Les derniers avis (31521 avis)

Par Josq
Note: 4/5
Couverture de la série À la poursuite du trésor de Décalécatán
À la poursuite du trésor de Décalécatán

Tous les lecteurs de Spirou connaissent bien les Fabrice et Fabrice qui font un édito très déjanté dans chaque numéro. Les lecteurs de Spirou savent aussi qu'ils ont eu droit à leur première aventure complète cette année, dont est tiré l'album ici présent. J'ai toujours eu un peu du mal avec le dessin de Fabrice Erre, et ce n'est pas tout à fait cet album qui va me faire changer d'avis, même si je trouve qu'on s'y habitue finalement assez bien, et qu'il nous offre quelques décors qui valent la peine. Dans tous les cas, le dessin est finalement assez secondaire par rapport au scénario et aux dialogues de Fabcaro, qui est ici en très grande forme. Son double et celui de son dessinateur, qu'il met en scène ici, sont prodigieusement idiots, parfois à l'excès même pour le lecteur. Pire, cela suspend parfois la suspension d'incrédulité, quand on se demande comment les autres personnages peuvent se méprendre sur l'identité et les compétences du duo de Fabrice. Même si le ton de la comédie est censé faire disparaître la suspension d'incrédulité, c'est parfois vraiment trop gros... Mais le fait est que ça passe. Je me suis même pris à éclater de rire un certain nombre de fois, tant les effets comiques ménagés par Fabcaro et Fabrice Erre touchent juste, et réussissent à surprendre. C'est finalement bien ce qui me fait ajouter une quatrième étoile à cette bande dessinée, dont je ne suis pas certain qu'elle la mérite réellement. Mais la surprise a bel et bien été là du début à la fin, me réservant quelques moments de pure hilarité. Et finalement, c'est bien là le plus important : qu'une bande dessinée humoristique soit encore capable de me surprendre quand j'ai l'impression d'avoir fait le tour du genre, ça mérite bien une aussi grande générosité !

03/06/2025 (modifier)
Couverture de la série Calle Málaga
Calle Málaga

De très beaux dessins et une colorisation grandiose : ce sont les images qui racontent l'histoire. Un court récit, comme une nouvelle, l'histoire d'un homme taiseux et solitaire qui erre comme un fantôme dans les rues d'une ville déserte, hors-saison. Enfant, le scénariste français Mark Eacersall a grandi dans le souvenir de l'atelier de son père qui, le dimanche, peignait d'après des cartes postales d'Espagne. De quoi alimenter son imagination puisqu'il nous invite, avec cet album, dans une station balnéaire hors-saison. C'est le normand James Blondel qui signe les dessins et la remarquable colorisation de Calle Málaga. Quelque part en Espagne, Calle Málaga s'étouffe sous les couleurs orangées du soleil, même si l'on est encore hors-saison. Dans cette ambiance de ville fantôme, erre un jeune homme solitaire. Son visage reste souvent dans l'ombre des éclairages somptueux de Blondel : l'homme seul est comme un spectre dans la ville déserte. Le gars est un sombre taiseux et on devine bien sûr qu'il est en cavale, qu'il fuit la police et peut-être même ses complices. Sur le palier de son appartement, il fait la rencontre d'un personnage sympa, un petit gros jovial, un peu envahissant, qui va même l'emmener dans la sierra pour admirer les fleurs du printemps. L'album est court, le récit également : s'il s'agissait d'un écrit on parlerait d'une nouvelle. Un personnage ou deux, le décor de la ville déserte, deux ou trois péripéties à peine suggérées, des souvenirs presque, et la chute. C'est remarquable d'autant que ce ne sont pas les bulles et les dialogues qui viennent envahir ces très belles planches. Mark Eacersall le dit lui-même : c'est « une narration silencieuse, où ce sont les images qui parlent ». Et puis il y a les planches de James Blondel : une ligne bien claire et très nette magnifiée par une colorisation superbe. C'est sans hésitation, un des plus beaux albums qu'on ait vus cette année. Alors qu'en reste-t-il une fois l'album refermé ? « Une nuit à la belle étoile ... avec un ami. ». Ah, voilà une belle conclusion.

