Dillies réussit avec ces deux albums à traiter de choses simples, simplement. Cela peut paraître bête dit comme ça, mais cet équilibre très fragile n’est pas toujours trouvé par les auteurs.
On s’attache assez facilement aux personnages animaliers. En particulier à Abélard, jeune pousse ouvert aux découvertes (l’au-delà des marais, l’amour, l’aventure), et qui s’en remet régulièrement aux sentences en forme de maximes sorties de son chapeau pour surmonter les épreuves, ou résoudre les énigmes existentielles qui se présentent à lui.
C’est de l’aventure bonasse, teintée de poésie, avec quelques passages alliant humour et réflexion (comme lorsque deux malfrats racistes essayent d’expliquer à un Abélard rêveur et naïf, qui ne voit le mal nulle part, ce qu’est une race).
Abélard va lentement se déniaiser (sans totalement perdre sa fraicheur, sa part de naïveté qui le rend si positif) au contact d’un compagnon bourru, Gaston, presque son contraire, tout en étant comme un père pour lui.
De la gentillesse, certes, mais pas trop, ce n’est pas guimauve. La noirceur est bien présente (voir les dures leçons que la vie donne à Abélard, la traversée des migrants vers l’Amérique, et la fin, à la fois triste et belle).
C’est en tout cas un diptyque recommandable – et le dessin de Dillies, qui joue lui aussi sur une certaine simplicité, aide beaucoup à la fluidité de la lecture, rapide et agréable.
Cosey fait partie de ces auteurs « importants », patrimoniaux, dont j’ai croisé la route assez souvent, sans pour autant avoir vraiment envie d’en découvrir l’œuvre. Lorsque j’étais plus jeune, son dessin, et les quelques pages que j’avais lues – de « Jonathan » uniquement d’ailleurs –, m’avaient un peu rebuté, au point que j’avais pour longtemps laissé toute l’œuvre de cet auteur de côté.
Ce n’est que récemment que je me suis dit qu’il fallait que j’y jette un coup d’œil plus sérieux, je crois après la récompense glanée à Angoulême il y a quelques années, qui l’a remis en lumière. J’ai d’abord commencé par ses séries plus courtes (diptyques ou one-shots, dans les collections Aire Libre et Signé), et j’ai enfin lu sa série phare (du moins les 5 premiers albums). Ce n’est pas forcément le genre de truc que j’achèterais aujourd’hui, mais je conçois tout à fait que certains en soient dingues et le fassent les yeux fermés.
Au dos de chaque album, Cosey indique 2 ou 3 albums à écouter pour accompagner la lecture des « Jonathan » (comme on le ferait d’un bon vin pour accompagner un grand plat !). C’est généralement très planant : Pink Floyd, et surtout, à chaque fois je crois, un album différent de Mike Oldfield (dont les très longs morceaux instrumentaux sont superbes, envoutants – je les écoute souvent depuis que j’ai découvert cet artiste dans les années 1980). C’est effectivement tout à fait le même genre d’ambiance que développe Cosey dans ses albums.
En effet, on est là dans une aventure sans trop de rebondissement, ou de rythme saccadé. C’est bien plus introspectif, méditatif (et le fait que cela se déroule dans les montagnes tibétaines doit jouer), voire naturaliste, contemplatif. Les quelques passages de soldats chinois apportent ces montées de tensions plutôt rares ailleurs. Mais globalement, Cosey prend vraiment son temps pour installer une ambiance (paysages, ambiance générale et quête intérieure semblent d’ailleurs être au cœur, voire même les seules choses qui intéressent l’auteur).
Le dessin, un peu brouillon au départ, devient rapidement très bon. On sent que Cosey aime les paysages montagneux (il le montrera dans d’autres séries). La colorisation peut surprendre aujourd’hui, elle fait un peu datée. Mais l’emballage est largement au niveau des histoires, desquelles émane une sérénité assez forte.
Je poursuivrai sans doute ma lecture de la série si l’occasion se présente.
Cet album est tombé dans mes mains sans que je réussisse à le lâcher avant de l’avoir terminé. Cela faisait longtemps qu’un western ne m’avait pas autant emballé !
Sur le papier, nous sommes pile poil dans ce que le genre a à proposer de plus classique : de vils salopards tuent des innocents avant d’être pris en chasse par un héros bad ass qui tire plus vite que son ombre.
Fort heureusement, derrière ce pitch déjà vu et revu, se cache un récit véritablement puissant et centré sur le personnage qui va donner son titre et son sel à l’album : le Marshall Sykes. Les outlaws sont d’ailleurs mis au second plan et n’apparaissent que brièvement, ce qui ne rend pas l’histoire moins intéressante, bien au contraire. Charisme fou, vêtements sombres et gueule taillée à la serpe, l’homme de loi chasse le mécréant à travers les grandes plaines américaines en quête de rédemption et d’oubli. Pierre Dubois nous en dit juste assez pour le rendre passionnant, tout en gardant la part de mystère nécessaire à notre imaginaire. Sykes est en plus flanqué de personnages hauts en couleurs et attachants, en particulier le brave O’Malley, gros dur au cœur d’or. Quant au final, il a le mérite de clore ce one shot de manière nette et efficace. Certains vous diront sans doute que c’était cousu de fil blanc. À titre personnel, je me demandais comment ça allait finir, craignant d’être déçu… mais j’ai été conquis !
