J’ai beaucoup aimé “Stranger Things: Tales from Hawkins”, que je note 4/5. Ce comics de quatre épisodes propose des histoires indépendantes qui se déroulent dans l’univers de la série, et j’ai trouvé qu’elles capturent très bien l’ambiance étrange, nostalgique et mystérieuse de Hawkins.
Chaque numéro explore un angle différent : entre tension dans les bois, enquête avec Murray, romance adolescente et rivalité entre fermiers, ce qui rend l’ensemble vraiment agréable à lire, sans jamais être répétitif.
Même si ces récits n’apportent rien de crucial à l’histoire principale de Stranger Things, ils complètent très bien l’univers pour les fans curieux.
Ce n’est pas indispensable, mais c’est une lecture immersive, bien rythmée, avec de beaux dessins et une vraie fidélité à l’esprit de la série. Je recommande à tous ceux qui aiment Hawkins et veulent s’y replonger autrement !
« Paul », sucrerie pop aux couleurs psychédéliques concoctée par Hervé Bourhis, nous replonge avec bonheur dans ces « late sixties » où le champ des possibles était incroyablement vaste, où les utopies fleurissaient en harmonie avec l’effervescence artistique et musicale de l’époque, propulsées par un vent de liberté inédit.
Si la narration débute au moment de la séparation des Beatles, en 1969, pour s’achever dans les années 75-76, au moment où les Wings étaient alors au sommet de leur gloire, il faut bien l’avouer, ces derniers, avec le recul, ont bien moins marqué l’histoire de la musique que les mythiques Fab Four de Liverpool. Et d’ailleurs, qui se souvient que Mc Cartney avait connu une période de flottement, avec alcoolisme et grosse déprime à la clé, dès lors que le groupe avait splitté. A cette même époque, une rumeur circulait même à propos de sa mort trois ans avant, suite à quoi il aurait été remplacé par un sosie au sein des Beatles ! Tout cela, Hervé Bourhis l’évoque et le dessine de façon rythmée dans cet album aux couleurs très « seventies ».
Et c’est un bel hommage que rend ici Bourhis au songwriter le plus talentueux de sa génération, mais qui réhabilite aussi les Wings, passés quelque peu dans l’oubli malgré les pépites que sont, selon l’auteur, « Band on the run » et « Ram ». Ce groupe fut pour McCartney une véritable « résurrection », selon les termes mêmes de John Lennon qui était revenu le voir une fois la période de brouille terminée, même si pour la renaissance des Beatles, le point de non retour avait été franchi depuis longtemps. La narration est à la première personne, celle de l’ami Paul, révélant à quel point Hervé Bourhis s’est identifié, sans en être forcément conscient, à cette personnalité dont le nom est toujours resté associé aux Beatles. Lui aussi, après avoir failli être emporté par la maladie (A ce titre, on peut lire son autobiographie Mon infractus), a connu une sorte de renaissance.
Parmi d’autres anecdotes, en plus de celles énoncées plus haut et tombées dans l’oubli pour une grande partie du public, on découvre comment l’ex-Beatles s’est reconstruit, on suit son redémarrage à zéro assez hallucinant avec ses Wings, et on découvre par la même occasion une certaine modestie qui prouve que l’homme était davantage passionné par la musique que préoccupé par sa propre notoriété. Ce qui par la suite s’est révélé porteur, puisque son talent de compositeur était resté intact a l’a ainsi mené au succès. Etonnante aussi cette rencontre improbable avec une super star de la scène africaine, Fela. McCartney était venu au Nigéria pour y enregistrer « Band on the run », espérant y puiser une énergie différente. Là encore, le séjour fut marqué par quelques déboires, qui virent l’ex-Fab Four hospitalisé aux urgences suite à un malaise lié à sa consommation excessive de cigarettes.
Le dessin d’Hervé Bourhis est extrêmement vivant et graphiquement très riche avec ses couleurs fluo-psyché. Comme il le dit lui-même dans l’interview à la fin de l’ouvrage, ce grand fan des Beatles (qui avait déjà publié en 2010 Le Petit Livre des Beatles) s’est réellement surpassé par rapport à ses productions précédentes plus minimalistes, ayant mis un an et demi à le réaliser.
S’il fallait une preuve qu’un auteur peut exceller autant dans la narration que dans le dessin, « Paul » en est une. Richement documenté, l’ouvrage révèle des facettes méconnues de « Macca » mais aussi des autres membres des Beatles, ainsi qu’un aperçu de la réalité du show-biz dans ces années-là. Au final, tous les ingrédients semblent avoir été réunis pour faire de cet album une bulle de nostalgie totalement immersive et jouissive.
De récentes lectures (Le Cas David Zimmerman, Peau d'Homme) m'ont amené à souhaiter redécouvrir ce ténébreux "Mauvais genre" immanquablement à l'esprit lorsque l'on envisage une BD sur la thématique du genre.
Ce qui me marque à la seconde lecture, est moins la thématique et le point de vue sur celle-ci, que la manière de conduire l'intrigue. Aussi bien le suspense autour du procès et sa gestion en pointillés via prolepses successives (flashforwards), la manière habile d'amener la thématique du genre via le traumatisme de la guerre (le travestissement comme nécessité puis son acceptation progressive par la curiosité puis fascination envers ce monde de la nuit grisant), que la manière d'interroger le regard contemporain sur le genre à partir du regard porté par la justice française durant l'après-guerre via notamment la belle ironie autour du langage employé pour l'évoquer ou décrire, tout s'imbrique joliment pour véritablement façonner un scénario riche, dynamique et pertinent, fluide, clair et intrigant : une structure globale véritablement réussie.
Avec pour conséquence de décliner tout militantisme au profit d'une fiction solide et plus si moderne ; ce qui plaira probablement à davantage de lecteurs.
Quelle belle surprise!! Je suis sur la même ligne que les élogieux avis précédents. Matthew Dooley nous propose un récit atypique et original autour d'une guerre fratricide de vendeurs de glaces très très drôle. Le personnage d'Howard en anti héros mal rasé, soumis aux événements mais touchant et attendrissant ne m'a pas quitté au cours de cette délicieuse lecture feel good. La thématique de cette compétition entre deux frères pour s'approprier le territoire du père est assez classique. Mais ici il s'agit d'une parcelle pour vendre des glaces… Cela donne des dialogues vifs et incisifs bourrés d'humour. En plus Dooley y ajoute le sujet de la détermination d'une montagne proche de la ville ,défendue par l'impayable Jasper, ce qui a le don de faire sourire les continentaux fiers de leurs sommets. Howard, Jasper, Tony et Alex forment une galerie bien sympathique où même le "vilain" Tony se révèle bien plus complexe avec une relation au père qui donne du relief aux deux personnages.
Le graphisme est minimaliste mais il donne une narration très fluide et dynamique. Les visages ronds ou en poires accentuent le côté humoristique du récit. Les cases sont petites et donne un aspect cinéma à l'ancienne dans le mouvement.
Une lecture très agréable et divertissante qui redonne le morale après une journée grise.
Jung sort de sa thématique de prédilection sur l'adoption et j'ai trouvé cela bien.
