Les derniers avis (31718 avis)

Par Lodi
Note: 4/5
Couverture de la série Sandman
Sandman

Histoire excellente, ce que je préfère est sans doute la remise de la clef des enfers à Sandman par Morning star et ce qui en découle. Hélas, il y a un dessin où le meilleur et le pire se côtoient. Dans Corto, un humain mélange rêves et aventures, ici un éternel crée les rêves et vit des aventures qu'il n'est pas allé chercher, côtoyant des humains très ancrés dans le réel, des dieux, des extraterrestres et des animaux. Morphe se montre à eux sous la forme qui leur convient. Et des êtres cauchemar peuvent être terrifiants, des êtres lieu enchanteurs. Morphée est l'un des éternels qui fait le mieux son job, mais quel salopard avec ses anciens amours ! Ce qui désacralise le personnage et lui offre une marge de progression. Œuvre foisonnante qui ne cache pas ses dettes en littérature et en bande dessinée, elle m'a fait lire Le paradis perdu et quelques Constantine, elle pâtit de la bonté, de la gentillesse de son scénariste jouant par trop collectif au lieu de se choisir un artiste excellent au lieu de laisser ses idées à l'aléas des meilleurs mais aussi des pires. Malgré tout, je note cette œuvre assez haut, par exemple pour l'image de Lucifer dialoguant sur la plage en admettant la beauté d'un coucher de soleil.

15/11/2025 (modifier)
Couverture de la série P.T.S.D.
P.T.S.D.

P.T.S.D. (ou Stress Post-Traumatique chez nous), c'est le terme pour désigner le comportement anxieux et les troubles psychiques qui naissent après un événement extrêmement traumatisant. Comme on peut s'y attendre avec un pareil titre et une telle couverture, il sera ici question du syndrôme post-traumatique d'une ancienne soldate revenue de la guerre et ne parvenant toujours pas à passer à autre chose. Le pays dans lequel nous nous trouvons n'est pas mentionné, pas plus que la guerre et ses enjeux, au fond on s'en fiche : le sujet de l'album est le syndrome post-traumatique en lui-même. Pas la peine de nous préciser en détail le passé pour comprendre les enjeux ici, les soldat-e-s survivant-e-s qui se sont battu-e-s pour leur pays sont aujourd'hui laissé-e-s à l'abandon à même la rue, sans le moindre soutien de l'état. Livré-e-s à leur sort, réduit-e-s à vivre sous le joug des gangs pour espérer obtenir le moindre réconfort sous la forme de médicaments et de drogues, les vétérans souffrent et meurent en silence. Parmi elleux nous suivons principalement Jun, une ancienne snipeuse ayant perdu toute son escouade ainsi que son œil droit à la fin de la guerre. Comme tous-tes les autres vétérans elle vit à même la rue, comme tous-tes les autres vétérans elle préfère se shooter aux médicaments plutôt que de revivre sobre ses cauchemars, mais contrairement à la plupart des autres vétérans elle s'est pleinement isolée des autres. Pas d'appartenance à un groupe, pas le moindre soutien émotionnel, Jun vit parfaitement seule. L'histoire sera donc celle de son évolution, du changement de son rapport avec les autres (en bien comme en mal), d'une tentative d'aller de l'avant, de sortir enfin de la guerre et de, on l'espère, pouvoir enfin déposer les armes. Mais pour ça il faudrait encore que Jun le réalise avant qu'il ne soit trop tard... L'oeuvre est violente, pas mal de scènes d'actions, pas mal de scènes de morts rapides et cruelles, une histoire de vendetta, des guerres de gangs, ... l'album donne vraiment l'impression d'un film d'action hong-kongais restranscrit en bande-dessinée (et, d'après les informations de fin d'album, cela faisait effectivement partie des influences/références pour l'album). Le travail graphique de Singelin est intéressant, sa grande ville aux gratte-ciels gigantesques, aux marchés collorés et pleins de foule et aux petites ruelles froides, sales et parfois mal-famées est vivante. On croit à la vie de cette ville, à son découpage des quartiers, à la séparation des rues "civiles" et des rues où vivent les abandonné-e-s, celleux qui vont finir par s'entretuer. Le contraste entre les couleurs sales et ternes et les couleurs chaudes et vives pour signaler l'évolution de la perception de Jun est intéressant. L'action est fluide et lisible, le monde et ses personnages sont à la fois mignons et sales, empathiques et cruels, en bref l'histoire est simple mais humaine. Un album intéressant, classique mine de rien dans sa construction narrative mais rondement mené et très agréable à lire. (Note réelle 3,5)

