Écris.
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Premier tome d’un diptyque, son édition originale date de 2025. Il a été réalisé par Fabien Nury pour le scénario et par Brüno (Bruno Thielleux) pour les dessins, la mise en couleurs ayant été réalisée par Laurence Croix. Il comporte quatre-vingt-une pages de bande dessinée. Il se termine par dix-sept couvertures du magazine Outstanding, toutes dessinées par Brüno.
Le dernier numéro de Outstanding Magazine se trouve sur les présentoirs. Il contient une histoire de Lester Kent : Perdu en Proboscidie. Il s’agit du numéro de décembre 1948, et il coûte vingt cents, il est précisé qu’il s’agit d’une publication John Rockwell. Dans le magasin, Wilbur H. Arbogast en tient un exemplaire en main, et il en examine la couverture. Un autre client entre et s’adresse à lui. Morris Millman a reconnu l’écrivain et il se présente à lui. Il lui explique qu’ils se sont déjà rencontrés à San Diego, à l’occasion de la convention de l’American Science-Fiction Guild en 38. Il l’avait questionné sur deux de ses nouvelles : La septième dimension, et La machine à écrire dans le ciel. Millman se rappelle que Arbogast était très demandé, lui et toute la bande d’Oustanding Magazine. L’écrivain lui a offert un café et il s’est montré très patient. Le jeune Morris rêvait de devenir écrivain, et l’auteur confirmé lui a conseillé de coller son derrière dans un fauteuil, et d’écrire tout ce qui lui venait en tête, sans se soucier du résultat. Arbogast s’en souvient, c’est ce qu’il disait à tous les fans ; il lui demande s’il a réussi à écrire. Son interlocuteur répond que non, il n’avait pas le talent d’Arbogast, il est devenu agent littéraire. L’auteur le félicite, repose la revue, et sort du magasin.
Morris Millman sort à son tour, entre dans sa voiture, et roule à la hauteur de Arbogast lui indiquant qu’il va du côté de Pasadena, et lui demandant s’il peut le déposer quelque part. L’autre accepte. Tout en conduisant, Millman fait constater l’intensité de la pluie, un vrai déluge. Cela lui rappelle le début de la nouvelle La fanfare de l’enfer : Le ciel s’ouvrit, et Dieu déversa ses larmes sur la population de Milwaukee. La nuit s’éclaira soudain, et quelques secondes plus tard, un grondement se fit entendre. Mais ce n’était pas le tonnerre. Non, c’était un roulement de tambour, et il annonçait une menace encore plus terrible que la colère divine… Une fanfare approchait de la ville. Arbogast le félicite pour sa bonne mémoire. La conversation s’éteint, et l’agent littéraire la relance en demandant s’il peut poser une question. Arbogast a deviné de laquelle il s’agit et il explique qu’il n’a pas d’agent, que personne ne le représente, qu’il n’a pas été publié depuis janvier 1942. Il continue : il n’y a rien à lire. Devant l’étonnement de son chauffeur, il répond qu’il est sûr que Millman fera une belle carrière, que ce n’est pas la peine que l’agent perde son temps avec lui l’écrivain, et qu’il peut le déposer au prochain arrêt de bus. Millman lui demande encore de quoi il vit. L’auteur répond qu’il touche une pension, invalide de guerre. Il ajoute qu’il est mort, et il demande si son interlocuteur souhaite qu’il lui raconte sa mort.
Ces deux créateurs ont déjà collaboré ensemble précédemment, en particulier pour les trois tomes de la série Tyler Cross (2013-2018) : le lecteur a toute confiance de découvrir un récit sophistiqué tant sur le plan de l’intrigue, que sur celui de la narration graphique. La couverture s’avère énigmatique à souhait avec cette pluie tombante, cette silhouette de chien qui domine un individu isolé. Le texte de la quatrième de couverture évoque les écrits d’Arbogast sur la nature de la vie et de l’esprit humain, et la possibilité qu’il ait réalisé une découverte révolutionnaire dans ce domaine. La page d’ouverture correspond à la couverture d’un magazine bon marché (qualifié de Pulps), spécialisé dans les récits d’horreur et de science-fiction. Le lecteur se souvient de ces publications imprimées sur du mauvais papier, très populaires aux États-Unis, ayant permis à de nombreux écrivains d’être publiés. Un auteur maudit, ostracisé, ayant écrit des récits de fiction révélant un autre monde : le lecteur peut penser à un mélange de Howard Phillips Lovecraft (1890-1937), Robert Ervin Howard (1906-1936), Philip Kindred Dick (1928-1982). Les fac-similés de couverture mentionnent d’autres auteurs : Lester Kent, Yvan Artemiev, Ray B. Funine. Cela peut évoquer Isaac Asimov (1920-1992) et Ray Bradbury (1920-2012) qui furent eux aussi publiés dans les Pulps Magazines.
D’entrée de jeu, le lecteur se trouve hypnotisé par la narration visuelle. L’artiste réalise des dessins instantanément assimilés par le lecteur : d’une clarté exemplaire, apparaissant d’une grande simplicité et d’une évidence totale. Qu’il dispose de références de couvertures de magazines Pulp ou non, le lecteur se rend compte que les reproductions réalisées par Brüno s’imposent dans son esprit comme authentiques, et même plus que le souvenir qu’il a pu en garder. Les dessins présentent un mélange de ligne claire et d’expressionnisme : des formes savamment épurées conservant l’essentiel, et en même temps des ombres envahissantes, des effets de cadrage, des jeux sur des couleurs vives, des cases parfois construites vers l’abstraction. Par exemple : un gros plan sur les verres des lunettes d’Arbogast en page cinquante-six (motif qui revient régulièrement), ou encore des croix rouges sur fond noir. Le jeu sur les verres des lunettes présente souvent des surfaces opaques : il n’est pas possible de voir les yeux du personnage (alors que ceux-ci sont censés être le miroir de l’âme), à tel point que le lecteur finit par se demander si reflets jaunes et oranges ne contiendraient pas des lettres, un message secret. L’artiste joue également avec les gros plans sur les visages au centre d’une case de la largeur de la page, ou un peu décalés à gauche ou à droite. Insensiblement, cela produit un effet de rapprochement quand il dessine la gueule de Wilbur (le chien) avec le même cadrage, induisant qu’il s’agit également d’un être doué de conscience.