Ce grand western est d’autant plus réussi qu’il est magnifiquement illustré par un Dimitri Armand que je découvre ici avec admiration. Quel coup de crayon ! La sensation de regarder un film est constante, grâce à un découpage et des gros plans savamment dosés. Grands espaces, bagarres, gun fights, saloon, veille maison abandonnée, souvenirs douloureux… Dimitri Armand sait tout faire pour le plaisir de nos yeux.
Très gros coup de cœur !
La déconstruction du mythe de super-héros n'est pas nouvelle vu que c'est en vogue de faire ça depuis au moins les années 80. J'ai donc lu cet album en ayant un peu peur de voir un truc déjà vu , surtout que le héros ressemble vraiment à Docteur Manhattan et que lui aussi est chercheur qui devient par accident un super-héros avec des pouvoirs.
Heureusement, j'ai bien accroché. Le héros est un vrai loser et sa vie va bien sur basculer lorsqu'il va obtenir ses pouvoirs. Le scénario est bien ficelé et j'ai bien aimé comment les auteurs mettent en avant la vie familiale du personnage principal et comment le fait d'avoir des pouvoirs va avoir des répercussions sur sa vie privée. C'est un thème très utilisé dans les comics de super-héros normal, mais ici c'est utilisé de manière tellement intelligente et un peu noir que ça m'a paru original ! Il y a des thèmes abordés intéressants et de bons dialogues. Le dessin ne m'a pas dérangé quoique je comprends que certains n'aiment pas ce style.
Un bon album qui mélange habillement les super-héros et le roman graphique !
Revoilà Bruno Duhamel, à mon avis l'un de nos meilleurs observateurs de notre société et de ses travers, versant cynique.
Cette fois-ci il s'attaque aux réseaux sociaux, non de manière frontale, mais en démontrant la résultante de leur interaction. Et surtout de la dépendance où nous sommes, celles et ceux qui l'utilisent au quotidien, que ce soit pour des raison professionnelles ou pour des raisons personnelles.
Cet album raconte comment, de reclus et inconnu, un photographe du fin fond de l'Ecosse devient une star surexposée et provoque une dégradation majeure de l'environnement dans lequel il s'était auparavant reclus. Les différentes factions qui interviennent alors se caractérisent par leurs stéréotypes et leurs travers, dans une confrontation dont l'absurdité amène la lectrice ou le lecteur à rire jaune, très jaune, car il ou elle ne pourra manquer de se reconnaître dans tel ou tel "type". Et de se rendre compte du mal qu'il peut faire à l'humain, et à son environnement. Et la fin,inéluctable mais finement amenée, nous donne une idée de l'ampleur des dégâts.
Pour ma part je pense que c'est l'humour qui nous sauve de la folie et du désastre. Duhamel en use, finement, mais c'est de l'humour très cynique.
Sur le plan du dessin, c'est d'une grande élégance, avec un souci du détail qui procure (encore plus) de respect envers l'auteur.
Diantre, diantre que voilà du bel ouvrage. Comme le note le posteur précédent, il flotte sur cet album un parfum de "Usual Suspects" assez réjouissant et oui aussi à la française mais sans que cela ne soit péjoratif, pas d'adaptation poussive avec les poncifs du flic du 36. Bien au contraire tout cela virevolte et une fois la lecture entamée on ne lâche plus l'affaire.
Personnellement je me suis laissé embarquer par cette histoire aux multiples rebondissements, le Pink Rudolf est malin vraiment très malin.
Si le scénario a tout pour contenter l'amateur de policier le dessin n'est pas en reste avec David Soyeur qui possède un trait parfaitement maîtrisé. Au final un livre qui ne génère aucun inconvénient à mes yeux et que je recommande chaudement.
Tout amateur de bandes dessinées se doit évidemment de lever tout au moins un sourcil intrigué lorsqu'il entend dire qu'Alain Ayroles va scénariser une histoire dessinée par Juanjo Guarnido.
Savoir en outre qu'Ayroles s'inspire d'un célèbre roman picaresque pour lui donner la suite qu'il aurait dû avoir mais n'a jamais eue satisfera également l'amateur de belle littérature. On en concluera donc ainsi logiquement que toute personne de goût ne peut que se précipiter en librairie dès ce 28 août 2019 pour se procurer - à un prix certes quelque peu ironique par rapport au sujet de l'oeuvre - ce qui s'annonçait d'ores et déjà comme une pépite.
Et dès que l'on ouvre l'ouvrage, on constate avec plaisir que l'on ne s'est pas trompé. Le sens aigu de la mise en scène parcourant toute l'oeuvre d'Ayroles a été convoqué une nouvelle fois ici, son talent incroyable pour les dialogues et pour le pastiche également, tandis que le génie visuel de Juanjo Guarnido n'a rien perdu de sa superbe.
Tout amateur du monument De Cape et de Crocs ne pourra se sentir perdu face à ces dialogues d'une élégance toute ayrolienne - tout sauf du vent ! -, d'une langue parfaite qu'il fait bon lire en ces temps où le commun des mortels lui enlève toute sa substance. Oui, à nouveau, Alain Ayroles nous propose plus qu'une bande dessinée : il nous offre un bijou de rhétorique et de langue française. Rien que pour cela, Les Indes fourbes est déjà un monument.
Mais il faut avancer davantage sans ombre ni trouble au visage dans l'opulente jungle verbale où nous fait pénétrer l'intrépide Ayroles pour découvrir plus en détail ce temple d'or qu'il a bâti pour nous. Si l'on s'en réfère à la structure de l'oeuvre, ce n'est plus du Francisco de Quevedo, c'est du Quentin Tarantino. Divisé en trois chapitres, le récit nous prend et nous surprend plus d'une fois, jouant avec sa propre mécanique narrative et dramaturgique pour mieux la mettre en valeur.