15/11/2025 (modifier)
Par Alix
Note: 4/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Les Carnets de Stamford Hawksmoor
Les Carnets de Stamford Hawksmoor

Dire que j’attendais « Les Carnets de Stamford Hawksmoor » avec impatience est un doux euphémisme. J’adore la série mère Grandville, et de manière générale toutes les œuvres de Bryan Talbot. J’avais d’ailleurs longuement interviewé l’auteur à Angoulême en janvier 2024, et découvert la centaine de planches alors réalisées, sur sa tablette… presque 2 ans plus tard, je mets enfin les mains sur l’album, fébrilement, ayant peur d’être déçu, de trop en attendre. Et bien non, ouf. Je précise tout d’abord une chose importante : il n’est absolument pas nécessaire d’avoir lu Grandville pour lire et apprécier cette préquelle. L’histoire est complètement indépendante, et propose une enquête « à la Sherlock » absolument passionnante… les références au personnage de Conan Doyle abondent, à commencer par le nom du protagoniste (Stamford apparait dans le premier roman, « Une étude en rouge »). L’enquête est bien construite et parfaitement narrée, même si sa complexité nécessite une lecture attentive. Comme c’est souvent le cas, Bryan Talbot parsème son récit de parallèles et réflexions sur notre société… les allusions à la catastrophe « Brexit » sont évidentes, mais l’auteur en profite également pour nous donner son avis sur les déboulonnages de statues liées à l'esclavage, par exemple. La mise en image est magnifique. La représentation brumeuse du Londres victorien est des plus réussies, notamment grâce aux superbes couleurs aquarelles sépia, pour un rendu vintage. Les personnages animaliers sont toujours aussi réussis, ainsi que les fiacres Hansom et les costumes d’époque. Voilà, une enquête classique, certes, et parfois difficile à suivre, mais je me suis régalé, et je me prends à rêver d’une suite (même ce n’est pas du tout d’actualité). Un coup de cœur !

15/11/2025 (modifier)
Couverture de la série From Hell
From Hell

Voilà plus d’un siècle que l’identité du mystérieux Jack l’Éventreur nourrit tous les fantasmes. En février 2025, un détective amateur affirmait avoir enfin percé le secret grâce à des analyses ADN réalisées sur le châle porté par Catherine Eddowes, l’une des victimes. Selon lui, le meurtrier serait Aaron Kosminski, un immigrant juif venu de Pologne, barbier de son état et déjà suspecté à l’époque. Une conclusion qui, évidemment, a depuis été largement contestée… C’est dans ce contexte que je me suis plongé dans From Hell d’Alan Moore, un véritable monument. Alan Moore y propose, avec une précision quasi chirurgicale, sa propre lecture de la légende, appuyée sur un important travail d’enquête et de documentation. Comme l’ont souligné de nombreux lecteurs avant moi, il faut d’abord saluer l’ampleur colossale de ses recherches : chacune des scènes du récit repose sur des sources minutieusement référencées. Une annexe d’une quarantaine de pages détaille ainsi, chapitre après chapitre, les ouvrages et documents sur lesquels s’appuie sa théorie. À cela s’ajoute une reconstitution impressionnante du Londres victorien, en particulier de ses bâtiments religieux — le deuxième chapitre, d’une trentaine de pages, y est entièrement consacré. Ce travail titanesque engendre toutefois quelques lourdeurs et un rythme parfois lent. Mais l’ensemble reste passionnant et m’a donné envie de creuser davantage le mythe de Jack l’Éventreur et les multiples hypothèses autour de son identité. Ayant vu et apprécié l’adaptation cinématographique avant de lire la bande dessinée, je réalise maintenant que le film fait bien pâle figure face à l’œuvre d’Alan Moore. Je regrette cependant que la partie graphique ne soit pas à la hauteur de la qualité du scénario. Dans l’intégrale en noir et blanc que j’ai lue, le trait m’a semblé souvent approximatif, parfois même bâclé. Il m’est arrivé de revenir plusieurs fois en arrière, peinant à distinguer certains éléments du décor ou à différencier les personnages. Pour moi, une bande dessinée culte doit allier un récit original et prenant à un dessin agréable à l’œil — notion certes très subjective. Ici, l’aspect visuel m’empêche d’attribuer la note maximale, même si l’œuvre mérite clairement son statut tant elle marque ses lecteurs. Un très beau coup de cœur malgré tout. SCENARIO (Originalité, Histoire, personnages) : 10/10 GRAPHISME (Dessin, colorisation) : 6/10 NOTE GLOBALE : 16/20

