Une description de l'adolescence chez les bourgeois citadins bien gratinée. Contrairement aux frustrés, on rit . Bretecher invente des noms et un vocabulaire imaginaire qui, à lui seul, est drôle.
Beaucoup d'aviseurs trouvent le dessin moche , soit mais pas insignifiant. Les tenues des personnages, les chaussures, les couleurs, tout est très bien observé et réinterpreté, rien n'est laissé au hasard. Je comprends bien que les purs esprits ne se sont pas penchés sur la question de la mode adolescente mais en tant que mère, j'y ai été confrontée de force, et je suis bien contente de me sentir moins seule devant le ridicule du capitalisme textile.
On dira que c'est un female gaze puisque cela semble laisser de glace le lectorat masculin : oui nous sommes tenues de faire attention à notre apparence depuis le plus jeune âge et oui les femmes de Bretecher sont des fashion-victimes ( comme la plupart d'entre nous) mais sans être montrées séduisantes pour les hommes. C'est un choix très courant chez les autrices de BD ( cf Florence Cestac ou plus près de nous Marion Montaigne). Si je cherche pourquoi, il me semble que c'est un essai d'échapper au système mercantile fondé sur la séduction et donc sur la domination des femmes.
Le père, Merlan, la mère, Poule, la grand-mère, Ninifle, ( son prof d'informatique, Falgoët Credo Dumaïs) l'arrière grand-mère, le petit frère, Biron (!) sa meilleure copine, Bergère... et les divers petits cons qui seraient sensés être intéressés par Agripinne, tous ces personnages sont parfaitement campés et ridiculisés.
Les histoires sont un peu inégales mais je rejoints mes collègues sur "l'ancêtre" qui est sans doute le plus chouette par son balayage des générations.
Commencez par celui-là et après vous serez attachés aux personnages et vous aimerez aussi les autres volumes et l'inventivité socio-vestimentaire de Bretecher.
Un délice !
Je suis retombée sur ces albums souples dans une broquante et j'ai eu envie de les lire alors que quand ils traînaient sur le canapé de mes parents (début des années 80), je n'en voyais pas l'intérêt.
Je comprends que cela ne soulève pas l'enthousiasme : ça nous met le nez dans le caca, on sent les doigts rentrer dans notre nuque : ce n'est pas drôle parce qu'il n'y a pas de bouc émissaire extérieur sur qui taper : tous les personnages adultes sont ridicules, snobs, et le patriarchat des années 70 est extrêmement bien décrit. De droite, de gauche, hommes, femmes, intellos, populaires, tous et toutes ( nous) se font rouler dans la farine de leurs a priori sociaux crétins.
Contrairement à beaucoup d'autres aviseurs, je trouve que ça n'a pas pris une ride : Retaillau et Rousseau, sont dans le bateau de Bretecher.
Le chapeau de la série rédigé sur BDtheque me paraît très désagréablement phalocentré, (comme auraient dit les gauchistes de Bretecher !) ou affreusement male-gaze comme on dirait aujourd'hui ! Le vocabulaire a peut-être vieilli mais les personnages, les postures et l'ennui de l'entre-soi sont les mêmes...
J'imagine que si Bretecher était tombé sur cette présentation elle n'aurait plus jamais jeté un œil à BDthèque !
Bravo à Bretecher pour avoir été presque la seule femme de la BD sociale française, pendant des années, sans que ça ne fasse rien bouger... pas assez drôle, trop proche de la réalité, trop woke ( éveillée ) en somme. Et non ce ne sont pas des histoires de gonzesses, "frustrés" est au masculin pluriel, soit le neutre de la langue française à son époque.
C’est je crois la première incursion de Toulmé dans la BD, son dessin est encore très simple et parfois hésitant (il le restera par la suite, mais avec plus d’assurance dans le trait je trouve). Comme son futur chef d’œuvre L'Odyssée d'Hakim, cet album est rempli d’empathie pour un être que les hasards de l’existence n’ont a priori pas gâté.
Ce qui fait la force de cet album, c’est la sincérité de l’auteur, sa façon toute particulière et « transparente » de se présenter aux lecteurs, sans pathos ni faux-semblants. Toulmé est un père ordinaire, bourré de préjugés envers le handicap et en particulier la trisomie 21, et une certaine tension monte lorsque sa deuxième fille nait avec cette pathologie, à laquelle il n’était pas préparé, ce qui entraine une forme de rejet de sa part.
Avec pudeur, de l’autodérision et un chouia d’humour, Toulmé se montre à nu, et nous assistons à sa mue, très lente, jusqu’au dernier quart de l’album, où son amour pour sa fille Julia explose aux yeux du lecteurs. Si sa femme n’était pas loin de ressentir ses préventions, la présence de leur première fille a été pour beaucoup dans l’apprivoisement mutuel de Toulmé et de Julia, puisque les deux sœurs entretiennent dès le départ une relation forte et « normale ». La réflexion sur la normalité est d’ailleurs sous-jacente, et interroge tout le monde.
Cet album peut se présenter comme l’affirmation de Toulmé qu’un cap est passé. Même si les peurs et interrogations sont toujours en partie présentes, elles ont disparu du présent, et ne concerne que l’avenir – mais là Toulmé et sa femme semblent armés pour les affronter.
La façon dont l’auteur développe sa relation avec sa fille trisomique est pleine de délicatesse, une fois l’ignorance – source de réactions inappropriées – dépassée. Une histoire touchante, et bien racontée..
L’art inuit explore la magie originelle. Les limites. La transcendance.
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Ce tome contient un récit complet, indépendant de tout autre, dont la lecture peut être complétée par Nunavut (2024) des mêmes auteurs. Son édition originale date de 2023. Il a été réalisé par Edmond Baudoin et Troubs (Jean-Marc Troubet), pour le scénario et les dessins. Il compte cent-soixante-douze pages de bande dessinée en noir & blanc. Ces deux auteurs ont précédemment réalisé ensemble : Viva la vida - Los Sueños de Ciudad Juàrez (2011), Le Goût de la Terre (2013), Humains - La Roya est un fleuve (2018).
