Les derniers avis (31383 avis)

Couverture de la série Exit Wounds
Exit Wounds

Quand je lis les avis précédents , je me rends compte que cette série est clivante. A mes yeux cela fait une partie de son charme. L'autre partie du charme est un scénario que j'ai vraiment trouvé original et bien construit. Toute la narration est centrée sur un personnage assez détestable que l'on ne voit jamais. Ce sont son fils et sa très jeune amante ( 40 ans de différence) qui vont petit à petit découvrir une personnalité kaléidoscope d'un père/amant aux multiples vies. Rutu Modan inscrit son récit dans une ambiance de banalisation des attentats que vit la population d'Israël. C'est souvent cynique comme pour l'épisode de l'institut médico-légal et parfois drôle. La progression de la relation Kobi-Nomi qui va de pair avec les révélations sur Gabriel(le père) dans une sorte de triangle amoureux bancal est très finement proposée par l'auteur. Dans un récit où l'action est quasi inexistante ce qui est un premier paradoxe pour la région, et où la recherche tourne vite en rond, Modan crée une tension à travers les dialogues de Nomi et de Kobi qui relègue l'intérêt pour l'enquête principale au second plan bien qu'elle ressurgisse comme un serpent de mer qui intrigue. En ce sens le final doublement imprévu conclut ou pas un récit qui est resté ouvert tout du long. En fait derrière un aspect simpliste j'ai trouvé ce récit d'une belle intelligence. Le graphisme va dans le même sens d'un certain trompe l'œil. L'aspect ligne claire est presque enfantin. Il y a peu de mouvement générer par des actions violentes et pourtant j'ai trouvé la narration visuelle dynamique et très expressive dans cette ambiance de non-dits où les attitudes corporelles sont le principal langage. Je pousse un peu ma note mais c'est une lecture qui m'a parlé.

23/06/2025 (modifier)
Couverture de la série Enemigo
Enemigo

C'est avec un réel plaisir que j'ai lu ce manga atypique de Jiro Tanigushi. Le scénario conçu par le M.A.T en 1984 est dans la droite ligne des œuvres d'aventure fiction qui cartonnaient au début des 80's. Le récit nous plonge dans un univers à la Rambo en reprenant fidèlement tous les codes imposés. Seule la présence du chien Little John donne une touche d'originalité bienvenue pour pimenter la narration. Quarante années plus tard je ne sais pas si un-e jeune lecteur-trice peut goûter le sel contextuel du récit. En 1980 la guerre froide atteint un nouveau pic (guerre en Afghanistan, boycott des jeux de Moscou puis de L.A).Les révolutions d'Amérique centrales ont le vent en poupe et déstabilisent fortement les USA. Jimmy Carter a subi un affront en Iran et les séquelles morales de la guerre du Vietnam sont encore douloureuses. Dans les pas de Rambo, Enemigo travaille à la résurgence du soldat héros du Vietnam, franc tireur et justicier. C'est quand même très intéressant qu'un studio japonais s'approprie cette thématique. Le scénario renvoie dos à dos les révolutionnaires marxistes et les contras dans l'utilisation de la violence. Le rôle de la C.I.A ou des financements occultes américains sont traités à la marge d'une façon très soft. Un autre point fondamental qui m'a beaucoup intéressé est la non-vision écologique qui soutient le récit. En effet le gentil président du groupe Seshimo se trouve sur place pour collaborer avec le gouvernement à un projet qui vise le progrès et le bien être de la population locale: le déboisement de milliers d'hectares de la forêt hostile et improductive pour y planter des champs de céréales ( au grand dam de la bourse de Chicago). Dix ans plus tard, c'est la Cop de Rio et aujourd'hui plus aucun auteur ne proposerait un tel projet dans le camp des gentils. J'adore ce type de récit qui montre comment les paradigmes et les priorités ( de bonne foi) peuvent changer si vite à notre époque. Enfin je retrouve le dessin très fin et élégant du maître Tanigushi. Un graphisme qui se rapproche beaucoup d'une façon européenne de traiter les personnages ou les contrastes du N&B. Les personnages ne ressemblent pas tous à des ados androgynes, nul besoin de SD pour rendre les expressions variées et le soin des détails pour les extérieurs donne un visuel d'une grande maitrise. Je pousse un peu ma note mais j'ai trouvé une belle richesse de réflexion sur des thématiques qui ont bien évoluées en quarante ans.

