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Couverture de la série Heidi (Yamada)
Heidi (Yamada)

Même si cette collection présente des hauts et des bas, je commence à l'apprécier de plus en plus. En effet c'est l'occasion de découvrir des ouvrages de nombreux horizons que je ne connaissais que de nom. C'est le cas pour la petite Heidi envers laquelle j'avais de nombreux préjugés. Comme presque toujours les auteurs de la collection présentent une adaptation très fidèle au déroulé du roman d'origine. J'avoue avoir été séduit par ce récit qui devrait permettre l'éveil des jeunes lecteurs des thématiques très contemporaines. Depuis 1880 on se rend compte en lisant Spyri que les thématiques fondamentales abordées sont toujours d'actualité: respect et amour de la nature, accès à l'éducation et lutte contre l'illettrisme, ouverture aux autres et regard bienveillant vers le handicap. Heidi/Spyri propose toutes ces belles valeurs sans mièvrerie ni leçon de morale . J'ai été réellement conquis par le ton utilisé et les choix de Gyugo Yamada. J'ai bien des petites réserves sur la construction graphique avec quelques imprécisions dans les bulles de dialogues. Toutefois cela reste très fluide et facilement accessible dès l'âge de six ans. Le trait est simple mais reste précis et sobre avec des personnages facilement identifiables pour des jeunes lecteurs-trices sûrement familié(e)s de ce style. Je pousse un peu ma note mais j'ai trouvé cette lecture très recommandable pour un jeune public.

27/06/2025 (modifier)
Par Alix
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Watership Down
Watership Down

« Watership Down » est un roman culte, ici en Angleterre où j’habite depuis 25 ans, même si la plupart des gens semblent plutôt être familiers avec l’adaptation en dessin-animé sortie en 1978. Il s’agit d’une histoire de survie dans une communauté de lapins, inspirée des expériences de l’auteur du roman, Richard Adams, lors de la seconde guerre mondiale, et plus particulièrement de l’opération « Market Garden ». Le ton est donc très guerrier, et la violence et la cruauté des protagonistes ont traumatisé beaucoup d’enfants, surtout via le support film. En tout cas l’histoire est prenante et haletante, surtout sur la fin. Je me suis attaché aux personnages et pris beaucoup de plaisir à suivre leurs aventures. L’adaptation est excellente. Dans la postface, James Sturm explique le processus, les coupes effectuées, la réduction du nombre de lapins pour alléger la narration… il recommande d’ailleurs aux lecteurs de lire le roman, pour découvrir la version « complète » de l’histoire. Le cadre du Hampshire est magnifique, et superbement mis en image par Joe Sutphin. Il faut savoir que ce lieu existe vraiment, allez donc sur Google Maps entre Whitchurch et Kingsclere, tourner la carte pour que le nord soit à gauche, et vous retrouverez exactement la carte fournie avec la BD : routes, ruisseaux, hameaux, et même la voie de chemin de fer ! Les auteurs se sont d’ailleurs rendus sur les lieux, ont suivi l’itinéraire exact du périple du roman, et pris des centaines de photos de référence, accompagnés des filles de Richard Adams… du sérieux ! Notez qu’il existe une petite stèle en l’honneur du roman, ainsi qu’un pub The Watership Down Inn estampillé d’une chouette mini-fresque, que j’espère visiter un jour ! Un moment de lecture magique et captivant.

27/06/2025 (modifier)
Couverture de la série L'Homme qui marche
L'Homme qui marche

Perso j'ai apprécié cette promenade en compagnie de Jiro. Il faut dire que cela me correspond assez : la promenade contemplative et introspective en silence me plait beaucoup. Le manque de dialogue ne m'a pas gêné, au contraire. J'ai surtout apprécié deux choses. Premièrement le détail des quartiers avec les ruelles, les quartiers pavillonnaires à la japonaise remplis de paix, les rencontres courtoises dans un hymne à la lenteur qui fait du bien dans notre monde de vitesse. Ensuite j'ai beaucoup aimé cette acceptation des saisons par cet homme qui marche. Il fait beau, chaud, pluvieux ou froid, c'est toujours la même joie de vivre en harmonie avec son environnement. Le dessin est d'une excellente qualité surtout dans les extérieurs riches et variés. J'ai une petite réserve sur l'histoire d'adultère qui rompt la cohérence de cette flânerie paisible et surtout silencieuse. Cela reste une lecture qui m'a touché par sa philosophie d'émerveillement de la chose ordinaire.

