Une nouvelle aventure scientifique du Professeur Fignoteau, de M. Marmouset et de Mlle Anne ? Pour s'en réjouir il faudra en avoir quelque chose à faire.
Et c'est bien le problème : que faire de trois personnages inconnus aux bataillons ? Que faire lorsque l'on est soi-même un personnage inconnu, n'existant que dans une histoire si peu engageante ?
Eh bien on se retrousse les manches et on essai d'échapper à sa condition !
Ici il n'est pas tant question de suivre les aventures de nos trois chercheur-euse-s mais plutôt de suivre leur recherche d'aventure. Ou, pour être plus précise, leur recherche d'enjeux narratifs pour maintenir l'attention du lectorat et s'assurer le succès (et ainsi même l'existence dans l'inconscient collectif). Qu'il s'agisse de changements graphiques, de genres ou même de rôles, rien ne nous sera épargner. Le trio s'essaiera même à quelques bassesses comme des retournements tirés par les cheveux ou encore quelques cases d'un érotisme tout relatif. Le choc pour le choc, l'imprévisibilité narrative, tout ça ne garde en réalité l'attention du lectorat que de manière bien trop éphémère et la quête de notre trio se révèlera bien plus ardue qu'au premier abord.
Si vous pensiez à mon résumé que Lécroart s'essayait ici à une forme narrative bien trop classique lorsque comparée aux autres œuvres centrées sur ce trio, détrompez-vous, l'auteur s'amuse ici, comme souvent, avec des doubles sens de lectures, avec les codes narratifs propre au médium de la bande-dessinée. Le moment le plus notable étant par ailleurs un passage très amusant avec un grand maître de l'art du manga, proposant une lecture d'apparence confuse mais en réalité surprenamment bien construite.
C'est bien simple, pour son discours poussé et on ne peut plus intéressant des codes narratifs propres au neuvième art, pour ses diverses expérimentations et défis au sein d'une seule et même œuvre, je considère cet album comme le meilleur de Lécroart.
Il y aurait tant de choses à dire, tant de retours et d'avis ne serait-ce que sur le discours sur la fiction elle-même que tient cet album, mais j'ai peur de me retrouver à écrire un roman si je me lance pleinement dedans. Je me contenterais simplement de vous inviter à lire l'album, ne serait-ce que pour découvrir l'auteur s'il vous était jusque là inconnu.
Dans ma tête, lorsqu'on me parle d'auteur-ice-s spécialisé-e-s dans les récits à contraintes et les œuvres ambitieuses jouant et explorant à fond les potentiels narratifs et créatifs de leur medium artistique, je pense immédiatement à Lécroart. Et lorsque je pense à Lécroart, la première œuvre qui me vient en tête est celle-ci.
Sans doute parce que c'est la première de l'auteur que j'ai lue, lorsqu'adolescente je pillais la bibliothèque de mon père, sans doute aussi parce qu'elle m'a fait pleinement prendre conscience que briser les codes n'était pas qu'un passe-temps enfantin, que des artistes se le permettait, que le défi et l'amusement créatif étaient des formes d'art à part entière. Quoi qu'il en soit, cet album est une œuvre qui m'a marquée.
D'une histoire au premier abord tout ce qu'il y a de plus banale, centrée sur trois scientifiques récurrents des créations de l'auteur, Lécroart réalise ici un joli défi : créer un palindrome bédéesque narrativement cohérent. Chaque case, du début jusqu'à la fin (et de la fin jusqu'au début) est compréhensible dans les deux sens. Certes, le sens narratif évolue avec le sens de lecture (l'un nous proposant une histoire sur l'esprit scientifique et l'autre une vision plus physique de la chose), mais l'histoire reste lisible jusqu'au bout. Mieux, comme un vrai palindrome l'histoire brille du fait que les deux sens de lectures sont liés, font chacun partie intégrante d'un même tout. Les personnages, comme souvent chez Lécroart, sont enfermés dans leur propre narration, incapables de sortir des délires de leur auteur, bloqués dans une boucle conscientisée par l'auteur : bref, un beau cercle vicieux.