22/06/2025 (modifier)
Couverture de la série L'Orfèvre (Lozes)
L'Orfèvre (Lozes)

Quel concept original ! C'est la première fois que je lis un ouvrage qui se lit indépendamment dans les deux sens et dont les histoires se rejoignent. Malheureusement, je rejoins un peu l'avis d'Emka, quelques défauts subsistent malgré tout. Tout d'abord du point de vue visuel, il faut saluer la qualité de ce premier ouvrage d'Aurélien Lozes (qui aura tout de même mis la bagatelle de 10 ans pour le sortir) avec une tranche toilée et deux couvertures en noir et blanc du plus bel effet. Il aurait toutefois gagné selon moi à avoir un papier mat plus en phase avec le dessin au stylo en noir & blanc plutôt qu'un papier brillant, mais c'est affaire de goût... Les visages animaliers des personnages, à la manière d'un Blacksad, sont vraiment magnifiques et très diversifiés mais j'ai trouvé dommage que le reste de leurs corps ne soient pas plus raccords avec l'espèce animalière. C'est ainsi un peu bizarre que des personnages à plumes ou reptiliens aient des mains glabres ou blanches. Par ailleurs, les personnages ont tous la même corpulence... Au niveau des mouvements, on sent également qu'il s'agit du premier ouvrage de l'auteur, certains personnages ayant des poses peu naturelles. En ce qui concerne l'histoire, on a affaire ici à une enquête sombre et violente, l'auteur ne ménageant pas ses héros... La scénographie est vraiment très astucieuse avec ses effets de miroir entre les deux histoires. J'ai par exemple apprécié la description du meurtre d'un personnage à travers les yeux d'un autre personnage caché au sol. Très original. Côté bémol, j'ai en revanche été un peu désorienté par les changements d'époque en cours du récit (mai 68/Guerre 39-45, commune, etc), n'ayant pas compris réellement quel était le but recherché par l'auteur ? Un parallèle avec les deux histoires qui se déroulent dans un espace temps différent puis finissent par se croiser ? De plus, on ne peut pas nier qu'en débutant l'histoire du côté du bouquetin, ça fonctionne tout de même mieux. Malgré tout, l'objectif recherché par l'auteur est atteint puisqu'après avoir lu les deux côté du livre, on se prend à reparcourir l'histoire pour tenter de comprendre comment l'ensemble des événements s'enchainent ou pour identifier les éventuelles incohérences. Une première œuvre originale et pleine de promesse pour la suite, si Aurélien Lozes se prend à vouloir se lancer dans un nouveau projet! SCENARIO (Originalité, Histoire, personnages) : 8/10 GRAPHISME (Dessin, colorisation) : 8,5/10 NOTE GLOBALE : 16,5/20

21/06/2025 (modifier)
Couverture de la série Spider-Man - Fake Red
Spider-Man - Fake Red

Une version originale et touchante de Spider-Man. On suit Yu, un lycéen timide et mal dans sa peau, qui se retrouve propulsé dans le rôle du célèbre héros après avoir trouvé son costume. Ce n’est pas un simple copier-coller de Peter Parker : le manga propose une vraie réflexion sur la peur de ne pas être à la hauteur, l’envie de bien faire, et le poids d’un symbole. Le dessin est propre, expressif, et l’histoire bien rythmée. C’est un bon mélange entre introspection et action. Pas besoin de tout connaître sur l’univers Marvel pour apprécier : c’est une belle porte d’entrée pour les novices comme pour les fans de longue date.

