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Par Présence
Note: 4/5
Couverture de la série Texas Jack
Texas Jack

Ces grands horizons font perdre le sens des distances. - Ce tome contient une histoire complète, qui peut se lire comme indépendante de toute autre. Sa première édition date de 2018. Il a été réalisé par Pierre Dubois pour le scénario, et par Dimitri Armand pour les dessins et les couleurs. Il comprend cent-vingt pages de bande dessinée. Il fait suite à un premier album dont les événements se déroulent chronologiquement après : Sykes (2015) réalisé par les mêmes auteurs. Dans une grande plaine du Wyoming, qui longe un cours d’eau, un groupe de bandits chevauche, avec à sa tête Gunsmoke. Il leur annonce qu’il est temps d’y aller. Dans le village à quelques centaines de mètres, devant l’église en bois, un groupe d’une vingtaine de colons s’est réuni pour fêter un baptême. À l’issue de la cérémonie, ils s’apprêtent à s’installer à la longue table qui a été dressée en plein air. Dans une grande salle à manger, le riche propriétaire terrien et homme politique Roy Passendale a pris la parole devant un groupe de ses pairs. Il utilise un ton ferme et péremptoire. Il déclare : Il faut frapper fort, frapper partout en même temps, semer la terreur. Chasser une fois pour toutes ces misérables colons de leurs terres ! Détruire les petites parcelles pour étendre des exploitations à grande échelle, et… Un des convives l’interrompt et demande : Mais… La loi ? Passendale reprend : La loi ?! Il est la loi ! On les couvre en haut lieu. Eux les barons ont la charge d’une mission : celle de valoriser au mieux les ressources de ce pays, pour l’enrichir, le moderniser… D’y amener le chemin de fer, la civilisation, d’y créer des villes… De faire prospérer une terre hier encore sauvage ! De bâtir un état ! Un autre homme l’interrompt : il suppose que leur hôte sera le gouverneur dudit état. Ce dernier le confirme : il y compte bien, et il compte aussi les enrichir tous. Y a-t-il une objection ? Un troisième prend la parole : Bien au contraire, ils sont tous avec Passendale, ils le suivront, ce qu’ils ont déjà prouvé en lui versant chacun leur fonds. Le riche propriétaire attire leur attention sur le fait qu’ils doivent considérer leurs fonds comme d’excellents placements. Il continue : on ne peut pas faire d’omelette sans casser des œufs. Il y a des frais, des gros frais, des pattes à graisser, des investissements, et pas des moins moindres, une milice de professionnels à gérer, à payer… Un autre prend la parole, estimant qu’il s’agit de tueurs qui se font payer très cher ! Passendale lui répond avec emportement : Qui d’autre son interlocuteur propose-t-il pour se taper le sale travail ? Pour chasser les fermiers, détruire leur bétail, incendier, ravager les cultures, tuer quand il le faut ? On ne sème pas la terreur rien qu’avec des grimaces… Mais si son interlocuteur les trouve trop chers, qu’il y aille lui-même. Le groupe le payera en conséquence, s’il ne craint pas la poudre et le sang, ni de s’enfoncer dans la boue jusqu’au cou ! Devant le recul de l’autre, il poursuit : Ils ont besoin de cette main d’œuvre, une armée efficace qu’ils peuvent diriger dans l’ombre pour parvenir à leurs fins. D’ailleurs leur chef viendra bientôt les rejoindre. S’il a lu Sykes des mêmes auteurs, le lecteur découvre donc un personnage auquel il y est fait allusion, et il en retrouve les principaux personnages, jouant ici les seconds rôles. Ce tome peut également se lire sans avoir lu Sykes, et même en faisant comme si on ne l’a jamais lu. Le récit forme une histoire d’un seul tenant avec une fin propre, sans sensation de devoir lire une suite. Le lecteur se plonge dans un récit de genre, un western en bonne et due forme, avec les conventions de genre qui y sont associées. Il commence par être le témoin involontaire d’un massacre d’une poignée de colons, tués par des professionnels à la solde de riches propriétaires terriens. Il assiste ensuite à un spectacle de haute voltige dans un cirque, mettant en scène une attaque de diligence. Par la suite, il chevauche avec les personnages sur de longues distances à travers des plaines, en passant un défilé rocheux, en subissant même le passage d’une tornade, en s’arrêtant dans des saloons et auberges… jusqu’à même ce cliché éculé, ce deux ex machina éhonté qu’est la cavalerie qui arrive toujours à l’heure pour sauver tout le monde. L’artiste aime tout autant cette région du monde à cette époque. Son plaisir à représenter l’Ouest sauvage et les cowboys s’avère communicatif : les grandes étendues à perte de vue, les étroits chemins de montagne en surplomb, les modestes saloons comme les hôtels de plus grande ampleur, tout en bois, les tenues vestimentaires d’époque, et les armes à feu. L’illustration de couverture fait dans le classique : un héros pistolets au poing, prêt à en découdre, et un grand méchant dans l’ombre, sans aucun décor. Il y a un peu de ça dans l’intrigue entre le héros au cœur vaillant, et le tueur assumant sa nature et ses actes, sans regrets ni état d’âme. De temps à autre, le lecteur se dit que l’artiste aime se reposer sur des constructions simples et des cases évidentes : succession de gros plans sur la tête de personnages en train de parler, illustration en pleine page ou en double page pour rendre un moment plus spectaculaire ou plus tragique, usage de très gros plans permettant de s’affranchir de dessiner un décor derrière, larges panoramiques avec les personnages de profil donnant l’impression de parcourir la case de gauche à droite, dans le sens de la lecture, pour accentuer le mouvement et la majesté du paysage naturel, etc. Le lecteur s’adapte à ces prises de vue attendues. Il se fait également la remarque que pour les discussions, les personnages sont assez bavards, le scénariste mettant ainsi le dessinateur dans l’obligation de recourir à de petites cases focalisées sur celui