En effet, j'ai passé un agréable temps de lecture en compagnie des fantômes du lac d'Amada. Le scénario est assez classique centré sur cette double histoire d'amour qui doit vaincre toutes les épreuves surnaturelles qui se présentent. La thématique de la beauté intérieure supérieure à l'éphémère beauté esthétique est très usée mais elle permet à Jung de nous gratifier d'un superbe modèle féminin fût-il masqué proposant ainsi une belle touche de sensualité à sa série. Là où Jung réussit parfaitement son travail, c'est dans la description de ce Japon médiéval entre réalité , spiritualité et traditions surnaturelles. Le graphisme de l'auteur m'a beaucoup plu avec ces détails infinis que ce soit dans la diversité des armures où dans la précision des architectures même pour la plus simple des cabanes de pêcheurs. Cet immersion dans un Japon montagneux et enneigé propose une ambiance qui porte le récit de façon superbe. Le personnage de Setsuko mi courtisane mi guerrière permet un équilibre entre le raffinement et la violence de l'Histoire japonaise.
Le final est attendu voire convenu mais il n'a pas gâché le plaisir que j'ai eu à suivre les pas de Setsuko et de Seminaru.
L’ennui avec la réputation, c’est qu’il faut l’entretenir.
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Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre, de nature biographique. Son édition originale date de 2024. Il a été réalisé par Martin Veyron pour le scénario et les dessins, avec une mise en couleurs réalisée par Charles Veyron. Il comprend deux-cent-onze pages de bande dessinée.
En -356, Éphèse, de nuit dans le temple d’Atémis, un homme vient d’estourbir le gardien, et il tient une torche à la main.il renverse à terre les énormes vasques sur pied servant d’éclairage, et il se rend dans le sanctuaire pour mettre le feu aux rouleaux présents. L’incendie commençant à se propager, il sort dans la nuit douce et fraîche. Il s’éloigne en courant tranquillement d’une bonne foulée. Il s’arrête à bonne distance pour se retourner et contempler l’incendie. Un vieil homme arrive à cheval en sens inverse et sent l’odeur du brûlé. Il découvre le temple qui est la proie des flammes, et il fait demi-tour pour aller annoncer la nouvelle en ville, sans faire attention au jeune homme qui vient de donner son nom, Érostrate, et de s’accuser comme étant l’incendiaire. Il arrive enfin en ville et tout le monde est dans la rue, en train de regarder l’incendie au loin et de s’interroger sur ce qui a pu se passer, sans prêter attention au jeune homme qui dit tout haut qu’il s’appelle Érostrate et que c’est lui qui vient de mettre le feu au temple d’Artémis. Sur la terrasse, les sages du Conseil se lamentent quand arrive un messager essoufflé qui finit par parvenir à leur annoncer que l’incendiaire sur le port a été arrêté. Peu de temps après, trois soldats font leur entrée sur la terrasse, encadrant le jeune homme auquel ils ont mis les fers aux poignets.
Un des Sages entame le dialogue avec le prisonnier. Érostrate explique fièrement qu’il s’est auto-dénoncé ce qui a permis son arrestation en un temps record, il annonce son nom et il reconnaît sa culpabilité dans l’incendie du temple d’Artémis. En réponse au sage qui lui demande pourquoi il s’est livré, il répond : Quel intérêt de commettre un spectaculaire attentat si personne ne sait qui en est l’auteur ? Il ajoute qu’il a agi en son nom propre, pas celui d’Athènes. Les Sages lui demandent pourquoi il a fait ça, et il répond ingénument : Pour devenir célèbre ! Les Sages s’offusquent d’une telle réponse : ils ne se voient pas expliquer aux Éphésiens que le temple d’Artémis qui faisait leur fierté a été tout bonnement détruit parce qu’un type de passage comptait en retirer quelque célébrité. Ils seraient ridicules. Ils décident de livrer le criminel au bourreau pour qu’il le fasse avouer le motif véritable. Le bourreau ressort de la longue séance en chialant comme un veau. Il a mal à son âme car depuis le temps qu’il questionne Érostrate, celui-ci, tel le perroquet, ne fait que répéter : Pour la gloire, pour la gloire ! Pourtant il a fait son travail consciencieusement : enfoncer une aiguille sous les ongles, passer la plante des pieds au fer rouge, le fouetter bien comme il faut, tout aussi consciencieusement écraser les noix et les tétons. Il n’a rien négligé, il connaît son métier, mais ne veut plus l’exercer tant cet Érostrate l’a découragé.
Soit le lecteur connaît déjà le nom et l’histoire d’Érostrate, soit il ne lui faut pas longtemps pour se renseigner. Cet individu a connu la postérité pour avoir incendié le temple d’Artémis, c’est-à-dire une des sept merveilles du monde (quand même) : les pyramides de Gizeh en Égypte, les jardins suspendus de Babylone, la statue de Zeus à Olympie, le temple d'Artémis à Éphèse, le mausolée d'Halicarnasse, le colosse de Rhodes et le phare d'Alexandrie. Quant à sa gloire : elle évoquée par Jean-Paul Sartre (1905-1982) dans la nouvelle portant le nom du pyromane, incluse dans le recueil Le mur (1939). Dans un dialogue de trois répliques deux personnages évoquent Érostrate, son forfait. Le premier demande au second s’il se souvient du nom de l’architecte du temple, et l’autre reconnaît qu’il n’en a aucune idée, ce qui atteste bien de la gloire de l’incendiaire. Une seconde recherche permet d’apprendre que le temple fut bâti vers -560 par Théodore de Samos, Chersiphron et Métagénès et financé par le roi Crésus de Lydie. La structure du récit s’avère simple : Érostrate commet son forfait, se dénonce aux autorités et les sages du Conseil l’interroge pour qu’il raconte sa vie afin de comprendre son geste, jusqu’à ce que le jugement soit rendu, puis, vingt-deux ans plus tard, son nom est transmis par Diogène de Sinope (-413 à -323) au plus grand conquérant de l’époque : Alexandre le Grand (-356 à -323), par avec la célèbre réplique : Ôte-toi de mon soleil !
Étrange récit que celui-ci où le coupable est connu dès la première page, où il se livre volontairement à la justice, où il se vante de son crime, pour acquérir la gloire, c’est-à-dire la renommée brillante, universelle et durable, toutefois sans disposer de vertus particulières, d’un mérite quelconque, encore moins de grandes qualités, ou après avoir accompli de grandes actions ou de grandes œuvres. L’auteur réalise cette œuvre avec près de cinquante ans de carrière d’expérience. Il crée une bande dessinée dans laquelle il invente une biographie à cet individu singulier, les éléments historiques étant quasiment inexistants, et il en profite pour faire de lui un Athénien, plutôt qu’un simple berger éphésien, cette modification trouvant son explication dans le récit même. Le lecteur passe outre la couverture un peu austère, dépourvue d’illustration. Il découvre une première planche magnifique : une vue en plongée oblique à l’intérieur du temple avec une minuscule silhouette à terre et une autre guère plus grande tenant une torche. Si l’envie lui vient, il peut prendre le temps d’admirer les colonnes et leurs rainures, les chapiteaux sculptés, les grandes décorations aux murs, les tentures, la couche, les dessins au sol. Il ne s’attendait pas forcément à ce que l’artiste se montre aussi investi dans la reconstitution historique. Dans une interview, celui-ci a indiqué qu’il s’est fortement documenté, sans pour autant faire œuvre de reconstitution parfaite, prenant quelques menues libertés de ci de là, en particulier dans la narration visuelle des mythes.