21/06/2025 (modifier)
Par Cacal69
Note: 4/5
Couverture de la série Dynamite Diva - Rumeur mécanique
Dynamite Diva - Rumeur mécanique

Déjanté ! Jasper Jubenvill est un jeune auteur d'une vingtaine d'années, il vit à Vancouver au Canada. Ce comics est le quatrième numéro des aventures de Dynamite Diva, les trois premiers numéros d'une trentaine de pages ont été publié dans un fanzine et celui-ci a été auto-édité, et c'est cet opus que les éditions Ici Même nous propose dans ce magnifique album. Un one shot se suffisant à lui-même. Comme le souligne la première planche, une lecture pour un public averti, un récit inclassable, très très violent avec quelques scènes pornographiques sur fond de thriller. L'histoire se déroule dans l'après guerre, le personnage central est Dynamique Diva, c'est une femme libérée, indépendante, pulpeuse et n'ayant pas froid aux yeux. Elle va se mettre à la recherche d'un serial killer, qui a assassiné une amie, en parallèle de l'enquête policière. De nombreux personnages, ils seront, chacun dans son rôle, à la limite du stéréotype et très bien campés. J'ai particulièrement aimé l'inspecteur Archie, il est homophobe, raciste et misogyne, et devra faire équipe avec une profileuse asiatique lesbienne. Détestable à souhait ! Et évidemment notre tueur en série qui se promène au volant de son taxi en slip et talon aiguille, tout en obéissant à la voix diabolique qui lui dicte ses actes. Je n'en dirais pas plus sur l'intrigue. Un récit au ton décalé, malaisant et trash, et aux nombreuses références, comment ne pas penser à Betty Boop, la ressemblance physique avec Dynamite Diva est frappante, son cache-œil et l'automobile tueuse à deux films de Tarantino, une verge en érection avec une tête de serpent à la place du gland à la bible, et bien d'autres encore. La conclusion cathartique est un excellent contre poids à tout le déchaînement de violence qui s'est abattu précédemment. Une lecture qui demande de la concentration, c'est dense et les sauts temporels tombent comme un cheveux dans la soupe. Une BD qui pousse à la réflexion si on prend le recul nécessaire. La partie graphique est sombre comme l'intrigue. Un noir et blanc dominé par le noir dans un style très underground. La mise en page alterne des planches sous la forme de gaufrier, mais le grand format permet de ne pas perdre en lisibilité, et d'autres plus aérées (mais moins nombreuses). Quelques pages viennent régulièrement couper le récit avec de fausses publicités (dessins ou photos) sur le personnage de Dynamite Diva. Une autre référence... Du très bon boulot. Après le récit principal, un épilogue (Mère ! Mothra !) esquissant une suite possible. Je ne suis pas forcément un adepte du underground, mais pour le coup j'ai bien apprécié. Un album qui ne fera pas l'unanimité.

20/06/2025 (modifier)
Couverture de la série L'Inconnue du bar (Dans la tête de...)
L'Inconnue du bar (Dans la tête de...)

Je découvre l'univers de Jonathan Munoz avec cette inconnue autrice de BD trash sur l'enfance. J'ai eu quelques frissons en débutant ma lecture car je ne suis pas vraiment un adepte de cet humour noir que je trouve destructeur sans faire de réelles propositions en contrepartie. Toutefois la suite de la lecture m'a beaucoup plu. J'ai trouvé très intelligent cette juxtaposition des deux univers ( la BD et le bar) qui s'influencent l'un l'autre. Plus la thématique de l'amour occupe l'espace et moins la violence trash et la vulgarité qui l'accompagne subsistent. C'est comme un effet de vases communicants. L'excellent gag sur les cowboys porte à lui seul la profondeur et la pertinence du message de Munoz. J'ai été d'autant plus sensible à la construction du récit qui prend comme thématique centrale le rapport de l'adulte à l'enfance. Ainsi c'est cette dynamique du récit qui part du violent vers le paisible autour de la vision de l'enfant que j'ai beaucoup apprécié. Personnellement une vraie découverte qui dépasse l'humour cynique vers d'autres propositions. Une belle lecture.