26/06/2025 (modifier)
Couverture de la série Chainsaw Man
Chainsaw Man

Alors là, si je m'attendais à aimer cette série... Bonne surprise ! Je ne viens pas pour aviser une mauvaise série que j'aurais malgré tout appréciée, c'est du très bon ! C'est juste que la recette avait tous les ingrédients de la série ambitieuse ratée, voire même du gros délire sans réelle profondeur, alors je suis (agréablement) surprise de constater la qualité du résultat. Dans un monde presque en tout point similaire au notre existent des démon-e-s. Ces démon-e-s sont créé-e-s à partir des peurs humaines, plus une chose est crainte plus lae démon-e lié-e à elle est puissant-e. Les démon-e-s étant ce qu'iels sont, des incarnations de peurs exacerbées à l'extrême, iels ont la fâcheuse tendance à amener partout où iels passent mort et désolation. Pour protéger l'humanité, des groupes de chasseurs de démon-e-s, publiques comme privés, voient le jour. Bon, avec un résumé pareil, on s'attend à une classique histoire de bastonnade entre humain-e-s et démon-e-s, avec des discours sur le fait de vaincre ses peurs et une réflexion sous-jacente sur ce qui distingue les humain-e-s des démon-e-s, le tout façon shonen avec un vrai sentiment de camaraderie et quelques retournements de situation. Et, oui, il y a de ça (en tout cas il y a bien un propos sur les humain-e-s et les démon-e-s et des retournements de situation à tout-va). Sauf qu'en fait, ici, pas de chevalier blanc, pas de sentiment d'espoir non plus puisque l'histoire parvient à maintenir un sentiment d'angoisse et de désespoir quant au sort de ses personnages tout du long, pour tout dire les personnages n'ont rien d’héroïques. Les personnages de cette histoire sont bas, lâches, égoïstes, cruels, immoraux aussi parfois. Notre protagoniste, Denji, l'éponyme "Chainsaw Man" en est la plus belle illustration : son seul désir est de sortir avec une fille, d'embrasser une fille, de coucher avec une fille et d'être adulé, il se sent presque détaché du sort de l'humanité et ne cache jamais ses désirs tout sauf nobles, et pourtant ses interactions avec son entourage, les liens sincères qu'il forge avec les autres, les amitiés inattendues qu'il crée avec les autres et sa sincère envie de vivre, de simplement trouver un sens à sa vie, le rendent profondément humain et attachant. C'est ça, la force la plus surprenante de cette série : ce mélange réussi de représentation très noire de ce qui fait un-e humain-e, dans ses pires aspects, et ce sincère amour des petits riens qui forment les liens affectifs avec les autres, qui donnent un goût, un sens à tout ça. C'est déprimant et étrangement joli. Et c'est de là, justement, qu'est née ma crainte concernant cette série, parce que des histoires visant ce genre de complexité dans le fond tout en maintenant une forme simple et fluide (et surtout tout gardant jusqu'au bout une narration fluide et entrainante), j'en ai vu passer quelques fois et ça se casse malheureusement souvent la gueule, la faute à de trop grandes ambitions ou bien un mélange mal dosé. Ici, malgré quelques défauts, ça marche. Les défauts, justement. Il y en a deux/trois mais je les trouve minimes, j'ai surtout peur que cette série s'éternise. Le premier arc a été un véritable coup de cœur mais le second m'a semblé déjà plus convenu. Le premier arc était un tel feu d'artifice, avait une esthétique si particulière dans le paysage manga avec ses personnages tout en costumes et ses morts graphiques pleines d'hémoglobine n'épargnant personnes (et surtout pas les personnages auxquels on se serait attachés) que revenir à un arc dans un lycée avec une prophétie et un grand danger dont on nous annonce la venue me parait revenir sur des chemins un peu trop convenus, un peu trop sages. L'arc reste bien (même si je ne l'ai pas fini, je ne suis allée que jusqu'au tome 18) et j'aime bien la plupart des nouveaux personnages, mais j'avoue que la série me semble avoir légèrement perdu de son originalité et de son éclat. J'espère donc qu'elle saura s'arrêter de manière fluide et satisfaisante, sans chercher à s'éterniser pour le simple plaisir de rester. Bon, crainte pour l'avenir de la série mis à part, elle reste très bonne, la narration est prenante, les personnages sont attachants dans leurs défauts (et même leur monstruosité), la mise en scène est léchée (avec parfois des cases magnifiques et même joliment angoissantes), ... Une très bonne série (et une très bonne surprise), donc, qui mérite un coup de cœur de ma part pour son premier arc qui m'a joliment marquée.