03/06/2025 (modifier)
Couverture de la série La Madone de Pellini
La Madone de Pellini

J'ai été vraiment séduit par la lecture de ce diptyque très peu connu et injustement noté à mes yeux. François Rivière propose une BD littéraire avec un récit en abyme très intelligemment construit autour de la personnalité de Henry James. Je n'ai rien lu de ce célèbre auteur américain mais mes recherches montrent comment Rivière a su coller au plus près de l'esprit de cet écrivain très éclectique. En outre je suis friand des récits fantastiques qui mettent en scène des tableaux vivants qui font un pont entre deux situations éloignées de plusieurs siècles. La construction de la série est surprenante avec deux tomes bien distincts. Le tome 1 centré sur la relation Nora-Francesco pose le récit dans une ambiance victorienne fin de siècle où l'indicible et le spiritisme sont en vogue. En outre Rivière utilise un narrateur menteur que ne renierait pas James. Les dialogues sont d'un excellent niveau et si l'action est peu présente, l'étrangeté de la situation donne tout son sel à la narration. Le tome 2 dévoile l'intrigue dans un récit purement fantastique teinté d'une résolution d'une énigme policière inattendue. En outre le graphisme de Federici est un argument fort pour le plaisir de lecture. L'auteur italien propose un trait réaliste voire naturaliste qui colle parfaitement au genre littéraire de James. Ses cases sont finement travaillées dans son univers descriptif des rues de Londres où des alentours de Lamb House. Mais Federici ne se contente pas du descriptif, il sait passer d'une ambiance réaliste à une séquence fantastique avec adresse dans sa narration graphique réussissant même à faire vivre une ambiance florentine du XVème siècle avec une belle crédibilité. Une lecture surprise pleine de qualité et très sous-évaluée à mes yeux.

03/06/2025 (modifier)
Par Spooky
Note: 4/5
Couverture de la série Black Gospel
Black Gospel

Le scénariste Laurent-Frédéric Bollée commence à avoir une belle carrière derrière lui, et il a encore de quoi faire de belles choses pour les décennies à venir. Il souhaitait depuis longtemps faire une BD parlant du fameux discours de Martin Luther King, en 1963, au cours duquel il déclama le fameux "I have a dream...". Mais raconté par le petit bout de la lorgnette. Il s'est alors intéressé à un double meurtre ayant eu lieu la veille, celui des career girls, qui a été complètement éclipsé par le fameux discours. Et a commencé à imaginer quelque chose de similaire, l'œuvre d'un copycat. De fil en aiguille les différents éléments ont été intégrés à son script, et c'est ainsi qu'un flic de New York débarque à Washington sur la piste de ce copycat. L'histoire en elle-même est un polar, certes de bonne facture, mais assez classique en elle-même dans son déroulement, avec cependant quelques petits éléments tirés par les cheveux. Mais cela ne nuit pas vraiment à l lecture et au suivi de l'enquête, qui est plutôt intéressante. Bollée se réclame de l'influence de James Ellroy, et je pense qu'il se débrouille pas mal. Boris Beuzelin, lui, revendique une inspiration du côté de Frank Miller pour sa gestion du noir et blanc, et si la maîtrise est un peu fluctuante, il y a de vraise superbes cases dans ce noir et blanc tétanisant. J'y vois aussi un peu de Brüno pour l'épure sur certains passages. Une vraie réussite.

03/06/2025 (modifier)
Par PAco
Note: 4/5
Couverture de la série Ulysse & Cyrano
Ulysse & Cyrano

Voilà un moment que la lecture de cet album m'attendait, c'est chose faite, et je ne peux que conforter les avis et impressions des autres lecteurs : C'est d'un classicisme univoque, mais magistralement structuré et réalisé. Rien que le soin porté à l'édition de l'objet met déjà l'eau à la bouche de tout lecteur qui se respecte. Grand format, couverture rigide toilée, papier épais : ça donne le ton ! Stéphane Servain nous régale de planches magnifiques, parfaitement valorisées par ce grand format. Du côté de l'histoire, on est dans le classique : Ulysse, jeune héritier qui ne veux pas suivre les traces de la famille de "la haute" et ne rêve que de devenir cuisinier, épaulé par le rustre mais attachant Cyrano qui a tout plaqué de façon fracassante quand il tenait un resto étoilé, après n'avoir pas reçu le Prix qu'il escomptait. Les personnages secondaires sont aussi dans la même veine, mais toujours aussi efficaces dans cette mécanique bien huilée, ou plutôt dans petit plat délicieusement mitonné ! Bref, un très bon moment de lecture, qui, s'il ne révolutionnera pas la BD, ne nous en laissera pas pour autant un très bon arrière goût pour les gourmets que nous sommes.