20/06/2025 (modifier)
Par Présence
Note: 4/5
Couverture de la série Putzi
Putzi

Le paon est de retour. Il ne marche plus, il vole. - Ce tome contient un récit de nature autobiographique, réalisé à partir du roman de Thomas Snégaroff : Putzi: Le pianiste d'Hitler (2020) qui a reçu le prix Prix Jean-Lacouture en 2022. Son édition originale date de 2024. La bande dessinée a été réalisée par Louison (Louise Angelergues), pour l’adaptation, les dessins et les couleurs. Il comprend cent-trente-huit pages de bande dessinée. Il s’ouvre avec une préface rédigée par Snégaroff évoquant son émotion à voir ses images mentales prendre vie, ses longues journées dans les archives à Munich et à Washington, le vertige de honte ou d’inquiétude, éprouvé par la dessinatrice en enchaînant les croix gammées et en prenant plaisir à dessiner les traits gargantuesques de Putzi. Il conclut en disant qu’il ne sait toujours pas si cet homme fut un monstre ou clown, et il laisse le lecteur être happé par ce destin qui éclaire, à sa manière, ce siècle de bruit et de fureur. Fraternité. Ernst Hanfstaengl est dans l’entrée dans sa maison. Il met son chapeau sur la tête et il endosse son manteau. Il vérifie son apparence dans le miroir et il sort avec son invité : Adolf Hitler. L’année 1924 s’achève. Quelques jours plus tôt, Hitler a été libéré de la prison de Landsberg. Il n’y a purgé qu’une infime partie de sa condamnation après le piteux échec du putsch de la Brasserie en novembre 1923. On lui interdit de prendre la parole en public. Que lui importe la liberté dans ces conditions ? À peine libéré, il s’est rendu chez les Hanstaengl, Ernst et Hélène. Putzi, le surnom d’Ernst, est l’un des fidèles d’Hitler. Sa visite le comble. C’est lui qui a été choisi, et pas l’un des incultes qui gravitent autour d’Hitler. Mais il n’est pas dupe. Il sait que son ami n’est pas venu uniquement pour lui. Hitler nourrit une passion pour Hélène. C’est par elle que le Führer est devenu, dès le début de 1923, un de leurs invités les plus réguliers. Après un meeting qu’Hitler avait tenu au cirque Krone de Munich, Putzi lui avait présenté son épouse. Les yeux plantés dans ceux d’Hélène, le dirigeant politique avait accepté l’invitation à dîner d’Hanfstaengl. Depuis, leur demeure était devenue un foyer de substitution. Il y passait de longues soirées à monologuer sur la renaissance de l’Empire allemand. Ou encore à jouer avec le petit Egon. Il lui racontait ses souvenirs de la Première Guerre mondiale en imitant le bruit des canons… tout en jetant des regards furtifs à Hélène. Putzi n’était pas jaloux. Il avait vite compris qu’Hitler était incapable de céder à la tentation. Les contacts physiques le dégoûtaient. Des années plus tard, après avoir malgré tout cherché à lui trouver une femme, Putzi confiera à des amis : Hitler est asexuel. Mais là n’était pas la seule raison de son absence de jalousie. Le fait que Putzi n’aimait pas cette femme épousée en toute hâte en 1920, parce que, à son âge, il fallait bien se marier. À en croire Hélène qui aimait beaucoup Hitler, celui-ci lui devait la vie. Durant la nuit du 8 novembre 1923, le putsch de la Brasserie avait été un échec pour le dirigeant. Pire, ce fut un bain de sang. Il fut blessé. Putzi, lui, avait été prévenu en chemin qu’il devait se mettre à l’abri. S’il se renseigne au préalable sur Ernst Hanfstaengl (1887-1975), le lecteur apprend qu’il s’agit d’un homme de la haute société munichoise, devenu cadre du parti national-socialiste (NSDAP), chargé des relations avec la presse étrangère, et qualifié de pianiste d’Hitler. Il a été surnommé Putzi, ce qui signifie petit homme, par dérision puisqu’il mesurait 1,93m. L’adaptation se fonde essentiellement sur le texte original de la biographie : c’est-à-dire que court le flux du narrateur omniscient dans des cartouches de texte. Pour autant, l’adaptatrice a pris le parti de faire la plus grande place possible aux dessins avec des illustrations en pleine page (au nombre de trente-huit), voire en double page (au nombre six), et majoritairement des découpages de planche en trois cases de la largeur de la page (à l’exception de sept pages). La couverture donne un aperçu des partis pris graphiques de l’artiste. Le lecteur fait donc connaissance avec le personnage principal dès la troisième planche. Son visage présente un énorme menton en galoche. Le lecteur remarque également son regard doux, un peu perdu dans ses pensées. Puis il boutonne son manteau et ses doigts apparaissent bien propres, et un peu épais par rapport aux boutons. Il arbore un sourie d’autosatisfaction un peu fat. Plus tard, ses lunettes lui donnent une apparence un peu perdue. En fait, s’il ignore qu’il s’agit de l’adaptation d’un livre, le lecteur apprécie la narration visuelle et sa qualité aérée, sans ressentir qu’il puisse s’agir d’extraits de livre. Il ressent l’effet du narrateur omniscient, apportant un point de vue sur la personnalité de cet individu à la vie hors du commun, ainsi que le jugement de valeur qu’il contient. Sa représentation aux caractéristiques physiques légèrement exagérées fait sens : au vu de sa stature, il ne peut que ressortir par rapport à n’importe qui d’autre. En 1924, Adolf Hitler a trente-cinq ans : en page neuf, il apparaît plutôt comme un bel homme, avec sa mèche caractéristique bien fournie, et sa petite moustache un peu plus large, ce qui lui fait un visage agréable, avec une silhouette bien dessinée dans son