qui a la parole. Quant aux paysages en plan large : c’est ce que le lecteur attend et l’artiste les dose parfaitement, entre des petits personnages, le rapport en contours encrés et nature en couleur directe. Comme le fait observer un personnage : Ces grands horizons font perdre le sens des distances. En outre, il s’avère que le dosage de ces ingrédients fait ressortir la personnalité des auteurs, dans le choix de ce que représente l’artiste, dans la durée des séquences. Par exemple, la pluie diluvienne ne dure que le temps d’une page, les auteurs privilégiant le récit à la contemplation de ce qu’ils auraient pu faire durer sur plusieurs pages. Rapidement, le lecteur apprécie à sa juste valeur la qualité narrative des planches. La quinzaine de colons réunit autour d’une grande table à l’extérieur devant l’église : une construction toute simple rappelant le peu de moyens de personnes qui viennent de s’installer, le naturel de cette occasion de fête, l’organisation concrète et pragmatique, tout ça en une page de sept cases. Il suffit d’une case dans la suivante pour constater le formalisme de cette dizaine d’hommes autour d’une table richement dressée dans une grande demeure. Cela dépasse l’effet de contraste : ça en dit beaucoup sur les individus, leur statut social, leurs motivations. Le lecteur se voit conforté dans son ressenti quand il se rend compte que la case avec les verres qui s’entrechoquent en page treize répond à celle en page six où deux colons font tinter leurs verres. Puis vient le massacre : une mise en scène factuelle et méthodique, pour montrer l’efficacité de ces meurtriers dont les actions dépourvues d’émotion finissent par soulever le cœur du lecteur. Vient alors le numéro de cirque sous un immense chapiteau : une leçon de narration visuelle, avec des découpages conçus spécifiquement pour chaque moment, jusqu’au numéro final dans une page muette, et deux cases en biseaux pour mieux mettre en relation la cause et la conséquence. La forte pagination fournit la place nécessaire pour raconter une histoire qui s’avère dense. Les nombreux visuels produisent également un effet cumulatif : le dessinateur approche chaque moment de manière prosaïque, ce qui apparaît au lecteur comme des descriptions factuelles, presque un reportage de faits et de comportements plausibles, un réalisme qui s’impose comme une évidence, qui nourrit chaque personnage au-delà de leurs simples faits et gestes. La narration assez dense du scénariste génère le même effet. Il peut ainsi se permettre d’utiliser des clichés éculés, car l’épaisseur des personnages et le détail des circonstances leur rendent de la plausibilité, et ils font sens. Même ce dispositif de la cavalerie qui arrive au dernier moment, juste à temps pour sauver les uns et les autres fonctionne : avec deux phrases, l’auteur rétablit la concordance des fils temporels, et toutes les circonstances banales et normales vues précédemment concourent à montrer que cette arrivée providentielle découle logiquement de ce qui a précédé, plutôt que de sortir d’un chapeau et de survenir comme un cheveu dans la soupe. Il en va de même pour cet acte de vengeance survenant des dizaines de pages plus tard car c’est un plat qui se mange froid (un autre cliché). Le lecteur suit avec grand plaisir cette mission improbable pour Texas Jack : faire fructifier sa notoriété pour galvaniser la populace et lui insuffler le courage de se rebeller contre les pillards qui terrorisent la région. De temps à autre, le lecteur se surprend à s’interroger sur un rapport entre deux éléments, ou sur une situation à la portée symbolique. À l’évidence, l’expérience de la réalité concrète des territoires sauvages du Wyoming s’oppose à la pratique de spectacle artificiel sous le chapiteau d’un cirque, entre le vécu des colons, et la mise en scène des artistes. Le lecteur peut voir un écho de ce contraste également lorsque la petite équipe de Texas Jack (Amy O’Hara, Ryan Greed, Kwakengoo et lui-même) se retrouve sous une pluie battante, par comparaison à la protection de la toile du chapiteau. Le scénariste développe ce thème de manière plus subtile et plus iconoclaste quand l’Amérindien Renard Gris et l’Afro-américain Kwakengoo constatent qu’ils accordent des valeurs très différentes aux pratiques de leurs ancêtres. Ces moments fugaces font également réfléchir le lecteur à la valeur à accorder, ou l’interprétation à donner à la présence du Marshal Sykes (homme mû par un profond besoin de justice véritable, ou héros trop beau arrivant au bon moment), Saül Gunsmoke en méchant d’opérette ou en individu animé par un mélange de besoin de revanche et de désir de réussite à faire légitimer par la société ? Le lecteur voit également comment la réalité se nourrit de la fiction (la légende de Texas Jack pour galvaniser les colons), et la fiction se nourrit de la réalité (le spectacle racontant de manière édulcorée et flatteuse sa mission contre Gunsmoke). Il se dit qu’il peut aussi y voir un récit aux accents psychologiques, avec le réflexe conditionné de Texas Jack de tirer sur des cibles mouvantes, mais aussi son blocage face à des cibles humaines. Ainsi de réflexions en idées, il prend conscience de la nature polymorphe des interprétations de ce récit. Fallait-il vraiment une extension au récit ayant constitué la première collaboration de ces auteurs, avec de personnages récurrents ? Cette question quitte bien vite l’esprit du lecteur qui profite des paysages naturels, du grand Ouest, des codes Western bien mis en scène et retrouvant du sens, de la narration visuelle à la fois iconique, à la fois personnelle. Il se laisse donc troubler par ces grands horizons, ressentant peu à peu que les événements se prêtent bien à une comparaison entre réalité de la vie des colons et artifice des spectacles de Texas Jack, puis à d’autres réflexions plus élaborées sur l’ambition, les valeurs, le code moral, le sens. Épique et intime.