Cela commence comme un simple récit d'exploration, récit à deux étages comme Ayroles sait si bien les écrire, afin de mieux mettre en abyme une histoire somme toute très classique. Un vulgaire escroc s'enfuit d'Espagne pour chercher la fortune dans les colonies du royaume, et découvre à la fois les noblesses et les turpitudes de ce monde qui, Nouveau, a déjà toutes les caractéristiques de l'Ancien. Il s'agit du chapitre le plus long.
Sans doute le moins passionnant des trois, pourtant déjà captivant et, on le découvrira à la fin, essentiel pour installer lentement mais sûrement les rouages de l'implacable mécanique dans laquelle nous sommes plongés. Dans cette partie, l'on appréciera l'aisance avec laquelle l'auteur prend le ton des plus grands récits de voyage et nous immisce dans une atmosphère magnifiée par le trait d'une incomparable beauté issu de la main de Guarnido. Le souffle épique, la vérité cachée y établissent déjà leurs premiers bourgeons, qui écloront dans les deux parties suivantes.
Après l'apothéose du premier chapitre, on croit déjà avoir tout vu. C'est précisément parce qu'en réalité, on n'a encore rien vu. Il faut s'arrêter là et ne rien dire du contenu des deux chapitres suivants pour conserver la surprise à l'aimable lecteur qui n'aura pas encore déserté cette humble critique, poussé par un ennui naturel.
Que l'on dise simplement qu'Alain Ayroles, fidèle à son habituel style narratif, ne met en place cette mécanique en trois actes que pour mieux berner son lecteur. Si le premier chapitre de l'oeuvre passait - et c'est normal, pastiche oblige - par toutes les étapes attendues du récit picaresque comme du récit d'exploration, les chapitres II et III s'ingénient à briser tout ce que ces attendus avaient mis en place dans notre cerveau habilement endormi.
On admirera également l'art avec lequel Ayroles domine son oeuvre tout en laissant une place égale à son dessinateur Guarnido, qui trouve là un exceptionnel terrain de jeu, la chance d'une vie, peut-être même l'apogée d'une grande carrière de dessinateur, afin de déployer tous les ors de son dessin merveilleux, baroque et titanesque. Derrière la sobriété d'une couverture où se dit pourtant l'essentiel (et à laquelle a participé le génial Alex Alice, notons-le au passage) se cachent les splendeurs d'un foisonnement graphique plein de vie et d'exubérance. L'auteur s'efface même parfois complètement derrière le dessinateur dans des planches colossales, muettes et pourtant éloquentes, telles ces douze pages sans un seul mot (!) narrant l'épopée d'un groupe de colons rencontrant les innombrables péripéties de la route vers l'El Dorado, qui redonne toutes ses lettres de noblesse au genre si souvent dénigré de la bande dessinée.
Il sera toutefois permis au lecteur d'émettre quelques réserves sur l'esprit d'une bande dessinée dont la richesse ne peut masquer un (léger) manque. Si l'épopée possède un souffle incroyable et que le récit d'exploration semble passer par toutes les étapes essentielles, on pourra regretter que l'émotion ne vienne jamais percer la surface de la caricature. Certes, celle-ci est très intelligente et parfaitement justifiée par l'emploi du pastiche. Toutefois, il arrive que l'on se lasse quelque peu de cette dépiction du monde dans ce qu'il a de plus sale et de plus ignoble (au sens littéral comme au figuré). Bien sûr, la satire l'exige, mais cette saleté ambiante, certes réelle ou au moins réaliste, pouvait cohabiter - et ce, au sein du Nouveau Monde plus que partout ailleurs - avec une véritable noblesse et une authentique grandeur d'âme qu'Ayroles, sans doute à la suite de Quevedo, tend parfois à oublier, même s'il nous la fait par moments toucher du bout des doigts.
Quand on songe à l'émotion puissante qui se dégageait de certaines pages de De Cape et de Crocs et de Garulfo, on peut trouver légèrement décevant qu'Ayroles ne nous propose aucun pic émotionnel dans cette bande dessinée. Mais il est vrai qu'il n'en a pas fait son sujet, et que ce manque est donc assumé.
Qu'il ne soit toutefois pas accordé à ce petit reproche plus d'importance qu'il ne le lui faille, car en-dehors de cet élément soulevé par un historien et lecteur quelque peu tâtillon, Les Indes fourbes reste un véritable monument. Il est de ces bandes dessinées qui n'outragent le réel que pour mieux le faire parler, qui n'épuisent leur lecteur que pour mieux l'élever, et ne l'égarent que pour mieux le faire aboutir à cette conclusion qui s'impose d'elle-même : oui, dans le monde de la bande dessinée, l'El Dorado existe.
La Cathédrale des Abymes, c'est une fresque de Dark Fantasy dans un univers imaginaire plutôt original. Celui-ci rappelle par ses régions la Terre, avec des lieux ressemblant à l'Ecosse ou à l'Europe avec des constructions de type cathédrale gothiques, d'autres au Moyen-Orient avec ses minarets. Mais ce qui caractérise ce monde, c'est qu'il a été coupé en deux par une action divine ayant créé un gouffre quasi infranchissable entre le Sud et le Nord pour empêcher la guerre entre les deux contrées. Désormais, seuls de fragiles ponts de liane réussissent à traverser le ravin et donc aucune armée ne peut envahir l'autre rive. Et il est dit que le jour où un pont-cathédrale recouvrira le gouffre et reliera les deux contrées, alors la paix et l'harmonie régneront définitivement.