Pourtant, et c'est sans doute étrange après tous ces louanges, je ne serais sans doute pas aussi dithyrambique que d'autres aviseur-euse-s.
La faute à un premier sens de lecture… trop évident. Le deuxième sens de lecture se voit immédiatement, dès les premières cases, à tel point que je n'ai pas réussi à réellement prendre au sérieux le début de ce cycle, le lancement narratif de cette histoire. Je sais que les personnages parlent de leur machine, de la prouesse scientifique que nous allons voir d'ici quelques pages, mais impossible pour moi de prendre les dialogues au sérieux : leur fonction de dissimuler le second sens à venir se devine trop facilement et m'a fait voir ces premiers échanges comme trop artificiels.
Certes, ce n'est sans doute qu'un détail, la suite des échanges se fluidifie et, mine de rien, le résultat final reste une prouesse d'écriture et d'agencement des cases, mais il n'empêche que ce petit détail me titille aux relectures et me laisse un arrière goût de manqué, fusse-t-il même sur un si petit détail.
J'aurais pu, tout comme cet album, essayer de construire cet avis comme un palindrome, mais à dire vrai la tâche s'est montrée trop demandante pour mon pauvre cervelet fainéant.
J'aurais pu aussi tenter de dissimuler un second sens de lecture graveleux quelque part, cela aurait été sans doute plus dans mes cordes, mais après réflexion je me suis dit que la compression du texte variant selon la taille de l'écran saboterait toute ambition de dessiner des bites dans un avis.
Et puis, ce n'est pas avec des avis basés sur des phallus que je pourrais concourir pour l'avis de la semaine, alors…
(Note réelle 3,5)
Cette BD évoque inévitablement l'excellent album Le Monde sans fin. Dans les deux cas, un ingénieur conférencier s'associe à un dessinateur pour dresser un état des lieux du monde en matière de ressources et d'environnement, en exposant réalités et perspectives. Mais là où Jancovici et Blain se concentraient sur la question énergétique, Philippe Bihouix et Vincent Perriot élargissent le propos à l'ensemble des ressources, en particulier les minerais. Car, de la même manière que le pétrole n'est pas infini, les métaux et terres rares sont eux aussi limités, et leur exploitation finira forcément par atteindre une limite peu compatible avec la croissance démographique, l'expansion économique et encore moins les ambitions démesurées des milliardaires de la Tech.
Si je reste plus sensible au génie graphique et narratif de Christophe Blain, Vincent Perriot signe ici un travail remarquable. Sa mise en scène rend le propos vivant et imagé, en transformant les explications en véritables voyages spatio-temporels. Son style, proche de sa série Negalyod, alterne entre grands espaces, visions futuristes peuplées de dinosaures ou de gadgets geeks, et paysages plus réalistes de notre monde actuel. Cette fantaisie visuelle dynamise un contenu pourtant très sérieux et en rend la lecture d'autant plus plaisante.
Côté fond, le discours de Philippe Bihouix se révèle clair et bien structuré, avec une progression qui facilite la compréhension. Quelques passages sont alourdis par des citations de philosophes ou de scientifiques, un peu moins digestes, mais l'ensemble reste fluide et instructif. Très bien documenté, il aborde des sujets très vastes avec une foule d'exemples et d'images à l'appui. Évidemment, le constat fait froid dans le dos : l'âge d'or dans lequel nous vivons ressemble à une parenthèse fragile et largement fondée sur le gaspillage. L'avenir qu'il esquisse inquiète pour les générations à venir, même si les pistes de solutions présentées en fin d'album apportent un peu d'espoir.
C'est donc une BD documentaire solide, imaginative dans sa forme et percutante dans son contenu, qui, sans égaler le brio du Monde sans fin, s'impose comme une lecture marquante et salutaire.