De temps à autre, le lecteur se retrouve tenté de se dire que les dessins ne font que montrer ce qui va de soi, ce qui est déjà majoritairement contenu dans les dialogues. Toutefois, il ressent rapidement que la narration visuelle accomplit beaucoup plus que ça. De manière patente, elle installe une ambiance de polar : scènes souvent nocturnes, mystérieux individu dans son imperméable avec le visage partiellement masqué par son chapeau et ses lunettes, et sa barbe de trois jours, personnages aux expressions souvent neutres et indéchiffrables. Les dessins montrent également les environnements qui parlent des conditions de vie des personnages : le trailer park de Pasadena où Arbogast habite dans une caravane, le luxueux et fastueux restaurant Beverly Hills où les producteurs de cinéma Hazebrook & Nett (Nick & Harry), de Wonder Pictures, reçoivent l’écrivain et son agent pour leur en mettre plein la vue, le très ordinaire pavillon de banlieue des Millman (Morris & Iris) et le bureau de l’agent avec des étagères débordant de livres, le superbe salon de coiffure pour dames et sa décoration tout en rose, sans oublier le chien sur la pelouse.
La narration visuelle fait également ressortir avec une acuité peu commune les moments étranges ou mystérieux : la minuscule silhouette en ombre chinoise chutant dans le vide sur un fond jaune pétant, puis comme un écho la silhouette du Christ en ombre chinoise sur le fond du même jaune, le vert fluo de plusieurs cases ce qui rapproche le chien des Millman, le jouet robot et l’extraterrestre (sûrement un martien), le motif des coquelicots, etc. Même avec une intrigue naturaliste, l’histoire dégagerait une intense sensation de mystères et de surnaturel. Le lecteur s’attache immédiatement à cet agent littéraire sous le charme des écrits de Wilbur H. Arbogast : comme lui dit son épouse Iris, il aime les créateurs, il aime leur folie, leurs rêves de grandeur, plus leurs histoires sont absurdes plus elles le font vibrer. Le lecteur se surprend à éprouver de l’empathie pour cet écrivain qui n’est plus publié, sa nostalgie pour la grande époque des pulps, le questionnement sur la réalité de son expérience de mort imminente, ses découvertes révolutionnaires sur la nature de la vie et de l’esprit, etc. Il se prend au jeu d’une révélation, d’une explication du sens de la vie.
Au cours du récit, Arbogast évoque la révélation de Paul de Tarse, et il en propose une interprétation bien différente que celle de la conversion présentée par la religion chrétienne. Le lecteur pense alors aux romans de Philip K. Dick, ceux traitant de religion empreint de gnosticisme, débusquant le faux, qui régit ce monde. Une expérience initiatique amène Arbogast à une révélation totale, et il se sent investi d’une mission de prosélytisme, de dispenser un enseignement ésotérique. Une autre composante attire l’attention du lecteur : une approche très matérialiste. Il y a les producteurs Hazebrook & Nett qui ne voient en l‘œuvre d’Arbogast qu’une opportunité mercantile, prêts à déployer un dispositif sensationnaliste de publicité, sans aucun intérêt pour le contenu. Il y a Morris Millman qui souhaite à la fois lire de nouvelles productions de cet auteur majeur, et les faire fructifier sur le plan financier. Enfin, Arbogast lui-même fait une remarque en passant, sur l’exemption fiscale qui accompagne toute religion et son Église. Le lecteur ajoute alors un autre auteur de science-fiction à la liste des références : L. Ron Hubbard (1911-1986), fondateur de la dianétique (dont la psychogénie d’Arbogast pourrait être le pendant) et de l’église de scientologie. Dans le même temps, avec une utilisation très sensible du poème Au champ d’honneur (1915, In Flanders Fields), de John Alexander McCrae (1872-1918), le scénariste intègre également le développement de la psychanalyse.
La couverture intrigante, le plaisir esthétique immédiat des dessins, la dimension ludique du mystère, la haute teneur en artefacts culturels américains, les dialogues d’une grande précision, l’efficacité de la structure narrative : la puissance du pouvoir d’attraction de cette bande dessinée est irrésistible. Le plaisir de lecture est immédiat, les références aux Pulps titillent le lecteur novice comme le connaisseur. Addictif.
Une grande poésie se dégage de ces dessins en noir et blanc servis par trois histoires mélancoliques qui vous laisseront avec le regret d’un monde enfui...
A découvrir !
Un conte moderne, inventif et envolé, qui tente de faire une modernisation intelligente des contes de fées. Et je dois dire que ça marche globalement bien.
J'aime beaucoup la tendance à la remodernisation des contes de fées que je constate actuellement, que je lie personnellement dans mon esprit à la tendance à la réappropriation des mythes antiques vers des valeurs contemporaines, une façon comme une autre de réenchanter la vie et recréer des histoires en phase avec notre époque plutôt que de ressasser des anciennes dont les valeurs et les morales ne sont clairement plus d'actualités.
Cette revisitation des contes est ici une relecture de La princesse au petit pois, mais avec une structure de conte conservé : trois épreuves, fantastique présent, quête à mener, victoire de la justice, etc ... Mais avec des petits twists à chaque fois, ce petit décalage qui fait son office. Le personnage principal est une femme (d'ailleurs on évite l'écueil un peu trop souvent vu de nos jours de la femme trop badass qui fait tout toute seule) entreprenante et qui s'investira dans une quête mais acceptant aussi de tomber amoureuse. De même, la quête en trois étapes comportera un twist étonnant, ou encore la résolution qui n'est pas celle habituelle. Mais en même temps, tout est une trame de conte et la finalité est dans la lignée de beaucoup d'autres.
Maintenant je dois dire que je n'ai pas été particulièrement transporté par le scénario et que je reste avec quelques zones d'ombres dedans que j'ai trouvé un peu mal exploité. Notamment autour de la mère (sans dévoiler), il y a une étrange façon de la faire apparaitre dans le récit qui semble un poil artificiel.