15/11/2025 (modifier)
Par Lodi
Note: 4/5
Couverture de la série The Promised Neverland
The Promised Neverland

Excellente série aux limites de la vraisemblance tant tout le monde est positif sauf Ray, alors que les enfants connaissent enfin la vérité terrifiante dans laquelle ils vivent ! Mais c'est peut-être un plus, en faire une série pour très jeunes et pour ceux qui souhaiteraient retrouver un optimisme auroral. Originalités ! Les monstres n'ont guère le choix d'agir autrement, et contraignent "maman", un personnage plein d'ambiguïté bien humaine. Emma, pas la plus brillante au départ, se montre finalement la clé, à la fin. L'orphelinat n'est pas ce qu'il semble être ? Le monde non plus. L'intelligence est le cœur du récit, inégalement distribuée, c'est cependant en réfléchissant tous ensemble que nos héros progressent. Si on se demande quoi offrir à des enfants éveillés, je pense cette série tombant à point nommée.

15/11/2025 (modifier)
Par pol
Note: 4/5
Couverture de la série Le Village (Delcourt)
Le Village (Delcourt)

Nul besoin de présenter Franck Thilliez qui co signe ce scénario inédit avec Niko Tackian. Son simple nom sur la couverture, c'est la promesse d'un thriller haletant, tant les romans du scénariste sont généralement des pages-turner. Cette histoire commence comme un polar, avec la découverte de nombreux cadavres dépourvus de cerveaux et l'arrivée d'une enquêtrice pour démêler l'affaire. Mais le récit va vite prendre une tournure fantastique autour d'un mystérieux village qui semble apparaitre subitement, puis disparaitre tout aussi brutalement qu'il est arrivé. Quel est le lien entre cet étrange village et ces cadavres ? C'est là le sel de notre histoire. Cette enquête va conduire à pas mal de découvertes : des évènements de plus en plus mystérieux, des secrets passés, des explications ésotériques, une version scientifique pour donner du sens à tout ça. L'intrigue oscille entre ces différents pans en gardant en fil rouge l'enquête sur ces morts mystérieuses. Cela donne un tout cohérent où le niveau de suspens se tient bien et suscite la curiosité et l'envie de connaitre le dénouement. Sans spoiler il y aura quelques éléments un peu gros, qui dépassent le cadre de notre récit fantastique et qui tirent presque vers la science-fiction. Cette sensation de presque too much disparait à l'arrivée de la conclusion. Sombre et pessimiste, elle brille par la raisonnance qu'elle trouve avec des problématiques bien contemporaines. J'ai trouvé cette fin percutante. Dure mais marquante. Graphiquement, on a une ambiance assez sombre, nécessaire pour coller à ce récit très noir. Malheureusement certains visages souffrent un peu d'imprécision dans le trait, et combiné à la noirceur des couleurs on a parfois du mal à reconnaitre certains personnages. Et c'est le seul petit bémol. Car même si le niveau de tension est variable, et qu'on n'a pas toujours le page turner attendu, au final ce village propose une histoire qui reste dans la tête une fois l'album refermé. Une lecture qui ne m'a pas laissé indifférent, et qui appellera sans aucun doute une relecture prochaine.

