Ayant apprécié Les aventures de Philip et Francis, je me suis naturellement dirigé vers l'autre grande série de ce duo d'auteurs. Et bien m'en a pris, car voilà une grande réussite, peut-être plus encore que Philip et Francis ! On retrouve vraiment la même identité dans l'humour loufoque et la parodie maîtrisée, c'est un plaisir. Les deux premiers tomes nous proposent de véritables enquêtes à la Sherlock Holmes où Veys réussit le tour de force de nous proposer des scénarios qui auraient pu sortir de la plume de Sir Arthur Conan Doyle lui-même (plus ou moins, bien sûr), mais avec un humour absolument craquant, qui ne détruit jamais la qualité des scénarios. C'est tellement drôle que je me suis même surpris à éclater de rire à voix haute !
J'attendais donc avec beaucoup d'impatience le diptyque qui allait emmener Sherlock Holmes, Watson, Lestrade et Mrs Hudson en Inde. Paradoxalement, c'est justement ces deux tomes les plus prometteurs (à mon sens) qui sont les moins réussis. Ce qui ne signifie en rien qu'ils soient mauvais, mais l'aspect aventures rompt peut-être un peu trop avec la dimension policière inhérente au personnage de Holmes (même si Conan Doyle lui-même glissait une grosse part de pure aventure dans ses romans), et nous entraîne finalement plus sur une sorte de parodie de Jules Verne. C'est plaisant, mais l'humour hilarant est un peu dilué dans des péripéties qui ont pour mission première de faire avancer le récit, et le mélange fonctionne un peu moins bien. Cela n'en reste pas moins très agréable à lire, et l'ensemble fourmille d'idées très drôles malgré tout (simplement, elles sont moins exploitées que dans les autres récits de la saga).
Enfin, le dernier tome de la saga nous ramène aux fondamentaux et renoue avec l'aspect policier de Holmes, y compris dans les quelques histoires de deux pages qui concluent la série.
Au bilan, malgré une très légère baisse de régime en milieu de saga, Baker Street est un pilier très solide de la bande dessinée d'humour et surtout de la bande dessinée parodique, un genre où il est très difficile de trouver l'équilibre. La réussite de Veys et Barral est certainement d'avoir trouvé cet équilibre et d'avoir ainsi su rester dans les limites du bon goût du début à la fin, tout en sachant nous emmener sur leur terrain absurde et loufoque. Bref, une bande dessinée que je relirai facilement, et qui sera un bon antidote à la moindre baisse de morale qui s'annoncerait à l'horizon !
Je ne m'attendais pas à être autant ému et émerveillé en lisant cette BD.
"De pierre et d'os" est une fidèle adaptation du roman du même nom de Bérengère Cournut, elle retrace le parcours de vie d'une jeune inuite, Uqsuralik. Et ce parcours ne sera pas des plus facile. La glace qui craque et qui la sépare de sa famille, elle va devoir vivre ou plutôt survivre avec quelques chiens et un minimum d'outils. Un parcours fait de rencontres, pas toujours bienveillante (le Vieux), qui la feront grandir et devenir mère. Un voyage initiatique, écologique et spirituel (avec les différents esprits locaux) qui m'a embarqué dès les premières planches. J'ai particulièrement aimé les passages où le chamanisme est présent. L'évolution d'Uqsuralik, entre tristesse et joie, au fil des années permet de découvrir le mode vie des inuits.
Une narration dominée par la voix off d'Uqsuralik qui donne ce ton envoûtant empreint de poésie et d'onirisme qui prend aux tripes. Une lecture que je n'ai pu lâcher avant sa conclusion avec ce doux parfum de résilience.
Un dessin puissant et immersif aux lignes expressives rehaussé par de superbes couleurs à l'aquarelle. Des visages taillés à la serpe, des panoramas qui en mettent plein les yeux. Certaines planches sont de véritables tableaux montrant toute l'immensité et la rudesse des lieux. Que dire aussi de cette pleine page sur le visage du Vieux après son acte ignoble : juste glaçant.
Magnifique.
Une adaptation réussie. Bravo à Krassinsky.
Coup de cœur.
Une chouette petite série de Lemire. Tout y est léger je trouve, de l’intrigue au dessin. Mais c’est plaisant.
Le dessin donc, très classique pour cet auteur canadien, économe en moyens, en décors, avec un trait rageur pour les visages, taillés au scalpel, tout en maintenant une certaine douceur.
Et un passage du réalisme au fantastique lui aussi plutôt doux – avec la transformation du criminel en fuite en éphémère géant.
Le récit est lui aussi très simple dans le premier tome. Un polar rural sans fioriture, avec un braquage qui tourne mal, le braqueur blessé qui se planque dans une ferme, où la fille de la maison, malmenée par son père, ses camarades de classe – et par la vie ! – le cache et se lie d’amitié avec lui. Lemire explique bien en fin de premier tome son inspiration : ses décors d’enfance, ces histoires d’éphémère (il n’invente presque rien en fait).
Du coup on attend la conclusion avec une certaine impatience dans le second tome. Et je dois dire que, même si certaines choses m’ont échappé, je n’ai pas été déçu. Alors qu’une lecture récente de Lemire (Family Tree) m’a laissé sur ma faim, j’ai trouvé la lecture de ces Éphémères très agréable. Le fantastique passe très bien, poésie et douleurs intimes se mêlent agréablement, et on s’attache aux personnages.
Note réelle 3,5/5.
J'hésitais depuis longtemps à acquérir cette BD, merci à Cacal69 dont l'avis m'a convaincu de franchir le pas.
" La Reine de Saba " est effectivement un bon et bel album qui permet d'approfondir sa connaissance des mythes, de découvrir ou redécouvrir le portrait de Makeba, courageuse reine qui fera commerce avec le roi Salomon après une rencontre mémorable.
C'est parfois épique (des séquences trépidantes avec ces deux soldats aguerris notamment qui sont prêts à tout pour protéger et servir leur reine) , souvent beau (la Mer pourpre qui occupe un rôle central dans cette histoire, les palais, les jardins de Salomon sont superbement évoqués), touchant (beau récit de filiation entre Makeba et son père), sensuel (un côté Mille et une nuits et une reine au physique légendaire qui fait tourner les têtes, suscite les convoitises) et bien écrit (l'auteur rend ce texte mythique aux personnages multiples très digeste à travers des dialogues efficaces et soignés).
Une très bonne lecture, donc, qui donne également envie de s'intéresser de près à un autre album de Jean-Marie Michaud : Le Mahâbhârata.
" Electric Miles ", c'est de la balle !
Un découpage canon qui offre presque une expérience sensorielle avec des séquences de haute volée (les auteurs donnent l'impression de faire du Christopher Nolan en BD !), Brüno au sommet de son art, quelques touches d'humour bien senties, une introduction prenante, bourrée de références, un Wilbur insaisissable (gourou charismatique ou être fantasque au sérieux délicieusement ridicule).