costume. Il apparaît pour la dernière fois en page quatre-vingt-sept, cette fois-ci en uniforme avec des traits plus tirés et un visage plus dur, beaucoup moins sympathique. Le romancier évoque cette situation assez particulière : celle de la dessinatrice ayant la sensation de braver un interdit en dessinant autant de croix gammées dans ses planches, et en représentant autant de fois le Führer. En fonction des pages, il peut s’apparenter à un enfant en colère, ou à un individu énigmatique et malveillant. Les autres personnages présentent une personnalité graphique moins forte : Helene Hanfstaengl une simple jeune femme prévenante, les enfants sympathiques et remuants, un nombre de personnages secondaires et de figurants très réduits, la majeure partie des pages ne comprenant que Putzi. Lors d’un repas avec Winston Churchill, on aperçoit uniquement le bas de son visage, et son cigare bien sûr. Ainsi le personnage principal ressort à la fois par les observations du narrateur omniscient, à la fois par sa présence dans toutes les pages sauf huit. Quatre dans lesquelles le récit se focalise sur ce moment décisif entre Hitler et Helene Hanfstaengl. Quatre autres qui correspondent à un petit mot laissé par Eva Braun (1912-1945) à l’attention de son futur amoureux, une autre où le chapeau de Putzi dérive dans l’océan, une où le corps du Führer se calcine dans l’incendie, et une dernière où il ne reste que ses lunettes posées sur la table. Tout du long l’artiste représente les environnements et les accessoires avec consistance, et de temps à autre une pointe d’humour discret. Ainsi le lecteur découvre l’intérieur du riche pavillon de la famille Hanstaengl, quelques rues de Berlin après un trajet en voiture, dont le Luna Park, des tableaux exposés dans un musée, l’appartement dans lequel Putzi séjourne à New York, un gigantesque rassemblement d’une puissante organisation nazie américaine qui remplit le Madison Square Garden à New York en mai 1934, des cabines de plage au bord de la Baltique, un voyage à haut risque dans un avion militaire allemand avec sûrement un saut en parachute à la clé, un voyage en train pour fuir, un séjour dans un camp que Churchill a décidé d’installer au Canada, etc. Le lecteur sourit par exemple en voyant Putzi se tenant bien droit à la proue d’un paquebot évoquant Titanic. Il sent son regard s’arrêter sur des détails inattendus : le décor en fer forgé de la porte d’entrée du pavillon des Hanfstaengl, les aiguilles à tricoter d’Helene, le visage hilare démesuré de l’entrée du Luna Park, les montures d’écaille des lunettes de Putzi, son uniforme nazi fait sur mesure, une mer de canotiers, le dossier S, etc. Dès son introduction, le romancier indique qu’il s’interroge sur cet homme au destin hors du commun. Était-il un monstre ? Était-il un clown ? Le lecteur est vite pris par le flux narratif : la description d’un individu à la fois pusillanime, à la fois confiant en lui-même. D’un côté, il a épousé une femme pour laquelle il n’éprouve pas d’amour, il semble un père quelque peu lointain, il aime se réfugier dans l’art, et il lui arrive de boire plus que de raison. D’un autre côté, il est fasciné par Adolf Hitler et il le suit avec une forme de courage ou d’inconscience selon les circonstances, de qui l’amène à réaliser des missions de prestige. Les auteurs indiquent explicitement que Ernst Hanfstaengl éprouve une amitié intense pour le Führer, ce qui le galvanise, et aussi ce qui lui donne de l’importance. Ce qui l’amène également à épouser ses combats les plus abjects. Dans le même temps, ses convictions personnelles fluctuent entre un refus de la haine, et un antisémitisme inconscient qui revient régulièrement à la surface, avec parfois des moments de lucidité quand son instinct de survie reprend le dessus. En cours d’ouvrage, le lecteur comprend que les auteurs ont puisé leur matière dans les copieux mémoires rédigés par Ernst Hanfstaengl : débutés en 1942, entre les murs d’une base américaine. Il raconte tout dans ce qu’il appelle le projet S, S pour Sedgwick, le nom de sa mère. À plusieurs reprises, le lecteur se découvre une situation incroyable. Les circonstances dans lesquelles Helene sauve la vie d’Hitler en l’empêchant de se suicider. Putzi dînant avec Churchill alors qu’Hitler n’est pas au rendez-vous tout en se trouvant dans le même restaurant. Putzi se retrouvant dans un camp au Canada : dans ce camp construit dans la précipitation et la confusion, on commet l’épouvantable erreur de mélanger des prisonniers nazis comme Putzi et des Juifs ayant fui l’Europe. Ou encore Putzi allant consulter Carl Gustav Jung (1875-1961) et celui-ci faisant le constat que : Ce qui est impressionnant avec le système allemand, c’est qu’un homme visiblement possédé est parvenu à infecter une nation entière. Hitler est l’inconscient de soixante-dix-huit millions d’Allemands, c’est ce qui le rend si puissant. Sans le peuple, il n’est rien. Le petit bonhomme, le pianiste d’Hitler, celui sans qui le Führer ne serait sans doute jamais devenu celui qu’on connaît : qui est cet homme ? La narration visuelle dresse le portrait d’un individu ne pouvant pas passer inaperçu du fait de sa haute taille, tout en n’ayant rien de martial. Le narrateur omniscient en fait une personne entretenant une amitié intense avec un futur dictateur, à la fois conscient des atrocités commises, à la fois enivré par l’importance de son rôle dans l’Histoire. Un monstre ou un clown ?

