Champs de Bataille - L'histoire enfouie du remembrement

Note: 4.4/5
(4.4/5 pour 5 avis)

Le "remembrement". Cette politique décisive pour le déploiement de l'agriculture intensive a été peu documentée. Aucun livre d'histoire ou de sociologie n'a été consacré aux perdants de cette politique ni aux résistants à ce bouleversement.


1946 - 1960 : L'Après-Guerre et le début de la Guerre Froide Agriculture et élevage BD Reportage et journalisme d'investigation Documentaires Environnement et écologie La BD au féminin La Revue Dessinée

À la sortie de la Seconde Guerre mondiale, l'État fait redessiner les terres agricoles dans la plupart des campagnes françaises. Accessibilité des champs par des machines, regroupement des parcelles et disparition des haies et talus. C'est le "remembrement". L'objectif est que la paysannerie produise davantage, que le pays atteigne son auto-suffisance alimentaire et que la France devienne une puissance agricole mondiale. Les conséquences sociales et environnementaux seront considérables.

Scénario
Dessin
Couleurs
Editeur / Collection
Genre / Public / Type
Date de parution 20 Novembre 2024
Statut histoire One shot 1 tome paru

Couverture de la série Champs de Bataille - L'histoire enfouie du remembrement © Delcourt 2024
Les notes
Note: 4.4/5
(4.4/5 pour 5 avis)
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07/01/2025 | grogro
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Par Brodeck
Note: 4/5

C'est franchement difficile de passer après ces excellents avis ! C'est un peu comme si les 4 fantastiques se réunissaient pour parler BD ;-). On entre sur cette page en mettant les patins, mais je me lance quand même. Si le dessin est selon moi sans grand intérêt, cette BD documentaire (pas vraiment ce que j'aime de prime abord) est particulièrement instructive sur une période comme il est dit en préambule peu documentée et l'on comprend rapidement pourquoi... Ses auteurs s'appuient sur des témoignages et des reproductions d'archives qui montrent factuellement comment les petits paysans ont été victimes du remembrement décidé par l'état (politique mise en place au milieu du XXème siècle qui consiste à former des champs immenses en absorbant les petites parcelles des fermiers, en détruisant les bocages, les haies pour rendre les terres carrossables, en drainant les zones humides, en redessinant les cours d'eau...). Ces petits paysans sont la plupart du temps spoliés au profit de quelques grands exploitants et des agents de l'état qui s'enrichissent sur leur dos. Cette redistribution des terres est souvent le fruit du népotisme, les petits fermiers qui ont perdu les terres familiales sont contraints de cultiver de grandes surfaces peu fertiles. A l'arrivée, catastrophe environnementale, mal-être profond des paysans et vie qui se retire peu à peu des villages (plus besoin de main-d'œuvre remplacée par le tracteur, disparition des commerces, endettement colossal et recours massif aux engrais industriels et pesticides, exode des fermiers qui aimaient leur métier et qui se voient contraints de devenir ouvriers dans les grandes villes). Le constat est évidemment sans appel et c'est navrant. C'est clair, pédagogique (le dossier final est très complet) et édifiant. Mais il n'y a pas, selon moi, de qualités artistiques notables, ce qui est dommage pour une BD, à la différence par exemple de Saison brune qui reste dans le genre une oeuvre très importante dans laquelle Squarzoni parvient à tirer je trouve le meilleur de ce que peut offrir ce medium en alliant fond et forme avec un grand talent. En conclusion, " Champs de bataille " n'est pas une grande bd, mais cela reste une très bonne lecture. Un peu sonné en refermant le bouquin... Note réelle : 3,5 /5. 4/5 si vous aimez particulièrement ce genre de BD avec un contenu didactique.