Nury semble aussi bien s'amuser dans cet album en s'affichant en démiurge tout puissant qui expose de façon volontairement caricaturale les liens pernicieux entre l'artiste qui a soif de création et les esprits mercantiles grossiers dont il dépend.
Et les femmes de Brüno, ah ses femmes !
Bref, ça donne envie de lire la suite !
Petit chat… J’ai besoin de trouver la sortie de ce labyrinthe…
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Ce tome contient une histoire complète et indépendante de toute autre. Son édition originale date de 2012. Il a été réalisé par emg pour le scénario, les dessins et les couleurs. Il comprend quatre-vingt-douze pages de bande dessinée, ou plutôt deux fois quarante-six pages.
La nuit, Hicham, un homme invisible dont la silhouette se devine grâce à une bandelette blanche enroulée autour de son corps est en train de dormir dans son lit, rêvant à un rondin de bois en train d’être coupé par une scie. Il rêve qu’il est en train de scier un rondin dans une grande plaine vallonée en montagne sur une table rudimentaire : un plateau de planches posés sur trois bûches. À quelques dizaines de mètres de là, une femme l’appelle par son prénom. Cette vision le tire de son sommeil et il se redresse sur son séant avec un nom sur les lèvres : Wassila ? Il se lève et va faire ses ablutions dans la salle de bains, un petit robot jaune humanoïde avec une tête conique lui tendant une serviette. Puis il passe dans la cuisine et téléphone à la femme de son rêve. Il lui dit que c’est étrange, que c’étaient les pentes du Djebel Rhaggar. Il commence une autre phrase : il espère… Mais la communication a coupé. Il se rend au travail où il est posté sur une chaîne, manipulant des cartons contenant des objets sphériques. Il fait un faux mouvement et trois objets tombent au sol. Deux robots papotent en le surveillant, et l’un des deux le hèle : Hé, la momie, du nerf. À la pause, Hisham rappelle Wassila. Il l’informe qu’il prend le train de 14h55. Il vient de téléphoner à l’AIKA. C’est maintenant ou jamais. Le passage dont on lui a parlé est proche de Bab-Sbaa, la porte des Lions. Il la rappellera vers 17 heures. Elle lui répond de l’appeler à l’hôtel Arcadia, elle va lui donner le numéro. Derrière lui, un autre robot lui rappelle que les pauses téléphone n’excède pas 5 minutes ! Le règlement ne s’applique pas qu’aux chiens.
À la fin de sa journée, Hicham court à l’extérieur et il hèle un taxi volant. Une fois assis il demande au robot conducteur si la gare n’est pas dans l’autre sens. Le robot lui répond de ne pas s’inquiéter, il a pris un détour raccourcissant. Arrivé à la gare, il se renseigne auprès d’un autre robot pour savoir si le train pour Villefrontière se trouve bien… La réponse sèche : Indiqué sur le panneau d’affichage, attention au coup de sifflet. L’homme monte à bord du train, qui part en même temps que plusieurs autres. Dans les haut-parleurs, une voix commente : Et c’est parti ! Trèèès bon départ de Général de Pommeau au quai n°2 – suivi par Speedy Crown au n°1 – et Rajah Quadrivalse qui s’arrache du paddock comme un coup de tonnerre ! Et déjà le premier obstacle, Darcy-en-Fenouil, franchi sans encombre par les trois attelages de tête… Ouille ! une chute sévère pour Silver Pistol voie n°5… Mélodie Antarctique qui s’échappe à la corde… Voilà le virage des Vents Couverts… Premiers décrochages quais n°7 et 8… Mais le train d’Hicham marque un arrêt à la gare : problème technique ! Un robot annonce : On fait demi-tour ! Le conducteur a été éjecté de son siège !
Quel étrange ouvrage, très déroutant. Déjà le titre : Tremblez enfance Z46… Qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire. ? Puis les graphismes : mis à part Hicham, chaque élément est représenté par un assemblage de formes géométriques : traits bien droits, cercles et ellipses, avec une netteté très aseptisée, stérile et sèche. Le lecteur se dit qu’il apparaît une vague irrégularité dans le vallonnement de l’alpage, puis il regarde les espèces de cubes flottant en arrière-plan avec une forme irrégulière sur le devant, se rendant compte que cela doit figurer des moutons. Retour à l’appartement d’Hicham : tout est toujours aussi géométrique et conceptuel. La mise en couleurs est faite sur la base d’aplats bien propres, sans déclinaison en nuances, sans ombres. L’ambiance lumineuse dégage une artificialité intense. Le petit robot porteur de serviette dans la salle de bains suit le personnage dans la cuisine et semble l’observer immobile alors qu’Hicham téléphone, comme un animal de compagnie. L’incongruité de la scène de travail saute aux yeux du lecteur : un être humain invisible dont la présence est marquée par des bandelettes horizontales autour de son corps, non jointives, surveillé par deux robots qui papotent. Que dire des autres bizarreries : des phylactères en trois dimensions, un clocher miniature qui semble flotter dans l’air au-dessus de la voiture volante, une onomatopée BANG en trois dimensions pour donner le départ des trains, Tintin & Milou sur le quai de la gare, etc.
Pour autant, la trame de l’intrigue apparaît clairement : Hicham a décidé de rejoindre Wassila, peut-être sa bien-aimée, peut-être un être très cher de sa famille, et pour cela il doit atteindre le point de passage, ce qui donne lieu à quelques péripéties comme prendre le métreau (une variante du métro où l’on se déplace avec les poissons sous l’eau), se faire faire un formulaire PP451 (purification Polaroïd), s’en remettre aux mains des passeurs pour atteindre le point de franchissement. Et… Et le récit abandonne Hicham pour passer à Wassila. Dans un premier temps le lecteur se trouve décontenancé, comme si la trame narrative présentait des bizarreries, des solutions de continuité dans l’enchaînement des causes à effets, voire une inversion temporelle. S’il n’y a pas encore prêté attention, son œil finit par être attiré par la numérotation en bas de page, pas si facilement déchiffrable. Il finit par remarquer qu’elle se déroule à rebours. Il revient en arrière, au début : la première planche porte bien le numéro Un, puis la deuxième Deux, et ainsi de suite… Jusqu’à ce qu’il arrive à la planche quarante-six, et celle en vis-à-vis est également numérotée quarante-six. Soit il termine la lecture de cette deuxième partie numérotée à rebours, soit il teste de lire la bande dessinée à partir de la dernière page (numérotée Un), jusqu’à celle numérotée quarante-six, située en milieu d’ouvrage. Il comprend alors le dispositif narratif : dans le sens de lecture occidental (de gauche à droite) il découvre la journée d’Hicham dans l’ordre chronologique, dans le sens inverse (de droite à gauche depuis la quatrième de couverture) il découvre la journée de Wassila dans l’ordre chronologique. Il en déduit que c’est la bonne méthode de lecture, jusqu’à ce que les deux personnages se retrouvent de part et d’autre de la porte du passage, en page quarante-six dans un sens, et quarante-six de l’autre.