09/08/2025 (modifier)
Couverture de la série FolkLore
FolkLore

La série est pour le moment incomplète (seuls deux tomes sont sortis et d'autres sont censés arriver) mais ce n'est absolument pas grave : il s'agit là d'une série de récits anthologiques. Chacun des albums est indépendant et peut se suffire à lui-même. Ce qui unit ces récits, c'est d'abord un univers commun, un monde peuplé d'animaux anthropomorphiques et possédant de nombreuses cultures marquées (et fortement inspirées de cultures de notre monde à nous), mais surtout le sujet de fond de ses récits, à savoir celui de parcours initiatiques. Dans ce monde, chaque jeune personne reçoit un jour sa clé, invitation magique à rejoindre la grande cité de Babel pour y découvrir et/ou accomplir son destin. La métaphore est à peine voilée, ici on nous parle surtout du poids de l'avenir lorsque l'on est jeune, du conflit entre ses rêves et ses devoirs, du chemin que l'on se trace soi-même, des surprises que l'on n'attendait pas, … bref, cette série a l'ambitieux projet de parler de l'importance et du pouvoir que l'on possède lorsque l'on est jeune et que notre avenir est encore à déterminer. Les deux premiers albums sont bons, les protagonistes sont attachants (tant Gayatri pour ses rêves et sa sincère bonne humeur qu'Ascelin pour sa ruse et son sincère désir de réparer une vieille blessure familiale), le texte est beau, les références et les bons-mots fusent du tac-au-tac, les dessins sont de très bonnes factures (même si le trait de Lionel Richerand m'a demandé un petit temps d'adaptation), … Oui, c'est du bon. La série, en plus d'être accessible et intéressante à tout âge, est surprenamment juste et touchante. Chaudement recommandée de mon côté.