15/11/2025 (modifier)
Par Présence
Note: 4/5
Couverture de la série Judee Sill
Judee Sill

Les caprices du destin en ont décidé ainsi. - Ce tome contient un récit de nature biographique, indépendant de tout autre, ne nécessitant pas de connaissance préalable. Son édition originale date de 2023. Il a été réalisé par Juan Díaz Canales pour le scénario et par Jesu?s Alonso Iglesias pour les dessins et les couleurs. Il comprend quatre-vingt-dix pages de bande dessinée. En 1979, dans le quartier de North Hollywood, deux policiers toquent à la porte d’un appartement. À l’intérieur, c’est le désordre : des cailloux dans un bol, un livre avec des marque-pages, une plante verte morte, des bouteilles d’alcool vides, une pile de magazines, des déchets par terre, un iguane qui se balade en liberté. L’un des policiers s’apprête à enfoncer la porte, l’autre tourne simplement le bouton et entre : c’est ouvert. Ils sont enveloppés par une odeur nauséabonde. Ils avancent dans l’appartement et découvrent le cadavre d’une femme, ainsi que l’état lamentable de l’habitation. Le plus ancien prononce la sentence : il peut résumer en un seul mot le rapport, surdose. Le second observe le cadavre et commence à prendre des notes. Femme blanche, type caucasien, quarante ans environ. Cause probable de la mort, overdose. Désordre caractéristique d‘un mode de vie bohême (artiste). Possible lettre de suicide. Demande expertise graphologique. Vérifier éventuelle appartenance à une secte. Aucune trace de document permettant l’identification. L’iguane regagne lentement la fraîcheur des plantes vertes. 1951, dans le cinéma de Studio City, en Californie, les époux Sill ont emmené leur fille voir un film de science-fiction de série B avec des monstres : à l’écran une sorte d’iguane géant est en train de terrasser un crocodile. Milford Sill se penche vers sa fille Judee pour lui faire remarquer qu’il lui avait bien dit qu’il était invincible leur Gregory. Puis il se tourne vers sa femme Oneta pour lui demander si elle aime le film. Elle répond sèchement que ce qu’elle aime, ce sont les gens qui parlent au cinéma. Il maugrée qu’elle n’aime rien : elle n’aime pas les gens, elle n’aime pas le cinéma, elle n’aime pas son travail. Elle lui rétorque que faire du trafic de bestioles, elle n’appelle pas ça un travail. Il la corrige : Importateur d’animaux exotiques, et d’ailleurs Hollywood ne trouve pas si minable que ça. À la sortie de la séance, le père a pris sa fille sur ses épaules et il lui promet d’aller voir un Tom et Jerry le lendemain. 1961 dans la vallée de San Fernando, Judee est allongée dans son lit sans bouger à rêvasser. Sa nouvelle mère entre pour lui dire sèchement qu’elle ressemble à son père. L’adolescente lui rétorque que ce n’est pas étonnant, ils sont morts tous les deux. Sa belle-mère lui répond qu’elle ne sait pas si Judee est morte, mais que ce qui est sûr c’est qu’elle n’a pas de cœur, elle estime que l’adolescente est cruelle et qu’elle leur gâche la vie à son père et elle. Toujours allongée et dans un grand calme, la jeune fille répond qu’ils n’ont besoin de personne pour leur gâcher la vie, qu’ils y arrivent très tout seul… Enfin avec l’aide de l’alcool… Il s’agit de la biographie d’une chanteuse et compositrice américaine, ayant réellement vécu, née en 1944 à Studio City, un quartier de Los Angeles et décédée en 1979, dans le quartier North Hollywood, dans la vallée de San Fernando à Los Angeles. Du temps son vivant, elle a enregistré deux albums en studio qui ont été publiés par la maison de disques Asylum : Judee Sill (1971), puis Heart Food (1973). Elle avait commencé à en