Au départ, l’immersion dans la lecture peut nécessiter un temps d’adaptation plus ou moins important, que ce soit pour le choix esthétique très fort, ou pour les choix de représentation. D’un autre côté, la lecture se révèle facile : une case par page, quarante-six pages muettes (sauf une ou deux onomatopées), c’est-à-dire la moitié de la pagination, un fil conducteur clair, c’est-à-dire le chemin à parcourir pour les retrouvailles. Sous réserve que les formes géométriques et les couleurs ne provoquent pas un rejet esthétique, le lecteur tombe vite sous le charme de la bizarrerie poétique : un individu inexistant sauf par les bandelettes, une course de train avec un commentateur enjoué, la superbe trouvaille du métreau (Hicham s’enfonce dans le flux d’une rivière, se retrouve sur un quai, voyage avec un requin, la prise de photographie qui tue, des motifs récurrents de damiers aux couleurs criardes, des motifs de briques parfois flottantes, les onomatopées en 3D, un taxi avec des petits taxis autour de lui, la cheminée d’un bateau qui émet de petits nuages de fumée dont chacun est composé des sigles CO2, etc. C’est un monde à la fois artificiel, fabriqué de toute pièce, comme construit avec un logiciel infographique des années 1980, et à la fois une interprétation décalée de la réalité entre anticipation (voitures volantes), rétrofuturisme (il n’y a pas de téléphone portable) et fantastique (Hicham respire sous l’eau).
C’est aussi une lecture très étrange car le lecteur s’investit de manière conséquente dans la première partie, à la fois pour s’adapter aux graphismes et à la narration, et lit la deuxième partie de manière plus rapide car elle comprend moins d’informations, et certaines sont redondantes par rapport à la première. Finalement, il s’agit d’un individu qui souhaite retrouver une personne aimée. Le lecteur ne sait rien des circonstances qui les ont séparées. C’est aussi une fable sur l’immigration, avec Hicham réduit à l’état de quantité négligeable, de sous-citoyen par des encadrants robots, Wassila ne bénéficiant pas de plus considération. C’est avant tout une véritable aventure de lecture. À chaque élément visuel, le lecteur s’interroge sur son sens, sur sa contrepartie dans le monde réel, sur ce que dit la manière dont il a été déformé, réinterprété par l’auteur, sur ce que ces déformations induisent comme modification dans le rapport entre l’individu et cet élément de son environnement, faisant ainsi apparaître des liens cachés, une nouvelle façon de les considérer.
L’aventure visuelle s’avère beaucoup plus riche que ces décalages induit par la représentation réimaginée. L’artiste met à profit la connaissance du langage BD et de ses conventions par le lecteur : à commencer par cette scie coupant du bois pour figurer le son du ronflement, ou aussi le principe d’onomatopée et de phylactère, et encore le principe d’évocation de la silhouette humaine, reconnaissable et identifiable, même sous la forme de bandelettes, ou d’une construction de petits traits secs pour les passeurs. L’invention visuelle prend différentes formes : l’avancée réciproque des trains sous forme de course hippique, le principe de métro dans le flux d’une rivière, et les similitudes purement visuelles (le rondin et la scie pour le ronflement ou le sommeil, similaire au rondin scié par Hicham). Ces jeux visuels amènent le lecteur à s’interroger sur ce qui est signifiant dans ce qui est représenté, ce qui importe à l’intrigue, par opposition à ce qui ne sert que d’éléments de décors sans incidence sur le récit… mais pas sans incidence sur son ressenti. Il remarque que l’auteur joue également avec le rapport entre signifiant et signifié : par exemple un panneau de signalisation routière incompréhensible (un cercle au milieu d’un panneau triangulaire d’avertissement). Il relève aussi de subtiles correspondances entre l’histoire d’Hicham et celle de Wassila, au-delà des deux facettes de la même histoire, comme ce requin observé par un passager du bateau sur lequel se trouve Wassila, qui renvoie au requin qui se trouve derrière Hicham dans le métreau.
Quelle étrange lecture : une forme de dessins géométriques, une retranscription de la réalité décalée entre l’anticipation et le surréalisme, avec une touche de fantastique et d’onirisme. L’histoire d’un homme qui veut rejoindre son être aimé, puis d’une femme cheminant elle aussi vers cet homme. Un monde similaire à la réalité avec des environnements et des individus réinterprétés, entre immigration et déconsidération par des robots, interrogations sur ce qui fait signal et ce qui constitue du bruit, entre le signifiant et le signifié. Singulier.
Je n'ai rien à ajouter à l'avis de Grogro : Vous devez lire cette BD pour deux raisons :
- ça vous tire les larmes
- le message est d'utilité publique.
Comment le désir irrationnel de profit peut-il mettre à bas les petites vies pauvres et paisibles de centaines de milliers de personnes et de millions d'animaux, sans parler des écosystèmes tout entiers ? On voit le costard de René Dumont agronome, qui soutient dans la première partie de sa vie l'augmentation attendue de la productivité et se rend compte qu'il n'obtient que la mort des sols et donc de la potabilité de l'eau....et se présente aux élections en 1974.
Toutes ces femmes restées seules après la guerre qui se font rouler dans la farine, voient leurs fils se faire tabasser par la gendarmerie, les méandres de leurs rivières rectifiées à coup de tractopelles, leurs pommiers arrachés... Les voisins qui se déchirent (les uns pour et les autres contre) pour le profit des actionnaires...
Apparemment il y a peu de publications sur ce sujet , pourtant c'est vraiment le nœud de l'agriculture paysanne qui a été tranché pour fabriquer du gluten, des protéines animales, et végétales, et l'industrie agro-alimentaire, et mettre tout le monde en ville... Et maintenant quoi ? ce système performant n'est pas résiliant : en arrière toute !
On ne peut que s'incliner devant le travail de deux auteurs qui maîtrisent (normal pour ces deux-là aux noms prédestinés : Lemaitre et de Metter ) parfaitement leur techniques.
L'artisan du scénario sait donner chair à ces personnages et construire une intrigue multigénérationnelle. Chacun se démerde à tirer son épingle du jeux dans une situation historique où l'empire colonial français se déglingue à grand coup de concussion, et le carcan familial plein de pognon et de non-dit rend ses membres pour le moins déviants...