26/06/2025 (modifier)
Par Cacal69
Note: 4/5
Couverture de la série Captain America - La Vérité
Captain America - La Vérité

Robert Morales était avant tout un journaliste et un rédacteur en chef pour de nombreux magazines dans les années 80 à 2000. C'est au début des années 2000 qu'il a commencé à scénariser quelques comics chez Marvel où il aimait traiter de façon différente les super-héros au travers de sujets d'actualité. Dans ce récit sur Captain-America, il donne une nouvelle dimension aux origines de celui-ci, avec en toile de fond la suprématie blanche sur les afro-américains. Pour cela il va s'inspirer d'un fait réel, celui de l'étude de Tuskeggee sur la syphilis. Des expériences illégales où contre leur volonté des hommes noirs étaient les cobayes. Un sujet qui le touche, il était lui-même afro-portoricain. C'est exactement ce qui va se dérouler dans cette histoire où il faut créer le super-soldat pour vaincre l'Allemagne nazie. L'armée américaine ne veut pas prendre le risque de perdre des soldats blancs dans ces expériences, alors elle va se rabattre sur un bataillon de soldats noirs. Et ainsi donner naissance au premier Captain-America en la personne d’Isaiah Bradley. Un récit qui dégage de la puissance tout en prenant le temps de découvrir les différents personnages. Une narration linéaire et sans réelle surprise, mais je ne me suis jamais ennuyé pendant ma lecture Le graphisme lui aussi sort des sentiers battus. Kyle Baker nous propose un style caricatural, minimaliste et très expressif où les proportions ne sont pas toujours respectées. Il en ressort parfois un effet cartoon avec ce côté humour/absurde qui va à contre emploi de la séquence en question, mais sans la dénaturer. Par contre sur certaines scènes, la chambre à gaz ou lorsque Isaiah Bradley se trouve avec son épouse par exemple, son seul dessin sans cet effet cartoon n'a besoin d'aucun dialogue pour faire passer les émotions. Ça passe ou ça casse. Moi, j'ai aimé. Ce comics engagé est une vraie curiosité. Un 4 étoiles généreux pour les choix audacieux des auteurs.

25/06/2025 (modifier)
Par PAco
Note: 4/5
Couverture de la série La Fabrique des insurgées - 1869 : La première grève d'ouvrières
La Fabrique des insurgées - 1869 : La première grève d'ouvrières

Fidèle à son goût pour les luttes sociales (voire anarchistes), Bruno Loth nous propose avec cet album de (re)découvrir une des premières grève ouvrière féminine en France : les ovalistes de Lyon. Ovalistes ? Kézako ??? Ce sont les ouvrières qui filaient la soie. En cette fin de XIXe, Lyon est l'un des grands centres européen de la filature de soie. Journées de 12 heures, salaires de misère, droit de cuissage, conditions de travail déplorables au niveau sanitaire qui mènent très souvent à des tuberculoses : Ya Basta ! Ces dames en ont soupé de se tuer à la tâche pour partir les pieds devant ! C'est ainsi que va démarrer la première grève ouvrière de France. Bruno Loth a le sens du récit et pose parfaitement le contexte de l'époque qui mène ces jeunes femmes désargentées arrivant souvent de la campagne "à la ville" pour trouver un travail. Entre les promesses faites et la réalité du salaire et de ses conditions, ces demoiselles déchantent rapidement mais n'ont guère le choix. Heureusement la solidarité de ces ouvrières leur permet de s'en sortir. Mais les violences psychologiques et sexuelles des chefs d'atelier ainsi que les amendes qu'ils dressent pour n'importe quel motif finira par soulever ces femmes et mener à cette grande grève historique. C'est bien mené, et le dessin réaliste tout en rondeur de Bruno Loth rend cette lecture très agréable et fluide en nous faisant suivre le destin tragique d'une famille de paysans. A travers le destin de ces trois enfants malheureux la misère et le sentiment de révolte sont rapidement partagés tant l'injustice sociale était de mise à l'époque. Une belle découverte !