enregistrer un troisième Dreams come true qui sera publié en 2005. La séquence d’ouverture ne laisse planer aucun doute sur le destin de cette artiste : mort solitaire, suite à une addiction aux drogues, dans un appartement aux allures de dépotoir, avec deux particularités : un exemplaire de ses albums, et un iguane domestique en liberté. Les auteurs ont choisi d’évoquer cette vie dans une chronologie recomposée passant de 1979 à North Hollywood, puis 1951, 1961, 1972, 1961, 1979, 1962, 1964, 1972, 1980, 1966, 1968, 1967, 1968, 1982, 1972, 1973, 1975, 1994, 1979, pour finir en 1995 à Santa Monica en Californie. Dans de très brèves notes en fin de tome, ils expliquent qu’il existe très peu de références bibliographiques sur cette musicienne, qu’ils ont dû remplir ce vide grâce à leur imagination, en utilisant parfois des personnages de fiction. Pour les faits, ils se sont basés sur des interviews, notamment celle réalisées par Grover Lewis pour le magazine Rolling Stone d’avril 1972, l’interview de Rosalind Russel publiée en 1972, et deux articles de 2004 et 2006. Le lecteur peut être attiré par la composition psychédélique avec un choix de couleurs très judicieux, par l’idée de découvrir une musicienne oubliée par l’histoire de la musique populaire, ou encore curieux de lire une autre bande dessinateur du scénariste de la série Blacksad, avec le dessinateur Juanjo Guarnido. En lisant la première scène, il se trouve rassuré (ou peut-être désappointé) par des couleurs plus classiques, une palette dans un registre plus naturaliste. Les dessins s’inscrivent également dans ce registre, avec une approche descriptive. L’artiste a choisi un rendu assez vivant, par le biais de traits de contour de type coups de pinceau appliqués sans retouche, allant de très épais à très fins. Par endroit, les couleurs viennent compléter les informations visuelles proches de la couleur directe. En fonction des éléments de décor, le dessinateur adapte le degré de finition, de très grossier pour la forme de feuilles de plantes d’appartement, à très précis pour la carrosserie d’un modèle de voiture ou la tubulure métallique des chaises du bureau de la docteur Carrara dans l’établissement E retro, Reform School for Girls. Le lecteur apprécie rapidement la cohérence des dessins, à commencer par l’ambiance lumineuse bien rendue par les couleurs. Il ressent comment le dosage entre descriptif et simplification rend les personnages plus vivants, plus proches de lui, tout en restant dans un registre réaliste : le visage fermé et peiné de la mère traitée d’alcoolique par sa fille, le visage repu de satisfaction du directeur du centre de réhabilitation alors que Judee chante littéralement ses louanges, l’air discrètement gêné de David Griffin quand on lui parle de Judee, la gentillesse inattendue d’un groupe de trois femmes âgées (Nathy, Nun et Nona) dans la cour de la prison pour femmes de Frontera, l’air compassé des dévots de Krishna, etc. Le dessinateur sait montrer les gens dans toute leur diversité, leurs milieux culturels, leur niveau économique dans la société. Il impressionne également par le naturel avec lequel il rend compte des différents environnements : un appartement désordonné, les façades d’une rue de Los Angeles, le cabinet d’un psychologue, le dortoir d’une maison de redressement, le salon luxueux d’un producteur de disques riche à millions, l’atmosphère très particulière de la communauté hippie de Laurel Canyon (nexus de la contreculture dans les années 1960/70)… et bien sûr le désert. La couverture promet une expérience psychédélique, ou en tout cas d’évoquer cette dimension de la vie