Le dessin de de Metter est toujours éblouissant de subtilité, en particulier dans le modelé des visages...on a du mal à croire qu'il n'ait pas pris de vrais modèles...comment inventer de toute pièces des personnages aussi précis ? Les décors sont plus esquissés mais avec beaucoup d'aisance, les couleurs en revanche reste dans des camaïeux un peu convenus.
Du travail de pro, mais pour les habitués c'est sans surprise. Pour ceux qui n'ont jamais lu des BD de ce couple et qui aime les scénarios complexes et bien huilés : courez-y !
J'avais beaucoup apprécié Merel, qui racontait la ruralité d'aujourd'hui dans une fiction très bien construite, où la psychologie des personnages était très fouillée et touchante. Avec Moheeb, l'autrice persévère dans son génie de l'observation psycho-sociale.
Dit comme ça, j'ai conscience que ce n'est pas très excitant. Pourtant on lit rarement des BD qui vous ouvrent des portes sur un monde que vous cotoyez et que pour autant vous n'avez jamais compris.
C'est très émouvant d'accéder à son prochain, finalement.
Un parking dans une petite ville, des jeunes qui glandouillent en jouant vaguement avec un ballon dégonflé... On a tous vu ça. Mais on ne l'a pas observé, et tous les signes qui étaient pourtant sous nos yeux n'ont pas révélé les diverses trames de scénario en train de se jouer.
C'est ce tissage de liens et d'indifférence mêlés qui est parfaitement rendu et exploré.
Le dessin est légèrement moins élégant que dans Merel, tirant parfois vers le comics underground à la Backderf ( Mon ami Dahmer et Trashed) mais cela apporte quelque chose que j'ai du mal à définir. A d'autres moments les couleurs et les lumières reprennent leur capacité d'évocation sensuelle.
Toutes les générations trouvent leur place dans ce scénario centré sur Moheeb et sur toutes ses sensations ( l'odeur d'un mouchoir, les piqûres d'ortie où on frotte du plantain, la sensation de la limace sur les doigts, les bourdonnements des voitures, des insectes, la pluie sur le goudron éventré...) mais il s'ouvre sur chacun de nous traversant ce parking et finissant par jouer son rôle dans la partition.
Je ressors de ma lecture pleine d'émotion et d'admiration pour Clara Lodewick.
Que les choses soient claires, je ne suis pas particulièrement intéressé par les questions religieuses. Je ne suis catholique que par baptême et ne crois pas en l’existence d’un dieu, surtout pas celui auquel on m’a demandé de croire, vous savez, le vieux type à barbe blanche pas toujours sympa qui promet l’enfer et les flammes à quiconque s’écarte du « droit chemin ». La Bible a toujours été pour moi un conte destiné aux enfants dociles, une fiction truffée de propos culpabilisants, rédigée sur plusieurs siècles d’après des rumeurs et dont on ne connaît même pas les auteurs, souvent utilisée par ses promoteurs pour domestiquer les esprits et asseoir leur pouvoir. Je caricature peut-être mais globalement, c’est ainsi que je vois les choses.
Je pense pourtant être ouvert d’esprit mais ce pavé qu’est la Bible m’a toujours paru rébarbatif et quelque peu obscur. Je ne la connais que par les citations entendues çà et là, notamment à l’église lorsqu’enfant on m’obligeait à assister à la messe. J’ai cependant voulu tenter ce « Jésus aux Enfers », peut-être parce qu’au fond de moi, l’enfer m’a toujours interrogé voire un peu effrayé (on n’échappe jamais totalement à son éducation), mais également en raison de son volume beaucoup plus raisonnable (120 pages !).
Comme il le dit en préface, Thierry Robin a toujours « caressé le projet de raconter (…) l’aventure de l’écriture des Evangiles ». C’est lors de travaux préparatoires qu’il a découvert l’évangile de Nicomède, où est raconté la descente aux enfers de Jésus. Mais curieusement, cet évangile semble avoir été délaissé, considéré comme fantaisiste et peu crédible… Paradoxalement, il est pourtant évoqué dans le fameux Credo, récité par les Chrétiens du monde entier, de façon brève certes, mais au final, bien malin celui qui arriverait à interpréter avec précision cette « sainte écriture », qui ouvre la voie à toutes les spéculations.
C’est ainsi que Thierry Robin s’est emparé de ce « passage silencieux de trois jours », attiré par les éléments fantastiques de l’évangile en question, mais aussi par le portrait inédit et plein d’humanité qui a été fait du Christ.
Pour un mécréant comme moi, qui n’avait retenu que la fable de la crucifixion, mais se mélangeait les pinceaux dès qu’on lui parlait de Pâques ou de l’Ascension, qui à mes yeux représentaient surtout un jour de repos pour le salarié que je suis (rare point positif pour lequel je peux me dire reconnaissant envers la religion), je dois avouer que ce récit a clarifié pas mal de choses, dont par ailleurs je m’étais toujours contrefoutu comme de ma première communion.
Thierry Robin a réussi là quelque chose de peu ordinaire. Il a élaboré une œuvre moderne à partir de « textes sacrés » tombés dans l’oubli, textes qu’il a rendus compréhensibles au commun des mortels, sans aucune volonté de les tourner en dérision, et sans pour autant apparaître ringard. « Jésus aux Enfers » se lit comme une BD fantastique, alliant mythologie et heroic fantasy…
Avec un graphisme tout à fait conforme aux codes du genre, l’élégance et la finesse du trait en plus, l’auteur nous offre une mise en page très variée et souvent spectaculaire, avec une belle utilisation du noir et blanc pour les clair-obscur. Abbadon, le gardien des enfers est représenté comme un ninja, et Satan ressemble à s’y méprendre à Nosferatu. Les démons apparaissent tels des trolls polymorphes tout droit sortis du « Seigneur des anneaux », dans un décor évoquant peu ou prou la Moria. Bien sûr, les échanges demeurent plus biblico-philosophiques que physiques, mais la lecture n’en est que plus fascinante, Thierry Robin n’a pas non plus cherché à la jouer blockbuster en mode bourrin, loin de là.
La rencontre finale entre Jésus et Satan est saisissante et fait presque froid dans le dos, même si Satan est dépeint de manière plutôt humaine (rappelons au passage qu’il est un ange déchu, un peu comme le fut Darth Vador avant de passer du côté obscur).
On n’est donc pas obligé d’être érudit en « sciences des religions » pour apprécier « Jésus aux Enfers », et encore moins croyant ou pratiquant. La preuve en est que j’ai passé un bon moment avec cette lecture très instructive, qui je tiens à le préciser, n’a pas remis en cause mon opinion sur le christianisme — même si je reconnais le bien-fondé du message christique qui hélas n’a jamais été vraiment appliqué par nombre de ses adeptes ni empêché les guerres de religion — mais aussi toutes les religions dans leur ensemble.
