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Couverture de la série Harley Quinn
Harley Quinn

Dans le catalogue Urban Comics en général et celui du Bat-Univers en particulier, cette série consacrée à la pétillante Harley Quinn se démarque et cela fait du bien. En effet, comme le posteur précédent, je trouve aussi que les comics actuels - et particulièrement ceux publiés par Urban - se complaisent dans une noirceur autant graphique que psychologique assez déprimante. Il faut dire que l'univers de Batman n'a jamais été réputé pour sa légèreté. Harley Quinn arrive donc comme un feu d'artifice où se côtoient la chatoyance (oh la belle bleue !), la désinvolture (oh la belle verte !), la loufoquerie sans retenue (oh la belle rouge !) et une liberté de ton qui suscite l'enthousiasme. Les amateurs de contorsions psychologiques et d'âmes tourmentées trouveront certainement cette série trop superficielle et manquant d'enjeux dramatiques. C'est effectivement le cas mais c'est voulu et c'est tant mieux ! Il est d'ailleurs révélateur que, d'entrée de jeu, Harley Quinn coupe les ponts avec Gotham, avec le Joker, avec Batman et la plupart des protagonistes du Bat-Univers (excepté Poison Ivy et, plus tard dans la série, Catwoman). De ce point de vue, la couverture du tome 1 est d'ailleurs trompeuse. Direction New-York : nouveau cadre et nouveaux personnages hauts en couleur. On sent la volonté des auteurs de libérer leur héroïne des scories oppressantes de Gotham autant que de sa relation malsaine avec le Joker. Cette liberté dont bénéficie Harley est une vraie bouffée de fraîcheur et j'ai pris un plaisir énorme à la suivre dans son quotidien bourré de péripéties. Et alors que je n'ai jamais été spécialement intéressé par le personnage jusqu'alors, j'ai ressenti cette fois une vraie sympathie pour elle. Energique, fofolle, impulsive, touchante, contradictoire, sexy, rigolote, violente, compatissante, impitoyable : cette Harley est un joyau aux multiples facettes qui scintille à chaque page. Ses nombreuses contradictions font d'ailleurs que le personnage n'est pas unidimensionnel, quitte parfois à flirter avec l'incohérence quand l'Harlequine se montre tantôt psychopathe tantôt redresseuse de torts, tantôt hyper-violente et tantôt tout sucre et miel. Ce n'est pas une mince affaire pour des scénarises de jongler avec tous ces attributs opposés et le couple Conner/Palmiotti s'en sort pourtant haut la main. Nettement plus "light" et fun que Suicide Squad, la série crée un véritable microcosme récréatif autour de Miss Quinn qui trône en son centre telle une déesse de la déconne : entre l'immeuble de Brooklyn dont elle est propriétaire peuplé de locataires croquignolets (dont certains sont de de vrais monstres de foire et même un extraterrestre), la maison de retraite où elle officie sérieusement en tant que Dr Harleen Quinzel, l'arène du Skate Club où l'on organise des matchs hyper-violents dignes de Rollerball, une échappée belle vers la Californie ou un road trip dans le désert avec ses copines Poison Ivy et Catwoman (wow... quelle affiche de rêve), Harley "Davidson" Quinn fait vrombir une rutilante mécanique. La série mêle ainsi tranches de vie et événements "bigger than life" sans se soucier de développer une véritable intrigue au long cours dans laquelle son héroïne serait (emm)mêlée. Encore une fois, au nom de cette liberté que se permettent les auteurs, l'ensemble ressemble plutôt à un patchwork kaléidoscopique qui se tisse au fil de l'inspiration du moment. Une inspiration qui faiblit parfois mais qui retrouve assez rapidement sa vigueur à l'épisode suivant. Graphiquement, on est également ici bien loin de l'ambiance de Gotham et sa nuit prépondérante : les planches explosent de couleurs et le dessin - particulièrement celui de l'excellent Chad Hardin, dessinateur principal de la série - est à la fois dynamique, expressif et très détaillé. Je regrette un peu que Harley a rarement la même tête d'une case à l'autre mais il faut dire que le nombre impressionnant d'expressions qu'elle arbore - reflet de sa grande instabilité émotionnelle, passant par exemple du rire à la tristesse en cinq secondes - peut expliquer ce résultat fluctuant. C'est en tout cas un coup au but et au coeur en ce qui me concerne, tant je prends de plaisir à lire cette série qui s'apparente en fait davantage à des séries Marvel tels que Deadpool ou Spider-Man (le duo de scénaristes ayant, comme de juste, travaillé sur ces deux icônes) et change ainsi agréablement de l'atmosphère anxiogène et le propos plus sérieux de Batman. Allons... ne fais pas la gueule, Batou ! Je t'aime aussi, tu sais. Mais j'ai parfois envie de m'aérer la tête.