C'est la seconde belle collaboration entre Pratt et Manara que j'ai lue. Si les deux auteurs sont à louer, je trouve tout de même que le scénario de Pratt est un atout majeur et cadre parfaitement avec l'érotisme de Manara. Comme le souligne Présence dans son avis, la sensibilité du lecteur fera pencher la préférence vers l'histoire sentimentale et son érotisme ou vers l'intérêt historique du récit. J'avais d'ailleurs gardé la partie sensuelle en mémoire de ma lecture de jeunesse. Aujourd'hui j'ai redécouvert la série avec un goût bien plus marqué pour cette partie historique peu connue en France malgré son importance dans l'histoire sud américaine. Même si Pratt ne fouille pas avant dans le contexte historique de cet événement (guerres napoléoniennes, idées des Lumières, conflit irlandais, affirmation de l'identité créole, démission du vice roi (1810) pour aboutir à l'indépendance), son récit est une ouverture à comprendre comment un fait historique assez banal peut avoir des conséquences politiques importantes.
Le partage du travail entre les deux grands artistes est savamment équilibré. Manara introduisant sa patte sensuelle qui, paradoxalement, va dramatiser le récit bien plus que la bataille de Buenos Aires. Comme à l'accoutumé le trait reste fin, élégant et très expressif. Les décors des navires, des uniformes, de la mangrove ou de la ville sont d'un travail de grande précision. Ce graphisme nous immerge dans cette ambiance où une femme quelque soit son rang n'était pas à l'abri de la lâcheté des hommes.
Une très belle lecture adulte à redécouvrir.
J'ai apprécié cette lecture agréable et fraiche. Je ne pense pas que Cyril Bonin cherchait à réinventer le genre du triangle amoureux mais plutôt à rendre un bel hommage au cinéma des années 60. En effet les allusions ou parallèles au "Jules et Jim" de François Truffaut sont nombreux. Cela permet de construire trois personnages très crédibles dans leur parcours de brillants étudiants qui se retrouvent dans la culture Haut de gamme. La modernisation du thème propose une interrogation plus actuelle sur le progrès issu de la Science. Ce qui est vrai pour les nanoparticules ( très tendances il y a quelques années) pourrait l'être sur l'IA. L'auteur est d'ailleurs presque à accoupler les sujets via le lien numérique entre les deux problématiques. Le titre de l'ouvrage invite d'ailleurs à réfléchir à l'espace entre ces deux époques qui pour beaucoup de lecteurs sont dans un presque maintenant tant le temps s'est contracté.
Graphiquement j'ai adoré la couverture à la fois explicite à première vue et interrogative dans le détail médical. Ensuite j'ai pris plaisir à être avec les trois personnages tant je les ai trouvé attachants et crédibles dans les expressions et leurs comportements. Une belle et chaude mise en couleur complète le plaisir de lecture.
Une lecture détente rapide et intelligente comme un petit dessert.
Cette bande dessinée frappe avant tout par son atmosphère. Loin des récits catastrophe spectaculaires, elle choisit de s’attarder sur des personnages ordinaires, des « météores » qui traversent la vie avec leurs fragilités et leurs doutes. Le scénario, volontairement fragmenté et intimiste, capte des instants suspendus plus qu’il ne raconte une histoire linéaire. Cela donne un ton poétique et mélancolique, mais aussi un rythme très lent qui pourra dérouter.
Le dessin de Redolfi, tout en nuances froides et en silences visuels, sert parfaitement cette ambiance. Le format horizontal, presque cinématographique, renforce la sensation d’un film contemplatif où la neige et la lumière jouent un rôle essentiel.
C’est une œuvre touchante, belle et singulière, mais qui demande patience et sensibilité. Ceux qui attendent de l’action ou une intrigue solide risquent d’être frustrés, tandis que les lecteurs sensibles à la poésie du quotidien y trouveront une vraie richesse.