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Baker Street
Ayant apprécié Les aventures de Philip et Francis, je me suis naturellement dirigé vers l'autre grande série de ce duo d'auteurs. Et bien m'en a pris, car voilà une grande réussite, peut-être plus encore que Philip et Francis ! On retrouve vraiment la même identité dans l'humour loufoque et la parodie maîtrisée, c'est un plaisir. Les deux premiers tomes nous proposent de véritables enquêtes à la Sherlock Holmes où Veys réussit le tour de force de nous proposer des scénarios qui auraient pu sortir de la plume de Sir Arthur Conan Doyle lui-même (plus ou moins, bien sûr), mais avec un humour absolument craquant, qui ne détruit jamais la qualité des scénarios. C'est tellement drôle que je me suis même surpris à éclater de rire à voix haute ! J'attendais donc avec beaucoup d'impatience le diptyque qui allait emmener Sherlock Holmes, Watson, Lestrade et Mrs Hudson en Inde. Paradoxalement, c'est justement ces deux tomes les plus prometteurs (à mon sens) qui sont les moins réussis. Ce qui ne signifie en rien qu'ils soient mauvais, mais l'aspect aventures rompt peut-être un peu trop avec la dimension policière inhérente au personnage de Holmes (même si Conan Doyle lui-même glissait une grosse part de pure aventure dans ses romans), et nous entraîne finalement plus sur une sorte de parodie de Jules Verne. C'est plaisant, mais l'humour hilarant est un peu dilué dans des péripéties qui ont pour mission première de faire avancer le récit, et le mélange fonctionne un peu moins bien. Cela n'en reste pas moins très agréable à lire, et l'ensemble fourmille d'idées très drôles malgré tout (simplement, elles sont moins exploitées que dans les autres récits de la saga). Enfin, le dernier tome de la saga nous ramène aux fondamentaux et renoue avec l'aspect policier de Holmes, y compris dans les quelques histoires de deux pages qui concluent la série. Au bilan, malgré une très légère baisse de régime en milieu de saga, Baker Street est un pilier très solide de la bande dessinée d'humour et surtout de la bande dessinée parodique, un genre où il est très difficile de trouver l'équilibre. La réussite de Veys et Barral est certainement d'avoir trouvé cet équilibre et d'avoir ainsi su rester dans les limites du bon goût du début à la fin, tout en sachant nous emmener sur leur terrain absurde et loufoque. Bref, une bande dessinée que je relirai facilement, et qui sera un bon antidote à la moindre baisse de morale qui s'annoncerait à l'horizon !
De pierre et d'os
Je ne m'attendais pas à être autant ému et émerveillé en lisant cette BD. "De pierre et d'os" est une fidèle adaptation du roman du même nom de Bérengère Cournut, elle retrace le parcours de vie d'une jeune inuite, Uqsuralik. Et ce parcours ne sera pas des plus facile. La glace qui craque et qui la sépare de sa famille, elle va devoir vivre ou plutôt survivre avec quelques chiens et un minimum d'outils. Un parcours fait de rencontres, pas toujours bienveillante (le Vieux), qui la feront grandir et devenir mère. Un voyage initiatique, écologique et spirituel (avec les différents esprits locaux) qui m'a embarqué dès les premières planches. J'ai particulièrement aimé les passages où le chamanisme est présent. L'évolution d'Uqsuralik, entre tristesse et joie, au fil des années permet de découvrir le mode vie des inuits. Une narration dominée par la voix off d'Uqsuralik qui donne ce ton envoûtant empreint de poésie et d'onirisme qui prend aux tripes. Une lecture que je n'ai pu lâcher avant sa conclusion avec ce doux parfum de résilience. Un dessin puissant et immersif aux lignes expressives rehaussé par de superbes couleurs à l'aquarelle. Des visages taillés à la serpe, des panoramas qui en mettent plein les yeux. Certaines planches sont de véritables tableaux montrant toute l'immensité et la rudesse des lieux. Que dire aussi de cette pleine page sur le visage du Vieux après son acte ignoble : juste glaçant. Magnifique. Une adaptation réussie. Bravo à Krassinsky. Coup de cœur.
Les Éphémères
Une chouette petite série de Lemire. Tout y est léger je trouve, de l’intrigue au dessin. Mais c’est plaisant. Le dessin donc, très classique pour cet auteur canadien, économe en moyens, en décors, avec un trait rageur pour les visages, taillés au scalpel, tout en maintenant une certaine douceur. Et un passage du réalisme au fantastique lui aussi plutôt doux – avec la transformation du criminel en fuite en éphémère géant. Le récit est lui aussi très simple dans le premier tome. Un polar rural sans fioriture, avec un braquage qui tourne mal, le braqueur blessé qui se planque dans une ferme, où la fille de la maison, malmenée par son père, ses camarades de classe – et par la vie ! – le cache et se lie d’amitié avec lui. Lemire explique bien en fin de premier tome son inspiration : ses décors d’enfance, ces histoires d’éphémère (il n’invente presque rien en fait). Du coup on attend la conclusion avec une certaine impatience dans le second tome. Et je dois dire que, même si certaines choses m’ont échappé, je n’ai pas été déçu. Alors qu’une lecture récente de Lemire (Family Tree) m’a laissé sur ma faim, j’ai trouvé la lecture de ces Éphémères très agréable. Le fantastique passe très bien, poésie et douleurs intimes se mêlent agréablement, et on s’attache aux personnages. Note réelle 3,5/5.
La Reine de Saba
J'hésitais depuis longtemps à acquérir cette BD, merci à Cacal69 dont l'avis m'a convaincu de franchir le pas. " La Reine de Saba " est effectivement un bon et bel album qui permet d'approfondir sa connaissance des mythes, de découvrir ou redécouvrir le portrait de Makeba, courageuse reine qui fera commerce avec le roi Salomon après une rencontre mémorable. C'est parfois épique (des séquences trépidantes avec ces deux soldats aguerris notamment qui sont prêts à tout pour protéger et servir leur reine) , souvent beau (la Mer pourpre qui occupe un rôle central dans cette histoire, les palais, les jardins de Salomon sont superbement évoqués), touchant (beau récit de filiation entre Makeba et son père), sensuel (un côté Mille et une nuits et une reine au physique légendaire qui fait tourner les têtes, suscite les convoitises) et bien écrit (l'auteur rend ce texte mythique aux personnages multiples très digeste à travers des dialogues efficaces et soignés). Une très bonne lecture, donc, qui donne également envie de s'intéresser de près à un autre album de Jean-Marie Michaud : Le Mahâbhârata.