08/08/2025 (modifier)
Par Canarde
Note: 4/5
Couverture de la série Le Château - Une année dans les coulisses de l'Elysée
Le Château - Une année dans les coulisses de l'Elysée

Je serai plus enthousiaste que mes confrères, en grande partie parce que le sujet me fascine : l'exercice du pouvoir au quotidien. Une suite ininterrompue de corvées protocolaires qui n'ont rien à voir avec les ambitions politiques affichées lors des campagnes électorales. La place de président est finalement plus proche de celle de la reine d’Angleterre, qui incarne la continuité de l’État mais ne se mêle pas de construire une politique cohérente. C'est à la fois frustrant est rassurant. Si la constitution était respectée ce serait bien le premier ministre qui se chargerait de la mise en oeuvre de la politique. Mais pourtant ce n'est pas le premier ministre qui est élu...c'est là le Hic. Bref cette BD montre une sorte de vanité du pouvoir, très coûteuse en ressources humaines, et proche de la cour de récré. Mais c'est dans les détails que la spécificité française apparait et je ne vous les dévoilerai pas parce que cela enlèverait tout le sel de la lecture. C'est très roboratif, beaucoup de dialogues, beaucoup de détails à observer... J'ai été absorbée plusieurs heures sans lâcher l'album. La mise en scène , habituelle chez Sapin, où il se représente dans un coin avec les pensées qui le traversent sur le moment, nous rendent la chose proche, mais pas pour autant désirable. C'est pour ça que certains trouvent cela froid. En effet dans ce monde politico-médiatique il est difficile de se lier vraiment, cela pourrait vous être reproché. Chacun reste autant que possible sur ses gardes en la présence du dessinateur et cela transparait, mais cela peut aussi échapper, sur 6 mois... C'est le jeu. On ne sait pas finalement si ce livre parle de nos institutions politiques ou s'il observe un périmètre socio-temporel comme un autre : cela m'a fait pensé à "la maison ronde" de Charlie Zanello qui observe Radio-France, mais honnêtement c'est plus intéressant ici , et c'est le savoir-faire de l'auteur qui fait la différence, par son dessin et par sa capacité d'observation, le choix des dialogues, la manière dont les personnages sont campés. Mais attention ! c'est comme pour Catel et son dispositif documentaire du portrait de personnage féminin, cela a beau être très bien fichu et efficace, au bout de trois fois, on s'en fatigue... Pour le comparer au Quai d'Orsay de Blain, c'est différent. Blain a ce mouvement du dessin qui fait corps avec les personnages et fictionnalise déjà par le dessin le cours des évènements. Son ministre des affaires étrangère est présenté comme un surdoué virevoltant, et tout le monde doit se comporter en réaction à ses désidérata. Ici Hollande, et tous les personnages représentés sont particulièrement normaux et "au boulot", presque à égalité, si ce n'était les horaires de travail...

06/08/2025 (modifier)
Par Canarde
Note: 4/5
Couverture de la série Une Soeur
Une Soeur

Juste après avoir relu Cet été-là de Jillian et Mariko Tamaki qui traite un peu du même sujet de l'adolescence qui pointe son nez pendant des vacances en bord de mer, c'est intéressant de lire une sœur, de Bastien Vivès. L'un présente deux filles qui s'ennuient pendant les vacances et la plus grande commence à s'intéresser aux garçons, c'est long, c'est pleins de détails psycho familiaux, alors que l'autre album présente deux frères tout sages (toujours à dessiner sur la table de la cuisine) qui doivent accueillir pendant une semaine de leurs vacances une très belle adolescente dans leur chambre. Une approche de long bain tiède entre la légèreté et la tristesse d'un coté et de l'autre un court récit d'intrusion de la sexualité dans la vie d'un jeune homme qui n'était pas demandeur. Chez Vivès, c'est la jeune fille qui se sert un peu du garçon (Antoine) comme d'une doublure, pour essayer et avoir moins peur de "le faire" avec un garçon de son âge. Et ce coup d'essai pour elle est un viol pour lui. N'est-il qu'un objet sexuel ou pas ? Tout ceci est présenté dans une fluidité effrayante, seuls les regards sidérés et enfantins d'Antoine laissent entrevoir une cassure qui n'est pas développée. Tout est très rapide et silencieux. comme d'habitude avec Vivès, les traits économes et les dialogues très justes nous rappellent tellement de situations vécues... Évidemment cet enfant dessinateur et la subtilité des observations (les paroles du petit frère, celles des grands ados inconscients...) tendent à nous faire penser qu'il s'agit d'une situation réellement vécue par l'auteur... Je comprends que les femmes victimes de viol puissent craindre devant toute cette subtilité que le viol fait par une femme ne puisse effacer celui réalisé par les hommes. Mais cela doit être dit. Aussi. Et cela semble expliquer en partie la fascination de Vivès pour ces situations de beauté dans la violence.