25/06/2025 (modifier)
Par Présence
Note: 4/5
Couverture de la série Mat
Mat

Peut-être que tu n’as plus besoin de rêver ? - Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Son édition originale date de 1996. Il a été réalisé par Edmond Baudoin pour le scénario et les dessins. Il comprend cent-douze pages de bande dessinée, en noir & blanc. Quelque part dans une ville côtière, peut-être Nice, sur le parking d’un hypermarché, une bande de garçons joue au foot, se donnant à fond. Parmi eux, Mat se distingue par sa précision et son habileté. Il marque un but et les garçons de son équipe l’acclament. Puis la bande décide d’aller à Carrefour, mais Mat décline l’invitation : il a des trucs à faire. Ils se séparent en se disant à demain. De son côté, le petit groupe prend conscience qu’il ne se connaissent pas tant que ça Mat, qu’ils ne savent même pas où il habite, qu’il est toujours seul, et qu’il est vraiment fort au foot. Un sac à la main, Mat sort de la ville il traverse une zone abandonnée, et il descend dans une gorge un peu escarpée. Il arrive devant une toute petite cabane faite de tôles ondulées. Il en ouvre la porte de fortune et il retrouve la buse qui y est enfermée. Il lui parle gentiment : il constate qu’elle a l’air d’aller mieux. Il lui dit qu’il lui a apporté à manger, c’est un pigeon qu’une voiture a écrasé. À son avis, si elle mange bien, dans une semaine elle pourra de nouveau voler. Alors, les plombs du chasseur ne seront qu’un mauvais souvenir. Mais il faut déjà qu’il parte. Il lui dit à demain. Il remonte la pente de la gorge. Il parvient à un point haut, duquel il peut voir la ville et la baie. Il se dirige vers une petite maison située dans une zone défavorisée, un terrain vague. Il y entre et son père, assis sur une chaise, l’accueille agressivement. Il lui reproche de n’arriver que maintenant, alors qu’il lui avait fixé cinq heures. Il l’accuse d’avoir traîné avec ses amis arabes, des voyous. Il l’accuse également de préférer leur compagnie à celle de son père. Le père de Mat continue ses reproches : lui il a combattu les parents des amis de son fils. Il estime que ce dernier le trahit, comme l’a fait sa mère. Il raconte que pendant la guerre, en Algérie, il a été blessé, handicapé à vie par une balle arabe, peut-être tirée par le père d’un ami de son fils. Il répète que Mat le trahit. Et lui il garde sous son toit un traître qui est son fils et qui ne jamais lui parle. Le père ne se souvient même pas du son de la voix de son fils. Voilà quelle est sa vie. Mat décide de sortir, et de laisser son père à ses récriminations. Il va s’accouder à la rambarde d’un pont au-dessus d’une autoroute, et il contemple les véhicules passer. Il finit par s’éloigner et par gagner le bord du rivage, par monter dans un petit bateau abandonné là, posé sur des cales. Il s’adosse à l’’extérieur sur l’avant de la cabine et il se met à rêvasser. Il imagine qu’il vogue sur l’océan à bord de ce petit bateau à moteur. Il voit les mouettes voler dans le ciel, et une île se profiler à l’horizon. Il laisse son bateau s’échouer sur la plage de sable, et il en descend. Il se tient sur un promontoire à regarder l’océan sans être conscient des Indiens arrivant dans son dos. Ils le capturent, l’emmènent dans leur camp et l’attachent à un poteau de torture, entamant une danse rituelle autour de lui. Edmond Baudoin a commencé sa carrière d’auteur de bande dessinée en 1981 ; cet album est déjà le vingt-et-unième de sa carrière. Cette œuvre s’inscrit dans ses œuvres de fiction, plutôt que celles autobiographiques, tout en exhalant avec la même intensité la personnalité de son auteur. Dès la couverture, le lecteur retrouve sa personnalité graphique si