C'est là la légende en arrière-plan de l'intrigue de cette série, mais la situation des personnages et des forces en présence est bien plus complexe que cela. Pendant un long moment, nous y suivons deux personnages en parallèle. D'un côté une femme templier et assassin extrêmement douée en quête d'un codex sensé dicter la parole divine. De l'autre un simple architecte aux prises avec la vengeance d'un sorcier qui a préféré détruire sa vie et celle de sa famille plutôt que de lui payer l'argent qu'il lui devait.
C'est un récit assez rude, avec des viols et des morts violentes, montrant tristement la faiblesse des humbles face aux puissants, qu'ils soient mages ou guerriers. C'est aussi un récit épique avec des paysages grandioses et des destinées de grande envergure. Les personnages sont bons, crédibles et parfois assez profonds.Et l'intrigue ne se laisse jamais deviner car elle présente beaucoup d'originalité et d'imprévus, même pour un lecteur blasé !
Le dessin de Sébastien Grenier, qui m'avait déjà beaucoup plu sur la série Arawn est ici encore formidable. Ce sont régulièrement de grandes fresques, des peintures détaillées de décors à couper le souffle, de personnages imposants et de scènes d'action pleine de puissance. C'est très beau.
Et cela sert la force du récit qui happe le lecteur et le plonge dans ce monde dépaysant et dur. Vivement la suite !
C'est la deuxième fois que je lis un album de Lupano, et on ne peut pas dire que je sois déçu.
"Ma révérence" nous conte l'histoire de Vincent, loser trentenaire qui rêve de refaire sa vie en Afrique avec l'amour de sa vie et son enfant. Pour cela, il décide de braquer un convoyeur de fond qu'il a croisé dans un bar. Pour réussir son braquage non violent et sans arme, il s'adjoints les services d'un complice de luxe, Gaby, asocial, ivrogne et transfuge direct des années 80, avec sa banane et ses santiags. Ce dernier sert de ressort comique.
Et tout ça marche très bien. L'histoire est bien racontée, on se prend au jeu et on a vraiment envie de savoir si ça va marcher, si ces deux braqueurs improbables vont réussir leur coup. Le récit s'inscrit dans un univers réaliste, les personnages sont tous un peu cassés par la vie, et bien traités. Lupano n'en raconte jamais trop, mais juste ce qu'il faut. Cet univers réaliste est contrebalancé par le loufoque du personnage de Gaby, et par certaines grosses ficelles, qui font un peu cliché. Mais au final, même si l'ensemble fait un peu cliché, un peu idéaliste, eh ben tant mieux, ça fait du bien, et je suis ressorti de cette lecture avec le sourire.
Le dessin est totalement au niveau. Bien maitrisé, rien à dire, le look de Gaby est absolument parfait, ainsi que la trombine des personnages, tous fracassés par la vie et désabusés.
En résumé, un bel album bien dessiné, une histoire bien ficelée et qui prête au sourire, bref, pour ma part, c'est du tout bon.
« Le Loup » aborde une thématique qui suscite le débat en Suisse comme en France depuis des années. Le loup a-t-il encore sa place dans nos contrées ? En résumé, d’un côté, les bergers et éleveurs y sont farouchement opposés en raison des dégâts que le loup inflige aux troupeaux. De l’autre, des écologistes et associations de protection de la nature, entre autres, soutiennent sa réintroduction et sa protection.
Le débat est vif et émotionnel. À titre purement personnel, je suis dans le camp des protecteurs du loup. Ce magnifique animal était là bien avant nous, mais surtout avant que nos activités humaines et notre développement galopant ne limitent son habitat et ses sources de nourriture et le force à disparaître ou presque. Comme bien souvent, l’homme s’oppose à une situation problématique, ici les attaques sur les troupeaux, qu’il a lui-même engendrée, ce que Baptiste Morizot explique très bien dans la postface de l’album. Les autres exemples sont légions à travers le monde, comme le « problème » des attaques de requins à la Réunion ou d’ours polaires dans le Grand Nord.
Bref, revenons à nos moutons si j’ose dire.
Avec ce one shot, Jean-Marc Rochette livre un récit âpre, rude, brut et intense, comme la montagne qu’il aime tant. Le scénario est relativement simple mais puissant. Gaspard, berger solitaire écorché par la vie, va affronter un loup blanc venu s’installer dans sa vallée et qui décime son troupeau. Le combat gagne en intensité, page après page, jusqu’à un paroxysme presque absurde mais finalement assez poétique. L’homme contre la bête ? Pas tout à fait. Le manichéisme que je craignais n’est finalement pas de la partie. Le dénouement m’a également beaucoup plu et offre, selon moi, une fin satisfaisante bien qu’utopique, quand on la met en perspective avec l’actualité.
Quant au dessin, là encore, Jean-Marc Rochette fait dans l’authenticité et l’intensité. Le trait est gras, épais et puissant, comme tracé par la roche et les éléments. Les personnages ont des gueules et sont teintés de mélancolie, sans doute due à la dureté de la vie en montagne. Le loup dégage une vraie force et une grande noblesse. Le milieu montagnard est représenté dans toute sa majesté, son immensité et sa rudesse.
« Le Loup » nous raconte une bien belle histoire et devrait combler tant les amateurs de montagne que les adeptes de la plaine. Le coup de cœur est mérité.