07/08/2017 (modifier)
Par Erik
Note: 4/5
Couverture de la série Edouard VIII - L'Espion anglais d'Hitler
Edouard VIII - L'Espion anglais d'Hitler

Cette bd a totalement cassé la belle histoire d'amour romantique du roi Edouard VIII qui abdiqua par amour pour sa belle divorcée américaine Wallis Simpson. Le portrait qui nous est donné de ce couple mythique par les auteurs est inspiré d'un rapport récent déclassifié du FBI qui révéla le plus gros scandale de la monarchie britannique. Autant dire que cela se base sur des faits et non des sentiments. Cela fait plutôt très froid dans le dos ! Ainsi grâce à Edouard VIII qui fut tout de même roi durant l'année 1936, il fournit à Hitler les plans de la défense française ce qui expliqua en partie la défaite de Juin 1940. Il espérait que le dictateur allemand le remette sur le trône britannique. Heureusement que tous les anglais n'étaient pas comme lui durant cette période cruciale de l'histoire du monde. Winston Churchill a d'ailleurs oeuvré pour l'écarter du pouvoir. Par la suite, il a fallu effacer les traces de sa haute trahison et ses relations pour le moins troubles avec Hitler en personne ! Déjà dans le film oscarisé Le discours d'un Roi, on a pu voir un aperçu de la vie de débauche de cet Edouard. Pour le bien du royaume, son frère Albert bien qu'ayant un handicap verbal a pu s'en tirer avec tous les honneurs. A noter un dossier à la fin de l'album qui explique pourquoi le salut nazi de la future reine Elisabeth alors âgée de 6 ans ou bien le déguisement du prince Harry en officier nazi avait pu choquer toute l'Angleterre. C'est parfois bon de restituer la vérité même si cela doit parfois casser de belles images.

07/08/2017 (modifier)
Par Erik
Note: 4/5
Couverture de la série Les Fleurs du mal
Les Fleurs du mal

Je n'étais pas franchement persuadé par ce titre non pas que je n'aime pas Baudelaire bien au contraire. J'avais peur d'un récit à la sauce nippon c'est à dire jeune collégien empruntant l'un des plus beaux monuments de la poésie française pour en faire n'importe quoi. Il faut dire que l'exploitation du thème a été plutôt efficace et cela fonctionne plutôt bien. L'exploitation des trois principaux personnages est plutôt une réussite surtout sur les différents tomes qui prennent le temps de les exposer. Le scénario est même assez surprenant par moment nous révélant quelques bonnes surprises. Bref, je n'ai pas bouder mon plaisir des fleurs du mal. On est toujours tenter par des choses plus ou moins interdites.

07/08/2017 (modifier)
Par PAco
Note: 4/5
Couverture de la série Our Summer Holiday
Our Summer Holiday

Kaori Ozaki nous propose un shonen surprenant sur la relation particulière que vont nouer deux jeunes collégiens. Natsaru jeune garçon de 11 ans passionné et doué pour le foot, et la jeune Rio vont suite à un événement qui les conduira à se retrouver mis à part de leurs camarades de classes développer des liens singuliers. En effet, dur à l'âge de 11 ans de se retrouver le/la meilleur(e) ami(e) d'un(e) garçon/fille... Forcément ça jase... Arrivent alors les vacances, et là, le petit programme bien rodé de l'été de Natsaru va voler en éclat... Car Rio cache bien son jeu et de lourds secrets... Ce one shot m'a particulièrement intéressé de par les questions qu'il pose sur les relations entre garçons et filles à un âge plutôt compliqué ; ajoutez à cela d'autres questions de conscience face à ce que Natsaru va découvrir, une relation amoureuse naissante, et des situations familiales compliquées... Ba non, des fois c'est pas simple la vie et Kaori Ozaki aborde très justement ces sujets. Mais ce qui m'a aussi touché c'est le côté positif qui se dégage de cette histoire malgré les événements. Ce petit je ne sais quoi contemplatif, empreint de poésie sur des petits riens qui bercent subtilement le récit. Concernant le dessin, Kaori Ozaki va a l'essentiel. Son trait fin et juste met en valeur les expressions des personnages sans trop s’embarrasser de trop de détails dans les décors. Et j'ai trouvé ça plutôt efficace. Une bonne surprise donc que ce shonen estival !