Note : 3,5 / 5
En relisant cette série qui s’est imposée dans le journal Tintin dans les années 70, je pensais à ceux qui avaient vertement critiqué DANY pour son Spirou et la Gorgone bleue. Je me disais que décidément ceux ci n’avaient pénétré l’univers du monde de Rêverose et de sa célèbre capitale Hallucinaville. Il est vrai que pour pénétrer cet univers féerique il faut en connaître le chemin. Et celui ci n’est pas facile à trouver : un petit train de campagne qui vous amène dans un monde dépourvu de toute logique et de rationalité. Ce monde est aussi accessible à tous les doux rêveurs, adeptes de gentillesse et de poésie, qualité ratée dans « le vrai monde ou l’on s’ennuie ». Ce chemin, Olivier Rameau et un autre clerc de Notaire, Monsieur Pertinent, l’on emprunté pour ne jamais plus faire machine arrière. Et on comprend Olivier Rameau qui y a rencontré la jolie Colombe Tiredaille. Les lecteurs découvriront egalement toute une galerie de personnages plus farfelus les uns que les autres. Et puis il y a les occasionnels visiteurs, comme ce boxeur qui revient dans le monde onirique le temps d’un KO sur le ring.
Le temps d’une dizaine d’aventures qui toutes se terminent bien, on retrouve la verve de Greg, telle qu’on pouvait la connaître avec Achille Talon mais avec bien moins de texte, et ce n’est pas plus mal.
Le dessin de Dany se prête parfaitement à cet univers féerique, et évolue bien évidemment avec le temps. Une nouvelle aventure avec Dany au scénario et uniquement au scénario serait d’ailleurs en préparation.
J’ai pris énormément de plaisir à relire cette série phare du journal Tintin, qui m’a permis de retrouver une lecture de mon enfance qui a très bien vieilli. Je vous souhaite de retrouver le même plaisir de votre côté.
D’une certaine façon je comprends les reproches faits par Gaston dans son avis. Les aventures maritimes ont le vent en poupe (eh eh), parmi les parutions récentes j’ai lu Pitcairn - L'île des Révoltés du Bounty et Le Voyage du Commodore Anson, et il y a forcément une impression de déjà-vu. De plus le rythme est assez lent, même si ce dernier point ne m’a pas gêné, et contribue, je trouve, à la lente dégradation de l’ambiance à bord du Jakarta.
J’ai malgré tout passé un excellent moment de lecture. Le jeu psychologique et le rapport de force entre les différents protagonistes sont remarquablement mis en scène. Le tome 2 développe bien cet aspect tribal, et propose un changement de décor appréciable après la longue traversé en mer éprouvante du premier tome. La fin, elle, est juste parfaite.
Le grand format des albums fait vraiment honneur à la superbe mise en image de Thimothée Montaigne et Clara Tessier. J’ai notamment beaucoup apprécié le travail sur les visages des personnages, très détaillés et expressifs.
Une grande épopée terminée en 2 tomes, qui propose une vision cynique et assez horrifique de l’âme humaine.
J'ai bien aimé ces chroniques souvent lestes sur la vie de diverses citadines qui n'ont pas vraiment pas froid aux yeux et ailleurs (surtout ailleurs).
Ce sont surtout des anecdotes, des mini-tranches de vie, des gags souvent fort amusants (si on apprécie ce genre), dont la lecture d'une seule traite peut être lassante par overdose, comme beaucoup de recueils du même type.
J'aime bcp le graphisme qui possède un côté girly et animation, style ''tout le monde il est beau''.
C'est bien vu dans l'ensemble, ça sent en effet le vécu, mais avec l'arrière-pensée que certaines personnes sont assez nymphos...
Dommage qu'une n'y ait pas eu d'autres tomes. Le Covid aurait pu donner de bons gags :)
Je possède les 2 volumes. Je ne suis sans doute pas la cible visée par ces albums, mais j'ai bien aimé, à la fois pour le graphisme et pour une certaine fraîcheur de ton.
Oui, c'est parfois très léger, anecdotique et souvent parisien, mais c'est délassant. C'est tout ce que je demande à ce type d'ouvrage. Les ''Madeleines'' remplissent parfaitement le contrat.