06/08/2025 (modifier)
Par Brodeck
Note: 4/5
Couverture de la série L'Île aux orcs
L'Île aux orcs

C'est un récit franchement gore, violent, brutal, mais objectivement il faut reconnaître que pour un trip sous acide, c'est quand même très maîtrisé. :) La colorisation, le dessin pourraient être à première vue repoussants, mais à l'arrivée, ils expriment très bien la saleté, la puanteur, la misère, le fourmillement des cités. Les cadrages sont spectaculaires et le trait vif et dynamique est adapté à ce récit de dark fantasy dont le côté sombre est là aussi bien maîtrisé. C'est brutal, mais très efficace et l'aventure est bien présente. Avis aux amateurs du genre. Un bon 3,5 pour moi, je ne me suis pas du tout ennuyé, un 4/5 si vous êtes un adepte de cet univers, voire plus si affinités.

06/08/2025 (modifier)
Couverture de la série Plein feu sur l'escalope milanaise
Plein feu sur l'escalope milanaise

Je surnote à l’évidence ce petit album. Mais je suis le cœur de cible de ce type d’humour, et le développer sur une histoire complète – en proposant très régulièrement des gags – est un exercice assez casse-gueule, rarement réussi. Malgré l’inégalité de l’ensemble, je me suis bien amusé à suivre ces aventures ridicules, Ami Inintéressant (alias Pascal Galibourg) nous propose là quelque chose de très réussi dans son genre. Son style très minimaliste (il a depuis publié plusieurs albums toujours avec ces bonhommes bâtons) se révèle efficace et n’empêche nullement le lecteur de comprendre histoires et dialogues. Une histoire qui baigne dans l’absurde le plus loufoque, dans la lignée de Fabcaro. Et d’ailleurs ce dernier participe à l’album en intervenant plusieurs fois, dans son propre rôle (voir extrait dans la galerie) pour menacer Ami Inintéressant d’ennuis judiciaires et autres tortures si celui-ci continue de la plagier. Mais en fait Ami Inintéressant développe son propre style – dans les limites imparties par le genre absurde – et s’il y a parfois parenté au niveau de l’humour, ça s’en éloigne aussi rapidement. Un autre spécialiste actuel de l’absurde réussi – Tienstiens – fournit lui une postface en forme de making-of. Résumer l’histoire est difficile et finalement pas très important. Mais elle part donc dans un humour crétin, comme ses protagonistes (surtout un contrôleur de la RATP et une policière), de nombreux gags étant poilants. Ami Inintéressant s’acharne aussi sur Guillaume Musso (en nous livrant en particulier la recette de son succès…) de façon assez jubilatoire. A réserver aux amateurs d’humour con et absurde, avec dessins minimalistes. Mais dans le genre, c’est assez drôle. Note réelle 3,5/5.

06/08/2025 (modifier)
Par PAco
Note: 4/5
Couverture de la série Le Dernier Jour de Howard Phillips Lovecraft
Le Dernier Jour de Howard Phillips Lovecraft