13/05/2025 (modifier)
Par gruizzli
Note: 5/5
L'avatar du posteur gruizzli

Mon dieu, quelle horreur... J'ai mis des mois à réussir à lire cette BD que j'ai dû reposer au moins trois ou quatre fois, en ne voulant plus y toucher le temps de me calmer. J'ai rarement été autant énervé par une BD. Réellement énervé, au point de ne pas avoir l'envie de lire la suite et que je me sentais obligé d'aller faire autre chose et ne plus y penser. Balayons directement la question de la forme : vous avez aimé Algues vertes - L'Histoire interdite ? Foncez, c'est tout aussi bon et clair, didactique et étayé. Le dessin est efficace, la narration pas trop lourde et quelques fulgurances traversent la BD comme cette envolée des paysans qui disparaissent, montant au ciel les bras en croix. Symbole et métaphore, tout est clair. Pour le reste, par contre... Quelle claque, quelle horreur. A écrire ces mots après une lecture finie récemment, je suis encore plus en colère. Cette BD, ce n'est pas le genre d'informations qui m'a fait comprendre quelque chose qui m'effraye, lié au changement climatique, à la dégradation des sols et l'épuisement des ressources. Elle est allée au-delà, elle m'a mis en fureur. Celle qui m'a fait tourner en rond chez moi en ressassant des pensées pendant des heures. Le sous-titre de catastrophe écologique et sociale est amplement méritée. Au vu des informations que j'avais déjà et au sortir de cette lecture, j'ose affirmer que ce dont elle parle est probablement la plus grande catastrophe du XXè siècle. Au-delà des génocides, des dictateurs, des bombes nucléaires, ce qui s'est joué là a brisé quelque chose de fondamental dans l'humanité, quelque chose qui s'est construit pendant des milliers d'années et qui a définitivement disparu : la transmission de l'agriculture et des terres, des pratiques, de tout ce qui a été fait. Voir ces paysages dévastés, ces gens méprisés, exploités et désormais devenus esclaves d'une chaine de production, relégués au statut d'ouvrier d'usine mais croulant sous les dettes, toujours moins nombreux sur toujours plus de terre, avec toujours plus de matériel. Sincèrement, j'ai rarement été énervé à ce point par une BD qui met en lumière ce qu'est réellement ce remembrement, premier acte d'une transformation radicale de l'agriculture. Je pense que personne ne peut mesurer l'ampleur de son action, la dévastation des campagnes, de nos eaux et de nos airs. La façon dont cette transformation de l'agriculture a impacté si fort notre mode de consommation, nos vies, nos systèmes sociaux, notre conception du monde... Il y a des témoignages qui donnent envie de pleurer et d'autres qui donnent envie de sortir le fusil pour aller tuer certaines têtes précises. Mais surtout, la BD oblige presque le lecteur à se battre contre cela, à s'investir pour sauver ce qui peut encore l'être. Nous sommes passés à moins de 400.000 agriculteurs en France, il faudrait au moins 1 million de plus... Qui va y aller ? Parce qu'il devient crucial de le faire...

06/05/2025 (modifier)
L'avatar du posteur Noirdésir

Dans le prolongement – au niveau de certains thèmes, mais aussi de la qualité du travail – de leur excellent documentaire Algues vertes - L'Histoire interdite, les auteurs remettent le couvert pour décrypter le sujet a priori secondaire du remembrement. Ils en tirent un documentaire qui présente bien les tenants et aboutissants, les méthodes – brutales et déloyales la plupart du temps – employées par les pouvoirs publics et les industriels pour « faire avancer le progrès ». Je connaissais les grandes lignes, et j’avais d’ailleurs pu mesurer le désastre lorsque j’étais revenu dans les années 1990 dans la campagne normande que j’avais connue de la fin des années 1960 aux années 1970, chemins et haies disparues, pommiers arrachés, vastes étendues sans âmes et sans oiseaux. Une fois m’avait suffi, je n’avais plus jamais voulu y revenir, préférant garder d’autres souvenirs. Mais cet album présente de façon très pédagogique les divers mécanismes qui se sont succédés et amplifiés (intéressant de voir que la FNSEA prend ici le relais d’un syndicat créé sous Vichy pour obtenir l’obéissance des paysans aux injonctions du « pouvoir »). Paysages massacrés, vies bousillées, villages divisés, écosystèmes anéantis, avec leur lot de conséquences (inondations, érosion des sols, mort de la vie villageoise, etc.). Il est aussi intéressant de voir certains promoteurs de ce remembrement regretter leur extrémisme, leur aveuglement, comme Pisani, ou René Dumont – qui basculera ensuite vers l’écologie politique. Et bien sûr, derrière tout ça, la recherche du productivisme, du profit. Les industriels (ceux qui vendent du matériel agricole – américain au départ, pour utiliser les fonds du plan Marshall – mais aussi tous ceux qui ont besoin de dépeupler les campagnes pour trouver une main d’œuvre dans leurs usines en ville !), les banquiers, etc. Et les vendeurs de « produits phytosanitaires », rendus nécessaires par la stérilité grandissante de ces champs désormais plus protégés par des haies, plus secs, etc. Derrière la « marche du progrès », il y a aussi toutes ces luttes passées sous silence, cette répression et cette propagande qui écrasent toute opposition. Comme d’habitude avec ces auteurs, tout est étayé par de nombreuses citations, une foule de documents (certains placés en annexe), une imposante recherche, qui se sent. Du travail solide, qui mérite, comme leur précédent opus, une plus grande lisibilité, à l’heure où les conséquences (environnementales – mais pas que) de ce remembrement se font durement sentir. A lire évidemment !

