le décor en fer forgé de la porte d’entrée du pavillon des Hanfstaengl, les aiguilles à tricoter d’Helene, le visage hilare démesuré de l’entrée du Luna Park, les montures d’écaille des lunettes de Putzi, son uniforme nazi fait sur mesure, une mer de canotiers, le dossier S, etc. Dès son introduction, le romancier indique qu’il s’interroge sur cet homme au destin hors du commun. Était-il un monstre ? Était-il un clown ? Le lecteur est vite pris par le flux narratif : la description d’un individu à la fois pusillanime, à la fois confiant en lui-même. D’un côté, il a épousé une femme pour laquelle il n’éprouve pas d’amour, il semble un père quelque peu lointain, il aime se réfugier dans l’art, et il lui arrive de boire plus que de raison. D’un autre côté, il est fasciné par Adolf Hitler et il le suit avec une forme de courage ou d’inconscience selon les circonstances, de qui l’amène à réaliser des missions de prestige. Les auteurs indiquent explicitement que Ernst Hanfstaengl éprouve une amitié intense pour le Führer, ce qui le galvanise, et aussi ce qui lui donne de l’importance. Ce qui l’amène également à épouser ses combats les plus abjects. Dans le même temps, ses convictions personnelles fluctuent entre un refus de la haine, et un antisémitisme inconscient qui revient régulièrement à la surface, avec parfois des moments de lucidité quand son instinct de survie reprend le dessus. En cours d’ouvrage, le lecteur comprend que les auteurs ont puisé leur matière dans les copieux mémoires rédigés par Ernst Hanfstaengl : débutés en 1942, entre les murs d’une base américaine. Il raconte tout dans ce qu’il appelle le projet S, S pour Sedgwick, le nom de sa mère. À plusieurs reprises, le lecteur se découvre une situation incroyable. Les circonstances dans lesquelles Helene sauve la vie d’Hitler en l’empêchant de se suicider. Putzi dînant avec Churchill alors qu’Hitler n’est pas au rendez-vous tout en se trouvant dans le même restaurant. Putzi se retrouvant dans un camp au Canada : dans ce camp construit dans la précipitation et la confusion, on commet l’épouvantable erreur de mélanger des prisonniers nazis comme Putzi et des Juifs ayant fui l’Europe. Ou encore Putzi allant consulter Carl Gustav Jung (1875-1961) et celui-ci faisant le constat que : Ce qui est impressionnant avec le système allemand, c’est qu’un homme visiblement possédé est parvenu à infecter une nation entière. Hitler est l’inconscient de soixante-dix-huit millions d’Allemands, c’est ce qui le rend si puissant. Sans le peuple, il n’est rien. Le petit bonhomme, le pianiste d’Hitler, celui sans qui le Führer ne serait sans doute jamais devenu celui qu’on connaît : qui est cet homme ? La narration visuelle dresse le portrait d’un individu ne pouvant pas passer inaperçu du fait de sa haute taille, tout en n’ayant rien de martial. Le narrateur omniscient en fait une personne entretenant une amitié intense avec un futur dictateur, à la fois conscient des atrocités commises, à la fois enivré par l’importance de son rôle dans l’Histoire. Un monstre ou un clown ?
Les Gorilles du Général
L’histoire en partie vraie des quatre armoires à glace ayant servi comme garde du corps au général de Gaulle durant son mandat présidentiel. Je ne connaissais pas du tout ce détail amusant qui fait partie de la petite histoire de France donc super découverte. Xavier Dorison tel un Alexandre Dumas moderne utilise personnages, contexte et faits réels pour les refaçonner à sa sauce, y ajouter de l’improbable et un aspect « actioner » à l’américaine, et que dire… ça marche d’enfer. Faut dire que le scénariste n’opère pas en terrain inconnu avec les histoires de barbouzes, les aficionados se rappelleront de Comment faire fortune en juin 40, une réussite dans le genre. Certes, c’est un tome d’introduction, les auteurs en prévoiraient dix à ce que j’ai lu, on sent qu’ils en gardent sous le pied pour les deux prochains numéros, qui sont d’ores et déjà validés par la maison mère. En tout cas moi ça m’a hypé, les personnages ont des gueules, ça cause viril, il y a un décorum délicieusement rétro, c’est jalonné de marqueurs temporels authentiques et saupoudré de quelques punch lines toutes aussi vraies, Dorison a bien fait ses devoirs. J’adore également la partie graphique de Julien Telo, un digne héritier des Robin Recht (crédité en fin d’album), Alex Alice et autres Mathieu Lauffray. C’est le présent et l’avenir, il a encore une marge de progression car c’est un jeune artiste. C’était pas évident j’imagine de terminer seul le cycle d’Elric, là il est quasiment seul au manettes (bravo aux coloristes au passage), et de ce que je lis par-ci par-là, tout le monde s’accorde à dire que c’est du beau boulot, et j’suis bien d’accord, un vrai plaisir à lire et à voir.