La narration visuelle s’avère très agréable de bout en bout, facile à lire, riche et variée. L’investissement de l’artiste se ressent du début à la fin. La variété et de la consistance des décors : le temple d’Artémis (c’était la moindre des choses qu’il se montre à la hauteur de l’une des sept merveilles du monde), le chemin côtier, la scène de foule dans la rue, la belle terrasse de l’immeuble abritant le Conseil des Sages, la grande salle intérieure avec son bassin pour se baigner, les ruines du temple encore fumantes (snif), la cour de l’installation du potier (Pélogène, le père d’Érostrate) et ses ateliers, les arènes d’Athènes et la foule venue pour la fête publique avec la traversée de l’agora, plusieurs quartiers d’Athènes avec les temples et les statues, l’atelier du peintre Apelle, la somptueuse demeure de Callimaque (l’éraste d’Érostrate son éromène), la salle où se réunit l’aéropage des juges d’Athènes, l’atelier du sculpteur Praxitèle, le temple de la pythie de Delphes, une galère en mer Méditerranée, etc. Le lecteur apprécie également la personnalité de la mise en couleurs, avec l’usage de teintes inattendues, pouvant aussi bien être naturalistes pour un magnifique coucher de soleil, que décliner plusieurs nuances d’une même couleur pour créer une ambiance particulière dans une séquence. Inconsciemment, il ressent la variété des cadrages, des prises de vue des mises en scène, etc. Il peut voir les petits glissements visuels lors de l’évocation de scènes relevant de la mythologie. Il sourit régulièrement à de discrètes touches comiques, soit une exagération bien placée, soit un comportement glissant vers la pantomime ou la farce. Par exemple le contentement extraordinaire d’Érostrate bébé qui vient de faire sa première crotte dans une chaise et qui est applaudi par une dizaine de personnes présentes.
Le lecteur découvre également avec plaisir que l’auteur met à profit la richesse culturelle de l’époque, que ce soient par les personnalités, ou par les récits mythologiques. Ainsi Érostrate croise Diogène (plusieurs fois), le philosophe Aristote, la Pythie, le sculpteur Praxitèle, le peintre Apelle, la célèbre prostituée Phryné, et Alexandre le Grand vient saluer Diogène dans l’épilogue. Chacune de ses rencontres est l’occasion d’évoquer la pensée ou l’art de ces personnes illustres, elles aussi passées à la postérité. L’auteur met également à profit plusieurs récits où les dieux interviennent : l’histoire de Hélios, les hauts faits d’Héraclès, Achille déguisé en femme, le duel musical entre Marsyas et Apollon, Hésiode recevant la visite des Muses, Apollon courtisant Cassandre et lui faisant don d’un cadeau empoisonné, Éos & Arès, Ésope et les Delphiens, Héraclite et les Éphésiens, etc. Bien sûr, le lecteur établit le lien à la fois avec ces personnalités, à la fois avec ces contes, et le désir de gloire d’Érostrate. Il y repère à la fois l’humour de l’auteur (un glissement de registre de vocabulaire, une touche d’insolence), à la fois la renommée et parfois la gloire qui vient avec les hauts faits des uns, leur talent, et aussi le comportement indigne et mesquin des dieux dont la gloire est assurée par les dévotions du peuple grec. Il apprécie en outre les remarques teintées d’ironie des uns et des autres. La classification des individus les plus utiles à la République, en ordre décroissant, établie par Platon : le philosophe sur le premier échelon, puis les rois et les guerriers, les politiques et les financiers, les médecins et les hygiénistes, les devins, les peintres et les poètes, les artisans et les paysans, les sophistes, les tyrans. Tout en lui préférant peut-être celle de Diogène : les paysans, les marins, les artisans, les architectes, et Phryné, éventuellement les astronomes. Les explications de Diogène sur la mendicité : il s’est entraîné à demander l’aumône à des statues, c’est souverain pour se faire une âme d’airain face à l’échec. Le constat de Callimaque : il n’a pas les moyens de sa vanité. Etc.
Le complexe d’Érostrate existe : il identifie celle ou celui qui est prêt à tout pour se mettre en avant, pour devenir célèbre, pour que l'on parle de lui, et il a été imaginé à l’occasion de tels comportements sur les réseaux sociaux.
Une couverture un peu austère, un thème sous forme de péplum, une pagination conséquente. Une lecture facile et fluide, une narration visuelle riche et accessible. Un ton à la fois persifleur et cultivé. Le lecteur attend les réponses d’Érostrate aux questions des sages du conseil d’Éphèse, curieux aussi de savoir ce qui a conduit cet individu à détruire l’une des sept merveilles du monde, comment sa soif de gloire apparaît par comparaison à la gloire d’autres de ses contemporains. Insolent.
Cet album est intéressant à double titre.
D’abord parce qu’il donne à voir les luttes syndicales, le combat mené par les ouvriers métallurgiste d’Usinor en Lorraine – et plus généralement de leurs familles et des habitants des villes concernées, face au démantèlement de l’outil industriel, les délocalisations « pour convenance actionnariales ». Cet aspect est bien traité et intéressant.
Mais l’intérêt de l’histoire est renforcé par le fait qu’au cœur des actions – et de l’album – c’est aussi l’activité d’une « radio libre », militante, « Lorraine Cœur d’Acier » donc, à la fin des années 1980, qui est mis en avant. En sus des luttes ouvrières, cette radio va aussi couvrir d’autres revendications, donnant la parole aux femmes, et plus généralement à tous ceux privés de paroles qui pouvaient trouver là un moyen de faire entendre des choses largement occultées. En cela cette radio, comme quelques autres à l’époque, faisait œuvre d’utilité publique.
La radio fait face aux blocages des instances nationales de la CGT – qui voient d’un mauvais œil la parole donnée à tous, y compris à Krivine et des « non communistes ».
La radio et les militants font aussi et surtout face au patronat, largement soutenu par l’État (voir le policier camouflé en casseur pour discréditer l’action des manifestant – une technique toujours utilisée hélas, ou les dépenses effectuées pour brouiller les émissions de la radio).
Le sujet militant, avec des ouvriers d’origine étrangère (italienne en particulier), le dessin aussi, tout m’a fait penser à quelques albums de Baru. Aussi n’ai-je pas été étonné de le retrouver dans la postface qui conclut l’album.
Une lecture intéressante, avec une narration agréable, et une bonne vision de l’agitation sociale de la fin des années Giscard.
Le très beau noir & blanc de Chapouté nous invite au voyage, avec cette petite histoire tranquille et ordinaire. Une invitation à ouvrir notre regard non pas sur un lointain Alaska, mais bien sur le monde qui nous entoure ici et maintenant..
L'alsacien Christophe Chabouté est né en 70 et l'une de ses premières BD à rencontrer le succès sera Pleine lune, un récit policier publié en 1999. La consécration internationale viendra avec Tout seul, un album sorti en 2008.
Depuis le début de sa carrière, Chabouté reste fidèle à ses propres standards : un noir & blanc clair et précis, des héros plutôt ordinaires, une mise en page dynamique et des récits de peu de mots.
Alors il était vraiment grand temps qu'on rattrape notre inexcusable retard et qu'on parle de lui ici avec cet album au titre prometteur : "Plus loin qu'ailleurs".