Entre 2001 et 2003, Edmond Baudoin est professeur à l’université de Hull, devenue Gatineau, au Québec. Ottawa est de l’autre côté de la rivière Outaouais. Dans son musée, il découvre l’art inuit. C’est pour lui une révélation. Il se promet de travailler un jour avec des artistes inuits. C’est Vincent Marie qui lui en donne la possibilité la première fois. Avec Andrew Qappik, il illustre un conte inuit sur la naissance du narval, pour son film : Les harmonies invisibles. En illustrant ce conte il réalise ce désir né dans un musée en 2002, il travaille avec un artiste inuit. Mais avec Jean-Marc Troubs, ils veulent maintenant aller dans son pays. Voici le conte du Narval. Il y a bien longtemps, Taqqiq, un jeune garçon aveugle, vivait en compagnie de sa petite sœur Siqiniq chez leur grand-mère, une femme colérique et méchante. Aux yeux de cette grand-mère, Taqqiq était une bouche inutile à nourrir. C’était difficile pour les deux enfants, mais ils étaient orphelins de leurs parents. Une nuit, ils furent réveillés par un ours approchant leur habitation. La grand-mère prit l’arc et la flèches et les donna à Taqqiq, jeune mais robuste. Elle dirigea le tir. La flèche atteignit l’ours qui tomba raide mort. Mais la grand-mère mentit, en le traitant d’idiot et lui faisant croire qu’il avait tué leur meilleur chien. La nuit suivante, Siqiniq mit en cachette de la viande d’ours dans l’assiette de Taqqiq qui compris le mensonge et décida de se venger. […]
Le plongeon arctique se joue des frontières. Il nage comme il vole dans la mer ou dans le ciel. Pour de nombreux groupes inuits, il symbolise la recherche de la vérité dans les profondeurs. Voilà deux ans que Troubs devait se rendre au Nunavut avec Edmond… Mais il y a eu la pandémie. Alors il a commencé le voyage dans les livres et la recherche d’images. Il s’est plongé dans les mythes, les récits et la vérité historique, qui souvent dans l’Arctique s’entremêlent magnifiquement. Cet été 2022, ils allaient voir, voir ce qui s’y raconte aujourd’hui. L’art ancien des peuples polaires est peuplé de petites statuettes. Elles ont souvent une fonction magique. Et une présence telle qu’on les dirait vivantes. Qu’elles soient de magie noire ou blanche, les statuettes sont longtemps restées petites. Parce que les matériaux étaient rares. Et qu’il fallait les transporter. Les Inuits avaient encore la liberté d’être nomades. Mais aujourd’hui, les temps ont changé, les statuettes ont pris du poids, et sont parfois devenues géantes. Elles ont toujours cette présence fascinante. Elles pratiquent maintenant la magie moderne du marché de l’art.
S’il s’agit de sa première œuvre de ces artistes, le lecteur peut se trouver un temps déconcerté, à la fois par la liberté des formes, à la fois par l’importance donnée à la parole. En toute simplicité, le tome s’ouvre avec une carte sommaire réalisée par Troubs permettant de situer le Groenland, le Labrador, le Nunavut, le cercle arctique, la ville de North West River, et d’autres repères géographiques. Puis la première planche comprend deux cases de la largeur de la page : la première une photographie d’une rue de Gatineau avec la silhouette de Baudoin sur le toit d’un immeuble à étage unique, la seconde une chimère intégrant le visage de l’artiste à des éléments animaux et une représentation inuite dans un amalgame harmonieux. Dès la troisième planche, il s’agit d’illustrations évoquant l’art inuit, dans une diversité d’approches graphiques, et un texte qui court au-dessus ou au-dessous. Puis sans aucune indication, Troubs réalise les planches suivantes : à nouveau des illustrations de conte, mêlant les représentations d’un oiseau à l’encre, au bleu peint de la mer ou du ciel. Puis des représentations naïves d’Inuits, avec un glissement progressif vers des personnages et des animaux mythologiques à l’apparence naïve. Le récit du voyage commence alors avec les cases aux dessins réalisés au pinceau de Troubs, puis les images plus libres de Baudoin, également au pinceau, puis des portraits, des reproductions d’autres artistes. Parfois des pages en couleurs. Parfois un paysage sur une double page. Parfois des cases à l’encre. Une alternance toute naturelle entre des cases disposées en bande, des dessins accolées, des portraits d’habitants interrogés, d’autres paysages, des scènes urbaines, des hommages à des œuvres d’artistes inuits ou innus, etc.
S’il en éprouve la curiosité, le lecteur peut aisément identifier les pages réalisées par l’un ou l’autre des deux artistes : Troubs effectue un lettrage en minuscules, et Baudoin en majuscules. Dans un passage, ils se représentent en train de travailler à leur bande dessinée : ils sont tous les deux assis à la même table, et ils composent et réalisent leurs pages ensemble. Le lecteur le ressent à la lecture car il n’éprouve aucune sensation de solution de continuité : les pages forment un tout harmonieux comme si une unique intelligence créative avait présidé tout du long. La bande dessinée suit l’ordre chronologique du voyage, à commencer par les prémices évoquées par Baudoin, puis le voyage en avion, l’arrivée à Montréal, le trajet vers North West River, et encore plus au Nord. La narration visuelle est conçue en fonction de chaque séquence pour mettre en valeur un lieu, des personnes, une longue route en vue du ciel dans une case de la hauteur de la page, des cases sans bordure pour laisser de l’espace à un Inuit en train de manier le harpon, un dessin à l’encre effectué dans l’inspiration du moment, une autre carte simplifiée, des illustrations en couleurs… un petit visage avec un long discours en texte…
Les deux auteurs ont repris le dispositif qu’ils avaient utilisé dans leurs précédents ouvrages en commun : proposer de réaliser le portrait de leur interlocuteur et lui offrir en échange d’une réponse à une question, sur l’avenir des Inuits et Innus ou sur l’avenir de la culture inuite. Il est possible de voir cet ouvrage comme la suite de ces entretiens, entrecoupés de réflexion sur la culture inuite, sur son art, sur l’histoire de ce peuple premier. Le lecteur se rend compte qu’il éprouve une forte curiosité pour ces déclarations, totalement oublieux de leur forme de texte, ce qui pourtant constitue souvent un repoussoir dans les bandes dessinées traditionnelles. Son attention est tout entière consacrée à ces témoignages fort variés. Estelle évoque la dépendance de la communauté de North West River aux services publics et au gouvernement. Billy dit sa crainte que leur culture disparaisse. Mitzi, la mère de Billy, évoque le temps où le gouvernement avait interdit la langue inuktitut. Mina, conservatrice au Labrador Heritage Museum, parle de la disparition des attelages de chiens, et des croyances spirituelles qui font le chamanisme. La grand-mère Ataomie estime que la culture se renforce depuis qu’ils ont leur propre gouvernement et qu’il est possible d’apprendre la langue. Elisabeth constate que la chasse va en décroissant. Ernie, ancien maire de North West River pendant des décennies voit que l’électronique rendra le monde complètement dépendant des machines et qu’il sera complètement impossible de vivre dans la nature d’ici cinquante ans du fait de l’évolution du climat. Au fil de ces rencontres, d’autres facettes de la vie locale sont abordées : l’art bien sûr, le rôle des jeunes et leurs aspirations, la pêche et son industrialisation, les services publics, l’histoire de chaque groupe qui a habité la région et la difficulté de l’établir du fait de leur nomadisme, la nécessité d’une représentation pour éviter de se faire piller, pour résister aux prédateurs capitalistes, etc.