forte : des traits de pinceaux épais, des formes qui évoquent souvent des esquisses capturant toute la spontanéité du moment, du geste, de l’expression, de la posture, et de temps à autre une case avec des éléments encrés finement. Chaque dessin correspond à la vision personnelle de l’artiste, à ce qu’il ressent du moment, à la perception idiosyncrasique qu’il en éprouve. Il est à un stade de sa carrière où il conserve une mise en page à base de cases rectangulaires, avec des bordures, elles aussi tracées avec un trait épais, au pinceau. Les dimensions de cet ouvrage sont plus petites que le format traditionnel d’une bande dessinée : environ treize centimètres par trente-et-un, au lieu de vingt-deux par trente. Cela induit un nombre de cases également plus petit de trois à cinq par page, parfois uniquement deux ou un dessin en pleine page. Parfois certains éléments se retrouvent trop à l’étroit dans une bordure, et dépasse sur la case inférieure : un ballon de foot qui caracole, un mouvement du pied impétueux, un poisson qui se débat au bout d’un hameçon, une buse qui s’envole… Cela confère également à l’ouvrage une sensation plus intime. Comme l’annonce le titre, le récit se focalise sur quelques jours de la vie d’un garçon, peut-être tout juste adolescent vivant dans une ville côtière, peut-être Nice, évoquant différents aspects de son quotidien : les parties de foot avec des garçons de son âge, la relation toxique avec son père, la rencontre avec une fille de son âge, les promenades en solitaire. Le lecteur pourrait craindre un récit plombant, chargé de pathos et de dépression : il suit un garçon plein de vie dont le comportement s’est adapté tout naturellement aux circonstances de la vie, par des mécanismes psychologiques inconscients. Comme à son habitude, Baudoin se tient à l’écart de toute approche psychologique ou psychanalytique, il se contente de mettre en scène, de raconter, de vivre avec son personnage. Il laisse le lecteur totalement libre de réagir comme il l’entend à ce qui lui est montré, sa narration étant dépourvue de jugement de valeur. Les autres garçons ne savent rien de la vie de Mat : c’est comme ça. Le lecteur peut en déduire que Mat garde tout pour lui, qu’il a un caractère introverti, qu’il est taiseux, ou même qu’il préfère se tenir à l’écart des autres en dehors de cette activité aux règles établies qu’est le football. Élodie se montre curieuse vis-à-vis de Mat : il s’agit d’une inclination personnelle montrée factuellement, son intérêt étant manifeste par sa volonté de discuter avec le garçon, de savoir de quoi il rêve et d’y participer, et ça s’arrête là sans narrateur omniscient venant apporter des informations, sans accès au flux de pensées de la jeune fille. Dans le même temps, par sa mise en scène, par son jeu d’acteurs, la narration visuelle rend les personnages très proches. Sous cette apparence esquissée, Mat est vivant et expressif : le plaisir alors qu’il s’adonne entièrement au foot, entièrement convaincu lorsqu’il parle à la buse, sa réserve mutique pour se protéger lorsque son père déblatère des insanités méchantes et blessantes, son comportement romantique alors qu’il rêve d’une aventure qui l’emmène sur une île et qu’il rencontre la princesse de la tribu, sa sollicitude bienveillante quand il s’enquiert du pourquoi des larmes d’Élodie et qu’il s’active pour la rasséréner, ses larmes d’impuissance alors qu’il contemple les voitures circuler sous le pont où il se trouve, son empathie jusqu’à l’identification avec son père lorsque celui-ci pêche. Son admiration pour Élodie quand elle parvient à marcher en équilibre sur le câble tendu, son air dépité alors qu’il ne parvient pas à se lancer dans une