20/06/2025 (modifier)
Couverture de la série Les Gorilles du Général
Les Gorilles du Général

L’histoire en partie vraie des quatre armoires à glace ayant servi comme garde du corps au général de Gaulle durant son mandat présidentiel. Je ne connaissais pas du tout ce détail amusant qui fait partie de la petite histoire de France donc super découverte. Xavier Dorison tel un Alexandre Dumas moderne utilise personnages, contexte et faits réels pour les refaçonner à sa sauce, y ajouter de l’improbable et un aspect « actioner » à l’américaine, et que dire… ça marche d’enfer. Faut dire que le scénariste n’opère pas en terrain inconnu avec les histoires de barbouzes, les aficionados se rappelleront de Comment faire fortune en juin 40, une réussite dans le genre. Certes, c’est un tome d’introduction, les auteurs en prévoiraient dix à ce que j’ai lu, on sent qu’ils en gardent sous le pied pour les deux prochains numéros, qui sont d’ores et déjà validés par la maison mère. En tout cas moi ça m’a hypé, les personnages ont des gueules, ça cause viril, il y a un décorum délicieusement rétro, c’est jalonné de marqueurs temporels authentiques et saupoudré de quelques punch lines toutes aussi vraies, Dorison a bien fait ses devoirs. J’adore également la partie graphique de Julien Telo, un digne héritier des Robin Recht (crédité en fin d’album), Alex Alice et autres Mathieu Lauffray. C’est le présent et l’avenir, il a encore une marge de progression car c’est un jeune artiste. C’était pas évident j’imagine de terminer seul le cycle d’Elric, là il est quasiment seul au manettes (bravo aux coloristes au passage), et de ce que je lis par-ci par-là, tout le monde s’accorde à dire que c’est du beau boulot, et j’suis bien d’accord, un vrai plaisir à lire et à voir.