07/08/2017 (modifier)
Par pol
Note: 4/5
Couverture de la série Puzzle (Thilliez)
Puzzle (Thilliez)

Puzzle est un thriller qui joue la carte de la paranoïa. On suit les aventures du héros qui se retrouve entrainé dans un jeu malsain pour pas dire morbide. La tension est bien rendue. En effet le choix de la colorisation, en bichromie, est fort à propos pour nous faire sentir la tension et le malaise ambiant. On sent tout de suite que le protagoniste principal n'est pas tout a fait net dans sa tête. J'ai parfois du mal à rentrer dans les histoires à base de folie. Mais pas là. L'intrigue est bien menée, ce jeu est prenant et on a envie de connaitre le fin mot de l'histoire. On a envie de savoir ce qui se trame. Il y a régulièrement des allusions au passé du héros, on a envie de comprendre. Autre aspect bien rendu, c'est la tension entre les personnages. Tout le monde est louche, on peut suspecter à peut près tout le monde. C'est bien fichu et ça participe bien au suspens de ce récit. Malgré son épaisseur ce pavé s'avale d'une traite. Petit bémol, c'est la fin qui est exactement celle que j'avais imaginé depuis un bon moment. C'est très (trop) prévisible car il y a pas mal de détails tout au long du récit. J'aurais adoré être surpris, dommage. Malgré tout, cette non surprise finale n'est qu'une déception toute relative, car elle se tient tout à fait, et ça n'a pas gaché mon ressenti global.

05/08/2017 (modifier)
Par Gaston
Note: 4/5
Couverture de la série Coïncidence
Coïncidence

Un album avec un concept intéressant, mais qui ne s'adresse clairement qu'aux bédéphiles parce que je ne suis pas certain qu'un lecteur qui lit de la bd que de temps à autres risque de trouver cela passionnant. 12 auteurs ont dessiné le même scénario et c'est intéressant de voir les résultats. Vu que c'est le même scénario chaque fois, mon intérêt a varié selon si j'aimais le style du dessinateur ou non et globalement j'ai bien aimé cette exercice et aussi les interviews des auteurs qui sont intéressantes (je me demande d'ailleurs pourquoi il n'y a pas d'interviews pour certains d'entre-eux ?). Ma préférée est la planche de Goossens qui arrive à faire un truc complètement décalé qui m'a fait explosé de rire alors que j'avais déjà lu le même texte quelques fois avant d'arriver à sa planche.

04/08/2017 (modifier)
Par Gaston
Note: 4/5
Couverture de la série La France sur le pouce
La France sur le pouce

Un jour, le scénariste de cette bande dessinée auto-biographique a tout laissé tomber et il est parti faire le tour de la France sur le pouce. C'est un album instructif car je ne connaissais pas la plupart des villes et des villages présentés dans cet ouvrage. On a droit à certaines anecdotes sur ces lieux (du genre cette ville est la ville d'origine d'une personne connue), mais le gros de l'album porte sur les rencontres que l'auteur a faites durant son voyage en auto-stop. J'ai lu ce one-shot sans trop de problèmes. Le dessin est très bon et la narration fluide. J'ai eu du plaisir à voir le scénariste rencontrer tous ces gens et leur parler. J'ai trouvé cela assez intéressant de voir autant de gens différents et de les voir parler de leurs vies. Un bon petit album qui mérite d'être mieux connu.

04/08/2017 (modifier)
Par PAco
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Au pied de la falaise
Au pied de la falaise