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Une nouvelle aventure scientifique du Professeur Fignoteau, de M. Marmouset et de Mlle Anne ? Pour s'en réjouir il faudra en avoir quelque chose à faire. Et c'est bien le problème : que faire de trois personnages inconnus aux bataillons ? Que faire lorsque l'on est soi-même un personnage inconnu, n'existant que dans une histoire si peu engageante ? Eh bien on se retrousse les manches et on essai d'échapper à sa condition ! Ici il n'est pas tant question de suivre les aventures de nos trois chercheur-euse-s mais plutôt de suivre leur recherche d'aventure. Ou, pour être plus précise, leur recherche d'enjeux narratifs pour maintenir l'attention du lectorat et s'assurer le succès (et ainsi même l'existence dans l'inconscient collectif). Qu'il s'agisse de changements graphiques, de genres ou même de rôles, rien ne nous sera épargner. Le trio s'essaiera même à quelques bassesses comme des retournements tirés par les cheveux ou encore quelques cases d'un érotisme tout relatif. Le choc pour le choc, l'imprévisibilité narrative, tout ça ne garde en réalité l'attention du lectorat que de manière bien trop éphémère et la quête de notre trio se révèlera bien plus ardue qu'au premier abord. Si vous pensiez à mon résumé que Lécroart s'essayait ici à une forme narrative bien trop classique lorsque comparée aux autres œuvres centrées sur ce trio, détrompez-vous, l'auteur s'amuse ici, comme souvent, avec des doubles sens de lectures, avec les codes narratifs propre au médium de la bande-dessinée. Le moment le plus notable étant par ailleurs un passage très amusant avec un grand maître de l'art du manga, proposant une lecture d'apparence confuse mais en réalité surprenamment bien construite. C'est bien simple, pour son discours poussé et on ne peut plus intéressant des codes narratifs propres au neuvième art, pour ses diverses expérimentations et défis au sein d'une seule et même œuvre, je considère cet album comme le meilleur de Lécroart. Il y aurait tant de choses à dire, tant de retours et d'avis ne serait-ce que sur le discours sur la fiction elle-même que tient cet album, mais j'ai peur de me retrouver à écrire un roman si je me lance pleinement dedans. Je me contenterais simplement de vous inviter à lire l'album, ne serait-ce que pour découvrir l'auteur s'il vous était jusque là inconnu.
Cercle vicieux
Dans ma tête, lorsqu'on me parle d'auteur-ice-s spécialisé-e-s dans les récits à contraintes et les œuvres ambitieuses jouant et explorant à fond les potentiels narratifs et créatifs de leur medium artistique, je pense immédiatement à Lécroart. Et lorsque je pense à Lécroart, la première œuvre qui me vient en tête est celle-ci. Sans doute parce que c'est la première de l'auteur que j'ai lue, lorsqu'adolescente je pillais la bibliothèque de mon père, sans doute aussi parce qu'elle m'a fait pleinement prendre conscience que briser les codes n'était pas qu'un passe-temps enfantin, que des artistes se le permettait, que le défi et l'amusement créatif étaient des formes d'art à part entière. Quoi qu'il en soit, cet album est une œuvre qui m'a marquée. D'une histoire au premier abord tout ce qu'il y a de plus banale, centrée sur trois scientifiques récurrents des créations de l'auteur, Lécroart réalise ici un joli défi : créer un palindrome bédéesque narrativement cohérent. Chaque case, du début jusqu'à la fin (et de la fin jusqu'au début) est compréhensible dans les deux sens. Certes, le sens narratif évolue avec le sens de lecture (l'un nous proposant une histoire sur l'esprit scientifique et l'autre une vision plus physique de la chose), mais l'histoire reste lisible jusqu'au bout. Mieux, comme un vrai palindrome l'histoire brille du fait que les deux sens de lectures sont liés, font chacun partie intégrante d'un même tout. Les personnages, comme souvent chez Lécroart, sont enfermés dans leur propre narration, incapables de sortir des délires de leur auteur, bloqués