Alexandre est gardien de parking. Gardien de nuit. Et pour une fois, il a décidé de partir plus loin qu'ailleurs.
« [...] - Et qu'est-ce que tu vas faire pendant des vacances ? T'en as jamais pris de ta vie !
Ça fait bien 20 piges que tu as le cul vissé sur cette chaise toutes les nuits. Le nez dans tes dessins.
- Je pars en Alaska !
[...] Je vais faire un trek. L'Alaska, le Klondike, le bout du monde quoi. »
[...] Je vis au même endroit depuis bientôt 28 ans. Je n'ai jamais vu la tête de mes voisins. Je n'ai jamais dit bonjour à mon facteur. Je ne sais même pas à quoi il ressemble. Je vis dans un quartier que je ne connais pas. [...] Une vie de hibou. »
Le voici donc qui se prépare à suivre les traces de Pete Fromm, son livre de chevet, après avoir glissé le "Manuel du randonneur" dans son sac. Jusqu'à l'aéroport tout va bien.
Mais là, patatras, son voyage est annulé. Et double patatras, Alexandre se casse la cheville dans les escalators. Le voilà de retour à la case départ où l'envie le reprend de radicalement changer d'air ou de point de vue : il prend donc une chambre dans l'hôtel ... en face de chez lui, juste de l'autre côté de la place.
À défaut d'ours polaires et de grands espaces il va enfin pouvoir découvrir son quartier et ses habitants. Étudier ses voisins (nous ?), leurs chaussures, leurs téléphones, leurs comportements, les bruits, les couleurs, les petits papiers jetés ici ou là.
Et le soir, de retour à son hôtel, Alexandre prend des notes dans son carnet de voyage.
La première sera : « partir en restant ».
Chaque "randonnée" autour de la place du quartier est l'occasion pour Alexandre et son lecteur, d'une petite leçon de vie, comme on dit.
Les dessins de Chabouté sont passionnants. Ce beau noir & blanc net, précis, laisse entrevoir de nouveaux détails à chaque lecture. Les pages ne sont pas envahies de bulles verbeuses ou explicatives et c'est avec l'enchaînement des plans, des cadrages, leur répétition, que le lecteur devine ce qui se trame.
Il y a là ce ton paisible des histoires tranquilles et ordinaires. Une astucieuse histoire qui se conclut de jolie façon, dans une ambiance qui rappelle beaucoup celle des albums d'Etienne Davodeau.
Et puis il y a là les petites leçons de vie qui nous sont dispensées, sans prétention, destinées à ouvrir notre regard non pas sur un lointain Alaska, mais bien sur le monde qui nous entoure ici et maintenant. Pour « se dépoussiérer les yeux » sur notre environnement, les passants, les voisins, ...
On frôle parfois la gentille philosophie quand une simple liste de courses devient une « nature morte » ou même la question existentielle quand on se demande si « un poisson au fond de l'eau entend râler le pêcheur assis sur la berge ? ».
Malgré ses apparences, cet album est tout de même un appel aux voyages.
Voilà un album qui s’adresse avant tout aux lecteurs amateurs de récits contemplatifs, où une narration langoureuse pleine de poésie – un chouia littéraire – remplace l’action et les méandres d’une intrigue complexe.
Pas de dialogue donc, une narration en voix off (chaque personnage au centre des différents chapitres nous raconte son histoire, ce qui le lie au « royaume »). Une intrigue qui est à la fois envoûtante, mais aussi obscure. Intrigante, sans forcément fournir toutes les clés. Mais rien de frustrant ici, car ce récit est agréable à suivre.
Il l’est d’autant plus que le travail graphique de Marcel Shorjian (auteur que je découvre ici) est original et lui aussi captivant. Un trait stylisé, plutôt statique, chaque personnage étant comme l’incarnation d’une carte de Tarot (et les têtes de chapitre, donnant le nom du personnage qui en sera au cœur, sonnent comme les noms de cartes de Tarot).
Et la colorisation (une bichromie différente pour chaque personnage/chapitre) est elle aussi agréable. Ce beau travail graphique est mis en valeur par le très bon travail éditorial (couverture épaisse avec dos toilé, papier épais, etc.
Un chouette album, original, que j’ai pris plaisir à parcourir.
S’il y a bien une chose que j’aime par-dessus tout, c’est de me laisser embarquer dans une histoire que mes a priori, parfois pour d’obscures raisons, m’empêchaient d’empoigner. C’est le cas avec ce premier tome signé Joe Daly dont j’appréciais pourtant le travail jusqu’ici.
Quand mon fournisseur de BD m’a fait l’article de Rust River City, il y avait une petite partie de mon cerveau qui se méfiait, sans réel motif. Il se trouve que l’occasion m’a été donnée de la lire dans le cadre de mon boulot, et je suis emballé, au point que j’envisage d’en faire l’acquisition.
D’abord, il y a le dessin, ici indissociable des couleurs, audacieuses, crépusculaires. Il se dégage une ambiance forte qui confère à cette histoire finalement très terre à terre un petit quelque chose d’irréel, voire carrément hypnotique. Cette impression se confirme lorsque l’on referme ce premier volume. En effet, la fin laisse entendre que la suite ouvrira sur quelque chose d’autre, quelque chose de tout à fait différent. En tout cas, cela augure d’une suite truculente, et ma curiosité a été on-ne-peut-plus aiguisée.
Pourtant, ce n’était pas gagné. Après quelques pages un peu plan-plan, je me suis laissé cuire à petit feu. Sans doute fallait-il ce temps d’adaptation car le ton est particulier. Et l’histoire l'est tout autant. Tout est baigné d’un esprit typiquement « indé ». Des références filmographiques n’ont cessé de me chatouiller, et non des moindres. On songe en effet au cinéma de Sean Baker (le film Tangerine notamment pour son atmosphère et ses dialogues), à des films tels que War Pony de Gina Gammell et Riley Keough, 90’ de Jonah Hill, ou bien encore au cultissime Big Lebowski qu’on ne présente plus.
Les dialogues, dont les pavés de textes peuvent rebuter (ce qui a sans doute joué dans mon cas), sont bons, néanmoins très crus, voire vulgaires, mais souvent drôles. Le scénar prend son temps pour se déployer, mais c’est aussi ce qui permet de se sentir en intimité avec les personnages qui, pour certains, en deviennent même sympathiques. C’est le cas notamment du héros, Dean, un ouvrier vétéran du Viêt-Nam, que sa détestation pour les asiatiques rend pourtant très antipathique. Mais on finit par entrevoir son côté humain, touchant, mal assuré et même sensible… Même les ados, dont les aventures occupent de nombreuses scènes parallèles à celle de Dean, deviennent proches du lecteur alors que certains d’entre eux sont franchement cons. Le plus étonnant dans cette BD, c’est que l’histoire se déroule dans un contexte d’une affligeante banalité : ville sordide, contexte très actualisé (même si se déroulant à l’époque de la cassette vidéo) sur fond de marasme économique et de chômage, de racisme, de masculinisme en fin de règne, mais également de ce sentiment de perdition de la jeune génération…
Bref ! C’est une lecture tout à fait singulière qui me fait patauger dans l’impatience. Vivement le tome 2 qui sera aussi la conclusion et promet de basculer vers un truc qui pourrait bien prendre un détour complètement fantastique. Un coup de cœur tout à fait inattendu !