En creux se dessine également l’histoire des Innus, celle des Inuits, et la manière dont le gouvernement a traité les peuples autochtones, a mis en œuvre des actions visant à détruire leur culture. Par exemple le placement de petites filles dans des pensionnats dans le Sud, et les sévices fréquents. Les discussions entraînent des réflexions chez les auteurs. Il apparaît qu’ils sont fascinés par la forme de pureté de l’art inuit, sa qualité primordiale, sa charge mythologique et la part de vérité qu’elle contient quant au rapport entre l’être humain et son environnement, par le rôle de l’art comme outil de préservation et transmission d’une culture. Par la sauvegarde d’une langue et ce qu’elle porte en elle de culture à nouveau, mais aussi de rapport à la réalité. Un habitant leur indique que : En inuktitut il y a environ cinquante mots pour dire Neige, pas un seul pour dire police. Par l’évolution du climat, ainsi que par le paradoxe à leurs yeux d’être à la fois chasseurs et agents de préservation de la nature. Par un autre paradoxe : celui de vouloir préserver sa culture et ses traditions, alors que la pureté d’un groupe est une chimère, ce que les auteurs expriment par : Tout le monde est métissé, les races pures c’est un fantasme de totalitaire. Et aussi par : Rien, et tout, plus la complexité, la pureté n’existe pas, sa recherche est vaine et dangereuse, la vie se tient dans le chaos. D’une manière aussi organique que habile, ils brossent progressivement un portrait d’une communauté, à la fois dans le temps long de l’histoire, dans l’existence et l’évolution d’une culture, dans les aspects pragmatiques de la vie de tous les jours, dans les traumatismes qui se transmettent de génération en génération, dans sa dimension mythologique.
Quel voyage, quelles rencontres, quelle expérience d’une autre culture. Les deux auteurs effectuent un séjour au Labrador. Comme à leur habitude, ils proposent de réaliser un portrait à leur interlocuteur en l’échange de la réponse à une question. Dans une forme graphique aussi libre qu’intelligente et sensible, ils racontent leur voyage et leurs rencontres, abordant aussi bien la vie quotidienne, la culture, l’histoire, l’évolution des valeurs d’un peuple et sa résilience. Un récit d’une richesse inépuisable et d’une humanité peu commune. Merveilleux.
Allez hop 5/5! Même pas peur de mettre la note maximale pour ce très beau one shot qu'on se prend dans la tronche sans le voir venir.
Le dessin est tout simplement magnifique, avec un gros travail sur les personnages et leurs expressions. Les contours marqués en noir renforcent le sentiment d'isolement et de solitude des personnages. Les couleurs ensuite avec des ambiances quasi monochromatiques pour mettre l'emphase justement sur ce que ressentent les personnages. Ca aide à structurer le récit en une multitude de séquences cohérentes. Et ça rajoute énormément à l'ambiance banale et bizarrement angoissante de la routine du héros, son travail aux abattoirs, sa vie de famille le soir...
Le récit est comment dire... impossible à décrire sans spoiler cette histoire que j'ai trouvée très originale. Donc sans en dire davantage disons que l'histoire assez classique au début bascule rapidement et oscille entre rêve et cauchemar. C'est justement une histoire que le papa raconte à sa fille pour l'endormir qui fait office d'élément déclencheur et se trouve être le point de bascule. Il y a aussi de vrais moments surreéls comme on en croise que dans les rêves. Ca m'a fait souvent pensé à du David Lynch par exemple pour l'aspect onirique et parfois loufoque. Ce qui n'est pas une maigre référence.
L'ensemble est très cohérent et se rélève être une refléxion puissante non seulement sur l'aliénation au travail, à la société de consommation et notre rapport au vivant, mais aussi sur la poésie et l'art. Un très beau livre.
Je vais être partial sur ce coup-là, parce que le sujet est selon moi bien trop capital pour qu'on brocarde cette BD.
Je n'ai pas trouvé le dessin très super, et je ne partage pas toujours l'humour distillé dans ces pages. Mais ! Mais cette BD permet de parler du seul sujet qui sans doute nous concerne toutes et tous : la fin de la vie, la mort de la planète Terre, l'extinction de l'espèce humaine. L'écologie n'est plus une option.
Après avoir lu cette BD, j'ai lu le rapport du GIEC (la version condensée), j'ai suivi certaines personnalités interviewées ici. Et mine de rien, autant le sujet est tragique et urgent, autant ça m'a mis un sacré coup de pied au cul, tout en me redonnant un peu d'espoir. Je ne sais plus quelle scientifique évoque cette question, mais le fait d'entendre des hommes et femmes de Science outrepasser le principe de neutralité en raison précisément de l'urgence imposée par la situation est extrêmement porteur. Nous n'avons plus d'autre choix que de tourner le dos au capitalisme !