Les légers défauts que je lui trouve ont cependant été contrebalancés par l'incroyable dessin, parfaitement en adéquation avec le conte et surtout inventif dans des doubles pages pleines de sous-entendues. Il s'agit d'une très belle mise en page de ces détails de narration qui feront sens ensuite, et je suis personnellement ravi de l'aspect global. C'est beau, travaillé et carrément lisible, bref c'est maitrisé.
Une BD qui est bonne, très bonne même pour certain.es, mais personnellement je dirais que j'ai été un peu moins touché. Un 3.5 rehaussé par le dessin qui me fait arrondir à 4. Mais franchement, ne vous privez pas de la lecture !
Encore une BD scénarisée par Christophe Bec me direz-vous.
J'avoue, c'est avec un à priori négatif que j'ai entamé la lecture de ce livre. Bec étant un vrai spécialiste des séries S-F à rallonge se terminant en eau de boudin (Prométhée, Olympus Mons, Carthago...).
Et pourtant, ce one-shot se révèle être une bonne surprise!
Le lieu: la Bucarest moderne, des meurtres mystérieux sont commis, de manière graphique et parfois obscène, sur fond de commerce du sexe.
L'intrigue avance lentement mais sûrement: on connaît dès le départ le meurtrier, mais ses motivations ne feront jour que tardivement. Si le ressort est classique, il n'en demeure pas moins efficace, d'autant que Bec s'est visiblement extrêmement bien documenté sur son sujet.
Bref, un bon petit polar efficace, auquel on peu que reprocher son côté graphique et poisseux. Bec ne nous donne pas un héros attachant (l'inspecteur enquêtant sur les meurtres), mais nous dresse une galerie de personnages réalistes.
Deux regrets: d'abord de nombreux non-dits sur le passé du héros en question. Il y aurait matière à faire plusieurs histoires avec ce personnage et ce cadre. Ce qui nous mène au second regret: le fait que cela ne soit qu'un one-shot. Pour une fois, je vais reprocher à Bec d'avoir fait trop court.
Cette BD va carrément faire doublon avec Extinctions - Le Crépuscule des espèces que j'ai lu récemment, et je dois dire que si j'avais lu les BD dans l'autre ordre j'aurais été un poil plus sévère avec cette dernière. Parce que "Le vivant à vif" est une excellente BD pour comprendre la question de l'effondrement de la biodiversité actuelle et les résonances avec les extinctions du passé.
Utilisant un poncif classique (expliquer à deux jeunes gens qui vont faire un exposé), l'auteur met en scène plusieurs protagonistes qui vont expliquer, de par leurs spécialités, les extinctions actuelles et passées, les liens entre elles et ce que l'on attend du futur. Futur qui n'est pas spécialement rose même si la BD arrive à éviter l'écueil de la dépression, l'éco-anxiété étant déjà un mal suffisamment installé comme ça. Mais de façon concrète, elle invite à clairement passer à l'action toujours un peu plus, vers ce qu'on doit changer encore plus pour éviter le pire.
C'est une BD didactique servi par le dessin de Simon Hureau qui s'est fait plaisir, il faut dire. Les représentations de lieux et d'époques différentes rendent très bien et permettent de s'immerger dans les questionnements, tout en ajoutant un côté amusant sur l'histoire des deux jeunes gens. Cette petite histoire n'est pas suffisamment présente pour parasiter la lecture et reste en arrière-plan, laissant le texte se déployer pleinement. D'ailleurs la BD est bavarde et bien chargée, une relecture peut aider à tout intégrer, d'où mon conseil de l'acheter carrément pour les plus jeunes et leurs permettre d'assimiler lentement les connaissances qu'elle contient.
Et si je devais ajouter un dernier message, c'est que cette BD m'a convaincu de renouer avec certaines actions que je laissais en suspens sur la question du changement climatique. Parce qu'il est facile de se morfondre, de déprimer, s'apitoyer ou encore tenter d'ignorer les faits, mais passer à l'acte est bien plus difficile. Et je trouve qu'après lecture de la BD, c'est le positif et l'envie d'action qui restent, donnant réellement envie de s'y mettre. Je ne peux que saluer ce message salutaire !
Etonnant album, léger et aérien par son trait presque sans couleur, aux cases aérées et parfois presque vide, dans une ambiance qui se traine et où rien ne se dit, mais dont le fond est lourd et grave. Une alchimie qui semble étrange mais qui fonctionne, je trouve. Et je suis assez surpris d'avoir été plongé autant dans cette BD lorsque je vois les écueils qu'elle porte.
Le début de m'a lecture m'a rapidement surpris, notamment avec la représentation des yeux. Mais très vite, je m'y suis fait et je me suis laissé porter par le ton du récit, intimiste et léger dans le traitement. C'est souvent muet et rempli de petits détails (notamment tout le délire autour du café), et parsemés de quelques petites phrases qui permettent de tout comprendre. Une vie simple, ordinaire d'un type lambda dans une ville américaine. Et très vite, s'installe la question de la solitude, de cette mélancolie de la vie. Il n'y a rien d'extraordinaire ici, juste une vie qui se détaille avec des évènements graves, tout en continuant sur son ton doux et calme. C'est indolent, une balade dans la vie et ses hauts et bas.
Mais la BD est surtout une mise en scène de la solitude contemporaine. C'est très bien fait, et je trouve que ce personnage est excellent dans son parcours, puisque progressivement il est intéressé par découvrir ses proches, avec des questions parfois saugrenues mais qui mettent en lumière l'envie de découvrir l'autre, son intimité et sa vie qu'il ne connait pas. D'ailleurs les interactions qu'il a avec sa famille sont très mignonnes, en peu de mots on sent l’amour qu'ils se portent mais aussi le fait qu'ils se connaissent très bien.
Une BD étonnante, donc, porté par un dessin dont on sent le caractère dessin de presse, notamment avec ces planches d'une seule cases qui permettent de résumer une idée en un coup, tout en présentant une histoire intimiste mais qui peut toucher tout le monde. Les questionnements d'un jeune homme ressentant la solitude dans une ville moderne, c'est sans doute pas si rare que ça et ça touche. Franchement, lecture recommandé !