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Stranger Things - Tales from Hawkins
J’ai beaucoup aimé “Stranger Things: Tales from Hawkins”, que je note 4/5. Ce comics de quatre épisodes propose des histoires indépendantes qui se déroulent dans l’univers de la série, et j’ai trouvé qu’elles capturent très bien l’ambiance étrange, nostalgique et mystérieuse de Hawkins. Chaque numéro explore un angle différent : entre tension dans les bois, enquête avec Murray, romance adolescente et rivalité entre fermiers, ce qui rend l’ensemble vraiment agréable à lire, sans jamais être répétitif. Même si ces récits n’apportent rien de crucial à l’histoire principale de Stranger Things, ils complètent très bien l’univers pour les fans curieux. Ce n’est pas indispensable, mais c’est une lecture immersive, bien rythmée, avec de beaux dessins et une vraie fidélité à l’esprit de la série. Je recommande à tous ceux qui aiment Hawkins et veulent s’y replonger autrement !
Paul
« Paul », sucrerie pop aux couleurs psychédéliques concoctée par Hervé Bourhis, nous replonge avec bonheur dans ces « late sixties » où le champ des possibles était incroyablement vaste, où les utopies fleurissaient en harmonie avec l’effervescence artistique et musicale de l’époque, propulsées par un vent de liberté inédit. Si la narration débute au moment de la séparation des Beatles, en 1969, pour s’achever dans les années 75-76, au moment où les Wings étaient alors au sommet de leur gloire, il faut bien l’avouer, ces derniers, avec le recul, ont bien moins marqué l’histoire de la musique que les mythiques Fab Four de Liverpool. Et d’ailleurs, qui se souvient que Mc Cartney avait connu une période de flottement, avec alcoolisme et grosse déprime à la clé, dès lors que le groupe avait splitté. A cette même époque, une rumeur circulait même à propos de sa mort trois ans avant, suite à quoi il aurait été remplacé par un sosie au sein des Beatles ! Tout cela, Hervé Bourhis l’évoque et le dessine de façon rythmée dans cet album aux couleurs très « seventies ». Et c’est un bel hommage que rend ici Bourhis au songwriter le plus talentueux de sa génération, mais qui réhabilite aussi les Wings, passés quelque peu dans l’oubli malgré les pépites que sont, selon l’auteur, « Band on the run » et « Ram ». Ce groupe fut pour McCartney une véritable « résurrection », selon les termes mêmes de John Lennon qui était revenu le voir une fois la période de brouille terminée, même si pour la renaissance des Beatles, le point de non retour avait été franchi depuis longtemps. La narration est à la première personne, celle de l’ami Paul, révélant à quel point Hervé Bourhis s’est identifié, sans en être forcément conscient, à cette personnalité dont le nom est toujours resté associé aux Beatles. Lui aussi, après avoir failli être emporté par la maladie (A ce titre, on peut lire son autobiographie Mon infractus), a connu une sorte de renaissance. Parmi d’autres anecdotes, en plus de celles énoncées plus haut et tombées dans l’oubli pour une grande partie du public, on découvre comment l’ex-Beatles s’est reconstruit, on suit son redémarrage à zéro assez hallucinant avec ses Wings, et on découvre par la même occasion une certaine modestie qui prouve que l’homme était davantage passionné par la musique que préoccupé par sa propre notoriété. Ce qui par la suite s’est révélé porteur, puisque son talent de compositeur était resté intact a l’a ainsi mené au succès. Etonnante aussi cette rencontre improbable avec une super star de la scène africaine, Fela. McCartney était venu au Nigéria pour y enregistrer « Band on the run », espérant y puiser une énergie différente. Là encore, le séjour fut marqué par quelques déboires, qui virent l’ex-Fab Four hospitalisé aux urgences suite à un malaise lié à sa consommation excessive de cigarettes. Le dessin d’Hervé Bourhis est extrêmement vivant et graphiquement très riche avec ses couleurs fluo-psyché. Comme il le dit lui-même dans l’interview à la fin de l’ouvrage, ce grand fan des Beatles (qui avait déjà publié en 2010 Le Petit Livre des Beatles) s’est réellement surpassé par rapport à ses productions précédentes plus minimalistes, ayant mis un an et demi à le réaliser. S’il fallait une preuve qu’un auteur peut exceller autant dans la narration que dans le dessin, « Paul » en est une. Richement documenté, l’ouvrage révèle des facettes méconnues de « Macca » mais aussi des autres membres des Beatles, ainsi qu’un aperçu de la réalité du show-biz dans ces années-là. Au final, tous les ingrédients semblent avoir été réunis pour faire de cet album une bulle de nostalgie totalement immersive et jouissive.
Mauvais genre
De récentes lectures (Le Cas David Zimmerman, Peau d'Homme) m'ont amené à souhaiter redécouvrir ce ténébreux "Mauvais genre" immanquablement à l'esprit lorsque l'on envisage une BD sur la thématique du genre. Ce qui me marque à la seconde lecture, est moins la thématique et le point de vue sur celle-ci, que la manière de conduire l'intrigue. Aussi bien le suspense autour du procès et sa gestion en pointillés via prolepses successives (flashforwards), la manière habile d'amener la thématique du genre via le traumatisme de la guerre (le travestissement comme nécessité puis son acceptation progressive par la curiosité puis fascination envers ce monde de la nuit grisant), que la manière d'interroger le regard contemporain sur le genre à partir du regard porté par la justice française durant l'après-guerre via notamment la belle ironie autour du langage employé pour l'évoquer ou décrire, tout s'imbrique joliment pour véritablement façonner un scénario riche, dynamique et pertinent, fluide, clair et intrigant : une structure globale véritablement réussie. Avec pour conséquence de décliner tout militantisme au profit d'une fiction solide et plus si moderne ; ce qui plaira probablement à davantage de lecteurs.
Glace
Quelle belle surprise!! Je suis sur la même ligne que les élogieux avis précédents. Matthew Dooley nous propose un récit atypique et original autour d'une guerre fratricide de vendeurs de glaces très très drôle. Le personnage d'Howard en anti héros mal rasé, soumis aux événements mais touchant et attendrissant ne m'a pas quitté au cours de cette délicieuse lecture feel good. La thématique de cette compétition entre deux frères pour s'approprier le territoire du père est assez classique. Mais ici il s'agit d'une parcelle pour vendre des glaces… Cela donne des dialogues vifs et incisifs bourrés d'humour. En plus Dooley y ajoute le sujet de la détermination d'une montagne proche de la ville ,défendue par l'impayable Jasper, ce qui a le don de faire sourire les continentaux fiers de leurs sommets. Howard, Jasper, Tony et Alex forment une galerie bien sympathique où même le "vilain" Tony se révèle bien plus complexe avec une relation au père qui donne du relief aux deux personnages. Le graphisme est minimaliste mais il donne une narration très fluide et dynamique. Les visages ronds ou en poires accentuent le côté humoristique du récit. Les cases sont petites et donne un aspect cinéma à l'ancienne dans le mouvement. Une lecture très agréable et divertissante qui redonne le morale après une journée grise.