Voilà une série jeunesse que j'avais découverte à Angoulême il y a fort longtemps et qui était venu enrichir les bacs de la médiathèque où je travaille.
Depuis, elle continue de ravir notre jeune lectorat grâce à une heroïc fantasy humoristique drôle et efficace !
Ced et Jean-Philippe Morin ont su trouver le bon équilibre dans ce mélange des genres, avec des personnages truculents. Si l'histoire déroule sur la longueur, chaque planche trouve sa chute, petit plus qu'apprécie beaucoup le jeune lectorat.
Bref, un petit bonbon acidulé de fantasy qui fait plaisir à lire, même en tant qu'adulte !
Oooh, je vais rejoindre Canarde : je crois que celui-ci fait également partie de mes préférés de la collection.
Le dessin est magnifique, le découpage est vif et travaillé (même si peut-être un chouïa brouillon par moment), le contraste entre le récit plein d'action et de cauchemars et la chute est savoureux, … C'est du bon, à n'en pas douter.
Après, malheureusement, comme pour le reste de la collection, la lecture étant très courte, même si cette dernière est pleine de qualité on se retrouve finalement avoir assez peu à dire sous peine de finalement décrire absolument tout ce qui s'y trouve.
(Note réelle 3,5)
Une lecture salutaire.
Un album indispensable dans toutes les bibliothèques.
Un album dont on ne peut ressortir que révolté, et le mot est faible. Je n'ai pas bien sûr attendu cette lecture pour savoir que notre société est gangrenée par le système capitaliste, mais elle m'a ouvert les yeux sur le monde de la finance. Un monde qui m'était obscure et un système qui détruit des vies mais aussi la planète.
Aline Fares a travaillé de nombreuses années pour la banque Dexia, elle nous fait un constat sur la finance qui donne la gerbe. Elle se met en scène tout le long de l'album pour nous expliquer tous les rouages de la finance et des conséquences bien réelles dans notre quotidien. Alors oui la lecture est dense (avec une petite dose d'humour) et demande de la concentration (tout en restant accessible), elle permet de comprendre comment et pourquoi on en est arrivé là, mais surtout de désigner les responsables de notre société pourrie : les banques et les politiques (de tous pays). Et c'est toujours les mêmes qui payent l'addition quand ça dérape (crises financières) : les travailleurs qui doivent supporter l'austérité (ben voyons, il est question de nous retirer 2 jours fériés pour résorber la dette) comme remède miracle. Les seuls gagnants sont les gros actionnaires avec leurs dividendes. L'argent appelle l'argent, les riches sont de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres...
Heureusement la lecture se termine avec une dose d'espoir, puisqu'Aline Fares propose des solutions pour casser le système, des propositions auxquelles nous tous pouvons apporter notre pierre à l'édifice. Il faut juste un peu de courage, se préparer à des moments difficiles et arrêter d'être spectateurs. Pas impossible !
Je tiens à souligner le très beau travail de Jérémy Van Houtte qui met son dessin simple et expressif au service des arguments d'Aline Fares avec une mise en page efficace et démonstrative.
Un album à lire, indiscutablement.
Coup de cœur.
Je suis un grand amateur des productions de Fabcaro – je crois bien que je possède tous ses albums, et j’ai très rarement été déçu.
Et là, je dois dire que c’est clairement l’une de ses meilleures réussites. Je ne m’étonne pas que cet album ait reçu plusieurs prix, car il est vraiment bon, tout en restant relativement atypique.
C’est clairement un florilège d’humour totalement absurde, parfois nonsensique, toujours très con, et parfois noir. Un excellent cocktail dont je suis très friand.
Du sourire au rire franc, quasiment tous les gags (s’il y a une histoire « linéaire », toutes les pages ou les deux pages un gag ponctue ce « road movie » absurde) sont réussis. Si vous êtes adeptes de ce genre d’humour, n’hésitez pas, c’est franchement bien fichu !
Et le ton est donné dès le départ, puisque le déclenchement de cette traque est dû à l’oubli d’une carte de fidélité d’un grand magasin au moment de payer. On devine peu à peu que Fabcaro se met en scène lui-même comme victime de cette course poursuite surmédiatisée. Autodérision, travail autobiographique, réflexion ironique sur le métier de bédéiste : on retrouve là quelques sujets récurrents chez Fabcaro (en particulier dans ses albums publiés chez La Cafetière).
Bref, d’une anecdote insignifiante, Fabcaro va pousser jusqu’au bout du bout l’emballement médiatique (on retrouve là quelques travers déjà moqués dans le second tome de Nic Oumouk de Larcenet). Les petites lâchetés du quotidien, les petits ou les grands cons de notre entourage ou des médias, la société de consommation, la dictature de la routine, les grands élans de générosité creuse (excellente parodie des « tubes humanitaires » !), tout est passé à la moulinette, dans une histoire dont on peut supposer que Fabcaro l’a menée en légère improvisation, emporté par son élan : j’étais prêt à le suivre encore plus loin et longtemps.
C’est d’ailleurs mon seul regret après ma lecture, c’est que cette « connerie » s’arrête. Du coup, je l’ai déjà relue trois fois ! Et vous encourage à en faire autant.
********************************
10 ans jour pour jour après la parution de ce joyau d'humour - et de leur plus gros succès (plus de 400 000 albums vendus à ce jour !), les éditions 6 pieds sous terre ont publié une édition anniversaire, avec une couverture rigide classieuse. Ça a été pour moi l'occasion de rererelire cette histoire (et donc de me marrer encore, même si la surprise ne joue plus).
Je n'ai pas été convaincu par certaines "modifications" apportées par une dizaine d'auteurs (voir détails sur la fiche), intervention insérées au coeur du récit d'origine. Parmi les bonus et entretiens inclus en fin d'album (d'intérêt inégal), j'ai par contre été intéressé par la correspondance entre Fabcaro et son éditeur au moment de la genèse de l'ouvrage. Les amateurs de Fabcaro et de cet album apprécieront sans doute cet ajout.
ZZZZ reste de toute façon un chef d'oeuvre d'humour absurde et intelligent qu'on ne peut laisser de côté !