02/06/2025 (modifier)
Par PAco
Note: 4/5
Couverture de la série À la poursuite de Jack Gilet
À la poursuite de Jack Gilet

Très bonne surprise que cet album, par le biais duquel je découvre le talent de David Ratte. ! Jack Gilet est bourreau aux États-Unis au début du XXe siècle. Mais bourreau pour... animaux ! Il est donc chargé de l'exécution des sentences prononcées par les juges à l'encontre d'animaux qui ont généralement tué des personnes. Le métier a effectivement existé, mais c'est vrai que le thème est peu banal et pourrait être assez cocasse, si la mort des pauvres bêtes n'était en jeu. L'album nous fait donc découvrir le triste quotidien de ce Jack Gilet jusqu'à l’exécution prévue d'une éléphante, qui devait être l'apothéose de sa carrière. Mais son périple l'oblige à partager sa route avec un jeune garçon complètement psychopathe qui ne rêve que de devenir bourreau pour être humain et une jeune femme qui cherche elle à se venger de l'exécution par Jack d'une de ses chèvres... L'album oscille donc entre le tragique et le comique, servi par le magnifique dessin de David Ratte. Entre les trognes des personnages qui émaillent ce périple, les grands espaces américains magnifiquement rendus et le regards des animaux qui sont au centre de ce récit, David Ratte se fait plaisir et le partage avec efficacité. Un très bon album !

02/06/2025 (modifier)
Couverture de la série Mauro Caldi
Mauro Caldi

Mon avis porte sur les six premiers numéros qui sont le fondement de la série. J'ai vraiment apprécié cette lecture qui présente une ambiance originale de l'Italie des années 50. Denis Lapière propose un personnage naïf et attachant au cœur de deux thématiques italiennes symboliques: Ferrari et la maffia. Cela donne une galerie de personnages mi humoristiques mi cyniques au sein d'aventures bien construites. Alors que le graphisme peut incliner vers une lecture de jeune ado, les personnages qui entourent Mauro ont tous un passé trouble (Gigi, Joanna, Don Rossellini) ce qui rend les récits plus ambigus et plus intéressants. Les tomes 5 et 6 présentent des fins plus convenues mais les quatre premiers tomes sont vraiment bons. Le graphisme de Michel Constant est un régal d'élégance . C'est avant tout l'élégance des Ferrari conduites par la légende Fangio qui apparait dans certains épisodes. Ensuite Clément travail sur l'élégance des costumes des jolies filles ou des don assez peu sympathiques. Enfin Clément ne néglige pas la beauté des paysages ou de l'architecture des villes transalpines. Le graphisme semi réaliste rond de Clément possède un côté humoristique qui ferait penser à des vieilles séries classiques mais on s'en démarque assez vite avec un grand nombre de cadavres et des situations adultes (adultère, corruption). Une série qui dégage une ambiance que j'aime beaucoup. un peu dans un style Don Camillo des années 60.

01/06/2025 (modifier)
Couverture de la série Gon
Gon

Un manga sans paroles mais riche en émotions ! Gon impressionne par son dessin ultra détaillé et son héros aussi coriace que drôle. Chaque page est un petit chef-d’œuvre visuel. Une aventure muette mais universelle, entre humour, action et poésie sauvage.