dans une boucle conscientisée par l'auteur : bref, un beau cercle vicieux. Pourtant, et c'est sans doute étrange après tous ces louanges, je ne serais sans doute pas aussi dithyrambique que d'autres aviseur-euse-s. La faute à un premier sens de lecture… trop évident. Le deuxième sens de lecture se voit immédiatement, dès les premières cases, à tel point que je n'ai pas réussi à réellement prendre au sérieux le début de ce cycle, le lancement narratif de cette histoire. Je sais que les personnages parlent de leur machine, de la prouesse scientifique que nous allons voir d'ici quelques pages, mais impossible pour moi de prendre les dialogues au sérieux : leur fonction de dissimuler le second sens à venir se devine trop facilement et m'a fait voir ces premiers échanges comme trop artificiels. Certes, ce n'est sans doute qu'un détail, la suite des échanges se fluidifie et, mine de rien, le résultat final reste une prouesse d'écriture et d'agencement des cases, mais il n'empêche que ce petit détail me titille aux relectures et me laisse un arrière goût de manqué, fusse-t-il même sur un si petit détail. J'aurais pu, tout comme cet album, essayer de construire cet avis comme un palindrome, mais à dire vrai la tâche s'est montrée trop demandante pour mon pauvre cervelet fainéant. J'aurais pu aussi tenter de dissimuler un second sens de lecture graveleux quelque part, cela aurait été sans doute plus dans mes cordes, mais après réflexion je me suis dit que la compression du texte variant selon la taille de l'écran saboterait toute ambition de dessiner des bites dans un avis. Et puis, ce n'est pas avec des avis basés sur des phallus que je pourrais concourir pour l'avis de la semaine, alors… (Note réelle 3,5)
Ressources - Un défi pour l'humanité
Cette BD évoque inévitablement l'excellent album Le Monde sans fin. Dans les deux cas, un ingénieur conférencier s'associe à un dessinateur pour dresser un état des lieux du monde en matière de ressources et d'environnement, en exposant réalités et perspectives. Mais là où Jancovici et Blain se concentraient sur la question énergétique, Philippe Bihouix et Vincent Perriot élargissent le propos à l'ensemble des ressources, en particulier les minerais. Car, de la même manière que le pétrole n'est pas infini, les métaux et terres rares sont eux aussi limités, et leur exploitation finira forcément par atteindre une limite peu compatible avec la croissance démographique, l'expansion économique et encore moins les ambitions démesurées des milliardaires de la Tech. Si je reste plus sensible au génie graphique et narratif de Christophe Blain, Vincent Perriot signe ici un travail remarquable. Sa mise en scène rend le propos vivant et imagé, en transformant les explications en véritables voyages spatio-temporels. Son style, proche de sa série Negalyod, alterne entre grands espaces, visions futuristes peuplées de dinosaures ou de gadgets geeks, et paysages plus réalistes de notre monde actuel. Cette fantaisie visuelle dynamise un contenu pourtant très sérieux et en rend la lecture d'autant plus plaisante. Côté fond, le discours de Philippe Bihouix se révèle clair et bien structuré, avec une progression qui facilite la compréhension. Quelques passages sont alourdis par des citations de philosophes ou de scientifiques, un peu moins digestes, mais l'ensemble reste fluide et instructif. Très bien documenté, il aborde des sujets très vastes avec une foule d'exemples et d'images à l'appui. Évidemment, le constat fait froid dans le dos : l'âge d'or dans lequel nous vivons ressemble à une parenthèse fragile et largement fondée sur le gaspillage. L'avenir qu'il esquisse inquiète pour les générations à venir, même si les pistes de solutions présentées en fin d'album apportent un peu d'espoir. C'est donc une BD documentaire solide, imaginative dans sa forme et percutante dans son contenu, qui, sans égaler le brio du Monde sans fin, s'impose comme une lecture marquante et salutaire.