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Agrippine
Une description de l'adolescence chez les bourgeois citadins bien gratinée. Contrairement aux frustrés, on rit . Bretecher invente des noms et un vocabulaire imaginaire qui, à lui seul, est drôle. Beaucoup d'aviseurs trouvent le dessin moche , soit mais pas insignifiant. Les tenues des personnages, les chaussures, les couleurs, tout est très bien observé et réinterpreté, rien n'est laissé au hasard. Je comprends bien que les purs esprits ne se sont pas penchés sur la question de la mode adolescente mais en tant que mère, j'y ai été confrontée de force, et je suis bien contente de me sentir moins seule devant le ridicule du capitalisme textile. On dira que c'est un female gaze puisque cela semble laisser de glace le lectorat masculin : oui nous sommes tenues de faire attention à notre apparence depuis le plus jeune âge et oui les femmes de Bretecher sont des fashion-victimes ( comme la plupart d'entre nous) mais sans être montrées séduisantes pour les hommes. C'est un choix très courant chez les autrices de BD ( cf Florence Cestac ou plus près de nous Marion Montaigne). Si je cherche pourquoi, il me semble que c'est un essai d'échapper au système mercantile fondé sur la séduction et donc sur la domination des femmes. Le père, Merlan, la mère, Poule, la grand-mère, Ninifle, ( son prof d'informatique, Falgoët Credo Dumaïs) l'arrière grand-mère, le petit frère, Biron (!) sa meilleure copine, Bergère... et les divers petits cons qui seraient sensés être intéressés par Agripinne, tous ces personnages sont parfaitement campés et ridiculisés. Les histoires sont un peu inégales mais je rejoints mes collègues sur "l'ancêtre" qui est sans doute le plus chouette par son balayage des générations. Commencez par celui-là et après vous serez attachés aux personnages et vous aimerez aussi les autres volumes et l'inventivité socio-vestimentaire de Bretecher. Un délice !
Les Frustrés
Je suis retombée sur ces albums souples dans une broquante et j'ai eu envie de les lire alors que quand ils traînaient sur le canapé de mes parents (début des années 80), je n'en voyais pas l'intérêt. Je comprends que cela ne soulève pas l'enthousiasme : ça nous met le nez dans le caca, on sent les doigts rentrer dans notre nuque : ce n'est pas drôle parce qu'il n'y a pas de bouc émissaire extérieur sur qui taper : tous les personnages adultes sont ridicules, snobs, et le patriarchat des années 70 est extrêmement bien décrit. De droite, de gauche, hommes, femmes, intellos, populaires, tous et toutes ( nous) se font rouler dans la farine de leurs a priori sociaux crétins. Contrairement à beaucoup d'autres aviseurs, je trouve que ça n'a pas pris une ride : Retaillau et Rousseau, sont dans le bateau de Bretecher. Le chapeau de la série rédigé sur BDtheque me paraît très désagréablement phalocentré, (comme auraient dit les gauchistes de Bretecher !) ou affreusement male-gaze comme on dirait aujourd'hui ! Le vocabulaire a peut-être vieilli mais les personnages, les postures et l'ennui de l'entre-soi sont les mêmes... J'imagine que si Bretecher était tombé sur cette présentation elle n'aurait plus jamais jeté un œil à BDthèque ! Bravo à Bretecher pour avoir été presque la seule femme de la BD sociale française, pendant des années, sans que ça ne fasse rien bouger... pas assez drôle, trop proche de la réalité, trop woke ( éveillée ) en somme. Et non ce ne sont pas des histoires de gonzesses, "frustrés" est au masculin pluriel, soit le neutre de la langue française à son époque.
Ce n'est pas toi que j'attendais
C’est je crois la première incursion de Toulmé dans la BD, son dessin est encore très simple et parfois hésitant (il le restera par la suite, mais avec plus d’assurance dans le trait je trouve). Comme son futur chef d’œuvre L'Odyssée d'Hakim, cet album est rempli d’empathie pour un être que les hasards de l’existence n’ont a priori pas gâté. Ce qui fait la force de cet album, c’est la sincérité de l’auteur, sa façon toute particulière et « transparente » de se présenter aux lecteurs, sans pathos ni faux-semblants. Toulmé est un père ordinaire, bourré de préjugés envers le handicap et en particulier la trisomie 21, et une certaine tension monte lorsque sa deuxième fille nait avec cette pathologie, à laquelle il n’était pas préparé, ce qui entraine une forme de rejet de sa part. Avec pudeur, de l’autodérision et un chouia d’humour, Toulmé se montre à nu, et nous assistons à sa mue, très lente, jusqu’au dernier quart de l’album, où son amour pour sa fille Julia explose aux yeux du lecteurs. Si sa femme n’était pas loin de ressentir ses préventions, la présence de leur première fille a été pour beaucoup dans l’apprivoisement mutuel de Toulmé et de Julia, puisque les deux sœurs entretiennent dès le départ une relation forte et « normale ». La réflexion sur la normalité est d’ailleurs sous-jacente, et interroge tout le monde. Cet album peut se présenter comme l’affirmation de Toulmé qu’un cap est passé. Même si les peurs et interrogations sont toujours en partie présentes, elles ont disparu du présent, et ne concerne que l’avenir – mais là Toulmé et sa femme semblent armés pour les affronter. La façon dont l’auteur développe sa relation avec sa fille trisomique est pleine de délicatesse, une fois l’ignorance – source de réactions inappropriées – dépassée. Une histoire touchante, et bien racontée..