19/06/2025 (modifier)
Couverture de la série Bobigny 1972
Bobigny 1972

Voilà un album qui présente simplement et clairement un moment charnière des bouleversements sociétaux de la France de la seconde moitié du XXème siècle. Marie Bardiaux-Vaïente – qui a déjà publié des albums sur d’autres sujets de société (dont la peine de mort) – réussit ici pleinement à présenter son sujet sans le plomber par une narration pesante, ou par des effets artificiels. Au contraire, la narration et fluide. Et le dessin de Carole Maurel l’accompagne très bien, plaisant, dynamique. Avare de décor, focus sur les personnages, agréable. Pour ce qui est du sujet lui-même, il permet de mettre en avant plusieurs choses. D’abord une loi archaïque et inique. Comme les témoins et Gisèle Halimi l’ont répété, comme le fera Simone Veil en défendant sa loi autorisant l’avortement un peu plus tard, seules les femmes les plus vulnérables, les plus pauvres, sont soumises aux conditions précaires et dangereuses, mais surtout elles sont les seules à être poursuivies. C’est le cas ici de Marie-Claire Chevalier. C’est aussi l’occasion de mettre en avant la quasi impunité des violeurs, la honte se portant sur la victime, Marie-Claire n’ayant pas porté plainte contre celui qui l’a violée, l’a ensuite harcelée. Ce qui est encore plus accablant, c’est que la justice, le procureur, n’ont jamais demandé à ce salaud (qui plus est lâche, puisque c’est lui qui a dénoncé Marie-Claire !) de venir répondre de ses actes, ou tout du moins témoigner. Cet album est aussi l’occasion de montrer l’action de quelques femmes, de l’association « Choisir » qu’elles ont créée. Et bien sûr surtout Gisèle Halimi, qui a porté ce combat et gagné ce procès, qui va ensuite permettre de modifier une loi devenue inapplicable après l’acquittement de Marie-Claire Chevalier. Un sujet de société essentiel, un moment charnière – le procès/fait divers ayant ici valeur d’exemple, le tout très bien traité, simplement, voilà donc une belle réussite du genre.

19/06/2025 (modifier)
Couverture de la série Le Piano Oriental
Le Piano Oriental

J'ai dévoré cette série de Zeina Abirached avec délectation. La même délectation que lorsque j'entends une partition de Chopin au piano. J'ai trouvé son récit d'une grande intelligence et d'une originalité certaine. J'aime beaucoup cette thématique du langage qui va bien au delà de la simple transmission d'informations basiques : "avec le langage m'arrivaient les idées" fait dire l'autrice à sa jeune héroïne. En mettant en parallèle certaines subtilités du français et de l'arabe l'autrice nous fait toucher du doigt comment une langue peu induire une philosophie ou des comportements spécifiques. De plus Zeina enrichit son récit en ajoutant de façon très équilibrée une analogie avec la musique. Le piano est l'instrument roi de la musique occidentale mais sa conception le rend inapte à la musique orientale et donc à faire partie du patrimoine de cette musique. Zeina nous fait vivre cette quête du quart de ton comme une véritable aventure aux résultats imprévisibles. Zeina nous propose ainsi un double récit qui prend le temps de poser les fondations au rapprochement de deux univers linguistiques et musicaux. On peut le lire comme un message utopique espérant que ce rapprochement ouvrirait la porte à une meilleure compréhension des deux mondes. Un pont entre l'Orient et l'Occidentale rêvaient les timides facteurs de pianos viennois. J'ai aussi apprécié ce graphisme plan qui me rappelle le théâtre de marionnette des traditions orientales ou extrême-orientales. Les personnages, souvent de face, sont d'une belle vitalité avec des dialogues lettrés. La double histoire est bien équilibrée et se fait sans rupture afin de proposer un ensemble cohérent et plaisant à lire. Le N&B est bien maitrisé en contrastes bien marqués comme pour exprimer la thématique de la dualité qui traverse cet ouvrage. Une belle lecture pleine de finesse et d'intelligence.

19/06/2025 (modifier)