Bobigny 1972
Voilà un album qui présente simplement et clairement un moment charnière des bouleversements sociétaux de la France de la seconde moitié du XXème siècle. Marie Bardiaux-Vaïente – qui a déjà publié des albums sur d’autres sujets de société (dont la peine de mort) – réussit ici pleinement à présenter son sujet sans le plomber par une narration pesante, ou par des effets artificiels. Au contraire, la narration et fluide. Et le dessin de Carole Maurel l’accompagne très bien, plaisant, dynamique. Avare de décor, focus sur les personnages, agréable. Pour ce qui est du sujet lui-même, il permet de mettre en avant plusieurs choses. D’abord une loi archaïque et inique. Comme les témoins et Gisèle Halimi l’ont répété, comme le fera Simone Veil en défendant sa loi autorisant l’avortement un peu plus tard, seules les femmes les plus vulnérables, les plus pauvres, sont soumises aux conditions précaires et dangereuses, mais surtout elles sont les seules à être poursuivies. C’est le cas ici de Marie-Claire Chevalier. C’est aussi l’occasion de mettre en avant la quasi impunité des violeurs, la honte se portant sur la victime, Marie-Claire n’ayant pas porté plainte contre celui qui l’a violée, l’a ensuite harcelée. Ce qui est encore plus accablant, c’est que la justice, le procureur, n’ont jamais demandé à ce salaud (qui plus est lâche, puisque c’est lui qui a dénoncé Marie-Claire !) de venir répondre de ses actes, ou tout du moins témoigner. Cet album est aussi l’occasion de montrer l’action de quelques femmes, de l’association « Choisir » qu’elles ont créée. Et bien sûr surtout Gisèle Halimi, qui a porté ce combat et gagné ce procès, qui va ensuite permettre de modifier une loi devenue inapplicable après l’acquittement de Marie-Claire Chevalier. Un sujet de société essentiel, un moment charnière – le procès/fait divers ayant ici valeur d’exemple, le tout très bien traité, simplement, voilà donc une belle réussite du genre.
Le Piano Oriental
J'ai dévoré cette série de Zeina Abirached avec délectation. La même délectation que lorsque j'entends une partition de Chopin au piano. J'ai trouvé son récit d'une grande intelligence et d'une originalité certaine. J'aime beaucoup cette thématique du langage qui va bien au delà de la simple transmission d'informations basiques : "avec le langage m'arrivaient les idées" fait dire l'autrice à sa jeune héroïne. En mettant en parallèle certaines subtilités du français et de l'arabe l'autrice nous fait toucher du doigt comment une langue peu induire une philosophie ou des comportements spécifiques. De plus Zeina enrichit son récit en ajoutant de façon très équilibrée une analogie avec la musique. Le piano est l'instrument roi de la musique occidentale mais sa conception le rend inapte à la musique orientale et donc à faire partie du patrimoine de cette musique. Zeina nous fait vivre cette quête du quart de ton comme une véritable aventure aux résultats imprévisibles. Zeina nous propose ainsi un double récit qui prend le temps de poser les fondations au rapprochement de deux univers linguistiques et musicaux. On peut le lire comme un message utopique espérant que ce rapprochement ouvrirait la porte à une meilleure compréhension des deux mondes. Un pont entre l'Orient et l'Occidentale rêvaient les timides facteurs de pianos viennois. J'ai aussi apprécié ce graphisme plan qui me rappelle le théâtre de marionnette des traditions orientales ou extrême-orientales. Les personnages, souvent de face, sont d'une belle vitalité avec des dialogues lettrés. La double histoire est bien équilibrée et se fait sans rupture afin de proposer un ensemble cohérent et plaisant à lire. Le N&B est bien maitrisé en contrastes bien marqués comme pour exprimer la thématique de la dualité qui traverse cet ouvrage. Une belle lecture pleine de finesse et d'intelligence.