Inuit
L’art inuit explore la magie originelle. Les limites. La transcendance. - Ce tome contient un récit complet, indépendant de tout autre, dont la lecture peut être complétée par Nunavut (2024) des mêmes auteurs. Son édition originale date de 2023. Il a été réalisé par Edmond Baudoin et Troubs (Jean-Marc Troubet), pour le scénario et les dessins. Il compte cent-soixante-douze pages de bande dessinée en noir & blanc. Ces deux auteurs ont précédemment réalisé ensemble : Viva la vida - Los Sueños de Ciudad Juàrez (2011), Le Goût de la Terre (2013), Humains - La Roya est un fleuve (2018). Entre 2001 et 2003, Edmond Baudoin est professeur à l’université de Hull, devenue Gatineau, au Québec. Ottawa est de l’autre côté de la rivière Outaouais. Dans son musée, il découvre l’art inuit. C’est pour lui une révélation. Il se promet de travailler un jour avec des artistes inuits. C’est Vincent Marie qui lui en donne la possibilité la première fois. Avec Andrew Qappik, il illustre un conte inuit sur la naissance du narval, pour son film : Les harmonies invisibles. En illustrant ce conte il réalise ce désir né dans un musée en 2002, il travaille avec un artiste inuit. Mais avec Jean-Marc Troubs, ils veulent maintenant aller dans son pays. Voici le conte du Narval. Il y a bien longtemps, Taqqiq, un jeune garçon aveugle, vivait en compagnie de sa petite sœur Siqiniq chez leur grand-mère, une femme colérique et méchante. Aux yeux de cette grand-mère, Taqqiq était une bouche inutile à nourrir. C’était difficile pour les deux enfants, mais ils étaient orphelins de leurs parents. Une nuit, ils furent réveillés par un ours approchant leur habitation. La grand-mère prit l’arc et la flèches et les donna à Taqqiq, jeune mais robuste. Elle dirigea le tir. La flèche atteignit l’ours qui tomba raide mort. Mais la grand-mère mentit, en le traitant d’idiot et lui faisant croire qu’il avait tué leur meilleur chien. La nuit suivante, Siqiniq mit en cachette de la viande d’ours dans l’assiette de Taqqiq qui compris le mensonge et décida de se venger. […] Le plongeon arctique se joue des frontières. Il nage comme il vole dans la mer ou dans le ciel. Pour de nombreux groupes inuits, il symbolise la recherche de la vérité dans les profondeurs. Voilà deux ans que Troubs devait se rendre au Nunavut avec Edmond… Mais il y a eu la pandémie. Alors il a commencé le voyage dans les livres et la recherche d’images. Il s’est plongé dans les mythes, les récits et la vérité historique, qui souvent dans l’Arctique s’entremêlent magnifiquement. Cet été 2022, ils allaient voir, voir ce qui s’y raconte aujourd’hui. L’art ancien des peuples polaires est peuplé de petites statuettes. Elles ont souvent une fonction magique. Et une présence telle qu’on les dirait vivantes. Qu’elles soient de magie noire ou blanche, les statuettes sont longtemps restées petites. Parce que les matériaux étaient rares. Et qu’il fallait les transporter. Les Inuits avaient encore la liberté d’être nomades. Mais aujourd’hui, les temps ont changé, les statuettes ont pris du poids, et sont parfois devenues géantes. Elles ont toujours cette présence fascinante. Elles pratiquent maintenant la magie moderne du marché de l’art. S’il s’agit de sa première œuvre de ces artistes, le lecteur peut se trouver un temps déconcerté, à la fois par la liberté des formes, à la fois par l’importance donnée à la parole. En toute simplicité, le tome s’ouvre avec une carte sommaire réalisée par Troubs permettant de situer le Groenland, le Labrador, le Nunavut, le cercle arctique, la ville de North West River, et d’autres repères géographiques. Puis la première planche comprend deux cases de la largeur de la page : la première une photographie d’une rue de Gatineau avec la silhouette de Baudoin sur le toit d’un immeuble à étage unique, la seconde une chimère intégrant le visage de l’artiste à des éléments animaux et une représentation inuite dans un amalgame harmonieux. Dès la troisième planche, il s’agit d’illustrations évoquant l’art inuit, dans une diversité d’approches graphiques, et un texte qui court au-dessus ou au-dessous. Puis sans aucune indication, Troubs réalise les planches suivantes : à nouveau des illustrations de conte, mêlant les représentations d’un oiseau à l’encre, au bleu peint de la mer ou du ciel. Puis des représentations naïves d’Inuits, avec un glissement progressif vers des personnages et des animaux mythologiques à l’apparence naïve. Le récit du voyage commence alors avec les cases aux dessins réalisés au pinceau de Troubs, puis les images plus libres de Baudoin, également au pinceau, puis des portraits, des reproductions d’autres artistes. Parfois des pages en couleurs. Parfois un paysage sur une double page. Parfois des cases à l’encre. Une alternance toute naturelle entre des cases disposées en bande, des dessins accolées, des portraits d’habitants interrogés, d’autres paysages, des scènes urbaines, des hommages à des œuvres d’artistes inuits ou innus, etc. S’il en éprouve la curiosité, le lecteur peut aisément identifier les pages réalisées par l’un ou l’autre des deux artistes : Troubs effectue un lettrage en minuscules, et Baudoin en majuscules. Dans un passage, ils se représentent en train de travailler à leur bande dessinée : ils sont tous les deux assis à la même table, et ils composent et réalisent leurs pages ensemble. Le lecteur le ressent à la lecture car il n’éprouve aucune sensation de solution de continuité : les pages forment un tout harmonieux comme si une unique intelligence créative avait présidé tout du long. La bande dessinée suit l’ordre chronologique du voyage, à commencer par les prémices évoquées par Baudoin, puis le voyage en avion, l’arrivée à Montréal, le trajet vers North West River, et encore plus au Nord. La narration visuelle est conçue en fonction de chaque séquence pour mettre en valeur un lieu, des personnes, une longue route en vue du ciel dans une case de la hauteur de la page, des cases sans bordure pour laisser de l’espace à un Inuit en train de manier le harpon, un dessin à l’encre effectué dans l’inspiration du moment, une autre carte simplifiée, des illustrations en couleurs… un petit visage avec un long discours en texte… Les deux auteurs ont repris le dispositif qu’ils avaient utilisé dans leurs précédents ouvrages en commun : proposer de réaliser le portrait de leur interlocuteur et lui offrir en échange d’une réponse à une question, sur l’avenir des Inuits et Innus ou sur l’avenir de la culture inuite. Il est possible de voir cet ouvrage comme la suite de ces entretiens, entrecoupés de réflexion sur