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Abélard
Dillies réussit avec ces deux albums à traiter de choses simples, simplement. Cela peut paraître bête dit comme ça, mais cet équilibre très fragile n’est pas toujours trouvé par les auteurs. On s’attache assez facilement aux personnages animaliers. En particulier à Abélard, jeune pousse ouvert aux découvertes (l’au-delà des marais, l’amour, l’aventure), et qui s’en remet régulièrement aux sentences en forme de maximes sorties de son chapeau pour surmonter les épreuves, ou résoudre les énigmes existentielles qui se présentent à lui. C’est de l’aventure bonasse, teintée de poésie, avec quelques passages alliant humour et réflexion (comme lorsque deux malfrats racistes essayent d’expliquer à un Abélard rêveur et naïf, qui ne voit le mal nulle part, ce qu’est une race). Abélard va lentement se déniaiser (sans totalement perdre sa fraicheur, sa part de naïveté qui le rend si positif) au contact d’un compagnon bourru, Gaston, presque son contraire, tout en étant comme un père pour lui. De la gentillesse, certes, mais pas trop, ce n’est pas guimauve. La noirceur est bien présente (voir les dures leçons que la vie donne à Abélard, la traversée des migrants vers l’Amérique, et la fin, à la fois triste et belle). C’est en tout cas un diptyque recommandable – et le dessin de Dillies, qui joue lui aussi sur une certaine simplicité, aide beaucoup à la fluidité de la lecture, rapide et agréable.
Jonathan
Cosey fait partie de ces auteurs « importants », patrimoniaux, dont j’ai croisé la route assez souvent, sans pour autant avoir vraiment envie d’en découvrir l’œuvre. Lorsque j’étais plus jeune, son dessin, et les quelques pages que j’avais lues – de « Jonathan » uniquement d’ailleurs –, m’avaient un peu rebuté, au point que j’avais pour longtemps laissé toute l’œuvre de cet auteur de côté. Ce n’est que récemment que je me suis dit qu’il fallait que j’y jette un coup d’œil plus sérieux, je crois après la récompense glanée à Angoulême il y a quelques années, qui l’a remis en lumière. J’ai d’abord commencé par ses séries plus courtes (diptyques ou one-shots, dans les collections Aire Libre et Signé), et j’ai enfin lu sa série phare (du moins les 5 premiers albums). Ce n’est pas forcément le genre de truc que j’achèterais aujourd’hui, mais je conçois tout à fait que certains en soient dingues et le fassent les yeux fermés. Au dos de chaque album, Cosey indique 2 ou 3 albums à écouter pour accompagner la lecture des « Jonathan » (comme on le ferait d’un bon vin pour accompagner un grand plat !). C’est généralement très planant : Pink Floyd, et surtout, à chaque fois je crois, un album différent de Mike Oldfield (dont les très longs morceaux instrumentaux sont superbes, envoutants – je les écoute souvent depuis que j’ai découvert cet artiste dans les années 1980). C’est effectivement tout à fait le même genre d’ambiance que développe Cosey dans ses albums. En effet, on est là dans une aventure sans trop de rebondissement, ou de rythme saccadé. C’est bien plus introspectif, méditatif (et le fait que cela se déroule dans les montagnes tibétaines doit jouer), voire naturaliste, contemplatif. Les quelques passages de soldats chinois apportent ces montées de tensions plutôt rares ailleurs. Mais globalement, Cosey prend vraiment son temps pour installer une ambiance (paysages, ambiance générale et quête intérieure semblent d’ailleurs être au cœur, voire même les seules choses qui intéressent l’auteur). Le dessin, un peu brouillon au départ, devient rapidement très bon. On sent que Cosey aime les paysages montagneux (il le montrera dans d’autres séries). La colorisation peut surprendre aujourd’hui, elle fait un peu datée. Mais l’emballage est largement au niveau des histoires, desquelles émane une sérénité assez forte. Je poursuivrai sans doute ma lecture de la série si l’occasion se présente.
Sykes
Cet album est tombé dans mes mains sans que je réussisse à le lâcher avant de l’avoir terminé. Cela faisait longtemps qu’un western ne m’avait pas autant emballé ! Sur le papier, nous sommes pile poil dans ce que le genre a à proposer de plus classique : de vils salopards tuent des innocents avant d’être pris en chasse par un héros bad ass qui tire plus vite que son ombre. Fort heureusement, derrière ce pitch déjà vu et revu, se cache un récit véritablement puissant et centré sur le personnage qui va donner son titre et son sel à l’album : le Marshall Sykes. Les outlaws sont d’ailleurs mis au second plan et n’apparaissent que brièvement, ce qui ne rend pas l’histoire moins intéressante, bien au contraire. Charisme fou, vêtements sombres et gueule taillée à la serpe, l’homme de loi chasse le mécréant à travers les grandes plaines américaines en quête de rédemption et d’oubli. Pierre Dubois nous en dit juste assez pour le rendre passionnant, tout en gardant la part de mystère nécessaire à notre imaginaire. Sykes est en plus flanqué de personnages hauts en couleurs et attachants, en particulier le brave O’Malley, gros dur au cœur d’or. Quant au final, il a le mérite de clore ce one shot de manière nette et efficace. Certains vous diront sans doute que c’était cousu de fil blanc. À titre personnel, je me demandais comment ça allait finir, craignant d’être déçu… mais j’ai été conquis ! Ce grand western est d’autant plus réussi qu’il est magnifiquement illustré par un Dimitri Armand que je découvre ici avec admiration. Quel coup de crayon ! La sensation de regarder un film est constante, grâce à un découpage et des gros plans savamment dosés. Grands espaces, bagarres, gun fights, saloon, veille maison abandonnée, souvenirs douloureux… Dimitri Armand sait tout faire pour le plaisir de nos yeux. Très gros coup de cœur !