Assez fan en général des albums de la collection Métamorphose et Noctambule de chez Soleil, je sors une nouvelle fois conquis par cette lecture. Déjà, cet album réalisé par ByMöko n'est qu'une des facettes d'un projet artistique plus vaste. L'auteur a en effet agrégé autour de celui-ci des webmasters, musiciens, danseurs, etc. pour proposer au lecteur curieux un univers artistique d'une grande richesse ; j'aime ce genre de projets croisant différents médias, surtout quand c'est bien réalisé comme ici. Mais revenons à la BD. "Au pied de la falaise" nous propose un récit initiatique qui va nous raconter le quotidien d'Akou et son passage progressif à l'âge adulte. Construits en courts chapitres se terminant souvent par une petite morale, cela n'a pas été sans me rappeler le personnage traditionnel arabe de Nasr Eddin Hodja qui impose sa philosophie de façon très subtile et souvent avec humour. Ici Akou avance dans la vie en traversant diverses épreuves, jusqu'à devoir à son tour répondre aux questions et attentes des autres. Cet album est assez envoûtant grâce tout d'abord à ce dessin magnifique qui rend parfaitement les ambiances de cette vie africaine. Cadrages, découpages, colorisation et finesse du trait, on est proche de l'animation tant tout cela est maîtrisé. Il n'est donc pas difficile de se laisser marabouter par cet album magnifique empreint de petites sagesses universelles. Une très belle découverte que je conseille vivement !

03/08/2017 (modifier)
Par Spooky
Note: 4/5
Couverture de la série Pause
Pause

Aaaaah Fabcaro. Le mec qui parvient à te faire rire avec le néant. Oui oui, le néant, car l'auteur aborde ici la période qui a suivi la sortie (et le succès surréaliste) de Zaï Zaï Zaï Zaï. Cette période de sidération, où le succès te tombe dessus sans prévenir et est à deux doigts de te tuer en tant qu'auteur. Un auteur qui est tiraillé entre ses séries "de commande" (puisqu'il a repris Gai-Luron et Achille Talon, puis Blake et Mortimer -euh non attendez...), et son oeuvre plus personnelle, enfin celle où il se met en scène avec le sens de l'auto-dérision que ses fans connaissent bien. "Pause" est donc une suite de gags sur Fabcaro lui-même, sur la création, sa famille, le succès, les femmes, le champagne, la coke... On le sent dépassé par tout ça, lui qui est un monstre d'humilité. Et on rit, on rit, à chaque page, parce que ça fait du bien de prendre une pause avec cet auteur. Must have.