J’avais découvert Ailefroide de Jean-Marc Rochette lorsque j’étais au lycée, et j’avais été frappé par la beauté des illustrations et la puissance de la narration. Des années plus tard, je l’ai relu, et je peux dire sans hésiter que l’intensité et la magie du récit sont restées intactes. Le graphisme de Rochette, à la fois précis et poétique, transmet parfaitement le vertige des montagnes et la profondeur des émotions des personnages. C’est un roman graphique qui ne se contente pas de raconter une histoire : il fait ressentir chaque instant, chaque souffle d’air, chaque sommet. À chaque lecture, je découvre de nouveaux détails dans les dessins et l’ambiance, et je reste admiratif de la maîtrise de l’artiste. Un incontournable, à lire et à relire !
Antoine Schiffers nous propose une première œuvre bien intéressante. En résonnance avec les conflits actuels "rouleaux compresseurs" qui détruisent tout sur leur passage (et surtout des civils), l'auteur nous ramène au terrible conflit Tchétchène des années 90. Comme l'indique le sous titre " La guerre. Partout. Toujours" le parcours de Mère Courage entrepris par Katerina pour retrouver sa fille, Katya, pourrait toucher à l'universalité de la détresse humaine face à des situations qui nous dépasse.
La fil narratif de Schiffers pour simple qu'il soit parle toujours avec autant d'efficacité au cœur du parent sans nouvelle de son enfant disparu au fin fond de l'enfer. Comme le souligne Grogro dans son avis, cette lecture renvoie quelque fois à un road trip rencontré dans La Route. Cela m'a surtout fait penser au "Voyage au bout de l'enfer" de Cimino. En effet la quête est la même; ne pas vivre dans l'impuissance de l'incertitude et revenir avec l'être aimé ou pouvoir faire son deuil. Le récit est prenant. L'auteur réussit très bien à traduire la folie meurtrière d'un monde ubuesque. Ainsi la rencontre entre le tortionnaire Zaïtsev et Katarina illustre à merveille l'illogisme dément de la situation.
Le graphisme de Schiffers s'adapte parfaitement à l'esprit apocalyptique du récit. Dans un ville de Grozny réduite en cendres, les pauvres hères rappellent avec force un théâtre de Brecht. Le lecteur est plongé dans un brouillard cauchemardesque que rien ne peut dissiper.
La mise en couleur à force de gris et de rouges renforcent cette ambiance glaciale.
Je ne suis pas fan des récits à tendance apocalyptiques fictionnels. Ici c'est le rappel de type documentaire très proche de situations actuelles qui m'a bouleversé.
Un vraie découverte et une belle lecture.
Ma lecture des légendes arthuriennes remonte à trop loin pour que je puisse comparer la série d'Aldara Prado avec l'original. Toutefois j'ai apprécié ce scénario fantastique qui nous ramène à l'origine de la Dame du Lac. J'ai aimé l'ambiance proposée par l'autrice espagnole. Le parcours de la jeune héroïne, Nimuë, s'inscrit dans une logique messianique assez commune mais bien travaillée. Les personnages "secondaires" de Morgane et Merlin donnent du poids au récit en s'écartant de la fable pour enfant avec une violence bien contenue et sans voyeurisme.
Le dessin de l'autrice est très approprié à l'ambiance du récit avec ces visages anguleux avec de fortes expressions dramatiques.
Mais c'est surtout l'excellente mise en couleur qui soutient l'intensité tragique et fantastique du récit.
Je pousse un peu ma note mais c'est toujours réjouissant de découvrir une autrice qui nous livre une série de qualité.
Une semaine après "Super Dys", les Arènes proposent une autre BD traitant de neuroatypiques particuliers, à savoir les personnes diagnostiquées TDAH, c'est à dire présentant des troubles du déficit de l'attention, avec ou sans hyperactivité.
On en parle souvent au sujet des enfants, qui sont à présent diagnostiquée tôt, et pris en charge dans la foulée. Mais c'est parfois plus tardif, et certains ne sont repérés et diagnostiqués qu'à l'âge adulte. C'est ici le cas de Sacha, dont le fils est lui aussi TDAH (ou TDA/H, comme on peut aussi l'écrire). Poser des termes sur son hyperactivité, son étourderie, ses sautes d'humeur lui permet donc d'être suivie par le Dr Perroud, qui est conseiller scientifique sur cette BD et y fait donc part de ses réflexions, expériences et connaissances sur le sujet.
C'est raconté par Jean-François Marmion, auteur de plusieurs albums à portée psychologique, de manière très claire, linéaire, avec une pointe d'humour pour dédramatiser des situations qui peuvent dégénérer. Parfois on voit Jérémy, le compagnon de Sacha, s'agacer face à ses troubles, mais il essaie également de l'aider à les combattre, avec les conseils du Dr Perroud. Leur fils, lui aussi touché, participe à cet effort familial et ce message est positif : un(e) TDAH n'est pas seul(e), son entourage est un rouage essentiel de son traitement.
L'album comporte ainsi des informations sur ce qu'il se passe dans le cerveau d'une personne TDAH, des pistes concrètes pour qu'elle s'organise (sans toutefois s'épuiser, car c'est aussi un symptôme de ces troubles) et des stratégies pour faire redescendre la tension, des choses parfois très simple, comme utiliser une boîte où on range tous les objets importants susceptibles d'être perdus.
Héloïse Chochois, illustratrice de grand talent, prête son graphisme de ligne claire au sujet, dans une mise en scène simple, mais efficace. Elle est totalement au service du sujet, qui n'est pas simple mais abordé de la bonne façon.
C'est une BD qui pourra certainement aider des parents ne sachant comment interpréter les difficultés d'apprentissage ou comportementales de leur enfant ou proche, sachant que rien ne remplace bien sûr une consultation auprès d'un(e) vrai(e) spécialiste.