31/05/2025 (modifier)
Couverture de la série Mutafukaz
Mutafukaz

Un véritable petit ovni dans l'univers du comics ! D'ovnis, il en est justement question dans cette série faisant la bagatelle de 600 pages... Soit dit en passant, l'intégrale n'est d'ailleurs pas très pratique à lire à moins que vous n'ayez poussé quelques haltères dernièrement au fond d'une salle de sport ou de votre sous-sol. Ce qui marque avant-tout quand on ouvre Mutafukaz, c'est l'originalité et la richesse du graphisme. On sent que l'auteur a pris beaucoup de plaisir à travailler les différents chapitres avec de multiples styles et couleurs dominantes. L'ensemble reste cohérent et l'intégrale, malgré son poids, est, il est vrai, de toute beauté. En ce qui concerne le scénario, si je rejoins les avis précédents dans le fait qu'il y a quelques longueurs et que les scènes d'actions et de bastons entre les gangs, les flics et les aliens auraient gagné à être raccourcies, l'histoire reste très cohérente dans l'ensemble, démontrant que Run, l'avait pensée dès le départ dans sa globalité. L'intrigue, digne d'un Mars Attack ou d'un film de Tarantino, regorge de personnages plus barrés les uns que les autres et de petits clins d'oeil assez succulents. Je me suis surpris plusieurs fois à sourire voire même à rire à quelques gags, notamment durant certaines scènes associant nos trois loosers à tête de boule de billard, de chauve souris et de squelette enflammé (comment ça c'est bizarre ?). Pour ma part, malgré un scénario quelque peu convenu que je ne dévoilerai pas ici, j'ai passé un très bon moment de lecture et Mutafukaz doit figurer dans toute bonne bédéthèque, ne serait-ce que pour son originalité et sa mise en scène. SCENARIO (Originalité, Histoire, personnages) : 8/10 GRAPHISME (Dessin, colorisation) : 8,5/10 NOTE GLOBALE : 16,5/20

31/05/2025 (modifier)
Par Présence
Note: 4/5
Couverture de la série Rupestres !
Rupestres !