Prestige de l'uniforme
La déconstruction du mythe de super-héros n'est pas nouvelle vu que c'est en vogue de faire ça depuis au moins les années 80. J'ai donc lu cet album en ayant un peu peur de voir un truc déjà vu , surtout que le héros ressemble vraiment à Docteur Manhattan et que lui aussi est chercheur qui devient par accident un super-héros avec des pouvoirs. Heureusement, j'ai bien accroché. Le héros est un vrai loser et sa vie va bien sur basculer lorsqu'il va obtenir ses pouvoirs. Le scénario est bien ficelé et j'ai bien aimé comment les auteurs mettent en avant la vie familiale du personnage principal et comment le fait d'avoir des pouvoirs va avoir des répercussions sur sa vie privée. C'est un thème très utilisé dans les comics de super-héros normal, mais ici c'est utilisé de manière tellement intelligente et un peu noir que ça m'a paru original ! Il y a des thèmes abordés intéressants et de bons dialogues. Le dessin ne m'a pas dérangé quoique je comprends que certains n'aiment pas ce style. Un bon album qui mélange habillement les super-héros et le roman graphique !
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Revoilà Bruno Duhamel, à mon avis l'un de nos meilleurs observateurs de notre société et de ses travers, versant cynique. Cette fois-ci il s'attaque aux réseaux sociaux, non de manière frontale, mais en démontrant la résultante de leur interaction. Et surtout de la dépendance où nous sommes, celles et ceux qui l'utilisent au quotidien, que ce soit pour des raison professionnelles ou pour des raisons personnelles. Cet album raconte comment, de reclus et inconnu, un photographe du fin fond de l'Ecosse devient une star surexposée et provoque une dégradation majeure de l'environnement dans lequel il s'était auparavant reclus. Les différentes factions qui interviennent alors se caractérisent par leurs stéréotypes et leurs travers, dans une confrontation dont l'absurdité amène la lectrice ou le lecteur à rire jaune, très jaune, car il ou elle ne pourra manquer de se reconnaître dans tel ou tel "type". Et de se rendre compte du mal qu'il peut faire à l'humain, et à son environnement. Et la fin,inéluctable mais finement amenée, nous donne une idée de l'ampleur des dégâts. Pour ma part je pense que c'est l'humour qui nous sauve de la folie et du désastre. Duhamel en use, finement, mais c'est de l'humour très cynique. Sur le plan du dessin, c'est d'une grande élégance, avec un souci du détail qui procure (encore plus) de respect envers l'auteur.
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Diantre, diantre que voilà du bel ouvrage. Comme le note le posteur précédent, il flotte sur cet album un parfum de "Usual Suspects" assez réjouissant et oui aussi à la française mais sans que cela ne soit péjoratif, pas d'adaptation poussive avec les poncifs du flic du 36. Bien au contraire tout cela virevolte et une fois la lecture entamée on ne lâche plus l'affaire. Personnellement je me suis laissé embarquer par cette histoire aux multiples rebondissements, le Pink Rudolf est malin vraiment très malin. Si le scénario a tout pour contenter l'amateur de policier le dessin n'est pas en reste avec David Soyeur qui possède un trait parfaitement maîtrisé. Au final un livre qui ne génère aucun inconvénient à mes yeux et que je recommande chaudement.
Les Indes fourbes
Tout amateur de bandes dessinées se doit évidemment de lever tout au moins un sourcil intrigué lorsqu'il entend dire qu'Alain Ayroles va scénariser une histoire dessinée par Juanjo Guarnido. Savoir en outre qu'Ayroles s'inspire d'un célèbre roman picaresque pour lui donner la suite qu'il aurait dû avoir mais n'a jamais eue satisfera également l'amateur de belle littérature. On en concluera donc ainsi logiquement que toute personne de goût ne peut que se précipiter en librairie dès ce 28 août 2019 pour se procurer - à un prix certes quelque peu ironique par rapport au sujet de l'oeuvre - ce qui s'annonçait d'ores et déjà comme une pépite. Et dès que l'on ouvre l'ouvrage, on constate avec plaisir que l'on ne s'est pas trompé. Le sens aigu de la mise en scène parcourant toute l'oeuvre d'Ayroles a été convoqué une nouvelle fois ici, son talent incroyable pour les dialogues et pour le pastiche également, tandis que le génie visuel de Juanjo Guarnido n'a rien perdu de sa superbe. Tout amateur du monument De Cape et de Crocs ne pourra se sentir perdu face à ces dialogues d'une élégance toute ayrolienne - tout sauf du vent ! -, d'une langue parfaite qu'il fait bon lire en ces temps où le commun des mortels lui enlève toute sa substance. Oui, à nouveau, Alain Ayroles nous propose plus qu'une bande dessinée : il nous offre un bijou de rhétorique et de langue française. Rien que pour cela, Les Indes fourbes est déjà un monument. Mais il faut avancer davantage sans ombre ni trouble au visage dans l'opulente jungle verbale où nous fait pénétrer l'intrépide Ayroles