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Electric Miles
Écris. - Premier tome d’un diptyque, son édition originale date de 2025. Il a été réalisé par Fabien Nury pour le scénario et par Brüno (Bruno Thielleux) pour les dessins, la mise en couleurs ayant été réalisée par Laurence Croix. Il comporte quatre-vingt-une pages de bande dessinée. Il se termine par dix-sept couvertures du magazine Outstanding, toutes dessinées par Brüno. Le dernier numéro de Outstanding Magazine se trouve sur les présentoirs. Il contient une histoire de Lester Kent : Perdu en Proboscidie. Il s’agit du numéro de décembre 1948, et il coûte vingt cents, il est précisé qu’il s’agit d’une publication John Rockwell. Dans le magasin, Wilbur H. Arbogast en tient un exemplaire en main, et il en examine la couverture. Un autre client entre et s’adresse à lui. Morris Millman a reconnu l’écrivain et il se présente à lui. Il lui explique qu’ils se sont déjà rencontrés à San Diego, à l’occasion de la convention de l’American Science-Fiction Guild en 38. Il l’avait questionné sur deux de ses nouvelles : La septième dimension, et La machine à écrire dans le ciel. Millman se rappelle que Arbogast était très demandé, lui et toute la bande d’Oustanding Magazine. L’écrivain lui a offert un café et il s’est montré très patient. Le jeune Morris rêvait de devenir écrivain, et l’auteur confirmé lui a conseillé de coller son derrière dans un fauteuil, et d’écrire tout ce qui lui venait en tête, sans se soucier du résultat. Arbogast s’en souvient, c’est ce qu’il disait à tous les fans ; il lui demande s’il a réussi à écrire. Son interlocuteur répond que non, il n’avait pas le talent d’Arbogast, il est devenu agent littéraire. L’auteur le félicite, repose la revue, et sort du magasin. Morris Millman sort à son tour, entre dans sa voiture, et roule à la hauteur de Arbogast lui indiquant qu’il va du côté de Pasadena, et lui demandant s’il peut le déposer quelque part. L’autre accepte. Tout en conduisant, Millman fait constater l’intensité de la pluie, un vrai déluge. Cela lui rappelle le début de la nouvelle La fanfare de l’enfer : Le ciel s’ouvrit, et Dieu déversa ses larmes sur la population de Milwaukee. La nuit s’éclaira soudain, et quelques secondes plus tard, un grondement se fit entendre. Mais ce n’était pas le tonnerre. Non, c’était un roulement de tambour, et il annonçait une menace encore plus terrible que la colère divine… Une fanfare approchait de la ville. Arbogast le félicite pour sa bonne mémoire. La conversation s’éteint, et l’agent littéraire la relance en demandant s’il peut poser une question. Arbogast a deviné de laquelle il s’agit et il explique qu’il n’a pas d’agent, que personne ne le représente, qu’il n’a pas été publié depuis janvier 1942. Il continue : il n’y a rien à lire. Devant l’étonnement de son chauffeur, il répond qu’il est sûr que Millman fera une belle carrière, que ce n’est pas la peine que l’agent perde son temps avec lui l’écrivain, et qu’il peut le déposer au prochain arrêt de bus. Millman lui demande encore de quoi il vit. L’auteur répond qu’il touche une pension, invalide de guerre. Il ajoute qu’il est mort, et il demande si son interlocuteur souhaite qu’il lui raconte sa mort. Ces deux créateurs ont déjà collaboré ensemble précédemment, en particulier pour les trois tomes de la série Tyler Cross (2013-2018) : le lecteur a toute confiance de découvrir un récit sophistiqué tant sur le plan de l’intrigue, que sur celui de la narration graphique. La couverture s’avère énigmatique à souhait avec cette pluie tombante, cette silhouette de chien qui domine un individu isolé. Le texte de la quatrième de couverture évoque les écrits d’Arbogast sur la nature de la vie et de l’esprit humain, et la possibilité qu’il ait réalisé une découverte révolutionnaire dans ce domaine. La page d’ouverture correspond à la couverture d’un magazine bon marché (qualifié de Pulps), spécialisé dans les récits d’horreur et de science-fiction. Le lecteur se souvient de ces publications imprimées sur du mauvais papier, très populaires aux États-Unis, ayant permis à de nombreux écrivains d’être publiés. Un auteur maudit, ostracisé, ayant écrit des récits de fiction révélant un autre monde : le lecteur peut penser à un mélange de Howard Phillips Lovecraft (1890-1937), Robert Ervin Howard (1906-1936), Philip Kindred Dick (1928-1982). Les fac-similés de couverture mentionnent d’autres auteurs : Lester Kent, Yvan Artemiev, Ray B. Funine. Cela peut évoquer Isaac Asimov (1920-1992) et Ray Bradbury (1920-2012) qui furent eux aussi publiés dans les Pulps Magazines. D’entrée de jeu, le lecteur se trouve hypnotisé par la narration visuelle. L’artiste réalise des dessins instantanément assimilés par le lecteur : d’une clarté exemplaire, apparaissant d’une grande simplicité et d’une évidence totale. Qu’il dispose de références de couvertures de magazines Pulp ou non, le lecteur se rend compte que les reproductions réalisées par Brüno s’imposent dans son esprit comme authentiques, et même plus que le souvenir qu’il a pu en garder. Les dessins présentent un mélange de ligne claire et d’expressionnisme : des formes savamment épurées conservant l’essentiel, et en même temps des ombres envahissantes, des effets de cadrage, des jeux sur des couleurs vives, des cases parfois construites vers l’abstraction. Par exemple : un gros plan sur les verres des lunettes d’Arbogast en page cinquante-six (motif qui revient régulièrement), ou encore des croix rouges sur fond noir. Le jeu sur les verres des lunettes présente souvent des surfaces opaques : il n’est pas possible de voir les yeux du personnage (alors que ceux-ci sont censés être le miroir de l’âme), à tel point que le lecteur finit par se demander si reflets jaunes et oranges ne contiendraient pas des lettres, un message secret. L’artiste joue également avec les gros plans sur les visages au centre d’une case de la largeur de la page, ou un peu décalés à gauche ou à droite. Insensiblement, cela produit un effet de rapprochement quand il dessine la gueule de Wilbur (le chien) avec le même cadrage, induisant qu’il s’agit également d’un être doué de conscience. De temps à autre, le lecteur se retrouve tenté de se dire que les dessins ne font que montrer ce qui va de soi, ce qui est déjà majoritairement contenu dans les dialogues. Toutefois, il ressent rapidement que la narration visuelle accomplit beaucoup plus que ça. De manière patente, elle installe une ambiance de