Kwaïdan
Jung sort de sa thématique de prédilection sur l'adoption et j'ai trouvé cela bien. En effet, j'ai passé un agréable temps de lecture en compagnie des fantômes du lac d'Amada. Le scénario est assez classique centré sur cette double histoire d'amour qui doit vaincre toutes les épreuves surnaturelles qui se présentent. La thématique de la beauté intérieure supérieure à l'éphémère beauté esthétique est très usée mais elle permet à Jung de nous gratifier d'un superbe modèle féminin fût-il masqué proposant ainsi une belle touche de sensualité à sa série. Là où Jung réussit parfaitement son travail, c'est dans la description de ce Japon médiéval entre réalité , spiritualité et traditions surnaturelles. Le graphisme de l'auteur m'a beaucoup plu avec ces détails infinis que ce soit dans la diversité des armures où dans la précision des architectures même pour la plus simple des cabanes de pêcheurs. Cet immersion dans un Japon montagneux et enneigé propose une ambiance qui porte le récit de façon superbe. Le personnage de Setsuko mi courtisane mi guerrière permet un équilibre entre le raffinement et la violence de l'Histoire japonaise. Le final est attendu voire convenu mais il n'a pas gâché le plaisir que j'ai eu à suivre les pas de Setsuko et de Seminaru.
Erostrate
L’ennui avec la réputation, c’est qu’il faut l’entretenir. - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre, de nature biographique. Son édition originale date de 2024. Il a été réalisé par Martin Veyron pour le scénario et les dessins, avec une mise en couleurs réalisée par Charles Veyron. Il comprend deux-cent-onze pages de bande dessinée. En -356, Éphèse, de nuit dans le temple d’Atémis, un homme vient d’estourbir le gardien, et il tient une torche à la main.il renverse à terre les énormes vasques sur pied servant d’éclairage, et il se rend dans le sanctuaire pour mettre le feu aux rouleaux présents. L’incendie commençant à se propager, il sort dans la nuit douce et fraîche. Il s’éloigne en courant tranquillement d’une bonne foulée. Il s’arrête à bonne distance pour se retourner et contempler l’incendie. Un vieil homme arrive à cheval en sens inverse et sent l’odeur du brûlé. Il découvre le temple qui est la proie des flammes, et il fait demi-tour pour aller annoncer la nouvelle en ville, sans faire attention au jeune homme qui vient de donner son nom, Érostrate, et de s’accuser comme étant l’incendiaire. Il arrive enfin en ville et tout le monde est dans la rue, en train de regarder l’incendie au loin et de s’interroger sur ce qui a pu se passer, sans prêter attention au jeune homme qui dit tout haut qu’il s’appelle Érostrate et que c’est lui qui vient de mettre le feu au temple d’Artémis. Sur la terrasse, les sages du Conseil se lamentent quand arrive un messager essoufflé qui finit par parvenir à leur annoncer que l’incendiaire sur le port a été arrêté. Peu de temps après, trois soldats font leur entrée sur la terrasse, encadrant le jeune homme auquel ils ont mis les fers aux poignets. Un des Sages entame le dialogue avec le prisonnier. Érostrate explique fièrement qu’il s’est auto-dénoncé ce qui a permis son arrestation en un temps record, il annonce son nom et il reconnaît sa culpabilité dans l’incendie du temple d’Artémis. En réponse au sage qui lui demande pourquoi il s’est livré, il répond : Quel intérêt de commettre un spectaculaire attentat si personne ne sait qui en est l’auteur ? Il ajoute qu’il a agi en son nom propre, pas celui d’Athènes. Les Sages lui demandent pourquoi il a fait ça, et il répond ingénument : Pour devenir célèbre ! Les Sages s’offusquent d’une telle réponse : ils ne se voient pas expliquer aux Éphésiens que le temple d’Artémis qui faisait leur fierté a été tout bonnement détruit parce qu’un type de passage comptait en retirer quelque célébrité. Ils seraient ridicules. Ils décident de livrer le criminel au bourreau pour qu’il le fasse avouer le motif véritable. Le bourreau ressort de la longue séance en chialant comme un veau. Il a mal à son âme car depuis le temps qu’il questionne Érostrate, celui-ci, tel le perroquet, ne fait que répéter : Pour la gloire, pour la gloire ! Pourtant il a fait son travail consciencieusement : enfoncer une aiguille sous les ongles, passer la plante des pieds au fer rouge, le fouetter bien comme il faut, tout aussi consciencieusement écraser les noix et les tétons. Il n’a rien négligé, il connaît son métier, mais ne veut plus l’exercer tant cet Érostrate l’a découragé. Soit le lecteur connaît déjà le nom et l’histoire d’Érostrate, soit il ne lui faut pas longtemps pour se renseigner. Cet individu a connu la postérité pour avoir incendié le temple d’Artémis, c’est-à-dire une des sept merveilles du monde (quand même) : les pyramides de Gizeh en Égypte, les jardins suspendus de Babylone, la statue de Zeus à Olympie, le temple d'Artémis à Éphèse, le mausolée d'Halicarnasse, le colosse de Rhodes et le phare d'Alexandrie. Quant à sa gloire : elle évoquée par Jean-Paul Sartre (1905-1982) dans la nouvelle portant le nom du pyromane, incluse dans le recueil Le mur (1939). Dans un dialogue de trois répliques deux personnages évoquent Érostrate, son forfait. Le premier demande au second s’il se souvient du nom de l’architecte du temple, et l’autre reconnaît qu’il n’en a aucune idée, ce qui atteste bien de la gloire de l’incendiaire. Une seconde recherche permet d’apprendre que le temple fut bâti vers -560 par Théodore de Samos, Chersiphron et Métagénès et financé par le roi Crésus de Lydie. La structure du récit s’avère simple : Érostrate commet son forfait, se dénonce aux autorités et les sages du Conseil l’interroge pour qu’il raconte sa vie afin de comprendre son geste, jusqu’à ce que le jugement soit rendu, puis, vingt-deux ans plus tard, son nom est transmis par Diogène de Sinope (-413 à -323) au plus grand conquérant de l’époque : Alexandre le Grand (-356 à -323), par avec la célèbre réplique : Ôte-toi de mon soleil ! Étrange récit que celui-ci où le coupable est connu dès la première page, où il se livre volontairement à la justice, où il se vante de son crime, pour acquérir la gloire, c’est-à-dire la renommée brillante, universelle et durable, toutefois sans disposer de vertus particulières, d’un mérite quelconque, encore moins de grandes qualités, ou après avoir accompli de grandes actions ou de grandes œuvres. L’auteur réalise cette œuvre avec près de cinquante ans de carrière d’expérience. Il crée une bande dessinée dans laquelle il invente une biographie à cet individu singulier, les éléments historiques étant quasiment inexistants, et il en profite pour faire de lui un Athénien, plutôt qu’un simple berger éphésien, cette modification trouvant son explication dans le récit même. Le lecteur passe outre la couverture un peu austère, dépourvue d’illustration. Il découvre une première planche magnifique : une vue en plongée oblique à l’intérieur du temple avec une minuscule silhouette à terre et une autre guère plus grande tenant une torche. Si l’envie lui vient, il peut