pour découvrir plus en détail ce temple d'or qu'il a bâti pour nous. Si l'on s'en réfère à la structure de l'oeuvre, ce n'est plus du Francisco de Quevedo, c'est du Quentin Tarantino. Divisé en trois chapitres, le récit nous prend et nous surprend plus d'une fois, jouant avec sa propre mécanique narrative et dramaturgique pour mieux la mettre en valeur. Cela commence comme un simple récit d'exploration, récit à deux étages comme Ayroles sait si bien les écrire, afin de mieux mettre en abyme une histoire somme toute très classique. Un vulgaire escroc s'enfuit d'Espagne pour chercher la fortune dans les colonies du royaume, et découvre à la fois les noblesses et les turpitudes de ce monde qui, Nouveau, a déjà toutes les caractéristiques de l'Ancien. Il s'agit du chapitre le plus long. Sans doute le moins passionnant des trois, pourtant déjà captivant et, on le découvrira à la fin, essentiel pour installer lentement mais sûrement les rouages de l'implacable mécanique dans laquelle nous sommes plongés. Dans cette partie, l'on appréciera l'aisance avec laquelle l'auteur prend le ton des plus grands récits de voyage et nous immisce dans une atmosphère magnifiée par le trait d'une incomparable beauté issu de la main de Guarnido. Le souffle épique, la vérité cachée y établissent déjà leurs premiers bourgeons, qui écloront dans les deux parties suivantes. Après l'apothéose du premier chapitre, on croit déjà avoir tout vu. C'est précisément parce qu'en réalité, on n'a encore rien vu. Il faut s'arrêter là et ne rien dire du contenu des deux chapitres suivants pour conserver la surprise à l'aimable lecteur qui n'aura pas encore déserté cette humble critique, poussé par un ennui naturel. Que l'on dise simplement qu'Alain Ayroles, fidèle à son habituel style narratif, ne met en place cette mécanique en trois actes que pour mieux berner son lecteur. Si le premier chapitre de l'oeuvre passait - et c'est normal, pastiche oblige - par toutes les étapes attendues du récit picaresque comme du récit d'exploration, les chapitres II et III s'ingénient à briser tout ce que ces attendus avaient mis en place dans notre cerveau habilement endormi. On admirera également l'art avec lequel Ayroles domine son oeuvre tout en laissant une place égale à son dessinateur Guarnido, qui trouve là un exceptionnel terrain de jeu, la chance d'une vie, peut-être même l'apogée d'une grande carrière de dessinateur, afin de déployer tous les ors de son dessin merveilleux, baroque et titanesque. Derrière la sobriété d'une couverture où se dit pourtant l'essentiel (et à laquelle a participé le génial Alex Alice, notons-le au passage) se cachent les splendeurs d'un foisonnement graphique plein de vie et d'exubérance. L'auteur s'efface même parfois complètement derrière le dessinateur dans des planches colossales, muettes et pourtant éloquentes, telles ces douze pages sans un seul mot (!) narrant l'épopée d'un groupe de colons rencontrant les innombrables péripéties de la route vers l'El Dorado, qui redonne toutes ses lettres de noblesse au genre si souvent dénigré de la bande dessinée. Il sera toutefois permis au lecteur d'émettre quelques réserves sur l'esprit d'une bande dessinée dont la richesse ne peut masquer un (léger) manque. Si l'épopée possède un souffle incroyable et que le récit d'exploration semble passer par toutes les étapes essentielles, on pourra regretter que l'émotion ne vienne jamais percer la surface de la caricature. Certes, celle-ci est très intelligente et parfaitement justifiée par l'emploi du pastiche. Toutefois, il arrive que l'on se lasse quelque peu de cette dépiction du monde dans ce qu'il a de plus sale et de plus ignoble (au sens littéral comme au figuré). Bien sûr, la satire l'exige, mais cette saleté ambiante, certes réelle ou au moins réaliste, pouvait cohabiter - et ce, au sein du Nouveau Monde plus que partout ailleurs - avec une véritable noblesse et une authentique grandeur d'âme qu'Ayroles, sans doute à la suite de Quevedo, tend parfois à oublier, même s'il nous la fait par moments toucher du bout des doigts. Quand on songe à l'émotion puissante qui se dégageait de certaines pages de De Cape et de Crocs et de Garulfo, on peut trouver légèrement décevant qu'Ayroles ne nous propose aucun pic émotionnel dans cette bande dessinée. Mais il est vrai qu'il n'en a pas fait son sujet, et que ce manque est donc assumé. Qu'il ne soit toutefois pas accordé à ce petit reproche plus d'importance qu'il ne le lui faille, car en-dehors de cet élément soulevé par un historien et lecteur quelque peu tâtillon, Les Indes fourbes reste un véritable monument. Il est de ces bandes dessinées qui n'outragent le réel que pour mieux le faire parler, qui n'épuisent leur lecteur que pour mieux l'élever, et ne l'égarent que pour mieux le faire aboutir à cette conclusion qui s'impose d'elle-même : oui, dans le monde de la bande dessinée, l'El Dorado existe.