polar : scènes souvent nocturnes, mystérieux individu dans son imperméable avec le visage partiellement masqué par son chapeau et ses lunettes, et sa barbe de trois jours, personnages aux expressions souvent neutres et indéchiffrables. Les dessins montrent également les environnements qui parlent des conditions de vie des personnages : le trailer park de Pasadena où Arbogast habite dans une caravane, le luxueux et fastueux restaurant Beverly Hills où les producteurs de cinéma Hazebrook & Nett (Nick & Harry), de Wonder Pictures, reçoivent l’écrivain et son agent pour leur en mettre plein la vue, le très ordinaire pavillon de banlieue des Millman (Morris & Iris) et le bureau de l’agent avec des étagères débordant de livres, le superbe salon de coiffure pour dames et sa décoration tout en rose, sans oublier le chien sur la pelouse. La narration visuelle fait également ressortir avec une acuité peu commune les moments étranges ou mystérieux : la minuscule silhouette en ombre chinoise chutant dans le vide sur un fond jaune pétant, puis comme un écho la silhouette du Christ en ombre chinoise sur le fond du même jaune, le vert fluo de plusieurs cases ce qui rapproche le chien des Millman, le jouet robot et l’extraterrestre (sûrement un martien), le motif des coquelicots, etc. Même avec une intrigue naturaliste, l’histoire dégagerait une intense sensation de mystères et de surnaturel. Le lecteur s’attache immédiatement à cet agent littéraire sous le charme des écrits de Wilbur H. Arbogast : comme lui dit son épouse Iris, il aime les créateurs, il aime leur folie, leurs rêves de grandeur, plus leurs histoires sont absurdes plus elles le font vibrer. Le lecteur se surprend à éprouver de l’empathie pour cet écrivain qui n’est plus publié, sa nostalgie pour la grande époque des pulps, le questionnement sur la réalité de son expérience de mort imminente, ses découvertes révolutionnaires sur la nature de la vie et de l’esprit, etc. Il se prend au jeu d’une révélation, d’une explication du sens de la vie. Au cours du récit, Arbogast évoque la révélation de Paul de Tarse, et il en propose une interprétation bien différente que celle de la conversion présentée par la religion chrétienne. Le lecteur pense alors aux romans de Philip K. Dick, ceux traitant de religion empreint de gnosticisme, débusquant le faux, qui régit ce monde. Une expérience initiatique amène Arbogast à une révélation totale, et il se sent investi d’une mission de prosélytisme, de dispenser un enseignement ésotérique. Une autre composante attire l’attention du lecteur : une approche très matérialiste. Il y a les producteurs Hazebrook & Nett qui ne voient en l‘œuvre d’Arbogast qu’une opportunité mercantile, prêts à déployer un dispositif sensationnaliste de publicité, sans aucun intérêt pour le contenu. Il y a Morris Millman qui souhaite à la fois lire de nouvelles productions de cet auteur majeur, et les faire fructifier sur le plan financier. Enfin, Arbogast lui-même fait une remarque en passant, sur l’exemption fiscale qui accompagne toute religion et son Église. Le lecteur ajoute alors un autre auteur de science-fiction à la liste des références : L. Ron Hubbard (1911-1986), fondateur de la dianétique (dont la psychogénie d’Arbogast pourrait être le pendant) et de l’église de scientologie. Dans le même temps, avec une utilisation très sensible du poème Au champ d’honneur (1915, In Flanders Fields), de John Alexander McCrae (1872-1918), le scénariste intègre également le développement de la psychanalyse. La couverture intrigante, le plaisir esthétique immédiat des dessins, la dimension ludique du mystère, la haute teneur en artefacts culturels américains, les dialogues d’une grande précision, l’efficacité de la structure narrative : la puissance du pouvoir d’attraction de cette bande dessinée est irrésistible. Le plaisir de lecture est immédiat, les références aux Pulps titillent le lecteur novice comme le connaisseur. Addictif.
La Malédiction de Vanilsa
Une grande poésie se dégage de ces dessins en noir et blanc servis par trois histoires mélancoliques qui vous laisseront avec le regret d’un monde enfui... A découvrir !
D'or et d'oreillers
Un conte moderne, inventif et envolé, qui tente de faire une modernisation intelligente des contes de fées. Et je dois dire que ça marche globalement bien. J'aime beaucoup la tendance à la remodernisation des contes de fées que je constate actuellement, que je lie personnellement dans mon esprit à la tendance à la réappropriation des mythes antiques vers des valeurs contemporaines, une façon comme une autre de réenchanter la vie et recréer des histoires en phase avec notre époque plutôt que de ressasser des anciennes dont les valeurs et les morales ne sont clairement plus d'actualités. Cette revisitation des contes est ici une relecture de La princesse au petit pois, mais avec une structure de conte conservé : trois épreuves, fantastique présent, quête à mener, victoire de la justice, etc ... Mais avec des petits twists à chaque fois, ce petit décalage qui fait son office. Le personnage principal est une femme (d'ailleurs on évite l'écueil un peu trop souvent vu de nos jours de la femme trop badass qui fait tout toute seule) entreprenante et qui s'investira dans une quête mais acceptant aussi de tomber amoureuse. De même, la quête en trois étapes comportera un twist étonnant, ou encore la résolution qui n'est pas celle habituelle. Mais en même temps, tout est une trame de conte et la finalité est dans la lignée de beaucoup d'autres. Maintenant je dois dire que je n'ai pas été particulièrement transporté par le scénario et que je reste avec quelques zones d'ombres dedans que j'ai trouvé un peu mal exploité. Notamment autour de la mère (sans dévoiler), il y a une étrange façon de la faire apparaitre dans le récit qui semble un poil artificiel. Les légers défauts que je lui trouve ont cependant été contrebalancés par l'incroyable dessin, parfaitement en adéquation avec le conte et surtout inventif dans des doubles pages pleines de sous-entendues. Il s'agit d'une très belle mise en page de ces détails de narration qui feront sens ensuite, et je suis personnellement ravi de l'aspect global. C'est beau, travaillé et carrément lisible, bref c'est maitrisé. Une BD qui est bonne, très bonne même pour certain.es, mais personnellement je dirais que j'ai été un peu moins touché. Un 3.5 rehaussé par le dessin qui me fait arrondir à 4. Mais franchement, ne vous privez pas de la lecture !