de la musicienne. Cette caractéristique apparaît discrètement dans un phylactère en page neuf, puis dans un autre de la page dix, un autre de la page suivante… et le lecteur comprend qu’il s’agit des paroles de Judee Sill, seul personnage à s’exprimer en rose. En page dix-sept et dix-huit apparaissent des salamandres multicolores en arrière-plan du buste des personnages, alors que la chanteuse est interviewée par le journaliste de Rolling Stone. Puis un motif psychédélique surgit à l’écoute d’un des disques de Sill avec le titre du morceau camouflé dans les volutes, toute comme The Kiss dans l’illustration de couverture. Le lecteur accompagnera la musicienne en plein trip à deux reprises, une fois pendant deux pages et demie dans le désert, une seconde fois pendant quatre pages dans les rues de Los Angeles. L’artiste s’amuse bien avec les couleurs et l’altération des perceptions, entre délires et déformations d’expériences passées. Par comparaison, les dévots de Krishna semblent normaux, raisonnables, et doués de leur pleine et entière raison. En fonction de son humeur, le lecteur est plus ou moins sensible à la recomposition du déroulement chronologique, aux rapprochements que cela crée, ou au fouillis évoquant le bazar dans la tête de Judee Sill. Dans les deux cas, ce dispositif narratif évoque le processus créatif de la compositrice qui rapproche des sensations et des souvenirs dont l’évidence de la connexion s’effectue dans son esprit. Les auteurs ne cachent rien des vicissitudes de l’artiste, sans se montrer voyeuriste, par exemple ses moments de prostitution sont évoqués sans être montrés. Ils mettent en scène les personnes qu’elle a côtoyées comme Grover Lewis (1934-1995, journaliste pour Rolling Stone), Jim Pons (1943-, bassiste de The Turtles), ou encore Gordon Lightfoot (1938-2023). Le lecteur comprend que Dave Griffin est un nom fictif pour David Geffen (1943-, responsable de la maison de disques Asylum et millionnaire en devenir), bénéficiant certainement d’un autre nom dans cette bande dessinée, pour éviter des plaintes contre les auteurs. Vers la fin de l’ouvrage, un patron de bar qui supporte la clientèle de la chanteuse, explique à un jeune homme qu’il n’appellerait pas ça manquer de chance, mais plutôt avoir un talent pour la gâcher. Il continue : Elle avait une carrière les plus prometteuses de toute la côte ouest, et elle a foiré avec son producteur, son agent, ses collègues. Pour autant, le lecteur éprouve de la sympathie pour elle, ayant été en empathie quand elle s’est sentie manipulée par le monde professionnel de la musique, par sa dépendance à la drogue. Il n’est pas loin d’acquiescer à la dernière phrase du récit : Les caprices du destin en ont décidé ainsi. Dans le même temps, il se rappelle que les témoignages sur la carrière de cette artiste sont très peu nombreux, et que les auteurs ont inventé une bonne partie de ce qu’il vient de lire. Qui plus est, personne ne peut se vanter de savoir ce que pensait ou ce qu’éprouvait tel ou tel individu à telle époque et dans telle situation. À partir des rares éléments biographiques existants, les auteurs rendent hommage à cette chanteuse et compositrice américaine peu connue. Ils le font avec un art consommé de la bande dessinée, une capacité à retranscrire une époque et sa culture, et à partir dans des paradis artificiels psychédéliques. D’un côté, le lecteur découvre un exemple d’artiste talentueuse dont la vie se dégrade progressivement jusqu’à un naufrage pitoyable ; d’un autre côté, il s’interroge sur ce qui relève du réel dans cette biographie plausible et pour partie inventée. Troublant.