Acheté sur le stand de l'éditeur à Angoulême en début d'année, ce n'est que pendant mes vacances de cet été que j'ai enfin trouvé le temps de lire cet album. Pour commencer on remarquera et on appréciera la qualité portée à l'objet. Les éditions 404 nous gâtent et nous régalent ! Ajoutez à cela le graphisme fantasmagorique de Jakub Rebelka qui se prête si bien à l'univers halluciné de H. P. Lovecraft et nous voilà parti pour suivre cette dernière journée que lui prête Romuald Giulivo. Alors oui, les fans de l'auteur se sentiront moins perdus ; avoir des références en littérature fantastique donne d'avantage d'éclairages également. Car les références et auteurs du genre sont nombreux dans cette dernière journée fantasmée, mais sans tomber dans le pompeux ni le catalogue. C'est finement amené et souvent peu amène envers Lovecraft. On ne peut pas dire que ses travers soient cachés sous le tapis, bien au contraire ; c'est d'ailleurs l'une des forces de cet album de tendre ce miroir sans complaisance à l'auteur, l'autre résidant dans cette démonstration d'une certaine forme d’immortalité qu'acquièrent certains auteurs à travers leur œuvre. Et c'est là toute la singularité et le jeu que construit le scénariste, car Lovecraft n'aspirait plus qu'au néant et à l'oubli ! Un album envoutant qui ravira les amateurs de Lovecraft et saura certainement séduire les néophytes curieux.

06/08/2025 (modifier)
Par Josq
Note: 4/5
Couverture de la série Monster Club
Monster Club

Une note légèrement supérieure à ce que je pense réellement de ces deux tomes, mais l'évolution se fait dans le bon sens, donc j'arrondis la note au supérieur. Encore loin de la finesse de son merveilleux Le Baron, Masbou montre toutefois qu'il est capable d'écrire une histoire débordant de personnages. Peut-être un peu trop d'ailleurs, car certains manquent légèrement de développement, mais il parvient à orchestrer toute une intrigue et des scènes d'action de manière fort cohérente pour un nombre de personnages particulièrement élevé. Il est alors dommage que la qualité des dessinateurs ne suivent pas tout à fait celle des scénarios. Leprévost et Faw ne déméritent pas, mais leur dessin manquent de la finesse qui aurait conféré au récit l'ampleur nécessaire. Cela gâte un peu la dimension épique, mais on goûte quand même avec beaucoup de plaisir la dimension Jules Verne/Conan Doyle de ces deux tomes savoureux. Le récit et l'humour étant mieux rodés dans le deuxième tome, on regrette d'ailleurs que cette saga n'ait pas continué après Décapodes et veilles lanternes (surtout quand on commence à mieux connaître les personnages), mais en l'état, ça se lit et relit agréablement, tout en étant conscient qu'on n'est pas là dans le genre de BD qui va marquer l'histoire du genre.

04/08/2025 (modifier)
Par Blue boy
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Caballero Bueno - Une enquête de l'inspecteur Valverde
Caballero Bueno - Une enquête de l'inspecteur Valverde