Sector 5
Encore une BD scénarisée par Christophe Bec me direz-vous. J'avoue, c'est avec un à priori négatif que j'ai entamé la lecture de ce livre. Bec étant un vrai spécialiste des séries S-F à rallonge se terminant en eau de boudin (Prométhée, Olympus Mons, Carthago...). Et pourtant, ce one-shot se révèle être une bonne surprise! Le lieu: la Bucarest moderne, des meurtres mystérieux sont commis, de manière graphique et parfois obscène, sur fond de commerce du sexe. L'intrigue avance lentement mais sûrement: on connaît dès le départ le meurtrier, mais ses motivations ne feront jour que tardivement. Si le ressort est classique, il n'en demeure pas moins efficace, d'autant que Bec s'est visiblement extrêmement bien documenté sur son sujet. Bref, un bon petit polar efficace, auquel on peu que reprocher son côté graphique et poisseux. Bec ne nous donne pas un héros attachant (l'inspecteur enquêtant sur les meurtres), mais nous dresse une galerie de personnages réalistes. Deux regrets: d'abord de nombreux non-dits sur le passé du héros en question. Il y aurait matière à faire plusieurs histoires avec ce personnage et ce cadre. Ce qui nous mène au second regret: le fait que cela ne soit qu'un one-shot. Pour une fois, je vais reprocher à Bec d'avoir fait trop court.
Le Vivant à vif
Cette BD va carrément faire doublon avec Extinctions - Le Crépuscule des espèces que j'ai lu récemment, et je dois dire que si j'avais lu les BD dans l'autre ordre j'aurais été un poil plus sévère avec cette dernière. Parce que "Le vivant à vif" est une excellente BD pour comprendre la question de l'effondrement de la biodiversité actuelle et les résonances avec les extinctions du passé. Utilisant un poncif classique (expliquer à deux jeunes gens qui vont faire un exposé), l'auteur met en scène plusieurs protagonistes qui vont expliquer, de par leurs spécialités, les extinctions actuelles et passées, les liens entre elles et ce que l'on attend du futur. Futur qui n'est pas spécialement rose même si la BD arrive à éviter l'écueil de la dépression, l'éco-anxiété étant déjà un mal suffisamment installé comme ça. Mais de façon concrète, elle invite à clairement passer à l'action toujours un peu plus, vers ce qu'on doit changer encore plus pour éviter le pire. C'est une BD didactique servi par le dessin de Simon Hureau qui s'est fait plaisir, il faut dire. Les représentations de lieux et d'époques différentes rendent très bien et permettent de s'immerger dans les questionnements, tout en ajoutant un côté amusant sur l'histoire des deux jeunes gens. Cette petite histoire n'est pas suffisamment présente pour parasiter la lecture et reste en arrière-plan, laissant le texte se déployer pleinement. D'ailleurs la BD est bavarde et bien chargée, une relecture peut aider à tout intégrer, d'où mon conseil de l'acheter carrément pour les plus jeunes et leurs permettre d'assimiler lentement les connaissances qu'elle contient. Et si je devais ajouter un dernier message, c'est que cette BD m'a convaincu de renouer avec certaines actions que je laissais en suspens sur la question du changement climatique. Parce qu'il est facile de se morfondre, de déprimer, s'apitoyer ou encore tenter d'ignorer les faits, mais passer à l'acte est bien plus difficile. Et je trouve qu'après lecture de la BD, c'est le positif et l'envie d'action qui restent, donnant réellement envie de s'y mettre. Je ne peux que saluer ce message salutaire !
Au-Dedans.
Etonnant album, léger et aérien par son trait presque sans couleur, aux cases aérées et parfois presque vide, dans une ambiance qui se traine et où rien ne se dit, mais dont le fond est lourd et grave. Une alchimie qui semble étrange mais qui fonctionne, je trouve. Et je suis assez surpris d'avoir été plongé autant dans cette BD lorsque je vois les écueils qu'elle porte. Le début de m'a lecture m'a rapidement surpris, notamment avec la représentation des yeux. Mais très vite, je m'y suis fait et je me suis laissé porter par le ton du récit, intimiste et léger dans le traitement. C'est souvent muet et rempli de petits détails (notamment tout le délire autour du café), et parsemés de quelques petites phrases qui permettent de tout comprendre. Une vie simple, ordinaire d'un type lambda dans une ville américaine. Et très vite, s'installe la question de la solitude, de cette mélancolie de la vie. Il n'y a rien d'extraordinaire ici, juste une vie qui se détaille avec des évènements graves, tout en continuant sur son ton doux et calme. C'est indolent, une balade dans la vie et ses hauts et bas. Mais la BD est surtout une mise en scène de la solitude contemporaine. C'est très bien fait, et je trouve que ce personnage est excellent dans son parcours, puisque progressivement il est intéressé par découvrir ses proches, avec des questions parfois saugrenues mais qui mettent en lumière l'envie de découvrir l'autre, son intimité et sa vie qu'il ne connait pas. D'ailleurs les interactions qu'il a avec sa famille sont très mignonnes, en peu de mots on sent l’amour qu'ils se portent mais aussi le fait qu'ils se connaissent très bien. Une BD étonnante, donc, porté par un dessin dont on sent le caractère dessin de presse, notamment avec ces planches d'une seule cases qui permettent de résumer une idée en un coup, tout en présentant une histoire intimiste mais qui peut toucher tout le monde. Les questionnements d'un jeune homme ressentant la solitude dans une ville moderne, c'est sans doute pas si rare que ça et ça touche. Franchement, lecture recommandé !