Un trait est toujours un chemin à suivre. - Ce tome constitue une mise en scène de l’expérience d’immersion dans une grotte sous terre, et d’observation de dessins primitifs du paléolithique par six bédéastes. Son édition originale date de 2011. Il a été réalisé par un collectif de six auteurs pour le scénario et les dessins : Étienne Davodeau, David Prudhomme, Marc-Antoine Mathieu, Troubs, Emmanuel Guibert, Pascal Rabaté. Il comprend deux-cent-cinq pages de bande dessinée, avec quelques photographies. Ce collectif a réalisé un deuxième album sur ce thème : Pigments (2024), avec la participation supplémentaire d’Edmond Baudoin, et la participation réduite et à distance de Marc-Antoine Mathieu. David Prudhomme dit le Bison. Emmanuel Guibert dit l’Abbé. Pascal Rabaté dit le Chafouin. Troub’s dit la Belette. Marc-Antoine Mathieu dit Crô-Ma. Étienne Davodeau dit l’Auroch. Vingt et unième siècle. À l’initiative du premier d’entre eux, ces six auteurs de bande dessinée partent à la rencontre de leurs confrères qui, au paléolithique, dessinaient sur les parois des grottes. Par-delà les millénaires, entre sapiens dessinateurs, ils doivent avoir des choses à se dire. De site en site, ils parcourent le sud-ouest de la France en voiture. Ils sont un peu entassés, tous les quatre sur la banquette arrière. Ils arrivent à l’entrée de la grotte et sortent du véhicule : ils sont accueillis par leur guide qui appartient au réseau Clastres. Il leur propose de rentrer dans la grotte, en leur demandant s’ils sont bien couverts, et s’ils ont pensé à faire pipi. Les ténèbres les enveloppent, avant que leurs yeux ne s’habituent à l’obscurité. Les recommandations : ils ne doivent poser leurs doigts nulle part, faire attention de ne pas glisser, car l’argile comme le papier garde trace de tout, il faut se rendre invisible. Les six artistes progressent vers le fond de la grotte, menés par leur guide. Ils ne peuvent pas se perdre. L’un d’eux se fait la réflexion qu’on n’accorde rarement autant d’attention au sol qu’on foule. La caverne amène vers le passé, elle est l’empreinte des frottements de l’eau et du feu. De l’air avec la terre. Pour eux, c’est clair, mais pour les paléos ? Ce chemin à lueur tremblante des torches était sûrement moins rationnel que le leur. Le même éprouve comme l’impression d’être des vers, des bouts de viande sur des amygdales. Ils doivent être comme des ombres. Ils suivent d’autres ombres. Celles des ancêtres qui ont donné vie à ce monde muet. Avec leur feu, leurs chants, leurs traits. Maintenant autour d’eux, c’est le silence. Leur lampe le fait danser. Un autre bédéaste commence à laisser aller son flux de pensées. Au début, il n’y avait rien. Ou plutôt il y avait tout. Le Grand Tout dans lequel tout fusionnait : les plantes, les animaux, les montagnes…Tout, y compris celui n’était pas encore l’homme. Et il y a eu une lueur. Pas une lumière – pas encore. Juste une flamme vacillante, fragile… Humble, mais domestique. Elle a pénétré la grotte et cela a créé quelque chose de nouveau. Avant le feu, la grotte n’existait pas. Obscure. Effrayante. Impénétrable. Interdite. Avant le feu : deux uniques sources lumineuses : le soleil et la Lune avec leurs lueurs immuables et leurs ombres fixes. Le feu a créé des lumières particulières : mouvantes, actrices, qui font vivre les ombres. Un ouvrage singulier réalisé à douze mains, sans que les pages ne soient signées de l’un ou de l’autre. En fonction de sa familiarité avec ces six bédéastes, le lecteur peut reconnaître le mode de dessin de l’un ou de l’autre, d’une partie ou des six. Ou alors il peut se fier au séquençage des noms et constater le changement graphique d’une page à l’autre, et ainsi en déduire qui a réalisé quelles planches. Il peut aussi ne pas s’en préoccuper, n’y accorder aucune importance et se laisser porter par les images et les mots, les ressentant comme différents points de vue, comme l’expression de différents états d’esprit pouvant émaner d’une unique personne, en fonction des fluctuations de ses ressentis. Plutôt que l’expression chorale d’un collectif, il peut aussi ramener sa lecture à l’unicité de sa propre perception, et l’approcher comme différents points de vue sur une même chose, les dessins paléolithiques, entre sensation d’être un intru dans les entrailles de la Terre, et considérer ces dessins en tant qu’artiste, une forme primitive tout autant que le témoignage de la façon d’interpréter le monde il y plus de dix mille ans. Ainsi en fonction des séquences, le lecteur découvre des pages aux apparences diverses : noir & blanc avec des nuances de gris, grands dessins à la frontière de l’abstraction, fac-similé d’art pariétal, grandes illustrations en double page, etc. Dans un premier temps, le lecteur peut être décontenancé par l’absence d’information quant à la grotte visitée. Il est mentionné qu’elle fait partie du réseau Clastres, et au vu des représentations observées par les artistes, il s’agit de la grotte de Niaux, située en Ariège. Cette grotte comprend de nombreuses figurations pariétales magdaléniennes, elle fait partie d’un réseau souterrain de quatorze kilomètres de long, comprenant également la grotte de Lombrives et celle de Sabart. Ses parois sont ornées de nombreux animaux dont cinquante-quatre bisons, vingt-neuf chevaux, quinze bouquetins, ainsi que des cerfs, des poissons et même une belette. Il s’agit d’une grotte visitable, avec un guide, par groupe de vingt-cinq personnes, sans système d’éclairage permanent. S’il est familier des lieux, le lecteur peut retrouver certaines de ces caractéristiques dans les dessins, et dans le déroulement de la visite. Sinon, il découvre une partie de ces informations lors de la visite. Le groupe d’artistes arrive rapidement à la grotte et ils y pénètrent dès la page neuf, avec