Electric Miles
" Electric Miles ", c'est de la balle ! Un découpage canon qui offre presque une expérience sensorielle avec des séquences de haute volée (les auteurs donnent l'impression de faire du Christopher Nolan en BD !), Brüno au sommet de son art, quelques touches d'humour bien senties, une introduction prenante, bourrée de références, un Wilbur insaisissable (gourou charismatique ou être fantasque au sérieux délicieusement ridicule). Nury semble aussi bien s'amuser dans cet album en s'affichant en démiurge tout puissant qui expose de façon volontairement caricaturale les liens pernicieux entre l'artiste qui a soif de création et les esprits mercantiles grossiers dont il dépend. Et les femmes de Brüno, ah ses femmes ! Bref, ça donne envie de lire la suite !
Tremblez enfance Z46
Petit chat… J’ai besoin de trouver la sortie de ce labyrinthe… - Ce tome contient une histoire complète et indépendante de toute autre. Son édition originale date de 2012. Il a été réalisé par emg pour le scénario, les dessins et les couleurs. Il comprend quatre-vingt-douze pages de bande dessinée, ou plutôt deux fois quarante-six pages. La nuit, Hicham, un homme invisible dont la silhouette se devine grâce à une bandelette blanche enroulée autour de son corps est en train de dormir dans son lit, rêvant à un rondin de bois en train d’être coupé par une scie. Il rêve qu’il est en train de scier un rondin dans une grande plaine vallonée en montagne sur une table rudimentaire : un plateau de planches posés sur trois bûches. À quelques dizaines de mètres de là, une femme l’appelle par son prénom. Cette vision le tire de son sommeil et il se redresse sur son séant avec un nom sur les lèvres : Wassila ? Il se lève et va faire ses ablutions dans la salle de bains, un petit robot jaune humanoïde avec une tête conique lui tendant une serviette. Puis il passe dans la cuisine et téléphone à la femme de son rêve. Il lui dit que c’est étrange, que c’étaient les pentes du Djebel Rhaggar. Il commence une autre phrase : il espère… Mais la communication a coupé. Il se rend au travail où il est posté sur une chaîne, manipulant des cartons contenant des objets sphériques. Il fait un faux mouvement et trois objets tombent au sol. Deux robots papotent en le surveillant, et l’un des deux le hèle : Hé, la momie, du nerf. À la pause, Hisham rappelle Wassila. Il l’informe qu’il prend le train de 14h55. Il vient de téléphoner à l’AIKA. C’est maintenant ou jamais. Le passage dont on lui a parlé est proche de Bab-Sbaa, la porte des Lions. Il la rappellera vers 17 heures. Elle lui répond de l’appeler à l’hôtel Arcadia, elle va lui donner le numéro. Derrière lui, un autre robot lui rappelle que les pauses téléphone n’excède pas 5 minutes ! Le règlement ne s’applique pas qu’aux chiens. À la fin de sa journée, Hicham court à l’extérieur et il hèle un taxi volant. Une fois assis il demande au robot conducteur si la gare n’est pas dans l’autre sens. Le robot lui répond de ne pas s’inquiéter, il a pris un détour raccourcissant. Arrivé à la gare, il se renseigne auprès d’un autre robot pour savoir si le train pour Villefrontière se trouve bien… La réponse sèche : Indiqué sur le panneau d’affichage, attention au coup de sifflet. L’homme monte à bord du train, qui part en même temps que plusieurs autres. Dans les haut-parleurs, une voix commente : Et c’est parti ! Trèèès bon départ de Général de Pommeau au quai n°2 – suivi par Speedy Crown au n°1 – et Rajah Quadrivalse qui s’arrache du paddock comme un coup de tonnerre ! Et déjà le premier obstacle, Darcy-en-Fenouil, franchi sans encombre par les trois attelages de tête… Ouille ! une chute sévère pour Silver Pistol voie n°5… Mélodie Antarctique qui s’échappe à la corde… Voilà le virage des Vents Couverts… Premiers décrochages quais n°7 et 8… Mais le train d’Hicham marque un arrêt à la gare : problème technique ! Un robot annonce : On fait demi-tour ! Le conducteur a été éjecté de son siège ! Quel étrange ouvrage, très déroutant. Déjà le titre : Tremblez enfance Z46… Qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire. ? Puis les graphismes : mis à part Hicham, chaque élément est représenté par un assemblage de formes géométriques : traits bien droits, cercles et ellipses, avec une netteté très aseptisée, stérile et sèche. Le lecteur se dit qu’il apparaît une vague irrégularité dans le vallonnement de l’alpage, puis il regarde les espèces de cubes flottant en arrière-plan avec une forme irrégulière sur le devant, se rendant compte que cela doit figurer des moutons. Retour à l’appartement d’Hicham : tout est toujours aussi géométrique et conceptuel. La mise en couleurs est faite sur la base d’aplats bien propres, sans déclinaison en nuances, sans ombres. L’ambiance lumineuse dégage une artificialité intense. Le petit robot porteur de serviette dans la salle de bains suit le personnage dans la cuisine et semble l’observer immobile alors qu’Hicham téléphone, comme un animal de compagnie. L’incongruité de la scène de travail saute aux yeux du lecteur : un être humain invisible dont la présence est marquée par des bandelettes horizontales autour de son corps, non jointives, surveillé par deux robots qui papotent. Que dire des autres bizarreries : des phylactères en trois dimensions, un clocher miniature qui semble flotter dans l’air au-dessus de la voiture volante, une onomatopée BANG en trois dimensions pour donner le départ des trains, Tintin & Milou sur le quai de la gare, etc. Pour autant, la trame de l’intrigue apparaît clairement : Hicham a décidé de rejoindre Wassila, peut-être sa bien-aimée, peut-être un être très cher de sa famille, et pour cela il doit atteindre le point de passage, ce qui donne lieu à quelques péripéties comme prendre le métreau (une variante du métro où l’on se déplace avec les poissons sous l’eau), se faire faire un formulaire PP451 (purification Polaroïd), s’en remettre aux mains des passeurs pour atteindre le point de franchissement. Et… Et le récit abandonne Hicham pour passer à Wassila. Dans un premier temps le lecteur se trouve décontenancé, comme si la trame narrative présentait des bizarreries, des solutions de continuité dans l’enchaînement des causes à effets, voire une inversion temporelle. S’il n’y a pas encore prêté attention, son œil finit par être attiré par la numérotation en bas de page, pas si facilement déchiffrable. Il finit par remarquer qu’elle se déroule à rebours. Il revient en arrière, au début : la première planche porte bien le numéro Un, puis la deuxième Deux, et ainsi de suite… Jusqu’à ce qu’il arrive à la planche quarante-six, et celle en vis-à-vis est également numérotée quarante-six. Soit il termine la lecture de cette deuxième partie numérotée à rebours, soit il teste de lire la bande dessinée à partir de la dernière page (numérotée Un), jusqu’à celle numérotée quarante-six, située en milieu d’ouvrage. Il comprend alors le dispositif narratif : dans le sens de lecture occidental (de gauche à droite) il découvre la journée d’Hicham dans l’ordre chronologique, dans le sens inverse (de droite à gauche depuis la quatrième de couverture) il découvre la journée de Wassila dans l’ordre chronologique. Il en déduit que c’est la bonne méthode de lecture, jusqu’à