la culture inuite, sur son art, sur l’histoire de ce peuple premier. Le lecteur se rend compte qu’il éprouve une forte curiosité pour ces déclarations, totalement oublieux de leur forme de texte, ce qui pourtant constitue souvent un repoussoir dans les bandes dessinées traditionnelles. Son attention est tout entière consacrée à ces témoignages fort variés. Estelle évoque la dépendance de la communauté de North West River aux services publics et au gouvernement. Billy dit sa crainte que leur culture disparaisse. Mitzi, la mère de Billy, évoque le temps où le gouvernement avait interdit la langue inuktitut. Mina, conservatrice au Labrador Heritage Museum, parle de la disparition des attelages de chiens, et des croyances spirituelles qui font le chamanisme. La grand-mère Ataomie estime que la culture se renforce depuis qu’ils ont leur propre gouvernement et qu’il est possible d’apprendre la langue. Elisabeth constate que la chasse va en décroissant. Ernie, ancien maire de North West River pendant des décennies voit que l’électronique rendra le monde complètement dépendant des machines et qu’il sera complètement impossible de vivre dans la nature d’ici cinquante ans du fait de l’évolution du climat. Au fil de ces rencontres, d’autres facettes de la vie locale sont abordées : l’art bien sûr, le rôle des jeunes et leurs aspirations, la pêche et son industrialisation, les services publics, l’histoire de chaque groupe qui a habité la région et la difficulté de l’établir du fait de leur nomadisme, la nécessité d’une représentation pour éviter de se faire piller, pour résister aux prédateurs capitalistes, etc. En creux se dessine également l’histoire des Innus, celle des Inuits, et la manière dont le gouvernement a traité les peuples autochtones, a mis en œuvre des actions visant à détruire leur culture. Par exemple le placement de petites filles dans des pensionnats dans le Sud, et les sévices fréquents. Les discussions entraînent des réflexions chez les auteurs. Il apparaît qu’ils sont fascinés par la forme de pureté de l’art inuit, sa qualité primordiale, sa charge mythologique et la part de vérité qu’elle contient quant au rapport entre l’être humain et son environnement, par le rôle de l’art comme outil de préservation et transmission d’une culture. Par la sauvegarde d’une langue et ce qu’elle porte en elle de culture à nouveau, mais aussi de rapport à la réalité. Un habitant leur indique que : En inuktitut il y a environ cinquante mots pour dire Neige, pas un seul pour dire police. Par l’évolution du climat, ainsi que par le paradoxe à leurs yeux d’être à la fois chasseurs et agents de préservation de la nature. Par un autre paradoxe : celui de vouloir préserver sa culture et ses traditions, alors que la pureté d’un groupe est une chimère, ce que les auteurs expriment par : Tout le monde est métissé, les races pures c’est un fantasme de totalitaire. Et aussi par : Rien, et tout, plus la complexité, la pureté n’existe pas, sa recherche est vaine et dangereuse, la vie se tient dans le chaos. D’une manière aussi organique que habile, ils brossent progressivement un portrait d’une communauté, à la fois dans le temps long de l’histoire, dans l’existence et l’évolution d’une culture, dans les aspects pragmatiques de la vie de tous les jours, dans les traumatismes qui se transmettent de génération en génération, dans sa dimension mythologique. Quel voyage, quelles rencontres, quelle expérience d’une autre culture. Les deux auteurs effectuent un séjour au Labrador. Comme à leur habitude, ils proposent de réaliser un portrait à leur interlocuteur en l’échange de la réponse à une question. Dans une forme graphique aussi libre qu’intelligente et sensible, ils racontent leur voyage et leurs rencontres, abordant aussi bien la vie quotidienne, la culture, l’histoire, l’évolution des valeurs d’un peuple et sa résilience. Un récit d’une richesse inépuisable et d’une humanité peu commune. Merveilleux.
Ceux qui me touchent
Allez hop 5/5! Même pas peur de mettre la note maximale pour ce très beau one shot qu'on se prend dans la tronche sans le voir venir. Le dessin est tout simplement magnifique, avec un gros travail sur les personnages et leurs expressions. Les contours marqués en noir renforcent le sentiment d'isolement et de solitude des personnages. Les couleurs ensuite avec des ambiances quasi monochromatiques pour mettre l'emphase justement sur ce que ressentent les personnages. Ca aide à structurer le récit en une multitude de séquences cohérentes. Et ça rajoute énormément à l'ambiance banale et bizarrement angoissante de la routine du héros, son travail aux abattoirs, sa vie de famille le soir... Le récit est comment dire... impossible à décrire sans spoiler cette histoire que j'ai trouvée très originale. Donc sans en dire davantage disons que l'histoire assez classique au début bascule rapidement et oscille entre rêve et cauchemar. C'est justement une histoire que le papa raconte à sa fille pour l'endormir qui fait office d'élément déclencheur et se trouve être le point de bascule. Il y a aussi de vrais moments surreéls comme on en croise que dans les rêves. Ca m'a fait souvent pensé à du David Lynch par exemple pour l'aspect onirique et parfois loufoque. Ce qui n'est pas une maigre référence. L'ensemble est très cohérent et se rélève être une refléxion puissante non seulement sur l'aliénation au travail, à la société de consommation et notre rapport au vivant, mais aussi sur la poésie et l'art. Un très beau livre.
Horizons climatiques - Rencontre avec neuf scientifiques du G.I.E.C.
Je vais être partial sur ce coup-là, parce que le sujet est selon moi bien trop capital pour qu'on brocarde cette BD. Je n'ai pas trouvé le dessin très super, et je ne partage pas toujours l'humour distillé dans ces pages. Mais ! Mais cette BD permet de parler du seul sujet qui sans doute nous concerne toutes et tous : la fin de la vie, la mort de la planète Terre, l'extinction de l'espèce humaine. L'écologie n'est plus une option. Après avoir lu cette BD, j'ai lu le rapport du GIEC (la version condensée), j'ai suivi certaines personnalités interviewées ici. Et mine de rien, autant le sujet est tragique et urgent, autant ça m'a mis un sacré coup de pied au cul, tout en me redonnant un peu d'espoir. Je ne sais plus quelle scientifique évoque cette question, mais le fait d'entendre des hommes et femmes de Science outrepasser le principe de neutralité en raison précisément de l'urgence imposée par la situation est extrêmement porteur. Nous n'avons plus d'autre choix que de tourner le dos au capitalisme !
A.S.T.