Un été indien
C'est avec un vrai plaisir que j'ai relu cet ouvrage de ces deux célèbres auteurs. Avec le recul je m'aperçois que chacun des deux auteurs est un peu sorti de son registre habituel même si on retrouve des thématiques connues. Comme le prouve un final très académique Pratt nous entraine dans un épisode anecdotique bien que violent de l'histoire américaine des premières années avec des colons hollandais cohabitant pacifiquement avec une tribu indienne. Le scénario de Pratt est intéressant du fait qu'il souligne l'ambiguïté et l'hypocrisie de la situation. Ainsi le personnage de Shevah, élément déclencheur des massacres, présente une attitude équivoque dans son rapport à sa sexualité. C'est vrai pour presque tous les personnages du récit que les auteurs s'ingénient à rendre soumis de façon perverse et diabolique à leur sexualité alors que les indiens la vivent de façon plus naturelle. L'intérêt du scénario de Pratt est qu'il équilibre les points de vue ceux des colons et ceux des indiens sans réellement définir quelle est la forme de justice la plus légitime ou plutôt illégitime dans ce cas précis. Manara sait se saisir de cette ambiance hypocrite et perverse pour produire des attitudes fidèles à son dessin. Les filles Phillis ou Shevah sont souvent comme possédées bien accompagnées par les révérends Black père et fils. Des ambiances intimes dans l'intériorité des foyers qui tranchent avec la rigueur des scènes extérieures où s'affrontent les deux camps. Cela donne un graphisme presque sage avec un beau travail sur le côté historique du récit. Un ouvrage qui n'a pas vieilli même si l'on peut regretter les dernières pages trop chargées. 3.5
D'or et d'oreillers
J'adore les contes et particulièrement les contes modernes qui renouvellent le genre en jouant avec les codes et en ayant un message progressif. Ce qui m'a attiré en dehors des bons avis est le dessin. Je ne sais pas trop comment s'appelle ce style, mais je le vois de plus en plus dans des bandes dessinées de type conte et je pense que c'est le style parfait pour ce type d'histoire. La mise en page est incroyable avec des scènes très audacieuses au niveau de la narration sans perdre le lecteur. Le scénario est prenant et cela ne se voit pas du tout que c'est l'adaptation d'un roman tellement tout est fluide et semble pensé pour de l'art séquentiel. Je ne connais pas le roman, mais on sent que l'autrice s'est appropriée l'œuvre au lieu de bêtement illustrer un récit comme c'est le cas avec les mauvaises adaptations de romans en BD. Il y a beaucoup de symbolisme dans cet album, mais tout me semble facile à comprendre pour un lecteur un peu cultivé. Un récit étonnant à lire pour les fans du genre.
L'Homme en noir
J'ai vraiment beaucoup aimé la façon avec laquelle les auteurs ont réussi à traiter le sujet de la pédophilie à hauteur d'enfant. Mattéo fait des cauchemars depuis les vacances . Il fait pipi au lit, a du mal à se coucher et ne suit plus à l'école. C'est perturbant pour les parents qui s'oriente vers un harcèlement scolaire mais sans résultat. La construction du récit s'appuie sur une trouvaille intelligente de Di Gregorio qui invite son lectorat dans deux univers sans que l'on sache vraiment lequel est réel et lequel est imaginaire. En effet il est difficile de discerner si cet homme noir appartient à l'imaginaire de l'enfant comme complément maléfique de son monde de super héros ou si c'est homme noir représente une réalité dramatique que l'enfant essaye de combattre avec ses pauvres armes. La narration invite au doute le plus longtemps possible tant que la parole ne s'est pas libérée. Ce qui rend le récit encore plus dramatique est la découverte finale du prédateur: incontournable et parent insoupçonnable, il est plutôt sympathique en surface. Di Gregorio vise juste en soulignant cette part de difficulté dans la découverte du crime. Le graphisme de Panaccione travaille avec maitrise sur la juxtaposition des deux univers sans jamais dévoiler où se trouve l'imaginaire du réel. Il alterne insécurité et zone de confort en montrant comment la première grignote l'espace de la seconde sans que l'entourage ne s'en rende compte. C'est parfaitement raccord avec la narration textuelle. Une lecture qui m'a bougé avec une belle intelligence dans la construction.
Impact - Green War
Je n'ai jamais pris le temps de lire les romans d'Olivier Norek (trop de BD à lire :P ), mais en tant que bibliothécaire, je suis son succès de près. Cette adaptation en BD par lui même au scénario et Frédéric Pontarolo au dessin m'aura pour le coup clairement donné envie de lire ses romans ! Car Norek nous propose de mettre un grand coup de botte dans la fourmilière de l'hypocrisie et de l'inaction politique face au dérèglement climatique et à notre destruction consciencieuse de notre environnement. L'auteur a le sens du récit et du suspens. Son thriller est très bien construit, et sans manichéisme, déroulant un récit dur et éclairant. Si la mise en place est un peu surprenante au début, une fois lancée l'histoire déroule tambour battant jusqu'à un final peut-être nu brin utopiste, mais qui laisse quand même une lueur d'espoir. Côté dessin, je ne connaissais pas le travail de Frédéric Pontarolo. S'il surprend au début par son côté "brouillon" et coloré, je m'y suis rapidement habitué et j'ai même beaucoup apprécié son travail. Une BD coup de poing à découvrir !