La Cathédrale des Abymes
La Cathédrale des Abymes, c'est une fresque de Dark Fantasy dans un univers imaginaire plutôt original. Celui-ci rappelle par ses régions la Terre, avec des lieux ressemblant à l'Ecosse ou à l'Europe avec des constructions de type cathédrale gothiques, d'autres au Moyen-Orient avec ses minarets. Mais ce qui caractérise ce monde, c'est qu'il a été coupé en deux par une action divine ayant créé un gouffre quasi infranchissable entre le Sud et le Nord pour empêcher la guerre entre les deux contrées. Désormais, seuls de fragiles ponts de liane réussissent à traverser le ravin et donc aucune armée ne peut envahir l'autre rive. Et il est dit que le jour où un pont-cathédrale recouvrira le gouffre et reliera les deux contrées, alors la paix et l'harmonie régneront définitivement. C'est là la légende en arrière-plan de l'intrigue de cette série, mais la situation des personnages et des forces en présence est bien plus complexe que cela. Pendant un long moment, nous y suivons deux personnages en parallèle. D'un côté une femme templier et assassin extrêmement douée en quête d'un codex sensé dicter la parole divine. De l'autre un simple architecte aux prises avec la vengeance d'un sorcier qui a préféré détruire sa vie et celle de sa famille plutôt que de lui payer l'argent qu'il lui devait. C'est un récit assez rude, avec des viols et des morts violentes, montrant tristement la faiblesse des humbles face aux puissants, qu'ils soient mages ou guerriers. C'est aussi un récit épique avec des paysages grandioses et des destinées de grande envergure. Les personnages sont bons, crédibles et parfois assez profonds.Et l'intrigue ne se laisse jamais deviner car elle présente beaucoup d'originalité et d'imprévus, même pour un lecteur blasé ! Le dessin de Sébastien Grenier, qui m'avait déjà beaucoup plu sur la série Arawn est ici encore formidable. Ce sont régulièrement de grandes fresques, des peintures détaillées de décors à couper le souffle, de personnages imposants et de scènes d'action pleine de puissance. C'est très beau. Et cela sert la force du récit qui happe le lecteur et le plonge dans ce monde dépaysant et dur. Vivement la suite !
Ma révérence
C'est la deuxième fois que je lis un album de Lupano, et on ne peut pas dire que je sois déçu. "Ma révérence" nous conte l'histoire de Vincent, loser trentenaire qui rêve de refaire sa vie en Afrique avec l'amour de sa vie et son enfant. Pour cela, il décide de braquer un convoyeur de fond qu'il a croisé dans un bar. Pour réussir son braquage non violent et sans arme, il s'adjoints les services d'un complice de luxe, Gaby, asocial, ivrogne et transfuge direct des années 80, avec sa banane et ses santiags. Ce dernier sert de ressort comique. Et tout ça marche très bien. L'histoire est bien racontée, on se prend au jeu et on a vraiment envie de savoir si ça va marcher, si ces deux braqueurs improbables vont réussir leur coup. Le récit s'inscrit dans un univers réaliste, les personnages sont tous un peu cassés par la vie, et bien traités. Lupano n'en raconte jamais trop, mais juste ce qu'il faut. Cet univers réaliste est contrebalancé par le loufoque du personnage de Gaby, et par certaines grosses ficelles, qui font un peu cliché. Mais au final, même si l'ensemble fait un peu cliché, un peu idéaliste, eh ben tant mieux, ça fait du bien, et je suis ressorti de cette lecture avec le sourire. Le dessin est totalement au niveau. Bien maitrisé, rien à dire, le look de Gaby est absolument parfait, ainsi que la trombine des personnages, tous fracassés par la vie et désabusés. En résumé, un bel album bien dessiné, une histoire bien ficelée et qui prête au sourire, bref, pour ma part, c'est du tout bon.
Le Loup
« Le Loup » aborde une thématique qui suscite le débat en Suisse comme en France depuis des années. Le loup a-t-il encore sa place dans nos contrées ? En résumé, d’un côté, les bergers et éleveurs y sont farouchement opposés en raison des dégâts que le loup inflige aux troupeaux. De l’autre, des écologistes et associations de protection de la nature, entre autres, soutiennent sa réintroduction et sa protection. Le débat est vif et émotionnel. À titre purement personnel, je suis dans le camp des protecteurs du loup. Ce magnifique animal était là bien avant nous, mais surtout avant que nos activités humaines et notre développement galopant ne limitent son habitat et ses sources de nourriture et le force à disparaître ou presque. Comme bien souvent, l’homme s’oppose à une situation problématique, ici les attaques sur les troupeaux, qu’il a lui-même engendrée, ce que Baptiste Morizot explique très bien dans la postface de l’album. Les autres exemples sont légions à travers le monde, comme le « problème » des attaques de requins à la Réunion ou d’ours polaires dans le Grand Nord. Bref, revenons à nos moutons si j’ose dire. Avec ce one shot, Jean-Marc Rochette livre un récit âpre, rude, brut et intense, comme la montagne qu’il aime tant. Le scénario est relativement simple mais puissant. Gaspard, berger solitaire écorché par la vie, va affronter un loup blanc venu s’installer dans sa vallée et qui décime son troupeau. Le combat gagne en intensité, page après page, jusqu’à un paroxysme presque absurde mais finalement assez poétique. L’homme contre la bête ? Pas tout à fait. Le manichéisme que je craignais n’est finalement pas de la partie. Le dénouement m’a également beaucoup plu et offre, selon moi, une fin satisfaisante bien qu’utopique, quand on la met en perspective avec l’actualité. Quant au dessin, là encore, Jean-Marc Rochette fait dans l’authenticité et l’intensité. Le trait est gras, épais et puissant, comme tracé par la roche et les éléments. Les personnages ont des gueules et sont teintés de mélancolie, sans doute due à la dureté de la vie en montagne. Le loup dégage une vraie force et une grande noblesse. Le milieu montagnard est représenté dans toute sa majesté, son immensité et sa rudesse. « Le Loup » nous raconte une bien belle histoire et devrait combler tant les amateurs de montagne que les adeptes de la plaine. Le coup de cœur est mérité.