El Gaucho
C'est la seconde belle collaboration entre Pratt et Manara que j'ai lue. Si les deux auteurs sont à louer, je trouve tout de même que le scénario de Pratt est un atout majeur et cadre parfaitement avec l'érotisme de Manara. Comme le souligne Présence dans son avis, la sensibilité du lecteur fera pencher la préférence vers l'histoire sentimentale et son érotisme ou vers l'intérêt historique du récit. J'avais d'ailleurs gardé la partie sensuelle en mémoire de ma lecture de jeunesse. Aujourd'hui j'ai redécouvert la série avec un goût bien plus marqué pour cette partie historique peu connue en France malgré son importance dans l'histoire sud américaine. Même si Pratt ne fouille pas avant dans le contexte historique de cet événement (guerres napoléoniennes, idées des Lumières, conflit irlandais, affirmation de l'identité créole, démission du vice roi (1810) pour aboutir à l'indépendance), son récit est une ouverture à comprendre comment un fait historique assez banal peut avoir des conséquences politiques importantes. Le partage du travail entre les deux grands artistes est savamment équilibré. Manara introduisant sa patte sensuelle qui, paradoxalement, va dramatiser le récit bien plus que la bataille de Buenos Aires. Comme à l'accoutumé le trait reste fin, élégant et très expressif. Les décors des navires, des uniformes, de la mangrove ou de la ville sont d'un travail de grande précision. Ce graphisme nous immerge dans cette ambiance où une femme quelque soit son rang n'était pas à l'abri de la lâcheté des hommes. Une très belle lecture adulte à redécouvrir.
Presque maintenant
J'ai apprécié cette lecture agréable et fraiche. Je ne pense pas que Cyril Bonin cherchait à réinventer le genre du triangle amoureux mais plutôt à rendre un bel hommage au cinéma des années 60. En effet les allusions ou parallèles au "Jules et Jim" de François Truffaut sont nombreux. Cela permet de construire trois personnages très crédibles dans leur parcours de brillants étudiants qui se retrouvent dans la culture Haut de gamme. La modernisation du thème propose une interrogation plus actuelle sur le progrès issu de la Science. Ce qui est vrai pour les nanoparticules ( très tendances il y a quelques années) pourrait l'être sur l'IA. L'auteur est d'ailleurs presque à accoupler les sujets via le lien numérique entre les deux problématiques. Le titre de l'ouvrage invite d'ailleurs à réfléchir à l'espace entre ces deux époques qui pour beaucoup de lecteurs sont dans un presque maintenant tant le temps s'est contracté. Graphiquement j'ai adoré la couverture à la fois explicite à première vue et interrogative dans le détail médical. Ensuite j'ai pris plaisir à être avec les trois personnages tant je les ai trouvé attachants et crédibles dans les expressions et leurs comportements. Une belle et chaude mise en couleur complète le plaisir de lecture. Une lecture détente rapide et intelligente comme un petit dessert.
Les Météores
Cette bande dessinée frappe avant tout par son atmosphère. Loin des récits catastrophe spectaculaires, elle choisit de s’attarder sur des personnages ordinaires, des « météores » qui traversent la vie avec leurs fragilités et leurs doutes. Le scénario, volontairement fragmenté et intimiste, capte des instants suspendus plus qu’il ne raconte une histoire linéaire. Cela donne un ton poétique et mélancolique, mais aussi un rythme très lent qui pourra dérouter. Le dessin de Redolfi, tout en nuances froides et en silences visuels, sert parfaitement cette ambiance. Le format horizontal, presque cinématographique, renforce la sensation d’un film contemplatif où la neige et la lumière jouent un rôle essentiel. C’est une œuvre touchante, belle et singulière, mais qui demande patience et sensibilité. Ceux qui attendent de l’action ou une intrigue solide risquent d’être frustrés, tandis que les lecteurs sensibles à la poésie du quotidien y trouveront une vraie richesse. Note : 3,5 / 5
Olivier Rameau