prendre le temps d’admirer les colonnes et leurs rainures, les chapiteaux sculptés, les grandes décorations aux murs, les tentures, la couche, les dessins au sol. Il ne s’attendait pas forcément à ce que l’artiste se montre aussi investi dans la reconstitution historique. Dans une interview, celui-ci a indiqué qu’il s’est fortement documenté, sans pour autant faire œuvre de reconstitution parfaite, prenant quelques menues libertés de ci de là, en particulier dans la narration visuelle des mythes. La narration visuelle s’avère très agréable de bout en bout, facile à lire, riche et variée. L’investissement de l’artiste se ressent du début à la fin. La variété et de la consistance des décors : le temple d’Artémis (c’était la moindre des choses qu’il se montre à la hauteur de l’une des sept merveilles du monde), le chemin côtier, la scène de foule dans la rue, la belle terrasse de l’immeuble abritant le Conseil des Sages, la grande salle intérieure avec son bassin pour se baigner, les ruines du temple encore fumantes (snif), la cour de l’installation du potier (Pélogène, le père d’Érostrate) et ses ateliers, les arènes d’Athènes et la foule venue pour la fête publique avec la traversée de l’agora, plusieurs quartiers d’Athènes avec les temples et les statues, l’atelier du peintre Apelle, la somptueuse demeure de Callimaque (l’éraste d’Érostrate son éromène), la salle où se réunit l’aéropage des juges d’Athènes, l’atelier du sculpteur Praxitèle, le temple de la pythie de Delphes, une galère en mer Méditerranée, etc. Le lecteur apprécie également la personnalité de la mise en couleurs, avec l’usage de teintes inattendues, pouvant aussi bien être naturalistes pour un magnifique coucher de soleil, que décliner plusieurs nuances d’une même couleur pour créer une ambiance particulière dans une séquence. Inconsciemment, il ressent la variété des cadrages, des prises de vue des mises en scène, etc. Il peut voir les petits glissements visuels lors de l’évocation de scènes relevant de la mythologie. Il sourit régulièrement à de discrètes touches comiques, soit une exagération bien placée, soit un comportement glissant vers la pantomime ou la farce. Par exemple le contentement extraordinaire d’Érostrate bébé qui vient de faire sa première crotte dans une chaise et qui est applaudi par une dizaine de personnes présentes. Le lecteur découvre également avec plaisir que l’auteur met à profit la richesse culturelle de l’époque, que ce soient par les personnalités, ou par les récits mythologiques. Ainsi Érostrate croise Diogène (plusieurs fois), le philosophe Aristote, la Pythie, le sculpteur Praxitèle, le peintre Apelle, la célèbre prostituée Phryné, et Alexandre le Grand vient saluer Diogène dans l’épilogue. Chacune de ses rencontres est l’occasion d’évoquer la pensée ou l’art de ces personnes illustres, elles aussi passées à la postérité. L’auteur met également à profit plusieurs récits où les dieux interviennent : l’histoire de Hélios, les hauts faits d’Héraclès, Achille déguisé en femme, le duel musical entre Marsyas et Apollon, Hésiode recevant la visite des Muses, Apollon courtisant Cassandre et lui faisant don d’un cadeau empoisonné, Éos & Arès, Ésope et les Delphiens, Héraclite et les Éphésiens, etc. Bien sûr, le lecteur établit le lien à la fois avec ces personnalités, à la fois avec ces contes, et le désir de gloire d’Érostrate. Il y repère à la fois l’humour de l’auteur (un glissement de registre de vocabulaire, une touche d’insolence), à la fois la renommée et parfois la gloire qui vient avec les hauts faits des uns, leur talent, et aussi le comportement indigne et mesquin des dieux dont la gloire est assurée par les dévotions du peuple grec. Il apprécie en outre les remarques teintées d’ironie des uns et des autres. La classification des individus les plus utiles à la République, en ordre décroissant, établie par Platon : le philosophe sur le premier échelon, puis les rois et les guerriers, les politiques et les financiers, les médecins et les hygiénistes, les devins, les peintres et les poètes, les artisans et les paysans, les sophistes, les tyrans. Tout en lui préférant peut-être celle de Diogène : les paysans, les marins, les artisans, les architectes, et Phryné, éventuellement les astronomes. Les explications de Diogène sur la mendicité : il s’est entraîné à demander l’aumône à des statues, c’est souverain pour se faire une âme d’airain face à l’échec. Le constat de Callimaque : il n’a pas les moyens de sa vanité. Etc. Le complexe d’Érostrate existe : il identifie celle ou celui qui est prêt à tout pour se mettre en avant, pour devenir célèbre, pour que l'on parle de lui, et il a été imaginé à l’occasion de tels comportements sur les réseaux sociaux. Une couverture un peu austère, un thème sous forme de péplum, une pagination conséquente. Une lecture facile et fluide, une narration visuelle riche et accessible. Un ton à la fois persifleur et cultivé. Le lecteur attend les réponses d’Érostrate aux questions des sages du conseil d’Éphèse, curieux aussi de savoir ce qui a conduit cet individu à détruire l’une des sept merveilles du monde, comment sa soif de gloire apparaît par comparaison à la gloire d’autres de ses contemporains. Insolent.
Lorraine Coeur d'acier
Cet album est intéressant à double titre. D’abord parce qu’il donne à voir les luttes syndicales, le combat mené par les ouvriers métallurgiste d’Usinor en Lorraine – et plus généralement de leurs familles et des habitants des villes concernées, face au démantèlement de l’outil industriel, les délocalisations « pour convenance actionnariales ». Cet aspect est bien traité et intéressant. Mais l’intérêt de l’histoire est renforcé par le fait qu’au cœur des actions – et de l’album – c’est aussi l’activité d’une « radio libre », militante, « Lorraine Cœur d’Acier » donc, à la fin des années 1980, qui est mis en avant. En sus des luttes ouvrières, cette radio va aussi couvrir d’autres revendications, donnant la parole aux femmes, et plus généralement à tous ceux privés de paroles qui pouvaient trouver là un moyen de faire entendre des choses largement occultées. En cela cette radio, comme quelques autres à l’époque, faisait œuvre d’utilité publique. La radio fait face aux blocages des instances nationales de la CGT – qui voient d’un mauvais œil la parole donnée à tous, y compris à Krivine et des « non communistes ». La radio et les militants font aussi et surtout face au patronat, largement soutenu par l’État (voir le policier camouflé en casseur pour discréditer l’action des manifestant – une technique toujours utilisée hélas, ou les dépenses effectuées pour brouiller les émissions de la radio). Le sujet militant, avec des ouvriers d’origine étrangère (italienne en particulier), le dessin aussi, tout m’a fait penser à quelques albums de Baru. Aussi n’ai-je pas été étonné de le retrouver dans la postface qui conclut l’album. Une lecture intéressante, avec une narration agréable, et une bonne vision de l’agitation sociale de la fin des années Giscard.