Quelle belle trouvaille de la part des auteurs d’avoir conçu une enquête policière se déroulant sur l’île de Pâques, une petite île au bout du monde connue d’abord pour ses célèbres statues monumentales, les moaï ! Mais ici, ces vestiges de la civilisation autochtone n’apparaîtront qu’en toile de fond, spectateurs silencieux d’un crime sordide d’une violence inouïe. La victime, un notable anglais résident sur l’île à la tête d'un élevage de chevaux, n’avait pourtant aucune raison d’avoir des ennemis. Selon les informations recueillies par l’inspecteur Valverde, Anthony Wilcox semblait être le gendre idéal, bien sous tous rapports et apprécié par l’ensemble des habitants, qu’ils soient pascuans ou chiliens. Alors qui pourrait être à l’origine du meurtre ? Valverde va vite comprendre que l’accusé, d’origine autochtone, est innocent, même si son apparente folie et une certaine agressivité comportementale ne jouent guère en sa faveur… L’inspecteur va d’abord se heurter à l’hostilité du gouverneur, qui accepte mal cet « intrus » ami du président chilien missionné pour résoudre cette affaire… Captivant et très bien ficelé, le scénario, dans sa tonalité hitchcockienne, joue sur la lenteur tout en maintenant le mystère jusqu’au dénouement, avec une galerie de personnages qui va défiler sous le regard patient et acéré de l’inspecteur Valverde… Des personnages pour la plupart très bien campés, à commencer par Valverde lui-même, un homme qui malgré sa morgue apparente de départ, va révéler ensuite des qualités contradictoires avec son statut, celui d’agent gouvernemental de la police précédé par une réputation d’enquêteur impitoyable avant qu’il ne débarque sur l’île… Mais au-delà de l’intrigue policière, c’est une autre grille de lecture que nous proposent les auteurs : un condensé de l’histoire coloniale d’un pays, le Chili, héritage des conquistadors qui s’emparèrent d’un continent de la manière la plus brutale, tout comme l’île de Pâques — même si elle se trouve à 3500 km de la côte —, et consécutivement une dénonciation du traitement indigne infligés aux populations natives qui perdura jusqu’au XXe siècle. Pour concevoir son scénario, Thomas Lavachery s’est inspiré du témoignage de son grand-père, qui avait séjourné sur l’île en 1934 lors d’une mission archéologique, comme il l’évoque en post-face. Celui-ci s’était dit hanté à jamais par le fait divers évoqué dans le livre (dont je ne peux rien dire au risque de gâcher la surprise du dénouement). C’est ainsi que l’on découvre une communauté autochtone sous la domination des colonisateurs. Les Pascuans (gentilé des habitants) sont exploités pour les tâches subalternes, relégués dans des habitations de fortune. Et lorsqu’ils sont contaminés par la lèpre qui à cette époque faisait des ravages dans les pays tropicaux, ils sont confinés et entassés dans une léproserie qui n’est rien d’autre qu’un taudis humide, tandis que les colons blancs jouissent du plus grand confort. Les dialogues possèdent une belle qualité littéraire pour des personnages très incarnés. Il y a évidemment l’inspecteur, impressionnant par sa stature mais aussi par son extravagance et son érudition, mais tous celles et ceux qui vont graviter autour de lui durant son séjour sur l’île, les plus marquants étant la jeune et jolie archéologue Miss Burnett, au fort tempérament, et le docteur Giraldo, dandy un brin sarcastique et désabusé. Thomas Gilbert a su leur donner un visage en phase avec leur personnalité, d’une expressivité éloquente. Son trait semi-réaliste et maîtrisé s’accorde bien avec la mise en page dynamique et un cadrage bien étudié. Les couleurs oscillent entre une certaine sombreur et une clarté désaturée pour les scènes extérieures, imprimant une ambiance en phase avec le propos doux-amer de ce polar sociologique. Du beau travail ! Le duo Lavachery-Gilbert semble avoir bénéficié d’une bonne alchimie, ce qui se ressent à la lecture de « Caballero Bueno ». Les deux auteurs ont d’ailleurs déjà collaboré pendant plusieurs années sur la série jeunesse « Bjorn le Morphir », dans le registre de l’heroic fantasy. L’univers de Thomas Gilbert est quant à lui assez unique, et chacune de ses publications ne manque jamais de susciter la curiosité. Indéniablement, ce dernier opus est une totale réussite.

04/08/2025 (modifier)
Par Ro
Note: 4/5
Couverture de la série Les 3 Quêtes d'Hypercondrie (Fuzz et Fizzbi)
Les 3 Quêtes d'Hypercondrie (Fuzz et Fizzbi)

Une série de fantasy issue de la vague des années 90, que j'avais jusque-là laissée de côté, en partie à cause du dessin de Ciro Tota, dont le style ne m'a jamais vraiment séduit. Son trait me paraît trop froid, sans que je puisse dire exactement pourquoi, et ses visages me rebutent un peu. En revanche, j'ai été agréablement surpris par la qualité des décors dans cette série : ils sont soignés, détaillés, et contribuent bien à l'atmosphère. Comme l'annonce le titre de l'intégrale, il ne s'agit pas d'une véritable trilogie au sens narratif du terme, mais plutôt de trois aventures distinctes se succédant, chacune tenant en un album. Ce découpage fonctionne bien, car il correspond parfaitement au ton léger et dynamique de l'ensemble. On est ici dans une fantasy assez typique de son époque : un univers médiéval fantastique mâtiné d'humour, de jeux de mots (particulièrement dans les incantations), sans pour autant tomber dans la parodie ni l'excès de fan-service sexy qu'on retrouvait souvent à la même époque. Cela s'adresse visiblement à un public plutôt adolescent, avec des intrigues simples, des obstacles rapidement surmontés et une narration fluide. Et malgré tout, ça fonctionne. Les personnages sont attachants, l'humour est bien dosé, et même moi qui suis d'ordinaire assez réticent face aux jeux de mots à répétition, j'ai trouvé le ton plutôt plaisant. Ce n'est pas une série marquante, ni bouleversante, mais elle accomplit exactement ce qu'elle promet : un bon moment de lecture, divertissant, sans prétention mais avec sérieux et application. Une petite surprise, honnête et réussie, qui fait mieux que la moyenne de son genre.

04/08/2025 (modifier)