Voilà une série jeunesse que j'avais découverte à Angoulême il y a fort longtemps et qui était venu enrichir les bacs de la médiathèque où je travaille. Depuis, elle continue de ravir notre jeune lectorat grâce à une heroïc fantasy humoristique drôle et efficace ! Ced et Jean-Philippe Morin ont su trouver le bon équilibre dans ce mélange des genres, avec des personnages truculents. Si l'histoire déroule sur la longueur, chaque planche trouve sa chute, petit plus qu'apprécie beaucoup le jeune lectorat. Bref, un petit bonbon acidulé de fantasy qui fait plaisir à lire, même en tant qu'adulte !
Le Chat du ronin
Oooh, je vais rejoindre Canarde : je crois que celui-ci fait également partie de mes préférés de la collection. Le dessin est magnifique, le découpage est vif et travaillé (même si peut-être un chouïa brouillon par moment), le contraste entre le récit plein d'action et de cauchemars et la chute est savoureux, … C'est du bon, à n'en pas douter. Après, malheureusement, comme pour le reste de la collection, la lecture étant très courte, même si cette dernière est pleine de qualité on se retrouve finalement avoir assez peu à dire sous peine de finalement décrire absolument tout ce qui s'y trouve. (Note réelle 3,5)
La Machine à détruire - Pourquoi il faut en finir avec la finance
Une lecture salutaire. Un album indispensable dans toutes les bibliothèques. Un album dont on ne peut ressortir que révolté, et le mot est faible. Je n'ai pas bien sûr attendu cette lecture pour savoir que notre société est gangrenée par le système capitaliste, mais elle m'a ouvert les yeux sur le monde de la finance. Un monde qui m'était obscure et un système qui détruit des vies mais aussi la planète. Aline Fares a travaillé de nombreuses années pour la banque Dexia, elle nous fait un constat sur la finance qui donne la gerbe. Elle se met en scène tout le long de l'album pour nous expliquer tous les rouages de la finance et des conséquences bien réelles dans notre quotidien. Alors oui la lecture est dense (avec une petite dose d'humour) et demande de la concentration (tout en restant accessible), elle permet de comprendre comment et pourquoi on en est arrivé là, mais surtout de désigner les responsables de notre société pourrie : les banques et les politiques (de tous pays). Et c'est toujours les mêmes qui payent l'addition quand ça dérape (crises financières) : les travailleurs qui doivent supporter l'austérité (ben voyons, il est question de nous retirer 2 jours fériés pour résorber la dette) comme remède miracle. Les seuls gagnants sont les gros actionnaires avec leurs dividendes. L'argent appelle l'argent, les riches sont de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres... Heureusement la lecture se termine avec une dose d'espoir, puisqu'Aline Fares propose des solutions pour casser le système, des propositions auxquelles nous tous pouvons apporter notre pierre à l'édifice. Il faut juste un peu de courage, se préparer à des moments difficiles et arrêter d'être spectateurs. Pas impossible ! Je tiens à souligner le très beau travail de Jérémy Van Houtte qui met son dessin simple et expressif au service des arguments d'Aline Fares avec une mise en page efficace et démonstrative. Un album à lire, indiscutablement. Coup de cœur.
Zaï Zaï Zaï Zaï
Je suis un grand amateur des productions de Fabcaro – je crois bien que je possède tous ses albums, et j’ai très rarement été déçu. Et là, je dois dire que c’est clairement l’une de ses meilleures réussites. Je ne m’étonne pas que cet album ait reçu plusieurs prix, car il est vraiment bon, tout en restant relativement atypique. C’est clairement un florilège d’humour totalement absurde, parfois nonsensique, toujours très con, et parfois noir. Un excellent cocktail dont je suis très friand. Du sourire au rire franc, quasiment tous les gags (s’il y a une histoire « linéaire », toutes les pages ou les deux pages un gag ponctue ce « road movie » absurde) sont réussis. Si vous êtes adeptes de ce genre d’humour, n’hésitez pas, c’est franchement bien fichu ! Et le ton est donné dès le départ, puisque le déclenchement de cette traque est dû à l’oubli d’une carte de fidélité d’un grand magasin au moment de payer. On devine peu à peu que Fabcaro se met en scène lui-même comme victime de cette course poursuite surmédiatisée. Autodérision, travail autobiographique, réflexion ironique sur le métier de bédéiste : on retrouve là quelques sujets récurrents chez Fabcaro (en particulier dans ses albums publiés chez La Cafetière). Bref, d’une anecdote insignifiante, Fabcaro va pousser jusqu’au bout du bout l’emballement médiatique (on retrouve là quelques travers déjà moqués dans le second tome de Nic Oumouk de Larcenet). Les petites lâchetés du quotidien, les petits ou les grands cons de notre entourage ou des médias, la société de consommation, la dictature de la routine, les grands élans de générosité creuse (excellente parodie des « tubes humanitaires » !), tout est passé à la moulinette, dans une histoire dont on peut supposer que Fabcaro l’a menée en légère improvisation, emporté par son élan : j’étais prêt à le suivre encore plus loin et longtemps. C’est d’ailleurs mon seul regret après ma lecture, c’est que cette « connerie » s’arrête. Du coup, je l’ai déjà relue trois fois ! Et vous encourage à en faire autant. ******************************** 10 ans jour pour jour après la parution de ce joyau d'humour - et de leur plus gros succès (plus de 400 000 albums vendus à ce jour !), les éditions 6 pieds sous terre ont publié une édition anniversaire, avec une couverture rigide classieuse. Ça a été pour moi l'occasion de rererelire cette histoire (et donc de me marrer encore, même si la surprise ne joue plus). Je n'ai pas été convaincu par certaines "modifications" apportées par une dizaine d'auteurs (voir détails sur la fiche), intervention insérées au coeur du récit d'origine. Parmi les bonus et entretiens inclus en fin d'album (d'intérêt inégal), j'ai par contre été intéressé par la correspondance entre Fabcaro et son éditeur au moment de la genèse de l'ouvrage. Les amateurs de Fabcaro et de cet album apprécieront sans doute cet ajout. ZZZZ reste de toute façon un chef d'oeuvre d'humour absurde et intelligent qu'on ne peut laisser de côté !