En relisant cette série qui s’est imposée dans le journal Tintin dans les années 70, je pensais à ceux qui avaient vertement critiqué DANY pour son Spirou et la Gorgone bleue. Je me disais que décidément ceux ci n’avaient pénétré l’univers du monde de Rêverose et de sa célèbre capitale Hallucinaville. Il est vrai que pour pénétrer cet univers féerique il faut en connaître le chemin. Et celui ci n’est pas facile à trouver : un petit train de campagne qui vous amène dans un monde dépourvu de toute logique et de rationalité. Ce monde est aussi accessible à tous les doux rêveurs, adeptes de gentillesse et de poésie, qualité ratée dans « le vrai monde ou l’on s’ennuie ». Ce chemin, Olivier Rameau et un autre clerc de Notaire, Monsieur Pertinent, l’on emprunté pour ne jamais plus faire machine arrière. Et on comprend Olivier Rameau qui y a rencontré la jolie Colombe Tiredaille. Les lecteurs découvriront egalement toute une galerie de personnages plus farfelus les uns que les autres. Et puis il y a les occasionnels visiteurs, comme ce boxeur qui revient dans le monde onirique le temps d’un KO sur le ring. Le temps d’une dizaine d’aventures qui toutes se terminent bien, on retrouve la verve de Greg, telle qu’on pouvait la connaître avec Achille Talon mais avec bien moins de texte, et ce n’est pas plus mal. Le dessin de Dany se prête parfaitement à cet univers féerique, et évolue bien évidemment avec le temps. Une nouvelle aventure avec Dany au scénario et uniquement au scénario serait d’ailleurs en préparation. J’ai pris énormément de plaisir à relire cette série phare du journal Tintin, qui m’a permis de retrouver une lecture de mon enfance qui a très bien vieilli. Je vous souhaite de retrouver le même plaisir de votre côté.
1629 ou l'effrayante histoire des naufragés du Jakarta
D’une certaine façon je comprends les reproches faits par Gaston dans son avis. Les aventures maritimes ont le vent en poupe (eh eh), parmi les parutions récentes j’ai lu Pitcairn - L'île des Révoltés du Bounty et Le Voyage du Commodore Anson, et il y a forcément une impression de déjà-vu. De plus le rythme est assez lent, même si ce dernier point ne m’a pas gêné, et contribue, je trouve, à la lente dégradation de l’ambiance à bord du Jakarta. J’ai malgré tout passé un excellent moment de lecture. Le jeu psychologique et le rapport de force entre les différents protagonistes sont remarquablement mis en scène. Le tome 2 développe bien cet aspect tribal, et propose un changement de décor appréciable après la longue traversé en mer éprouvante du premier tome. La fin, elle, est juste parfaite. Le grand format des albums fait vraiment honneur à la superbe mise en image de Thimothée Montaigne et Clara Tessier. J’ai notamment beaucoup apprécié le travail sur les visages des personnages, très détaillés et expressifs. Une grande épopée terminée en 2 tomes, qui propose une vision cynique et assez horrifique de l’âme humaine.
Des Yeux de Bitch
J'ai bien aimé ces chroniques souvent lestes sur la vie de diverses citadines qui n'ont pas vraiment pas froid aux yeux et ailleurs (surtout ailleurs). Ce sont surtout des anecdotes, des mini-tranches de vie, des gags souvent fort amusants (si on apprécie ce genre), dont la lecture d'une seule traite peut être lassante par overdose, comme beaucoup de recueils du même type. J'aime bcp le graphisme qui possède un côté girly et animation, style ''tout le monde il est beau''. C'est bien vu dans l'ensemble, ça sent en effet le vécu, mais avec l'arrière-pensée que certaines personnes sont assez nymphos... Dommage qu'une n'y ait pas eu d'autres tomes. Le Covid aurait pu donner de bons gags :)
Les Madeleines de Mady
Je possède les 2 volumes. Je ne suis sans doute pas la cible visée par ces albums, mais j'ai bien aimé, à la fois pour le graphisme et pour une certaine fraîcheur de ton. Oui, c'est parfois très léger, anecdotique et souvent parisien, mais c'est délassant. C'est tout ce que je demande à ce type d'ouvrage. Les ''Madeleines'' remplissent parfaitement le contrat.