Ailefroide - Altitude 3954
J’avais découvert Ailefroide de Jean-Marc Rochette lorsque j’étais au lycée, et j’avais été frappé par la beauté des illustrations et la puissance de la narration. Des années plus tard, je l’ai relu, et je peux dire sans hésiter que l’intensité et la magie du récit sont restées intactes. Le graphisme de Rochette, à la fois précis et poétique, transmet parfaitement le vertige des montagnes et la profondeur des émotions des personnages. C’est un roman graphique qui ne se contente pas de raconter une histoire : il fait ressentir chaque instant, chaque souffle d’air, chaque sommet. À chaque lecture, je découvre de nouveaux détails dans les dessins et l’ambiance, et je reste admiratif de la maîtrise de l’artiste. Un incontournable, à lire et à relire !
Katya
Antoine Schiffers nous propose une première œuvre bien intéressante. En résonnance avec les conflits actuels "rouleaux compresseurs" qui détruisent tout sur leur passage (et surtout des civils), l'auteur nous ramène au terrible conflit Tchétchène des années 90. Comme l'indique le sous titre " La guerre. Partout. Toujours" le parcours de Mère Courage entrepris par Katerina pour retrouver sa fille, Katya, pourrait toucher à l'universalité de la détresse humaine face à des situations qui nous dépasse. La fil narratif de Schiffers pour simple qu'il soit parle toujours avec autant d'efficacité au cœur du parent sans nouvelle de son enfant disparu au fin fond de l'enfer. Comme le souligne Grogro dans son avis, cette lecture renvoie quelque fois à un road trip rencontré dans La Route. Cela m'a surtout fait penser au "Voyage au bout de l'enfer" de Cimino. En effet la quête est la même; ne pas vivre dans l'impuissance de l'incertitude et revenir avec l'être aimé ou pouvoir faire son deuil. Le récit est prenant. L'auteur réussit très bien à traduire la folie meurtrière d'un monde ubuesque. Ainsi la rencontre entre le tortionnaire Zaïtsev et Katarina illustre à merveille l'illogisme dément de la situation. Le graphisme de Schiffers s'adapte parfaitement à l'esprit apocalyptique du récit. Dans un ville de Grozny réduite en cendres, les pauvres hères rappellent avec force un théâtre de Brecht. Le lecteur est plongé dans un brouillard cauchemardesque que rien ne peut dissiper. La mise en couleur à force de gris et de rouges renforcent cette ambiance glaciale. Je ne suis pas fan des récits à tendance apocalyptiques fictionnels. Ici c'est le rappel de type documentaire très proche de situations actuelles qui m'a bouleversé. Un vraie découverte et une belle lecture.
Nimuë
Ma lecture des légendes arthuriennes remonte à trop loin pour que je puisse comparer la série d'Aldara Prado avec l'original. Toutefois j'ai apprécié ce scénario fantastique qui nous ramène à l'origine de la Dame du Lac. J'ai aimé l'ambiance proposée par l'autrice espagnole. Le parcours de la jeune héroïne, Nimuë, s'inscrit dans une logique messianique assez commune mais bien travaillée. Les personnages "secondaires" de Morgane et Merlin donnent du poids au récit en s'écartant de la fable pour enfant avec une violence bien contenue et sans voyeurisme. Le dessin de l'autrice est très approprié à l'ambiance du récit avec ces visages anguleux avec de fortes expressions dramatiques. Mais c'est surtout l'excellente mise en couleur qui soutient l'intensité tragique et fantastique du récit. Je pousse un peu ma note mais c'est toujours réjouissant de découvrir une autrice qui nous livre une série de qualité.
TDAH mode d'emploi
Une semaine après "Super Dys", les Arènes proposent une autre BD traitant de neuroatypiques particuliers, à savoir les personnes diagnostiquées TDAH, c'est à dire présentant des troubles du déficit de l'attention, avec ou sans hyperactivité. On en parle souvent au sujet des enfants, qui sont à présent diagnostiquée tôt, et pris en charge dans la foulée. Mais c'est parfois plus tardif, et certains ne sont repérés et diagnostiqués qu'à l'âge adulte. C'est ici le cas de Sacha, dont le fils est lui aussi TDAH (ou TDA/H, comme on peut aussi l'écrire). Poser des termes sur son hyperactivité, son étourderie, ses sautes d'humeur lui permet donc d'être suivie par le Dr Perroud, qui est conseiller scientifique sur cette BD et y fait donc part de ses réflexions, expériences et connaissances sur le sujet. C'est raconté par Jean-François Marmion, auteur de plusieurs albums à portée psychologique, de manière très claire, linéaire, avec une pointe d'humour pour dédramatiser des situations qui peuvent dégénérer. Parfois on voit Jérémy, le compagnon de Sacha, s'agacer face à ses troubles, mais il essaie également de l'aider à les combattre, avec les conseils du Dr Perroud. Leur fils, lui aussi touché, participe à cet effort familial et ce message est positif : un(e) TDAH n'est pas seul(e), son entourage est un rouage essentiel de son traitement. L'album comporte ainsi des informations sur ce qu'il se passe dans le cerveau d'une personne TDAH, des pistes concrètes pour qu'elle s'organise (sans toutefois s'épuiser, car c'est aussi un symptôme de ces troubles) et des stratégies pour faire redescendre la tension, des choses parfois très simple, comme utiliser une boîte où on range tous les objets importants susceptibles d'être perdus. Héloïse Chochois, illustratrice de grand talent, prête son graphisme de ligne claire au sujet, dans une mise en scène simple, mais efficace. Elle est totalement au service du sujet, qui n'est pas simple mais abordé de la bonne façon. C'est une BD qui pourra certainement aider des parents ne sachant comment interpréter les difficultés d'apprentissage ou comportementales de leur enfant ou proche, sachant que rien ne remplace bien sûr une consultation auprès d'un(e) vrai(e) spécialiste.