15/11/2025 (modifier)
Couverture de la série Burn the House Down
Burn the House Down

Le plus remarquable dans ce thriller est la gestion du suspense. En effet, le scénario en lui-même n’est pas des plus originaux avec une situation de départ déjà vue par ailleurs, mais l’autrice parvient à conserver une zone d’ombre telle que ce scénario reste tendu. Ce suspense repose sur deux éléments. Le premier est le risque constant de voir l’héroïne être démasquée par la principale suspecte d’une incendie. Le deuxième vient du fait que, au fil des révélations, l’héroïne ne trouvant que des indices indirects, le doute demeure quant à la culpabilité de la principale suspecte et l’implication éventuelle d’autres personnages. Résultat : même si l’idée de départ est déjà vue, même si les personnages semblent de prime abord assez caricaturaux, même si le dessin reste dans un style très mainstream, ce thriller est des plus addictifs. Vivement la suite ! Mise à jour après 6 tomes : c'est toujours aussi bon !!!!! Mise à jour après 8 tomes : tout se tient et même si la fin est un peu tirée en longueur, ce thriller aura répondu à mes attentes. Je recommande !

22/01/2024 (MAJ le 14/11/2025) (modifier)
Couverture de la série The strange house
The strange house

Il me faut remonter à l’excellent « Burn the House Down » pour retrouver un premier tome aussi accrocheur dans cette catégorie des manga thriller. Le concept est original puisqu’il repose sur l’architecture étrange de certaines maisons. Celles-ci offrent des configurations étranges et le personnage principal de la série va vite se convaincre que cette configuration n’est pas accidentelle mais permet à ses occupants de perpétrer des meurtres sans risquer d’être vus par leurs voisins. L’ambiance et la tension sont bien présentes et au bout de ce premier tome, ma curiosité est fameusement titillée. Je sais déjà que je me ruerai sur le tome 2. Niveau dessin, rien d’exceptionnel mais un trait bien lisible, des personnages bien typés et une attention bien entendu toute particulière a été accordée à l’architecture des bâtiments. Vraiment très accrocheur !

14/11/2025 (modifier)
Couverture de la série Ripple - Une prédilection pour Tina
Ripple - Une prédilection pour Tina

Dave Cooper, voilà un auteur clivant, dont les productions s’éloignent du commun – en tout cas du franco-belge classique – et dont les thématiques – et le dessin – ne peuvent qu’interpeler. En tout cas on aime ou on déteste, mais il ne peut laisser indifférent. Je fais partie de ceux qui apprécient beaucoup ce qu’il fait. J’avise cet album longtemps après ses autres productions, même si je le possède depuis très longtemps. Il avait disparu sous l’une de mes piles à lire (c’est donc la première édition du Seuil que j’ai lue, je ne sais pas ce que la réédition plus récente chez Huber a pu modifier – même si je fais confiance à cet éditeur pour avoir fait un beau travail éditorial). « Ripple » est un album à réserver à un lectorat adulte je pense. On y retrouve certaines thématiques très présentes dans l’œuvre de Cooper, comme la sexualité, le questionnement sur la « normalité » des formes, etc. Mais c’est ici traité de façon à la fois plus « simple », avec des personnages plus réalistes que dans ces autres albums, mais aussi de façon plus trash. On n’est pas étonné de retrouver son compatriote David Cronenberg en préfacier. Martin est un peintre/illustrateur qui se pose des questions, et trouve un thème accrocheur pour obtenir le financement des financements : travailler sur la beauté cachée des laids, pour citer Gainsbourg. Il recherche un modèle, et c’est Tina, une femme éloignée des canons actuelles (elle est grosse, propose un sourire a priori peu avenant, etc.) qui se présente. Il lui propose de poser pour des dessins trash, avec accessoires porno SM. Si au départ Tina semble mal dégrossie et timide, à la merci des demandes – et des fantasmes – de Martin, peu à peu leur relation va se développer, toujours sur des standards vaguement SM, mais en s’inversant. Martin devient peu à peu esclave de son attirance pour Tina, voire esclave de Tina – et de son indifférence, voire de son mépris. Une relation complexe, qui est présentée comme relatée a posteriori par Martin. Avec en arrière-plan la possibilité que Martin soit en partie un avatar de Cooper lui-même ? En tout cas Cooper ne nous cache rien de certains aspects sordides, ou tout simplement banals du quotidien de cette relation. Une œuvre exigeante, originale.

14/11/2025 (modifier)