nouvelle rêverie sur le bateau échoué, etc. La capacité du dessinateur à faire ainsi ressentir les émotions de son personnage relève de la pratique et une maîtrise de l’art pictural et séquentiel. Le lecteur se sent tout aussi proche d’Élodie et même du père de Mat, ne parvenant pas à le mépriser malgré son comportement méchant. Le lecteur se retrouve tout autant sous le charme des autres dimensions de la narration visuelle. Il peut constater que l’artiste utilise des dispositifs très classiques en termes de découpage d’une action, de cadrage, de simplification des formes, de plans fixes, ou encore d’absence de représentation du décor en arrière-plan. Toutefois, ces caractéristiques, parfois indicatrices d’une économie de moyens, participent ici d’une cohérence globale de sens. En fonction des moments et des cases, le lecteur peut voir les représentations devenir plus lâches, plus vagues, parfois plus conceptuelles flirtant avec l’abstraction, ou plus naïves (les habits folkloriques de la tribu habitant sur l’île onirique), les visages caricaturaux totalement habités par l’intensité d’une émotion inconsciente, etc. À l’opposé d’un spectacle superficiel, ces modes de représentation relèvent de l’expressionnisme. Baudoin joue également avec des symboles organiques, à commencer par le funambulisme. Mat se concentre sur son équilibre sur ce câble avec une concentration totale, à l’instar de la manière dont il vit pour s’adapter à chaque instant aux circonstances qui lui sont imposées, une image de la traversée de l’adolescence, comme pour Moonshadow (1985-87) de Jean-Marc DeMatteis & Jon Jay Muth. Le lecteur se prend immédiatement d’amitié pour ce jeune garçon peu favorisé par les circonstances de la vie. Il comprend son besoin de secret, son attachement pour cet oiseau blessé, sa souffrance en présence d’un père toxique que son épouse a quitté, son besoin de rêverie, et la forme de respect que lui apporte le foot. Voilà que l’amitié naissante qu’éprouve une jeune fille pour lui introduit un élément mettant en cause cette routine. Mat compense la souffrance de certains aspects de sa vie par l’évasion, et il semble que cet intérêt peut-être amoureux soit de nature à lui apporter un apaisement. Le lecteur sent ses propres sentiments remuer. Il s’interroge sur ce que la vue des voitures passant sur l’autoroute sous lui apporte au garçon : la certitude que tout passe, tout est fugace et impermanent, le principe que lui aussi pourrait passer et s’éloigner de cet ici, le ressenti qu’il est à l’écart de ce flux en mouvement ? La buse blessée constitue-t-elle une métaphore de ce garçon lui aussi blessé dans son développement normal, par la maltraitance psychologique des abus verbaux de son père ? Le funambulisme sur le câble est-il une métaphore du fait que Mat parvient à conserver son équilibre mental ? Ces interprétations tombent sous le sens, relèvent du sens commun. Le déroulement du récit vient remettre en question cette façon de voir : la buse guérira et partira, le père évoluera et la capacité de rêve et d’équilibre de Mat sera remise en question. Le lecteur voit alors plus dans le funambulisme une sorte de stase, d’adaptation comportementale étouffant et empêchant le développement naturel. Un petit garçon malheureux sous la coupe d’un père abusif, s’échappant par le foot, les soins apportés à un oiseau blessé et le rêve d’aventure… Une histoire bien balisée et larmoyante ? Rien de tout ça. Une narration visuelle d’une sensibilité et d’une justesse rares qui font ressentir les états émotionnels au lecteur avec gentillesse et prévenance, une histoire où l’absence de rêves est un signe de bon rétablissement. Touchant et étonnamment pragmatique.