ce que les deux personnages se retrouvent de part et d’autre de la porte du passage, en page quarante-six dans un sens, et quarante-six de l’autre. Au départ, l’immersion dans la lecture peut nécessiter un temps d’adaptation plus ou moins important, que ce soit pour le choix esthétique très fort, ou pour les choix de représentation. D’un autre côté, la lecture se révèle facile : une case par page, quarante-six pages muettes (sauf une ou deux onomatopées), c’est-à-dire la moitié de la pagination, un fil conducteur clair, c’est-à-dire le chemin à parcourir pour les retrouvailles. Sous réserve que les formes géométriques et les couleurs ne provoquent pas un rejet esthétique, le lecteur tombe vite sous le charme de la bizarrerie poétique : un individu inexistant sauf par les bandelettes, une course de train avec un commentateur enjoué, la superbe trouvaille du métreau (Hicham s’enfonce dans le flux d’une rivière, se retrouve sur un quai, voyage avec un requin, la prise de photographie qui tue, des motifs récurrents de damiers aux couleurs criardes, des motifs de briques parfois flottantes, les onomatopées en 3D, un taxi avec des petits taxis autour de lui, la cheminée d’un bateau qui émet de petits nuages de fumée dont chacun est composé des sigles CO2, etc. C’est un monde à la fois artificiel, fabriqué de toute pièce, comme construit avec un logiciel infographique des années 1980, et à la fois une interprétation décalée de la réalité entre anticipation (voitures volantes), rétrofuturisme (il n’y a pas de téléphone portable) et fantastique (Hicham respire sous l’eau). C’est aussi une lecture très étrange car le lecteur s’investit de manière conséquente dans la première partie, à la fois pour s’adapter aux graphismes et à la narration, et lit la deuxième partie de manière plus rapide car elle comprend moins d’informations, et certaines sont redondantes par rapport à la première. Finalement, il s’agit d’un individu qui souhaite retrouver une personne aimée. Le lecteur ne sait rien des circonstances qui les ont séparées. C’est aussi une fable sur l’immigration, avec Hicham réduit à l’état de quantité négligeable, de sous-citoyen par des encadrants robots, Wassila ne bénéficiant pas de plus considération. C’est avant tout une véritable aventure de lecture. À chaque élément visuel, le lecteur s’interroge sur son sens, sur sa contrepartie dans le monde réel, sur ce que dit la manière dont il a été déformé, réinterprété par l’auteur, sur ce que ces déformations induisent comme modification dans le rapport entre l’individu et cet élément de son environnement, faisant ainsi apparaître des liens cachés, une nouvelle façon de les considérer. L’aventure visuelle s’avère beaucoup plus riche que ces décalages induit par la représentation réimaginée. L’artiste met à profit la connaissance du langage BD et de ses conventions par le lecteur : à commencer par cette scie coupant du bois pour figurer le son du ronflement, ou aussi le principe d’onomatopée et de phylactère, et encore le principe d’évocation de la silhouette humaine, reconnaissable et identifiable, même sous la forme de bandelettes, ou d’une construction de petits traits secs pour les passeurs. L’invention visuelle prend différentes formes : l’avancée réciproque des trains sous forme de course hippique, le principe de métro dans le flux d’une rivière, et les similitudes purement visuelles (le rondin et la scie pour le ronflement ou le sommeil, similaire au rondin scié par Hicham). Ces jeux visuels amènent le lecteur à s’interroger sur ce qui est signifiant dans ce qui est représenté, ce qui importe à l’intrigue, par opposition à ce qui ne sert que d’éléments de décors sans incidence sur le récit… mais pas sans incidence sur son ressenti. Il remarque que l’auteur joue également avec le rapport entre signifiant et signifié : par exemple un panneau de signalisation routière incompréhensible (un cercle au milieu d’un panneau triangulaire d’avertissement). Il relève aussi de subtiles correspondances entre l’histoire d’Hicham et celle de Wassila, au-delà des deux facettes de la même histoire, comme ce requin observé par un passager du bateau sur lequel se trouve Wassila, qui renvoie au requin qui se trouve derrière Hicham dans le métreau. Quelle étrange lecture : une forme de dessins géométriques, une retranscription de la réalité décalée entre l’anticipation et le surréalisme, avec une touche de fantastique et d’onirisme. L’histoire d’un homme qui veut rejoindre son être aimé, puis d’une femme cheminant elle aussi vers cet homme. Un monde similaire à la réalité avec des environnements et des individus réinterprétés, entre immigration et déconsidération par des robots, interrogations sur ce qui fait signal et ce qui constitue du bruit, entre le signifiant et le signifié. Singulier.
Champs de Bataille - L'histoire enfouie du remembrement
Je n'ai rien à ajouter à l'avis de Grogro : Vous devez lire cette BD pour deux raisons : - ça vous tire les larmes - le message est d'utilité publique. Comment le désir irrationnel de profit peut-il mettre à bas les petites vies pauvres et paisibles de centaines de milliers de personnes et de millions d'animaux, sans parler des écosystèmes tout entiers ? On voit le costard de René Dumont agronome, qui soutient dans la première partie de sa vie l'augmentation attendue de la productivité et se rend compte qu'il n'obtient que la mort des sols et donc de la potabilité de l'eau....et se présente aux élections en 1974. Toutes ces femmes restées seules après la guerre qui se font rouler dans la farine, voient leurs fils se faire tabasser par la gendarmerie, les méandres de leurs rivières rectifiées à coup de tractopelles, leurs pommiers arrachés... Les voisins qui se déchirent (les uns pour et les autres contre) pour le profit des actionnaires... Apparemment il y a peu de publications sur ce sujet , pourtant c'est vraiment le nœud de l'agriculture paysanne qui a été tranché pour fabriquer du gluten, des protéines animales, et végétales, et l'industrie agro-alimentaire, et mettre tout le monde en ville... Et maintenant quoi ? ce système performant n'est pas résiliant : en arrière toute !
Le Grand Monde
On ne peut que s'incliner devant le travail de deux auteurs qui maîtrisent (normal pour ces deux-là aux noms prédestinés : Lemaitre et de Metter ) parfaitement leur techniques. L'artisan du scénario sait donner chair à ces personnages et construire une intrigue multigénérationnelle. Chacun se démerde à tirer son épingle du jeux dans une situation historique où l'empire colonial français se déglingue à grand coup de concussion, et le carcan familial plein de pognon et de non-dit rend ses membres pour le moins déviants... Le dessin de de Metter est toujours éblouissant de subtilité, en particulier dans le modelé des visages...on a du mal à croire qu'il n'ait pas pris de vrais modèles...comment inventer de toute pièces des personnages aussi précis ? Les décors sont plus esquissés mais avec beaucoup d'aisance, les couleurs en revanche reste dans des camaïeux un peu convenus. Du travail de pro, mais pour les habitués c'est sans surprise. Pour ceux qui n'ont jamais lu des BD de ce couple et qui aime les scénarios complexes et bien huilés : courez-y !