03/04/2025 (modifier)
Par Canarde
Note: 4/5
L'avatar du posteur Canarde

Je n'ai rien à ajouter à l'avis de Grogro : Vous devez lire cette BD pour deux raisons : - ça vous tire les larmes - c'est d'utilité publique. Comment le désir irrationnel de profit peut-il mettre à bas les petits vies pauvres et paisibles de centaines de milliers de personnes et de millions d'animaux, sans parler des écosystèmes tout entiers ? On voit le costard de René Dumont agronome, qui soutient dans la première partie de sa vie l'augmentation attendue de la productivité et se rend compte qu'il n'obtient que la mort des sols et donc de la potabilité de l'eau....et se présente aux élections en 1974. Toutes ces femmes restées seules après la guerre qui se font rouler dans la farine, voient leurs fils se faire tabasser par la gendarmerie, les méandres de leurs rivières rectifiées à coup de tractopelles, leurs pommiers arrachés... Les voisins qui se déchirent (les uns pour et les autres contre) pour le profit des actionnaires... Apparemment il y a peu de publications sur ce sujet , pourtant c'est vraiment le nœud de l'agriculture paysanne qui a été tranché pour fabriquer du gluten, des protéines animales, et végétales, et l'industrie agro-alimentaire, et mettre tout le monde en ville... Et maintenant quoi ? ce système performant n'est pas résiliant : en arrière toute !

27/01/2025 (modifier)
Par grogro
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
L'avatar du posteur grogro

Champs de bataille est une BD d'utilité publique. Très bien conçue, elle condense des années de recherches tout en restant accessible, mais surtout sans abdiquer sur le fond. Le contenu est tragique et vous colle un vrai coup de bambou car le constat est dramatique, c'est peu de le dire, et semble irréversible. Mais il faut la lire, tout le monde doit la lire. D'utilité publique que j'vous dis ! Bondiou ! Mais d'abord, de quoi ça cause ? Ben du remembrement pardi ! En gros, dans l'immédiat après-guerre, le pays est dévasté. C'est l'occasion ou jamais de faire entrer de plein fouet notre glorieuse nation dans la modernité et de l'arracher aux pécores qui, trop nombreux, entachent l'image du pays. Dans la foulée du plan Marshall, reprenant à leur compte un projet ébauché sous Vichy, la FNSEA va s'acharner à coups de lobbying et de primes accordées aux plus gros exploitants, à remodeler les terres et le paysage français. Une nouvelle guerre commence, menée cette fois à coups de bulldozers, qui verra progressivement l'ensemble des terres redistribué sans aucune prise en compte des réalités du terrain. L'Etat va ainsi raser les haies, faire disparaitre les chemins creux et les parcelles en partie boisées, et même détourner les cours d'eau. Tout cela afin d'adapter les pays aux dictats du commerce et de l'industrie mondiales. Les conséquences vous être, on s'en doute, désastreuses, au point qu'elles se font encore sentir aujourd'hui. Conséquences humaines : diminution du nombre de paysan (presque 9 sur dix), destruction des structures sociales villageoises, querelles de voisinages, perte d'autonomie et de compétences, endettement, perte de sens, stress, suicides en masse... Mais également conséquences écologiques d'une extrême gravité : destruction des écosystèmes, disparition des prédateurs, pollution des sols et des rivières, sécheresses et inondations (apparues dès les premières années du remembrement)... On en est là ! Pas la peine d'insister. Car oui, ce que nous vivons actuellement en France, est en grande partie une conséquence directe de politiques menées au détriment des populations. Il suffit de lire cette BD pour vous en convaincre ! Le dessin est nickel, tout comme la mise en couleur très efficace. Le récit est très bien ficelé et opère d'incessants aller retours entre l'Histoire et le concret, le passé et le présent. On passe de l'intime au général, tout cela se lit très très bien. On comprend vite, et grâce à un abondant matériel en annexe, ainsi que par de multiples renvois bibliographiques disséminés tout au long de la BD (références de livres, d'émissions télé ou radio, de documentaires filmés, d'articles), on sent que le sujet a été exploré dans ses moindres recoins. Tout cela est très solide. Rarement, je n'ai ressenti une telle nostalgie, qui plus est pour une période que je n'ai même pas connue (ou si peu), mais franchement, il y a de quoi vous tirer toutes les larmes de votre corps, ou susciter en vous une colère sourde. Parce que le pire dans tout cela, c'est qu'en réalité, on savait ! L'Etat savait et n'ignorait rien des conséquences de cette politique brutale imposée envers et contre tout !... Heureusement, les dernières pages offrent une lueur d'espoir. Disons plutôt une étincelle d'espoir tant les dommages semblent aujourd'hui irréversibles. Mais lire cette BD, aussi sombre que lumineuse, constitue une première étape : mieux comprendre comment on en est arrivé là. La suite appartient à chacun-e d'entre nous, et libre à nous de nous en saisir.

07/01/2025 (modifier)