une illustration en pleine page, une peinture abstraite tout en noir, avec quelques zones vagues de gris très foncé, évoquant une caverne de grande taille impossible à distinguer. Puis vient une illustration en double page, également entre art abstrait et évocation concrète, éclatante de tons rouge et orange, avec une bordure irrégulière noire sur la gauche : le lecteur en déduit que les visiteurs ont mis en fonctionnement leurs lampes électriques portatives et que c’est le choc du retour de la couleur. L’ouvrage fait ainsi la part belle aux grandes illustrations en pleine page ou en double page, environ trente-quatre pour les premières et quarante pour les secondes. D’un artiste à l’autre, ces pages présentent des caractéristiques différentes : parfois proche de l’abstraction, de l’impressionnisme, de l’expressionnisme, parfois dans des registres concrets, avec des techniques allant de la peinture au détourage traditionnel par un trait encré. Au cours d’une de ces séquences, l’artiste commence par les dessinateurs de dos plaçant le lecteur parmi eux pour regarder des bisons et un homme-cerf sur la paroi de la grotte, avec traits encrés et mise en couleurs réaliste. Puis un dessin en double page au pinceau et noir & blanc, reprenant les représentations de bisons et autres et les rapprochant vaguement de leur milieu naturel. Puis des esquisses grossières au crayon gras, proches de dessins d’enfants pour évoquer une représentation primitive. Puis les silhouettes de quatre dessinateurs, esquissées de manière encore plus grossières, avec devant eux la paroi de la grotte évoquée uniquement par un camaïeu de couleurs très simple. De la même manière, lorsque la narration prend une forme de cases alignées en bande, les rendus relèvent de registres graphiques très diverses. Les dessinateurs utilisent des constructions variées : cases alignées en bande, apparition progressive des gouttières d’abord gris foncé puis devenant progressivement blanches, gouttières figurées de simples traits de craie blanche comme dessinées sur la paroi de la grotte, cases sans bordures, passage à quinze cases par page, et même des pages de texte en prose avec des illustrations. Pour finir avec une carte routière sur laquelle sont mentionnés Paris, Bordeaux, Cahors, Périgueux, Foix, Siorac-de-Ribérac, puis la photographie de la voiture du voyage, et quatre pages dont les cases sont les photographies des dessinateurs à proximité du site. Chaque séquence bénéficie ainsi du mode d’expression de l’auteur et de sa sensibilité, donnant à voir les l’expérience de visite avec un regard différent, et dans le même temps avec pour point commun un regard d’artiste, de personnes dont c’est le métier de créer des illustrations, à une époque différente de celle où furent créées celles sur les parois de la grotte. Six auteurs de bande dessinée vont observer des peintures rupestres. Le lecteur se doute qu’ils s’interrogeront sur la nature de ce qui est représenté et sur le cheminement mental qui a pu amener ces hommes ayant vécu il y a plus de dix mille à réaliser ces représentations. En effet, il plonge dans des questionnements sur le ressenti des artistes de l’époque, et les réflexions vont plus loin. Certains sont très sensibles au fait qu’il est possible d’apparenter ces représentations à une bande dessinée libre de l’écriture, une notation libérée de l’écrit, réalisée par des artistes dont la pensée n’a pas été formatée par l’écrit. Il imagine que cela s’apparente à l’expérience du phénomène d’ombre : L’ombre portée c’est la projection d’un autre rendu possible. Un autre réfléchit à la manière dont il lit ces dessins : Un trait est toujours un chemin à suivre, pour bien plonger dans le dessin, il considère d’abord la forme dans son ensemble. Un de ses collègues se fait la réflexion que : Les lignes paléolithiques s’épanouissent sur la roche, épousent ses formes et jouent avec. Par opposition, un troisième se trouve dans un état d’esprit beaucoup plus prosaïque : il estime que si l’on est un badaud, on arrive, on regarde ça et on s’en va parce qu’il n’y a rien à voir. Il continue : un petit graffiti, c’est tout. Quand il regarde ça un peu longtemps, il a la tête qui se vide, il fait un effort pour s’émouvoir, et il se dit que ça a été fait il y a quinze mille ans et qu’il ne ressent rien. Cela donne envie à encore un autre de faire une histoire où le créateur n’a pas plus de réponse que le lecteur. Plusieurs se trouvent sur la même idée directrice : ils sont en train de faire une promenade dans le ventre de la Terre, dans le ventre maternel, c’est retourner au stade d’avant, d’avant la raison, d’avant l’entendement, le stade du ventre, de la présence pure, une expérience primitive. Ce qui peut aussi être ressenti comme une expérience indécente, une sorte de viol de l’intimité de la Terre, au point qu’un des auteurs consacre une séquence d’une vingtaine de pages au point de vue que l’homme est une maladie qui affecte l’organisme vivant qu’est la Terre (une approche animiste), et qu’il faut en faire disparaître les traces, en l’occurrence effacer ces dessins qui souillent les parois. Une expérience qui va de soi : proposer à des auteurs de bande dessinée de visiter une grotte ornée d’art pariétal et leur demander de s’exprimer sur leur expérience, sous forme de bande dessinée. Un résultat d’une grande richesse : des séquences relatant la visite d’un seul tenant, comme continue, réalisées alternativement par chaque artiste. Plusieurs points de vue comme issu d’un individu unique dont l’état d’esprit fluctue au cours de sa visite, des interrogations et des réflexions sur la démarche artistique des hommes du paléolithique, sur ce que transmettent leurs œuvres aux visiteurs contemporains. Une visite guidée singulière et plurielle.

31/05/2025 (modifier)