Moheeb sur le parking
J'avais beaucoup apprécié Merel, qui racontait la ruralité d'aujourd'hui dans une fiction très bien construite, où la psychologie des personnages était très fouillée et touchante. Avec Moheeb, l'autrice persévère dans son génie de l'observation psycho-sociale. Dit comme ça, j'ai conscience que ce n'est pas très excitant. Pourtant on lit rarement des BD qui vous ouvrent des portes sur un monde que vous cotoyez et que pour autant vous n'avez jamais compris. C'est très émouvant d'accéder à son prochain, finalement. Un parking dans une petite ville, des jeunes qui glandouillent en jouant vaguement avec un ballon dégonflé... On a tous vu ça. Mais on ne l'a pas observé, et tous les signes qui étaient pourtant sous nos yeux n'ont pas révélé les diverses trames de scénario en train de se jouer. C'est ce tissage de liens et d'indifférence mêlés qui est parfaitement rendu et exploré. Le dessin est légèrement moins élégant que dans Merel, tirant parfois vers le comics underground à la Backderf ( Mon ami Dahmer et Trashed) mais cela apporte quelque chose que j'ai du mal à définir. A d'autres moments les couleurs et les lumières reprennent leur capacité d'évocation sensuelle. Toutes les générations trouvent leur place dans ce scénario centré sur Moheeb et sur toutes ses sensations ( l'odeur d'un mouchoir, les piqûres d'ortie où on frotte du plantain, la sensation de la limace sur les doigts, les bourdonnements des voitures, des insectes, la pluie sur le goudron éventré...) mais il s'ouvre sur chacun de nous traversant ce parking et finissant par jouer son rôle dans la partition. Je ressors de ma lecture pleine d'émotion et d'admiration pour Clara Lodewick.
Jésus aux Enfers
Que les choses soient claires, je ne suis pas particulièrement intéressé par les questions religieuses. Je ne suis catholique que par baptême et ne crois pas en l’existence d’un dieu, surtout pas celui auquel on m’a demandé de croire, vous savez, le vieux type à barbe blanche pas toujours sympa qui promet l’enfer et les flammes à quiconque s’écarte du « droit chemin ». La Bible a toujours été pour moi un conte destiné aux enfants dociles, une fiction truffée de propos culpabilisants, rédigée sur plusieurs siècles d’après des rumeurs et dont on ne connaît même pas les auteurs, souvent utilisée par ses promoteurs pour domestiquer les esprits et asseoir leur pouvoir. Je caricature peut-être mais globalement, c’est ainsi que je vois les choses. Je pense pourtant être ouvert d’esprit mais ce pavé qu’est la Bible m’a toujours paru rébarbatif et quelque peu obscur. Je ne la connais que par les citations entendues çà et là, notamment à l’église lorsqu’enfant on m’obligeait à assister à la messe. J’ai cependant voulu tenter ce « Jésus aux Enfers », peut-être parce qu’au fond de moi, l’enfer m’a toujours interrogé voire un peu effrayé (on n’échappe jamais totalement à son éducation), mais également en raison de son volume beaucoup plus raisonnable (120 pages !). Comme il le dit en préface, Thierry Robin a toujours « caressé le projet de raconter (…) l’aventure de l’écriture des Evangiles ». C’est lors de travaux préparatoires qu’il a découvert l’évangile de Nicomède, où est raconté la descente aux enfers de Jésus. Mais curieusement, cet évangile semble avoir été délaissé, considéré comme fantaisiste et peu crédible… Paradoxalement, il est pourtant évoqué dans le fameux Credo, récité par les Chrétiens du monde entier, de façon brève certes, mais au final, bien malin celui qui arriverait à interpréter avec précision cette « sainte écriture », qui ouvre la voie à toutes les spéculations. C’est ainsi que Thierry Robin s’est emparé de ce « passage silencieux de trois jours », attiré par les éléments fantastiques de l’évangile en question, mais aussi par le portrait inédit et plein d’humanité qui a été fait du Christ. Pour un mécréant comme moi, qui n’avait retenu que la fable de la crucifixion, mais se mélangeait les pinceaux dès qu’on lui parlait de Pâques ou de l’Ascension, qui à mes yeux représentaient surtout un jour de repos pour le salarié que je suis (rare point positif pour lequel je peux me dire reconnaissant envers la religion), je dois avouer que ce récit a clarifié pas mal de choses, dont par ailleurs je m’étais toujours contrefoutu comme de ma première communion. Thierry Robin a réussi là quelque chose de peu ordinaire. Il a élaboré une œuvre moderne à partir de « textes sacrés » tombés dans l’oubli, textes qu’il a rendus compréhensibles au commun des mortels, sans aucune volonté de les tourner en dérision, et sans pour autant apparaître ringard. « Jésus aux Enfers » se lit comme une BD fantastique, alliant mythologie et heroic fantasy… Avec un graphisme tout à fait conforme aux codes du genre, l’élégance et la finesse du trait en plus, l’auteur nous offre une mise en page très variée et souvent spectaculaire, avec une belle utilisation du noir et blanc pour les clair-obscur. Abbadon, le gardien des enfers est représenté comme un ninja, et Satan ressemble à s’y méprendre à Nosferatu. Les démons apparaissent tels des trolls polymorphes tout droit sortis du « Seigneur des anneaux », dans un décor évoquant peu ou prou la Moria. Bien sûr, les échanges demeurent plus biblico-philosophiques que physiques, mais la lecture n’en est que plus fascinante, Thierry Robin n’a pas non plus cherché à la jouer blockbuster en mode bourrin, loin de là. La rencontre finale entre Jésus et Satan est saisissante et fait presque froid dans le dos, même si Satan est dépeint de manière plutôt humaine (rappelons au passage qu’il est un ange déchu, un peu comme le fut Darth Vador avant de passer du côté obscur). On n’est donc pas obligé d’être érudit en « sciences des religions » pour apprécier « Jésus aux Enfers », et encore moins croyant ou pratiquant. La preuve en est que j’ai passé un bon moment avec cette lecture très instructive, qui je tiens à le préciser, n’a pas remis en cause mon opinion sur le christianisme — même si je reconnais le bien-fondé du message christique qui hélas n’a jamais été vraiment appliqué par nombre de ses adeptes ni empêché les guerres de religion — mais aussi toutes les religions dans leur ensemble.