Plus loin qu'ailleurs
Le très beau noir & blanc de Chapouté nous invite au voyage, avec cette petite histoire tranquille et ordinaire. Une invitation à ouvrir notre regard non pas sur un lointain Alaska, mais bien sur le monde qui nous entoure ici et maintenant.. L'alsacien Christophe Chabouté est né en 70 et l'une de ses premières BD à rencontrer le succès sera Pleine lune, un récit policier publié en 1999. La consécration internationale viendra avec Tout seul, un album sorti en 2008. Depuis le début de sa carrière, Chabouté reste fidèle à ses propres standards : un noir & blanc clair et précis, des héros plutôt ordinaires, une mise en page dynamique et des récits de peu de mots. Alors il était vraiment grand temps qu'on rattrape notre inexcusable retard et qu'on parle de lui ici avec cet album au titre prometteur : "Plus loin qu'ailleurs". Alexandre est gardien de parking. Gardien de nuit. Et pour une fois, il a décidé de partir plus loin qu'ailleurs. « [...] - Et qu'est-ce que tu vas faire pendant des vacances ? T'en as jamais pris de ta vie ! Ça fait bien 20 piges que tu as le cul vissé sur cette chaise toutes les nuits. Le nez dans tes dessins. - Je pars en Alaska ! [...] Je vais faire un trek. L'Alaska, le Klondike, le bout du monde quoi. » [...] Je vis au même endroit depuis bientôt 28 ans. Je n'ai jamais vu la tête de mes voisins. Je n'ai jamais dit bonjour à mon facteur. Je ne sais même pas à quoi il ressemble. Je vis dans un quartier que je ne connais pas. [...] Une vie de hibou. » Le voici donc qui se prépare à suivre les traces de Pete Fromm, son livre de chevet, après avoir glissé le "Manuel du randonneur" dans son sac. Jusqu'à l'aéroport tout va bien. Mais là, patatras, son voyage est annulé. Et double patatras, Alexandre se casse la cheville dans les escalators. Le voilà de retour à la case départ où l'envie le reprend de radicalement changer d'air ou de point de vue : il prend donc une chambre dans l'hôtel ... en face de chez lui, juste de l'autre côté de la place. À défaut d'ours polaires et de grands espaces il va enfin pouvoir découvrir son quartier et ses habitants. Étudier ses voisins (nous ?), leurs chaussures, leurs téléphones, leurs comportements, les bruits, les couleurs, les petits papiers jetés ici ou là. Et le soir, de retour à son hôtel, Alexandre prend des notes dans son carnet de voyage. La première sera : « partir en restant ». Chaque "randonnée" autour de la place du quartier est l'occasion pour Alexandre et son lecteur, d'une petite leçon de vie, comme on dit. Les dessins de Chabouté sont passionnants. Ce beau noir & blanc net, précis, laisse entrevoir de nouveaux détails à chaque lecture. Les pages ne sont pas envahies de bulles verbeuses ou explicatives et c'est avec l'enchaînement des plans, des cadrages, leur répétition, que le lecteur devine ce qui se trame. Il y a là ce ton paisible des histoires tranquilles et ordinaires. Une astucieuse histoire qui se conclut de jolie façon, dans une ambiance qui rappelle beaucoup celle des albums d'Etienne Davodeau. Et puis il y a là les petites leçons de vie qui nous sont dispensées, sans prétention, destinées à ouvrir notre regard non pas sur un lointain Alaska, mais bien sur le monde qui nous entoure ici et maintenant. Pour « se dépoussiérer les yeux » sur notre environnement, les passants, les voisins, ... On frôle parfois la gentille philosophie quand une simple liste de courses devient une « nature morte » ou même la question existentielle quand on se demande si « un poisson au fond de l'eau entend râler le pêcheur assis sur la berge ? ». Malgré ses apparences, cet album est tout de même un appel aux voyages.
Adieu mon royaume
Voilà un album qui s’adresse avant tout aux lecteurs amateurs de récits contemplatifs, où une narration langoureuse pleine de poésie – un chouia littéraire – remplace l’action et les méandres d’une intrigue complexe. Pas de dialogue donc, une narration en voix off (chaque personnage au centre des différents chapitres nous raconte son histoire, ce qui le lie au « royaume »). Une intrigue qui est à la fois envoûtante, mais aussi obscure. Intrigante, sans forcément fournir toutes les clés. Mais rien de frustrant ici, car ce récit est agréable à suivre. Il l’est d’autant plus que le travail graphique de Marcel Shorjian (auteur que je découvre ici) est original et lui aussi captivant. Un trait stylisé, plutôt statique, chaque personnage étant comme l’incarnation d’une carte de Tarot (et les têtes de chapitre, donnant le nom du personnage qui en sera au cœur, sonnent comme les noms de cartes de Tarot). Et la colorisation (une bichromie différente pour chaque personnage/chapitre) est elle aussi agréable. Ce beau travail graphique est mis en valeur par le très bon travail éditorial (couverture épaisse avec dos toilé, papier épais, etc. Un chouette album, original, que j’ai pris plaisir à parcourir.
Rust River City
S’il y a bien une chose que j’aime par-dessus tout, c’est de me laisser embarquer dans une histoire que mes a priori, parfois pour d’obscures raisons, m’empêchaient d’empoigner. C’est le cas avec ce premier tome signé Joe Daly dont j’appréciais pourtant le travail jusqu’ici. Quand mon fournisseur de BD m’a fait l’article de Rust River City, il y avait une petite partie de mon cerveau qui se méfiait, sans réel motif. Il se trouve que l’occasion m’a été donnée de la lire dans le cadre de mon boulot, et je suis emballé, au point que j’envisage d’en faire l’acquisition. D’abord, il y a le dessin, ici indissociable des couleurs, audacieuses, crépusculaires. Il se dégage une ambiance forte qui confère à cette histoire finalement très terre à terre un petit quelque chose d’irréel, voire carrément hypnotique. Cette impression se confirme lorsque l’on referme ce premier volume. En effet, la fin laisse entendre que la suite ouvrira sur quelque chose d’autre, quelque chose de tout à fait différent. En tout cas, cela augure d’une suite truculente, et ma curiosité a été on-ne-peut-plus aiguisée. Pourtant, ce n’était pas gagné. Après quelques pages un peu plan-plan, je me suis laissé cuire à petit feu. Sans doute fallait-il ce temps d’adaptation car le ton est particulier. Et l’histoire l'est tout autant. Tout est baigné d’un esprit typiquement « indé ». Des références filmographiques n’ont cessé de me chatouiller, et non des moindres. On songe en effet au cinéma de Sean Baker (le film Tangerine notamment pour son atmosphère et ses dialogues), à des films tels que War Pony de Gina Gammell et Riley Keough, 90’ de Jonah Hill, ou bien encore au cultissime Big Lebowski qu’on ne présente plus. Les dialogues, dont les pavés de textes peuvent rebuter (ce qui a sans doute joué dans mon cas), sont bons, néanmoins très crus, voire vulgaires, mais souvent drôles. Le scénar prend son temps pour se déployer, mais c’est aussi ce qui permet de se sentir en intimité avec les personnages qui, pour certains, en deviennent même sympathiques. C’est le cas notamment du héros, Dean, un ouvrier vétéran du Viêt-Nam, que sa détestation pour les asiatiques rend pourtant très antipathique. Mais on finit par entrevoir son côté humain, touchant, mal assuré et même sensible… Même les ados, dont les aventures occupent de nombreuses scènes parallèles à celle de Dean, deviennent proches du lecteur alors que certains d’entre eux sont franchement cons. Le plus étonnant dans cette BD, c’est que l’histoire se déroule dans un contexte d’une affligeante banalité : ville sordide, contexte très actualisé (même si se déroulant à l’époque de la cassette vidéo) sur fond de marasme économique et de chômage, de racisme, de masculinisme en fin de règne, mais également de ce sentiment de perdition de la jeune génération… Bref ! C’est une lecture tout à fait singulière qui me fait patauger dans l’impatience. Vivement le tome 2 qui sera aussi la conclusion et promet de basculer vers un truc qui pourrait bien prendre un détour complètement fantastique. Un coup de cœur tout à fait inattendu !