03/08/2017 (modifier)
Couverture de la série Providence
Providence

Si un mot devait, à mes yeux, résumer le travail d'Alan Moore, ce serait iconoclasme. Moore est un iconoclaste, autrement dit un "briseur d'images" ou, dans une acception moins radicale, un auteur qui s'autorise des libertés avec le matériau dont il s'inspire, que celui-ci soit clairement identifiable (c'est le cas ici avec l'oeuvre d'H.P. Lovecraft) ou moins strictement défini (les univers de Wells et Stevenson dans La Ligue des Gentlemen Extraordinaires par exemple). C'est à mon sens la première chose que le lecteur abordant Providence (mais aussi Neonomicon, mini-série qui lui est rattachée) doit avoir en tête. Et l'iconoclasme rime souvent avec extravagance, outrance et ironie. Et, encore une fois : liberté. Toutefois, cette liberté n'est pas non plus inconciliable avec un certain souci de fidélité et même de maniaquerie référentielle envers l'oeuvre/l'auteur dont on s'inspire. De fait, l'oeuvre de Moore est bien une brillante (re)lecture de l'oeuvre de Lovecraft dont elle conserve nombre d'éléments très lovecratiens qui devrait ravir les amateurs de cet univers tels que l'époque où se situe l'action (1919), le narrateur cultivé mais assez passif voir résigné, l'ambiance calfeutrée des bibliothèques où sommeillent - mais attention à leur réveil subit ! - de vieux grimoires interdits dont se servent les occultistes pour invoquer quelque entité innommable et une Amérique à deux visages où se côtoient dans une même histoire et une même mythologie des érudits peuplant des villes hautement "civilisées" comme Boston ou New-York mais aussi ces paysans "dégénérés" de l'arrière pays. Sur ce plan, Providence fait déjà honneur à l'oeuvre de HPL et en conserve l'essentiel de la saveur. Toutefois, contrairement à d'autres auteurs qui se limitent à des tentatives d'adaptations - et non de recréation - à la fois graphiques et narratives, le propos de Moore est bien plus ambitieux. Et c'est là que nous retrouvons l'iconoclaste et l'analyste qu'est Alan Moore, qui ne se contente pas de simplement raconter une histoire. Mais alors, que fait-il d'autre ? Ce que fait toujours Alan Moore dans ses meilleures oeuvres : s'interroger sur le sens de ses créations. Je ne suis pas un intellectuel et je ne vais pas me prendre pour Umberto Eco en vous bombardant de termes (dont je ne saisi moi-même qu'imparfaitement le sens profond) comme exégèse, analyse méta-textuelle, mise en abyme, sémiotique, approche socio-culturelle, psychanalyse jungienne, inconscient collectif, et autres notions tout aussi tarabiscotées. Je me contenterai de dire que la lecture de Providence se situe sur plusieurs niveaux et qu'elle jongle avec des sujets tels que l'oeuvre de HPL, l'Amérique puritaine de l'époque et ses comportements considérés comme "déviants" (dans le cas présent : l'homosexualité), sur le fantastique et l'occultisme, le pouvoir des rêves, sur la psychanalyse et l'appropriation de l'oeuvre d'un auteur (HPL en l’occurrence) par un autre auteur (devinez qui). Avec iconoclasme, bien sûr. Et une bonne dose d'érudition. Finalement, l'auteur du "Nom de la Rose" n'est pas si loin. Sur le plan narratif, Moore a eu cette idée astucieuse de rassembler plusieurs nouvelles de Lovecraft parmi les plus importantes et de les incorporer dans une grande histoire cohérente dont le fil conducteur est la recherche d'un livre impie (le Kitab Al-Hikmah Al-Najmiya ou "Livre de la Sagesse des Etoiles", ersatz évident du Necronomicon) par un journaliste qui se démène avec ses propres démons intérieurs... et autres monstruosités bien moins métaphoriques. Toutefois, les nouvelles ne sont pas reprises telles quelles (raison pour laquelle le terme adaptation n'est pas pertinent ici) et le scénariste va jusqu'à changer tous les noms des personnages et références diverses. Il ne s'agit pas d'un artifice ayant la prétention d'éclipser la nomenclature lovecratienne mais ce choix fait partie du jeu littéraire auquel se livre Moore. Moore et le dessinateur Jacen Burrows, dont le style propret et assez conventionnel par ailleurs, insistant davantage sur l'apparence de soi-disant normalité et rationalité à laquelle Robert Black s'accroche désespérément, optent pour un fantastique finalement assez suggestif et ambigu... traversé ça et là par quelques fulgurances outrancières qui désarçonnent d'autant plus le lecteur. C'est d'ailleurs pour moi une différence importante avec Neonomicon, dont la crudité et l'excès dans le viscéral me porte plutôt à lui préférer nettement Providence et ses nuances. En effet, si l'on excepte quelques scènes d'horreur "frontale" (mais perçue par le protagoniste de manière confuse et/ou lacunaire), l'inquiétude est plutôt savamment distillée par les rencontres déconcertantes, les dialogues, les quelques informations parcellaires grappillées par le personnage et dont il ne saisit pas toujours le sens exact. Bref, sur ce plan, on est bien sur les terres de HPL et de certains autres écrivains fantastiques de son époque. Si l'on ajoute que chaque chapitre se clôture par des extraits du journal de Robert Black, qui permettent d'éclairer les scènes graphiques par des impressions personnelles, nous sommes ici bel et bien en présence d'un véritable roman graphique qui demande une lecture attentive et assidue. Providence n'est pas la bande dessinée la plus abordable du monde, c'est un fait. Même en la considérant de la manière la plus superficielle et en faisant fi de son contenu réflexif sous-jacent pour simplement "lire une bonne histoire", le lecteur devra en accepter ses parti-pris extrêmes : une somme considérable de textes dont certains (la narration manuscrite de Robert Black) peuvent sembler rébarbatifs, un manque certain d'action au profit de nombreuses scènes dialoguées qui donnent à l'ensemble un côté un peu statique (amateur d'action et de dynamisme, s'abstenir !) et un découpage spartiate qui se présente la plupart du temps en quatre grandes cases d'égale longueur. De plus, une bonne connaissance préalable de l'oeuvre de H.P. Lovecraft apporte un "plus" indéniable, même si elle n'est sans doute pas absolument nécessaire (pas plus que la lecture de Neonomicon même si, là encore, elle apportera un supplément de compréhension globale) et peut même être une porte d'entrée vers les écrits de HPL. Ceci étant dit, il ne faudrait pas non plus décourager le lecteur éventuel, d'autant que cette oeuvre - que je considère comme une des meilleures réussites d'Alan Moore et l'une de mes préférées - ne paraît pas avoir suscité l'enthousiasme qu'elle était en droit d'obtenir.

30/07/2017 (modifier)