25/06/2025 (modifier)
Par grogro
Note: 4/5
Couverture de la série Les Légendes des steppes
Les Légendes des steppes

La Mongolie fait partie des quelques pays que je rêve de voir un jour. C'est la raison pour laquelle j'ai été attiré par cette BD. J'ai découvert un petit pavé sympathique servi par un dessin absolument charmant. Oui, le trait est vraiment remarquable. Si son aspect général évoque bien entendu le manga/manhwa, il est finement exécuté, et me rappelle ce qui se fait de mieux dans le genre, du moins un style qui me plait beaucoup. Pour comparaison, je citerais La forêt magique de Hoshigahara et son dessin croquignolet. J'adore la manière dont l'auteur (ou l'autrice ? Qui se cache derrière ce nom d'Ajnai ?) représente les scènes extérieures, composant de larges plans où semblent perdues les quelques yourtes qui sont pour partie le théâtre de ces histoires. J'aimais moins les yeux des chevaux, très humains, trop humains, mais on comprend sur la fin que cet animal est décidemment un être central et fondamental pour les populations des steppes. Il fallait donc bien lui conférer une âme ! Ces histoires de trois fois rien, façon anecdotes racontées aux petits au coin du feu par le patriarche, baignent dans le mystère et le fantastique. Sans être épiques, elles dégagent un petit souffle frais. Il émane de cette BD un charme indéniable et fragile, comme une petite chose qui tente de survivre dans ce monde de bruit et de fureur. Petit à petit, on se laisse gagner par le rythme lent de ces histoires presque fantomatiques, et on en ressort un peu déboussolé, avec tout de même cette impression tenace d'avoir voyagé, ou d'émerger d'une longue et entêtante rêverie. Pour ma part, cette lecture a conforté mon envie de voyager tout là-bas, dans un monde tout autre. Pour qui souhaite s'extraire du cours tumultueux de l'actualité en vivant un petit dépaysement, ce recueil est du pain bénit.

25/06/2025 (modifier)
Couverture de la série Les Marins perdus
Les Marins perdus

C'est vraiment le type de récit détente polar que j'apprécie particulièrement. C'est bien construit avec une énigme du passé qui se dévoile petit à petit. L'intensité dramatique qui touche les trois marins de façons différentes pour réunir les trois destins dans un final émouvant augmente savamment au fil du récit. De plus la narration policière est complétée par la double ambiance du navire cloué à quai et celle de la ville de Marseille dans ses recoins sombres. La thématique du double amour impossible, la mer ou la femme est assez commune. Elle est pourtant très bien exploitée dans cette série avec une suite de rebondissements qui dynamisent le récit au fur et à mesure de la lecture. Christophe Belin propose ici un graphisme brut qui fait la part belle aux gueules des marins ou aux quartiers interlopes de Marseille. Une belle lecture avec de beaux personnages pour le genre.

25/06/2025 (modifier)
Couverture de la série S'enfuir
S'enfuir

Je ne suis pas un grand fan de Guy Delisle et pourtant j'ai adoré son récit sur la captivité de Christophe André. C'est probablement l'un des meilleurs récits de captivité que j'ai lu. Bien sûr il y a ce côté répétitif d'une vie de poisson rouge privé de liberté qui revit chaque jour le même ennui. Le style très épuré de Delisle respecte à la perfection cette monotonie qui cherche dans la moindre peccadille ( un peu de soupe renversée) un objet d'imprévu pour s'évader intellectuellement hors d'une platitude mortelle. Ce manque "d'actions" ou de dialogues est à la fois un vrai risque narratif mais aussi la garantie d'un récit authentique et sincère qui retranscrit une captivité difficile. Cependant son intégrité physique ou psychique n'est jamais mise à mal: pas de passage à tabac ni de lavage de cerveau. Nous restons dans un crime crapuleux sans syndrome de Stockholm ni empathie pour les ravisseurs. Les 480 pages se lisent assez vite et sans ennui si on accroche au rythme lancinant de la narration un peu comme lorsque l'on s'entraine sur un tapis de course à une allure établie sur une longue distance. La lecture a provoqué chez moi ce cadrage sur un rythme cardiaque fixe qui ne cherche pas la projection au lointain mais simplement la minute qui suit. C'est au point que j'ai vraiment vécu le dénouement avec une réelle excitation preuve que Delisle avait su faire passer chez moi son choix narratif. Evidemment derrière cet épisode dramatique c'est toute la thématique de la liberté injustement supprimée qui revient en mémoire. Des esclaves enchaînés à fond de cale aux enfants contraints aux pires servitudes c'est toute cette humanité devenue objet qui assaille notre mémoire. Je me suis senti très proche de Christophe tout au long de ma lecture. C'est dire si l'auteur a réussi à mes yeux.

25/06/2025 (modifier)